Nations Unies

CCPR/C/121/D/2645/2015*

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 novembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2645/2015**,***

Communication présentée par :

Vladislav Chelakh (représenté par Serik Sarsenov, de l’organisation Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

2 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 août 2015 (non publiée sous forme de document)

D ate des constatations :

7 novembre 2017

Objet :

Procès et condamnation de l’auteur à une peine d’emprisonnement à vie

Question ( s ) de procédure :

Fondement des griefs

Question ( s ) de fond :

Détention arbitraire ; équité du procès ; droit à un conseil de son choix ; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; droit de ne pas s’avouer coupable

Article ( s ) du Pacte :

9 (par. 1) et 14 (par. 1 et 3 b), d) et g))

Article ( s ) du Protocole facultatif :

1 et 3

1.L’auteur de la communication est Vladislav Chelakh, de nationalité kazakhe, né en 1992. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 et des paragraphes 1 et 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil, Serik Sarsenov.

Exposé des faits

2.1Le 25 novembre 2011, l’auteur a été appelé à faire le service militaire au sein de l’unité no 8484, qui relevait du Service des frontières, lui-même placé sous l’autorité du Comité de la sécurité nationale. Sur ordre de sa hiérarchie, il a été stationné au poste frontière temporaire d’Arkan-Kergen, dépendant du poste frontière principal de Sari Bokter et situé dans une région isolée à la frontière entre le Kazakhstan et la Chine.

2.2Le 10 mai 2012, l’auteur et d’autres recrues sont arrivés à Arkan-Kergen, où plusieurs soldats se trouvaient déjà. L’auteur déclare qu’il a commencé son service militaire sans problème particulier et entretenait des relations normales avec ses pairs et ses supérieurs hiérarchiques.

2.3Le 28 mai 2012, le poste frontière d’Arkan-Kergen a cessé de communiquer avec le poste frontière principal. Le 30 mai 2012, l’officier qui commandait ce dernier a chargé deux spécialistes des communications d’aller vérifier ce qui se passait. Lorsque les intéressés sont arrivés sur place, en fin d’après-midi, ils ont trouvé plusieurs corps calcinés et des bâtiments incendiés. Un chasseur, K. R., gisait mort dans sa maison voisine, le corps criblé de balles.

2.4Une cellule d’enquête arrivée à Arkan-Kergen le 31 mai 2012 a trouvé les corps calcinés de 14 soldats et le cadavre de K. R., ainsi que des éclats de grenades à main et des balles et douilles provenant de pistolets et d’armes automatiques.

2.5Le 4 juin 2012, l’auteur a été retrouvé caché dans une hutte de berger isolée. Il a déclaré à la patrouille que, le 28 mai 2012, le poste frontière avait été pris pour cible par plusieurs inconnus et que ses camarades avaient été tués dans l’attaque, mais lui avait réussi à s’échapper. L’auteur soutient qu’à compter du 4 juin 2012 à 16 h 50, heure à laquelle il a été appréhendé et menotté, il s’est considéré comme étant en état d’arrestation.

2.6L’auteur avance qu’au mépris du paragraphe 2 de l’article 68 du Code de procédure pénale, il n’a pas été autorisé à téléphoner à sa famille ni à choisir son conseil. Un avocat, T. G., a été commis d’office à sa défense par le magistrat chargé de l’instruction.

2.7Entre le 4 juin 2012 à 23 h 16 et le 5 juin 2012 à 5 h 11, l’auteur a été interrogé en tant que suspect. Il a déclaré que, le 28 mai 2012, jour où les faits étaient survenus, il était de service lorsque, vers 5 heures du matin, il avait vu un de ses camarades s’enfuir en hurlant « courez, on nous attaque », et il s’était alors lui aussi enfui. Il a nié avoir tué qui que ce soit. En violation de l’article 134 du Code de procédure pénale, l’auteur n’a pas été autorisé à s’entretenir avec son conseil en privé et a été poussé à rédiger des aveux. Le procès-verbal de notification des droits a été établi le 5 juin 2012 à 5 h 35 alors que l’intéressé était en garde à vue depuis le 4 juin 2012 à 16 heures, c’est-à-dire dans un délai de treize heures et trente-cinq minutes au lieu du maximum de trois heures prévu au paragraphe 1 de l’article 134 du Code de procédure pénale.

2.8Le 6 juin 2012, l’auteur a été accusé du meurtre de plusieurs personnes sur le fondement de l’article 96 du Code pénal et a été interrogé en tant qu’accusé. Le 16 juillet 2012, le conseil qu’il avait choisi pour le représenter, M. Sarsenov, a demandé par écrit à se voir communiquer une copie des pièces du dossier relatives aux interrogatoires auxquels l’intéressé avait été soumis en tant que suspect et en tant qu’accusé et les déclarations qu’il avait faites sur les lieux du crime. Le 17 juillet 2012, le magistrat chargé de l’instruction a rejeté sa demande au motif que ces documents avaient déjà été communiqués à T. G. et B., commis d’office à la défense de l’auteur avant la nomination de M. Sarsenov.

2.9Le 25 juillet 2012, l’auteur est revenu sur ses aveux, soutenant qu’ils avaient été obtenus par la tromperie et qu’il avait de surcroît été interrogé de nuit, en violation du paragraphe 2 de l’article 212 du Code de procédure pénale. Les articles 213, 216 et 218 du Code interdisent l’utilisation d’éléments de preuve obtenus par la contrainte.

2.10Le 1er octobre 2012, l’auteur a été accusé d’autres crimes, notamment le vol de biens privés, l’obtention illégale de secrets d’État, la destruction de matériel militaire et la désertion, punis par les articles 145, 172, 175, 251, 255, 373 et 378 du Code pénal. Le lendemain, il a été informé que l’enquête préliminaire était achevée et qu’il allait être déféré au tribunal et s’est vu notifier l’autorisation, pour lui-même et pour son conseil B., de consulter le dossier. Celui-ci comportait 56 volumes de 250 pages chacun, et l’auteur et son conseil n’ont eu que quinze jours pour l’examiner et préparer leur défense. Ce laps de temps était insuffisant et non conforme aux dispositions des paragraphes 1 à 3 de l’article 275 du Code de procédure pénale.

2.11De nombreuses violations des dispositions du Code de procédure pénale ont été commises au cours du procès. Le tribunal a admis le témoignage de l’expert K. S., qui, selon l’auteur, ne dispose pas des qualifications requises pour intervenir en tant qu’expert en explosifs. Les arguments présentés par la défense pendant les audiences ont en grande partie été ignorés. L’auteur a signalé au tribunal que plusieurs violations avaient été commises lors de son arrestation et de sa détention, mais il n’a été fait aucun cas de ses plaintes. En outre, la demande de la défense tendant à faire déposer un expert psychiatre a été rejetée. Lorsque M. Sarsenov a demandé le report d’une audience pour cause de maladie, le tribunal a refusé de faire droit à sa demande et a désigné en remplacement un autre avocat, S. E., qui ne connaissait pas le dossier. Des 47 requêtes écrites et orales présentées par la défense, 4 seulement ont été accueillies. À l’audience du 21 novembre 2012, M. Sarsenov a demandé une nouvelle expertise psychiatrique, mais le tribunal a rejeté sa demande, faisant observer qu’un examen psychiatrique avait déjà été réalisé pendant l’enquête préliminaire, en août 2012.

2.12Frustré par tous ces vices de procédure, le 21 novembre 2012, l’auteur a refusé de continuer à assister au procès. Le juge a néanmoins tenu à ce qu’il soit présent à toutes les audiences, ce qui, selon l’auteur, est revenu à exercer une forme de pression sur lui pour le faire témoigner. Une crise d’hypertension a empêché M. Sarsenov de participer à l’audience tenue le 29 novembre 2012 après le déjeuner. Son confrère S. E. a demandé au tribunal d’ajourner l’audience, faisant valoir qu’il n’était pas compétent pour assister l’auteur car il avait uniquement pu consulter les trois volumes du dossier contenant des documents classés secrets, auxquels M. Sarsenov n’avait pas eu accès, et pas les 53 autres. À défaut, il a demandé à se voir accorder le temps nécessaire pour étudier les volumes restants. Le tribunal a rejeté ses deux demandes au motif qu’il avait pris connaissance du dossier durant l’enquête préliminaire et le procès. Le 30 novembre 2012, l’audience a été annulée en raison de l’absence des deux conseils pour cause de maladie. Le même jour, le tribunal a désigné un nouvel avocat, Z. S., pour représenter l’auteur, sans l’accord de l’intéressé. À l’audience du 4 décembre 2012, en l’absence de M. Sarsenov et de S. E., Z. S. a assuré seule la défense de l’auteur. Elle s’est montrée passive et n’a déposé aucune requête ni fait la moindre démarche dans l’intérêt de son client. À l’audience du lendemain, qui s’est tenue en présence de M. Sarsenov et de S. E., Z. S. a dit qu’elle avait dû examiner les 56 volumes du dossier en deux jours, entre le 1er et le 3 décembre 2012. Le 11 décembre 2012, le tribunal militaire interdistricts spécial a déclaré l’auteur coupable des faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à une peine d’emprisonnement à vie.

2.13Le 6 février 2013, la chambre d’appel pénale du tribunal militaire a rejeté le recours de l’auteur et confirmé la décision rendue en première instance. L’auteur estime que la chambre d’appel n’a pas dûment examiné le dossier en ce qu’elle n’a pas étudié tous les éléments de preuve, comme elle aurait dû le faire en application du Code de procédure pénale. La chambre d’appel a rejeté la demande présentée par M. Sarsenov en vue d’obtenir de plus amples explications au sujet des éléments de preuve et n’a pas retenu l’argument selon lequel l’auteur avait avoué sous la pression. Le 21 juin 2013, la chambre de cassation du tribunal militaire a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur. Le 4 février 2014, la Cour suprême a rejeté sa demande de contrôle juridictionnel. L’auteur soutient donc qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ont été violés car il a été victime de détention arbitraire. Sa garde à vue n’a pas été approuvée par un juge avant le 6 juin 2012 à 21 h 15, soit cinquante heures après son arrestation.

3.2L’auteur soutient également qu’il a été victime d’une violation du droit de voir sa cause entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En effet, lui et son conseil, M. Sarsenov, ne se sont vu donner que dix jours ouvrables pour étudier un dossier comportant 56 volumes, ce qui a constitué une violation des droits garantis à la défense au paragraphe 3 b) de l’article 14. De surcroît, la commission d’office de T. G. était illégale et contraire à la volonté de l’auteur, qui avait demandé à être représenté par l’avocat qu’il avait engagé à titre privé, M. Sarsenov. La nomination d’un autre conseil, Z. S., à un stade ultérieur de la procédure était également illégale et a porté atteinte au droit à l’assistance d’un avocat de son choix consacré au paragraphe 3 d) de l’article 14. L’auteur soutient en outre qu’il a été contraint de s’avouer coupable et de témoigner contre lui-même et que les aveux qui lui ont été extorqués ont été versés au dossier, en violation des droits consacrés au paragraphe 3 g) de l’article 14.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité dans des notes verbales datées des 13 octobre 2015, 2 mars 2016 et 10 octobre 2016. Il déclare que, le 6 février 2013, la chambre d’appel du tribunal militaire a confirmé le jugement rendu en première instance. Le 21 juin 2013, la chambre de cassation de ce tribunal a rejeté le pourvoi de l’auteur au motif que la décision de la juridiction inférieure était dûment étayée et fondée en droit. Le 2 septembre 2013, la Cour suprême a rejeté la demande de contrôle juridictionnel présentée par l’auteur. Le 17 octobre 2013, le Procureur général a refusé de présenter une demande de contrôle juridictionnel des jugements rendus contre l’auteur. Le 13 décembre 2013, le Président de la Commission des grâces a débouté l’intéressé de sa demande de grâce. Le 4 février 2014, la Cour suprême a rejeté une nouvelle demande de contrôle juridictionnel. L’État partie reconnaît donc que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles.

4.2Invoquant les articles 1er et 3 du Protocole facultatif et l’article 96 a) et b) du règlement intérieur du Comité, l’État partie soutient que la communication n’est pas recevable car elle n’est pas signée par l’auteur ni assortie d’une procuration en faveur des deux conseils qui l’ont soumise.

Observations de l’État partie quant au fond

5.1L’État partie a présenté ses observations sur le fond dans une note verbale datée du 2 mars 2016. Il soutient qu’aucune violation des droits que l’auteur tient de l’article 9 et des paragraphes 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte n’a été commise.

5.2L’État partie avance que les principes de légalité, d’équité et d’égalité des armes sur lesquels reposent la procédure accusatoire ont été pleinement respectés dans le cas de l’auteur. Celui-ci a été reconnu coupable sur la base des éléments de preuve recueillis par les enquêteurs. Il a formellement avoué avoir tué 15 soldats. Selon l’expert, l’incendie qui a ravagé les bâtiments du poste frontière n’a pas été causé par l’explosion de grenades ou par des tirs d’armes à feu. L’auteur a lui-même déclaré que les soldats stationnés au poste frontière n’étaient pas équipés de grenades et a admis qu’il avait brûlé les corps et mis le feu aux bâtiments sans utiliser d’explosifs.

5.3Les 5 et 6 juin 2012, l’auteur a décrit dans le détail à son compagnon de cellule comment il avait abattu les soldats. Au cours des cinq heures qui se sont écoulées entre la fin du premier interrogatoire et le début du deuxième interrogatoire auxquels il a été soumis en tant que suspect, l’auteur a rédigé des aveux complets. L’État partie conteste l’interprétation du conseil de l’auteur selon laquelle ces aveux n’étaient pas recevables et ont été versés au dossier en violation de l’article 179 du Code de procédure pénale, faisant observer que l’auteur était déjà considéré comme un suspect au moment où il les a faits. Du reste, dans ces aveux, l’auteur n’a pas reconnu tous les crimes qu’il avait commis. Il a ultérieurement admis avoir volé des articles appartenant au chasseur K. R., ce que les enquêteurs ne savaient pas. Il a décrit dans le détail comment il s’était emparé d’effets personnels et d’armes à feu, avait détruit le matériel militaire et s’était enfui. L’auteur a reconnu sa culpabilité au cours des interrogatoires des 6, 11 et 15 juin, ainsi que lors de la reconstitution des faits, les 7 et 8 juin. L’examen psychologique auquel il a été soumis après s’être rétracté a montré qu’il n’avait été soumis à aucune pression. La véracité de ses déclarations est confirmée par l’ensemble des éléments de preuve, et notamment de nombreuses expertises, y compris les expertises médicolégale, biologique et balistique, l’analyse des échantillons d’ADN prélevés sur les cadavres et les autres restes biologiques, l’analyse des lieux du crime et l’examen du registre sur lequel le chasseur K. R. inscrivait le nom des personnes autorisées à pénétrer dans la zone frontalière. De surcroît, au cours d’une conversation avec son compagnon de cellule, le 13 juin, l’auteur a dit avoir tiré tous les coups de feu avec une seule arme automatique, ce qui a été corroboré par l’analyse des balles et des douilles. Enfin, les six personnes dont le registre du garde‑chasse indique qu’elles se trouvaient dans la zone frontalière au moment des faits avaient un alibi.

5.4Le 25 juillet 2012, l’auteur est revenu sur ses aveux du 5 juin 2012, alléguant que la police les lui avait extorqués par la pression, le mensonge et la menace. Une enquête préliminaire a donc été ouverte contre les policiers concernés. Le 24 août 2012, l’organe chargé de l’enquête a décidé de ne pas poursuivre les intéressés, estimant qu’aucun élément matériel ne permettait de conclure à une infraction. L’auteur a refusé de participer aux enquêtes ultérieures.

5.5Le 28 septembre 2012, l’enquête sur les allégations selon lesquelles des substances psychotropes avaient été données à l’auteur dans le but de lui extorquer des aveux a été close et la plainte a été classée sans suite. Les nombreux examens auxquels l’auteur a été soumis (à savoir les analyses médicolégales des 6, 9 et 26 juin et les analyses toxicologiques des 26 juin, 13 juillet et 28 septembre 2012) n’ont révélé aucune blessure sur le corps de l’auteur ni aucune trace de stupéfiants ou d’autres substances psychotropes dans son organisme. Par conséquent, l’État partie nie que l’auteur ait été soumis à des pressions psychologiques ou à des tortures.

5.6Les enregistrements vidéo réalisés au cours de l’enquête préliminaire montrent que, sans être soumis à aucune pression, l’auteur a décrit les meurtres avec précision, comme s’il s’agissait d’actes tout à fait naturels, les racontant calmement et avec force détails à différentes personnes :  les policiers, le psychologue, et ses trois compagnons de cellule. À l’audience du 5 décembre 2012, l’auteur a de nouveau allégué qu’il avait été soumis à des pressions et des tortures pendant l’enquête préliminaire et a soutenu qu’un témoin, B., l’avait trompé et avait exercé des pressions sur lui. Il a néanmoins renoncé à son droit d’interroger ce témoin.

5.7À l’audience, l’auteur a confirmé qu’il avait volé des articles appartenant aux victimes parce qu’elles n’en avaient plus besoin. Afin de faciliter sa fuite après les meurtres, il s’était également emparé de plans militaires classés secrets indiquant l’emplacement de postes militaires, ainsi que de son livret militaire et de cartes de la région, conservés au poste frontière dans un coffre-fort. L’État partie soutient que les allégations selon lesquelles l’auteur ignorait que les plans étaient secrets parce qu’il ne comprenait pas bien le kazakh sont dénuées de fondement, l’intéressé ayant suivi une formation et un entraînement militaires dans cette langue.

5.8Les actes de l’auteur ont à juste titre été qualifiés de désertion avec vol d’armes de service. Pendant l’enquête préliminaire, l’intéressé n’a pas nié avoir volé un pistolet Makarov. De surcroît, sa désertion a été confirmée par le témoignage des soldats qui l’ont arrêté le 4 juin 2012 vers 16 heures. Au moment de son arrestation, l’auteur portait des vêtements civils et son livret militaire était dans sa poche.

5.9L’État partie soutient que, comme il ressort clairement des comptes rendus d’audience, M. Sarsenov n’a pas assisté à l’audience du 29 novembre 2012. Celle-ci s’est tenue en présence d’un autre conseil, S. E., qui a déclaré ne pas être compétent pour assurer la défense de l’auteur car il ne connaissait pas suffisamment bien le dossier. Or, ce conseil avait commencé à représenter l’auteur dix jours plus tôt, le 19 novembre 2012. Le 30 novembre 2012, ni S. E. ni M. Sarsenov ne se sont présentés à l’audience. S. E. a informé le tribunal qu’il souffrait d’une maladie nécessitant son hospitalisation ; M. Sarsenov n’a pas justifié son absence. L’auteur n’a donc pas été assisté d’un conseil. En conséquence, le même jour, le juge a demandé par écrit au barreau de la ville de Taldikorgan de nommer à la défense de l’auteur un conseil habilité à accéder à des documents classés secrets, et Z. S. a commencé à représenter l’intéressé, participant à deux audiences. Étant donné l’absence de S. E. et de M. Sarsenov, cette mesure était nécessaire pour assurer la défense de l’auteur.

5.10L’auteur a été transporté par hélicoptère du poste frontière de Sari Bokter à la ville d’Oucharal le 4 juin 2012 à 20 h 25, c’est-à-dire plus tard qu’il ne le soutient. Pendant qu’il se trouvait à Sari Bokter, l’auteur pouvait agir et se déplacer en toute liberté. Il a commencé à être auditionné le 4 juin 2012 à 21 heures, en tant que témoin. Toutefois, le fait qu’il était en tenue civile et que l’on ait entre-temps retrouvé, dans une hutte de berger isolée, son livret militaire, un pistolet Makarov, de l’argent et des objets de valeur appartenant aux soldats assassinés, a éveillé les soupçons. À partir de 21 h 25, il a donc été traité comme un suspect. Il a été informé de ses droits par écrit, mais n’a formulé aucune requête, y compris concernant l’assistance d’un conseil. Le magistrat chargé de l’instruction a dressé un procès-verbal de notification de placement en garde à vue et veillé à ce qu’un conseil commis d’office par l’État, en l’occurence T. G., assiste dès lors aux interrogatoires de l’auteur, comme la loi l’exigeait.

5.11L’État partie conteste l’allégation selon laquelle l’auteur ne s’est pas vu notifier le droit d’informer immédiatement ses proches par téléphone de son arrestation et du lieu de sa détention, faisant observer que ce droit était expressément mentionné dans le procès‑verbal de notification de placement en garde à vue. L’auteur a choisi de prévenir ses proches de sa détention par un autre moyen et, le 5 juin 2012, une lettre a été envoyée au domicile de sa mère. Le 9 juillet 2012, la mère de l’auteur a rendu visite à son fils au centre de détention du district d’Alakolsky.

5.12Toutes les démarches relatives à l’instruction, y compris les expertises, ont été effectuées avec la coopération du conseil de la défense, T. G., qui a eu suffisamment de temps pour s’entretenir en privé avec l’auteur avant chacune d’entre elles.

5.13Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle, après avoir été placé en garde à vue, l’auteur a été contraint de s’avouer coupable et de témoigner contre lui-même et les aveux qui lui ont été extorqués ont été versés au dossier, l’État partie soutient que le 4 juin 2012, après son transfert à Sari Bokter, l’intéressé a été désigné comme suspect par le magistrat chargé de l’instruction, S. A. S., s’est vu notifier ses droits et a été interrogé suivant les formes légales. L’auteur a non seulement avoué les crimes reprochés, mais aussi fourni des informations concernant d’autres infractions, notamment le vol d’articles appartenant au chasseur K. R., qu’il n’avait pas reconnues la première fois qu’il avait été interrogé en tant que suspect le 4 juin 2012. De surcroît, les aveux peuvent être recueillis à tout moment, y compris avant la mise en accusation. L’auteur a volontairement fourni des informations concernant le vol commis chez le chasseur alors qu’il n’en était pas accusé, ni même soupçonné.

5.14L’État partie soutient qu’étant donné que les aveux de l’auteur ont été recueillis pendant la garde à vue de l’intéressé, ils ne pouvaient pas être utilisés comme preuve directe de sa culpabilité. Le tribunal a néanmoins apprécié les déclarations de l’intéressé concernant les circonstances dans lesquelles il avait commis les meurtres et les autres crimes en même temps que tous les autres éléments de preuve versés au dossier, et a conclu qu’elles avaient été pleinement corroborées au cours du procès. Il n’a pas reconnu l’auteur coupable sur la base de ses aveux.

5.15Concernant les allégations selon lesquelles l’auteur et son conseil n’ont pas eu suffisamment de temps pour étudier le dossier, l’État avance que le 2 octobre, lendemain du dépôt du nouvel acte d’accusation (dans lequel figuraient des chefs supplémentaires), l’auteur et son conseil B. se sont vu notifier l’autorisation de consulter le dossier. L’auteur et B. ont commencé à examiner le dossier le 3 octobre et n’ont pas demandé de délai supplémentaire.

5.16L’État partie soutient que, contrairement à ce qu’avance M. Sarsenov, c’est le 26 octobre 2012, et non le 21 octobre 2012, que l’auteur a signé la déclaration de fin de consultation du dossier. L’État partie argue que M. Sarsenov a été informé par écrit à plusieurs reprises qu’il pouvait accéder au dossier et qu’un calendrier de consultation avait été établi, mais a fait un long séjour à l’étranger pour raisons personnelles. L’auteur et ses autres conseils, B. et M., ainsi que des représentants des victimes, ont cependant pu prendre connaissance de l’ensemble du dossier. Le 11 octobre 2012, M. Sarsenov a été informé par écrit que le dossier était ouvert à la consultation et que l’auteur et ses autres conseils s’étaient déjà vu communiquer 50 volumes de pièces. Le 22 octobre 2012, le magistrat chargé de l’instruction lui a demandé par écrit de se présenter le lendemain. Le 23 octobre 2012, estimant que M. Sarsenov reportait délibérément l’examen du dossier, ce magistrat a fixé la date limite de consultation au 26 octobre 2012.

5.17L’État partie soutient que l’auteur a pu étudier l’ensemble du dossier avec ses deux avocats commis d’office et que le conseil de son choix a été dûment informé de l’ouverture de la période de consultation et eu la possibilité de faire de même.

5.18L’État partie estime que les arguments sur lesquels le conseil s’appuie pour contester le jugement, la qualification donnée aux actes de l’auteur, l’établissement de la culpabilité de celui-ci et l’appréciation des éléments de preuve sont dénués de fondement et purement subjectifs. De surcroît, il n’admet pas la thèse selon laquelle le mobile des crimes n’a pas été établi, faisant valoir que l’auteur était constamment harcelé et insulté par les autres soldats en raison de ses origines russes. Selon lui, le tribunal a dégagé le mobile des crimes en s’appuyant non seulement sur les déclarations de l’auteur concernant la détérioration de ses relations avec ses camarades, mais aussi sur les témoignages, les conclusions de l’enquête et les résultats des expertises. Les enquêteurs ont recouru à un expert pour identifier et analyser la voix de l’auteur sur des enregistrements de conversations que celui‑ci a eues avec son compagnon de cellule et avec sa mère dans lesquelles il racontait pourquoi et comment il avait commis les meurtres.

5.19Après avoir tué les soldats, l’auteur a assassiné le seul témoin potentiel, le chasseur K. R., s’est emparé de documents confidentiels et d’objets personnels appartenant à ses victimes et a disséminé des munitions autour du poste frontière pour simuler une attaque. Les allégations du conseil de la défense concernant des violations des règles de procédure relatives à l’examen des lieux du crime et au transport, à la conservation et à l’appréciation des preuves matérielles recueillies sont dénuées de fondement.

5.20L’État partie nie que le premier interrogatoire de l’auteur, qui a eu lieu durant la nuit du 4 au 5 juin 2012, ait été illégal. L’article 212 du Code de procédure pénale autorise les interrogatoires de nuit en cas d’urgence. En ce qui concerne l’allégation de détention arbitraire, l’État partie conteste la chronologie des événements donnée par l’auteur et explique que, dans un premier temps, l’intéressé était considéré comme une victime potentielle. Ensuite, après qu’il a été retrouvé dans une hutte isolée, il a été transporté par hélicoptère à Oucharal, où il est arrivé à 20 h 25 et a été entendu, initialement en tant que témoin, à compter de 21 heures. L’auteur s’est vu notifier ses droits à 21 h 25. Il n’a pas été immédiatement arrêté, mais a été placé sous la garde de son chef d’unité et présenté devant un procureur spécial. Étant donné la distance parcourue, il a fallu plus de trois heures avant de pouvoir établir le procès-verbal de notification de placement en garde à vue.

5.21L’État partie soutient que les arguments du conseil selon lesquels l’auteur n’a pas reçu copie des documents de procédure (à savoir les procès-verbaux des interrogatoires auxquels il a été soumis en tant que suspect et en tant qu’accusé et des déclarations faites sur les lieux du crime) sont dénués de fondement. Les paragraphes 2 et 5 de l’article 74 donnent à la défense le droit de prendre connaissance des documents relatifs aux mesures d’instruction intéressant le suspect ou l’accusé et son conseil, mais pas d’en obtenir copie. Dans la décision du 17 juillet 2012 par laquelle la requête de la défense a été rejetée, il est précisé que le conseil n’a pas été empêché de consulter les documents en question, mais a refusé de le faire et insisté pour en obtenir copie.

5.22Les demandes de récusation de juges présentées par M. Sarsenov n’avaient d’autre fondement que la méfiance que ce dernier nourrissait à l’égard du tribunal, qui avait rejeté ses différentes requêtes, notamment celles tendant à faire procéder à un complément d’enquête et à faire reconnaître comme irrégulière la nomination de Z. S. à la défense de l’auteur. L’État partie soutient que M. Sarsenov n’a pas apporté la preuve que les juges avaient fait montre de partialité dans la procédure engagée contre l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1Dans ses commentaires du 21 avril 2016 concernant les observations de l’État partie, l’auteur reprend ses principaux arguments. Il soutient que l’État partie n’a pas abordé, ni à plus forte raison réfuté, l’argument exposé dans sa lettre initiale selon lequel il a été victime de détention arbitraire et a avoué sous la pression, et réaffirme qu’il n’a pas disposé du temps nécessaire pour préparer sa défense. Le 30 septembre 2012, soit quatre jours avant que le dossier ne soit mis à la disposition de la défense, le conseil engagé à titre privé par l’auteur, M. Sarsenov, s’est rendu en Chine pour s’y faire soigner. M. Sarsenov n’avait pas été informé de la date de clôture de l’enquête préliminaire. L’auteur soutient qu’il a demandé par écrit à être autorisé à consulter le dossier avec M. Sarsenov, mais sa demande est restée lettre morte. Il soutient également que, pendant cinq jours, M. Sarsenov a été autorisé à faire des copies des pièces documentaires, mais pas à examiner les preuves matérielles ou à copier les enregistrements vidéo réalisés pendant l’instruction. L’auteur conteste la conclusion de la chambre d’appel selon laquelle il s’est vu donner la possibilité d’étudier l’intégralité du dossier avec les conseils commis d’office à sa défense, M. et B., et soutient qu’il n’a pas examiné le dossier avec eux. De surcroît, il avait refusé les services de M.  car celui-ci ne lui fournissait aucune assistance juridique.

6.2L’auteur réaffirme que le mobile des multiples meurtres n’a pas été établi avec certitude et conteste l’appréciation et les conclusions du tribunal concernant les circonstances de ces crimes. Il conteste également le résultat des expertises sur lesquelles le tribunal s’est appuyé pour rendre son verdict et fait de nouveau valoir que des corps calcinés non identifiés se trouvaient sur les lieux du crime, ce qui confirme selon lui la théorie des agresseurs inconnus. La conclusion du tribunal selon laquelle l’incendie survenu sur les lieux du crime n’a pas été causé par une explosion est erronée car elle repose sur l’avis de K. S., qui ne dispose pas des qualifications requises pour intervenir en tant qu’expert en explosifs. L’auteur allègue de nouveau que le tribunal a refusé de le soumettre à l’examen médical demandé par la défense. Il avance que la chambre de première instance a omis d’examiner certains éléments de preuve, que les juges ont abusé de leur pouvoir et qu’une partie des preuves ont été falsifiées, et maintient que pendant l’enquête préliminaire, son conseil n’a pas été autorisé à faire des copies des documents de procédure.

6.3À l’appui de l’argument selon lequel la nomination de T. G. comme conseil de la défense était illégale, l’auteur soutient que l’État partie n’a fourni aucun élément de nature à démontrer qu’il avait renoncé au droit d’être assisté par un conseil de son choix. L’État partie n’a pas non plus démontré qu’il avait renoncé à son droit de prévenir son conseil et ses proches par téléphone et avait demandé qu’une lettre soit envoyée à sa mère.

6.4Le conseil de l’auteur soutient que c’est à tort que l’État partie avance que les avocats doivent obtenir par eux‑mêmes l’autorisation de consulter des documents classés secrets, cet argument n’étant étayé par aucune règle de droit. Le tribunal n’était pas fondé à rejeter sa demande de consultation et n’a pas respecté le principe général énoncé au paragraphe 1 de l’article 15 du Code de procédure pénale, qui veut que l’organe dirigeant la procédure pénale protège les droits et libertés des citoyens visés, crée des conditions propices à l’exercice de ces droits et libertés et prenne rapidement des mesures permettant de donner suite aux demandes légitimes des intéressés.

Observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 10 octobre 2016, l’État partie a réitéré ses précédentes observations.

7.2Concernant la violation présumée de l’article 14 du Pacte, l’État partie réaffirme que la nomination de Z. S à la défense de l’auteur était conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 68 du Code de procédure pénale et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, qui consacrent le droit d’être jugé sans retard excessif. M. Sarsenov et S. E. n’ayant plus assisté aux audiences depuis le 29 novembre 2012, la nomination d’un nouveau conseil était justifiée. Au cours de l’enquête préliminaire et du procès, l’auteur a été défendu par six conseils différents (T. G., B., M. Sarsenov, M., S. E. et Z. S.). L’État partie avance de surcroît que l’argument selon lequel le tribunal a ignoré ou rejeté les demandes de la défense est fallacieux et dénué de fondement et soutient que les juges ont examiné toutes les requêtes qui leur ont été présentées, conformément à la loi. L’État partie fait de nouveau valoir que la chambre d’appel a examiné l’argument selon lequel l’auteur n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense avec un conseil de son choix et a conclu que l’intéressé avait eu l’occasion de consulter l’intégralité du dossier avec deux de ses conseils et que M. Sarsenov n’avait pas pu faire de même parce qu’il s’était rendu en Chine, et ce, bien qu’il ait été dûment informé de la date de clôture de l’instruction. Plusieurs notifications avaient été adressées à M. Sarsenov pour lui rappeler qu’il devait participer à l’instruction et prendre connaissance du dossier, mais toutes étaient restées lettre morte. L’État partie soutient que M. Sarsenov a été traité sur un pied d’égalité avec B. Or, ce dernier n’a formulé aucune plainte concernant le temps alloué aux fins de l’examen du dossier. Le paragraphe 7 de l’article 72 du Code de procédure pénale dispose que lorsque l’accusé est représenté par plusieurs conseils, un acte de procédure requérant la participation de la défense ne saurait être considéré comme irrégulier au seul motif que les conseils n’y ont pas tous participé.

7.3Tous les griefs relatifs à l’appréciation que le tribunal a faite des éléments de preuve, et notamment à l’établissement du mobile des crimes, de la préméditation et de la culpabilité de l’auteur et à la qualification juridique des actes commis, ont été pris en considération par l’État partie, qui a jugé qu’ils étaient infondés, de même que l’argument selon lequel l’auteur a été victime d’un déni de justice.

7.4Enfin, l’État partie réaffirme que M. Sarsenov a été informé qu’il était tenu d’obtenir l’autorisation de consulter les documents classés secrets, l’auteur ayant été accusé, puis reconnu coupable, d’un crime puni par le paragraphe 1 de l’article 172 du Code pénal (obtention illégale de secrets d’État). Or, durant les quatre mois qui ont suivi la notification de cette obligation, M. Sarsenov s’est contenté d’adresser une requête au département de la justice et au barreau d’Almaty. Le fait qu’il n’ait pris aucune autre mesure pour obtenir l’autorisation de consulter les documents classés secrets montre que ses allégations sont dénuées de fondement. De surcroît, en ce qui concerne le chef d’obtention illégale de secrets d’État, la défense de l’auteur était assurée par M.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité constate que l’auteur avance avoir épuisé tous les recours internes disponibles. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, il estime que les conditions prévues au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

8.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui soutient que la communication n’est pas recevable au regard des articles 1er et 3 du Protocole facultatif et des paragraphes a) et b) de l’article 96  du règlement intérieur car elle n’est pas signée par l’auteur ni assortie d’une procuration en faveur des deux conseils qui l’ont soumise. Il fait néanmoins observer que le 16 octobre 2013, l’auteur a donné mandat à M. Sarsenov pour le représenter devant lui, et qu’une copie de la procuration établie à cet effet lui a été communiquée. De surcroît, M. Sarsenov a défendu l’auteur dans toutes les procédures internes, dans lesquelles il était le seul conseil choisi par l’intéressé, les cinq autres ayant été commis d’office. En conséquence, le Comité estime que les articles 1er et 3 du Protocole facultatif et les paragraphes a) et b) de l’article 96 du règlement intérieur ne l’empêchent pas d’examiner la communication soumise par M. Sarsenov.

8.5Le Comité prend note également du grief de privation de liberté et d’arrestation arbitraires que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Le Comité note que l’auteur dit s’être considéré comme étant en état d’arrestation à compter du 4 juin 2012 à 16 h 50, moment où il a été appréhendé et menotté par la patrouille de la police des frontières. Le Comité note également que l’auteur avance que sa garde à vue n’a pas été approuvée par un juge avant le 6 juin 2012 à 21 h 15, soit cinquante heures après son arrestation. Il note également que, selon l’État partie, après que la patrouille de la police des frontières a retrouvé l’auteur, ce dernier a été conduit depuis la zone frontalière jusque dans les locaux de l’unité militaire no 8484 en tant que témoin. Le Comité constate qu’en sa qualité de soldat, l’auteur a été placé sous la surveillance des autorités militaires compétentes, et a été entendu d’abord comme témoin et ensuite, le 4 juin 2012 à 21 h 25, comme suspect. Le 6 juin 2012, l’auteur a été accusé de multiples meurtres. Compte tenu des circonstances de l’affaire et des explications fournies par l’État partie, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief selon lequel il n’a pas été traduit rapidement devant un juge et a été détenu arbitrairement, en violation de l’article 9 du Pacte. Partant, le Comité estime que ce grief n’est pas recevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif en ce qu’il est dénué de fondement.

8.6Le Comité note que l’auteur soutient qu’il a été victime d’une violation des dispositions des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte au motif que des vices de procédure ont entaché l’appréciation de la culpabilité de l’auteur, l’examen des éléments de preuve, l’admission des témoignages et des conclusions des experts et la qualification des infractions commises. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, il ne lui appartient pas de substituer son avis à l’appréciation des faits et des éléments de preuve faite par les juridictions internes dans une affaire donnée, sauf si cette appréciation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice ou si les juges ont manqué à leur obligation d’indépendance et d’impartialité. Lorsqu’un jury ou un tribunal se prononce sur tel ou tel point de fait à la lumière des éléments de preuve disponibles, c’est à l’auteur qu’il incombe de démontrer que la décision est manifestement arbitraire ou constitue un déni de justice. Dans la présente affaire, le Comité constate que l’auteur conteste l’appréciation faite par le tribunal et les conclusions auxquelles celui-ci est parvenu, mais n’a pas démontré que les décisions rendues au niveau national, qui reposent sur des preuves matérielles, des expertises et des témoignages, sont clairement arbitraires, erronées ou constitutives d’un déni de justice. En conséquence, le Comité estime que les griefs de l’auteur n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Le Comité constate en outre que les autres griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, notamment l’allégation selon laquelle le président du tribunal a fait pression sur lui pour qu’il assiste aux audiences, sont de nature générale et n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

8.7Le Comité note que l’auteur se dit victime d’une violation des dispositions du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte au motif que le seul conseil qu’il avait lui-même choisi, M. Sarsenov, n’a pas eu accès aux pièces du dossier classées secrètes faute d’avoir obtenu l’autorisation nécessaire. Il note également que, selon l’État partie, le conseil retenu par l’auteur n’a pas été habilité à consulter ces pièces parce que, quatre mois après avoir été notifié de l’obligation d’obtenir une autorisation, il n’avait pas entrepris toutes les démarches nécessaires à cette fin. Le Comité note en outre qu’un autre avocat de l’auteur a obtenu l’autorisation requise et eu accès aux documents en question. Par conséquent, il estime que le grief tiré du paragraphe 3 b) de l’article 14 n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité note que, selon l’auteur, la nomination de T. G. comme conseil de la défense au stade de l’instruction était illégale et a porté atteinte au droit à l’assistance d’un avocat de son choix garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14. Toutefois, il note également que rien dans le dossier ne permet d’établir que l’auteur a expressément refusé d’être représenté par M. Galinov et a demandé à bénéficier de l’assistance d’un conseil de son choix dès le stade de l’enquête préliminaire. Partant, le Comité estime que le grief de l’auteur concernant le droit à l’assistance d’un avocat de son choix au cours de l’instruction n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité note en outre que l’auteur avance avoir été victime d’une violation des dispositions du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte car le tribunal a autorisé le versement au dossier d’aveux faits sous la contrainte. Le Comité constate que les allégations formulées par l’auteur à ce sujet sont très générales et manquent de cohérence et que l’intéressé ne fournit aucun renseignement précis sur la nature des pressions auxquelles il aurait été soumis. Il constate également que, comme le montrent les décisions rendues par les tribunaux, l’auteur a été déclaré coupable sur la base de plusieurs éléments de preuve, et non de ses seuls aveux. Partant, le Comité estime que ce grief n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.10Le Comité constate que la nomination de Z. S. comme conseil de la défense au stade du procès procédait de la volonté du tribunal de remédier à l’absence des deux conseils de l’auteur. Il rappelle, à cet égard, que l’État partie est tenu de faire droit aux demandes d’ajournement raisonnables, et note que le nouveau conseil n’a eu que deux jours pour étudier le volumineux dossier. Par conséquent, il estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs tirés des alinéas b) et d) du paragraphe 3  de l’article 14 du Pacte, concernant le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et le droit d’être assisté de l’avocat de son choix pendant le procès.

8.11Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les autres griefs qu’il tire des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, et procède donc à l’examen de ces griefs quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En ce qui concerne les griefs formulés au titre du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, le Comité note que l’auteur soutient que le seul conseil qu’il a choisi, M. Sarsenov, n’a pas reçu copie de certains documents de procédure, et qu’il a dû assister à certaines audiences sans le conseil de son choix. Le Comité note également que l’auteur déclare qu’il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense avec le conseil de son choix car M. Sarsenov et lui-même n’ont eu que dix jours ouvrables, soit quinze jours calendaires, pour prendre connaissance du dossier, composé de 56 volumes de 250 pages chacun.

9.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui fait valoir que son conseil a dû séjourner un certain temps à l’étranger pour y recevoir des soins médicaux. Il prend note également de l’argument de l’État partie, qui soutient qu’un calendrier de consultation du dossier avait été établi, que M. Sarsenov avait été informé par écrit à plusieurs reprises des dates fixées et n’avait pas prévenu le tribunal qu’il devait s’absenter pour raisons de santé, et que l’auteur a pu examiner différentes parties du dossier avec ses conseils commis d’office puisque lui-même et B. ont commencé à consulter le dossier le 3 octobre et n’ont pas demandé de délai supplémentaire. Le Comité constate en outre que M. Sarsenov n’a pas participé à l’audience qui s’est tenue le 29 novembre 2012 après le déjeuner en raison d’une crise d’hypertension et que son confrère S. E. a demandé au tribunal d’ajourner cette audience au motif qu’il n’était pas compétent pour assister l’auteur car il n’avait pas pu consulter l’intégralité du dossier. Le nouveau conseil de la défense, Z. S., n’a eu que deux jours pour prendre connaissance du dossier. Le Comité rappelle que l’accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense et communiquer avec le conseil de son choix. Cette règle est un élément important de la garantie d’un procès équitable et du principe de l’égalité des armes. Les demandes d’ajournement raisonnables doivent impérativement être accueillies, en particulier lorsque l’accusé se voit reprocher un crime grave et a besoin d’un délai complémentaire pour préparer sa défense. En l’absence d’autres observations pertinentes de l’État partie, le Comité estime qu’en privant le nouveau conseil de l’auteur de la possibilité d’examiner l’ensemble du dossier et en refusant d’ajourner les audiences et d’accorder à la défense un délai supplémentaire pour étudier le dossier, le tribunal a porté atteinte aux droits que l’auteur tient du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

9.4Le Comité note également que l’auteur se dit victime d’une violation des dispositions du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte au motif que la nomination de Z. S. comme conseil de la défense au stade du procès était illégale. Ayant conclu à une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, le Comité n’examinera pas le grief que l’auteur tire du paragraphe 3 d) de l’article 14.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les informations dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

11. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de veiller à ce que toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés dispose d’un recours utile et obtienne pleine réparation. En conséquence, il est tenu, notamment, d’indemniser adéquatement Vladislav Chelakh. Il est également tenu de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour éviter que le type de violations commises ne se reproduise.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.