Nations Unies

CCPR/C/125/D/2323/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2323/2013 * , **

Communication présentée par :

F. Z. et M. Z. (représentés par un conseil, Joseph W. Allen)

Au nom de :

F. Z. et M. Z. et leurs deux enfants mineurs

État partie :

Canada

Date de la communication :

23 décembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 décembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

29 mars 2019

Objet :

Expulsion vers la Roumanie

Question(s) de procédure :

Compétence ratione materiae; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; non-refoulement

Article(s) du Pacte :

3, 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 17 (par. 1), 24 (par. 1), 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1Les auteurs de la communication sont F. Z., né le 31 août 1975, et son épouse, M. Z., née le 8 avril 1978. Ils présentent la communication en leur nom et au nom de leurs deux enfants mineurs, X, née le 11 juin 2009, et Y, née le 5 octobre 2006. Les auteurs, de nationalité roumaine, ont demandé l’asile au Canada et font l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Roumanie à la suite du rejet par les autorités canadiennes de leur demande de statut de réfugié. Ils affirment que leur expulsion vers la Roumanie constituerait une violation par le Canada des droits qu’ils tiennent de l’article 3, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 24 et des articles 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 27 décembre 2013, conformément à l’article 92 du règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé de ne pas demander de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs, qui appartiennent à l’ethnie rom, vivaient en Roumanie. F. Z. a été victime de discrimination et de violences quand il était à l’école. Les brimades des élèves et des enseignants ont atteint un point tel qu’il a abandonné sa scolarité à la fin du cycle primaire. À partir de 1993, il a travaillé sur des chantiers avec son père. Cependant, étant Rom, il a toujours eu des difficultés à se faire embaucher. Il a également été victime de discrimination au travail en raison de son origine ethnique.

2.2L’auteur a épousé M. Z. en juin 2006. En octobre 2006, alors que M. Z. allait donner naissance à leur premier enfant, les auteurs se sont rendus à Bucarest pour chercher un hôpital. Cinq hôpitaux ont refusé d’admettre M. Z., qui a dû accoucher dans des conditions dangereuses, avec l’aide de sages-femmes roms. Les auteurs se sont trouvés dans une situation similaire à la naissance de leur deuxième enfant, en 2009.

2.3En décembre 2009, F. Z. a été agressé par trois jeunes skinheads alors qu’il était dans le bus à Bucarest. Jeté hors du bus, il s’est foulé la cheville. Un hôpital voisin a refusé de l’admettre alors qu’il avait besoin de soins médicaux. Enfin, le 16 juillet 2010, les auteurs n’ont pas pu inscrire leur aînée à la crèche de leur quartier, car le directeur ne voulait pas contrarier les parents des « vrais » Roumains. F. Z. s’est rendu à la crèche pour demander des explications. Voyant qu’il était furieux, le directeur a pris peur et appelé la police. L’auteur a été menotté, emmené dans un endroit isolé, et violemment battu par les policiers avec des matraques en caoutchouc. Les policiers lui ont dit qu’il devait « être plus poli avec les Roumains » puis l’ont laissé sur place. Quand il a voulu déposer plainte auprès du maire, il n’a pas été cru et on lui a dit de cesser de mentir. Aucune enquête n’a été menée.

2.4Les auteurs ont alors décidé d’aller rejoindre la famille de M. Z. au Canada. Le 22 août 2010, munis de faux passeports italiens, ils sont arrivés dans le pays via le Mexique et ont demandé l’asile dès leur arrivée à l’aéroport. Les auteurs ont affirmé qu’en Roumanie, ils étaient persécutés, marginalisés et victimes de violences à l’école en raison de leur appartenance à l’ethnie rom. Ils ont ajouté que l’accès aux services sociaux et aux services de santé leur avait été refusé et qu’ils avaient été victimes de discrimination dans les transports en commun et dans des lieux publics tels que les restaurants, les cinémas et les discothèques.

2.5Le 14 janvier 2013, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile présentée par les auteurs au motif qu’ils ne relevaient ni de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention relative au statut des réfugiés ni d’une autre catégorie de personnes ayant besoin d’une protection internationale. Elle a estimé que leurs déclarations étaient contradictoires et que les récits qu’ils faisaient des persécutions qu’ils auraient subies n’étaient pas crédibles.

2.6Les auteurs ont déposé auprès de la Cour fédérale du Canada une demande d’autorisation et de contrôle juridictionnel qui a été rejetée le 31 mai 2013. Aucun motif n’a été donné.

2.7Le 3 janvier 2014, les auteurs ont été expulsés vers la Roumanie.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’en les expulsant avec leurs enfants vers la Roumanie, les autorités canadiennes violeraient les droits qu’ils tiennent de l’article 3, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 24 et des articles 26 et 27 du Pacte.

3.2Les auteurs se fondent sur leur expérience pour affirmer que, s’ils étaient renvoyés en Roumanie, ils seraient persécutés, tout comme leurs enfants mineurs, en raison de leurs origines roms. En Roumanie, les Roms sont dans une situation extrêmement dangereuse et sont régulièrement persécutés. Les auteurs affirment que, s’ils y étaient renvoyés, ils se trouveraient dans une situation d’extrême vulnérabilité, et leur sécurité et leur vie seraient gravement menacées. Ils soulignent en outre que l’État partie a accordé le statut de réfugié au père de M. Z. et à d’autres membres de sa famille le 8 novembre 1999.

3.3Enfin, les auteurs affirment qu’à la suite de la modification apportée à la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés le 15 décembre 2012, les demandeurs d’asile ne peuvent déposer de demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) que douze mois après le rejet de leur demande d’asile. Les auteurs n’ont pas pu déposer une telle demande. Par conséquent, les recours internes ont été épuisés. En outre, il n’existe pas de véritable appel sur le fond en ce qui concerne les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, puisque la Cour fédérale rejette 90 % des demandes d’autorisation relative à la présentation d’une demande de contrôle juridictionnel et que, lorsqu’il est fait droit à la demande, les questions relatives à la crédibilité et à l’appréciation des éléments de preuve sont uniquement examinées au regard de la norme de la « décision raisonnable » et non de la norme de la « décision correcte », laquelle est appliquée dans tout véritable appel sur le fond. Les auteurs n’ont donc jamais eu véritablement la possibilité de contester le fondement de la décision défavorable rendue par la Commission.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 17 juin 2014, l’État partie a fait part de ses observations concernant la recevabilité et le fond. Il estime que les allégations des auteurs sont irrecevables pour deux raisons : elles ne sont pas étayées, et certaines sont incompatibles avec les dispositions du Pacte.

4.2La communication présentée par les auteurs au Comité repose sur les mêmes faits et éléments de preuve que ceux qui ont été soumis à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. L’État partie affirme que l’ensemble de la communication est irrecevable pour défaut de fondement, car les auteurs n’ont pas expliqué en quoi leur expulsion constituerait une violation de l’un ou l’autre de leurs droits. Leur récit n’est pas crédible et comporte d’importantes omissions et contradictions concernant des éléments essentiels de leurs griefs.

4.3En ce qui concerne les affirmations de F. Z. selon lesquelles il aurait été maltraité par la police le 16 juillet 2010 et agressé par trois individus dans un bus en 2009, la Commission a fait observer qu’il n’avait pas mentionné ces faits dans sa demande initiale de protection. Interrogé sur cette omission, l’auteur a dit ne plus se souvenir de ce qu’il avait déclaré à son arrivée au Canada. Il n’a du reste fourni aucun document médical concernant ces faits. Par conséquent, la Commission n’a pas accordé foi aux déclarations selon lesquelles il avait été agressé par des policiers en 2010 et par des particuliers en 2009.

4.4De plus, la Commission a observé que, dans le premier formulaire de demande d’asile qu’il a rempli à son arrivée au Canada, alors qu’il se trouvait encore à l’aéroport, F. Z. avait affirmé avoir été agressé par trois individus en 2002 et hospitalisé pendant quarante-cinq jours, mais n’avait mentionné aucun autre incident. Par la suite, tant dans l’exposé écrit qu’il a présenté à l’appui de sa demande d’asile que dans son témoignage oral, il n’a fait aucune mention de cette agression. Quand il lui a été demandé si les faits de 2002 s’étaient réellement produits, il a d’abord déclaré ne pas savoir de quels faits il s’agissait, et il n’a semblé s’en souvenir que lorsqu’on lui a montré son formulaire de demande d’asile. Interrogé sur les raisons pour lesquelles il avait omis de mentionner ces faits, il a dit avoir une mauvaise mémoire.

4.5M. Z., pour sa part, n’a fait mention, dans sa demande d’asile, d’aucun acte de violence visant son époux. Interrogée sur les raisons de cette omission, elle a déclaré qu’elle était stressée après son long voyage vers le Canada.

4.6Malgré le manque de crédibilité de l’auteur, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a examiné en détail les preuves documentaires objectives relatives à la situation générale des Roms en Roumanie. Elle a cité abondamment les seizième à dix‑neuvième rapports périodiques soumis par la Roumanie au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et a estimé que, même si les Roms étaient victimes de discrimination et de stigmatisation, le Gouvernement roumain faisait des efforts importants pour remédier à cette situation et il existait des mécanismes de protection appropriés. La présentation de la communication n’est par conséquent qu’une tentative des auteurs pour faire appel de la décision de la Commission, ce qui ne relève pas de la compétence du Comité.

4.7L’État partie observe que le contrôle juridictionnel a été considéré par le Comité des droits de l’homme et par d’autres comités comme un recours utile qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité. Il fait valoir que le système actuel de contrôle juridictionnel par la Cour fédérale permet un contrôle au fond. Ce n’est pas parce que le contrôle juridictionnel est soumis à autorisation qu’il ne constitue pas un recours utile. Pour obtenir cette autorisation, le demandeur doit démontrer que son cas est « raisonnablement défendable » ou qu’il y a une « question sérieuse à trancher ». La demande d’autorisation soumise par les auteurs a été rejetée. De manière générale, l’utilité d’un recours n’est pas fonction de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De surcroît, les auteurs n’ont pas expliqué en quoi l’obligation d’attendre douze mois avant de soumettre une demande d’ERAR leur avait fait du tort.

4.8La Roumanie est un État membre de l’Union européenne et est partie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Les auteurs n’ont pas démontré que la Roumanie n’aurait pas la volonté ou le pouvoir de les protéger contre toute violation grave des droits de l’homme qu’ils pourraient subir à leur retour dans le pays. Les preuves documentaires objectives montrent que la Roumanie s’efforce véritablement de lutter contre la discrimination et la violence à l’égard des Roms. En tant que citoyens d’un pays membre de l’Union européenne, les auteurs ont le droit de séjourner dans n’importe quel autre pays de l’Union européenne pendant moins de trois mois sans restrictions et plus longtemps sous certaines conditions. En l’espèce, quand bien même ils risqueraient de subir des persécutions ou d’autres violations graves des droits de l’homme en Roumanie − ce que l’État partie dément expressément − ils n’auraient pas besoin de la protection du Canada.

4.9En conséquence, la communication dans son ensemble est irrecevable pour défaut de fondement, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 96 b) du règlement intérieur. Les auteurs n’ont pas expliqué en quoi leurs allégations générales permettent de conclure à une violation des différents droits énumérés. Des accusations d’ordre général ne suffisent pas à étayer une communication aux fins de la recevabilité. De surcroît, à titre d’éléments de preuve, les auteurs répètent les allégations qui ont été rejetées par une juridiction interne compétente au motif qu’elles n’étaient pas crédibles. Ils se plaignent que la Commission ait commis une erreur, mais ne prétendent pas − et a fortiori ne démontrent pas − qu’elle a rendu une décision manifestement arbitraire ou constitutive d’un déni de justice.

4.10De plus, les allégations des auteurs selon lesquelles leur expulsion vers la Roumanie violerait les droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 24 et des articles 26 et 27 sont incompatibles rationae materiae avec les dispositions du Pacte et devraient être déclarées irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’alinéa d) de l’article 96 du règlement intérieur. Ces articles ne créent pas pour les États une obligation de s’abstenir d’expulser des personnes qui pourraient courir un risque réel de subir une discrimination ou un traitement inégal dans l’État de destination.

4.11Si la communication devait être déclarée recevable, l’État partie fait valoir, sur la base des mêmes observations, qu’elle est entièrement dénuée de fondement.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.Le 19 août 2014, le conseil des auteurs a informé le Comité que, faute d’avoir pu communiquer avec les auteurs depuis leur expulsion vers la Roumanie, il renvoyait à la lettre initiale du 23 décembre 2013.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note que les auteurs affirment que leur expulsion vers la Roumanie avec leurs deux enfants mineurs constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 3, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 24 et des articles 26 et 27 du Pacte.

6.5Le Comité note que les auteurs ont fait état d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 24 et des articles 26 et 27 du Pacte, mais ne fournissent pas d’informations, d’éléments de preuve et ou d’explications permettant de comprendre en quoi leur renvoi en Roumanie constituerait une violation par l’État partie des droits garantis par ces dispositions. Il estime par conséquent que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note en outre des griefs tirés des articles 6 et 7 du Pacte selon lesquels, s’ils étaient renvoyés en Roumanie, les auteurs verraient leur sécurité et leur vie menacées en raison de la persécution fondée sur leur origine rom. Le Comité rappelle qu’« [il] appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité ». Le Comité observe que les auteurs n’ont pas démontré qu’il existait en l’espèce de telles carences dans la conduite de la procédure. Ils n’ont pas non plus démontré en quoi l’obligation d’attendre douze mois avant de pouvoir déposer une demande d’ERAR constituait en elle-même une atteinte aux droits garantis par ces dispositions. En outre, si le Comité a bien conscience que les Roms sont toujours l’objet de stéréotypes racistes et de discrimination raciale dans différentes régions de la Roumanie, les auteurs n’ont présenté aucun élément prouvant qu’ils courraient personnellement un risque réel de préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés en Roumanie. En conséquence, le Comité estime que cette partie de la communication est insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité et la déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.