Nations Unies

CCPR/C/129/D/2445/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2445/2014 * , **

Communication présentée par :

D. S. (représenté par un conseil, IllarionVasiliev)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

18 juillet 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article92 duRèglement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 juillet 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

23 juillet 2020

Objet :

Risque de torture en cas d’extradition

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Non-refoulement ; risque de torture en cas d’extradition

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par.2 b))

1.1L’auteur de la communication est D.S., de nationalité kirghize et d’origine ethnique tadjike, né en 1976. Sa demande d’asile en Fédération de Russie a été rejetée et, au moment de la soumission de la présente communication, il risquait l’extradition vers le Kirghizistan. Il affirme que son extradition constituerait une violation, par la Fédération de Russie, des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1erjanvier 1992. L’auteur est représenté par un conseil, Illarion Vasiliev.

1.2Lorsqu’il a enregistré la communication, le 24 juillet 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de rejeter la demande de mesures provisoires de protection de l’auteur, qui souhaitait que la procédure d’extradition soit suspendue tant que sa communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 23 avril 2004, l’auteur a été reconnu coupable d’infractions punies par les articles247 (par. 2) et 204 (par. 2) du Code pénal du Kirghizistan, et condamné à quatorze ans de prison par le tribunal du district Alaï, dans la région d’Och (Kirghizistan). Il avait été constaté que, sur la base d’un accord avec une autre personne, l’auteur avait illégalement acquis, stocké et transporté quelque 5,3 kg d’héroïne.

2.2Une fois condamné, l’auteur a été transféré dans une colonie pénitentiaire à Djalalabad. Sa peine a été réduite en vertu de lois d’amnistie générale et il était censé être libéré le 18 juillet 2010.

2.3En application d’une décision rendue le 21 mai 2008 par le tribunal municipal de Djalalabad, l’auteur a été transféré dans une colonie semi-ouverte pour y purger le reste de sa peine.

2.4L’auteur affirme qu’en septembre 2008, l’administration pénitentiaire l’a autorisé à se rendre au Tadjikistan pour quinze jours, afin d’y assister aux funérailles de son père. Comme sa mère est à son tour décédée alors qu’il se trouvait au Tadjikistan, il n’a pas pu rentrer à temps au Kirghizistan. Lorsqu’il a finalement essayé de rejoindre Djalalabad, il s’est avéré que la frontière était fermée en raison de perturbations. L’auteur affirme avoir passé plusieurs semaines à la frontière, à tenter de convaincre les gardes-frontière de le laisser passer, en vain.

2.5Le 20 janvier 2009, l’auteur s’est rendu à Moscou, où il a commencé à travailler sur des chantiers de construction.

2.6Le 15 mai 2009, un enquêteur du service chargé de l’application des peines du Ministère kirghize de la justice a ouvert une enquête sur la fuite de l’auteur. Le même jour, un mandat d’arrêt national a été délivré contre l’auteur, suivi d’un mandat d’arrêt international. Le 2 juin 2009, une procédure pénale a été engagée contre lui pour délit de fuite, au titre de l’article336 (par. 1) du Code pénal. Le 3 juin 2009, le tribunal municipal d’Och a ordonné son placement en détention provisoire.

2.7Le 5 septembre 2013, la police a arrêté l’auteur à Moscou, sur la base du mandat d’arrêt international délivré contre lui. Le 9 septembre 2013, le tribunal du district Babouchkinsky, à Moscou, a ordonné qu’il soit placé en détention ; cette détention a été prolongée à plusieurs reprises. Tous les recours que l’auteur a formés devant le tribunal régional de Moscou pour contester sa détention ont été rejetés.

2.8Le 11 octobre 2013, le Procureur général adjoint du Kirghizistan a demandé que l’auteur soit extradé de la Fédération de Russie. Le 24 janvier 2014, le Procureur général adjoint de la Fédération de Russie a autorisé l’extradition afin que l’auteur continue de purger la peine prononcée contre lui le 23 avril 2004 et puisse être poursuivi au titre de l’article336 (par. 1) du Code pénal. L’auteur a fait appel de cette décision devant le tribunal municipal de Moscou, affirmant qu’il craignait de faire l’objet de poursuites au Kirghizistan, qu’il ne s’était pas enfui, et qu’en cas d’expulsion, il serait soumis à la torture au Kirghizistan parce qu’il était d’origine ethnique tadjike et qu’au Kirghizistan, les minorités étaient persécutées.

2.9Le 14 février 2014, l’auteur a déposé une demande d’asile auprès du bureau de Moscou du Service des migrations de la Fédération de Russie (Service fédéral des migrations). Le 4 mars 2014, ce bureau a rejeté la demande, jugeant que l’auteur n’avait pas apporté la preuve que sa crainte d’être persécuté en cas d’extradition était fondée. L’auteur a contesté cette décision auprès du Service fédéral des migrations.

2.10Le 9 avril 2014, le tribunal municipal de Moscou a rejeté les recours formés par l’auteur contre la décision du Bureau du Procureur général d’autoriser son extradition. À une date non précisée, l’auteur et son conseil ont fait appel de cette décision de rejet devant la Cour suprême de la Fédération de Russie.

2.11Le 24 mai 2014, le Service fédéral des migrations a rejeté le recours formé par l’auteur contre la décision rendue le 4 mars 2014 par son bureau de Moscou.

2.12Le 25 juin 2014, la Cour suprême a rejeté l’appel formé par l’auteur contre la décision rendue le 9 avril 2014 par le tribunal municipal de Moscou.

2.13Toujours le 25 juin 2014, le conseil de l’auteur a déposé auprès de la Cour européenne des droits de l’homme une demande de mesures provisoires de protection. Le 26 juin 2014, la Cour européenne a rejeté la demande.

2.14L’auteur demande au Comité de prier l’État partie de ne pas procéder à son expulsion tant que sa communication sera en cours d’examen par le Comité.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en tant que Tadjik d’origine, il risquerait, en cas d’extradition, d’être soumis à la torture et à d’autres traitements dégradants, qui viseraient à lui faire avouer des crimes qu’il n’a pas commis et à engager contre lui des poursuites pénales sur la base d’accusations inventées de toutes pièces. Il soutient que les minorités sont victimes de discrimination au Kirghizistan, ce dont témoignent plusieurs rapports d’organisations internationales. Il craint pour sa vie et sa santé car, selon lui, la torture est répandue et impunie au Kirghizistan.

3.2À l’appui de ses affirmations, l’auteur fait observer que, dans un rapport établi à la suite d’une mission effectuée en 2011 au Kirghizistan (A/HRC/19/61/Add.2), le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a confirmé avoir reçu des plaintes et des témoignages concernant le recours généralisé à la torture et à d’autres traitements cruels par les autorités kirghizes de maintien de l’ordre. Dans son rapport de 2013, Amnesty International a également fait référence aux conclusions du Rapporteur spécial sur la question de la torture, notamment aux allégations de torture, d’aveux forcés, de procès inéquitables, entre autres violations des droits d’Ouzbeks détenus et poursuivis dans le contexte des événements de 2010. L’auteur ajoute que dans son édition de 2011 du Country reports on human rights practices,le Département d’État des États-Unis a fait remarquer que de nombreux avocats de la défense et de multiples organisations de surveillance des droits de l’homme, dont Golos svobody (« Voix de la liberté »), Citizens against corruption et Human Rights Watch, avaient continué de signaler, tout au long de l’année, un grand nombre de cas de torture par des membres de la police et d’autres institutions de maintien de l’ordre. Selon des informations persistantes, des agents battaient des détenus et des prisonniers (en particulier des Ouzbeks dans le sud du pays) pour leur extorquer de l’argent en échange de leur libération ou pour leur faire avouer des infractions pénales.

3.3L’auteur affirme que, dans son cas précis, le risque de torture est plus que réel ; il est accusé à tort de s’être enfui de prison, puisqu’il avait bénéficié d’une mise en liberté provisoire accordée par l’administration pénitentiaire et n’avait ensuite pas pu, pour des raisons objectives, retourner au Kirghizistan. Il fait observer que pendant le temps passé dans divers lieux de privation de liberté au Kirghizistan, il a été victime de discrimination à cause de son origine ethnique tadjike. Au Kirghizistan, il serait immédiatement arrêté, ce qui aggraverait le risque qu’il soit torturé et ainsi forcé à s’avouer coupable de délit de fuite, en violation de l’article 7 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 6 octobre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité. Il rappelle que, lorsque l’auteur était en détention dans l’attente de son expulsion, celui-ci a exprimé le souhait de demander l’asile en Fédération de Russie. Pour que ses droits soient respectés, des fonctionnaires du Service fédéral des migrations lui ont rendu visite en détention, ont reçu sa demande, ont procédé à un entretien et ont ouvert un dossier avec le formulaire et le questionnaire de demande d’asile, comme le prévoit la loi fédérale de 1993 sur les réfugiés.

4.2L’État partie fait observer qu’à la demande des autorités kirghizes, l’auteur est visé par un avis international de rechercheparce qu’il s’est enfui d’un lieu de privation de liberté où il purgeait une peine et parce qu’il doit reprendre l’exécution de cette peine prononcée contre lui le 23 avril 2004 par le tribunal du district Alaï, dans la région d’Och.

4.3L’État partie rappelle que le 23 avril 2004, l’auteur a été condamné à quatorze ans de prison par le tribunal du district Alaï, dans la région d’Och, pour avoir illégalement acquis, importé et stocké au Kirghizistan quelque 5,3 kg de stupéfiants, plus exactement d’héroïne, dans l’intention de la vendre.

4.4Le bureau de Moscou du Service fédéral des migrations a examiné la demande d’asile de l’auteur de manière approfondie et objective, dans les délais prescrits et en tenant compte de la situation au Kirghizistan. Le 4 mars 2014, il a rejeté la demande de l’auteur, qui n’était pas un réfugié au sens de la loi fédérale de 1993 sur les réfugiés. Selon cette loi, un réfugié est une personne qui a des motifs raisonnables et fondés de craindre d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa citoyenneté, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques, qui se trouve en dehors de son pays d’origine et qui ne peut pas bénéficier de la protection de ce pays ou ne veut pas en bénéficier en raison de ses craintes.

4.5Le Service fédéral des migrations a conclu que l’auteur ne risquait pas, au Kirghizistan, d’être persécuté en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa citoyenneté, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social particulier. Aucune préoccupation d’ordre humanitaire n’empêchait que l’auteur soit expulsé ni n’exigeait qu’il demeure en Fédération de Russie. Le Service fédéral des migrations a fondé sa décision sur l’analyse de la demande de l’auteur et sur les informations que lui avait communiquées le Bureau du Procureur général de la Fédération de Russie au sujet de l’extradition de l’auteur. Il a conclu que rien ne permettait de penser que l’auteur risquerait d’être soumis à la torture en cas d’extradition.

4.6L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas demandé l’asile lorsqu’il est arrivé en Fédération de Russie en janvier 2009, mais seulement en février 2014, après avoir été détenu en vue de son extradition vers le Kirghizistan.

4.7Les craintes de l’auteur face aux poursuites pénales dont il fait l’objet ne peuvent motiver l’octroi de l’asile. Selon le droit pénal de la Fédération de Russie, les actes dont l’auteur est accusé au Kirghizistan constituent également une infraction passible d’une privation de liberté.

4.8D’après l’État partie, l’argument selon lequel l’auteur ne serait pas coupable de l’infraction dont il est accusé (évasion d’un lieu de privation de liberté) n’est pas recevable dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile.

4.9L’auteur n’a produit devant le Service fédéral des migrations aucun élément prouvant qu’il existait des motifs sérieux de craindre que les fonctionnaires kirghizes lui feraient subir des traitements cruels. Le Service fédéral des migrations a minutieusement examiné tous les motifs d’asile dans le cas de l’auteur, les a dûment évalués et appréciés, puis a rendu une décision en stricte conformité avec la loi et les obligations internationales de l’État partie.

4.10Selon l’État partie, la communication de l’auteur est dénuée de fondement et ne répond pas aux critères de recevabilité définis à l’article 5 du Protocole facultatif.

4.11En vertu de l’article 412.1 du Code de procédure pénale, les décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée peuvent être réexaminées par le Présidium de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle, dans un délai d’un an à compter de leur adoption. En application de l’article 412.1 (par. 1 et 3) du Code de procédure pénale, le Présidium de la Cour suprême examine les décisions rendues en première instance par les cours suprêmes des républiques ainsi que les tribunaux des krai et des régions, les tribunaux des villes d’importance fédérale, et les tribunaux des régions autonomes et des districts autonomes, une fois que ces décisions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée et pour autant qu’elles aient fait l’objet d’un examen en appel par la Cour suprême de la Fédération de Russie.

4.12Sur ce point, l’État partie fait remarquer que l’auteur aurait pu demander le réexamen, au titre de la procédure de contrôle, de la décision du 9 avril 2014 par laquelle le tribunal municipal de Moscou a rejeté le recours qu’il avait formé contre la décision du Bureau du Procureur général d’autoriser son extradition, ainsi que de la décision du 25 juin 2014 par laquelle la Cour suprême a confirmé la décision du tribunal municipal de Moscou. L’auteur n’a donc pas épuisé tous les recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une lettre datée du 16 mars 2015, le conseil de l’auteur a formulé des commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il fait observer qu’en l’espèce, la décision finale a été rendue en appel par la Cour suprême de la Fédération de Russie le 25 juin 2014. Le réexamen d’une décision par le Présidium de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle constitue une voie de recours extraordinaire. L’introduction d’une requête en contestation en vue d’un tel réexamen relève des prérogatives du juge chargé d’étudier la réclamation, de sorte qu’il n’y a aucune garantie que l’affaire sera examinée sans condition.

5.2Le conseil fait également observer que, le 15 août 2014, l’auteur a été transféré depuis Moscou au Service fédéral chargé de l’application des peines dans la région d’Omsk, en vue de son extradition. D’après lui, l’auteur a en fait déjà été extradé.

5.3Le conseil rappelle l’argument de l’auteur selon lequel il risquerait, en cas d’extradition, d’être soumis à la torture et à d’autres traitements inhumains ou cruels à cause de son origine ethnique tadjike, ce qui constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

5.4Le conseil ajoute que, pendant son incarcération à la colonie pénitentiaire de Djalalabad, l’auteur a été victime de traitements cruels, infligés par des agents pénitentiaires en raison de son appartenance ethnique.

5.5À l’appui de l’argument selon lequel des membres de minorités nationales sont persécutés au Kirghizistan, le conseil renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Ergashev v. Russian Federation (requête no 49747/11). Selon la Cour, au vu des nombreux rapports d’organisations internationales sur le respect des droits de l’homme au Kirghizistan, il convenait de noter que, bien que la situation se soit améliorée depuis l’été 2010, les agents du maintien de l’ordre continuaient de faire un large usage de la torture, de traitements cruels et d’extorsion contre les personnes d’origine ethnique ouzbèke soupçonnées d’avoir commis des infractions dans le contexte des affrontements de 2010. La Cour a donc conclu qu’il y avait des raisons de croire qu’il existait un risque que le requérant soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et que son extradition constituerait une violation de la Convention. Même si, en l’espèce, l’auteur est d’origine ethnique tadjike et non ouzbèke, il risque malgré tout, d’après son conseil, d’être persécuté en raison de son origine ethnique.

5.6Toujours de l’avis de son conseil, l’auteur court un risque plus que réel d’être soumis à la torture : il est accusé de s’être enfui d’un lieu de privation de liberté, même s’il a été libéré par l’administration pénitentiaire pour assister aux funérailles de son père, et n’a ensuite pas pu, pour des raisons objectives, retourner au Kirghizistan au moment voulu.

5.7Le conseil soutient que l’auteur serait immédiatement arrêté s’il retournait au Kirghizistan, et risquerait alors d’être torturé et ainsi forcé à s’avouer coupable de délit de fuite.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale datée du 30 juillet 2015, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Premièrement, il relève que l’argument du conseil selon lequel l’auteur ferait l’objet de poursuites pénales en raison de son origine ethnique est sans fondement. Ces poursuites sont de nature générale et n’ont rien à voir avec la politique kirghize.

6.2Le 9 avril 2014, en examinant l’appel formé par l’auteur contre la décision du 24 janvier 2014 par laquelle le Bureau du Procureur général autorisait son extradition, le tribunal municipal de Moscou a constaté que des éléments du dossier contredisaient les affirmations de l’auteur selon lesquelles celui-ci ne savait pas qu’il était poursuivi au Kirghizistan. Devant le tribunal, l’auteur n’a pas nié avoir quitté l’établissement pénitentiaire avant la fin de sa peine, et n’a pas nié avoir quitté le Kirghizistan. Il n’a pas contesté les motifs, liés au trafic de stupéfiants, ayant justifié les poursuites engagées contre lui et fondé sa condamnation. Comme le montrent des éléments du dossier, il s’était engagé par écrit, au moment de son incarcération, à ne pas commettre d’évasion.

6.3Ces faits, pris ensemble, montrent que l’auteur était conscient de la nécessité de purger sa peine, qui a été réduite en vertu de différentes lois d’amnistie, ainsi que de la nécessité de ne pas chercher à éviter de purger cette peine. Le tribunal n’a reçu aucune information convaincante ou véridique établissant que l’auteur avait quitté la colonie pénitentiaire et s’était rendu à l’étranger avec l’accord de l’administration pénitentiaire. Au contraire, d’après les éléments présentés par le Bureau du Procureur général, aucune autorisation de sortie n’a jamais été délivrée à l’auteur.

6.4Les autorités kirghizes n’ont fait preuve d’aucune discrimination à l’égard de l’auteur, comme en témoignent la réduction de sa peine en vertu de trois lois d’amnistie générale, son transfert d’une colonie à régime strict vers une colonie semi-ouverte autorisant les déplacements sans escorte, ainsi que l’absence de plaintes dénonçant un usage de la force physique ou concernant une assistance médicale.

6.5Lorsqu’il a été arrêté à Moscou, l’auteur n’était pas enregistré comme migrant et n’avait pas de permis de travail en Fédération de Russie. Le tribunal n’a reçu aucune information convaincante ou véridique qui pourrait constituer un motif de penser qu’en cas de retour au Kirghizistan, l’auteur serait soumis à la torture ou à d’autres traitements illicites dans le contexte des poursuites pénales engagées contre lui.

6.6L’État partie ajoute que le tribunal n’a trouvé aucune raison de douter des garanties présentées par le Bureau du Procureur général du Kirghizistan conformément aux dispositions de la Convention relative à l’aide juridictionnelle et aux relations juridiques dans le cadre des affaires civiles, familiales et pénales.

6.7Compte tenu de ce qui précède, le 9 avril 2014, le tribunal municipal de Moscou a confirmé la légalité et le bien-fondé de la décision du Procureur général adjoint de la Fédération de Russie d’autoriser l’extradition de l’auteur.

6.8Le 25 juillet 2014, la Cour suprême de la Fédération de Russie a confirmé, en appel, la décision rendue le 9 avril 2014 par le tribunal municipal de Moscou, notant que, conformément à la décision du bureau de Moscou du Service fédéral des migrations, la demande d’asile de l’auteur avait été rejetée le 4 mars 2014.

6.9L’État partie fait observer que rien dans les éléments sur lesquels a été fondée la décision d’autoriser l’extradition ne permet de penser que l’auteur courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants une fois rentré au Kirghizistan. Il en va de même des éléments présentés en appel.

6.10Après l’extradition de l’auteur de la Fédération de Russie vers le Kirghizistan, selon les informations communiquées par le Bureau du Procureur général du Kirghizistan, le 3 décembre 2014, le tribunal municipal d’Och, se fondant sur l’article 336 (par. 1) du Code pénal, a déclaré l’auteur coupable de s’être enfui d’un lieu de privation de liberté et, compte tenu de la peine de prison que celui-ci devait encore purger, l’a condamné à deux ans et sept mois de prison dans une colonie pénitentiaire à régime strict. Le tribunal a pris en compte le temps que l’auteur avait passé en détention provisoire, à savoir un an, trois mois et huit jours. La décision du 3 décembre 2014 n’a pas fait l’objet d’un appel et est devenue exécutoire. Au cours de l’enquête et du procès, l’auteur était représenté par une avocate, Mme D. Ni lui ni elle n’ont déposé une quelconque plainte pour traitements cruels auprès de l’administration du centre de détention provisoire.

6.11Après avoir purgé sa peine de prison, l’auteur a été libéré le 5janvier 2015 et est parti pour le Tadjikistan.

6.12L’État partie conclut en faisant observer que rien ne permet de penser qu’à son retour au Kirghizistan, l’auteur a été soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Conformément à l’article5 (par.2a)) du Protocole facultatif, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité s’est assuré qu’une requête avait bien été déposée le 25 juin 2014 au nom de l’auteur auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, assortie d’une demande de mesures provisoires visant à empêcher l’extradition de l’auteur de la Fédération de Russie vers le Kirghizistan. Il note que, le 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la demande de mesures provisoires et informé le requérant que, par conséquent, le dossier serait détruit en temps utile sans autre examen. Dans ces circonstances, le Comité considère que les dispositions de l’article5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

7.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour non-épuisement des voies de recours internes. Sur ce point, l’État partie a fait observer que l’auteur n’avait pas saisi le Présidium de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle prévue à l’article 412.1 du Code de procédure pénale. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle les demandes de contrôle de décisions judiciaires devenues exécutoires adressées au président d’un tribunal et subordonnées au pouvoir discrétionnaire du juge constituent un recours extraordinaire, et que l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables que ces demandes constituent un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Il fait observer qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas communiqué d’informations sur le nombre de cas dans lesquels la saisine de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle avait abouti dans des affaires d’allégations de torture et de mauvais traitements. En conséquence, il conclut que les dispositions de l’article5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

7.5Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte, à savoir qu’en cas d’extradition, il risquerait, en tant que Tadjik et donc membre d’une minorité ethnique au Kirghizistan, d’être persécuté et de subir des traitements inhumains, dégradants et cruels, ycompris des actes de torture.

7.6Le Comité prend note des informations que l’auteur a soumises pour étayer ses allégations au sujet d’actes de torture commis au Kirghizistan, en particulier dans le sud du pays, notamment contre des membres de la minorité ouzbèke. Il note également que l’auteur a affirmé, sans toutefois fournir de preuves ou d’explications, avoir été, pendant sa détention au Kirghizistan, persécuté en raison de son origine ethnique.

7.7Cependant, au vu des éléments du dossier, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs. Il considère en particulier que l’auteur n’a pas établi de lien entre la situation des droits de l’homme au Kirghizistan et son cas personnel. Faute d’information pertinente dans le dossier, il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. Il déclare donc les griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte irrecevables au regard de l’article2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.