Nations Unies

CCPR/C/123/D/2807/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

12 décembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2807/2016 * , ** , ***

Communication soumise par :

Miriana Hebbadj (représentée par un conseil, Roger Kallas)

Victime(s) présumée(s):

L’auteure

État partie :

France

Date de la communication :

3 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 mars 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

17 juillet 2018

Objet :

Droit à la liberté de religion ; traitement discriminatoire d’une religion et de ses adeptes

Question(s) de procédure :

Recevabilité − autre procédure internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de religion ou de conviction – non‑discrimination

Article(s) du Pacte :

18 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

5, par. 2 a) et b)

1.1L’auteure de la communication est Miriana Hebbadj, de nationalité française, née en 1974. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 18 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 17 mai 1984. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 22 Septembre 2017, en application de l’article 97 (par. 3) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a informé l’État partie et l’auteure de sa décision d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est musulmane et porte le niqab (voile intégral). Le 21 novembre 2011, elle a été contrôlée dans la rue à Nantes, vêtue de son niqab. Elle a ensuite été poursuivie et reconnue coupable de l’infraction de port d’une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public.

2.2L’auteure a été reconnue coupable le 26 mars 2012 et condamnée par le tribunal de proximité de Nantes au paiement d’une amende de 150 euros, correspondant à la peine maximale encourue pour cette infraction, définie par la loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010. L’article premier de ladite loi dispose que nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. L’article 2, qui en donne le champ d’application, dispose que l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. Il précise que l’interdiction ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.

2.3L’article 3 de la loi no 2010-1192 prévoit les peines encourues pour la commission de cette infraction, soit l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe, et/ou l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté. Cette loi a également établi l’infraction, plus grave, de dissimulation forcée du visage, inscrite à l’article 225-4-10 du Code pénal, selon lequel, le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deuxans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende.

2.4L’auteure conteste, sur le fondement de l’article 18 du Pacte, l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public qui prive les femmes désireuses de porter le voile intégralde la possibilité de le faire.

2.5S’agissant des démarches effectuées, la décision du tribunal de proximité n’étant pas susceptible d’appel, l’auteure a formé un pourvoi devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Elle a soutenu à cette occasion que la loi no 2010-1192, qui interdit le port d’une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public et constitue la base légale de l’infraction dont elle a été déclarée coupable, est contraire à l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), qui protège le droit de manifester sa religion. Sur le fond, elle a également soutenu que la loi no 2010-1192 avait un caractère discriminatoire, invitant la Cour de cassation à déterminer si elle ne portait pas « une atteinte au pluralisme, en discriminant une pratique minoritaire de la religion musulmane ».

2.6La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dans un arrêt du 3 avril 2013, au motif que « faute d’avoir été proposé devant le juge du fond, le moyen pris de la violation de la Convention européenne des droits de l’homme, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable. » Cette décision est définitive. L’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes.

2.7L’auteure fait observer qu’elle n’était pas assistée par un conseil devant le tribunal de proximité de Nantes ; qu’il s’agit d’une procédure très rapide, menée par un juge unique qui n’est en général même pas un juge professionnel ; et que la procédure n’est pas susceptible d’appel, ce qui ne lui laisse aucune chance de faire valoir des arguments concernant sa liberté religieuse et le caractère discriminatoire de la loi no 2010-1192.

2.8L’auteure ajoute que la Cour de cassation, en retenant que « faute d’avoir été proposé devant le juge du fond, le moyen pris de la violation de la Convention européenne des droits de l’homme, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable, » a fait une application inexacte de l’article 619 du Code de procédure civile, qui prévoit que les moyens nouveaux ne sont pas recevables devant la Cour de cassation. Néanmoins, peuvent être invoqués pour la première fois, sauf disposition contraire : a) les moyens de pur droit ; b) les moyens nés de la décision attaquée.

2.9Selon l’auteure, puisque le moyen invoqué, à savoir l’incompatibilité d’une loi, est un « moyen de pur droit », sa contestation devant la Cour de cassation de l’interdiction du port du voile intégral était parfaitement recevable, même il s’agissait d’un moyen nouveau. L’auteure cite l’exemple du contrôle de constitutionalité a posteriori qui, selon la loi, depuis 2010, peut être effectuéau niveau du pourvoi en cassation pour la première fois Elle ajoute que l’appréciation in abstracto de la constitutionnalité une loi relève d’office du « pur droit », et ne tient aucun compte de circonstances propres à une affaire particulière. Selon l’auteure, il en va de même lorsque la conformité d’une loi interne à une obligation conventionnelle est appréciée avec le même degré d’objectivité.

2.10L’auteure demande donc au Comité de constater que sa demande ne saurait être déclarée irrecevable, puisque le moyen invoqué devant la Cour de cassation n’était pas mélangé de fait et de droit mais bien de « pur droit ».

2.11Le 24 juin 2013, l’auteure a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête tendant à faire constater la violation des articles 6 (par. 1) et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette requête a été déclarée irrecevable par la Cour, siégeant entre le 21 août 2014 et le 4 septembre 2014 en formation de juge unique, au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies.

Teneur de la plainte

3.1Selon l’auteure, l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public et le fait qu’elle ait été déclarée coupable d’avoir porté le niqab portent atteinte aux droits qu’elle tient des articles 18 et 26 du Pacte.

3.2Concernant l’article 18, le port du niqab ou de la burqa correspond au port d’un vêtement relevant d’une coutume pour une partie des fidèles musulmans. C’est un acte motivé par une croyance religieuse. Par conséquent, il relève de l’accomplissement d’un rite et de la pratique d’une religion, et la liberté de manifester sa religion est garantie par l’article 18 du Pacte, et ce, même si le port du niqab ou de la burqa n’est pas une prescription religieuse commune à l’ensemble des musulmans pratiquants. L’auteure se réfère à l’observation générale no 22 du Comité, qui affirme que l’accomplissement des rites, et de la pratique de la religion ou de la conviction peuvent comprendre des actes cérémoniels, mais aussi des coutumes telles que l’observation des prescriptions alimentaires, le port de vêtements ou de couvre-chefs distinctifs. Le port du niqab ou de la burqa correspond au port d’un vêtement relevant d’une coutume pour une partie des fidèles musulmans, est motivé par une croyance religieuse, et relève donc de l’accomplissement d’un rite et de la pratique d’une religion, et la liberté de manifester sa religion est garantie par l’article 18 du Pacte.

3.3Selon l’auteure, il est incontestable que l’État porte atteinte à la liberté religieuse des femmes musulmanes minoritaires qui portent le voile intégral (moins de 2 000 femmes seraient concernées d’après une étude réalisée sur ce point par une commission parlementaire). L’auteure rappelle à cet égard la réserve formulée par le Conseil constitutionnel français au sujet des lieux de culte, dans sa décision du 7 octobre 2010 : « L’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ». Selon l’auteure, il faut bien admettre, a contrario, que l’exercice de sa liberté religieuse dans tous les autres lieux de l’espace public a été restreinte par le législateur.

3.4L’auteure se réfère à la jurisprudence du Comité, notamment à Ranjit Singh c. France, une affaire dans laquelle le Comité a constaté une violation de l’article 18 pour une restriction portant atteinte à la liberté religieuse, lorsqu’une personne avait été photographiée tête nue aux fins du renouvellement d’un titre de séjour. Selon l’auteure, l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public constitue une atteinte similaire et même pire à sa liberté de religion, puisqu’elle est forcée d’apparaître en permanence sans son voile intégral.

3.5L’auteure ajoute que les restrictions apportées à l’article 18 n’ont pas été justifiées par des motifs permissibles, tels que ceux énoncés à l’article 18 (par. 3) du Pacte. Si les restrictions sont prévues par la loi, elles ne sont ni nécessaires ni proportionnelles au but poursuivi par la loi no 2010-1192. Et ce, avant tout parce que le but poursuivi n’a pas été clairement défini par le législateur. La loi no 2010-1192 ne comporte ni exposé des motifs, ni information sur ses fondements, et ni même une référence à la résolution parlementaire du 11 mai 2010, par laquelle l’Assemblée nationale a affirmé que le port du voile intégral était contraire aux principes de la République française. Un rapide examen de la genèse de ladite loi montre qu’elle était exclusivement justifiée par la volonté politique d’interdire, par principe, le port du voile intégral : elle n’avait donc aucun but légitime au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. L’absence de but légitime met à mal l’argument selon laquelle la loi était nécessaire.

3.6L’auteure ajoute que, même si un tel but était établi, cette restriction ne saurait être considérée comme nécessaire et proportionnée. L’État a affirmé que la loi no 2010-1192 poursuivait deux objectifs principaux : l’égalité entre les hommes et les femmes, et la protection de l’ordre public. Or, ces objectifs ne peuvent justifier une atteinte au droit de manifester sa religion.

3.7En premier lieu, l’objectif d’égalité entre les hommes et les femmes, en tant que tel, ne peut se rattacher à aucun des buts prévus à l’article 18 (par. 3) du Pacte. Or, dans son observation générale no 22 (1993) (par. 8), le Comité a établi que les motifs de restriction qui ne sont pas précisés au paragraphe 3 ne sont pas recevables. L’auteure ajoute qu’obliger une femme souhaitant porter le voile intégral à le retirer lorsqu’elle circule dans l’espace public revient à imposer un code vestimentaire aux femmes, et que les suppositions concernant leur attitude quant à l’inégalité des genres reposent uniquement sur les préjugés qu’ont certaines personnes sur le mode de vie de certaines populations. Aucune femme portant le voile intégral n’a jamais prôné l’inégalité homme-femme.

3.8S’agissant de la protection de l’ordre public, il s’agit du seul fondement juridique qui aurait pu être retenu si le législateur avait choisi, comme l’avaient proposé certains parlementaires, de limiter l’interdiction de porter le voile intégral dans certains lieux et à certaines occasions, ou d’établir une obligation de se découvrir temporairement à des fins d’identification. Or ce n’est pas le choix qu’a fait le Gouvernement français.

3.9L’auteure fait observer qu’il n’a jamais été prétendu que les femmes portant la burqa ou le niqab, au demeurant fort peu nombreuses, menaceraient la sécurité publique ou créeraient des troubles à l’ordre public. Si l’on peut légitimement défendre que, dans certaines circonstances particulières, on doit pouvoir identifier à visage découvert une personne qui évolue dans l’espace public, on ne saurait imaginer qu’une telle obligation de « dévoilement » puisse être permanente et absolue. Seules des restrictions précises, limitées pourraient être tolérées. Parce qu’elle est générale, l’interdiction édictée par la loi no 2010‑1192 ne peut être qualifiée de nécessaire à la protection de l’ordre public.

3.10En tout état de cause, l’interdiction n’est pas non plus proportionnée à son objectif, puisqu’elle est permanente et s’étend à tout l’espace public, et que sa violation constitue une infraction pénale. Le port du voile intégral − le mode de dissimulation du visage expressément visé par le projet et les débats ayant précédé l’adoption de cette loi − ne semble jamais pouvoir être autorisé en vertu des exceptions prévues à l’article 2.II de la loi.

3.11La Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt S. A. S. c. France, a écarté l’objectif de protection de l’ordre et de la sécurité publics invoqué par la France, au titre du principe de proportionnalité. L’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public n’est de ce fait pas nécessaire pour protéger l’ordre et la sécurité publics, dans la mesure où elle est manifestement disproportionnée à l’objectif déclaré.

3.12En ce qui concerne le grief tiré de l’article 26, l’auteure soutient que l’application de la loi no 2010-1192 était indirectement discriminatoire, en ce qu’elle compromettait effectivement l’exercice de sa liberté de religion et de sa liberté de circulation. La loi no 2010‑1192 ne traite pas l’auteure de la même manière que reste de la population. Elle oblige l’auteure, si celle-ci ne veut pas s’exposer à une sanction pénale, de s’abstenir de porter le voile intégral dans l’espace public, alors que pour elle, c’est un devoir religieux. Parce que le seul moyen pour elle de porter le voile est d’éviter de sortir et de circuler dans l’espace public, sa liberté de circulation, expressément garantie par l’article 12 du Pacte, est limitée.

3.13Si la loi no 2010-1192 est censée s’appliquer sans distinction à toute personne dissimulant son visage dans l’espace public, il n’en demeure pas moins qu’elle entraîne une discrimination indirecte à l’égard des femmes portant le voile intégral. Les débats qui ont précédé l’adoption de ladite loi montrent bien qu’elle était considérée comme une solution générale qui, légalement, interdirait spécialement le port du voile intégral. Cette discrimination indirecte se confirme également dans les chiffres relatifs à l’application de cette loi, pourtant censée viser tout type de dissimulation du visage, comme les casques ou les masques de ski.

3.14Enfin, l’auteure rappelle que 2 000 femmes portent le voile intégral en France. Ellesreprésentent plus de la moitié des personnes contrôlées sur la base de cette loi, ce qui montre qu’elles sont visées de manière disproportionnée par des contrôles.

3.15En conséquence, l’auteure demande au Comité de constater une violation des articles 18 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 15 novembre 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication, et a demandé au Comité de déclarer celle‑ci irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 a) et b)) du Protocole facultatif.

4.2Le 26 mars 2012, le tribunal de proximité de Nantes a déclaré l’auteure coupable d’avoir porté un niqab dans l’espace public et l’a condamnée au paiement d’une amende de 150 euros. L’auteure n’avait pas assisté à l’audience. Elle a formé un pourvoi devant la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, par un arrêt du 3 avril 2013, a rejeté le pourvoi en relevant que « faute d’avoir été proposé devant le juge du fond, le moyen pris de la violation de la Convention européenne des droits de l’homme, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ». L’auteure a alors déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme qui, par un courrier du 11 septembre 2014, l’a informée que cette requête était irrecevable.

4.3L’État partie rappelle la réserve à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, qu’il a formulée lorsqu’il a ratifié ce protocole. Il rappelle également la pratique du Comité selon laquelle celui-ci ne considère pas qu’une question a été « examinée » par une autre instance internationale lorsque l’affaire a été rejetée pour des motifs purement procéduraux. À l’inverse, une décision d’irrecevabilité fondée sur un examen au fond, même lorsque cet examen est très sommaire, voire implicite, constitue un examen au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif.

4.4En l’espèce, la décision par laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête de l’auteure irrecevable ne mentionne pas le motif d’irrecevabilité retenu. Toutefois, les article 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme énoncent six motifs d’irrecevabilité : a) dépassement du délai de six mois pour présenter la requête à partir de la date de décision interne définitive ; b) caractère anonyme de la requête ; c) requête déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; d) non‑épuisement des voies de recours internes ; e) requête manifestement mal fondée ou abusive ; f) absence de préjudice important subi par le requérant.

4.5Eu égard au fait que la requête a été soumise dans le délai des six mois, non anonymement, uniquement à la Cour européenne, et que le préjudice allégué était important au sens de l’article 34 de la Convention, l’État partie considère qu’il en découle implicitement mais nécessairement, que la requête a seulement pu être rejetée par la Cour européenne pour non-épuisement des voies de recours internes, ou parce qu’elle a été considérée manifestement mal-fondée ou abusive.

4.6Pour ce qui est du premier de ces deux scénarios, le Comité ne pourra que parvenir à la même conclusion que la Cour européenne des droits de l’homme, puisque c’est en cassation que l’auteure a dénoncé pour la première fois la violation des articles 18 et 26 du Pacte. En conséquence, et comme il l’a fait dans l’affaire Bikramjit Singh qui concernait l’article 17, le Comité devrait déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours interne.

4.7Dans le second scénario, si la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté une requête qu’elle considère manifestement mal-fondée, elle a dû examiner les griefs invoqués par les requérants, ce qui signifie qu’elle a examiné l’affaire au fond. Dans ce cas, le Comité serait incompétent au regard de la réserve formulée par la France.

4.8Selon l’État partie, l’argument selon lequel l’affaire portée devant le Comité n’est pas la même affaire ne saurait être retenu. La communication porte sur les mêmes faits et sur les mêmes circonstances que la requête présentée devant la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, les questions soulevées sont les mêmes.

4.9Le Comité a déjà indiqué que la condition tenant à l’épuisement des voies de recours internes n’était pas remplie lorsqu’un auteur avait formulé pour la première fois en cassation le grief soulevé devant le Comité. Ces moyens avaient été déclarés irrecevables par la juridiction interne suprême au motif qu’ils n’avaient pas été invoqués devant la juridiction de fond.

4.10L’auteure a été dûment convoquée à l’audience et elle était en mesure de se faire assister d’un conseil pour sa défense, ce qu’elle n’a pas fait ; en effet, elle a choisi de ne pas assister à l’audience. Elle ne peut donc faire valoir ses propres manquements comme arguments. En conclusion, le Comité devrait déclarer la communication irrecevable.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Dans ces observations sur le fond de la communication datées du 14 mars 2017, l’État partie fait valoir que la loi no 2010-1192 a été adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat à l’unanimité des suffrages exprimés moins une voix, et à l’issue d’un large débat démocratique. Dans ce contexte, une mission parlementaire composée d’élus de toutes tendances politiques avait été mise en place et avait procédé à l’audition de nombreuses personnes d’opinions variées, parmi lesquelles des femmes musulmanes et non musulmanes, et des acteurs de la société civile.

5.2Le 11 mai 2010 − avant l’adoption de la loi − l’Assemblée nationale a adopté une résolution par laquelle elle rappelait que les pratiques radicales attentatoires à la dignité et à l’égalité entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles le port d’un voile intégral, étaient contraires aux valeurs de la République et elle appelait à la mise en œuvre de tous les moyens utiles pour assurer la protection effective des femmes qui subissent des violences ou des pressions, et notamment sont contraintes de porter un voile intégral.

5.3La mesure générale d’interdiction contenue dans la loi no 2010-1192 a un objet extrêmement limité puisque seule est interdite la dissimulation du visage. En outre, cette mesure est indispensable à la défense des principes sous-tendant son adoption, et les sanctions qu’emporte une violation de l’article 1, applicables aux femmes qui choisissent de porter le voile islamique intégral, sont mesurées, le législateur ayant privilégié la voie de la pédagogie. La loi no 2010-1192 atteint ainsi, d’après l’État partie, un équilibre raisonnable entre la défense des principes essentiels d’une société démocratique et la liberté de se vêtir selon ses convictions religieuses ou autres.

5.4L’État partie souligne qu’il n’est pas le seul à avoir interdit le port de vêtements qui dissimulent le visage dans les lieux publics. Ainsi, le Parlement fédéral belge a adopté la même interdiction, et la chambre basse du Parlement italien a adopté un projet de loi dans le même sens.

5.5L’interdiction prévue par la loi no 2010-1192 vise tout article vestimentaire destiné à dissimuler le visage dans l’espace public quelle que soit sa forme ou la raison pour laquelle il est porté. De ce fait, aucun traitement particulier n’est réservé aux tenues portées pour des raisons religieuses ou culturelles. Néanmoins, dès lors que certains articles vestimentaires destinés à dissimuler le visage sont portés pour des raisons religieuses, l’interdiction peut être vue comme une « restriction » à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions (droit positif).

5.6La restriction en cause est prévue par la loi, poursuit un but légitime, et est proportionnée au regard de ce but. L’interdiction est formulée en termes clairs et précis, comme le sont les exceptions. Une circulaire du 2 mars 2011 fournit une explication exhaustive du champ et des modalités d’application de la loi no 2010-1192 ; elle a été complétée par une campagne dans les lieux publics, un dépliant mis à disposition dans les locaux administratifs, ainsi qu’un site internet pédagogique. La loi no 2010-1192 a prévu un délai de six mois entre sa promulgation et son entrée en vigueur et satisfait, de ce fait, à l’exigence de prévisibilité ; l’auteure savait qu’elle s’exposait à une amende.

5.7La loi contestée poursuit des buts légitimes, notamment la protection des droits et libertés d’autrui et la protection de l’ordre public, qui figurent parmi les buts énoncés à l’article 18 (par. 3) du Pacte. Ces buts sont clairement définis dans le préambule de la loi, qui réaffirme les valeurs de la République et les exigences du vivre ensemble. À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire S. A .S. c. France, a considéré que l’interdiction pouvait être justifiée dans la seule mesure où elle visait à garantir les conditions du « vivre ensemble », que le Gouvernement français a défini comme étant le respect des exigences minimales de la vie en société. L’espace public est le lieu par excellence de la vie sociale où la personne est amenée à interagir avec d’autres. Or, dans cette interaction, le visage joue un rôle primordial puisque c’est la partie du corps où se reconnaît l’humanité de l’individu partagée avec son interlocuteur. Montrer son visage indique non seulement que l’on accepte d’être identifié par son interlocuteur en tant qu’individu, mais aussi que l’on accepte de ne pas lui dissimuler de manière déloyale l’état d’esprit dans lequel on aborde la relation ; c’est donc une manifestation du minimum de confiance indispensable au vivre ensemble dans une société égalitaire et ouverte, comme l’est la société française. La dissimulation du visage empêche l’identification de la personne, est de nature à altérer l’interaction entre les individus et à porter atteinte aux conditions qui permettent de vivre ensemble dans la diversité.

5.8Les impératifs de sécurité publique et d’ordre public imposent que chacun puisse être identifié en cas de besoin afin de prévenir des attaques contre la sécurité des personnes et des biens ou encore de lutter contre la fraude identitaire. Cela implique donc que les personnes doivent montrer leur visage, une exigence indispensable dans le contexte de menace terroriste internationale.

5.9L’État partie refuse que l’on présente la loi no 2010-1192 comme interdisant aux femmes musulmanes de manifester leurs convictions religieuses par le port du voile et précise que ladite loi interdit uniquement la dissimulation totale du visage, quelle qu’en soit la raison, et autorise toute personne à porter dans l’espace public un vêtement destiné à exprimer une conviction religieuse, comme un voile ou un turban, à condition qu’il laisse apparaître le visage. La problématique ici est très différente de celle liée au port de signes religieux par les agents publics dans le cadre du service public, ou au port de tels signes à l’école, où la neutralité du service public est en jeu. En l’espèce, l’interdiction n’est pas fondée sur la connotation religieuse des articles vestimentaires visés mais sur le seul fait qu’ils dissimulent intégralement le visage. Seule « la forme extrêmement radicale de vêtement qui aboutit à un effacement public de la personne est affectée ». L’auteure peut sans difficulté accéder à l’espace public revêtue d’un voile, lequel manifesterait ses convictions religieuses sans dissimuler son visage. En outre, le Conseil constitutionnel a déclaré que l’interdiction ne pouvait restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public. De ce fait, la mesure est proportionnée au but poursuivi et l’État partie n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation en l’espèce, comme l’a déclaré la Cour européenne dans l’affaire S. A. S. c. France précitée. D’ailleurs, la Cour de cassation française a jugé, dans un arrêt rendu le 5 mars 2013, que la loi no 2010-1192 était conforme à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté de pensée, de conscience et de religion). Enfin, les sanctions prévues par la loi no 2010-1192 − au plus l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe (150 euros) − sont modestes et proportionnées aux objectifs poursuivis. Quant à l’autre sanction prévue, un stage de citoyenneté, il s’agit d’une sanction classique en droit pénal français, applicable dans le cas de nombreuses infractions. Elle vise à rappeler au contrevenant les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine et de lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile et des devoirs qui sont les siens en tant que membre de la société.

5.10Dans une circulaire datée du 31 mars 2011 adressée aux préfets, le Premier Ministre a précisé la procédure que les agents de la police et de la gendarmerie devaient suivre lorsqu’ils avaient affaire à un contrevenant, et souligné qu’en aucun cas, la loi no 2010-1192 n’autorisait un agent à obliger une personne de se découvrir. On ne saurait par conséquent parler d’une restriction disproportionnée de la liberté religieuse.

5.11En ce qui concerne le grief tiré de la violation des articles 12 et 26 du Pacte, l’auteure n’a pas établi que l’interdiction mise ne place par la v ne visait que les femmes portant le voile intégral et qu’une personne qui dissimulerait son visage par un autre moyen ne serait pas arrêtée. Au contraire, la loi no 2010-1192 prévoit une interdiction générale, ne vise aucun article vestimentaire particulier et ne fait aucune distinction entre les hommes et les femmes. En outre, l’interdiction prévue par ladite loi ne saurait être en soi discriminatoire ou attentatoire à la liberté de mouvement puisqu’elle a un objectif et une justification raisonnable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité observe que l’auteure a présenté une requête portant sur les mêmes faits devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a été informée par une lettre du 11 septembre 2014 de ce qu’un juge unique avait déclaré la requête irrecevable au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies. Le Comité rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, la France a émis une réserve excluant la compétence du Comité pour examiner des questions qui sont en cours d’examen ou ont été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité rappelle sa jurisprudence relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, à savoir que lorsque la Cour européenne rend une décision d’irrecevabilité non seulement pour des questions de procédure mais aussi pour des raisons qui supposent un certain examen au fond, la question est considérée comme ayant déjà été examinée au sens des réserves à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Le Comité doit donc déterminer si, en l’espèce, la Cour européenne est allée au-delà d’un simple examen des critères de recevabilité purement formels lorsqu’elle a déclaré la requête irrecevable au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies.

6.4Le Comité déduit, à la lecture de la lettre de la Cour européenne des droits de l’homme qui invoque les articles 34 et 35 de la Convention, que la requête de l’auteure ne semble pas avoir été déclarée irrecevable pour des motifs purement procéduraux. Toutefois, il note que, vu le caractère succinct du raisonnement exposé par la Cour, aucune argumentation ou clarification concernant la décision d’irrecevabilité ne semble avoir été donnée à l’auteure pour justifier le rejet de sa requête sur le fond. Compte tenu de ces circonstances particulières, le Comité considère qu’il n’est pas en mesure de déterminer avec certitude que l’affaire présentée par l’auteure a déjà fait l’objet d’un examen, même limité, au fond. Pour ces motifs, le Comité considère que la réserve formulée par la France au sujet de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne constitue pas, en elle-même, un obstacle à l’examen au fond par le Comité.

6.5En ce qui concerne la condition de l’épuisement des voies de recours internes prévue à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, l’État partie fait observer que le grief de violation des droits de l’auteure, dont le Comité est maintenant saisi, a été soulevé pour la première fois par l’auteure lors de son pourvoi devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle l’a déclaré irrecevable au motif qu’il aurait dû être invoqué devant la juridiction inférieure. L’État partie fait référence à l’affaire Bikramjit Singh pour montrer que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. L’auteure conteste cette position, faisant observer que la situation décrite dans l’affaire Bikramjit Singh n’est pas comparable à sa propre situation puisque, pour elle, la seule possibilité de soulever ses griefs avant de saisir la Cour de cassation était de saisir le tribunal de proximité. À cet égard, elle souligne que la procédure devant le tribunal de proximité est extrêmement rapide, souvent menée par un juge unique qui n’est en général pas un juge professionnel, non susceptible d’appel, et qu’elle‑même n’était pas représentée par un conseil. L’auteure fait valoir en outre que ses griefs ont été valablement portés devant la Cour de cassation puisque, comme dans le cas d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori, ils soulevaient des moyens « de pur droit » au sens de l’article 619 du Code de procédure civile.

6.6Le Comité observe que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations, en particulier celles concernant la procédure devant le tribunal de proximité et la disponibilité et l’efficacité de cette procédure dans le cas de l’auteure. Le Comité note en outre que le tribunal de proximité est un espace public dans lequel, en vertu de la loi no 2010-1192, porter le niqab constituerait une infraction pénale, et que l’auteure n’a pas assisté à l’audience. Le Comité relève également que l’affaire Bikramjit Singh ne concernait pas une procédure pénale, dans laquelle le droit de faire appel doit être garanti, et que dans cette affaire-là, l’auteur avait eu la possibilité de soulever ses griefs devant deux juridictions inférieures avant d’essayer d’en soulever de nouveaux devant la Cour de cassation. En revanche, en l’espèce l’auteure n’a pas pu faire réexaminer ses griefs en appel devant une autre juridiction que la Cour de cassation. Au vu de toutes les informations dont il dispose, et faute d’explications complémentaires de l’État partie, le Comité conclut que les recours internes raisonnablement disponibles ont été épuisés.

6.7Le Comité considère que les griefs de l’auteure, qui soulèvent des questions au regard des articles 18 et 26 du Pacte, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, les déclare recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs de l’auteure selon lesquels l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public introduite dans le droit pénal par la loi no 2010‑1192 et le fait qu’elle a été déclarée coupable d’avoir porté le niqab violent les droits qu’elle tient de l’article 18 du Pacte. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la loi impose une interdiction générale de tout article vestimentaire destiné à dissimuler le visage dans l’espace public, quelle que soit sa forme ou la raison pour laquelle il est porté, et ne vise pas spécialement des vêtements religieux. Le Comité note toutefois que l’article 2.II de la loi exempte largement de l’application de celle-ci les tenues portées pour des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou qui s’inscrivent dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles, ou qui sont autrement légalement autorisées. Le Comité prend note également de l’observation de l’auteure, non contestée par l’État partie, selon laquelle moins de 2 000 femmes portent le voile intégral en France et que la grande majorité des contrôles effectués en vertu de la loi ont visé des femmes portant le voile intégral.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 22 (1993) selon laquelle la liberté de manifester sa religion ou conviction peut être exercée individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé. L’accomplissement des rites et la pratique de la religion ou de la conviction peuvent comprendre non seulement des actes cérémoniels, mais aussi des coutumes telles que le port de vêtements ou de couvre-chefs distinctifs. Il n’est pas contesté que, comme l’affirme l’auteure, le port du voile intégral relève d’une coutume pour une partie des fidèles musulmans et qu’il s’agit de l’accomplissement d’un rite et de la pratique d’une religion. Il n’est pas contesté non plus que la loi no 2010-1192 est applicable au niqab porté par l’auteure, qui est de ce fait obligée de renoncer à se vêtir conformément à ses croyances religieuses ou, autrement, de s’exposer à des sanctions. Dès lors, le Comité considère que l’interdiction introduite par ladite loi constitue une restriction ou limitation au droit de l’auteure de manifester sa religion ou ses convictions, au sens de l’article 18 (par. 1) du Pacte, par le port du niqab .

7.4Le Comité doit donc déterminer si cette restriction est autorisée par l’article 18 (par. 3) du Pacte. Il rappelle que l’article 18 (par. 3) autorise des restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions uniquement si lesdites restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Il rappelle également que l’article 18 (par. 3) doit être interprété au sens strict : les motifs de restriction qui n’y sont pas spécifiés ne sont pas recevables, même au cas où ils le seraient, au titre d’autres droits protégés par le Pacte, s’agissant de la sécurité nationale, par exemple. Les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Il ne peut être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ni de façon discriminatoire.

7.5En l’espèce, le Comité note qu’il n’est pas contesté que l’interdiction de porter le niqab rentre clairement dans le champ d’application de la loi no 2010-1192, énoncé à l’article 1. Le Comité doit donc déterminer si cette restriction, qui est prévue par la loi, poursuit un but légitime, est nécessaire à l’obtention de ce but et est proportionnée et non discriminatoire.

7.6Le Comité note que l’État partie a avancé deux buts qui seraient poursuivis par la loi no 2010-1192, à savoir la protection de l’ordre et la sécurité publics et la protection des droits et libertés d’autrui.

7.7En ce qui concerne la protection de l’ordre et la sécurité publics, l’État soutient que chacun doit pouvoir être identifié en cas de besoin afin de prévenir des attaques contre la sécurité des personnes et des biens ou de lutter contre la fraude identitaire. Le Comité reconnaît qu’il peut être nécessaire pour l’État partie, dans certaines circonstances, d’exiger que des individus montrent leur visage, ce qui pourrait amener ponctuellement ceux-ci à découvrir leur visage dans des circonstances concrètes de risque à la sécurité nationale ou à des fins d’identification. Le Comité observe toutefois que la loi n’est pas limitée à de telles circonstances, mais interdit totalement le port de certains articles dissimulant le visage dans l’espace public, à tout moment, et que l’État partie n’a pas démontré en quoi le port du voile intégral dans l’espace public représentait en soi une menace à la sécurité ou l’ordre publics justifiant une interdiction aussi absolue. L’État partie n’a pas non plus donné de justification liée à la sécurité public ni expliqué pourquoi la dissimulation du visage pour certaines raisons religieuses − soit le port du niqab − est interdit alors qu’elle est autorisée pour un certain nombre d’autres raisons, notamment sportives, artistiques ou d’autres raisons traditionnelles et religieuses. Le Comité observe en outre que l’État partie n’a décrit aucun contexte précis de menace concrète ni donné aucun exemple dans lequel une menace réelle et significative à la sécurité et l’ordre publics justifierait une interdiction aussi généralisée du voile intégral. L’existence d’une telle menace ne semble pas non plus mentionnée dans le préambule de la loi no 2010-1192 ni dans la résolution de l’Assemblée nationale du 11 mai 2010, qui a précédé l’adoption de ladite loi.

7.8Même si l’État partie pouvait démontrer l’existence d’une menace réelle et significative à la sécurité et l’ordre publics, il n’a pas démontré que l’interdiction énoncée dans la loi no 2010-1192 était une mesure proportionnelle au but poursuivi, en particulier compte tenu des nombreuses exceptions à la loi et de ses effets considérables sur l’auteure en tant que femme musulmane qui porte le voile intégral. Il n’a pas non plus démontré que cette interdiction était la mesure la moins restrictive nécessaire pour protéger la liberté de religion ou de conviction.

7.9S’agissant du deuxième but mis en avant par l’État partie, entendu comme la protection des libertés et droits fondamentaux d’autrui, prévue à l’article 18 (par. 3) du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie basé sur le concept du « vivre ensemble » ou respect des exigences minimales de la vie en société. D’après l’État partie, montrer son visage indique que l’on accepte d’être identifié par son interlocuteur et de ne pas lui dissimuler de manière « déloyale » son propre état d’esprit, ce qui constitue le « minimum de confiance indispensable au vivre ensemble dans une société égalitaire et ouverte ». Le Comité prend note toutefois de l’allégation de l’auteure selon laquelle le législateur n’a pas clairement défini le but poursuivi ni dans la loi no 2010-1192 elle-même ni dans un exposé des motifs. Le Comité est conscient qu’un État peut avoir un intérêt à promouvoir la convivialité et le respect mutuel entre les individus sur son territoire et, dans ce contexte, l’interaction sociale entre individus dans toute leur diversité, et que la dissimulation du visage pourrait donc être perçue comme un potentiel obstacle à cette interaction.

7.10Toutefois, le Comité fait observer que la protection des droits et libertés fondamentaux d’autrui suppose que l’on précise quels droits fondamentaux particuliers sont concernés et pour quelles personnes précisément. Les exceptions à l’article 18 (par. 3) du Pacte doivent être interprétées au sens strict et ne pas être appliquées de manière abstraite. En l’espèce, le Comité observe que le concept du « vivre ensemble » est un terme très vague et abstrait. L’État partie n’a signalé aucun droit fondamental ou liberté fondamentale d’autrui, en particulier, qui seraient affectés par le fait que se trouvent dans l’espace public des personnes au visage couvert, notamment des femmes voilées intégralement. L’État partie n’a pas non plus expliqué en quoi l’exercice de tels droits seraient entravés de manière « déloyale » par le port du voile intégral et non par la dissimulation du visage en public par l’un des nombreux autres moyens auxquels la loi no 2010-1192 ne s’applique pas. Le droit d’interagir avec toute personne dans l’espace public ou le droit de ne pas être troublé par le fait que quelqu’un porte le voile intégral ne sont pas protégés par le Pacte, et ne sauraient donc constituer des restrictions autorisées au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte.

7.11Même si l’on suppose que la coexistence pourrait être considérée comme un « but légitime » au sens de l’article 18 (par. 3), l´État partie n´a pas démontré que l’interdiction relevant du droit pénal de couvrir son visage dans l’espace public, qui constitue une restriction significative des droits et libertés de l’auteure en tant que femme musulmane qui porte le voile intégral, serait proportionnelle à ce but et constituerait la mesure la moins restrictive qui protège la liberté de religion ou de conscience.

7.12Au vu de ce qui précède, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que la restriction de la liberté de l’auteure de manifester sa religion ou ses convictions par le port du niqab était nécessaire et proportionnée au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Par conséquent, le Comité conclut que l’interdiction introduite par la loi no 2010-1192 et le fait que l’auteure a été déclarée coupable, en application de ladite loi, pour avoir porté le niqab ont violé les droits que l’auteure tient de l’article 18 du Pacte.

7.13Quant aux griefs que l’auteure tire de l’article 26 du Pacte, à savoir que la loi no 2010‑1192 constituerait une discrimination indirecte à l’égard des femmes musulmanes, très minoritaires, qui portent le voile intégral, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’interdiction introduite par ladite loi n’est pas fondée sur la connotation religieuse des articles vestimentaires visés mais sur le fait qu’ils dissimulent le visage. Ainsi, selon l’État partie, seule « la forme extrêmement radicale de vêtement qui aboutit à un effacement public de la personne » serait affectée et, de ce fait, l’auteure pourrait accéder à l’espace public revêtue d’un voile, lequel manifesterait ses convictions religieuses sans dissimuler son visage. Le Comité note cependant que l’Assemblée nationale, dans sa résolution sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, a considéré que des pratiques radicales attentatoires à la dignité et à l’égalité entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles le port d’un voile intégral, étaient contraires aux valeurs de la République et dit souhaiter que la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes soient une priorité des politiques publiques. Le Comité note en outre que, bien que rédigée de manière générale, la loi no 2010-1192 contient des exceptions pour la plupart des situations dans lesquelles le visage est dissimulé en public, ce qui limite quasiment l’applicabilité de l’interdiction au voile intégral islamique, et qu’elle a principalement été appliquée à l’égard de femmes portant le voile intégral. Ainsi, en se fondant sur le texte de la loi, sur le débat qui a précédé l’adoption de la loi et sur l’application de la loi dans la pratique, le Comité observe que la loi no 2010-1192 est principalement appliquée au voile intégral islamique, qui relève de la pratique religieuse et de l’identification pour une minorité de femmes musulmanes.

7.14Le Comité rappelle son observation générale no 22 (1993), dans laquelle il se dit préoccupé par toute tendance à faire preuve de discrimination à l’encontre d’une religion ou d’une conviction quelconque pour quelque raison que ce soit, notamment parce qu’elle représente des minorités religieuses susceptibles d’être en butte à l’hostilité d’une communauté religieuse dominante. Une violation de l’article 26 peut également résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention discriminatoire. Le Comité rappelle également que « les règles vestimentaires imposées aux femmes dans les lieux publics peuvent constituer une violation de plusieurs droits garantis par le Pacte, comme par exemple l’article 26, relatif à la non-discrimination. Toutefois, une différence de traitement fondée sur les motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas nécessairement une discrimination, pour autant qu’elle repose sur des critères raisonnables et objectifs, correspondant à un but légitime au regard du Pacte. Le Comité doit donc déterminer si la différence de traitement visant l’auteure, qui porte le voile islamique intégral, par rapport à d’autres formes de dissimulation du visage autorisées par les exceptions prévues à l’article 2 de la loi no 2010-1192, satisfait aux critères du caractère raisonnable et d’objectivité et a un but légitime.

7.15Le Comité note que l’État partie n’a pas expliqué en quoi l’interdiction générale visant le voile de l’auteure était raisonnable ou justifiée, eu égard aux exceptions autorisées par la loi. Il note aussi que l’interdiction généralisée introduite par la loi no 2010-1192 semble présupposer que le voile intégral est intrinsèquement discriminatoire et que les femmes qui le portent sont contraintes à le faire. Or, s’il est conscient que certaines femmes subissent probablement des pressions familiales ou sociales pour qu’elles se couvrent le visage, le Comité observe que le port du voile intégral peut être un choix − voire une revendication − basé sur une conviction religieuse, comme c’est le cas pour l’auteure. Le Comité considère en outre que cette interdiction, loin de protéger les femmes voilées intégralement, pourrait avoir l’effet inverse, à savoir les confiner chez elles, leur empêcher l’accès à des services publics, et les exposer aux abus et à la marginalisation. En effet, le Comité a déjà dit sa préoccupation quant au fait que la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public portait atteinte à la liberté de manifester sa religion ou sa conviction et qu’elle affectait particulièrement les personnes appartenant à certaines religions et les filles, et que les effets de cette loi sur le sentiment d’exclusion et de marginalisation de certains groupes pourraient aller à l’encontre des buts recherchés. Le Comité note également qu’une disposition distincte de la législation, l’article 225-4-10 du Code pénal, réprime comme une infraction le fait pour toute personne d’imposer à une autre personne de dissimuler son visage, ce qui correspond précisément à la préoccupation exprimée.

7.16Enfin, bien que l’État partie affirme que les sanctions imposées aux femmes qui décident de porter le voile intégral en public sont « mesurées », le Comité note que les sanctions ont un caractère pénal et ont été infligées à certaines femmes à de multiples reprises. De telles sanctions ont nécessairement un effet négatif sur le droit de l’auteure de manifester sa religion en portant le voile et potentiellement sur d’autres droits.

7.17Au vu de ce qui précède, le Comité considère que l’interdiction introduite dans le droit pénal par l’article 1 de la loi no 2010-1192 a affecté de façon disproportionnée l’auteure en tant que femme musulmane choisissant de porter le voile intégral et entraîne une distinction entre elle et d’autres personnes qui peuvent légalement dissimuler leur visage en public, laquelle n’est ni nécessaire ni proportionnée à un but légitime et n’est, de ce fait, pas raisonnable. Le Comité conclut donc que cette disposition et son application à l’auteure constitue une forme de discrimination intersectionnelle fondée sur le genre et la religion, en violation de l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteure tient des articles 18 et 26 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteure des mesures de satisfaction appropriées, notamment une indemnisation financière pour le préjudice subi. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, y compris de réexaminer la loi no 2010-1192 à la lumière des obligations que lui impose le Pacte, en particulier, les articles 18 et 26.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe I

Joint opinion of Committee members Ilze Brands Kehris, Sarah Cleveland, Christof Heyns, Marcia V.J. Kran and Yuval Shany (concurring)

1.We agree with the majority of the Committee that France, the respondent State, did not adequately explain a security rationale that could justify the blanket ban on Muslim religious full-face coverage, especially in the light of the exceptions for other forms of full-face coverage made under Act No. 2010-1192. We also agree with the majority that the State party has not persuasively explained how the interest of “living together” could justify compelling, under threat of criminal sanction, individuals belonging to a religious minority to dress in a manner conducive to “normal” social interaction.

2.We are more receptive, however, to the implicit claim that thefull veil is discriminatory (para. 7.15), as we consider the wearing of the full veil to be a traditional practice that has allowed men to subjugate women in the name of preserving their “modesty”,which results in women not being entitled to occupy public space on the same terms as men. We would therefore have no difficulty in regarding France as entitled – and, in fact, under an obligation, pursuant to articles 2 (1), 3 and 26 of the Covenant, as well as article 5 (a) of the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women – to take all appropriate measures to address this pattern of conduct so as to ensure that it does not result in discrimination against women.

3.The question remains, however, whether the introduction of a blanket ban on the full-face veil in public, enforced through a criminal sanction imposed on the very women such a ban would purport to protect, is an appropriate measure in the circumstances of the present case – that is, whether it was a reasonable and proportional measure directed against the author and other Muslim women. On this matter, we are of the view that the State party has not demonstrated to the Committee that less intrusive measures than the blanket ban, such as education and awareness-raising against the negative implications of wearing the full-face veil, criminalizing all forms of pressure on women to wear such a veil and a limited ban enforced through appropriate non-criminal sanctions on wearing the full veil in specific social contexts, underscoring the State’s opposition to the practice (such as prohibiting the full-face veil for teachers in public schools or government employees addressing the public), would not have resulted in sufficient modification of the practice of wearing the full veil, while respecting the rights to privacy, autonomy and religious freedom of the women themselves, including those who choose to wear the veil.

4.Given the harsh consequences of the full ban on the ability of women who choose to wear the veil to move freely in public, we are not in a position to accept the Act as a reasonable and proportionate measure compatible with the Covenant. We believe that our position on the high threshold for justifying a ban on clothing chosen by women is generally consistent with the relevant parts of the judgment of the European Court of Human Rights in S.A.S. v France, in which the Court rejected a justification of the ban on the grounds of, among others, anti-discrimination.

Annexe II

Joint opinion of Committee members Ilze Brands Kehris and Sarah Cleveland (concurring)

1.We concur with the majority opinion. Regarding the stated aim of promoting public safety and order, we consider that the State party has not only failed to establish a comprehensive, significant and specific threat that would justify a blanket ban on wearing the full-face veil in public, but has also not explained in which ways the State party’s previously existing legislation providing for uncovering one’s face in public space for specific purposes or at specific times, such as security checks and identity checks, or in specific locations, such as schools and hospitals – which are not contested here – is not adequate to ensure public safety and order. Thus, in addition to the criminal nature of the sanction and its effect on the author and those Muslim women who, like her, choose to wear the full-face veil, which is not proportionate to the stated aim (para. 7.11), this blanket ban has not been shown to be either necessary or proportionate to its stated legitimate aim of promoting public safety.

2.With respect to protecting the fundamental rights and freedoms of others and the concept of “living together” that the State party relates to this aim, there is a lack of clarity regarding which fundamental rights are specifically intended to be protected (para. 7.10). The State party’s position is also unclear on how respect for the rights of persons belonging to minorities, including religious minorities, are taken into account in this concept in order to safeguard the value of pluralism and avoid the abuse of a dominant position by the majority.This reinforces the doubts about the claim that the concept of “living together” constitutes a legitimate aim under the fundamental rights and freedom of others in article 18 (3) of the Covenant.

3.Although the State party does not explicitly refer to equality between men and women in its arguments, in the background documents from the national debates and the preparatory work in the National Assembly, equality figured as a significant factor in the adoption of this legislation. In this regard, the argument that the full-face veil is inherently oppressive and stems from the patriarchal subjugation of women, which intends to prevent them from participating as equals in society, is relevant. However, in view of the fact that another criminal provision in article 4 of the same Act, which is not contested, penalizes the serious offence of compelling a person to wear such a veil, the argument as applied to the comprehensive ban on wearing the veil seems to imply that whenever a woman dons a full-face veil it cannot be her own informed and autonomous decision, which may reinforce a stereotype that Muslim women are oppressed. Penalizing wearing the full-face veil in order to protect women could thus, instead of promoting gender equality, potentially contribute to the further stigmatization of Muslim women who choose to wear the full-face veil, as well as more broadly of Muslims, based on a stereotypical perception of the role of women among Muslims. In any case, the State or the majority’s view that the practice is oppressive must accommodate the author’s own explicit choice to wear certain clothing in public to manifest her religious belief.The equality argument is thus not convincing as a legitimate aim for a blanket prohibition of full-face veils in all public spaces in France.

4.Finally, the present Views take into account the specific context of the case in France, including the fact that a very small number of women have chosen to wear the full veil. Apart from the inherent vulnerability to negative stereotyping of members of a minority – indeed, a minority within a minority – the disproportionality of the legislative measures that were adopted and implemented purportedly to promote respect for the rights of others is thus particularly acute in a context in which there is a very low likelihood that any person would encounter a fully veiled woman in a public space. For the same reason, disseminating awareness-raising leaflets to the general public regarding the law and criminalizing the wearing of the niqab and burka may have the unintended effect of increasing prejudice and intolerance towards this minority group.

Annexe III

Individual opinion of Committee member Yadh Ben Achour (dissenting)

1.In both cases set out in communications Nos. 2747/2016 and 2807/2016, the Committee notes that the State party, by adopting Act No. 2010-1192 of 11 October 2010, prohibiting the concealment of the face in public, has violated the rights of the authors under articles 18 and 26 of the Covenant. I regret that I am unable to share this opinion for the following reasons.

2.First, I am surprised at the Committee’s statement that “the State party has not demonstrated how wearing the full-face veil in itself poses a threat to public safety or public order that would justify such an absolute ban”. I shall not dwell on the threat to public safety, which appears self-evident given the ongoing battle against terrorists, some of whom have carried out attacks and assassinations in France and elsewhere disguised with niqabs. Security considerations alone justify both prohibition and criminalization. I shall, however, spend more time on the meaning of the phrase “protect order” read conjointly with “protect the morals or the fundamental rights and freedoms of others” in article 18 (3) of the Covenant.

3.In that article, the term “order” clearly refers to that of the State at the origin of the restriction. In France, under its Constitution, the order is republican, secular and democratic. Equality between men and women is among the most fundamental principles of that order, just as it is among the most fundamental principles of the Covenant. The niqab in itself is a symbol of the stigmatization and degrading of women and as such contrary to the republican order and gender equality in the State party, but also to articles 3 and 26 of the Covenant. Defenders of the niqab reduce women to their primary biological status as females, as sexual objects, flesh without mind or reason, potentially to blame for cosmic and moral disorder, and in consequence obliged to remove themselves from the male gaze and thus be virtually banished from the public space. A democratic State cannot allow such stigmatization, which sets them apart from all other women. Wearing the niqab violates the “fundamental rights and freedoms of others” or, more precisely, the rights of other women and of women as such. Its prohibition is therefore not contrary to the Covenant.

4.I agree with the Committee that the restrictions provided for under article 18 (3) must be interpreted strictly. However, “strictly” does not mean that the restrictions need not respect the other provisions of the Covenant, or the spirit of article 18 itself, as I have explained in the preceding paragraph.

5.The Committee admits in both cases that “wearing the niqab or the burka amounts to wearing a garment that is customary for a segment of the Muslim faithful and that it is the performance of a rite or practice of a religion”. However, the Committee does not explain the mysterious transformation of a custom into a religious obligation as part of worship, within the meaning of article 18 of the Covenant. The truth is that the wearing of the niqab or the burka is a custom followed in certain countries called “Muslim countries” that, under the influence of political Islamism and a growing puritanism, has been artificially linked to certain verses from the Qur’an, in particular to verse 31 of the Surah of Light and verse 59 of the Surah of the Confederates. However, the most knowledgeable authorities on Islam do not recognize concealing the face as a religious obligation. Even allowing, as the Committee wishes to do, that the wearing of the niqab may be interpreted as an expression of freedom of religion, it must not be forgotten that not all interpretations are equal in the eyes of a democratic society that has founded its legal system on human rights and the principles of the Universal Declaration of Human Rights and of the Covenant, and that has enshrined the principle of secularism within its Constitution – all the more so given the particular historical and legal context of France. Certain interpretations simply cannot be tolerated.

6.The same holds true for polygamy, excision, inequality in inheritance, repudiation of a wife, a husband’s right to discipline his wife and levirate and sororate practices. All those constitute, for their practitioners, religious obligations or rites, just as wearing the full-face veil does for followers of that custom. But the Committee has always considered the former practices to be contrary to the provisions of the Covenant and has consistently called on States to abolish them. Surely then, it is contradictory to decide in one case that it is the prohibition of one such practice, which undermines equality between citizens and the dignity of women, that contravenes the Covenant, while deciding in another case that it is the practices that contravene article 18?

7.A more serious problem must be raised. It concerns the concept of “living together” championed by France, which led to the adoption of the Act. I entirely disagree with the Committee that “the concept of ‘living together’ is presented by the State party in very vague and abstract terms” and that “the State party has not identified any specific fundamental rights or freedoms of others that are affected”. On the contrary, the preamble to the Act deals fully with this issue and clearly states that concealment of the face goes against the social contract, basic good manners and the notions of fraternity and living together. Unfortunately, the Committee fails to note that the fundamental right that is violated in this instance is not that of a few individuals, nor of any particular group, but the right of society as a whole to recognize its members by their faces, which are also a token of our social and, indeed, our human nature. Contrary to the Committee’s assertions, the concept of living together is neither vague nor abstract, but rather, precise and specific. It is founded on the very simple idea that a democratic society can only function in full view of all. More generally, as I have already suggested, the most basic human communication, preceding language of any other kind, is conveyed by the face. By totally and permanently concealing our faces in public, especially in a democratic context, we renounce our own social nature and sever our links with our peers. To prohibit the wearing of the full-face veil and penalize it with a small fine is therefore neither excessive nor disproportionate. In this connection, there can be no comparison between the hijab and the niqab. The two are essentially different.

8.By considering that “the criminal ban introduced by article 1 of the Act disproportionately affects the author as a Muslim woman who chooses to wear the full-face veil and introduces a distinction between her and other persons who may legally cover their face in public that is not necessary and proportionate to a legitimate interest and is therefore unreasonable”, the Committee is simply turning rights upside down. It concludes from this reasoning that article 1 of the Act constitutes a kind of intersectional discrimination based on sex and religion that violates article 26 of the Covenant. Yet there is no doubt that prohibition is necessary, if only because of the threat to security (para. 2 above); it is also proportionate, as shown by the light penalty: a fine of €150 and a course in citizenship, richly deserved given the seriousness of the infringement of equality between citizens and of the dignity of women.

9.Let us now turn to the question of those persons who, unlike women who wear the full-face veil, are authorized by the Act to cover their faces. This, according to the Committee’s Views, constitutes discrimination under article 26 of the Covenant. These are the persons referred to in article 2 (2) of the Act, which establishes exceptions to the prohibition. Can these exceptions be placed on an equal footing and compared with the practice of wearing the full-face veil? Is article 2 of the Act discriminatory within the meaning of article 26? I do not think so. These exceptions, generally speaking circumstantial and temporary, are for the most part made for recreational, festive, carnival or sporting purposes, or are required for service or security purposes, in particular road safety. They exist in all countries and in no way constitute discriminatory symbols or messages likely to trigger implementation of article 26 of the Covenant, as the full-face veil would.

10.I conclude that the prohibition of the wearing of the full-face veil and its penalization by fine, especially in the French context, is neither contrary to article 18 nor to article 26 of the Covenant.

Annexe IV

Individual opinion of Committee member José Manuel Santos Pais (dissenting)

1.I regret not being able to share the conclusion, reached by the majority of the Committee, that the State party violated the author’s rights under articles 18 and 26 of the Covenant.

2.Communications Nos. 2747/2016 and 2807/2016 concern the use of the niqab and are the first of their kind to be considered by the Committee. The issue is a very sensitive one and a solution should therefore be reached thoughtfully, due to its far-reaching implications.

3.Significantly enough, the two complaints do not concern an Islamic State, but a European one with a strong democratic tradition and an impressive human rights record. Possible solutions are dilemmatic, since persuasive arguments can be invoked both for and against finding a violation of certain rights. Decisions in both cases will have, apart from the underlying legal issues, a significant political impact, not only for France, but for many other countries in Europe, Africa and Asia, where the problem of the use of the niqab may also arise. The question was thus to find a solution that minimized the harm, while taking into account all the relevant factors and preventing the risk of any unwarranted and abusive interpretation of the Committee’s decision.

4.I tend to consider the complaints in both cases as mostly artificial, using the argument of a restriction of freedom of thought, conscience and religion as a means to address what is foremost a political problem. The authors never explain which religious prescriptions impose the use of the niqab on them or which part of the Qur’an they base their conclusions on. Yet they acknowledge that wearing the niqab or the burka amounts to wearing a garment that is customary for a segment of the Muslim faithful and is an act motivated by religious beliefs. Therefore, it concerns the observance and practice of a religion, notwithstanding the fact that wearing the niqab or the burka is not a religious requirement common to all practising Muslims (para. 3.2). We are therefore facing a religious custom, not an undisputed religious obligation.

5.The Committee has in the past refused to accept as violations of the provisions of the Covenantcertain social or religious customs and practices that run counter to human rights (female genital mutilation, honour and ritual killings, attacks against persons with albinism and many others). Therefore, the fact that the authors invoke a violation of their religious beliefs does not necessarily lead to the conclusion that their rights have been violated.

6.Both authors are nationals of France born and domiciled in France. Yet, they refuse to abide by the prevalent legislation of the State party concerned, although they acknowledge that they belong to a minority of Muslim women who wear the full-face veil. According to a parliamentary commission that studied the matter, fewer than 2,000 women are concerned (paras. 3.3 and 3.14), which constitutes a tiny minority (para. 3.9). They consider that such a tiny minority can impose their beliefs on the rest of the population, but do not wish to acknowledge the same right to the rest of the population, which, in terms of a proportionality test, seems quite disturbing, especially as both authors can use, still within the observance of their religious beliefs, other less rigorous and extreme forms of dressing, such as a headscarf. This extreme and radical form of religious belief should, in my view, be considered with caution so as to allow the Committee to reach a fair and reasonable decision, which unfortunately, in the present case, did not occur.

7.When one encounters a given society, the need for respecting its habits and customs should be a natural concern, as well as respect for social predominant values. Even more so, when one has a standing relationship with such a society, as is the case for both authors. Yet the authors refuse to accept this.

8.It falls within the legitimate powers of each State to democratically define the legislative framework of their societies, while respecting their international obligations. The State party has carefully done so. Act No. 2010-1192 was passed unanimously (bar one vote) by the National Assembly and Senate after a wide-ranging democratic debate. A parliamentary task force was set up involving elected representatives from across the political spectrum, which proceeded to hear many persons of diverse opinions, including both Muslim and non-Muslim women and persons from civil society (para. 5.1).On 11 May 2010 – prior to the adoption of the law – the National Assembly adopted a resolution in which it said that radical practices detrimental to human dignity and equality between men and women, including the wearing of a full-face veil, were contrary to the values of the Republic, and called for the implementation of all possible measures to ensure the effective protection of women subjected to violence or pressure, including by being forced to wear a full-face veil (para. 5.2).

9.The general ban introduced by the Act is limited in scope, given that only the concealment of the face is prohibited. Sanctions are measured, lawmakers having prioritized the role of education (para. 5.3).The ban covers any article of clothing intended to conceal the face in public spaces, regardless of the form it takes or the reason for wearing it (para. 5.5),and does not target any specific article of clothing and makes no distinction between men and women (para. 5.11).Therefore, no special treatment is reserved for garments worn for religious or cultural reasons and only the most radical form of clothing that makes the person invisible in public is affected. The ban cannot restrict the exercise of religious freedom in places of worship open to the public (para. 5.9).Exemptions from the Act include clothing worn for health or professional reasons, or as part of sporting, artistic or traditional festivities or events, including religious processions, or that otherwise is legally authorized (para. 7.2),which confirm the general and reasonable character of the ban. A circular of 2 March 2011 provided a comprehensive explanation of the scope and modalities for the application of the law, complemented by a campaign in public places and a leaflet available in government offices, as well as an educational website. Moreover, the law provided for a period of six months from the time of its enactment to its entry into force to meet the predictability requirement (para. 5.6).

10.The Act pursues a legitimate aim, the protection of the rights and freedoms of others and the protection of public order, as clearly defined in the Act’s preamble, which reaffirms the values of the Republic and the requirements of living together (para. 5.7).The European Court of Human Rights, in its judgment in S.A.S. v. France, accepted the observance of the minimum requirements of life in society as part of the protection of the rights and freedoms of others and so concluded that the ban imposed was proportionate to the aim pursued (paras. 140–159).

11.Public safety and public order require that everyone can be identified if need be, to prevent attacks on the security of persons and property and to combat identity fraud. This implies that people must show their faces, a vital concern in the context of current international terrorist threats (para. 5.8).The Committee, failing to address the underlying problem properly, does not seem to have sufficiently weighed this last requirement (para. 7.7).

12.It is true that the European Court of Human Rights, in its judgment in the S.A.S. v. France case, dismissed the argument that the ban was necessary in a democratic society for public safety, since “a blanket ban on the wearing in public places of clothing designed to conceal the face can be regarded as proportionate only in a context where there is a general threat to public safety” (para. 139). However, since the judgment was delivered, France has experienced several terrorist attacks by Al-Qaida and Da’esh: Île-de-France in January 2015 (20 killed and 22 injured), Paris in November 2015 (137 killed and 368 injured) and Nice in July 2016 (87 killed and 434 injured). In 2017, a total of 205 foiled, failed and completed terrorist attacks were reported by nine European Union member States (France experienced 54 attacks). In 2017, a total of 975 individuals were arrested in the European Union for terrorism-related offences. Most arrests (705 out of 791) were related to jihadist terrorism (123 women, of whom 64 per cent held the citizenship of a European Union member State and were born in the Union). France alone accounted for 411 arrests and 114 convictions. As for the number of suspects arrested for religiously inspired/jihadist terrorism (705), France accounted for 373.In this context, it is of extreme importance to quickly identify and locate possible suspects, since they travel through different countries to arrive at their destination and may avail themselves of the niqab to go unnoticed. Therefore, in the current circumstances, the ban imposed seems proportionate to the aim pursued by the Act, although it should be subject to periodic risk assessments (art. 7 of the Act).

13.In contrast to the view of the majority of the Committee (para 7.16), I believe that the sanctions are measured. Although they are of a criminal nature in France, in other countries they would probably be administrative fines. Sanctions comprise a category two fine (maximum €150), a moderate sanction that can, however, be replaced by a mandatory citizenship course. If, however, the person refuses to abide by the law, what should the State do? Accept such a behaviour? In the Yaker case, the author was sentenced twice, the second time because she refused to remove her full-face veil at the security checkpoint to enter the court. Is it reasonable to force a judge to accept persons that they are going to judge to have their faces covered during a trial? Such a demand will probably not be accepted in any court, in whichever country. Furthermore, both cases were tried by a community court, which confirms, if need be, the minor gravity of the violation. Sanctions are thus not disproportionate.

14.Finally, as regards the allegation that penalties have been imposed in particular on Islamic women, the reason seems obvious: they violated the ban. Would one consider, for instance, the prosecution of drunk drivers or drug traffickers as disproportionately affecting them? Is this not just the result of law enforcement policy?

15.I would therefore conclude that articles 18 and 26 of the Covenant were not violated. Rejecting the ban could, regrettably, be seen by some States as just a step away from accepting the imposition of a full-face veil policy.