Nations Unies

CCPR/C/128/D/2707/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 mai 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2707/2015 * , * *

Communication présentée par :

Saodat Kulieva (représentée par un conseil, Gulchekhra Kholmatova)

Victime(s) présumée(s):

L’auteure et son fils Khurshed Bobokalonov (décédé)

État partie :

Tadjikistan

Date de la communication :

23 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

10 mars 2020

Objet :

Torture et décès du fils de l’auteure pendant sa garde à vue

Question(s) de procédure :

Aucune

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture ; enquête rapide et impartiale

Article(s) du Pacte :

6 et 7, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a))

Article(s) du Protocole facultatif :

Aucun

1.L’auteure de la communication est Saodat Kulieva, de nationalité tadjike, née en 1954. Elle présente la communication en son nom et au nom de son fils, Khurshed Bobokalonov, également de nationalité tadjike, né en 1976 et décédé en 2009. Elle affirme que le Tadjikistan a commis, à l’égard de son fils, une violation des droits garantis aux articles 6 et 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)), et, à son égard, une violation des droits garantis par l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 avril 1999. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 27 juin 2009, vers 22 heures, le fils de l’auteure revenait de la salle de sport, portant un sac. Sur l’avenue Rudaki, il a été arrêté par une patrouille de police. Les policiers lui ont demandé de leur montrer le contenu du sac. Comme il a refusé, une bagarre a éclaté entre lui et une dizaine de policiers. Les policiers l’ont alors fait monter de force dans un véhicule de police et l’ont conduit au Département des affaires intérieures du district Ismoil Somoni à Douchanbé (Tadjikistan).

2.2Le 28 juin 2009, vers 14 heures, l’auteure a reçu un appel de sa belle-fille, l’informant du décès de de son fils. Lorsqu’elle est arrivée à la morgue, un représentant du Bureau du Procureur du district Ismoil Somoni l’a informée que son fils était ivre et qu’il était mort des suites de vomissements. L’auteure n’a pas été autorisée à voir le corps car l’examen médical devait encore être effectué. Elle a demandé en vain des éclaircissements au Département des affaires intérieures du district Ismoil Somoni, où son fils avait été emmené la veille au soir, mais elle n’a pas été autorisée à pénétrer dans le bâtiment.

2.3Plus tard ce même jour, elle a pu entrer dans les locaux de la police, où elle a retrouvé deux amis de son fils, qui avaient été témoins de son arrestation et l’avaient accompagné. Ils avaient tous été embarqués dans le véhicule de police, mais placés dans des compartiments différents. Lorsque les policiers ont fait sortir le fils de l’auteure du véhicule, ses amis ont vu que ses lèvres étaient bleues et qu’il tremblait, et il a commencé à vomir. Le fils de l’auteure est mort avant l’arrivée de l’ambulance. L’auteure estime que les amis en question ont été contraints de faire de faux témoignages car, après le décès de son fils, ils ont évité de la croiser ou de lui parler, même pendant les funérailles.

2.4En outre, lorsque le corps de son fils a été ramené à la maison, l’auteure a vu qu’il était couvert d’énormes hématomes et ecchymoses, notamment des abrasions sur le nez, la tempe et le menton et des hématomes à la tête. Lorsque la toilette du corps a été faite, des membres de la famille et un ami du fils de l’auteur, qui étaient présents, ont pu observer que le défunt portait de nombreuses ecchymoses sur tout le corps, qu’il avait le visage bleu et qu’il présentait deux entailles faites à l’aide d’un objet tranchant, l’une sur le menton et l’autre dans le dos. Les jambes et les pieds portaient de nombreuses marques de coups, le fils de l’auteure ayant tenté d’empêcher les policiers de l’embarquer en les repoussant avec les jambes. Le 30 juin 2009, l’auteure a reçu les vêtements de son fils et a découvert qu’ils étaient sales, déchirés, mouillés et tachés de sang.

2.5D’après les résultats de l’examen médico-légal du 28 juin 2009, le fils de l’auteure est mort d’asphyxie due à des vomissements. L’auteure a contesté ces conclusions et, le 2 juillet 2009, elle a demandé au Bureau du Procureur général d’ouvrir une enquête sur les circonstances de la mort de son fils. Sa plainte a été transmise au Bureau du Procureur du district Ismoil Somoni qui, le 6 juillet 2009, a engagé des poursuites pénales en application de l’article 108 2) (homicide involontaire) du Code pénal tadjik. Le 21 août 2009, l’auteure a demandé au Bureau du Procureur général de l’informer des résultats de l’enquête et de lui fournir une copie du rapport médico-légal. Le Bureau du Procureur général a toutefois refusé de lui fournir le rapport médico-légal car l’examen avait été effectué dans le cadre de l’enquête et était par conséquent considéré comme un acte d’enquête. L’auteure n’a reçu le rapport que le 28 août 2009.

2.6Le 5 septembre 2009, l’enquête a été suspendue car aucun auteur présumé n’avait été identifié. Le conseil de l’auteure n’a pu étudier le dossier pour la première fois que deux mois plus tard, le 4 novembre 2009. Entre mai et septembre 2011, le dossier a été ouvert à trois reprises mais classé faute d’éléments matériels. L’auteure soutient qu’elle n’a pas été informée des résultats de l’enquête. L’affaire pénale a été rouverte le 16 novembre 2011 à la suite de la plainte déposée par l’auteure auprès du Bureau du Procureur général concernant l’inefficacité de l’enquête. Au cours de l’enquête, un deuxième examen médico-légal a été effectué. L’auteure affirme que, alors que les résultats de cet examen étaient disponibles en mai 2012, son conseil n’a pu consulter le rapport qu’en août 2012. D’après les résultats du deuxième examen médico-légal, le fils de l’auteure est décédé des suites d’une insuffisance cardiaque. L’auteure conteste ces conclusions parce que son fils n’a jamais eu de problèmes cardiaques. Elle affirme également que les résultats des analyses de sang de son fils étaient manquants et qu’il n’a pas été possible d’établir à qui appartenait le sang retrouvé sur les vêtements du défunt. La police n’a pas expliqué pourquoi les résultats des analyses de sang avaient disparu. Le 25 juillet 2012, l’affaire a été classée faute d’élément matériel. Le 27 juillet 2012, l’auteure a fait appel de la décision auprès du Bureau du Procureur général mais a été déboutée. Le même jour, elle a fait appel devant le tribunal de district Ismoil Somoni, qui n’a toujours pas statué. La plainte de l’auteure n’a jamais été examinée par aucune instance internationale ou régionale.

2.7L’auteure souligne qu’avant que son fils ne soit appréhendé par la police, il n’avait pas d’antécédents médicaux et ne présentait pas de lésions corporelles. Pourtant, lorsqu’il est descendu du véhicule en arrivant au poste de police, il était couvert d’ecchymoses et il est décédé peu après. Ces éléments, auxquels s’ajoute le fait que le fils de l’auteure ait été séparé de ses amis pendant le transport montrent que la police est impliquée dans la mort du fils de l’auteure. L’auteure affirme que les lésions constatées sur le corps du défunt portent à croire que son fils a été torturé et soumis à des traitements inhumains et dégradants ayant causé sa mort. Elle fait valoir que, selon les conclusions du Comité dans l’affaire Eshonov c. Ouzbékistan, un décès survenu pendant tout type de détention doit être considéré à première vue comme une exécution sommaire ou arbitraire, et une enquête approfondie et impartiale doit être menée dans les plus brefs délais pour confirmer ou écarter cette présomption, en particulier dans les cas où des plaintes déposées par la famille ou des informations dignes de foi donnent à penser qu’il s’agit d’un décès non naturel.

2.8L’auteure observe que, pendant plus de cinq ans, l’État partie n’a pas mené d’enquête impartiale et approfondie sur la mort de son fils. Elle souligne aussi que, pendant cette période, elle a eu un accès très limité au dossier. Elle considère que la police est impliquée dans la destruction de preuves, comme les prélèvements de sang de son fils.

2.9L’auteure explique que, depuis cinq ans, elle vit dans un état de stress psychologique constant, puisque aucune enquête effective n’a jamais été menée sur la mort de son fils et qu’elle n’a jamais été informée des différents actes d’enquête.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits reconnus à son fils par les articles 6 et 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)). Elle affirme également que l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus par l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)). Elle renvoie à la jurisprudence du Comité dans Telitsina c. Fédération de Russie et à l’observation générale no 31 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte pour appuyer l’argument selon lequel le fait de ne pas mener une enquête approfondie sur le décès de son fils en détention constitue une violation de l’article 6, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.2L’auteure prie le Comité d’obliger l’État partie à mener une enquête impartiale sur les faits relatifs à la mort de son fils, à l’indemniser du préjudice moral subi et à lui assurer une réadaptation adéquate.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 17 février 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que le Bureau du Procureur général a examiné la plainte de l’auteure concernant le décès de son fils. L’enquête a montré que le 27 juin 2009 à 23 heures à Douchanbé, l’unité du cortège gouvernemental escortait la voiture du Président et sécurisait l’itinéraire avec l’aide de la police. Au même moment, le fils de l’auteure, qui était ivre et en infraction à la législation relative à l’ordre public, a commencé à tenir des propos obscènes à l’intention des agents de la force publique. Afin d’établir son identité et de faire la lumière sur les raisons de son comportement, les policiers l’ont appréhendé et l’ont fait monter dans un véhicule de police pour le conduire au commissariat de police du district Ismoil Somoni. À l’arrivée du véhicule au commissariat, il a été établi que le fils de l’auteure était mort pendant le transport.

4.2Le rapport d’expertise médico-légale du 28 juin 2009 a établi que la cause du décès était une asphyxie mécanique provoquée par l’obstruction des voies respiratoires due à des vomissements. Néanmoins, le 6 juillet 2009, le Bureau du Procureur du district Ismoil Somoni a engagé des poursuites pénales fondées sur des soupçons d’homicide involontaire afin de clarifier toutes les circonstances de l’affaire. L’affaire a ensuite été suspendue à plusieurs reprises car aucun responsable présumé n’avait été identifié.

4.3En novembre 2011, le Bureau du Procureur général a relancé la procédure et nommé une commission d’examen médico-légal. D’après les conclusions rendues par cette commission le 3 avril 2012, le fils de l’auteure serait en fait décédé des suites d’une arythmie cardiaque sévère.

4.4L’État partie affirme que le fils de l’auteure souffrait depuis toujours d’une maladie cardiaque. Les facteurs qui ont contribué à l’aggravation brutale de l’arythmie sévère ont été les suivants : a) un accroissement excessif de l’afflux sanguin dû à la consommation de grandes quantités de liquide avant le décès (selon les déclarations de témoins, le fils de l’auteure et deux de ses amis ont bu ensemble plus de 30 verres de bière ce jour-là) ; b) une fatigue physique (ce soir-là, le fils de l’auteure s’était entraîné à la salle de sport, puis avait bu de la bière et avait résisté à six ou sept policiers qui essayaient de le faire monter dans le véhicule de police) ; c) le stress ; d) l’enfermement du fils de l’auteure pendant cinq ou six minutes dans l’espace confiné du compartiment spécial du véhicule de police, tandis qu’il était conduit au commissariat de police du district Ismoil Somoni.

4.5D’après les conclusions de la commission d’examen médico-légal, il n’a pas été possible d’établir avec précision lequel des facteurs susmentionnés a causé la mort du fils de l’auteure. L’État partie affirme que les lésions externes constatées sur son corps (égratignures) étaient sans rapport avec son décès et pourraient résulter de la résistance qu’il a opposée aux policiers qui tentaient de l’arrêter et de le faire monter dans le véhicule de police.

4.6L’État partie explique qu’au cours de l’enquête pénale, de nombreux témoins, y compris les amis du fils de l’auteure, qui l’ont accompagné au Département des affaires intérieures du district Ismoil Somoni, ont été interrogés. Tous ont nié avoir vu des policiers infliger délibérément au fils de l’auteure des souffrances physiques et mentales, c’est-à-dire des actes de torture.

4.7Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que la décision des autorités de suspendre l’enquête sur la mort du fils de l’auteure faute d’élément matériel était une décision juridiquement fondée.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 20 avril 2016, l’auteure a rejeté les arguments de l’État partie et contesté que son fils ait été ivre le jour des faits. Dans son rapport du 3 avril 2012, la commission d’expertise médico-légale a déclaré qu’il avait bu 30 verres de bière avec des amis. Or, le premier rapport médico-légal, daté du 28 juin 2009, indiquait qu’en l’absence de chromatographe gaz-liquide (appareil permettant de déterminer la quantité d’alcool dans le sang et d’autres liquides organiques), il n’était pas possible de déterminer la concentration d’alcool dans le sang. Par conséquent, l’auteure conteste la crédibilité des informations fournies par l’État partie selon lesquelles son fils était ivre. Le rapport médico-légal indiquait qu’à l’autopsie, une odeur d’alcool se dégageait du corps, mais ne fournissait aucune autre information à cet égard.

5.2En outre, l’État partie renvoie aux déclarations de nombreux témoins qui ont nié qu’il ait été volontairement porté atteinte à la santé du fils de l’auteure. Au cours de l’enquête, les policiers et les deux amis du fils de l’auteure ont été interrogés. La nuit du décès du fils de l’auteure, les deux amis sont restés au commissariat jusqu’au matin. Personne, y compris l’auteure, n’a été autorisé à les voir et à leur parler. Le conseil de l’auteure affirme que ces éléments portent à croire que les deux amis ont subi des menaces ou des pressions pour qu’ils nient que le fils de l’auteure ait été maltraité.

5.3Au moment des faits, de nombreux autres témoins, inconnus de l’auteure, étaient présents sur les lieux. Le conseil de l’auteure fait valoir que l’État partie avait l’obligation légale de mener une enquête efficace et d’identifier, de retrouver et d’interroger ces témoins, mais qu’il ne l’a pas fait.

5.4L’auteure a écrit à plusieurs journaux pour demander à toutes les personnes présentes au moment des faits de témoigner. Le matin suivant la tragédie, des policiers se sont rendus dans la cour de la maison où avaient eu lieu les faits et ont intimé l’ordre à tous les témoins de garder le silence. Un jeune homme qui prenait des photos de l’incident avec son téléphone portable s’est vu interdire sous la menace de publier les clichés et il n’a jamais été revu. Après de nombreuses requêtes de la part de l’auteure et de son conseil, un seul témoin (H., une femme qui se trouvait dans la cour) a été interrogée et a déclaré que le fils de l’auteure n’avait pas opposé de résistance aux policiers et ne les avait pas insultés. Ces déclarations n’ont toutefois pas été prises en considération.

5.5L’auteure réaffirme que les allégations de l’État partie selon lesquelles son fils, sous l’emprise de l’alcool et en infraction à la législation relative à l’ordre public, a tenu des propos obscènes à l’encontre des policiers, constituent pour elle une nouvelle victimisation et la blessent profondément. Le fils de l’auteure, intellectuel élevé dans la tradition du patriotisme et dévoué à sa famille, est présenté par l’État partie comme un délinquant, un ivrogne et un fauteur de troubles. De plus, non seulement les enquêteurs n’ont pas pris en considération le témoignage de H., mais ils n’ont pas non plus cherché à interroger l’employeur du fils de l’auteure, ses collègues, ses voisins, son entraîneur, ses amis et ses connaissances afin d’obtenir des renseignements sur la personnalité de l’intéressé et de les prendre en compte. Ces témoignages auraient donné une image positive du fils de l’auteure.

5.6L’auteure conteste également l’explication de l’État partie selon laquelle les lésions externes subies par son fils sont sans rapport avec son décès. Le 28 juin 2009, lorsque le corps a été ramené au domicile, il apparaissait clairement que son fils avait été battu. Son corps était couvert d’ecchymoses : des hématomes sur la tête et des abrasions sur le nez, la tempe et le menton. La toilette du défunt a été faite par des parents proches et un ami du défunt, qui ont tous vu les nombreuses contusions sur le torse. Le visage était entièrement bleu et le menton avait été entaillé à l’aide d’un objet tranchant. Une coupure similaire était visible dans le dos du défunt. Les jambes et les pieds portaient les traces de coups violents. Des taches de sang lavées étaient encore visibles sur les vêtements du fils de l’auteur, ce qui montre aussi qu’on avait lavé les vêtements afin de faire disparaître les taches de sang. Lorsque l’auteure a pris possession des vêtements de son fils après sa mort, ils étaient humides. L’auteure souligne en outre que les résultats de l’analyse de sang de son fils ont été détruits et qu’il est devenu impossible de savoir à qui appartiennent les taches de sang retrouvées sur ses vêtements.

5.7En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle, d’après les examens réalisés, le fils de l’auteure souffrait d’une maladie cardiaque, l’auteure note que l’État partie n’a fourni aucune information sur la date de l’examen ni sur les personnes qui l’ont réalisé. Elle explique que son fils n’a jamais souffert d’une maladie cardiaque grave. Il était lui-même médecin, sportif et faisait attention à sa santé. À des fins de réexamen, l’auteure a fourni les résultats d’un examen effectué peu avant le décès de son fils, qui indiquaient que celui-ci était en bonne santé. Elle affirme que les coups infligés à son fils par les policiers ont provoqué une crise d’arythmie qui a entraîné la mort.

5.8Compte tenu de ce qui précède, l’auteure réaffirme que l’État partie a violé les droits reconnus à son fils par les articles 6 et 7, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, et les droits qu’elle-même tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte. Elle essaye depuis longtemps d’amener les personnes responsables à rendre compte de leurs actes, ce qui a gravement nuit à sa santé. Elle se dit dévastée par la réponse cynique de l’État partie et par la déformation des faits, qui a provoqué chez elle une grave détresse émotionnelle.

Observations supplémentaires des parties

6.1Dans une note verbale datée du 2 décembre 2016, l’État partie a répété ses observations initiales.

6.2Le 4 mai 2017, l’auteure a fait remarquer que, dans les faits, l’État partie avait répété ses observations du 17 février 2016. En conséquence, elle renvoie à sa communication initiale et à ses commentaires en date du 20 avril 2016.

6.3Dans une note verbale datée du 4 août 2017, l’État partie a de nouveau répété ses observations initiales.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à ce sujet, il considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont réunies.

7.4De l’avis du Comité, l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire des articles 6 et 7, lus séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, en ce qui concerne son fils, et de l’article 7, lu séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, en ce qui la concerne personnellement. Par conséquent, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité note que l’auteure affirme que son fils est décédé à la suite des mauvais traitements et des actes de torture qui lui ont été infligés par des policiers le 27 juin 2009. Il note également que deux examens médico-légaux ont été effectués. D’après les résultats du premier, le décès résulte d’une asphyxie mécanique provoquée par l’obstruction des voies respiratoires due à des vomissements, tandis que, selon les résultats du second, la cause du décès est une arythmie cardiaque sévère. Le Comité note que l’État partie conteste toute allégation de torture, tout en fournissant deux explications différentes concernant les circonstances de la mort du fils de l’auteure et en affirmant que celui-ci souffrait d’une maladie cardiaque. Il note également que l’État partie ne conteste pas la présence de lésions corporelles externes et admet qu’elles pourraient être dues à la résistance opposée par le fils de l’auteure aux policiers, mais qu’il affirme que ces « égratignures » sont sans rapport avec le décès. Il observe toutefois que l’État partie ne fournit pas de preuves documentaires appropriées à l’appui de ses affirmations. Il note que l’État partie ne lui a pas communiqué les résultats de l’enquête relative au décès du fils de l’auteure. Ainsi, l’État partie dit avoir interrogé de nombreux témoins mais n’a pas communiqué les résultats de ces interrogatoires. En outre, on ne sait pas bien si les autorités de l’État partie ont interrogé l’auteure ainsi que les membres de la famille et l’ami qui ont constaté que le corps du défunt présentait de nombreux signes de mauvais traitements graves et de torture. Le Comité note également que l’État partie admet que le fils de l’auteure a été mis de force dans le véhicule de police par six ou sept policiers. L’État partie ne conteste pas les allégations de l’auteure selon lesquelles un témoin oculaire aurait déclaré que le fils de l’auteure n’avait pas résisté et n’avait pas insulté les policiers lors de son arrestation et qu’il n’a pas été donné suite à ce témoignage.

8.3Le Comité note que l’auteure affirme que les mauvais traitements et les actes de torture subis par son fils pendant son arrestation et son transport dans le véhicule spécial de la police ont entraîné la privation arbitraire de la vie de l’intéressé, en violation des principes exposés par le Comité dans Eshonov c. Ouzbékistan. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il incombe aux États parties de protéger la vie des personnes qu’ils arrêtent et placent en détention, et que l’ouverture d’une enquête judiciaire et l’engagement de poursuites sont des mesures nécessaires en cas de violation de droits de l’homme tels que ceux qui sont garantis par l’article 6 du Pacte. Il rappelle en outre son observation générale no 31, dans laquelle il a déclaré que, lorsque les enquêtes révèlent la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, tels que ceux énoncés aux articles 6 et 7, les États parties doivent veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. Bien que l’obligation de traduire en justice les responsables de violations des articles 6 et 7 soit une obligation de moyens et non une obligation de résultats, les États parties doivent enquêter de bonne foi, sans délai et de manière approfondie sur toutes les allégations de violations graves du Pacte formulées contre eux et contre leurs autorités.

8.4Le Comité rappelle en outre que la charge de la preuve concernant les questions factuelles ne saurait incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations nécessaires. À cet égard, il prend note en particulier de l’affirmation de l’auteure, non contestée par l’État partie, selon laquelle les résultats des analyses de sang de son fils ont été détruits par la police, ce qui a rendu impossible de déterminer à qui appartenait le sang relevé sur ses vêtements. Il prend également note de la déclaration de l’auteure, non contestée par l’État partie, selon laquelle elle a eu un accès limité au dossier de l’enquête et n’a pas pu consulter les documents concluant que son fils souffrait d’une maladie cardiaque. Il note à cet égard que l’auteure, en revanche, a fourni à des fins de réexamen les résultats d’un examen médical effectué peu avant le décès de son fils, qui indiquaient que celui-ci était en bonne santé.

8.5Le Comité conclut qu’au vu de l’incapacité de l’État partie à s’appuyer sur une enquête adéquate et probante pour contester les allégations de l’auteure selon lesquelles son fils est mort des suites des actes de torture qu’il a subis lorsqu’il était en garde à vue, et en l’absence d’autres informations pertinentes, les faits tels que présentés font apparaître une violation par l’État partie de l’article 6 (par. 1) et de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne les droits du fils de l’auteure.

8.6En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, au motif que l’État partie a manqué à son obligation de conduire une enquête en bonne et due forme sur la mort de son fils et ses propres griefs au titre de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, une enquête pénale suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par le paragraphe 1 de l’article 6 et l’article 7 du Pacte. Il note que l’enquête sur les allégations de torture et sur le décès du fils de l’auteure ne peut pas être considérée comme ayant été menée rapidement et efficacement, et qu’elle a été suspendue à plusieurs reprises. Il prend également note de l’affirmation non contestée de l’auteure selon laquelle celle-ci n’a reçu que très peu d’informations concernant l’enquête sur les actes de torture subis par son fils et son décès, et n’a pas pu consulter les documents concluant que son fils souffrait d’une maladie cardiaque. Il rappelle que, lorsque le dossier de l’affaire est inaccessible aux proches parents de la victime, l’enquête proprement dite ne saurait être considérée comme une enquête efficace susceptible de conduire à l’identification et la punition des responsables des événements en cause. Constatant que l’État partie n’a pas expliqué en quoi il était nécessaire de ne pas communiquer certaines informations à l’auteure et qu’aucun résultat concret de l’enquête n’a été révélé, compte tenu en particulier de la durée de la procédure, le Comité conclut que l’État partie n’a pas justifié son refus de fournir des informations pertinentes à l’auteure. Au vu de ces circonstances, le Comité conclut que l’État partie n’a pas lancé une enquête immédiate, impartiale et efficace sur les circonstances du décès du fils de l’auteure et sur les allégations selon lesquelles l’intéressé a été victime de torture et de mauvais traitements. Le Comité considère donc que l’État partie n’a pas fourni de recours utile pour les violations des droits reconnus au fils de l’auteure par les articles 6 (par. 1) et 7, lus seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte.

8.7Le Comité constate que, bien qu’au moment de la soumission de la communication plus de cinq années se soient écoulées depuis la mort du fils de l’auteure, ce décès survenu en détention dans des circonstances extrêmement suspectes n’a donné lieu à aucune inculpation, aucunes poursuites et aucun procès. Il comprend l’angoisse et la souffrance morale que continue de ressentir l’auteure, la mère du défunt, d’autant plus que la dernière plainte qu’elle a déposée auprès du tribunal de district Ismoil Somoni, concernant la clôture de l’enquête, reste sans réponse. Selon le Comité, cela constitue un traitement inhumain à l’égard de l’auteure, en violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits reconnus au fils de l’auteure par les articles 6 (par. 1) et 7, lus seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)), et des droits reconnus à l’auteure par l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)).

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures appropriées pour : a) faire procéder rapidement à une enquête efficace, approfondie, indépendante, impartiale et transparente sur les actes de torture subis par le fils de l’auteure et sur le décès de celui-ci, et de poursuivre et punir les responsables ; b) tenir l’auteure informée en tout temps des progrès de l’enquête ; c) accorder à l’auteure une réparation adéquate pour les violations subies par son fils et par elle-même, et la faire bénéficier de mesures de réadaptation appropriées. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.