Nations Unies

CCPR/C/120/D/2532/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

6 octobre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2532/2015*, **

Communication présentée par :

Anton Batanov (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

25 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 janvier 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

28 juillet 2017

Objet :

Torture ; non-respect des garanties d’une procédure équitable

Question(s) de fond :

Torture et mauvais traitements ; procès équitable

Question(s) de procédure :

Abus du droit de présenter une communication ; non-épuisement des recours internes ; griefs non étayés

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 7 et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Anton Batanov, de nationalité russe, né le 10 mai 1969. Il affirme que la Fédération de Russie a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 1er juin 2009, l’auteur a été arrêté par des policiers alors qu’il était à un marché de la ville de Kazan. Les policiers l’ont plaqué au sol et lui ont asséné des coups de pieds, puis l’ont menotté et conduit au Département des affaires intérieures du district Sovetskiy de Kazan.

2.2Pendant sa détention de plusieurs jours dans les locaux du Département des affaires intérieures, l’auteur a été roué de coups par trois policiers. Ceux-ci lui ont mis à plusieurs reprises un masque à gaz sur la tête et ont bloqué l’arrivée d’air pour l’empêcher de respirer. L’auteur a ainsi perdu connaissance à de nombreuses reprises. Son corps était couvert d’hématomes importants. L’auteur a été privé de nourriture et d’eau.

2.3Le 3 juin 2009, l’auteur a fait une crise cardiaque en conséquence des violences subies. Deux médecins urgentistes l’ont examiné et ont indiqué au policier responsable que l’auteur avait besoin de soins hospitaliers urgents. Ce policier a refusé de donner suite à cette demande. Un des médecins a demandé que lui soit délivré un refus écrit.

2.4Le même jour, dans la soirée, l’auteur a été transféré au centre de détention provisoire situé dans les locaux du même Département de police. Le fonctionnaire de service, R., a pris des photographies des blessures que portait l’auteur au visage, aux bras et sur le corps, les a mesurées et a consigné ces informations dans un journal qu’il a demandé aux policiers chargés du transfert de signer. Après leur départ, il a donné un morceau de pain et de l’eau à l’auteur.

2.5Le 5 juin 2009, les autorités ont conduit l’auteur au Service médico-légal du Ministère de la santé de la République du Tatarstan où un médecin a consigné les lésions visibles sur le corps de l’auteur dans un registre spécial. Un certificat médical décrivant ces lésions a été remis à l’auteur.

2.6Le même jour, l’auteur a comparu devant le tribunal du district Sovetskiy de Kazan pour vol à main armée et meurtre. Le tribunal a rendu une décision visant à prolonger la détention de l’auteur.

2.7En août 2009, l’auteur, qui avait perdu connaissance à plusieurs reprises pendant sa détention, a été admis à l’hôpital pénitentiaire de Kazan. Il y a passé un mois puis a été ramené au même centre de détention provisoire, où il a de nouveau été violemment frappé à plusieurs reprises lors d’interrogatoires. Il a tenté de se suicider en se tailladant les veines. Du fait des actes de torture qui lui ont été infligés, il a été victime d’une défaillance viscérale, a développé plusieurs maladies et souffre d’une incapacité partielle.

2.8Pendant l’enquête préliminaire, à une date non précisée, un procureur du Bureau du Procureur du district Sovetskiy de Kazan, « M. », a exercé des pressions psychologiques sur l’auteur pour lui extorquer des aveux. Il a menacé de le faire emprisonner pour le restant de ses jours, a proféré des obscénités et l’a frappé à deux reprises à la tête du plat de la main. Le 25 décembre 2009, lors d’une audience devant le tribunal de district, l’auteur n’a pas eu le droit de demander que le procureur en question soit dessaisi de l’affaire, et celui‑ci n’a pas donné suite à la plainte déposée par l’auteur pour utilisation de méthodes illégales par l’enquêteur « Sh. » pendant l’enquête préliminaire. Le même jour, le tribunal a rejeté, sans avoir entendu les arguments de l’auteur, la requête incidente dans laquelle celui‑ci demandait que soit rendue une ordonnance visant expressément l’enquêteur concerné.

2.9Le 7 décembre 2009, « At. », l’homme accusé de complicité dans les faits de vol à main armée et de meurtre reprochés à l’auteur, et qui avait été cité à comparaître en qualité de témoin principal lors du procès de l’auteur, a déclaré devant le tribunal de district que les enquêteurs du service d’enquête de Kazan, CU, SK et RF, l’avaient contraint à faire une déclaration à charge contre l’auteur en le plaçant sur une chaise électrique et en administrant des décharges électriques dans ses parties génitales. Devant le tribunal, le témoin est revenu sur sa déclaration à charge contre l’auteur, affirmant qu’il l’avait faite sous la torture et parce qu’on lui avait promis que le tribunal ferait preuve de clémence dans la fixation de sa peine. L’auteur lui-même n’a pas plaidé coupable. Il s’est dit innocent et a soutenu que les accusations portées contre lui avaient été fabriquées de toutes pièces.

2.10L’auteur soutient que de nombreuses violations de ses droits ont été commises au cours de son procès, notamment que le tribunal n’a pas tenu compte de son alibi et a fondé son verdict sur des éléments de preuve irrecevables, qui avaient été recueillis en violation des règles de procédure et ne suffisaient pas à établir sa culpabilité. Il affirme en particulier que son droit à un procès équitable a été violé pour les raisons suivantes : a) le tribunal avait jugé recevable et fiable la déclaration à charge faite par « At. » (le principal suspect) en qualité de témoin pendant l’enquête préliminaire et s’était fondé dessus pour condamner l’auteur alors que, pendant l’audience du 7 décembre 2009, « At. » était revenu sur cette déclaration, affirmant qu’il l’avait faite sous la contrainte et décrivant les actes de torture qu’on lui avait infligés ; b) l’auteur insiste sur le fait qu’il a un alibi prouvant où il se trouvait le 16 mai 2008, jour où le meurtre et le vol à main armée auraient été commis, et que, bien que cet alibi ait été confirmé par quatre témoins à décharge, le tribunal n’a pris en considération que les éléments produits par le procureur ; c) il n’a pas été établi que, en mai 2008, l’auteur avait utilisé un certain téléphone portable qui avait appartenu à un dénommé « T. » et avait été égaré ; d) la déclaration de l’inspecteur « Ah. », qui avait intercepté le véhicule de l’auteur le 22 mai 2008, n’établit aucun lien entre l’auteur et le crime commis par le coaccusé, « At. » ; e) le tribunal a essentiellement fondé son verdict sur les déclarations faites par des témoins pendant l’enquête préliminaire sans prendre en considération leurs déclarations pendant les audiences ni tenir compte du fait que les premières avaient pour la plupart été extorquées par les enquêteurs aux intéressés sous la contrainte psychologique et physique. L’auteur soulève également des griefs relatifs à l’appréciation par le tribunal des éléments de preuve soumis dans l’affaire.

2.11Le 25 décembre 2009, le tribunal de district a reconnu l’auteur coupable de vol à main armée et de coups et blessures avec préméditation et l’a condamné à une peine de onze ans d’emprisonnement. Le 11 janvier 2010, l’auteur a formé un pourvoi en annulation devant la Cour suprême du Tatarstan, faisant valoir que le jugement du tribunal du district contredisait les éléments de preuve factuels soumis en l’espèce. Le 12 mars 2010, la Cour suprême du Tatarstan a rejeté le pourvoi de l’auteur. À une date non précisée, celui-ci lui a présenté une seconde demande de contrôle. Le 24 septembre 2010, le Président de la Cour suprême a débouté l’auteur, considérant que rien ne permettait de douter de la recevabilité ni de la fiabilité des éléments de preuve sur la base desquels le tribunal de district avait rendu son jugement du 25 décembre 2009.

2.12À une date non précisée, l’auteur a présenté à la Cour suprême de la Fédération de Russie une demande de contrôle du jugement du tribunal de district en date du 25 décembre 2009 et de l’arrêt de la Cour suprême du Tatarstan en date du 12 mars 2010. Le 13 décembre 2010, la Cour suprême de la Fédération de Russie, siégeant en formation de juge unique, a rejeté la demande de l’auteur au motif que le juge était parvenu à la même conclusion concernant les éléments de preuve soumis dans l’affaire que le tribunal de district dans son jugement du 25 décembre 2009, et elle a confirmé ce jugement et l’arrêt de la Cour suprême du Tatarstan du 12 mars 2010.

2.13À une date non précisée, l’auteur a saisi la Cour suprême de la Fédération de Russie d’une demande de contrôle de la décision qu’elle avait rendue le 13 décembre 2010. Par une lettre du Vice-Président de la Cour suprême de la Fédération de Russie datée du 28 octobre 2011, dans laquelle il est indiqué qu’aucune violation n’a été commise par cette juridiction, la Cour suprême a refusé d’annuler sa décision du 13 décembre 2010 et de procéder au contrôle demandé.

2.14En ce qui concerne les allégations de torture, l’auteur, à une date non précisée, a saisi le tribunal du district Vakhitovsky de Kazan afin qu’il engage une action pénale contre deux enquêteurs, « K. » et « Sh. », requête que le tribunal, arguant de son incompétence, a rejetée le 27 février 2010 sans l’avoir examinée. Par une lettre datée du 31 mars 2010, le Vice-Président de la Cour suprême du Tatarstan a confirmé cette décision de rejet. L’auteur et le président de l’organisation non gouvernementale Comité pour les droits civils (agissant au nom de l’auteur) ont aussi adressé plusieurs requêtes au Procureur général de la Fédération de Russie concernant les méthodes utilisées contre l’auteur pendant l’enquête. Le 2 août 2010, l’auteur a déposé auprès du Procureur général une plainte qui a été transmise au Procureur du Tatarstan, et classée sans suite par celui-ci le 3 septembre 2010.

2.15Le 28 août 2011, le Département des affaires intérieures de Kazan a décidé de ne pas engager de poursuites pénales contre les policiers que l’auteur accusait de lui avoir infligé des mauvais traitements. Le 18 mai 2012, le Bureau du Procureur du Tatarstan a confirmé cette décision.

2.16Le 30 novembre 2011, le Bureau du Procureur général de la Fédération de Russie a refusé d’ouvrir une enquête pénale sur les allégations de torture formulées par l’auteur. Le 24 mars 2012, l’auteur a fait appel devant le Procureur général de la Fédération de Russie au titre de la procédure de contrôle, demandant une nouvelle fois qu’une action pénale soit engagée contre les policiers et enquêteurs du Département des affaires intérieures de Kazan et contestant de nouveau le jugement rendu le 25 décembre 2009 par le tribunal du district Sovetskiy de Kazan.

2.17Le 21 mai 2012, le Bureau du Procureur du Tatarstan a ordonné qu’une enquête complémentaire, précisément axée sur l’utilisation de méthodes illégales par la police, soit menée et achevée au plus tard le 13 juin 2012.

2.18Le 5 juillet 2012, l’auteur a adressé au Procureur général de la Fédération de Russie une autre requête tendant à ce que les autorités ouvrent une enquête sur les méthodes illégales utilisées contre lui pendant l’enquête. Le 12 juillet 2012, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie a transmis la plainte déposée par l’auteur le 27 juin 2012 pour complément d’enquête et, le 31 juillet 2012, le Bureau du Procureur général de la Fédération de Russie a fait savoir à l’auteur qu’il avait été ordonné au Procureur du Tatarstan d’enquêter sur les allégations de torture formulées par l’auteur. Le 28 août 2012, le Bureau du Procureur général a rejeté la requête de l’auteur au motif que les lésions corporelles dont il avait fait état étaient antérieures à son arrestation.

2.19Le 12 décembre 2013, le Bureau du Procureur du Tatarstan a rejeté la requête adressée par le président du Comité pour les droits civils au nom de l’auteur, au motif que la décision de ne pas engager de poursuites contre les enquêteurs de police avait été annulée et des compléments d’enquête ordonnés à plusieurs reprises, et que l’enquête précédente, clôturée le 24 septembre 2013, n’avait établi l’existence d’aucun élément constitutif d’une infraction.

2.20D’autres requêtes introduites par l’auteur et par le président du Comité pour les droits civils en son nom ont été rejetées par le Procureur général de la Fédération de Russie les 25 avril et 17 juillet 2013, et le 7 mai 2014.

2.21L’auteur a également adressé à la Cour européenne des droits de l’homme, le 8 juin 2010, une requête qui a été rejetée le 13 mars 2014 pour cause d’irrecevabilité en application des articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte, pour les raisons suivantes : a) on l’a soumis à la torture en le rouant violemment de coups à plusieurs reprises, et on lui a notamment mis sur la tête un masque à gaz dont on a bloqué l’arrivée d’air pour l’empêcher de respirer, en conséquence de quoi il a fait une crise cardiaque, développé une maladie cardiaque et présente une défaillance viscérale et une incapacité partielle ; b) le policier responsable n’a pas donné suite à la demande des médecins tendant à ce que l’auteur soit admis à l’hôpital après qu’il eut fait une crise cardiaque en raison des violences policières subies lors de son arrestation ; c) le personnel de l’hôpital pénitentiaire ne lui a administré aucun soin pendant plusieurs jours ; d) le procureur du tribunal l’a traité de manière dégradante et l’a menacé pendant l’interrogatoire préliminaire, lui a porté des coups du plat de la main et a proféré des obscénités contre lui.

3.2L’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte ont été violés pendant la procédure judiciaire pour les raisons suivantes : a) ses pourvois en annulation, requêtes au titre de la procédure de contrôle et plaintes déposés auprès de diverses autorités pour que le verdict illégal, non fondé et inéquitable soit annulé ont tous été rejetés ; b) le procureur du tribunal a tenté de le contraindre à s’accuser lui-même pendant l’interrogatoire préliminaire ; c) les autorités de l’État ont torturé un témoin pour lui arracher une déclaration à charge contre l’auteur et le tribunal s’est appuyé sur cette déclaration obtenue sous la contrainte alors que le témoin s’est ensuite rétracté pendant l’audience ; d) l’auteur n’a pas été autorisé à présenter personnellement sa défense devant le tribunal et son droit de se défendre a, de ce fait, été violé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 31 mars 2015, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication et soutenu que l’auteur n’avait soulevé aucun grief relatif à des actes de torture et à des mauvais traitements, tant pendant le procès devant le tribunal de district Sovietskiy de Kazan que dans son pourvoi en annulation devant la Cour suprême du Tatarstan. L’État partie fait valoir qu’il ressort des pièces du dossier que c’est seulement dans sa demande de contrôle du 17 novembre 2010 que l’auteur a prétendu pour la première fois qu’il avait été torturé, soit près d’un an et demi après les faits allégués. Les plaintes et requêtes de l’auteur à cet égard n’ont été déposées auprès de divers organismes publics qu’ultérieurement, entre 2012 et 2014.

4.2L’État partie fait observer que l’efficacité des enquêtes sur les allégations relatives à des actes de torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants dépend essentiellement du dépôt en temps utile de plaintes à ce sujet auprès des autorités. Le fait que l’auteur n’ait porté plainte que plus d’un an et demi après les actes de torture allégués porte à croire qu’il a abusé du droit de présenter une communication au Comité, mais aussi du droit de saisir les autorités de l’État partie. Selon l’État partie, rien n’empêchait l’auteur de porter plainte auprès des autorités pendant la période susmentionnée. L’État partie considère par conséquent que la communication est irrecevable à cet égard en ce qu’elle relève d’un abus du droit de présenter une communication en application de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.3Pour ce qui est de la violation alléguée du droit à un tribunal indépendant et impartial que l’auteur tient de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme qu’aucun élément disponible ne fait apparaître un manque d’indépendance ou d’impartialité du tribunal de première instance. L’auteur n’a d’ailleurs soulevé aucun grief relatif à des violations des garanties d’un procès équitable, que ce soit en première instance ou dans son pourvoi en annulation. L’État partie relève également que l’auteur a contesté l’examen et l’appréciation des preuves pendant le procès et mis en cause les témoins et experts cités à comparaître. Il renvoie à cet égard à l’arrêt de la Cour suprême pour qui « la culpabilité de l’auteur est pleinement établie par les preuves recueillies, qui sont examinées en détail et analysées avec justesse dans le verdict ».

4.4L’État partie apporte des précisions sur des points de fait et de droit, ainsi que sur les moyens sur lesquels le tribunal s’est fondé pour se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence de l’auteur, notamment les déclarations des témoins pendant la phase de l’instruction et lors du procès proprement dit, les conclusions des experts et la collecte de preuves matérielles. Il fait observer que le tribunal a examiné l’alibi de l’auteur et conclu qu’il était faux. L’État partie soutient en outre que le tribunal a évalué les divergences entre les déclarations que les témoins/coaccusés ont faites pendant la phase de l’instruction et celles qu’ils ont faites pendant le procès. Il nie que les droits de l’auteur aient été violés pendant l’enquête, y compris en relation avec son arrestation en tant que suspect et pendant la prolongation ultérieure de sa détention ou pendant son procès. Il fait observer que l’auteur n’apporte aucun élément objectif à l’appui de ses allégations de torture pendant l’enquête préliminaire.

4.5Pour ce qui est du grief de l’auteur, qui affirmen’avoir pas été autorisé à présenter lui-même ses moyens de défense devant le tribunal, son droit de se défendre ayant de ce fait été violé, l’État partie soutient qu’il ressort des notes d’audience que l’auteur a été informé de ses droits procéduraux, notamment de son droit de récuser un juge ouun procureur ; l’auteur n’a pas demandé à participer en personne aux débats et, en tout état de cause, son conseil a présenté les arguments de la défense. L’accusé s’est vu accorder le droit de prendre la parole en dernier, conformément aux règles de procédure pénale applicables dans l’État partie. Celui-ci explique aussi que le tribunal a examiné la question de la clôture de l’enquête judiciaire (pendant le procès) en l’absence des victimes, « E. » et « Z. », et que l’auteur et son conseil n’y ont pas fait objection. Rien ne permet de considérer que le conseil de l’auteur ait fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions et le principe de l’égalité des armes a été respecté. Quant à la peine appliquée à l’auteur, elle est proportionnée à l’infraction commise.

Observations complémentaires de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 7 avril 2015, l’État partie donne de plus amples informations sur l’infraction imputée à l’auteur et sur la collecte des preuves. Il souligne que, d’après le certificat médical, les blessures aux épaules et au genou gauche de l’auteur étaient antérieures à son arrestation. L’État partie renvoie à ses observations précédentes et maintient que les griefs de l’auteur devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement.

5.2Dans une lettre datée du 12 mai 2015, l’État partie a réitéré ses observations précédentes, ajoutant que la communication était irrecevable au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il fait valoir que, en vertu de l’article 125 (par. 1) du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie :

« Les décisions de classement sans suite ou de clôture d’une affaire pénale prises par les agents d’instruction, enquêteurs ou procureurs, ainsi que toutes leurs autres décisions et actions (ou omissions) peuvent être contestées devant le tribunal de district du lieu où l’enquête préliminaire est conduite lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés constitutionnels des parties à une procédure pénale ou d’entraver l’accès des citoyens à l’administration de la justice. ».

Le 27 avril 2014, s’appuyant sur les résultats du contrôle de la procédure, l’enquêteur en chef du comité d’enquête du district Sovetskiy de Kazan a refusé d’ouvrir une procédure pénale (classement sans suite) contre les policiers A., K., M., F., D., P., D. et M., au motif qu’aucune infraction n’avait été commise par les intéressés. Les éléments vérifiés dans le cadre de la procédure de contrôle susmentionnée ont ensuite été examinés par la direction centrale du comité d’enquête. Celle-ci a reconnu que les arguments de l’auteur n’avaient pas été entièrement pris en considération et a annulé la décision de ne pas engager de poursuites pénales, le 3 avril 2015, ordonnant un complément d’enquête. L’État partie indique que la procédure suit son cours. Compte tenu de ces faits nouveaux, il réaffirme que l’auteur, qui n’a pas contesté la décision rendue par l’enquêteur le 27 avril 2014, n’a pas épuisé tous les recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1Par lettre datée du 30 avril 2015, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réaffirme avoir été victime d’actes de torture et de mauvais traitements lors de son arrestation, le 1er juin 2009, ainsi que pendant l’enquête préliminaire, et il donne de nouveau les noms des auteurs supposés des faits, notamment des policiers et enquêteurs. Il maintient que, contrairement à ce que l’État partie a affirmé, il s’est plaint pendant le procès devant le tribunal du district Sovetskiy de Kazan des violences et mauvais traitements qu’il avait subis, mais que sa plainte a été rejetée par le juge, « Kh. », sans avoir été examinée au fond. L’auteur a également porté plainte pour violences physiques et actes de torture, début 2010, c’est-à-dire moins de trois mois après le verdict du 25 décembre 2009. Il conteste aussi les observations de l’État partie relatives aux allégations de violations de l’article 14 et réaffirme que le tribunal l’a condamné essentiellement sur la base de déclarations faites par des témoins pendant l’enquête préliminaire, sans tenir compte de leurs déclarations pendant le procès. Le tribunal n’a en outre pas retenu que la plupart des déclarations faites pendant l’enquête préliminaire avaient été obtenues par des pressions psychologiques et la violence physique.

6.2L’auteur rappelle également que sa culpabilité a été établie sur la base d’une déclaration faite sous la contrainte par le témoin « At. » pendant l’enquête préliminaire. L’auteur ajoute que, pendant l’audience du 7 décembre 2009, « At. » a déclaré qu’on l’avait torturé pour qu’il témoigne contre l’auteur.

6.3L’auteur affirme que, contrairement à ce que l’État partie prétend, il a un alibi complet, plusieurs témoins de la défense ayant déclaré qu’il se trouvait dans une autre ville le jour des faits. Il maintient qu’il n’a pas été informé de ses droits procéduraux par le tribunal de district lors de l’audience du 25 décembre 2009 puisqu’on ne lui a pas dit s’il pouvait ou non prendre part aux exposés des parties. Il ajoute que son conseil a soulevé ce moyen dans le pourvoi en annulation du 11 janvier 2010 et que ce vice de procédure est un motif d’annulation ou de révision du jugement rendu, conformément à l’article 381 (par. 2) 6)) du Code de procédure pénale.

6.4L’auteur dénonce le fait que l’identité de plusieurs procureurs, présents aux audiences des 7, 14 et 25 décembre 2009 n’a pas été précisée par le tribunal. Il n’a donc pas pu récuser le procureur « M. », qui avait exercé des pressions psychologiques sur lui durant l’enquête en proférant des obscénités et en maudissant sa mère d’origine tatare et qui l’avait frappé à la tête à deux reprises du plat de la main.

6.5L’auteur réaffirme en outre que les victimes, « E. » et « Z. », n’ont pas assisté au procès et que le tribunal n’a pas débattu du point de savoir s’il convenait d’examiner l’affaire en leur absence. Il affirme que l’expertise médico-légale du 5 juin 2009 ainsi que les conclusions médicales formulées à l’issue de son hospitalisation du 19 août au 16 septembre 2009 et le certificat médical de la commission médicale pénitentiaire daté du 9 novembre 2010 attestent la détérioration de son état de santé en raison des actes de torture subis. Les lésions qu’il présentait ne pouvaient pas résulter d’une simple chute.

Observations complémentaires de l’auteur

7.Dans des observations datées du 25 juin 2015, l’auteur donne des informations complémentaires en réponse aux observations de l’État partie en date du 12 mai 2015. Il réaffirme que les accusations portées contre lui ont été fabriquées de toutes pièces et qu’on lui a infligé des violences physiques en juin 2009, pendant sa détention, pour qu’il avoue. Il affirme que les nombreuses plaintes qu’il a déposées auprès d’organes judiciaires et d’organes de poursuite n’ont pas été dûment traitées et ont au contraire été transmises aux organes mêmes dont des agents l’avaient torturé. L’auteur réaffirme que quatre témoins à décharge ont confirmé qu’il avait été victime de violences physiques. Pour ce qui est de l’argument tiré par l’État partie du non-épuisement des voies de recours internes, l’auteur maintient que la plainte qu’il a déposée auprès du tribunal du district Vakhitovsky de Kazan a été rejetée, le 27 février 2010, sans avoir été examinée, le tribunal se déclarant incompétent pour engager des poursuites pénales contre les enquêteurs « K. » et « Sh. ».

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Dans une note verbale du 30 juillet 2015, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il maintient que le Procureur général a examiné les plaintes de l’auteur et y a apporté des réponses argumentées par des lettres datées des 22 juillet et 30 novembre 2011 et du 12 janvier 2012. Une décision définitive a été prise par le Procureur général adjoint et a été notifiée au président du Comité pour les droits civils, qui représente l’auteur, le 5 mai 2014.

8.2L’auteur a été détenu au centre de détention provisoire du 11 juin 2009 au 23 mars 2010. Lors de son incarcération, il a subi un examen médical et on lui a diagnostiqué une pression sanguine élevée (hypertension), une ischémie cardiaque et une syncope orthostatique. Du fait de ces diverses pathologies, l’auteur a été hospitalisé et a reçu les traitements nécessaires.

8.3L’État partie rejette à nouveau les allégations de torture formulées par l’auteur. Il précise que celui-ci a porté plainte contre l’enquêteur et le procureur adjoint le 23 mai 2015. Le 1er juin 2015, à l’issue d’un examen préliminaire, il a été décidé de ne pas ouvrir d’enquête pénale sur ces allégations. Le 8 juin 2015, le Bureau du Procureur du Tatarstan a annulé cette décision et ordonné un complément d’enquête. L’auteur peut faire appel du résultat de cette procédure auprès du responsable de l’organisme d’enquête concerné, du procureur ou des tribunaux.

Nouveaux commentaires de l’auteur

9.Dans ses commentaires complémentaires du 12 octobre 2015, l’auteur réaffirme les principaux arguments avancés dans sa lettre initiale. Il conteste les réponses apportées à ses demandes de contrôle. Il dénonce à nouveau le verdict prononcé contre lui par le tribunal de première instance ainsi que les décisions de justice rendues ultérieurement, qu’il considère comme illégales et inéquitables.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il relève que, le 8 juin 2010, l’auteur a présenté à la Cour européenne des droits de l’homme une requête concernant les mêmes faits. Toutefois, la Cour a estimé que la requête était irrecevable en vertu des articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’a rejetée par une lettre datée du 13 mars 2014. Le Comité rappelle que, lorsqu’il a ratifié le Protocole facultatif, l’État partie n’a pas fait de réserve excluant la compétence du Comité pour connaître d’affaires ayant déjà fait l’objet d’un examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En conséquence, il conclut que les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

10.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie, selon qui la communication concernant les allégations de torture formulées par l’auteur au titre de l’article 7 du Pacte devrait être considérée comme constituant un abus du droit de présenter une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, car l’auteur a soulevé ce grief un an et demi après les faits allégués, dans la demande de contrôle qu’il a adressée à la Cour suprême de la Fédération de Russie en date du 17 novembre 2010. Le Comité constate toutefois que plusieurs plaintes ont été déposées par l’auteur à cet égard auprès des tribunaux, notamment une demande d’ouverture d’une information judiciaire contre l’enquêteur auprès du tribunal du district Vakhitovsky de Kazan, qui a été rejetée le 27 février 2010, ainsi qu’auprès du Bureau du Procureur. Il note que, le 25 décembre 2009, l’auteur a tenté de soulever en première instance le moyen tiré de la violation d’obligations de fond pendant sa détention provisoire, en demandant au tribunal de rendre une ordonnance visant expressément les actes de l’enquêteur, et que cette requête a été rejetée. Il note également que l’auteur a dénoncé les actes de torture allégués dans la demande de contrôle qu’il a adressée à la Cour suprême de la Fédération de Russie. Par conséquent, le Comité considère que les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente plainte.

10.4Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. Il note également que, d’après l’État partie, l’enquête suit son cours. Il constate cependant que plus de sept ans se sont écoulés depuis le 27 février 2010, date à laquelle le tribunal du district Vakhitovsky de Kazan a rejeté sans l’examiner la première requête déposée par l’auteur pour qu’il ouvre une action pénale contre deux enquêteurs, « K. » et « Sh. », et plus de cinq ans depuis le 28 août 2011, date à laquelle le Département des affaires intérieures de Kazan a rendu sa première décision de ne pas engager de poursuites pénales contre les policiers qui auraient infligé des mauvais traitements à l’auteur. Pendant cette période de temps, l’auteur a continué d’adresser des requêtes qui ont été rejetées par le Bureau du Procureur de la République Tatarstan et par le Procureur général de la Fédération de Russie. Le Comité fait observer que les recours ont excédé des délais raisonnables et considère, par conséquent, que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

10.5Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte relativement à l’examen des preuves et à l’audition des témoins pendant le procès. Il relève, en particulier, que l’auteur conteste la condamnation qui a été prononcée à son endroit et l’appréciation de son alibi et des éléments de preuve matériels ainsi que l’audition des témoins à décharge et la prise en considération de leurs déclarations. À cet égard, le Comité note qu’il ressort des éléments versés au dossier que le juge avait appliqué le droit interne quand il avait examiné les preuves et entendu les témoins en question. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux tribunaux des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve, ou d’appliquer la législation nationale, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation sont de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou représentent un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité note que les éléments dont il est saisi en l’espèce ne lui permettent pas de conclure que l’examen des éléments de preuve et l’audition des témoins par le tribunal avaient un caractère arbitraire au regard de l’appréciation des preuves ou représentaient un déni de justice. Il déclare en conséquence cette partie de la communication insuffisamment étayée et irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas été autorisé à présenter personnellement sa défense devant le tribunal et que son droit de se défendre a donc été violé. Le Comité relève toutefois que l’auteur était présent et qu’il a été représenté par un conseil tout au long de la procédure, qu’il était informé de ses droits procéduraux et n’a pas demandé à participer personnellement aux débats, que son conseil a présenté les arguments de la défense et que lui-même a eu la possibilité de prendre la parole en dernier. Le Comité considère par conséquent que cette partie du grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7Le Comité considère que les faits exposés dans la communication soulèvent des questions au regard de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Il déclare recevables les griefs tirés de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et procède par conséquent à leur examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité prend note des allégations détaillées de l’auteur, qui affirme que des policiers et enquêteurs l’ont torturé lors de son arrestation et pendant sa détention provisoire afin de lui extorquer des aveux. Il relève également que, le 4 juin 2009, l’auteur a été examiné par des médecins qui ont constaté qu’il présentait des lésions corporelles et les ont attestées. Le Comité note qu’à cet effet, l’auteur a soumis un certificat médical daté du 5 juin 2009 décrivant ses blessures, en particulier aux épaules et au genou gauche. Il prend note de l’expertise médicale concluant que des blessures avaient été infligées avec un objet contondant et qu’elles ne pouvaient pas avoir résulté d’une simple chute (l’auteur a dit être tombé dans la rue une semaine auparavant, se blessant à l’épaule droite et aux genoux). Il constate en outre que l’État partie rejette les allégations de l’auteur et affirme que les blessures avaient été subies antérieurement et que le tribunal de première instance avait considéré la mauvaise santé de l’auteur comme une circonstance atténuante. Il prend également note des deux certificats médicaux datés de novembre 2010 indiquant que l’auteur souffrait de problèmes de santé et de plusieurs maladies chroniques, notamment d’hypertension. Pour ce qui est de l’obligation de l’État partie d’enquêter comme il se doit sur les allégations de torture formulées par l’auteur, le Comité, rappelant sa jurisprudence, réaffirme que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Il note que les éléments versés au dossier ne lui permettent pas de conclure que les allégations de torture ont fait sans délai l’objet d’une enquête efficace. Compte tenu de ce qui précède, le Comité constate que les droits que l’auteur tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ont été violés du fait de l’absence d’enquête effective sur les allégations de torture formulées par l’intéressé.

11.3Le Comité prend note également des griefs de l’auteur, selon qui le tribunal a utilisé la déclaration à charge du principal accusé et témoin, « At. », qui aurait été obtenue sous la torture, et sur laquelle l’intéressé serait ultérieurement revenu pendant l’audience. Il note en outre que l’État partie n’a pas contesté l’argument selon lequel, lors du procès de l’auteur, un poids décisif avait été accordé à la déposition de ce témoin, sans qu’il soit tenu compte du fait que celle-ci aurait été arrachée sous la torture. Compte tenu des renseignements dont il dispose, le Comité observe que le tribunal de première instance n’a pas tenu compte du fait que le témoin en question était revenu sur sa déclaration à charge contre l’auteur, ni de la description détaillée des actes de torture dont il a fait l’objet durant l’interrogatoire préliminaire, et s’est au contraire appuyé uniquement sur la déclaration que le témoin avait faite pendant la phase de l’instruction. Il ressort des notes de l’audience que le tribunal a en outre rejeté sans les examiner au fond les allégations de l’auteur concernant des « violations substantielles de ses droits pendant l’enquête préliminaire » et sa requête incidente tendant à ce que soit rendue une ordonnance visant expressément l’enquêteur « Sh. ». Compte tenu de ce qui précède, le Comité constate que les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les informations dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres : a) de faire procéder à une enquête approfondie et efficace sur les allégations de torture de l’auteur et, si ces allégations sont confirmées, de poursuivre, juger et punir les responsables de ces actes ; b) d’accorder une indemnisation à l’auteur pour les violations subies. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je regrette de ne pouvoir partager pleinement le raisonnement de la majorité du Comité, selon qui l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

2.L’auteur affirme à plusieurs reprises avoir été victime de torture, mais l’analyse de ces allégations dans le détail fait naître des doutes quant à leur crédibilité, en particulier à la lumière des observations de l’État partie, selon qui l’auteur n’a pas soulevé de grief relatif à des actes de torture et à des mauvais traitements pendant le procès devant le tribunal de district Sovetskiy de Kazan ni dans son pourvoi en annulation devant la Cour suprême du Tatarstan. Au lieu de quoi, l’auteur a soulevé ces griefs pour la première fois dans sa demande de contrôle, en novembre 2010, soit un an et demi après que les actes allégués se seraient produits et alors qu’il aurait été très difficile de les confirmer par un examen médico-légal (voir par. 4.1 et 4.2 des constatations).

3.L’auteur affirme avoir été roué de coups pendant plusieurs jours à compter du 1er juin 2009 (voir par. 2.1 et 2.2). Or, le 5 juin 2009, censément après quatre jours de coups violents, un expert médico-légal a établi un certificat médical contenant des informations détaillées sur les lésions corporelles que présentait l’auteur (voir par. 2.5, note 6) et estimant que ces lésions avaient été causées, pour certaines, entre deux à cinq jours avant l’examen et, pour les autres, entre quatre à huit jours avant celui-ci. Dans ce document, l’auteur affirme qu’il a été arrêté par la police mais que les policiers n’ont pas fait usage de violence physique, et il ne formule pas de plainte. Il déclare également être tombé dans la rue une semaine avant son arrestation et s’être blessé à l’épaule gauche et aux genoux (voir note 6 et paragraphe 5.1).

4.L’auteur affirme en outre que, le 3 juin 2009, il a été victime d’une crise cardiaque en conséquence de ces violences (voir par. 2.3). L’État partie le confirme et note que l’auteur, lors de son écrou au centre de détention provisoire (le 11 juin 2009), a subi un examen médical et on lui a diagnostiqué une « pression sanguine élevée (hypertension), une ischémie cardiaque et une syncope orthostatique ». Du fait de ces diverses pathologies, l’auteur a été hospitalisé et a reçu les traitements nécessaires (voir par. 8.2). De plus, dans la décision de ne pas ouvrir d’enquête pénale contre des policiers qu’il a rendue le 28 août 2011, le Département des affaires intérieures de Kazan indique qu’un médecin et son assistant ont attesté que l’auteur présentait un traumatisme crânien antérieur et qu’il avait été hospitalisé dans le passé après avoir fait une crise cardiaque, qu’il s’était opposé à son hospitalisation et avait signé une déclaration à cet effet, qu’il ne présentait aucune trace de violence physique et qu’il n’avait formulé aucune plainte à cet égard (voir note 4).

5.L’auteur affirme aussi avoir été transféré en août 2009 à l’hôpital pénitentiaire de Kazan et y avoir passé un mois. De retour au centre de détention, il a de nouveau été frappé violemment à plusieurs reprises lors d’interrogatoires. En conséquence, il a été victime d’une défaillance viscérale, a développé plusieurs maladies et souffre d’une incapacité partielle (voir par. 2.7). Toutefois, les certificats médicaux datés des 9 et 11 novembre 2010 indiquent que l’auteur souffre d’hypertension, d’une pancréatite chronique et de néphroptose, que l’on peut difficilement qualifier de conséquence directe de la torture. Des certificats médicaux ont également confirmé son incapacité partielle.

6.En outre, l’auteur affirme qu’il s’est plaint pendant le procès devant le tribunal du district Sovetskiy de Kazan des violences et mauvais traitements qu’il avait subis (voir par. 6.1). Cependant, d’après les notes d’audience du 25 décembre 2009, l’auteur n’a pas fourni de description détaillée des actes illégaux qui auraient été commis contre lui (voir note 19). Il s’est plaint de violences physiques et de torture début 2010, soit trois mois après le verdict de décembre 2009, ou neuf mois après sa détention et les coups qu’il aurait subis (voir par. 6.1).

7.L’auteur, qui a été reconnu coupable de vol à main armée et de coups et blessures avec préméditation et condamné à une peine de onze ans d’emprisonnement (voir par. 2.11), est en mauvaise santé. Cela étant, la question qui se pose est celle de savoir si cet état résulte, comme l’auteur l’affirme (voir par. 6.5), des actes de torture subis, ou s’il est la conséquence d’une constitution qui préexistait à sa détention.

8.L’État partie soutient qu’il n’existe pas de données objectives à l’appui des allégations de torture au cours de l’enquête préliminaire (voir par. 4.4). Le Procureur général a examiné les plaintes de l’auteur et y a apporté des réponses argumentées par plusieurs lettres (voir par. 8.1). Par la suite, l’ouverture d’une autre enquête pénale a été refusée à l’issue d’un examen préliminaire, décision qui a ensuite été annulée (voir par. 8.3).

9.L’État partie a réfuté de manière convaincante les allégations de torture présentées par l’auteur, de sorte qu’il est difficile de souscrire à la conclusion du Comité, selon qui l’État partie n’a pas mené sans délai d’enquête efficace sur les allégations de torture (voir le paragraphe 11.2). Si aucun signe crédible de torture n’était visible, pourquoi aurait-il fallu mener des enquêtes ? De fait, l’État a mené de telles enquêtes.

10.J’aurais donc conclu que cette partie de la communication (grief tiré de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte) n’avait pas été suffisamment étayée par l’auteur.

11.En ce qui concerne les éléments de preuve factuels, plusieurs organes ont décidé de rejeter en appel les allégations de l’auteur (voir par. 2.11 à 2.13). Ces décisions comprenaient des analyses détaillées des éléments de preuve produits au cours du procès, et les organes en question ont conclu qu’il n’y avait pas eu violation des garanties d’une procédure régulière. À aucun moment, en première instance ou dans le cadre du pourvoi en annulation, il n’a été mentionné que l’auteur avait été torturé ou victime de violations des garanties d’un procès équitable (voir note 14 et par. 4.1 et 4.3).

12.En ce qui concerne les plaintes contre des policiers, les autorités ont chaque fois examiné les allégations de l’auteur et les ont chaque fois rejetées (voir par. 2.14 à 2.20), non seulement parce qu’elles ont estimé que les lésions corporelles que présentait l’auteur étaient antérieures à son arrestation (voir par. 2.18), mais aussi parce que l’existence d’aucun élément constitutif d’une infraction n’a été établie (voir par. 2.19). Il n’est pas rare que, au cours d’une enquête criminelle, les accusés tentent de compromettre la crédibilité des enquêteurs de la police en les accusant de torture ou de mauvais traitements.

13.L’État partie renvoie à la décision de la Cour suprême,pourqui« la culpabilité de l’auteur est pleinement établie par les preuves recueillies, qui sont examinées en détail et analysées avec justesse dans le verdict » (voir par. 4.3 et 4.4), et considère que les plaintes de l’auteur ont été dûment examinées (voir par. 8.1 à 8.3). L’auteur n’est pas représenté par un conseil devant le Comité et risque donc de ne pas comprendre comment les instances judiciaires successives ont soigneusement analysé et réfuté ses arguments. Àla lumière de ce qui précède et contrairement aux conclusions du Comité (voir par. 11.3), j’aurais donc conclu que le grief que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte était également insuffisamment étayé.