Nations Unies

CCPR/C/128/D/2568/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 mai 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2568/2015 *, **

Communication présentée par :

D. G., D. G., E. B., M. A., L. L., R. G., E. M., V. H., M. C., E. P., M. C., W. D., J. D., J. B., L. C. F., N. L. V., E. S., E. B., A. P., M. P., R. R., J. B., M. B., L. G., V. C., A. C., A. M., S. Y., J. Y., G. A., C. A. S., A. V. M., T. B., A. B., G. A., I. A., M. S., G. A., F. D., M. C., I. G., R. P., J. E., R. E., P. A., A. O., M. A. O., C. A., G. S., R. M., M. A., A. B., C. E., A. C., D. C., A. B., R. B., C. B., D. L., A. V., M. I. G., C. B., S. B., R. G. B., C. M., J. J., G. G., F. A., L. G., G. R., P. P., S. B., J. P., R. V., A. B., G. L. (au nom de son fils décédé, A. L.), M. H. (au nom de son époux décédé, A. H.), A. H., D. A., T. A., A. G., N. D., F. P., P. P., J. P., C. S., J. A., P. R., S. C., P. P., G. Q., M. M., S. B., A. G., P. J. G., N. S., N. S., K. A., J. V. J., R. G. et A. B. (représentés par Bret Thiele, Lauren Carasik et Melona R. Daclan)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Philippines

Date de la communication :

25 mars 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 13 février 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

13 mars 2020

Objet :

Expulsion ; accès à un recours utile ; droit à la vie privée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Expulsion ; droit à un recours ; droit à la vie ; violence et emploi d’une force excessive dans le contexte d’une expulsion ; torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7 et 17

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs, D. G., D. G., E. B., M. A., L. L., R. G., E. M., V. H., M. C., E. P., M. C., W. D., J. D., J. B., L. C. F., N. L. V., E. S., E. B., A. P., M. P., R. R., J. B., M. B., L. G., V. C., A. C., A. M., S. Y., J. Y., G. A., C. A. S., A. V. M., T. B., A. B., G. A., I. A., M. S., G. A., F. D., M. C., I. G., R. P., J. E., R. E., P. A., A. O., M. A. O., C. A., G. S., R. M., M. A., A. B., C. E., A. C., D. C., A. B., R. B., C. B., D. L., A. V., M. I. G., C. B., S. B., R. G. B., C. M., J. J., G. G., F. A., L. G., G. R., P. P., S. B., J. P., R. V., A. B., G. L. (au nom de son fils décédé, A. L.), M. H. (au nom de son époux décédé, A. H.), A. H., D. A., T. A., A. G., N. D., F. P., P. P., J. P., C. S., J. A., P. R., S. C., P. P., G. Q., M. M., S. B., A. G., P. J. G., N. S., N. S., K. A., J. V. J., R. G. et A. B., de la communication datée du 25 mars 2013, affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 3), 7 et 17 du Pacte. Les auteures M. H. (au nom de son époux décédé, A. H.) et G. L. (au nom de son fils décédé, A. L.) arguent en outre de violations de l’article 6 du Pacte. Les auteurs R. V. et A. B. soutiennent qu’ils sont visés par plusieurs accusations de meurtre fabriquées de toutes pièces parce qu’ils se sont battus contre les expulsions et les démolitions qui ont eu lieu dans la zone métropolitaine de Manille. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour les Philippines le 22 août 1989. Les auteurs sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Dans la communication, les auteurs dénoncent l’expulsion qui a eu lieu le 11 janvier 2012 dans le barangay Corazon de Jesus, dans la ville de San Juan (Philippines). Les auteurs soutiennent que cette expulsion, dans le contexte de laquelle des actes de violence ont été commis et les dirigeants de la communauté expulsée ont été harcelés, avait pour but de permettre la construction d’un hôtel de ville et de structures commerciales.

2.2Les auteurs avancent que les terrains dont ils ont été expulsés étaient depuis toujours des terrains publics qui étaient considérés comme « zones sûres ». Le 6 octobre 1987, la Présidente de l’époque, Corazon Aquino, a pris la proclamation no 164, par laquelle certaines parcelles de terrain étaient exclues de tout futur développement au motif qu’elles étaient utilisées à des fins résidentielles depuis les années 1950. Depuis lors, les autorités ont refusé de respecter cette proclamation et ont élaboré une stratégie visant à faire passer l’expropriation pour une mesure légale.

2.3Les auteurs avancent que, le 1er juin 1988, l’association des propriétaires de Corazon de Jesus a déposé plainte contre la maire de San Juan, l’ingénieur de la municipalité et le conservateur du sanctuaire de Pinaglabanan afin d’empêcher le déplacement de familles et la démolition de maisons du barangay. L’association arguait que la proclamation no 164 attribuait à ses membres les parcelles de terrain qu’ils occupaient. Les auteurs déclarent que la cour d’appel a fait droit à la demande de l’association, mais, en 1997, la Cour suprême a infirmé sa décision et jugé la proclamation no 164 invalide au motif que Mme Aquino avait pris le pouvoir sous un gouvernement révolutionnaire. La Cour suprême s’est appuyée sur le décret présidentiel no 1716 − pris par le chef de l’État dans l’exercice de son pouvoir législatif −, qui réservait certains terrains publics à l’usage des autorités, y compris ceux sur lesquels se trouvait le barangay Corazon de Jesus.

2.4Les auteurs estiment que les circonstances de l’expulsion des habitants du barangay Corazon de Jesus ne sont conformes ni aux normes internationales ni à la législation nationale applicable, à savoir la loi de 1992 sur le développement urbain et le logement et la Constitution de 1987 des Philippines.

2.5Le 5 décembre 2011, un avis d’expulsion visant 121 familles du barangay Corazon de Jesus a été déposé à la salle communale du barangay. Cet avis ne désignait pas nommément les personnes concernées, qui ne l’ont pas reçu en mains propres et qui, pour la plupart, n’en avaient pas connaissance. Le 6 janvier 2012, les autorités ont affiché sur la porte d’entrée de l’une des maisons du barangay un deuxième avis d’expulsion qui indiquait que les résidents avaient trois jours pour quitter leur logement, mais ne précisait pas non plus qui était visé. Les résidents du barangay Corazon de Jesus n’ont été consultés d’aucune manière, que ce soit avant ou pendant leur expulsion, et ne se sont pas vu donner l’occasion de s’opposer à la démolition ou de participer à des discussions concernant leur réinstallation.

2.6Dans la matinée du 11 janvier 2012, la police et les équipes de démolition ont pris position de l’ensemble du barangay et ont empêché les résidents d’entrer chez eux. Armés les uns de fusils d’assaut et de bombes lacrymogènes, les autres de pierres et de bombes à eau, policiers et démolisseurs s’en sont violemment pris aux résidents, qui avaient organisé un blocus humain pacifique. Ils ont utilisé des bulldozers et arrosé la foule avec des lances anti-incendie depuis des camions de pompiers. Les arrestations illégales et les violences qui ont été commises ont causé de multiples blessures à au moins 23 résidents, comme indiqué dans les informations recueillies, parmi lesquels des enfants mineurs. Vingt-quatre habitants du barangay ont été arrêtés illégalement (y compris des enfants mineurs). Six de ces enfants ont été libérés dans la soirée du 11 janvier 2012. Toutefois, selon les auteurs, le nombre réel de victimes est supérieur au nombre signalé. Les activités de démolition ont repris après les arrestations, le 11 janvier 2012, et se sont poursuivies jusqu’au soir du 13 janvier 2012.

2.7À cause de la démolition, 121 familles se sont retrouvées sans abri et ont été contraintes de se réinstaller dans des zones déclarées « zones dangereuses » ou dans des logements inadéquats. Ces familles ayant été relogées dans des zones dangereuses, les conditions dans lesquelles le Gouvernement les a relogées étaient donc très inférieures à celles dans lesquelles elles vivaient dans le barangay Corazon de Jesus. De plus, les auteurs se sont vu attribuer des logements inadéquats et ont été privés d’accès à l’emploi et aux services sociaux. Ils ont dû engager des dépenses supplémentaires pour les transports et d’autres besoins essentiels, notamment s’acquitter d’un loyer mensuel pour occuper une petite parcelle de terrain. Au moment de la soumission de la lettre initiale, les auteurs ont souligné que plus de 1 000 autres familles du barangay Corazon de Jesus qui n’avaient pas été expulsées le 11 janvier 2012 risquaient de l’être de façon imminente.

2.8Pour montrer que l’expulsion est une pratique systématique dont les conséquences sont multiples, les auteurs avancent également qu’ils ont été victimes d’arrestation arbitraire, de menaces, de harcèlement et de violences parce qu’ils ont tenté d’obtenir réparation auprès des autorités nationales et parce qu’ils ont saisi le Comité. Tentant de résister à l’expulsion, les résidents du barangay Corazon de Jesus ont organisé en 2011 des blocus pacifiques pour empêcher la démolition de leurs maisons. À cet égard, entre le 25 janvier 2011 et le 11 janvier 2012, 24 personnes − résidents et sympathisants − ont été illégalement arrêtées et 86 ont été blessées par les équipes de démolition ou la police, tant avant l’expulsion que pendant et après les affrontements liés à leur réinstallation. D’autres quartiers ont été visés également par des expulsions accompagnées d’actes de violence et d’un emploi excessif de la force. Une dizaine de personnes ont été tuées aux Philippines, dans le cadre des expulsions qui ont eu lieu à Silverio, dans le barangay San Dionisio (municipalité de Paranaque), et dans le village de Pangarap (municipalité de Caloocan) (voir par. 3.3 plus bas). Les violations des droits se sont poursuivies après l’expulsion de janvier 2012. Le 29 novembre 2012, 10 dirigeants du barangay Corazon de Jesus, dont les auteurs, qui s’étaient réunis pour discuter de la communication qu’ils entendaient présenter au Comité, ont été placés en état d’arrestation pour rassemblement illégal. L’une des auteures, M. B., a été maintenue en détention jusqu’au 5 décembre 2012. Bien que les poursuites pour rassemblement illégal aient finalement été abandonnées faute de preuves, le 24 mai 2012, les dirigeants ont été accusés de « simple désobéissance à un agent ou un représentant de l’autorité » au motif qu’ils ne s’étaient pas présentés devant le tribunal.

2.9Les auteurs soutiennent que les autorités philippines ont harcelé, intimidé et menacé les auteurs, ainsi que leurs conseils et leurs sympathisants. À la fin de 2012, elles ont ordonné l’arrestation de deux des auteurs, R. V. et A. B., dirigeants syndicaux, défenseurs des populations urbaines pauvres et fondateurs d’organisations de défense des droits de l’homme. Injustement accusés de meurtre, ils n’ont jamais reçu copie des mandats d’arrêt délivrés contre eux ni été informés par écrit de ce qui leur était exactement reproché.

2.10Les auteurs soutiennent qu’ils ont épuisé tous les recours internes depuis que l’association des propriétaires de Corazon de Jesus a été déboutée par la Cour suprême (plus haute juridiction des Philippines), le 29 septembre 1997, d’autant que la plainte dont ils ont saisi la Commission des droits de l’homme des Philippines en 2011 est toujours pendante. Ils avancent que, étant donné que la Cour suprême a déclaré la proclamation no 164 invalide et que les tribunaux refusent donc de tenir compte de ce texte, ils n’ont aucun recours interne à leur disposition pour contester leur expulsion.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs de la communication affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 3), 7 et 17 du Pacte. Ils arguent en outre d’une violation de l’article 6 en ce qui concerne les personnes tuées au cours de l’expulsion, à savoir les auteurs A. H. et A. L., qui sont représentés par des membres de leur famille (M. H. et G. L., respectivement).

3.2Étant donné que les autorités ont fait passer l’expulsion par la violence des résidents du barangay Corazon de Jesus pour une mesure prise et exécutée en toute légalité, les intéressés ne disposent d’aucun recours utile devant les tribunaux nationaux, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. De surcroît, les auteurs n’ont pas été informés en bonne et due forme et avec un préavis suffisant de la décision d’expulsion et n’ont eu aucun moyen concret de la contester. La publication de l’avis d’expulsion, l’expulsion elle-même et la démolition des logements ont eu lieu dans un intervalle de temps très court, ce qui a privé les intéressés de tout recours effectif contre les violations de leurs droits. Les auteurs soutiennent en outre que les autorités bloquent leurs tentatives pour accéder à la justice ou les répriment en recourant au harcèlement, à la violence et aux menaces, et que, aux Philippines, les victimes d’expulsion ne sont pas indemnisées, ne bénéficient pas de toute l’aide dont elles ont besoin pour se reloger et sont réinstallées dans de moins bonnes conditions qu’avant leur expropriation sans avoir aucun recours à leur disposition.

3.3En ce qui concerne l’article 6, les auteurs soutiennent qu’à ce jour, 10 personnes ont perdu la vie à cause des expulsions par la violence auxquelles l’État partie a procédé, notamment les auteurs A. H., tué le 16 mars 2011 alors qu’il tentait d’empêcher la démolition de sa maison, et A. L., morte d’une blessure par balle le 23 avril 2012. Les auteurs soulignent que l’État partie a manqué à son devoir de prévenir la privation de la vie en se livrant à des actes criminels et en permettant à ses propres forces de sécurité de commettre des homicides arbitraires.

3.4Les auteurs avancent que l’État partie a violé l’article 7 du Pacte en ce que, outre que la menace permanente d’expulsion à laquelle ils ont été exposés peut en soi être qualifiée de traitement cruel, inhumain ou dégradant, la police et les équipes de démolition ont usé de la violence et de la force entre le 25 janvier 2011 et le 11 janvier 2012 (voir par. 2.8 plus haut) pour les expulser et les ont harcelés et menacés, autant d’actes qui sont constitutifs de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

3.5Les auteurs soutiennent en outre que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article17 du Pacte. Ils se réfèrent à la jurisprudence du Comité, dont il ressort que les expulsions et les démolitions de logements constituent des violations de l’article 17 du Pacte, même lorsque les personnes expulsées ne sont pas propriétaires du terrain sur lequel elles vivent. Dans l’affaire Liliana Assenova Naidenova et al. c. Bulgarie, le Comité a estimé que l’expulsion constituait une violation de l’article 17 lorsqu’elle visait des personnes qui vivaient depuis longtemps dans le logement dont elles avaient été expulsées ou qui, du fait de leur expulsion, se retrouvaient ou risquaient de se retrouver sans abri, et lorsque les intéressés n’avaient pas ou pas suffisamment été consultés concernant leur réinstallation dans un logement de remplacement convenable. Les auteurs avancent qu’ils ne se sont pas vu attribuer un logement de remplacement convenable et n’ont pas été autorisés à participer de manière significative aux décisions concernant leur réinstallation, et que le Comité devrait donc suivre en l’espèce le même raisonnement que dans l’affaire Liliana Assenova Naidenova et al. c. Bulgarie. Selon eux, leur expulsion a entraîné une immixtion qui, même si elle était prévue par la loi, doit être considérée comme une immixtion arbitraire constitutive d’une violation de l’article 17 du Pacte.

3.6Les auteurs arguent qu’ils n’ont aucun recours interne à leur disposition contre la décision de la Cour suprême et n’ont plus aucun moyen de contester la privation de leur droit légitime à la terre ou leur expulsion devant les tribunaux de l’État partie ou de demander réparation pour le préjudice subi. Les auteurs arguent en particulier que le laps de temps qui s’est écoulé entre la publication de l’avis de démolition et la démolition elle-même a été trop court pour qu’ils puissent contester l’expulsion et qu’ils n’ont donc eu aucun recours effectif contre cette mesure. Leurs tentatives pour obtenir réparation en justice pour les violations de leur droit à leur domicile sont bloquées par les autorités qui les ont expulsés, voire sont réprimées par le harcèlement et la violence. Les auteurs soutiennent qu’en l’absence de recours disponibles ou utiles, rien dans les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêche le Comité d’examiner la communication, et que celle-ci porte sur une question qui n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

3.7Partant, les auteurs demandent au Comité de dire que l’État partie a violé les articles 2 (par. 3), 6, 7 et 17 du Pacte et de recommander à l’État partie d’accorder aux résidents du barangay Corazon de Jesus une protection légale contre l’expulsion, le harcèlement et les menaces, ainsi que de mettre fin à toutes les formes d’intimidation et de représailles dont eux, auteurs de la présente communication, et leurs défenseurs sont victimes. Ils estiment que l’État partie devrait aussi réinstaller les résidents de Corazon de Jesus qui ont été mal relogés dans un lieu convenable où ils auront dûment accès à l’emploi, aux installations essentielles et aux services sociaux, et veiller à ce qu’ils aient le droit de participer activement, librement et de manière significative à la prise de décisions concernant leur vie et leurs conditions de vie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 22 mars 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, et soutenu que celle-ci était irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif et de l’article 96 (al. b) et f)) du Règlement intérieur du Comité en ce qu’elle était dénuée de fondement et que les auteurs n’avaient pas épuisé tous les recours internes disponibles.

4.2L’État partie conteste la thèse des auteurs selon laquelle il aurait élaboré une stratégie visant à faire passer pour légale leur expropriation de terres dont la proclamation présidentielle no 164 leur accordait l’usage. Les auteurs ont contesté l’invalidation de cette proclamation devant la Cour suprême. Ayant été déboutés, ils soutiennent que l’arrêt rendu par la Cour le 29 septembre 1997 montre que l’État partie a fait un effort concerté pour les priver de leur droit légitime à la terre et de tout recours juridique contre leur expulsion.

4.3L’État partie rappelle que, par la proclamation no 1716, promulguée le 17 février1978 par le Président de l’époque, Ferdinand Marcos, certaines parcelles de terrain appartenant au domaine public situées dans la municipalité de San Juan (région métropolitaine de Manille) avaient été affectées à la construction d’un complexe municipal. La municipalité y a fait bâtir un poste de police, une caserne de pompiers, un bureau de poste, un palais de justice et un lycée. Le 6 octobre 1987, Mme Aquino a promulgué la proclamation no 164, qui portait modification de la proclamation no 1716 et excluait de son champ d’application des parcelles qui n’étaient pas occupées par des services municipaux et servaient à des fins résidentielles, les replaçant dans le giron de la loi sur le patrimoine immobilier public.

4.4Toutefois, la Cour suprême a déclaré la proclamation no 164 inconstitutionnelle, estimant qu’elle constituait manifestement une usurpation du pouvoir législatif par l’exécutif étant donné qu’elle avait été adoptée le 6 octobre 1987, date à laquelle ce pouvoir relevait déjà exclusivement de la compétence du Congrès. La Cour s’est prononcée après avoir apprécié les éléments factuels et juridiques pertinents. Contrairement à ce qu’affirment les auteurs, sa décision repose sur la Constitution et ne constitue pas un refus arbitraire ou injustifié d’accepter la proclamation no 164. L’État partie avance que les auteurs demandent au Comité de revenir sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve déjà faite par les tribunaux nationaux sans avoir démontré que cette appréciation était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. Or, si un tribunal parvient à une conclusion raisonnable sur un point de fait donné à partir des éléments dont il dispose, sa décision ne peut être considérée comme étant manifestement arbitraire ou comme représentant un déni de justice. Les griefs des auteurs concernant la validité de la proclamation no 164 sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.5L’État partie ajoute que, d’après l’Office national du logement, seuls 51 des 101 auteurs de la communication étaient effectivement des résidents du barangay Corazon de Jesus, où les violentes expulsions auraient eu lieu. En outre, certains noms figurent deux fois sur la liste des auteurs, ce qui montre que la communication contient des informations erronées et vise à induire le Comité en erreur.

4.6Les dossiers de l’Office national du logement montrent que l’auteur D. G. ne pouvait prétendre à la réinstallation car il s’était déjà vu attribuer un logement à Dasmariñas Bagong Bayan (ville de Cavite) dans le cadre d’un programme gouvernemental de relogement. D. G. a toutefois vendu ce logement puis s’est installé illégalement dans le barangay Corazon de Jesus, en violation de la loi sur le développement urbain et le logement. Par ailleurs, les auteurs n’ont pas suffisamment étayé la thèse selon laquelle les autorités ne les ont pas consultés, ont recouru à la violence et au harcèlement, les ont arbitrairement menacés de les arrêter et les ont réinstallés dans des lieux dangereux et dans des conditions inacceptables. Ces allégations sont dénuées de tout fondement factuel.

4.7En ce qui concerne la politique de réinstallation et de relogement de l’État partie, l’article28 de la loi sur le développement urbain et le logement décourage l’expulsion et la démolition, sauf lorsque la mesure a été ordonnée par un juge, lorsque les personnes ou entités concernées occupent un site dangereux ou lorsqu’il s’agit de permettre la réalisation imminente de projets d’infrastructures publiques dûment financés. L’article28 prévoit en outre qu’une procédure particulière doit être suivie dans les cas où les personnes visées sont défavorisées ou sans abri, notamment que ces personnes doivent être dûment consultées et recevoir un préavis d’au moins trente jours, que l’expulsion ou la démolition doivent avoir lieu en présence de représentants de l’administration locale, que tous les participants aux opérations de démolition doivent être identifiables comme tels et que les personnes expulsées doivent être convenablement relogées, temporairement ou à titre permanent. Les articles21 et 22 de la loi sur le développement urbain et le logement prévoient que l’Office national du logement ou l’organisme local compétent doivent réinstaller les personnes expulsées dans un lieu où elles ont accès aux installations et aux services essentiels, notamment à l’eau potable, à l’électricité et à l’assainissement, et que les administrations publiques doivent s’attacher en priorité à concevoir des programmes d’aide à la subsistance et à accorder des prêts de subsistance aux bénéficiaires des programmes de réinstallation. Étant donné qu’il s’est acquitté de toutes les obligations tant substantielles que procédurales qui lui étaient imposées par la loi, l’État partie rejette catégoriquement toutes les allégations formulées dans la communication, qu’il juge dénuées de fondement et injustifiées.

4.8L’État partie rejette les allégations des auteurs selon lesquelles les autorités ont expulsé les résidents de l’établissement informel qu’est le barangay Corazon de Jesus de manière violente et brutale. Il soutient que, au contraire, 321 familles se sont portées volontaires pour être réinstallées dans les quartiers de Southville 8-B et 8-C, à Rodriguez (province de Rizal).

4.9L’État partie nie que les auteurs n’ont pas été dûment informés de l’expulsion, étant donné que les documents officiels montrent que l’administration locale s’est conformée à toutes les prescriptions de la loi sur le développement urbain et le logement relatives à la notification et aux consultations. Des avis d’expulsion individuels ont été envoyés aux résidents concernés les 27 mai, 4 juin et 9 décembre 2010. Plusieurs ont toutefois refusé d’accepter le pli qui leur était destiné. En conséquence, des avis ont été placardés en évidence dans des lieux passants tels que la salle communale du barangay, les aubettes situées le long des routes et rues principales, et dans les garderies. Les organismes publics compétents ont tenu des consultations avec les résidents concernés avant, pendant et après la réinstallation. Le 8 octobre et les 28 et 29 décembre 2010, l’Office municipal de la protection sociale et du développement de San Juan a organisé trois réunions consultatives auxquelles ont participé des représentants de l’administration locale et des résidents. Un autre dialogue entre l’administration locale et les résidents a eu lieu le 9 septembre 2010. Enfin, le 21 janvier 2011, c’est l’office du logement de San Juan qui a organisé une réunion d’information sur le site de réinstallation de Rodriguez (province de Rizal), au cours de laquelle il a présenté les installations et les services disponibles sur place et expliqué l’échéancier de paiements qui s’appliquerait à l’expiration du moratoire d’un an sur les remboursements. Les résidents ont eu la possibilité de poser des questions sur leur réinstallation, y compris sur la procédure d’attribution des logements et sur l’aide financière et médicale et l’aide au transport dont ils bénéficieraient une fois réinstallés.

4.10La réinstallation a eu lieu le 25 janvier 2011. L’administration locale s’est chargée du transport des résidents et du déménagement de leurs effets personnels. Chaque famille a bénéficié d’une aide financière et de services médicaux et a reçu un sac de riz et d’autres provisions. Les 9, 12 et 18 mars 2011, le comité local interorganismes a tenu des réunions de consultation avec les résidents.

4.11Les actes de violence qui ont été commis le jour de la réinstallation sont le seul fait de certains résidents et de membres de groupes d’intérêt. L’État partie a soumis au Comité, pour examen, une vidéo enregistrée au barangay Corazon de Jesus le 25 janvier 2011. Sur cette vidéo, l’on peut voir que, loin d’avoir organisé un blocus humain pacifique, des résidents et des personnes venues de l’extérieur s’en sont violemment prises aux forces de police chargées de maintenir l’ordre et d’assurer la sécurité pendant la réinstallation. Cependant qu’un officier de police négociait pacifiquement avec les habitants pour leur faire quitter les lieux, un groupe de civils indisciplinés a commencé à jeter des pierres, des blocs de béton et des cocktails Molotov sur les policiers. Contrairement à ce que les auteurs soutiennent, la police était seulement équipée de boucliers antiémeute ; elle n’était pas armée de fusils ou de pistolets, n’a pas lancé de bombes lacrymogènes sur la foule et a utilisé les lances d’incendie uniquement pour empêcher la foule d’avancer sur elle. Six policiers et 12 membres de l’équipe de réinstallation ont été blessés par la foule. Les autorités n’ont pas employé un bulldozer. Simplement, une chargeuse sur pneus garée à proximité a été utilisée pour protéger les policiers et empêcher la foule, y compris les personnes qui leur lançaient des pierres, de s’en prendre à eux. L’État partie rejette les allégations selon lesquelles les résidents du barangay Corazon de Jesus ont été réinstallés à Lupang Arenda (municipalité de Taytay) et à Southville 1-K-1 (municipalité de Rodriguez), dans la province de Rizal, précisément parce que ces quartiers ne convenaient pas. Les familles qui avaient volontairement accepté d’être réinstallées ont été relogées à Southville 8-B et 8-C (municipalité de Rodriguez, province de Rizal), qui se trouvent à une heure seulement du barangay Corazon de Jesus et où les transports publics sont accessibles. Ces quartiers sont raccordés aux réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement et sont dotés d’écoles, de garderies, de centres de santé, de postes de police, d’un marché public et de centres d’aide à l’apprentissage de petits métiers.

4.12L’État partie rejette catégoriquement les allégations selon lesquelles les résidents et les dirigeants de Corazon de Jesus ont été arbitrairement menacés d’arrestation et ont été victimes de harcèlement et de violences de la part des autorités. Ainsi qu’il ressort des registres de police, des personnes ayant participé aux violences du 25 janvier 2011 ont été arrêtées pour troubles à l’ordre public, rassemblement illégal, agression et détention illégale d’armes létales. Ces personnes se trouvaient en possession de lance-pierres, de pics à glace, de couteaux de cuisine, de canifs et de machettes de brousse. En outre, toutes ces personnes ont été libérées le 27 janvier 2011.

4.13L’État partie soutient que la communication est irrecevable au motif que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles. En 2011, la Commission des droits de l’homme des Philippines a été saisie d’une plainte mettant en cause des représentants des autorités locales, des policiers et d’autres personnes pour des faits liés à la réinstallation des résidents du barangay Corazon de Jesus. Cette plainte est toujours pendante. La Commission est un organe constitutionnel chargé d’enquêter sur toutes les formes de violation des droits civils et politiques commises sur le territoire de l’État partie ou contre ses citoyens. Si les auteurs ont vraiment été victimes de violations de leurs droits par les autorités, ils ont d’autres voies de recours judiciaires et mécanismes de plainte à leur disposition. Ils pourraient par exemple engager la responsabilité pénale, civile et administrative des fonctionnaires fautifs devant les tribunaux, le médiateur, la Commission de la fonction publique et d’autres organes quasi judiciaires. En outre, ils auraient pu saisir la justice avant leur réinstallation pour dénoncer le non-respect par les organismes publics des obligations substantives et procédurales que la loi sur le développement urbain et le logement impose en cas d’expulsion ou de démolition.

4.14L’État partie nie catégoriquement avoir violé les droits que les auteurs tiennent des articles 2, 6, 7 et 17 du Pacte. En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 2, l’État partie soutient que les résidents du barangay Corazon de Jesus ont été informés individuellement de la réinstallation prévue et que des avis ont été placardés en évidence dans des lieux passants du barangay. En outre, des consultations ont été menées avec les personnes concernées, qui ont été réinstallées dans un lieu où elles ont dûment accès aux installations et services essentiels. L’État partie soutient qu’il n’a pas porté atteinte aux dispositions de l’article 6 du Pacte − sans toutefois donner davantage d’explications à ce sujet −, non plus qu’aux dispositions de l’article 7. La réinstallation des résidents du barangay Corazon de Jesus s’est faite de manière humaine et dans le respect des obligations substantives et procédurales imposées par la loi. De plus, l’État partie rejette les allégations de violation de l’article 17 du Pacte. Il avance que la réinstallation était nécessaire compte tenu des circonstances et que les résidents se sont vu attribuer des logements de remplacement convenables qui ont été mis à leur disposition immédiatement. Enfin, l’État partie déclare qu’il ne s’est pas immiscé arbitrairement dans le domicile des auteurs et n’a donc pas porté atteinte aux droits que ceux-ci tiennent de l’article 17 du Pacte.

4.15En conclusion, l’État partie réaffirme que la législation philippine, notamment la loi sur la réinstallation et le relogement, est pleinement conforme aux obligations que le droit international des droits de l’homme impose aux Philippines, notamment les obligations énoncées dans le Pacte. L’État partie maintient qu’il n’a aucunement enfreint les obligations qui lui sont faites par le Pacte et par les autres instruments relatifs aux droits de l’homme.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 9 mars 2017, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication.

5.2Les auteurs soutiennent que la loi sur le développement urbain et le logement ne justifie aucunement les expulsions. Indépendamment des effets juridiques de la proclamation no 164, l’expulsion des auteurs constitue une violation du Pacte et un manquement à l’obligation qui incombe à l’État partie de protéger les droits des auteurs. Étant donné que ces derniers se sont vu refuser l’accès à la justice, ils n’ont pas pu contester leur expulsion et amener l’État partie à démontrer, comme il était tenu de le faire, qu’il existait des circonstances exceptionnelles justifiant cette mesure et que toutes les solutions de rechange avaient été examinées en consultation avec les intéressés. En outre, l’expulsion a placé les auteurs dans une situation de sans-abrisme et les a rendus vulnérables à d’autres violations des droits de l’homme.

5.3Selon les auteurs, la loi sur le développement urbain et le logement est imparfaite car elle ne tient pas compte de l’interdiction de l’expulsion énoncée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans ses observations générales no 4 (1991) relative au droit à un logement suffisant et no 7 (1997) relative aux expulsions forcées. Dans la conduite de l’expulsion des auteurs, l’État partie ne s’est pas conformé aux dispositions de cette loi. Si celle-ci prévoit qu’il est possible de recourir à l’expulsion dans des circonstances exceptionnelles et lorsqu’il n’y a pas d’autre solution viable, elle dit aussi que l’expulsion et la démolition doivent avoir été ordonnées par décision judiciaire.

5.4Les auteurs avancent en outre que le droit international des droits de l’homme exige que ce soit la justice qui détermine si une expulsion est justifiée ou non. En outre, le tribunal ne peut pas se contenter d’une ordonnance d’expulsion ; il doit expressément conclure qu’il existe des circonstances exceptionnelles et que toutes les autres solutions possibles ont été envisagées, et veiller à ce que les expulsions ne soient pas motivées par des considérations discriminatoires, ne placent pas les personnes visées dans une situation de sans-abrisme et ne les exposent pas à d’autres violations des droits de l’homme.

5.5Étant donné que la loi sur le développement urbain et le logement est imparfaite et n’a de surcroît pas été interprétée à la lumière des obligations mises à la charge des Philippines par le droit international des droits de l’homme, le fait que l’expulsion ait été conforme aux dispositions de ce texte, mis en avant par l’État partie, ne signifie pas que les droits que les auteurs tiennent du Pacte n’ont pas été violés.

5.6Dans ses observations finales concernant le rapport des Philippines valant cinquième et sixième rapports périodiques, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’est déclaré préoccupé par la loi sur le développement urbain et le logement, qui légalise les expulsions et les démolitions, par le grand nombre d’expulsions réalisées au nom du développement urbain et par l’insuffisance des mesures prises pour offrir des lieux de réinstallation appropriés ou des indemnités suffisantes aux familles expulsées, qui devaient vivre dans des conditions de vie précaires, privées d’infrastructures et de services de base, de soins de santé, d’établissements scolaires ou de moyens de transports, et a instamment demandé à l’État partie de modifier la loi sur le développement urbain et le logement et d’adopter un cadre juridique établissant les procédures à suivre en cas d’expulsion conformément aux normes internationales, y compris l’observation générale no 7 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels.

5.7Les auteurs soutiennent que la réinstallation de l’auteur D. G. n’est pas pertinente en l’espèce, puisque l’intéressé s’était vu attribuer un logement à Dasmariñas Baghong Bayan (municipalité de Cavite) dans le cadre d’un précédent programme public de réinstallation, mais qu’il n’était pas tenu d’y rester à vie. Exerçant son droit à la liberté de circulation, il s’est installé ailleurs car le manque de moyens de subsistance à Dasmariñas Baghong Bayan rendait son logement inadéquat.

5.8Les auteurs avancent qu’aucun recours interne efficace n’est disponible et que les procédures excèdent les délais raisonnables, et renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, selon laquelle les auteurs doivent satisfaire à la prescription de l’épuisement de tous les recours internes disponibles, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles. En l’espèce, aucun recours interne utile n’est disponible. L’État partie ne mentionne aucun recours disponible excepté la saisine de la Commission des droits de l’homme des Philippines. Or, comme il l’a reconnu dans ses observations, la Commission a été saisie il y a six ans déjà et, outre qu’elle ne s’est toujours pas prononcée, la plainte déposée n’a pas empêché l’expulsion des auteurs puisqu’il n’a pas été sursis à l’exécution de la mesure dans l’attente de la décision finale du Comité. Il apparaît donc que cette procédure de recours a excédé les délais raisonnables et ne s’est pas avérée efficace pour empêcher les violations alléguées du Pacte ou pour permettre aux auteurs d’obtenir réparation.

5.9L’État partie s’est contenté, dans ses observations sur le fond, de formuler des affirmations dont il n’a démontré ni le bien-fondé ni la véracité. Les auteurs réaffirment que l’expulsion ne leur a pas été notifiée en bonne et due forme car, outre qu’ils n’ont pas été informés individuellement, l’avis d’expulsion affiché donnait aux résidents concernés un préavis de trois jours seulement pour quitter leur domicile sans même préciser quelles personnes ou adresses étaient visées. En outre, certains habitants ont été réinstallés dans un lieu dépourvu d’installations et de services adéquats. Les auteurs concluent en affirmant que les violences se sont poursuivies après janvier 2012 sur les lieux de réinstallation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité relève toutefois que l’État partie fait valoir que la communication n’est pas recevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif car elle est manifestement dénuée de fondement et les recours internes disponibles n’ont pas tous été épuisés. En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, selon qui la Commission des droits de l’homme des Philippines reste saisie de la plainte que les auteurs ont déposée en 2011 et les intéressés auraient pu porter l’affaire devant la justice, le médiateur, la commission de la fonction publique et d’autres organes quasi judiciaires avant et pendant les procédures d’expulsion et de réinstallation pour amener les autorités en cause à rendre compte de leurs actes (voir par. 4.13 plus haut). Le Comité prend note également de la thèse des auteurs, qui soutiennent qu’ils n’ont eu aucun recours interne efficace à leur disposition étant donné que la demande de l’association des propriétaires de Corazon de Jesus a été rejetée par la Cour suprême, plus haute juridiction des Philippines, le 29 septembre 1997, décision qui demeure valide et, donc, qu’ils ne peuvent contester leur expulsion (voir par. 2.3 plus haut),que la Commission des droits de l’homme ne s’est toujours pas prononcée au bout de six ans et qu’il n’a pas été sursis àl’exécution de la mesure d’expulsion dans l’attente d’une décision finale de sa part (voir par. 2.10 plus haut), et que l’État partie n’a fait état d’aucun recours interne qui serait ouvert aux requérants et leur serait utile dans les faits, outre la plainte dont la Commission des droits de l’homme des Philippines avait été saisie et qui restait pendante (voir par. 5.8 plus haut). Le Comité constate toutefois que les auteurs n’ont fourni aucune information quant à de quelconques tentatives d’exercer des recours judiciaires ou des recours autres que la saisie de la Commission des droits de l’homme des Philippines en 2011, avant les faits auxquels il est fait référence dans la présente communication, pour les violations alléguées de l’article 17 du Pacte dans le contexte de l’expulsion du 11 janvier 2012, ni quant à des mesures prises pour épuiser les recours internes disponibles en ce qui concerne les allégations de violation des articles6 et 7 du Pacte. Le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que, aux fins du paragraphe2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur d’une communication doit faire usage de tous les recours judiciaires ou administratifs qui lui offrent une chance raisonnable d’obtenir réparation et lui sont de facto ouverts. Même si, dans les cas d’expulsion, les recours non judiciaires n’ont pas à être épuisés lorsque, comme en l’espèce, la voie non judiciaire ne s’est pas avérée efficace, les auteurs n’expliquent pas de manière convaincante la raison pour laquelle les recours judiciaires que l’État partie a cités comme étant ouverts en cas d’expulsion n’auraient pas été utiles dans leur cas. Le Comité rappelle sa jurisprudence, qui a établi que de simples doutes quant à l’efficacité d’un recours interne ne dispensaient pas les auteurs de l’obligation de le former. Le Comité estime donc que la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’a pas été satisfaite pour ce qui est des violations alléguées de l’article 17 du Pacte, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3), 6 et 7 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas plus avant la question de savoir si les allégations des auteurs à cet égard sont insuffisamment étayées.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.