Présentée par:

M. Samba Jalloh (représenté par Me Pieter Bouman)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

7 octobre 1996 (date de la première lettre)

Références:

Décision du Rapporteur spécial 91, communiquée à l’État partie le 14 janvier 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

26 mars 2002

Le 26 mars 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 794/1998. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITREDU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIFSE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF

AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante‑quatorzième session

concernant la

Communication no 794/1998**

Présentée par:

M. Samba Jalloh (représenté par Me Pieter Bouman)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Décision de recevabilité:

6 juillet 1999

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 794/1998 présentée par M. Samba Jalloh en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Samba Jalloh, qui se dit victime d’une violation par les Pays‑Bas des articles 9 et 24 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur dit qu’il est ressortissant de la Côte d’Ivoire et qu’il est né en 1979. Il est arrivé aux Pays‑Bas le 3 septembre 1995 ou vers cette date. Il n’avait alors pas de papiers d’identité, mais le 15 octobre 1995, les autorités d’immigration ont enregistré qu’il était âgé de 15 ans. Précédemment, le 4 septembre 1995, il avait déposé une demande d’asile auprès du Secrétaire d’État à la justice. À partir de cette date jusqu’en juin 1996, l’auteur a été pris en charge par le Service de tutelle, qui est le représentant légal de tous les demandeurs d’asile et des étrangers mineurs non accompagnés. L’auteur a été accueilli et hébergé dans un établissement ouvert. Le 12 décembre 1995, sa demande d’asile a été rejetée. Le 29 janvier 1996, il a formé un recours contre cette décision. Le recours a été rejeté le 12 juin 1996.

2.2En août 1996, l’auteur s’est enfui du centre d’accueil et est passé dans la clandestinité de crainte d’être expulsé immédiatement. Son avocat lui a conseillé de déposer une nouvelle demande de statut de réfugié de façon à mettre un terme à sa situation illégale et à pouvoir de nouveau être hébergé dans des foyers d’accueil pour réfugiés. Le 4 septembre 1996, il a donc déposé une demande de statut de réfugié auprès du Secrétaire d’État à la justice. Le 12 septembre 1996, à la suite d’un entretien avec le Service des étrangers, une mesure de rétention a été ordonnée pour les raisons suivantes: il n’avait pas de permis de séjour valable, il ne possédait pas de papiers d’identité, il n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins ni de rentrer dans son pays d’origine et il y avait tout lieu de croire qu’il refuserait de collaborer quand il serait expulsé. Sa demande de statut de réfugié a été rejetée le 17 septembre 1996.

2.3L’auteur a contesté la légalité de sa mise en rétention, mais son recours a été rejeté le 24 septembre 1996 par le tribunal d’instance de ‘s-Hertogenbosch, bien que le conseil de l’auteur ait apparemment soulevé la question de la minorité de l’auteur. Il ressort du jugement que l’auteur a été conduit auprès de la représentation diplomatique de la Côte d’Ivoire à Bruxelles afin de vérifier son identité, mais que les résultats ont été négatifs. L’auteur a ensuite été présenté au consulat de la Sierra Leone et au consulat du Mali, sans plus de résultats. Le 8 novembre 1996, le conseil a de nouveau formé un recours contre la mesure de rétention qu’il jugeait illégale, mais le même tribunal a rejeté le deuxième recours le 2 décembre 1996 parce qu’une nouvelle enquête d’identité visant à établir la nationalité de l’auteur était en préparation. Le 9 janvier 1997, le Secrétaire d’État à la justice n’en a pas moins décidé de mettre fin à la mesure de rétention, car, à ce moment-là, il n’était pas réaliste d’envisager d’expulser l’auteur. Ordre a été alors intimé à celui-ci de quitter immédiatement les Pays-Bas.

2.4Le 5 février 1997, l’auteur a formé un recours contre la décision de rejeter sa demande de statut de réfugié. Le même tribunal a décidé, le 23 avril 1997, de rouvrir le dossier de façon à permettre à l’auteur de subir un examen médical. L’examen a eu lieu en mai 1997. Le 4 juin 1997, le rapport de l’expertise psychologique et les résultats des examens radiologiques effectués pour déterminer l’âge de l’auteur ont été communiqués au tribunal. Le tribunal a reconnu alors que le recours formé par l’auteur était fondé et le Secrétaire d’État à la justice lui a accordé un permis de séjour «en tant que demandeur d’asile mineur non accompagné, avec effet à la date de dépôt de la deuxième demande d’asile».

Teneur de la plainte

3.1Dans sa lettre initiale, le conseil affirmait que la mise en rétention de l’auteur en application de la loi sur les étrangers constituait une violation des articles 9 et 24 du Pacte. Il faisait valoir qu’il s’agissait d’une mesure arbitraire parce qu’il n’était pas raisonnable d’imaginer que l’auteur allait chercher à se soustraire à l’expulsion alors qu’il s’était spontanément présenté à la police le 4 septembre 1996 et parce qu’il s’agissait d’un mineur. Il ajoutait que, conformément à la politique de l’État partie, les mineurs qui sollicitent le statut de réfugié devaient recevoir un permis de séjour s’ils ne pouvaient pas être renvoyés dans leur pays d’origine dans les six mois.

3.2Dans une lettre datée du 16 décembre 1997, le conseil a informé le Comité que son client avait obtenu un permis de séjour mais qu’il souhaitait maintenir la communication soumise au Comité en raison de la mesure de rétention illégale de trois mois et demi dont il avait fait l’objet.

Observations de l’État partie

4.1Pour ce qui est du fond de l’affaire et du point de vue du droit, l’État partie explique que la rétention des immigrés en situation illégale est prévue par l’article 26 de la loi sur les étrangers. Il souligne que cette mesure n’est pas punitive mais vise à faciliter l’expulsion et est limitée aux cas où la rétention est nécessaire et utile. Les tribunaux sont habilités à revoir la mesure dans l’intérêt de l’étranger. L’État partie explique que les étrangers mineurs non accompagnés peuvent aussi faire l’objet d’une mesure de rétention en vertu du même article de la loi sur les étrangers, mais, dans leur cas, celle-ci est appliquée avec plus de retenue.

4.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 9 avancée par l’auteur, l’État partie explique que l’auteur a été placé en rétention pendant trois mois et demi en application de l’article 26 de la loi sur les étrangers parce qu’il n’avait pas de permis de séjour valable, qu’il ne possédait pas de papiers d’identité, qu’il n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins, qu’il y avait tout lieu de croire qu’il chercherait à se soustraire à l’expulsion et que les autorités avaient l’impression qu’il abusait des procédures d’asile. Après examen de l’affaire, le tribunal a conclu, le 24 septembre 1996, que la mesure de rétention était légale, que l’auteur s’était déjà soustrait à l’expulsion, qu’il n’avait pas dit la vérité concernant son identité et qu’il y avait de bonnes chances que l’auteur soit expulsé étant donné que les autorités avaient entrepris de faire procéder à une expertise pour établir son identité.

4.3L’État partie est d’avis que les autorités ont agi en tenant dûment compte de toutes les circonstances et sans faire preuve d’arbitraire quand elles ont placé et maintenu l’auteur en rétention. La nécessité de cette mesure était réexaminée régulièrement par les autorités d’exécution et par un tribunal indépendant. L’État partie ajoute qu’à l’époque il n’était pas possible de savoir si l’auteur était mineur.

4.4En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 24, l’État partie reconnaît qu’il a une responsabilité particulière à l’égard des mineurs. Il explique qu’il a élaboré une politique spéciale en faveur des demandeurs d’asile mineurs non accompagnés. Ceux-ci ont droit à un permis de séjour sous réserve d’avoir été «admis sur le territoire en tant que demandeurs d’asile mineurs non accompagnés». Le permis est octroyé au mineur qui a fait une demande d’asile mais ne peut pas prétendre à ce statut. En pareil cas, un permis de séjour est délivré s’il est établi dans les six mois suivant le dépôt de la demande d’asile qu’il n’existe aucun moyen de prendre dûment en charge le mineur dans le pays d’origine. Quand il a été appelé à statuer sur la première demande d’asile, le Secrétaire d’État à la justice a cherché à savoir si l’auteur pouvait prétendre à un permis de séjour en tant que mineur non accompagné et a conclu qu’il ne remplissait pas les conditions, car il était impossible d’affirmer qu’il disait la vérité, vu le grand nombre de contradictions relevées dans ses déclarations et l’incertitude quant à son identité. Quand il a examiné le rejet de la première demande d’asile, le tribunal a considéré qu’il n’y avait pas assez d’éléments pour conclure que l’auteur était mineur. Lors de la deuxième procédure, en revanche, il a décidé qu’il fallait procéder à un examen médical à cause de nouveaux éléments (arriération mentale) avancés par l’auteur. Quand les rapports médicaux et psychologiques ont été reçus, il a été décidé de lui délivrer un permis de séjour.

Commentaires du conseil

5.1Dans ses commentaires, le conseil signale que l’auteur souffre «d’arriération mentale grave», et que le conseil avait déjà fait valoir ce facteur, mais qu’il n’a jamais été pris en considération par les autorités lorsque l’auteur a été placé en rétention. Ce n’est qu’après l’intervention du tribunal, en avril 1997, que les problèmes de l’auteur ont enfin été reconnus et qu’il a reçu un permis de séjour. Le conseil explique que la plainte porte principalement sur le fait que les autorités n’ont pas voulu reconnaître l’arriération mentale de l’auteur et le fait qu’il fonctionne avec le psychisme d’un enfant de 5 ans. Dans les circonstances particulières à l’auteur, il n’était pas justifié de le maintenir en rétention et cette mesure représentait un acte d’intimidation. D’après le conseil, le fait que le tribunal ait annulé la mesure n’atténue pas la responsabilité de l’État partie.

5.2En refusant d’accorder l’asile à l’auteur, le tribunal a omis par deux fois de reconnaître que l’auteur souffrait d’une arriération mentale qui le rendait incapable d’expliquer les raisons pour lesquelles il demandait l’asile. Les tribunaux avaient mal interprété son inaptitude à les exposer convenablement, considérant qu’il s’agissait d’un problème de crédibilité plutôt que d’incapacité.

Nouvelles observations de l’État partie

6.Pour ce qui est de l’insuffisance des facultés mentales de l’auteur, l’État partie fait valoir que les deux fois où le tribunal a dû se prononcer sur la légalité de la mise en rétention de l’auteur, en septembre et en novembre 1996, respectivement, il était évident que l’auteur n’avait jamais été à l’école et qu’il avait un vocabulaire et un référentiel limités. Le tribunal n’a toutefois pas considéré que ces éléments constituaient un motif suffisant pour ordonner la fin de la rétention. Par la suite, en avril 1997, le même tribunal a décidé de rouvrir le dossier de façon à examiner le recours formé par l’auteur contre la décision de rejeter sa demande de statut de réfugié et l’a autorisé à subir un examen médical. Ce n’est que sur la base du rapport d’expertise psychologique qui montrait que l’auteur avait l’âge mental d’un enfant de 4 à 7 ans, que le tribunal a pu repérer «l’arriération mentale» du requérant. Il a donc déclaré fondé le recours de l’auteur.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie n’a pas fait valoir que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes. Étant donné qu’il ne formule aucune objection à la recevabilité de la communication de l’auteur, le Comité déclare celle-ci recevable et procède à son examen quant au fond.

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2En ce qui concerne la violation des droits consacrés à l’article 9, dénoncée par l’auteur, le Comité note que la mesure de rétention était légale au regard du droit néerlandais puisqu’elle était conforme à l’article 26 de la loi sur les étrangers. Il note en outre que les tribunaux ont réexaminé la mesure par deux fois, une première fois 12 jours après le placement en rétention, et une deuxième fois deux mois après. À chaque fois, le tribunal a considéré que le maintien en rétention de l’auteur était légal parce qu’il s’était déjà soustrait à l’exécution de la mesure d’expulsion, qu’il y avait incertitude quant à son identité et que l’on pouvait raisonnablement penser qu’il serait expulsé puisque l’enquête visant à établir son identité se poursuivait. La question qu’il restait à résoudre était par conséquent celle de savoir si sa détention était arbitraire. Rappelant sa jurisprudence, le Comité fait observer que le mot «arbitraire» doit être interprété dans un sens plus large que «contraire à la loi» et désigner également une action qui n’est pas raisonnable. Compte tenu du fait que l’auteur s’est enfui de l’établissement ouvert dans lequel il a été hébergé à compter de la date de son arrivée pendant environ 11 mois, le Comité estime qu’il n’était pas déraisonnable de placer l’auteur en rétention pendant une période de temps limitée jusqu’à l’issue de la procédure administrative le concernant. Lorsque la probabilité de l’expulser a disparu, il a été mis fin à la mesure de rétention. Dans ces conditions, le Comité estime que l’auteur n’a pas fait l’objet d’une rétention arbitraire, en violation de l’article 9 du Pacte.

8.3L’auteur a fait valoir que la mesure de rétention qui l’avait frappé violait aussi l’obligation faite à l’État partie par l’article 24 du Pacte de lui assurer les mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. À ce propos, le conseil de l’auteur affirme que le problème de l’«arriération mentale» a été soulevé devant les autorités de l’État partie, mais il ne précise pas quelles étaient ces autorités. De plus, le jugement du tribunal concernant la légalité de la rétention ne montre pas que le problème ait en fait été invoqué durant la procédure. L’État partie a objecté qu’il y avait une incertitude au sujet de l’âge de l’auteur et que l’on n’avait pas l’assurance qu’il était mineur tant que le tribunal n’avait pas rendu son jugement à la suite de l’examen médical du 4 juin 1997 et, qu’en tout état de cause, l’article 26 de la loi sur les étrangers n’interdit pas la mise en rétention de mineurs. Le Comité note que l’auteur s’est contenté de dire qu’il avait été placé en rétention sans préciser dans quel type d’établissement ni dans quelles conditions. À cet égard, le Comité prend note de l’explication de l’État partie, selon laquelle la mise en rétention de mineurs est appliquée de manière très restreinte, et note également que la mise en rétention de mineurs ne constitue pas en soi une violation de l’article 24 du Pacte. Dans les circonstances particulières de l’affaire, à savoir qu’il y avait incertitude quant à l’identité de l’auteur, que celui‑ci avait déjà tenté de se soustraire à l’exécution de la mesure d’expulsion, qu’il y avait tout lieu de penser qu’il serait expulsé à nouveau et que l’enquête visant à établir son identité se poursuivait, le Comité conclut que l’auteur n’a pas étayé de preuves son affirmation selon laquelle l’État partie, en ordonnant son placement en rétention, avait failli à son devoir de lui assurer les mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. En conséquence le Comité estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’un quelconque des articles du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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