Nations Unies

CCPR/C/129/D/2769/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 janvier 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2769/2016 * , **

Communication présentée par :

K.S. et N.K. (représentés par un conseil, R. J. Hooker)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et S.M., A.K. et S.S.

État partie :

Nouvelle-Zélande

Date de la communication :

20 mai 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 26 mai 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

24 juillet 2020

Objet :

Expulsion vers l’Inde et risque de séparation des membres de la famille

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à la vie familiale ; intérêt supérieur de l’enfant ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1Les auteurs de la communication sont K.S.et N.K., tous deux de nationalité indienne, nés en 1962 et en 1980, respectivement. Ils soumettent la communication en leur propre nom et au nom de leurs enfants S.M., A.K.etS.S., nés en 2001, 2004 et 2006,respectivement. S.M.etS.S. sont de nationalité indienne, tandis qu’A.K.est une ressortissante de l’État partie. À la date de soumission de la communication, les auteurs et leurs enfantsS.M. etS.S.étaient visés par une procédure de renvoi en Inde. Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits que leurs enfants et eux‑mêmes tiennent des articles 2 (par. 3), 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 26 août 1989. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 26 mai 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécialchargé des nouvellescommunicationset des mesures provisoires et en application de l’article 94 de son règlement intérieur, a rejeté la demande de mesures provisoires présentée par les auteurs, qui visait à ce qu’il prie l’État partie de s’abstenir d’expulser les auteurs et leurs enfants vers l’Inde tant que la communication serait à l’examen. K.S.a été renvoyé en Inde le 16 septembre 2016 et N.K.a quitté la Nouvelle‑Zélande le 12 novembre 2016.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont mariés ; ils sont d’origine sikhe et viennent de la région du Penjab, en Inde. En 1998, en raison des violences perpétrées dans cette région, ils ont quitté leur pays pour les Philippines. En 2001, leur premier enfant est né aux Philippines. Le 2 avril 2004, les auteurs sont arrivés en Nouvelle‑Zélande pour rendre visite à des proches. Après l’expiration de leurs visas, le 15 avril 2004, ils sont demeurés dans l’État partie sans permis de séjour. En 2004, leur fille A.K. est née en Nouvelle‑Zélande ; elle a la nationalité néo-zélandaise. En 2006, leur troisième enfant est né en Nouvelle‑Zélande, mais il ne possède pas la nationalité néo‑zélandaise.

2.2En juin 2004, K.S.a présenté une demande pour être reconnu comme réfugié au sens de la Conventionrelative au statut des réfugiés, compte tenu des problèmes de sécurité que connaissait le Penjab à cette période. Les autorités de l’État partie ont rejeté sa demande et la décision a été confirmée en appel. En mars 2007, les auteurs ont demandé au Ministre de l’immigration d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui conférait la loi de 1987 sur l’immigration, alors en vigueur, pour leur délivrer un visa leur permettant de rester dans l’État partie.Leur demande a été rejetée. En mars 2013, les auteurs se sont de nouveau adressés au Ministre de l’immigration, pour qu’il leur accorde un visa au titre de la loi de 2009 sur l’immigration. Cette demande a été rejetée en juillet 2013. En septembre 2013, des ordres d’expulsion ont été signifiés aux auteurs. Les auteursont demandé l’annulation de ces décisions au motif que leurs enfants jouiraient d’un niveau de vie et d’éducation nettement moins élevé s’ils étaient expulsés en Inde. Par des décisions datées du 14 octobre 2013 et du 28 janvier 2014, l’agent de l’immigration chargé de leur dossier a rejeté leur demande, sans fournir de motifs, en mentionnant simplement qu’il avait statué en tenant compte des obligations internationales de l’État partie.Les auteurs ont déposé une demande de contrôle juridictionnel de ces décisions auprès de la Haute Cour. Le 14 août 2014, la Haute Cour les a déboutés, au motif que la loi de 2009 sur l’immigration n’imposait pas à un agent de l’immigration de motiver son refus d’accorder un visa et, qu’en l’espèce, l’agent concerné avait pris sa décision sur la base des éléments factuels à sa disposition, dont des documents sur les systèmes d’éducation et de santé au Penjab. La Haute Cour a estimé que l’agent de l’immigration avait pris sa décision dans le cadre du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré. Le 8 décembre 2015, la Haute Cour d’appel a confirmé la décision de la Haute Cour. Les auteurs ont demandé l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême ; leur demande a été rejetée le 27 avril 2016.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie violerait les droits que leurs enfants et eux‑mêmes tiennent des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte s’il les renvoyait en Inde. Ils allèguent que s’ils devaientchoisir de laisser en Nouvelle-Zélande A.K., qui est une ressortissante de l’État partie, alors qu’eux-mêmes étaient renvoyés en Inde avec leurs autres enfants, il serait porté atteinte à leur vie familiale. Ils allèguent aussi que, s’ils devaient choisir de rentrer en Inde avec A.K., celle-ci devrait renoncer à tous les avantages dont elle jouit actuellement dans l’État partie en raison de sa nationalité. Ils font observer qu’au moment de la soumission de leur plainte ils vivaient en Nouvelle‑Zélande depuis 2004 et que leurs enfants avaient grandi dans ce pays et se considéraient comme Néo-Zélandais. Ils affirment que l’État partie n’a pas démontré que l’intérêt qu’il avait à faire appliquer ses lois sur l’immigration était proportionné ou supérieur à l’intérêt qu’ils avaient à préserver leur vie de famille bien établie dans l’État partie. Ils signalent que leurs casiers judiciaires sont vierges et que leurs enfants n’ont jamais vécu en Inde et ne savent rien de la vie dans ce pays. Ils avancent que les autorités de l’État partie n’ont pas dûment pris en considération le droit de la famille à la protection de la société au moment d’examiner leur situation familiale.

3.2Les auteurs affirment aussi qu’il y a eu violation des droits que leurs enfants et eux‑mêmes tiennent de l’article 2 (par. 3) du Pacte. Ils font observer que, selon la loi de 2009 sur l’immigration, le décideur n’est pas tenu de motiver son refus d’annuler un ordre d’expulsion, et allèguent que cela constitue une violation des droits que leurs enfants et eux-mêmes tiennentde l’article 2 (par.3).

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 23 décembre 2016, l’État partie a transmis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable car les allégations des auteurs ne sont pas suffisamment étayées. Dans l’éventualité où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie affirme que celle-ci est dénuée de fondement.

4.2L’État partie note que, le 2 avril 2004, les auteurs et leur fils, alors âgé de 3 ans, sont arrivés en Nouvelle‑Zélande, en provenance des Philippines, pour participer à une brève réunion familiale, avec des visas à usage restreint valables pour deux semaines. Les auteurs avaient demandé des visas de visiteurs, mais ne satisfaisaient pas aux critères requis. Cependant, compte tenu des circonstances, dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire et par compassion, la famille s’est vue accorder des visas à usage restreint qui, une fois expirés, l’exposaient immédiatement à une mesure de renvoi si elle restait illégalement sur le territoire néo-zélandais. L’État partie affirme que les auteurs ont manqué de franchise et d’honnêteté lorsqu’ils ont présenté leurs demandes de visas car ils ont omis de préciser que N.K. serait enceinte de huit mois au moment de leur visite. Il indique que, si ce fait avait été connu des services de l’immigration néo-zélandais, la demande de visa à usage restreint de N.K. aurait probablement été rejetée.

4.3L’État partie note que les auteurs sont restés en Nouvelle-Zélande après l’expiration de leurs visas à usage restreint, le 15 avril 2004. À compter de cette date, la famille a séjourné illégalement en Nouvelle-Zélande et était juridiquement tenue de quitter le pays. Unesemaine plus tard, le 22 avril 2004, N.K.a donné naissance à une fille, A.K. qui, en application de la législation en vigueur à cette date, est de nationalité néo‑zélandaise et ne peut donc pas être expulsée. À la date d’expiration de leurs visas à usage restreint, les auteurs ont demandé que de nouveaux visas à usage restreint leur soient délivrés. Les services de l’immigration ont rejeté leur demande et leur ont conseillé de quitter sans délai la Nouvelle-Zélande, faute de quoi ilsferaient l’objet d’une procédure de renvoi.

4.4Le 16 juin 2004, les auteurs ont demandé que le statut de réfugiéleur soit accordé, car K.S.craignait que les liens qu’il était soupçonné d’avoir avec des terroristes musulmans l’exposent à des persécutions de la part de la police philippine et craignait d’être arrêté à son retour en Inde en raison de ces liens supposés. La demande de statut de réfugié a été rejetée le 29 octobre 2004. Le recours formé par les auteurs devant l’Autorité chargée des recours relatifs au statut de réfugié a été rejeté le 22 juillet 2005.

4.5À la suite de ce rejet, les services de l’immigration ont engagé une procédure de renvoi contre les auteurs. Ils ont fait des demandes de renseignements, usant de leurs prérogatives pour obtenir l’adresse de ces derniers, mais les réponses reçues ne leur ont fourni aucune indication sur le lieu où les auteurs se trouvaient. Ils ont effectué d’autres recherches, en janvier et février 2007, en mars 2008, en juillet 2009 et en mars 2012, mais toutes sont restées infructueuses. Malgré tous leurs efforts, les services de l’immigration ne sont pas parvenus à déterminer avant 2013 le lieu où les auteursse trouvaient. L’État partie précise que les services de l’immigration ont pour politique de ne pas s’adresser aux écoles pour retrouver une famille, afin de protéger le droit de l’enfant ou des enfants à l’éducation. En vertu de la loi de 2009 sur l’immigration, les services de l’immigration ne peuvent pas exiger d’un établissement de l’enseignement obligatoire qu’il leur communique une adresse. L’État partie signalede plus qu’entre 2007 et 2013, les auteurs n’ont fait aucune autre tentative en vue d’obtenir, pour leurs enfants ou pour eux‑mêmes, l’autorisation de résider sur son territoire. Il fait savoir que, le 12 mars 2013, les nouvelles demandes de visas de travail présentées par les auteurs ont été rejetées. Le 18 mars 2013, l’avocat de la famille a écrit à la Ministre adjointe de l’immigration pour lui demander d’accorder des visas temporaires aux membres de la famille afin qu’ils puissent assister le frère de K.S.Le 18 juillet 2013, un délégué a répondu qu’il n’était pas en mesure d’intervenir dans l’affaire en cause et que les auteurs, faute d’avoir obtenu le statut de réfugié, ne pouvaient pas demander de visa ou renouveler une demande de visa tant qu’ils n’avaient pas quitté la Nouvelle-Zélande.

4.6L’État partie indique que l’adresse de K.S.a finalement été trouvée le 10 septembre 2013. Des avis et ordres d’expulsion ont été signifiés à K.S. et à ses enfants S.M. et S.S. à cette même date, et à N.K. le 19 septembre 2013. K.S.a été placé en détention dans le cadre d’un mandat de justice, avant d’être libéré à des conditions négociées en novembre 2014. Comme l’expulsion des auteurs et de leurs deux enfants non ressortissants soulevait des questions touchant aux obligations internationales de l’État partie, l’agent de l’immigration a dû étudier la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’annuler les ordres d’expulsion que lui conférait l’article 177 de la loi de 2009 sur l’immigration. Cet article dispose qu’un agent de l’immigration peut, à son entière discrétion, annuler un ordre d’expulsion. Selon le paragraphe 2 de ce même article, un agent de l’immigration est tenu d’envisager la possibilité d’annuler un ordre d’expulsion si des informations relatives à la situation personnelle de l’intéressé lui sont communiquées et si ces informations sont pertinentes au regard des obligations internationales de l’État partie. L’État partie signale que, pendant la procédure, les auteurs et leurs enfants ont été interrogés en présence de leur avocat.L’agent de l’immigration a examiné les éléments transmis par les auteurs et s’est documenté sur les systèmes d’éducation et de santé dans la région du Penjab et sur les autres solutions migratoires possibles pour A.K. Le 14 octobre 2013, après avoir analysé toutes les informations qui lui avaient été fournies, l’agent de l’immigration a décidé de ne pas annuler les ordres d’expulsion visant les auteurs ainsi que S.M. etS.S.L’État partie souligne qu’en vertude l’article 177 (par. 4) de la loi sur l’immigration, un agent de l’immigration n’est pas tenu de motiver sa décision d’annuler ou non un ordre d’expulsion. À la suite du dépôt de la demande de contrôle juridictionnel, il est apparu quel’agent de l’immigration n’avait pas établi de dossier distinct pour S.M.etS.S. L’agent a donc accepté de reconsidérer les décisions. La politique des services de l’immigration étantque les décisions d’expulsion devraient tenir compte de la situation familiale dans son ensemble, les décisions prises à l’égard de chacune des quatre personnes n’ayant pas la nationalité néo-zélandaiseont été réexaminées. Le 28 janvier 2014, l’agent de l’immigration a décidé de ne pas annuler les ordres d’expulsion.

4.7Les auteurs ont saisi la Haute Cour d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision de ne pas annuler les ordres d’expulsion. Ils ont été déboutés le 14 août 2014. Ils ont contesté cette décision devant la Cour d’appel, qui les a déboutés le 8 décembre 2015. LaCour d’appel a confirmé que, selon les dispositions légales en vigueur, l’agent de l’immigration est tenu de réaliser une évaluation et de donner une description des obligations internationales applicables et des circonstances personnelles pertinentes. La Cour a estimé qu’en l’espèce, l’agent de l’immigration avait satisfait à cette obligation et qu’il pouvait raisonnablement prendre la décision d’expulser les auteurs au vu de l’ensemble des faits et au regard des obligations internationales de l’État partie. L’État partie relève que tous les recours des auteurs, y compris celui devant la Cour suprême, ont étéprésentés avec l’assistance d’un conseiller juridique. Tant que le contrôle juridictionnel et les recours qui ont suivi étaient pendants, les services de l’immigration n’ont pris aucune mesure en vue d’expulser les auteurs. Une fois que la demande de contrôle juridictionnel et les recours ultérieurs ont été rejetés, K.S. a été expulsé, le 16 septembre 2016, et N.K. a quitté la Nouvelle‑Zélande le 12 novembre 2016.

4.8L’État partie affirme que les griefs des auteurssontirrecevables car ils ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il prend note des allégations des auteurs selon lesquelles il y a eu violation des droits que leurs enfants et eux-mêmes tiennentde l’article 2 (par.3) du Pacte, en ce que les autorités néo-zélandaises n’ont pas motivé leur refus d’annuler les ordres d’expulsion les concernant. Il appelle l’attention sur le fait quel’article 2 (par.3) a un caractère accessoire et ne peut pas être invoqué isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il fait observer qu’en tout état de cause, les auteurs avaient clairement la possibilité de contester la décision d’expulsion les concernant, comme il ressort de la demande de contrôle juridictionnel de cette décision qu’ils ont déposée auprès de la Haute Cour et du recours qu’ils ont ensuite formé devant la Cour d’appel.

4.9L’État partie prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle la décision de les expulser vers l’Inde constitue une violation du droit d’A.K. à sa nationalité. Il affirme que les auteurs n’ont établi aucune violation plausible du droit de leur fille à acquérir une nationalité et fait observer que si elle devait vivre en Inde avec sa famille, elle n’en conserverait pas moins sa nationalité néo‑zélandaise. Il fait aussi observer qu’A.K. n’est pas tenue de partir en Inde et qu’à la date de la soumission de ses observations, elle vivait en fait avec son oncle, en Nouvelle-Zélande.

4.10L’État partie prend également note des allégations des auteurs selon lesquelles le renvoi de la famille en Inde constituerait une violation des droits que leurs enfants et eux‑mêmes tiennent des articles 17, 23 et 24 du Pacte. Il fait valoir que le Pacte ne reconnaît pas le droit d’entrer dans un État étranger, que les États doivent avoir la liberté de décider de leurs propres lois sur l’immigration et que ce n’est que dans de très rares cas, lorsque les mesures prises peuvent être considérées comme disproportionnées ou arbitraires, qu’il y aura une violation du droit à la vie familiale. L’État partie renvoie à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Jeunesse c.  Pays-Ba s ,dans laquelle la Cour a considéré qu’il fallait avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble. Dans les affaires touchant à l’immigration et à la vie familiale, les facteurs à prendre en considération sont la mesure dans laquelle il y a effectivement entrave à la vie familiale, l’étendue des liens que les personnes concernées ont dans l’État contractant en cause, la question de savoir s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine des personnes concernées et celle de savoir s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion. L’État partie ajoute que la Cour a estimé qu’il importait également de tenir compte du point de savoir si la vie familiale avait débuté à un moment où la famille savait que cette vie familiale aurait d’emblée un caractère précaire en raison de sa situation au regard des lois sur l’immigration et a conclu que ce n’était que dans des circonstances exceptionnelles que l’éloignement d’une famille n’ayant pas la nationalité de l’État d’accueil constituerait une violation du droit à la vie familiale.

4.11L’État partie soutient qu’en décidant d’expulser les auteurs, qui ne sont pas des citoyens néo-zélandais, il a agi dans le respect de ses obligations internationales. Il fait observer que l’expulsion des auteursn’entraînera pas inévitablement la séparation des membres de la famille ou une rupture définitive des liens familiaux, puisque rien n’empêche les auteurs et leurs enfants de vivre ensemble en Inde. Il affirme que les prétentions des auteurs à mener une vie de famille en Nouvelle‑Zélande n’ont pas pour point de départ une vie familialeétablie de longue date, mais bien le fait que les auteursn’ont pas communiqué toutes les informations pertinentes, notamment au sujet de la grossesse avancée de N.K., lorsqu’ils ont demandé des visas à usage restreint et les ont obtenus en 2004 ; le fait qu’ils n’ont pas quitté la Nouvelle‑Zélande avant l’expiration de ces visas, qui leur avaient été délivrés dans des circonstances spéciales, malgré plusieurs rappels en ce sens ; le fait qu’ils ont continuellement déposé de vaines demandes auprès des services de l’immigration et des tribunaux ; et le fait qu’ils se sont soustraits aux services de l’immigration. L’État partie affirme que, depuis l’entrée des auteurs en Nouvelle‑Zélande, les autorités ont soit tenté de les expulser, soit convenu de ne pas les expulser tant que leurs recours en justice seraient pendants. Les ordres d’expulsion ont été signifiés aux auteurs à lapremière occasion et lesauteurs ont toujours été au courant de leur obligation de quitter l’État partie avant l’expiration de leurs visas à usage restreint, en 2004. Les auteurs ont été expressément informés de cette obligation à deux reprises avant leur départ pour la Nouvelle‑Zélande et plusieurs fois par la suite. Ils ont établi leur vie de famille alors qu’ils savaient dès le début que la poursuite de cette vie familialeen Nouvelle-Zélandeserait précaire. A.K.est née une semaine après l’expiration du visa de deux semaines accordé à ses parents.S.S.est né en Nouvelle‑Zélandealors que ses parents savaient qu’ils étaient en situation irrégulière et étaient tenus de quitter le territoire néo‑zélandais. Depuis lors, les auteurs n’ont cessé de présenter des recours dans le but d’obtenir un visa, ou de se soustraire aux autorités, sachant qu’ils pouvaient être expulsés à tout moment. Ils ne pouvaient pas prétendre légitimement poursuivre leur vie familiale en Nouvelle‑Zélande, car ils n’ignoraient pas qu’ils étaient en situation irrégulière et risquaient l’expulsion. L’État partie affirme qu’il a appliqué sa loi sur l’immigration de manière claire et prévisible, pendant tout le séjour des auteurs en Nouvelle‑Zélande.

4.12L’État partie affirme que, si toutefois le Comité considère qu’il y a eu une immixtion dans la vie familiale bien établie des auteurs, cette immixtion n’est pas arbitraire, puisque l’État partie a dûment mis en balance ses motifs d’expulsion et les difficultés que la famille pourrait rencontrer si elle était expulsée. Lorsqu’il a envisagé l’annulation des ordres d’expulsion visant la famille, l’agent de l’immigration a examiné un volume important d’informations sur le pays, notamment les conditions de vie probables d’une famille en Inde, y compris en ce qui concerne la santé, le logement et les possibilités d’éducation. Ila pris en considération tous les droits pertinents garantis par le droit international, y compris ceux qui font l’objet de la présente communication. L’État partie affirme que les circonstances de l’espèce ont été appréciées au regard de son droit de maintenir l’intégrité de son système d’immigration et qu’une éventuelle immixtion ne saurait être qualifiée d’arbitraire.

4.13L’État partie prend note des constatations du Comité dans l’affaire Winata et Li c. Australi e, selon lesquelles, dans certaines circonstances, un État partie est tenu de justifier une expulsion par d’autres éléments que la simple mise en œuvre de sa loi sur l’immigration. L’État partie affirme que cette approche ne devrait pas être adoptée, car s’il était considéré qu’en l’espèce l’expulsion constituerait une immixtion arbitraire dans la vie familiale, il en découlerait ce qui suit : les personnes en situation irrégulière sur le territoire d’un État partie qui fondent une famille et qui parviennent à échapper à toute détection pendant une période suffisamment longue obtiennent de fait le droit de rester dans ledit État partie ; les normes du droit international en vigueur, qui autorisent les États à réglementer l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire, ne seraient pas prises en considération ; les États parties qui ne s’emploient pas activement à rechercher les immigrants illégaux et à les forcer à quitter leur territoire et qui préfèrent s’en remettre au sens de la responsabilité des immigrants eux‑mêmes pour ce qui est de respecter la loi et de satisfaire aux conditions attachées à leurs autorisations d’entrée seraient pénalisés ; les États parties qui n’imposent pas à chacun d’être en possession de documents d’identité et de pouvoir justifier de sa situation chaque fois qu’il est en contact avec un détenteur de l’autorité publique seraient également pénalisés ; les personnes qui ne tiennent pas compte des conditions en matière d’immigration imposées par un État partie et qui préfèrent rester illégalement sur son territoire plutôt que de suivre la procédure prévue pour les candidats à l’immigration seraient injustement favorisées.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 3 avril 2017, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent que leur communication est recevable.

5.2Les auteurs renvoient à leur lettre initiale, datée du 20 mai 2016, et réaffirment que les dispositions de la loi de 2009 sur l’immigration sont en contradiction avec l’article 2 (par.3) du Pacte, dans la mesure où elles n’imposent pas à l’agent de l’immigration de motiver son refus de délivrer un visa à une personne considérée comme résidant illégalement dans l’État partie au moment du dépôt de sa demande. Les auteurs avancent que cette disposition de la loi sur l’immigration les a privés du droit à un recours, en ce qu’il n’existait pas de réelle possibilité pour eux de saisir un tribunal afin qu’il examine la décision, ni de réelle possibilité pour le tribunal de déterminer si la décision reposait sur une erreur de droit ou de fait, tenaitcompte d’aspects pertinents ou non, ou avait été prise en violation de la justice naturelle. Les auteurs font aussi observer que les griefs qu’ils tirent de l’article 2 (par.3)ne constituent pas un grief distinct, mais sont associés et intimement liés aux griefs qu’ils tirent des articles23 et 24 du Pacte.

5.3Les auteurs réaffirment qu’ils ont une vie familiale bien établie dans l’État partie, où tous leurs enfants ont grandi. Leurs enfants sont intégrés dans la société et ont fait leur la culture néo-zélandaise, ne connaissent rien du Penjab ni de l’Inde,et ont des liens étroits avec leur famille élargie dans l’État partie. Les auteurs soutiennent que la décision d’expulser les membres de leur famille qui ne sont pas citoyens de l’État partie constitue une immixtion arbitraire dans leur vie familiale, en violation des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte. Ils déclarent avoir été raisonnablement actifs dans leurs demandes de visas, qui ont été rejetées. Ils affirment que l’État partie n’a pris aucune mesure en vue de faire appliquer ses lois sur l’immigration, si bien que leurs enfants et eux‑mêmes ont pu établir leur vie de famille sur son territoire. Ils allèguent qu’ils étaient tenus de demeurer dans l’Étatpartie pour qu’A.K. puisse exercerses droits à la santé et à l’éducation etson droit de rester dans l’État partie. Ils affirment que l’État partie n’a apporté aucun argument, autre que celui durespect de la loi sur l’immigration, qui justifie que leur vie de famille soit compromise par une expulsion. Ils affirment que le renvoi de la famille en Inde n’est pas dans l’intérêt supérieur de leurs enfants.Ils renvoient à la décision du Comité dans l’affaire Winata  et Li c. Australi eet soutiennent que, suivant cette jurisprudence et compte tenu de leur vie familiale établie dans l’État partie, l’État partie est tenu, pourjustifier leur renvoi, de présenter d’autres éléments, allant au-delà de la simple application de ses lois sur l’immigration, pour éviter que sa décision soit qualifiée d’arbitraire. Les auteurs affirment que l’État partie n’a présenté aucun autre élément de ce genre.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article5 (par.2a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comiténote que les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes utiles à leur disposition.En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées à l’article5 (par.2b)) du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité note que l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité. Il prend note des allégations des auteurs selon lesquelles la décision de les expulser, eux et leurs deux enfants qui ne sont pas des ressortissants de l’État partie, constituerait une immixtion arbitraire dans leur vie de famille bien établie dans l’État partie, en violation de leurs droits et des droits de leurs enfants garantis par les articles 17 (par. 1), 23(par. 1) et 24 (par. 1), lus seuls et conjointement avec l’article2 (par.3), du Pacte. Il prend également note de leurs arguments selon lesquels l’État partie n’a pas démontré que son intérêt à faire appliquer les lois sur l’immigration était proportionné ou supérieur au droit des auteurs de poursuivre leur vie de famille bien établie sur son territoire, et les services de l’immigration n’ont pas motivé leur refus de ne pas annuler les ordres d’expulsion les concernant. Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel les prétentions des auteurs à une vie de famille dans l’État partie n’ont pas pour point de départ une période de résidence légale sur son territoire, mais bien le fait qu’ils n’ont pas respecté les conditions qui étaient attachées aux visas qui leur avaientété accordés et n’ont pas quitté l’État partie avant l’expiration de ces visas, et le fait qu’ils se sont ensuite soustraits aux services de l’immigration. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs ont établi leur vie de famille alors qu’ils savaient dès le début que leur vie familiale en Nouvelle-Zélande serait précaire et qu’ils ne pouvaient donc légitimement pas espérer quecette vie familiale se poursuive, puisqu’ils savaient qu’ils étaient susceptibles d’être expulsés. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel, d’une part, les auteurs et leurs enfants peuvent rester ensemble et mener une vie de famille en Inde et, d’autre part, l’immixtion dans la vie de famille des auteurs n’est pas arbitraire, puisque les autorités de l’État partie ont dûment mis en balance les motifs d’expulsion et les difficultés que la famille pourrait rencontrer à son retour en Inde, en tenant compte tant des informations disponibles sur l’Inde − y compris les conditions de vie probablesd’une famille dans ce pays, notamment en matière de santé, de logement et de possibilités d’éducation −que des obligations internationales de l’État partie.

6.5Le Comité prend note du fait que les auteurs contestent la décision prise par les autorités de l’État partie de ne pas annuler l’ordre d’expulsion les concernant et de leur argument selon lequel l’intérêt supérieur de leurs enfants n’a pas été une considération primordiale dans la décision. Il note, toutefois, que la décision des services de l’immigration a été réexaminée par le Haute Cour, qui a constaté qu’elle avait été adoptée sur la base des éléments factuels à la disposition des autorités, dont des informations sur les systèmes d’éducation et de santé en Inde. Il relève aussi que, selon la Cour d’appel, le décideur pouvait raisonnablement prendre la décision d’expulser les auteursau vu des faits et au regard des obligations internationales de l’État partie. Il remarque de plus que les auteurs n’ont mentionné aucun exemple concret et personnel de difficulté ou de dommage irréparable auquel leurs enfants ou eux‑mêmes seraient exposés s’ils étaient renvoyés en Inde, et ont seulement affirmé, sans étayer suffisamment leurs propos, que leurs enfants auraient un niveau de vie et d’éducation moins élevé en Inde, ce qui, même formellement attesté, n’impliquerait pas nécessairement que leurs conditions de vie seraient incompatibles avec les normes énoncées dans le Pacte. Il note étalement que les auteurs n’ont pas présenté d’arguments précis concernant les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de mener une vie de famille, ensemble, en Inde. Le Comité estime par conséquent que les auteurs n’ont pas étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’ils tirent des articles17 (par.1), 23(par.1) et 24 (par.1), lus seuls et conjointement avec l’article2 (par. 3), du Pacte, et les déclare irrecevables au regard de l’article2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.