Nations Unies

CCPR/C/125/D/2556/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 juin 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2556/2015*,**,***

Communication présentée par :

Fulmati Nyaya (représentée par TRIAL, Track Impunity Always)

Au nom de :

Fulmati Nyaya

État partie :

Népal

Date de la communication :

20 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 janvier 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

18 mars 2019

Objet :

Arrestation arbitraire ; actes de torture ; travail forcé infligés par l’armée et la police à une mineure soupçonnée d’être une sympathisante maoïste

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; interdiction du travail forcé ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; non‑discrimination ; reconnaissance de la personnalité juridique ; droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée et sa famille ; droit de l’enfant à une protection spéciale ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2, 3, 7, 8 (par. 3 a)), 9, 10 (par. 1), 17, 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.1L’auteure de la communication est Fulmati Nyaya, de nationalité népalaise, née en 1987 et issue de la communauté autochtone tharu. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 2, 3, 7, 8 (par. 3 a)), 9, 10 (par. 1), 17, 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 août 1991.

1.2Le 27 janvier 2015, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure fait observer que les faits relatés dans la présente communication doivent être replacés dans le contexte du conflit armé qui a sévi au Népal pendant dix ans (1996 à 2006).

2.2L’auteure est née dans le district de Kailali, à l’extrême ouest du Népal. Le 2 avril 2002 − elle avait alors 14 ans − 300 membres de l’Armée royale népalaise et de la Police armée sont entrés dans son village, prétendument à la recherche de maoïstes. Les soldats ont pris l’auteure pour sa sœur aînée − Mme Kantimati, qui avait rejoint le parti maoïste l’année précédente − et l’ont arrêtée. Ils l’ont traînée dans un camion, lui ont bandé les yeux, l’ont menottée, et l’ont conduite à la caserne du bataillon de Bakimalika de la Police armée, à Banbehda (district de Kailali). Dans le camion, l’auteure a été agressée sexuellement par six ou sept soldats, qui ont touché différentes parties de son corps, notamment sa poitrine, ses cuisses et ses fesses. Le même jour, les forces de sécurité ont également arrêté Mme Junkiri, amie de l’auteure.

2.3Plus tard le même jour, l’auteure a été conduite avec d’autres détenus à la caserne militaire de Teghari et a été mise au secret. Pendant les neuf premiers jours de sa détention, elle a été détenue dans une grande salle avec 80 à 90 autres personnes, hommes et femmes, dans des conditions d’hygiène déplorables. Elle n’a quasiment rien eu à manger. Un commandant a demandé aux soldats de conduire les détenus dans son bureau un par un pour les interroger. Pendant quatre jours, l’auteure a subi des interrogatoires deux à trois fois par jour, généralement le soir, la plupart du temps avec les yeux bandés.

2.4Pendant sa détention, l’auteure a été violée et a subi d’autres formes de violence sexuelle − nudité forcée, insertion d’objets dans le vagin et autres agressions sexuelles. Elle a également été battue à coups de pied et de poing, forcée de garder un bandeau sur les yeux et de porter des menottes de manière prolongée, menacée, insultée, rabaissée et soumise à des violences dont le but était de lui extorquer des aveux. Après le viol, elle ne pouvait plus uriner et saignait abondamment. Elle a saigné pendant une semaine entière et n’a reçu aucun soin médical. Le commandant qui l’a violée l’a menacée de la tuer si elle racontait ce qui s’était passé à qui que ce soit.

2.5L’auteure a été détenue à la caserne militaire de Teghari du 2 au 11 avril 2002, date à laquelle elle a été ramenée, en même temps que Mme Junkiri, à la caserne du bataillon de Bakimalika de la Police armée à Banbehda. Toutes deux ont été détenues dans une minuscule pièce sans fenêtres où il n’y avait pas de lits ni de matelas ou de couvertures. Au cours de la période qu’elle a passée dans cette caserne, l’auteure a de nouveau été violée et soumise à diverses formes de violence sexuelle. Le commissaire de police la convoquait toujours pour l’interroger pendant la journée et, au bout de trois ou quatre jours, il a fait retirer le bandeau que l’auteure devait jusque-là porter sur les yeux. En outre, les détenues, y compris l’auteure, étaient l’objet de violences verbales et astreintes à travailler dans la caserne, leurs tâches consistant notamment à transporter des briques et du sable, à fabriquer du ciment pour la construction d’un temple et à arroser le jardin.

2.6Plus d’un mois et demi après que l’auteure a été placée en détention, son père, Hira Bahadur, s’est rendu à la caserne de la Police armée où il a finalement retrouvé sa trace après l’avoir cherchée dans de nombreux lieux de détention. Il a dû payer 50 000 roupies népalaises (environ 500 euros) pour obtenir sa libération. Le 13 ou le 14 juin 2002, l’auteure et Mme Junkiri ont été relâchées mais il leur a été demandé de se présenter à la police à des dates données pour rendre compte des activités des maoïstes. Elles ont fait régulièrement rapport à la police pendant environ neuf mois, jusqu’en mars 2003. Il arrivait que les policiers qui consignaient leurs déclarations les maltraitent − attouchements, insultes. Au bout d’un certain temps, les mauvais traitements ont cessé mais les policiers leur demandaient parfois d’arroser le jardin. La police les a menacées de les tuer si elles omettaient une seule fois de venir faire leur rapport. Par la suite, l’auteure et son amie ont été convoquées tous les sept jours, puis tous les quinze jours, et finalement, à une date non précisée, la police a cessé de solliciter l’auteure et son amie.

2.7En juin 2002, l’auteure est retournée dans son village, mais elle y était devenue une paria. Connaissant la manière dont les forces de sécurité se comportaient à l’égard des détenues, les villageois ont supposé qu’elle avait été violée et en ont déduit qu’elle était par conséquent « impure ». Ses amis l’évitaient. Elle n’a pas pu sortir de chez elle pendant environ un mois à cause de la honte et de l’humiliation qu’elle ressentait et elle a arrêté d’aller à l’école. Sa scolarité a ainsi été interrompue pendant deux ans. En 2004, elle est retournée à l’école, où elle était souvent raillée et traitée de « fille impure ».

2.8En février 2009, l’auteure s’est mariée. Une semaine après le mariage, son mari a entendu dire qu’elle avait été violée. Lorsqu’il l’a questionnée à ce sujet, l’auteure lui a dit la vérité. Son mari et sa belle-famille l’ont alors rejetée. L’auteure a été profondément humiliée et a dû retourner dans sa famille. Elle y est restée deux ans, jusqu’à ce que son mari se réconcilie avec elle.

2.9Le traumatisme provoqué par les violences sexuelles et les actes de torture qu’elle a subis et la stigmatisation et le rejet dont elle a ensuite fait l’objet ont causé chez l’auteure de graves séquelles psychologiques. Celle-ci souffre de troubles post-traumatiques et a toujours des angoisses, des cauchemars et des pensées suicidaires. Elle souffre également de divers maux physiques graves, y compris des douleurs dans la poitrine et des lésions à la colonne vertébrale et aux côtes. Elle a été examinée par un médecin à Katmandou en mars 2013, lequel lui a conseillé d’entreprendre une thérapie et lui a prescrit un traitement à long terme afin d’éviter que les lésions de sa colonne vertébrale s’aggravent et la laissent paralysée. Le médecin légiste qui a examiné l’auteure le 24 mars 2014 a constaté que les cicatrices qu’elle avait sur le corps et la déformation de ses ongles « concordaient avec les faits relatés par la patiente ».

2.10Bien que de nombreuses années se soient écoulées depuis la commission des violations qu’elle a subies − viol, torture et travail forcé −, l’auteure n’a informé ni les autorités, ni un médecin, ni même les membres de sa famille de ces violations. En raison de la stigmatisation dont sont la cible les victimes de violences sexuelles dans la société népalaise, y compris dans la communauté autochtone dont l’auteure est issue, il lui était impossible de chercher du soutien auprès des siens car cela lui aurait causé un traumatisme supplémentaire au lieu de l’aider. En outre, l’auteure était seulement âgée de 14 ans au moment des faits et elle ne savait pas quelles voies de recours lui étaient ouvertes ni comment s’en prévaloir. Elle aurait eu besoin d’être représentée par ses parents pendant la procédure, mais elle avait trop honte pour leur demander de l’aide.

2.11En 2011, l’auteure a appris qu’elle pouvait, en tant que victime du conflit, demander une indemnisation provisoire au Bureau de l’administration du district. En janvier 2011, elle a déposé une plainte pour détention arbitraire et mauvais traitements auprès du chef de district, mais elle n’a pas reçu d’indemnisation provisoire à ce jour. En effet, sont exclues du bénéfice de cette indemnisation les victimes de viol ou d’autres formes de violence sexuelle.

2.12Le 17 février 2014, un avocat a déposé une plainte (premier rapport d’information) au nom de l’auteure. Le commissaire adjoint du Bureau de la police du district de Kailali a refusé d’enregistrer la plainte, au motif que celle-ci n’avait pas été déposée dans le délai de trente-cinq jours prévu à cet effet par l’article 11 du Code pénal s’agissant des plaintes pour viol. L’avocat a également saisi le tribunal du district de Kailali d’une demande d’indemnisation, conformément à la loi relative à l’indemnisation des victimes de torture de 1996, mais le tribunal n’a pas accueilli la demande.

2.13L’auteure note qu’en vertu de l’article 3 (5) de la loi relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie (1992), lorsqu’un bureau de police refuse d’enregistrer un premier rapport d’information, les plaignants peuvent soumettre ledit rapport au chef de district ou à l’autorité supérieure dont relève le bureau qui l’a initialement rejeté. Par conséquent, le 29 mars 2014, l’auteure a demandé à l’assistant du chef de district, en poste à Dhangadhi, chef-lieu du district de Kailali, d’enregistrer un premier rapport d’information mais celui-ci a refusé, prétextant que les affaires relatives au conflit ne pouvaient pas être enregistrées et que l’auteure devait attendre qu’un mécanisme de justice transitionnelle soit mis en place.

2.14Le 11 avril 2014, l’auteure a introduit devant la Cour suprême du Népal une requête en mandamus, qui a été enregistrée le jour même, dans laquelle elle demandait que le délai de prescription de trente-cinq jours ne soit pas appliqué. Elle relève toutefois que la Cour suprême n’a jamais accueilli les demandes visant à obtenir la non-application du délai de prescription de trente-cinq jours dans des affaires individuelles et que les chances que sa demande aboutisse sont par conséquent nulles. L’auteure note que la seule exception jamais accordée à cette prescription concernait une affaire sans rapport avec le conflit, dans laquelle la Cour suprême a souligné la nécessité d’abroger les dispositions relatives à la prescription, qui selon elle empêchaient les victimes d’avoir accès à un recours utile et d’obtenir réparation, et a enjoint le Gouvernement de modifier la législation afin que le délai de prescription du viol soit supprimé. Cet arrêt de la Cour suprême, rendu en 2008, est toutefois resté sans suite.

2.15Le 17 avril 2014, la Cour suprême a pris une ordonnance de justification à l’égard du Ministère de l’intérieur, de la Direction de la police à Naxal, du Bureau de la police du district de Kailali et du Bureau de l’administration du district de Kailali, les enjoignant de répondre dans un délai de quinze jours (soit avant le 2 mai 2014). Aucun des destinataires de l’ordonnance n’ayant respecté le délai, la Cour suprême a reporté l’échéance au 2 juin 2014.

2.16La Direction nationale de la police et le Ministère de l’intérieur ont envoyé leurs réponses respectivement le 5 et le 19 mai 2014, dans lesquelles ils contestaient la recevabilité des griefs formulés au motif que le délai de prescription de trente-cinq jours excluait toute investigation. En juin 2014, la police du district de Kailali et le Bureau de l’administration du district de Kailali ont communiqué des réponses similaires. La procédure est toujours en cours, mais l’état général de santé de l’auteure est critique et appelle des soins d’urgence.

2.17L’auteure affirme qu’elle a essayé en vain de déposer un premier rapport d’information ainsi qu’une demande d’indemnisation au titre de la loi de 1996 relative à l’indemnisation des victimes de torture. Elle soutient qu’elle ne disposait d’aucun recours utile et renvoie à la jurisprudence du Comité dont il ressort que, d’une part, l’auteur(e) d’une communication n’est tenu(e) d’épuiser les recours internes que pour autant que ces recours semblent être utiles en l’espèce et lui soient ouverts de facto, et, d’autre part, les recours internes n’ont pas à être épuisés lorsqu’ils n’ont objectivement aucune chance d’aboutir.

2.18L’auteure renvoie en outre à une affaire mettant en cause le Népal dans laquelle le Comité a estimé que le dépôt d’un premier rapport d’information à la police aboutit rarement à une enquête et a par conséquent déclaré l’affaire recevable. L’auteure ajoute que dans d’autres cas, le Comité a expressément indiqué que le délai de prescription de trente-cinq jours était strict et qu’il était sans commune mesure avec la gravité du crime de torture.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les articles 7, 8 (par. 3 a)) et 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 1 à 3), 3, 24 (par. 1) et 26 du Pacte, en raison du viol, des violences sexuelles, des actes de torture, des mauvais traitements, des conditions de détention inhumaines et du travail forcé auxquels elle a été soumise et du fait que l’État partie ne lui a pas assuré de recours utile et qu’il n’a pas fait procéder d’office et sans délai à une enquête efficace, indépendante, impartiale et approfondie sur ses allégations ni fait en sorte que les responsables soient poursuivis et condamnés. L’auteure soutient que ces violations sont aggravées par le fait qu’elle est autochtone et qu’elle était mineure au moment des faits, et qu’à ce titre elle avait droit à une protection spéciale de la part de l’État partie. Elle ajoute que le viol et les violences sexuelles qu’elle a subis étaient des pratiques systématiques pendant le conflit au Népal. Elle affirme en outre que le Népal n’a pas pris de mesures législatives efficaces pour donner effet aux droits consacrés par le Pacte et qu’il n’a pas supprimé les dispositions du cadre juridique en vigueur qui font obstacle à l’exercice de ces droits et pénalisent particulièrement les femmes. Dans le droit interne, les plaintes pour viol ne sont recevables que si elles sont déposées dans un délai de trente-cinq jours à compter de la date à laquelle les faits se sont produits. Il était matériellement impossible à l’auteure de déposer une plainte dans ce délai puisqu’elle était à ce moment-là détenue arbitrairement. L’auteure affirme en outre qu’elle a été victime de la part des autorités népalaises d’une discrimination fondée sur son sexe et son appartenance ethnique.

3.2L’auteure affirme être victime d’une violation de l’article 9 (par. 1 à 3) du Pacte, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1) du Pacte, en ce qu’elle a été arrêtée et détenue arbitrairement et qu’elle n’a pas été informée, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation ni des accusations portées contre elles. Les autorités népalaises n’ont pas mené d’enquête efficace sur ces allégations de violations ; elles n’ont pas identifié, poursuivi ni condamné les responsables et n’ont pas assuré à l’auteure la protection spéciale qu’exigeait sa condition de mineure.

3.3L’auteure dénonce enfin une violation des articles 17 et 23 (par. 1), lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 1 et 3), 24 (par. 1) et 26 du Pacte, du fait qu’elle a été l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée et dans sa vie sexuelle parce qu’elle était une femme, que sa vie de famille a été bouleversée et qu’il a été illégalement porté atteinte à son honneur et à sa réputation. En outre, les autorités népalaises n’ont pas pris de mesures pour protéger la famille de l’auteure, abandonnant celle-ci à la stigmatisation et à la marginalisation. L’auteure affirme être victime d’une triple discrimination fondée sur sa condition de mineure, de femme et d’autochtone.

3.4Pour ce qui est de la réparation, l’auteure demande au Comité d’exhorter l’État partie à prendre les mesures ciblées suivantes : a) faire procéder sans attendre à une enquête efficace sur les infractions dont l’auteure a fait état et traduire les responsables en justice ; b) présenter des excuses officielles à l’auteure dans le cadre d’une cérémonie privée et reconnaître la responsabilité de l’État au regard de ses obligations internationales ; c) verser sans délai à l’auteure une indemnisation adéquate et équitable pour les préjudices matériels et moraux qui lui ont été causés ; et d) assurer à l’auteure un suivi médical et psychologique gratuit. L’auteure demande également au Comité d’engager l’État partie à prendre les mesures générales suivantes : a) incriminer la torture ; b) mettre la définition du viol et d’autres formes de violence sexuelle en conformité avec les normes internationales et ériger le viol en crime contre l’humanité ; c) modifier le délai de prescription du viol actuellement fixé à trente-cinq jours pour le mettre en conformité avec le droit international des droits de l’homme ; d) modifier le droit interne de manière à rendre obligatoire, lors de toute arrestation, la présentation d’un mandat d’arrêt indiquant les raisons de l’arrestation ; e) veiller au respect de toutes les garanties légales fondamentales devant être assurées aux détenus ; f) veiller à ce que les enquêtes et les analyses médico-légales − principalement en cas de viol et d’autres formes de violence sexuelle − soient effectuées conformément aux normes internationales, en particulier le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) et les directives relatives à l’aide médico-légale à apporter aux victimes de violences sexuelles, publiées par l’Organisation mondiale de la Santé ; et g) élaborer à l’intention des juges, des militaires, des forces de sécurité et de toutes les personnes susceptibles d’intervenir auprès de personnes privées de liberté des programmes d’éducation et de renforcement des capacités et des formations portant sur la manière d’enquêter efficacement sur les violences sexuelles à l’égard des femmes, le Protocole d’Istanbul, le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 4 septembre 2015, l’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes offerts par le système de justice pénale et le mécanisme de justice transitionnelle, lequel est la voie appropriée pour obtenir que la lumière soit faite sur les crimes commis pendant le conflit armé.

4.2Pour ce qui est du système de justice pénale ordinaire, l’État partie note que la requête en mandamus de l’auteure est toujours pendante devant la Cour suprême du Népal et qu’en vertu de l’article 107 de la Constitution provisoire du Népal, la Cour suprême est habilitée à ordonner les mesures voulues pour rétablir pleinement les droits de l’auteur(e) de ce type de requête. L’État partie ajoute que la législation nationale peut fixer des délais pour le dépôt d’un premier rapport d’information en fonction de la nature de l’infraction.

4.3En ce qui concerne le système de justice transitionnelle, l’État partie note que l’auteure peut encore déposer une plainte auprès de la Commission Vérité et Réconciliation. Celle-ci est habilitée à enquêter sur les affaires liées au conflit, à adresser des recommandations au Gouvernement afin que des poursuites soient engagées contre les responsables et à accorder réparation aux victimes. L’État partie estime que le système pénal ordinaire ne peut pas se charger seul de rechercher la vérité, de poursuivre les coupables et d’assurer aux victimes des mesures de réparation et de réadaptation. Il relève que la recherche de la vérité est au cœur de la mission des mécanismes de justice transitionnelle. Il affirme par conséquent que l’auteure devrait saisir la Commission pour dénoncer les violations de ses droits et pouvoir prétendre à des mesures de réparation et de restitution et à d’autres services et prestations éventuels.

4.4L’État partie note que les infractions de violence sexuelle, notamment le viol, les violences faites aux femmes et la torture, sont punies par la loi. Il affirme par conséquent que le Gouvernement veille à ce que les violences sexuelles donnent lieu sans délai à des enquêtes impartiales et à ce que les auteurs de ces violences soient traduits en justice. L’État partie informe le Comité que, pour renforcer l’accès à la justice des victimes de viol, les commissions parlementaires compétentes ont approuvé un projet de loi portant le délai de prescription du viol de trente-cinq jours à six mois. L’État partie informe également le Comité qu’un nouveau projet de loi incriminant toutes les formes de torture et de mauvais traitements, conformément à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est en cours d’examen au Parlement.

4.5L’État partie indique enfin que l’Armée népalaise, la Police armée et la police nationale n’ont trouvé aucune trace de l’arrestation de l’auteure ni de sa remise en liberté.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires en date du 16 novembre 2015, l’auteure renouvelle ses observations concernant la recevabilité et le fond ainsi que sa demande de mesures de réparation.

5.2Bien que sa requête en mandamus soit toujours pendante devant la Cour suprême, l’auteure fait observer que cette requête a peu de chances de déboucher sur un résultat satisfaisant et qu’elle ne constitue pas un recours utile en l’espèce, et que la procédure devant la Cour suprême est lente, du fait de l’accumulation de retards, de l’annulation d’audiences et du défaut de coopération de certaines parties.

5.3Aux yeux de l’auteure, l’invocation par l’État partie du fait que la législation nationale peut fixer des délais de prescription pour le dépôt d’un premier rapport d’information n’a d’autre but que de souligner qu’elle-même n’a pas déposé sa plainte dans le délai de trente-cinq jours prévu par la loi. Parallèlement, l’État partie mentionne un amendement visant à porter le délai de prescription de trente-cinq jours à six mois. Pour l’auteure, c’est le signe que l’État partie est conscient que le délai de trente-cinq jours est excessivement restrictif puisqu’il cherche à le modifier. L’auteure relève également que cet amendement n’est pas encore passé dans la loi. Il n’est donc pas encore applicable et, même quand il le sera, elle n’en bénéficiera pas puisqu’elle a été violée en 2002.

5.4L’auteure fait valoir en outre que la saisine de la Commission Vérité et Réconciliation, qui n’est pas un organe judiciaire, ne peut pas être considérée comme un recours utile qu’elle aurait dû épuiser avant de soumettre une communication au Comité.

5.5L’auteure affirme que le simple fait que les autorités népalaises n’aient pas enregistré sa privation arbitraire de liberté (arrestation et détention) constitue en soi une violation de l’article 9 du Pacte. Elle note que l’enregistrement d’une arrestation fait partie des garanties fondamentales qui doivent être assurées à tout détenu en vertu de l’article 9 du Pacte. Elle ajoute que, dans la mesure où elle a été violée pendant sa détention, il incombe à l’État partie de présenter des preuves pour réfuter ses affirmations ; celui-ci ne peut pas se contenter d’affirmer que la privation de liberté n’a pas été officiellement enregistrée. L’auteure soutient par conséquent que l’État partie n’a pas présenté de preuves de nature à réfuter ses affirmations concernant la privation arbitraire de liberté, le viol, les autres formes de mauvais traitements, les violences sexuelles et le travail forcé dont elle a été victime.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné, d’une part, que la requête en mandamus de l’auteure est toujours pendante devant la Cour suprême du Népal, et d’autre part, que l’auteure peut déposer une plainte auprès de la Commission Vérité et Réconciliation.

6.4Le Comité relève toutefois que l’auteure : a) a déposé auprès du Bureau de la police de district deux premiers rapports d’information concernant le viol et les autres actes inhumains et dégradants auxquels elle a été soumise, rapports qui ont été rejetés en application du délai de prescription de trente-cinq jours prévu pour le dépôt d’une plainte pour viol ; b) a présenté une demande d’indemnisation au titre de la loi relative à l’indemnisation des victimes de torture de 1996, demande qui a elle aussi été rejetée ; et c) a introduit une requête en mandamus devant la Cour suprême du Népal pour demander que le délai de prescription de trente-cinq jours ne soit pas appliqué aux plaintes individuelles portant sur des infractions liées au conflit. Le Comité prend note des allégations de l’auteure, qui n’ont pas été contestées, selon lesquelles celle-ci n’a pas pu déposer de premier rapport d’information dans le délai de trente-cinq jours prévu par la loi étant donné qu’à ce moment-là, elle était toujours détenue arbitrairement et n’avait pas accès à l’assistance d’un avocat. L’auteure a également fait valoir que, même après sa libération, elle n’a pas pu demander d’aide auprès de sa communauté ni de sa famille en raison de la stigmatisation dont sont l’objet les victimes de violences sexuelles. Le Comité estime que la durée de la procédure en cours devant la Cour suprême est excessivement longue − la requête en mandamus a été introduite par l’auteure en avril 2014 − en particulier au regard de la gravité des infractions alléguées. Il prend note en outre de la déclaration de l’auteure selon laquelle il est peu probable, étant donné la jurisprudence constante de la Cour suprême en la matière, que cette procédure lui permette d’obtenir réparation. Par conséquent, étant donné les obstacles juridiques et pratiques que rencontrent les victimes de viol qui veulent porter plainte dans l’État partie, et compte tenu de la prolongation déraisonnable de la procédure devant la Cour suprême et de ses faibles chances de succès, le Comité estime que les recours du système de justice pénale n’étaient en l’espèce ni utiles ni disponibles.

6.5Pour ce qui est du système de justice transitionnelle, le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel la saisine de la Commission Vérité et Réconciliation ne constitue pas un recours utile étant donné que la Commission n’est pas un organe judiciaire. À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser les voies de recours devant des organes non judiciaires pour satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, et que la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle ne saurait dispenser de poursuivre pénalement les auteurs de violations graves des droits de l’homme. Le Comité estime par conséquent que la saisine de la Commission Vérité et Réconciliation ne constituerait pas un recours utile pour l’auteure.

6.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

6.7Tous les autres critères de recevabilité étant satisfaits, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure, qui n’ont pas été contestées, selon lesquelles, au cours du mois et demi qu’elle a passé en détention après son arrestation le 2 avril 2002, des membres de l’Armée royale népalaise et de la Police armée l’ont violée et soumise à d’autres formes de violence sexuelle et de torture dans le but de lui extorquer des informations concernant ses sympathies supposées avec les maoïstes. Le Comité considère que le viol et les autres actes de violence sexuelle que des membres de l’Armée royale népalaise et de la Force de police armée ont fait subir à l’auteure, qui est autochtone et qui était âgée de 14 ans au moment des faits, constituent une violation des droits que celle-ci tient des articles 7 et 24 (par. 1) du Pacte.

7.3Le Comité a également pris note de l’argument de l’auteure, qui n’a pas été contesté, selon lequel le viol et les autres actes de violence sexuelle qu’elle a subis ont eu un effet discriminatoire, comme l’attestent la manière dont elle a été traitée, et prend note également du recours généralisé au viol pendant le conflit en raison de la forte discrimination dont sont l’objet les filles et les femmes victimes de viol dans la société népalaise. Le Comité rappelle que les femmes sont particulièrement vulnérables en période de conflits armés internes ou internationaux, et considère que c’est également le cas des filles. Les États doivent prendre toutes les mesures nécessaires dans de telles circonstances pour les protéger contre le viol, l’enlèvement et toutes autres formes de violence fondée sur le sexe. Au vu du contexte dans lequel ont été commis le viol et les autres formes de violence sexuelle dont l’auteure a été victime (voir par. 2.2 à 2.5 ci-dessus), ainsi que du manquement complet de l’État partie à l’obligation d’enquêter sur ces crimes et d’identifier les responsables, le Comité considère que l’État partie a violé le droit de ne pas faire l’objet de discrimination fondée sur le sexe que l’auteure tient des articles 2 (par. 1) et 3 du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 7, 24 (par. 1) et 26 du Pacte.

7.4Le Comité prend note des allégations de l’auteure, qui affirme que, pendant sa détention, des membres de la Force de police armée l’ont forcée à travailler dans la caserne − transport de briques et de sable, fabrication de ciment pour la construction d’un temple et arrosage du jardin − tout en l’injuriant. L’État partie n’a pas contesté ces allégations. Par conséquent, compte tenu des faits décrits par l’auteure et dans la mesure où il a été établi que le travail forcé faisait partie des traitements cruels infligés aux détenus pendant le conflit interne au Népal, il convient d’accorder le poids voulu aux allégations de l’auteure à ce sujet.

7.5Le Comité a établi que, pour qu’un travail ne soit pas considéré comme forcé ou obligatoire, il faut au minimum, qu’il ne constitue pas une mesure exceptionnelle ; il ne doit pas avoir de but ou d’effet punitif et il doit être prévu par la loi afin de répondre à un objectif légitime au regard du Pacte. Compte tenu de ces considérations, le Comité est d’avis que le travail forcé auquel l’auteure a été astreinte alors qu’elle était mineure et détenue arbitrairement revêt en l’espèce un caractère dégradant et discriminatoire, entre dans le cadre des interdictions énoncées à l’article 8 du Pacte et constitue par conséquent une violation de l’article 8 (par. 3), lu seul et conjointement avec les articles 7 et 24 (par. 1) du Pacte.

7.6Eu égard à ce qui précède, le Comité décide qu’il n’examinera pas séparément les griefs que l’auteure tire de l’article 10 (par. 1) du Pacte.

7.7Le Comité prend note des griefs tirés de l’article 9 du Pacte par l’auteure, qui affirme qu’elle a été arrêtée sans mandat par un groupe constitué de nombreux soldats et policiers qui ne l’ont pas informée des accusations portées contre elle, qu’elle a été détenue dans des casernes de l’armée et de la police pendant plus d’un mois et demi, et qu’elle n’a jamais reçu d’indemnisation pour cette détention en dépit des nombreux recours qu’elle a introduits à ce sujet. L’État partie a indiqué qu’il n’existait pas de trace de la détention de l’auteure mais il n’a donné aucune explication de nature à infirmer les allégations de l’auteure ni procédé aux investigations nécessaires sur ces allégations. Le Comité estime que l’auteure a soumis des éléments crédibles concernant sa détention, et qu’exiger des personnes qui ont fait l’objet d’une détention arbitraire et illégale qu’elles en apportent la preuve écrite reviendrait à demander une probatio diabolica (preuve impossible). Il considère que c’est à l’État partie qu’il incombe de réfuter les éléments de preuve fournis par l’auteure. Par conséquent, le Comité considère que la détention de l’auteure par des membres de l’Armée royale népalaise et de la Force de police armée dans le contexte du conflit interne constitue une violation des droits que celle-ci tient de l’article 9 du Pacte.

7.8Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 17 du Pacte, le Comité considère que le viol dont celle-ci a été victime constitue une immixtion arbitraire dans sa vie privée et son autonomie sexuelle au sens où il s’agit de relations sexuelles imposées et non librement choisies ; en outre, l’auteure a été stigmatisée et marginalisée du fait qu’elle avait été violée, et l’État partie n’a pris aucune mesure pour la protéger à cet égard. Le Comité estime en outre que la stigmatisation, la marginalisation et la honte que la communauté, la famille et le mari de l’auteure ont fait peser sur elle en raison des violences sexuelles qu’elle avait subies ont abouti à une dislocation de sa famille et de son mariage. Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime qu’il y a eu violation des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

7.9Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles aucune enquête n’a été menée sur les violations commises lors de son arrestation et pendant sa détention, bien qu’elle les ait dénoncées à plusieurs reprises. Il relève en outre que les motifs invoqués par les autorités népalaises pour refuser d’enregistrer les plaintes de l’auteure étaient fondés sur le délai de trente-cinq jours prescrit par la loi pour le dépôt d’une plainte pour viol. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un délai aussi déraisonnablement court pour le dépôt d’une plainte pour viol est clairement sans commune mesure avec la gravité et la nature de l’infraction et a des conséquences excessivement lourdes pour les victimes, qui sont majoritairement des femmes et des filles. En l’espèce, en raison du traumatisme enduré par l’auteure, de l’opprobre et de la stigmatisation dont sont l’objet les victimes de violences sexuelles dans la communauté dont elle fait partie, et parce qu’elle n’avait pas accès à l’information sur les voies de recours disponibles, il s’est passé neuf ans avant que l’auteure soit en mesure de chercher à obtenir justice pour les violations qu’elle avait subies (voir par. 2.9 et 2.10 ci-dessus). Le Comité constate que l’État partie s’attache à renforcer l’accès à la justice des victimes de viol (voir par. 4.4 ci-dessus) et constate également que, en 2018, l’État partie a révisé son code pénal pour faire passer de trente-cinq jours à un an le délai légal pour le dépôt d’une plainte pour l’infraction de viol ou d’autres infractions à caractère sexuel. Le Comité estime néanmoins que même ce nouveau délai de prescription n’est pas proportionné à la gravité de ces infractions.

7.10Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le délai de prescription prévu par la législation népalaise en vigueur à l’époque des faits pour le dépôt d’une plainte pour viol a empêché l’auteure d’accéder à la justice et a constitué une violation des droits qu’elle tenait de l’article 2 (par. 3), lu seul et conjointement avec les articles 3, 7, 9, 24 et 26 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 7 et 24 (par. 1) ; des articles 2 (par. 1) et 3, lus seuls et conjointement avec les articles 7, 24 (par. 1) et 26 ; de l’article 8 (par. 3), lu seul et conjointement avec les articles 7 et 24 (par. 1) ; de l’article 9, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1) ; des articles 17 et 23 (par. 1) ; et de l’article 2 (par. 3), lu seul et conjointement avec les articles 3, 7, 9, 24 et 26.

9.En application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête approfondie et efficace sur les faits relatés par l’auteure concernant son arrestation, sa détention et les viols qu’elle a subis ainsi que la manière dont elle a été traitée en détention ; b) de prendre les mesures nécessaires en vue de poursuivre et de condamner les responsables des violations commises ; c) de communiquer à l’auteure des informations détaillées concernant les résultats de l’enquête ; d) de veiller à ce que l’auteure bénéficie gratuitement de mesures de réadaptation psychologique et de soins médicaux appropriés ; et e) d’assurer à l’auteure une réparation effective pour les violations subies, une indemnisation adéquate et de mesures de satisfaction appropriées, y compris la présentation d’excuses officielles dans le cadre d’une cérémonie privée. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Il devrait en particulier faire en sorte que la législation : a) incrimine la torture et prévoie des sanctions appropriées et des mesures de réparation à la mesure de la gravité de cette infraction ; b) définisse le viol et autres formes de violence sexuelle conformément aux normes internationales ; c) garantisse que les cas de viol, d’autres formes de violence sexuelle et de torture donnent rapidement lieu à une enquête impartiale et efficace ; d) permette d’engager des poursuites pénales contre les auteurs de ce type d’infraction ; et e) supprimer les obstacles qui empêchent les victimes de viol et d’autres formes de violences sexuelles commises contre les femmes et les filles dans le contexte du conflit armé népalais, comme des formes de tortures, y compris en allongeant notablement le délai de prescription en proportion de la gravité de ces crimes.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles du pays.

Annexe

Opinion individuelle de José Manuel Santos Pais (partiellement concordante)

1.Je souscris pleinement à l’opinion du Comité selon laquelle l’État partie a violé plusieurs articles du Pacte, mais pas à la conclusion selon laquelle le Népal est responsable d’une dislocation de la famille et du mariage de l’auteure (voir par. 7.8 et 8 des constatations ci-dessus).

2.L’auteure est née dans le district de Kailali, à l’extrême ouest du Népal. Le 2 avril 2002 − elle avait alors 14 ans − des membres de l’Armée royale népalaise et de la Police armée sont entrés dans son village et l’ont arrêtée. Ils l’ont traînée dans un camion à bord duquel elle a été agressée sexuellement par un groupe de soldats, qui ont touché différentes parties de son corps, notamment sa poitrine, ses cuisses et ses fesses (par. 2.2). Plus tard le même jour, l’auteure a été conduite avec d’autres détenus à la caserne militaire de Teghari (par. 2.3).

3.Pendant sa détention, l’auteure a été violée et a subi d’autres formes de violence sexuelle. Après le viol, elle ne pouvait plus uriner et saignait abondamment. Elle n’a toutefois reçu aucun soin médical (par. 2.4).

4.En juin 2002, l’auteure est retournée dans son village, mais elle y était devenue une paria. Connaissant la manière dont les forces de sécurité se comportaient à l’égard des détenues, les villageois ont supposé qu’elle avait été violée et en ont déduit qu’elle était par conséquent « impure ». Ses amis l’évitaient. Elle n’a pas pu sortir de chez elle pendant environ un mois à cause de la honte et de l’humiliation qu’elle ressentait et elle a arrêté d’aller à l’école (par. 2.7).

5.En février 2009, l’auteure s’est mariée. Une semaine après le mariage, son mari a entendu dire qu’elle avait été violée. Lorsqu’il l’a questionnée à ce sujet, l’auteure lui a dit la vérité. Son mari et sa belle-famille l’ont alors rejetée. L’auteure a été profondément humiliée et a dû retourner dans sa famille. Elle y est restée deux ans, jusqu’à ce que son mari se réconcilie avec elle (par. 2.8).

6.Le traumatisme provoqué par les violences sexuelles qu’elle a subies et la stigmatisation et le rejet dont elle a ensuite fait l’objet ont causé chez l’auteure de graves séquelles psychologiques. Celle-ci souffre de troubles post-traumatiques et a toujours des angoisses, des cauchemars et des pensées suicidaires (par. 2.9).

7.Pendant de nombreuses années, l’auteure n’a informé ni les autorités, ni aucun médecin, ni même les membres de sa famille des violations − viol, torture et travail forcé − qu’elle avait subies. En raison de la stigmatisation dont sont la cible les victimes de violences sexuelles dans la société népalaise, y compris dans la communauté autochtone dont l’auteure est issue, il lui était impossible de chercher du soutien auprès des siens car cela lui aurait causé un traumatisme supplémentaire au lieu de l’aider, et elle avait trop honte pour demander de l’aide à ses parents (par. 2.10).

8.L’auteure dénonce une violation des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte, du fait qu’elle a été l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée et dans sa vie sexuelle parce qu’elle était une femme, que sa vie de famille a été bouleversée et qu’il a été illégalement porté atteinte à son honneur et à sa réputation (par. 3.3).

9.À cet égard, il convient de prendre dûment en considération les allégations de l’auteure, qui n’ont pas été contestées, selon lesquelles, au cours du mois et demi qu’elle a passé en détention après son arrestation le 2 avril 2002, des membres de l’Armée royale népalaise et de la Police armée l’ont violée et soumise à d’autres formes de violence sexuelle. Je souscris donc à l’opinion du Comité selon laquelle les infractions que des membres de l’Armée royale népalaise et de la Force de police armée ont fait subir à l’auteure, qui est autochtone et qui était âgée de 14 ans au moment des faits, constituent une violation des droits que celle-ci tient des articles 7 et 24 (par. 1) du Pacte (par. 7.2).

10.Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 17 du Pacte, je souscris également à l’opinion du Comité selon laquelle le viol que l’auteure a subi constitue une immixtion arbitraire dans sa vie privée et son autonomie sexuelle au sens où il s’agit de relations sexuelles imposées et non librement choisies, et qu’il convient de tenir compte de la stigmatisation, de la honte et de la marginalisation que la communité de l’auteure a fait peser sur elle (par. 7.8).

11.Toutefois, contrairement au Comité, je ne vois pas en quoi l’État partie doit être tenu responsable de la dislocation de la famille de l’auteure ou du mariage qui a été prononcé après les faits.

12.En ce qui concerne la vie de famille, l’auteure elle-même reconnaît qu’elle n’a pas informé sa propre famille du viol qu’elle avait subi et qu’elle avait trop honte pour demander de l’aide à ses parents (par. 7 de l’opinion ci-dessus et par. 2.10 des constatations). De plus, après les faits, sa famille l’a accueillie, a pris soin d’elle, lui a fourni un abri et a fait preuve de compréhension. L’auteure ne s’est donc pas trouvée en situation de dislocation de la famille.

13.Quant au mariage de l’auteure, il a été prononcé sept ans après les faits, et le lien de cause à effet entre les infractions sexuelles subies par l’auteure et la dislocation temporaire de son mariage se mêle à plusieurs autres facteurs (le fait que le mari et la belle-famille de l’auteure la considèrent comme une victime de violences sexuelles, la perception que la communauté dont fait partie l’auteure a de la situation, les préjugés sociaux et bien d’autres facteurs). Je ne vois donc pas en quoi l’État partie peut être tenu responsable de la dislocation du mariage, et ce, d’autant moins que les époux se sont par la suite réconciliés.

14.En concluant qu’il y a eu violation des droits que l’auteure tient des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte pour les raisons exposées ci-dessus, le Comité élargit la responsabilité de l’État de telle sorte que celle-ci n’aurait quasiment plus de limite, aussi bien sur le plan du nombre d’années à prendre en considération après les faits considérés que sur celui de l’étendue de cette responsabilité.

15.Par conséquent, j’aurais conclu que le Népal n’était pas responsable, en l’espèce, d’une dislocation de la famille et du mariage de l’auteure, et n’avait donc pas violé les articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte.