Nations Unies

CCPR/C/126/D/2697/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2697/2015 * , **

Communication présentée par :

Ulan Nazaraliev (représenté par un conseil, Sardorbek Abdukhalilov)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

30 novembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 7 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

5 juillet 2019

Objet :

Torture par la police ; absence d’enquête effective ; conditions de détention

Question(s) de procédure :

Aucune

Question(s) de fond :

Torture ; torture − enquête diligente et impartiale ; conditions de détention

Article(s) du Pacte :

7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)), et 10 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Ulan Nazaraliev, de nationalité kirghize, né en 1982. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2, et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a été détenu du 21 juillet au 15 novembre 2012 au centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures du Ministère de l’intérieur, à Djalalabad, pour hooliganisme et vol qualifié, sur le fondement des articles 234 (par. 1 de la partie 2) et 168 (par. 1 et 3 de la partie 2 et par. 4 de la partie 4) du Code pénal, respectivement. Il explique que ses conditions de détention étaient inhumaines et dégradantes : Les détenus étaient gardés dans un sous-sol où il y avait 10 cellules, et il y avait huit personnes par cellule. Il n’y avait ni ventilation ni chauffage et, partant, il faisait extrêmement chaud en été et très froid en hiver. Étant donné qu’il n’y avait pas d’installations sanitaires, pendant la journée, l’auteur et les autres détenus devaient être conduits aux toilettes dehors, dans la cour, où ils n’avaient aucune intimité. De manière générale, l’hygiène était déplorable et il y avait un risque élevé de maladies infectieuses. Le centre de détention temporaire ne disposait pas de personnel médical.

2.2Le 4 novembre 2012, vers 18 heures, l’auteur a informé les policiers qu’il avait mal à la tête. Ceux-ci lui ont donné une lame de rasoir en lui disant que s’il s’entaillait les poignets personne ne viendrait à son secours. L’auteur s’est mis à crier, protestant contre la manière dont il était traité par les policiers. Ceux-ci l’ont alors frappé à la poitrine puis l’ont poussé contre le mur et ont commencé à l’étrangler. Dans un geste de révolte, l’auteur a pris la lame de rasoir et s’est entaillé le poignet gauche. Lorsque l’ambulance est arrivée, l’auteur a reçu l’assistance médicale nécessaire. Le 5 novembre 2012, sa main s’est remise à saigner et il a été transporté à l’hôpital régional de Djalalabad, où sa blessure a été recousue.

2.3Le 6 novembre 2012, six policiers ont pénétré dans la cellule où se trouvait l’auteur, afin de procéder à une inspection. Pendant cette inspection, les policiers se sont mis à frapper l’auteur et ses compagnons de cellule. Lorsque l’auteur a demandé ce qu’il se passait, l’un des policiers a répondu qu’il s’agissait d’une inspection. L’auteur a reçu l’ordre de s’allonger sur le sol et un policier est monté sur lui et a commencé à lui donner des coups de poing sur la tête et les oreilles et des coups de pieds dans les reins et les organes génitaux. Les vêtements et les effets personnels de l’auteur, y compris ses médicaments et son nécessaire de toilette, ont été jetés lors de l’inspection. Dans l’après‑midi, dans la cour où les détenus étaient autorisés à faire de l’exercice, l’auteur a été jeté sur un matelas et des policiers l’ont soumis à deux fouilles et lui ont pris ses vêtements. Il a ensuite été conduit dans l’un des bureaux du centre de détention réservé aux inspecteurs, où les policiers lui ont frappé la tête contre un mur. Incapable de supporter la douleur et en réaction à ces mauvais traitements, il a arraché les fils suturant sa blessure, qui s’est remise à saigner. Les policiers l’ont menotté à un radiateur. Il est resté là un certain temps.

2.4Le lendemain, 7 novembre 2012, l’auteur et d’autres détenus victimes de mauvais traitements ont porté plainte auprès du Bureau du Procureur de la ville de Djalalabad. Ils accusaient les policiers de violences physiques et de traitements inhumains et dégradants à raison de leur comportement lors de l’inspection des cellules qui avait eu lieu le 6 novembre 2012.

2.5Le 8 novembre 2012, à la suite de cette plainte, l’auteur a été transféré au centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures du district de Suzak (région de Djalalabad), à 10 kilomètres de Djalalabad. Pendant le transfert, les policiers se sont moqués de lui et lui ont fait subir des humiliations, baissant ses sous-vêtements et photographiant ses organes génitaux. Malgré les blessures visibles sur le corps de l’auteur, les policiers du centre de détention temporaire ont procédé à son admission sans examen médical.

2.6Le même jour, l’auteur a été examiné par un expert médico-légal. D’après le rapport d’expertise, l’auteur présentait des « blessures légères ». Toutefois, dans son rapport en date du 14 novembre 2012, l’expert n’a pas exclu la possibilité que l’auteur se soit infligé ces blessures lui-même. L’auteur dit avoir souffert par la suite des conséquences de ces blessures, mais n’avoir pas reçu l’assistance médicale dont il aurait eu besoin.

2.7Le 10 novembre 2012, l’auteur a entamé une grève de la faim afin de protester contre les violences physiques et les humiliations dont il était victime. Il n’a mis fin à son action qu’après avoir rencontré le Procureur adjoint de la région de Djalalabad et lui avoir remis sa plainte, le 14 novembre. Le 18 novembre, l’enquêteur chargé de l’examen préliminaire a refusé d’engager des poursuites pénales contre les fonctionnaires du centre de détention, estimant qu’aucun élément matériel ne permettait de conclure à une infraction. L’enquêteur a conclu que les allégations de l’auteur n’avaient pas été confirmées. Le 20 novembre 2012, le Bureau du Procureur régional de Djalalabad a annulé cette décision d’office (dans le cadre du contrôle hiérarchique) et ordonné qu’il soit procédé à un examen préliminaire supplémentaire, lequel a été confié au même enquêteur. Le 30 novembre, celui-ci a de nouveau refusé d’engager des poursuites pénales contre les fonctionnaires du centre de détention faute d’éléments matériels. L’auteur affirme que, lorsqu’ils l’ont battu, les policiers ont tourné les caméras vidéo vers le plafond de sorte que les mauvais traitements qui lui étaient infligés ne puissent pas figurer sur les enregistrements. C’est la raison pour laquelle on ne trouve pas les enregistrements des caméras de vidéosurveillance placées en différents endroits du centre de détention (cellules, couloir, cour et bureau de l’enquêteur) parmi les éléments recueillis lors de l’examen préliminaire.

2.8Dans l’intervalle, le Bureau du Procureur régional de Djalalabad a ouvert une enquête disciplinaire et, le 21 novembre 2012, le Procureur et l’enquêteur chargés du dossier de l’auteur ont reçu un « avertissement strict ».

2.9Du 30 novembre au 10 décembre 2012, l’auteur a séjourné à l’hôpital régional de Djalalabad en raison de fortes douleurs à la tête et il a été établi qu’il souffrait d’un traumatisme crânien fermé, ainsi que d’hypertension. Il est indiqué dans le dossier hospitalier de l’auteur (c’est à dire dans son dossier médical), comme diagnostic principal, que l’auteur a été admis dans l’unité de neurologie de l’établissement en raison d’un traumatisme crânien fermé et il est précisé en outre qu’il avait eu une commotion.

2.10Le 13 décembre 2012, l’auteur a déposé une plainte auprès du tribunal municipal de Djalalabad aux fins d’obtenir l’annulation de la décision du Procureur de ne pas engager de poursuites pénales dans l’affaire le concernant. Le 4 février 2013, le tribunal a décidé de renvoyer la plainte au Bureau du Procureur, ordonnant à celui-ci de procéder à une enquête approfondie, notamment en interrogeant les témoins et en se procurant les enregistrements vidéo.

2.11Cependant, le 8 février 2013, le Bureau du Procureur a interjeté appel de la décision du tribunal municipal auprès du tribunal régional de Djalalabad aux fins d’obtenir l’annulation de la décision de la juridiction de première instance. Le 27 mars 2013, le tribunal régional a confirmé la décision du tribunal municipal. Le 18 avril 2013, le Bureau du Procureur s’est pourvu devant la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle. Le 22 mai, la Cour suprême a infirmé les décisions des juridictions de première et deuxième instances en donnant raison dans son arrêt au Bureau du Procureur, qui avait refusé d’engager des poursuites pénales. Étant donné que la décision de la Cour suprême est définitive et insusceptible de recours, l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2, et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

3.2L’auteur soutient que les traitements que les policiers lui ont infligés constituent des actes de torture contraires à l’article 7 du Pacte. Ces actes de torture ont été aggravés par les conditions dans lesquelles l’auteur était détenu et par le fait qu’il n’ait pas reçu les soins médicaux dont il aurait eu besoin. Le fait que l’État partie n’ait pas pris les mesures voulues pour le protéger contre la torture, qu’il n’ait pas fait procéder à une enquête impartiale, efficace et approfondie sur les actes de torture subis par l’auteur et qu’il ne lui ait pas offert d’accès à des recours utiles constitue une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.3En outre, l’auteur a été détenu dans des conditions inhumaines en violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 21 avril 2017, l’État partie a fait part de ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le 6 novembre 2012, des fonctionnaires de police ont procédé à une inspection du centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures de la ville de Djalalabad, à laquelle le Procureur adjoint de la ville a pris part. Au cours de cette inspection des objets prohibés, tels que des téléphones portables, des chargeurs, des batteries et des écouteurs, ont été trouvés dans les cellules et saisis.

4.2Le 7 novembre 2012, sur les 43 détenus du centre, 19, dont 1 mineur, ont exprimé leur mécontentement au sujet des agissements des fonctionnaires du Département des affaires intérieures. En signe de protestation contre les saisies, ils se sont infligé des blessures, s’entaillant les bras, le cou et l’abdomen, et ont annoncé qu’ils allaient faire une grève de la faim. Des médecins leur ont dispensé des soins d’urgence.

4.3Pour ce qui est des griefs de l’auteur concernant les violences qu’il aurait subies, l’État partie fait valoir que l’auteur a déposé une plainte auprès du Bureau du Procureur de la ville de Djalalabad, aux fins de déclencher des poursuites contre un policier qui l’aurait frappé dans sa cellule le 6 novembre 2012. Le 14 novembre 2012, il a été procédé à un examen médico-légal qui a conclu à l’absence de traces de coups ou de violences sur le corps de l’auteur, exception faite des coupures au poignet droit qu’il s’était infligées lui‑même.

4.4Le 30 novembre 2012, à l’issue d’une enquête, le Bureau du Procureur a refusé d’engager des poursuites pénales contre le policier concerné au motif que les actes de ce dernier n’étaient pas constitutifs d’une infraction. Le conseil de l’auteur a interjeté appel de cette décision devant le tribunal municipal de Djalalabad. Celui-ci a fait droit à l’appel de l’auteur le 4 février 2013 et infirmé la décision du Bureau du Procureur. Le tribunal régional de Djalalabad a confirmé le jugement du tribunal municipal. Cependant, les deux décisions susmentionnées ont été infirmées par la Cour suprême le 22 mai 2013.

4.5En vertu du Code de procédure pénale, les juridictions supérieures contrôlent la légalité et la validité des décisions des juridictions inférieures. L’État partie soutient que c’est bien ce qu’a fait la Cour suprême et que l’arrêt qu’elle a rendu est définitif et insusceptible de recours, conformément à l’article 96 de la Constitution kirghize.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 23 juin 2017, l’auteur, commentant les observations de l’État partie, a fait valoir que celui-ci n’avait pas répondu à ses griefs.

5.2En particulier, l’État partie ne conteste pas qu’une inspection des cellules ait eu lieu au centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures de Djalalabad le 6 novembre 2012, ni que l’auteur ait eu des blessures. En outre, il admet que l’auteur s’est d’abord adressé au Bureau du Procureur en demandant l’ouverture d’une enquête pénale contre les policiers qui avaient usé de violence physique contre lui, puis qu’il s’est tourné vers la justice pour contester le résultat de cette enquête inefficace et peu concluante. L’État partie confirme aussi que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles.

5.3L’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas démontré comment l’enquête sur les allégations de torture formulées par l’auteur avait pu être efficace et approfondie alors que différentes mesures d’enquête, notamment celles consistant à interroger les témoins et à se procurer les enregistrements vidéo pertinents, n’avaient pas été prises.

5.4Dans sa communication, l’auteur appelle l’attention du Comité sur la violation par l’État partie de l’article 7 lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. L’État partie n’a même pas cherché à prouver que l’examen préliminaire des allégations de torture de l’auteur (qui a donné lieu au refus de poursuites pénales contre le policier concerné) a été effectif, approfondi et complet. Ainsi, l’auteur affirme que cet examen, qui s’est conclu sur un refus d’engager des poursuites pénales, n’a pas été effectif et que l’État partie n’a donc pas satisfait à son obligation d’offrir à l’auteur un recours utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le caractère ineffectif et non approfondi de l’enquête menée par le Bureau du Procureur est notamment lié au fait que l’enquêteur s’est contenté d’interroger des policiers, sans même prendre la déposition de l’auteur. Les éléments versés au dossier de l’enquête comprennent exclusivement les explications données par les policiers du centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures de la ville de Djalalabad et des déclarations de certains détenus qui étaient prêts à donner une autre version des faits, mais qui ont ensuite retiré les plaintes pour torture et traitements inhumains qu’ils avaient déposées antérieurement.

5.5En outre, dans le cadre d’un examen préliminaire, il n’est pas possible de procéder à certaines mesures d’instruction, comme les séances d’identification, la confrontation des parties ou les perquisitions, qui permettent de recueillir des preuves de la manière la plus efficace, car de telles mesures ne peuvent être prises qu’une fois l’enquête pénale ouverte. De surcroît, les éléments de preuve recueillis au cours de l’examen préliminaire ne sont pas recevables dans le cadre de la procédure judiciaire. Ainsi, les faux témoignages n’engagent pas la responsabilité pénale de leurs auteurs et les explications données à ce stade peuvent être modifiées ultérieurement sans que cela ait de conséquences. Par conséquent, les déclarations des policiers ne sauraient être considérées comme des dépositions de témoins, car les intéressés n’ont pas été avertis qu’en cas de parjure leur responsabilité pénale serait engagée.

5.6En outre, l’auteur réaffirme que les éléments recueillis ne comprenaient ni les enregistrements des caméras de vidéosurveillance placées dans les locaux du centre de détention (cellules, couloir, cour pour l’exercice physique, bureau des enquêteurs ou autres zones surveillées), ni de procès-verbal faisant état du visionnage de ces images. Selon l’auteur, lorsqu’ils l’ont battu, les policiers ont repositionné toutes les caméras de vidéosurveillance de sorte qu’elles ne puissent pas enregistrer ce qu’il se passait. C’est ce qui explique l’absence d’images de vidéosurveillance de l’intérieur des locaux du centre de détention.

5.7L’État partie ne conteste pas le fait que l’auteur ait introduit un recours contre la décision prise à l’issue de l’examen préliminaire ineffectif qui a été mené. Les juridictions de première et deuxième instances saisies ont apprécié les circonstances de l’affaire, l’inaction de l’enquêteur et la conclusion de celui-ci selon laquelle les explications des policiers étaient dignes de foi. Elles n’ont pas souscrit à la conclusion de l’enquêteur, car celui-ci n’a pas donné les raisons pour lesquelles il accordait davantage de crédit au témoignage des policiers. L’enquêteur, pour être objectif et impartial, aurait dû ne négliger aucun témoignage dans le cadre de son enquête. Les policiers ont nié avoir employé la force contre l’auteur, car ils voulaient se soustraire à des poursuites pénales. Toutefois, dans le cadre de la procédure de contrôle, la Cour suprême a annulé les décisions des juridictions inférieures et confirmé la décision du Bureau du Procureur de ne pas engager de poursuites pénales. L’auteur fait observer que, dans l’État partie, la procédure de contrôle ne constitue pas une voie de recours utile, car elle restreint fortement l’exercice du droit d’accès aux tribunaux et le principe de la sécurité juridique.

5.8L’auteur affirme que la seule manière d’évaluer les éléments contradictoires dans la présente affaire est d’engager des poursuites pénales et de prendre un certain nombre de mesures d’instruction, à savoir notamment de procéder à un examen psychiatrique, et d’interroger de nouveau l’auteur et les policiers du centre de détention concernés et d’organiser leur confrontation.

5.9L’auteur affirme en outre qu’il a été détenu dans des conditions inhumaines dans les cellules du centre de détention du Département des affaires intérieures de la ville de Djalalabad. D’après lui, les conditions de détention dans cet établissement étaient telles qu’il a été traité de manière inhumaine et sans respect pour sa dignité. Or, l’État partie ne répond en rien aux allégations concernant la violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

Observations complémentaires

Observations de l’État partie

6.1Le 17 janvier 2018, l’État partie a réaffirmé que, le 6 novembre 2012, des fonctionnaires de police ont procédé à une inspection du centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures de la ville de Djalalabad, en vue de trouver et de saisir des objets prohibés, tels que des téléphones portables, des chargeurs, des batteries et des écouteurs.

6.2Pour ce qui est des griefs de l’auteur concernant les violences qu’il aurait subies, l’État partie fait de nouveau valoir que l’auteur a déposé une plainte auprès du Bureau du Procureur de la ville de Djalalabad, aux fins du déclenchement de poursuites contre un fonctionnaire du Département des affaires intérieures qui l’aurait frappé dans sa cellule. Une enquête complète et impartiale a été menée à cet égard. Selon un rapport d’examen médico-légal daté du 14 novembre 2012, il n’y aurait aucune trace de coups ou de violences sur le corps de l’auteur, exception faite des coupures à son poignet droit, qu’il s’était infligées lui‑même. Se fondant sur les conclusions de l’examen préliminaire, le Bureau du Procureur a refusé d’engager des poursuites pénales contre le policier concerné estimant qu’aucun élément matériel ne permettait de conclure à une infraction. L’auteur a interjeté appel de la décision du Bureau du Procureur, mais celle-ci a cependant été confirmée par la Cour suprême le 22 mai 2013.

6.3L’État partie conclut que les commentaires formulés par l’auteur au sujet de ses observations sont sans fondement.

Observations de l’auteur

6.4Dans les commentaires qu’il a soumis le 19 mars 2018, l’auteur conteste les observations de l’État partie. Il fait valoir que celui-ci n’a fourni aucune information sur la nature de l’inspection qui a eu lieu dans le centre de détention, les méthodes utilisées, le nombre de policiers impliqués et le recours à des moyens spéciaux au cours de cette opération. Il argue que la présence d’un procureur lors de telles opérations ne suffit pas à garantir que les détenus ne seront pas maltraités, car le Procureur représente le ministère public devant les tribunaux contre les personnes qui justement sont en détention. L’absence de ces informations essentielles témoigne du caractère arbitraire des inspections menées dans les établissements fermés et des violations des droits et libertés qu’y subissent les personnes privées de liberté.

6.5En outre, le Bureau du Procureur général a confirmé une fois de plus que l’auteur et 19 autres détenus avaient déposé une plainte auprès de ses services. L’auteur affirme que sa plainte visait les mauvais traitements et les violences physiques qui lui avaient été infligés lors de l’inspection des cellules et non la saisie des objets prohibés, comme le prétend l’État partie. L’auteur demandait que des mesures soient prises contre le policier qui l’avait torturé pour le punir et il a fourni les noms des policiers qui avaient mené l’inspection et lui avaient fait subir des mauvais traitements, indiqué les circonstances des faits et les actes de violence précis qui avaient été commis.

6.6La plainte de l’auteur pour les mauvais traitements subis pendant l’inspection n’a pas été traitée comme il convient par le Bureau du Procureur. L’enquêteur n’a pas pris toutes les mesures voulues pour déterminer les véritables raisons pour lesquelles l’auteur s’était automutilé (entailles). Il n’a pas enquêté sur les allégations de torture formulées par l’auteur. En s’entaillant le poignet, l’auteur entendait attirer l’attention et protester contre les coups dont l’avaient accablé les policiers. Il a été torturé à titre de sanction pour ses protestations.

6.7Enfin, l’auteur réaffirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies aux fins de la recevabilité, s’agissant des griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. Le Comité constate cependant que l’auteur n’a pas démontré qu’il avait épuisé tous les recours internes s’agissant de l’allégation selon laquelle les conditions dans lesquelles il a été détenu pendant quatre mois étaient inhumaines, en violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Par conséquent, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne sont pas réunies aux fins de la recevabilité et juge cette allégation irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

7.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. Il les déclare donc recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend tout d’abord en considération les allégations de l’auteur qui affirme qu’il a, à plusieurs reprises, été torturé et soumis à d’autres mauvais traitements par des policiers et, en particulier que, avant l’inspection des cellules, on lui avait donné une lame de rasoir en lui disant qu’il pouvait s’en servir contre lui-même, et qu’il a ensuite été frappé à la poitrine, poussé contre le mur et étranglé, et que, pendant l’inspection, on l’a battu et on lui a frappé la tête contre un mur. À cet égard, le Comité prend note des explications de l’auteur qui affirme que, lorsqu’ils l’ont battu, les policiers ont repositionné les caméras de surveillance de sorte à rendre impossible l’enregistrement des faits. Le Comité prend également note des conclusions de l’État partie selon lesquelles les allégations de l’auteur n’ont pas été confirmées. Il note que les conclusions de l’expertise médico-légale font état de « blessures légères » et donnent à penser que l’auteur se les serait infligées lui-même (entailles). Le Comité observe toutefois que, lorsqu’il se trouvait encore en détention provisoire, l’auteur a été hospitalisé pendant dix jours et qu’il a été établi à cette occasion qu’il souffrait d’un traumatisme crânien fermé, diagnostic qui correspond à la description que l’auteur a donnée du type de violences qui lui ont été infligées au centre de détention, notamment à son récit selon lequel un policier lui a donné des coups de poing sur la tête et lui a frappé la tête contre un mur. Dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu en particulier du fait que l’État partie n’explique pas comment l’auteur a pu recevoir les blessures susmentionnées pendant sa détention, le Comité considère qu’il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur est victime d’une violation de l’article 7 du Pacte.

8.3En ce qui concerne l’obligation qu’a l’État partie de faire procéder à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de torture formulées par l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort qu’une enquête pénale approfondie et les poursuites qui en découlent doivent faire partie des recours disponibles en cas de violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 7 du Pacte. Le Comité note que les éléments versés au dossier ne lui permettent pas de conclure que l’examen préliminaire sur les allégations de torture a été mené de manière approfondie et efficace. En l’espèce, l’enquête menée n’était pas impartiale, car l’enquêteur a interrogé les policiers du centre de détention temporaire, mais a négligé d’interroger l’auteur. En outre, le Comité prend note de la déclaration de l’auteur selon laquelle les éléments recueillis dans le cadre de l’enquête préliminaire ne comprenaient aucun enregistrement des caméras de vidéosurveillance installées dans les locaux du centre de détention, ni de procès-verbal faisant état du visionnage de ces images, ce que l’État partie n’a jamais expliqué, ni contesté. Le Comité observe également que l’État partie s’est contenté d’un examen préliminaire, au lieu d’ouvrir une procédure formelle d’enquête pénale. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font aussi apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures appropriées pour : a) procéder à une enquête approfondie et efficace sur les allégations de torture de l’auteur et, si les faits sont établis, poursuivre et punir les responsables ; et b) accorder à l’auteur une indemnisation adéquate pour les violations subies. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.