Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/74/D/919/2000

28 juin 2002

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMMESoixante‑quatorzième session18 mars‑5 avril 2002

CONSTATATIONS

Communication n o 919/2000

Présentée par:M. Michael Andreas Müller et Mme Imke Engelhard (représentés par M. Light Clinton, du Legal Assistance Centre

Au nom de:Les auteurs

État partie:Namibie

Date de la communication:29 octobre 1999 (date de la lettre initiale)

Références:Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 10 avril 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:26 mars 2002

Le 26 mars 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 919/2000. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante-quatorzième session

concernant la

communication n o 919/2000 * *

Présentée par:M. Michael Andreas Müller et Mme Imke Engelhard(représentés par M. Light Clinton, conseil)

Au nom de:Les auteurs

État partie:Namibie

Date de la communication:29 octobre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 919/2000 présentée par M. Michael Andreas Müller et Mme Imke Engelhard en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et par l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication – qui est datée du 8 novembre 1999 – sont M. Michael Andreas Müller (dénommé ci-après M. Müller), citoyen allemand, né le 7 juillet 1962, et Mme Imke Engelhard (dénommée ci-après Mme Engelhard), citoyenne namibienne, née le 16 mars 1965. Ils affirment être victimes de violations par la Namibiedes articles 26, 23, paragraphe 4, et 17, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1M. Müller, qui est joaillier, est venu en visite en Namibie en juillet 1995 et ce pays lui a tellement plu qu’il a décidé de s’installer dans la ville de Swakopmund. Il a commencé à y travailler pour la joaillerie Engelhard Design, établie depuis 1993 et appartenant à Mme Engelhard. Les auteurs se sont mariés le 25 octobre 1996. Avant de se marier, ils se sont renseignés sur la possibilité légale de prendre le nom de Mme Engelhard. Un juriste les a informés que cela était possible. Une fois mariés, les auteurs se sont à nouveau adressés à ce juriste pour les formalités de changement de nom. Ils ont été alors informés que si la femme pouvait prendre le patronyme de son mari sans aucune formalité, le mari devait présenter une demande pour obtenir le changement de son nom.

2.2La loi sur les étrangers no 1 de 1937 (dite ci-après loi sur les étrangers) dispose, dans le paragraphe 1 de son article 9 tel que modifié par la proclamation A.G. no 15 de 1989, qu’il est interdit à une personne de prendre un autre nom que celui qu’elle a pris, qu’elle a porté ou qu’elle a transmis avant 1937, sans l’autorisation de l’Administrateur général ou d’un fonctionnaire des services officiels et après publication de l’autorisation en question au Journal officiel, sauf dans les cas d’exception prévus. Une seule exception est prévue, au paragraphe 1 a) de l’article 9 de la loi sur les étrangers, pour la femme qui se marie et prend le patronyme de son conjoint. M. Müller fait valoir que l’article en question porte atteinte aux droits qui lui sont reconnus en vertu de la Constitution namibienne, à savoir les droits à l’égalité devant la loi et à l’absence de discrimination fondée sur le sexe (art. 10), son droit et celui de sa famille au respect de leur vie privée (art. 13, par. 1), son droit à l’égalité au regard du mariage et durant le mariage (art. 14, par. 1) et son droit à une protection adéquate, par l’État partie, de sa famille (art. 14, par. 3).

2.3M. Müller soutient encore que son épouse et lui-même souhaitent prendre le nom de Mme Engelhard pour plusieurs raisons. Il affirme que son propre nom, Müller, est extrêmement commun en Allemagne; par exemple, dans l’annuaire téléphonique de Munich, ville dont il est originaire, il y a plusieurs pages de Müller, dont 11 Michael Müller. Il fait valoir que Engelhard est un nom beaucoup moins courant et que ce nom est important pour son épouse et pour lui-même, puisque leur entreprise s’est fait une réputation sous le nom d’Engelhard Design. Il serait malavisé de l’appeler Müller Design, nom qui n’est pas distinctif. Autre point important, les joailliers exercent leur activité sous un patronyme parce que l’utilisation de ce dernier implique que le propriétaire est soucieux de la qualité de son travail et parce que les clients y voient l’assurance d’un meilleur savoir-faire. M. Müller soutient que s’il devait continuer à utiliser son propre nom et que son épouse devait continuer à utiliser le sien, les clients et les fournisseurs supposeraient qu’il était son employé. M. Müller et son épouse ont aussi une fille enregistrée à sa naissance sous le nom de Engelhard, et M. Müller souhaiterait porter le même nom que sa fille pour épargner à cette dernière des remarques désobligeantes sur le fait qu’il ne serait pas son père.

2.4Le 10 juillet 1997, M. Müller a saisi la Haute Cour de Namibie, alléguant que le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers était frappé de nullité puisqu’il était incompatible avec la Constitution s’agissant du droit à l’égalité devant la loi et à la non‑discrimination, du droit au respect de la vie privée, du droit à l’égalité au regard du mariage et durant le mariage et du droit à la vie familiale.

2.5Mme Engelhard a fait une déclaration formelle où elle affirmait qu’elle appuyait la plainte de son mari, et qu’elle aussi souhaitait que le nom de famille soit Engelhard plutôt que Müller, pour les raisons invoquées par son époux. Le 15 mai 1998, leur requête a été rejetée, avec condamnation aux dépens.

2.6Le recours en appel formé par M. Müller auprès de la Cour suprême de Namibie a été lui aussi rejeté, avec condamnation aux dépens, le 21 mai 1999. Comme la Cour suprême est la plus haute instance d’appel du pays, les auteurs font valoir qu’ils ont épuisé les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1M. Müller affirme qu’il est victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, dans la mesure où l’article 9, paragraphe 1 a), de la loi sur les étrangers l’empêche de prendre le nom de sa femme sans suivre la procédure prévue, c’est-à-dire en présentant une demande à un service officiel, alors que les femmes qui le souhaitent peuvent prendre le patronyme de leur époux sans suivre cette procédure. Mme Engelhard affirme, pour sa part, que son nom ne peut pas être utilisé comme nom de famille sans suivre la procédure mentionnée, en violation de l’article 26. Les auteurs font valoir que cet article de loi introduit clairement une discrimination entre les hommes et les femmes, dans le sens que les femmes peuvent automatiquement prendre le nom de leur conjoint lorsqu’elles se marient, alors que les hommes doivent présenter une demande conformément à des procédures spécifiées. Lorsqu’un homme veut prendre le nom de son épouse, la procédure est la suivante:

i)Il doit publier, dans deux numéros consécutifs du Journal officiel et dans deux quotidiens sous une forme prescrite, un avis notifiant son intention et ses raisons de changer de nom, à charge pour lui de payer la publication de ces avis;

ii)Il doit présenter une déclaration à l’Administrateur général ou à un fonctionnaire des services officiels dûment autorisé par celui-ci;

iii)Le chef de la South West African Police et le magistrat du district doivent fournir des renseignements concernant l’auteur;

iv)Toute objection à l’adoption d’un autre nom par l’intéressé doit être jointe au rapport du magistrat;

v)L’Administrateur général ou un fonctionnaire des services officiels dûment autorisé par celui-ci doit, sur la base de ces déclarations et rapports, s’assurer que l’auteur a une bonne réputation et que sa demande de changement de nom est suffisamment motivée;

vi)Le requérant doit s’acquitter des frais réglementaires et se conformer aux autres prescriptions prévues.

3.2Les auteurs se réfèrent à un cas similaire de discrimination soumis à la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Burghartz c. Suisse. Dans cette affaire, la Cour européenne a estimé que l’adjonction par le mari de son patronyme au nom commun, emprunté à la femme, ne refléterait pas l’unité de la famille à un degré moindre que la solution inverse. La Cour, avant d’établir qu’il y avait eu violation des articles 14 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, a également considéré qu’on ne pouvait parler en l’espèce d’une véritable tradition, et qu’au demeurant la Convention devait toujours s’interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui et en particulier de l’importance attachée au principe de non-discrimination. Les auteurs se réfèrent également à l’Observation générale no 18 du Comité, dans laquelle celui-ci a dit expressément que toute différenciation fondée sur le sexe constituait une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte et qu’au nom du principe de l’interdiction de la discrimination le contenu d’un texte législatif ne devait pas être discriminatoire. Les auteurs soutiennent que si l’on suit l’interprétation de l’article 26 du Pacte donnée par le Comité dans son Observation générale no 18, l’article 9, paragraphe 1 a), de la loi sur les étrangers est discriminatoire à l’égard à la fois des hommes et des femmes.

3.3Les auteurs affirment être victimes d’une violation de l’article 23, paragraphe 4, du Pacte du fait que l’application de l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers porte atteinte à leur droit à l’égalité au regard du mariage et durant le mariage en leur imposant des formalités spécifiques pour pouvoir choisir le nom de la femme comme nom de famille, alors que ces formalités ne sont pas imposées pour pouvoir utiliser le patronyme du mari. Les auteurs se réfèrent à l’Observation générale no 19 du Comité, où celui-ci note, à propos du paragraphe 4 de l’article 23 du Pacte, que le droit pour chaque conjoint de continuer d’utiliser son nom de famille d’origine ou de participer sur un pied d’égalité au choix d’un nouveau nom de famille devrait être sauvegardé.

3.4Les auteurs se réfèrent à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Coeriel et consorts c. Pays-Bas et soutiennent être victimes d’une violation de l’article 17, paragraphe 1, parce que le nom d’une personne constitue un élément important de son identité et que la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée comprend la protection du droit de choisir son nom et d’en changer.

3.5Les auteurs demandent donc à titre de réparation:

a)Qu’il soit admis que les droits des auteurs en vertu du Pacte ont été violés;

b)Qu’il soit admis que l’article 9, paragraphe 1 a), de la loi sur les étrangers est incompatible en particulier avec les articles 26, 23, paragraphe 4, et 17, paragraphe 1, du Pacte;

c)Que la Namibie autorise immédiatement M. Müller à prendre le nom de Mme Engelhard sans avoir à se conformer aux dispositions de la loi sur les étrangers;

d)Que les défendeurs devant la Haute Cour et la Cour suprême de Namibie ne reçoivent pas les frais adjugés en leur faveur par ces juridictions;

e)Et que la Namibie modifie le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers afin de se conformer à ses obligations en vertu du Pacte.

Observations de l’État partie quant à la recevabilité et quant au fond de la communication

4.1L’État partie a communiqué le 5 juin 2000 ses observations concernant la recevabilité de la communication et le 17 octobre 2000 ses observations quant à la recevabilité et quant au fond de la communication.

Recevabilité de la communication

4.2L’État partie confirme que M. Müller a épuisé les recours internes puisqu’il a saisi la Haute Cour namibienne et a formé un recours en appel auprès de la Cour suprême de Namibie. Toutefois, l’État partie fait observer que l’auteur s’est adressé directement aux tribunaux, sans s’être conformé aux prescriptions de la loi sur les étrangers. L’État partie soutient aussi que le Comité n’est ni habilité ni autorisé à examiner la demande en réparation spécifique de l’auteur mentionnée au paragraphe 3.5 d) ci-dessus, puisque dans le cadre des procédures internes l’auteur n’a pas allégué que la Cour suprême était incompétente pour adjuger les frais et qu’il n’a pas soutenu que les lois namibiennes relatives à l’adjudication des frais par les juridictions nationales violaient la Constitution namibienne ou les obligations de la Namibie en vertu du Pacte.

4.3En ce qui concerne Mme Engelhard, l’État partie fait valoir qu’elle n’a pas épuisé les recours internes et n’a fourni aucune explication à ce sujet. L’État partie soutient par conséquent que la communication de Mme Engelhard n’est pas recevable au titre de l’article 5 2) b) du Protocole facultatif et que la réponse de l’État partie quant au fond de la communication ne concerne pas les allégations de Mme Engelhard.

Fond de la communication

4.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur suivant laquelle il y aurait violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie ne conteste pas que l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers fait une différenciation entre hommes et femmes. Il considère toutefois que cette différenciation est raisonnablement justifiée eu égard à son objet, qui est d’assurer d’importantes fonctions sur le plan social, économique et juridique. Les patronymes servent à s’assurer de l’identité d’une personne à diverses fins – par exemple, pour la sécurité sociale, les assurances, les licences, le mariage, l’héritage, les élections et les candidatures aux élections, les passeports, les impôts et les registres administratifs – et ils constituent par conséquent un élément important de l’identité de la personne (voir Coeriel et consorts c. Pays-Bas). L’article 9 de la loi sur les étrangers reflète une tradition de longue date dans la société namibienne, à savoir que la femme prend normalement le nom de son mari, et depuis l’entrée en vigueur de cette loi en 1937 il n’y a pas eu d’autre cas de mari qui souhaitait prendre le nom de sa femme. La différenciation prévue dans la loi sur les étrangers avait pour buts d’assurer la sécurité juridique et d’établir avec certitude l’identité, ce qui correspondait à des critères raisonnables et objectifs.

4.5L’État partie fait valoir encore que le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers n’empêche pas M. Müller de prendre le nom de sa femme, mais prévoit seulement une procédure simple qui permettrait à l’auteur d’obtenir ce qu’il souhaite. Le cas d’espèce est différent de l’affaire Burghartz c. Suisse, dans le sens que dans celle-ci l’auteur n’avait pas de recours pour adjoindre son nom à celui de sa femme en les reliant par un trait d’union.

4.6L’État partie soutient que l’article 26 du Pacte fait référence à une notion de traitement injuste, inéquitable et déraisonnable qui n’intervient pas dans le cas de l’auteur, et qu’il n’a pas été allégué que l’objet de l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers était dirigé contre les personnes de sexe masculin prises individuellement ou collectivement, en Namibie.

4.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteur en relation avec le paragraphe 4 de l’article 23 du Pacte, l’État partie déclare que, conformément à cet article et à l’interprétation donnée par le Comité dans son Observation générale no 19, la loi namibienne permet à l’auteur de participer sur un pied d’égalité avec sa femme au choix d’un nouveau patronyme, à condition de se conformer aux procédures prévues.

4.8En ce qui concerne l’allégation de M. Müller en relation avec l’article 17, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie déclare que cette disposition protège seulement l’auteur des immixtions arbitraires, c’est-à-dire déraisonnables et inutilement irrationnelles, ou illégales dans sa vie privée. Compte tenu de l’objet du paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers mentionné plus haut, dans la mesure où l’auteur peut changer de nom s’il le souhaite la loi n’est ni déraisonnable, ni incompatible avec les obligations de l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 17.

4.9L’État partie conteste les réparations demandées par les auteurs.

Commentaires des auteurs

5.1Le 5 mars 2001, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie.

5.2M. Müller ne conteste pas qu’il aurait pu demander à changer son nom conformément aux dispositions de la loi sur les étrangers. Il soutient toutefois que c’est la procédure prévue pour les hommes qui souhaitent changer de nom qui est discriminatoire. Il aurait donc été contradictoire de suivre la procédure prévue.

5.3En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle Mme Engelhard n’a pas épuisé les recours internes, les auteurs font valoir qu’il aurait été inutile pour elle de présenter au tribunal une requête distincte de celle de son mari, puisque sa requête n’aurait pas été différente de la première, que la Cour suprême de Namibie a rejetée. Les auteurs se réfèrent à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Barzhig c. France, où le Comité a déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’épuiser les voies de recours internes si la plainte devait immanquablement être rejetée, ou lorsque la jurisprudence des juridictions nationales supérieures excluait que le plaignant ait gain de cause. En outre, tout au long des procédures juridiques internes, Mme Engelhard avait soutenu la requête de son mari, de sorte que sa situation, du point de vue juridique et dans les faits, était connue des juridictions nationales.

5.4En ce qui concerne l’article 26, dès lors qu’est effectivement prévue une différenciation fondée uniquement sur le sexe, celle-ci doit être justifiée par une raison extrêmement primordiale et valable. Il faut donc examiner si les objectifs énoncés par l’État partie sont suffisamment importants pour justifier une telle différenciation. Il n’est pas contesté que le patronyme d’une personne constitue un élément important de son identité, mais on peut considérer que par conséquent l’égalité de droits des époux pour ce qui est de choisir l’un ou l’autre patronyme comme nom de famille mérite la protection la plus attentive.

5.5En outre, la notion de «tradition de longue date» invoquée par l’État partie ne justifie pas la différenciation, puisque cette tradition remonte seulement au milieu du XIXe siècle et que, selon l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Burghartz c. Suisse, l’interprétation doit se faire à la lumière des conditions d’aujourd’hui et en particulier de l’importance attachée au principe de non-discrimination. Pour faire valoir que les lois et pratiques discriminatoires ne sauraient être justifiées au nom de la tradition, les auteurs font observer qu’en Afrique du Sud, l’apartheid était l’ancien système traditionnel qui permettait de promulguer des lois perpétuant la discrimination raciale.

5.6Pour les auteurs, l’argumentation de l’État partie selon laquelle la différenciation introduite par le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers doit être maintenue dans l’intérêt de l’administration publique et de la société dans son ensemble n’est pas rationnelle, puisque laisser la possibilité à un couple qui se marie de choisir celui des deux noms qui sera utilisé comme nom de famille ne contribuerait pas moins à l’objectif recherché.

5.7Les auteurs soutiennent que la procédure prévue pour un homme qui souhaite prendre le nom de son épouse n’est pas aussi simple que l’affirme l’État partie, et ils se réfèrent à la procédure en question, déjà décrite plus haut (par. 3.1).

5.8Les auteurs font également référence à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Stjerna c. Finlande, où la Cour a dit qu’«Au regard de l’article 14 [de la Convention européenne des droits de l’homme], une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime…», et ils font valoir que la différence de traitement contestée manque de justification raisonnable. Ils soutiennent que l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers perpétue la «tradition de longue date» qui consiste à reléguer la femme à un état de subordination dans le mariage.

5.9En ce qui concerne les allégations de l’État partie en relation avec l’Observation générale no 19 relative à l’article 23 du Pacte, il est dit qu’il convient de considérer que sont visés non seulement le choix du nom de famille, mais aussi la méthode par laquelle ce choix est effectué. À ce propos, les auteurs font valoir que la demande de changement de nom présentée par le mari peut être approuvée ou non par le Ministre de l’intérieur, par exemple si le requérant ne peut pas assumer les coûts de publication de l’avis ou les frais réglementaires.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne les violations du Pacte alléguées par M. Müller dans leur ensemble, le Comité fait observer que ces questions ont été dûment examinées dans le cadre des procédures internes et que l’État partie a confirmé que M. Müller avait épuisé les recours internes. Rien ne s’oppose donc à ce que la communication soit jugée recevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif en ce qui concerne M. Müller.

6.3Pour ce qui est des allégations de Mme Engelhard, l’État partie a contesté que les recours internes aient été épuisés. Même si Mme Engelhard avait pu saisir la justice namibienne, avec son mari ou séparément, sa requête, très similaire de celle de M. Müller, aurait inévitablement été rejetée puisque la requête de M. Müller a été rejetée par la plus haute juridiction namibienne. Comme, selon la jurisprudence qu’il a établie (Barzhig c. France),il n’est pas nécessaire pour l’auteur d’épuiser les voies de recours qui n’ont objectivement aucune chance d’aboutir, le Comité conclut que les allégations de Mme Engelhard ne sont pas irrecevables en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Bien que l’État partie n’ait pas formulé d’observations sur les allégations de Mme Engelhard quant au fond, le Comité considère que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication quant au fond en ce qui concerne les allégations de celle-ci également, puisque des points de droit complètement identiques concernant les deux auteurs y sont soulevés.

6.4Le Comité s’est également assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.5Le Comité décide par conséquent que la communication est recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard des articles 26, 23, paragraphe 4, et 17, paragraphe 1, du Pacte.

6.6Le Comité a examiné les allégations des auteurs quant au fond, en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7En ce qui concerne l’allégation des auteurs par rapport à l’article 26 du Pacte, le Comité prend note du fait que le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers introduit une différenciation fondée sur le sexe s’agissant du droit du mari ou de la femme de prendre le nom du conjoint, fait qui n’est pas contesté par les parties au différend. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, la reconnaissance du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, sans discrimination, ne rend pas discriminatoires toutes les différences de traitement. Une différence de traitement fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à un traitement discriminatoire interdit au sens de l’article 26. Mais l’existence d’une différence de traitement fondée sur l’un des éléments énumérés dans la seconde clause de l’article 26 du Pacte impose à l’État partie l’obligation d’expliquer la raison de cette différenciation. Le Comité doit donc examiner si les motifs de la différenciation selon le sexe introduite par le paragraphe 1 de l’article 9, empêchent que la disposition en question soit considérée comme discriminatoire.

6.8Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers répond à des objectifs légitimes sur le plan social et juridique, en particulier contribuer à la sécurité juridique. Le Comité prend note aussi de l’observation de l’État partie selon laquelle la différence de traitement prévue à l’article 9 de la loi sur les étrangers repose sur une tradition namibienne de longue date qui veut que les femmes prennent le nom de leur mari, aucun homme n’ayant jusqu’à présent, en pratique, exprimé le vœu de prendre le nom de sa femme; la loi, qui réglemente les situations normales, reflète donc simplement un état de fait généralement accepté dans la société namibienne. Le vœu inusuel d’un couple de prendre comme nom de famille le patronyme de la femme pouvait être facilement satisfait en demandant un changement de nom conformément aux procédures prévues dans la loi sur les étrangers. Le Comité ne voit pas, cependant, en quoi les considérations liées au sexe qui sont prévues dans le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers peuvent contribuer à la sécurité juridique, puisque le choix du nom de la femme peut être enregistré aussi facilement que celui du nom du mari. Compte tenu de l’importance du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’argument d’une tradition de longue date ne tient pas non plus en général pour justifier un traitement différent, qui est contraire au Pacte. Le fait d’assujettir la possibilité de choisir le patronyme de la femme comme nom de famille à des conditions plus strictes et beaucoup plus compliquées que la possibilité inverse (choix du patronyme du mari) ne peut donc pas être considéré comme raisonnable et, en tout état de cause, la raison invoquée pour justifier la différenciation n’est pas suffisamment importante pour faire accepter une différence de traitement fondée sur le sexe qui est généralement prohibée. En conséquence, le Comité estime que les auteurs sont victimes d’une discrimination et d’une violation de l’article 26 du Pacte.

6.9Le Comité ayant conclu à une violation de l’article 26 du Pacte, il considère qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur une éventuelle violation des articles 17 et 23 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, en évitant toute discrimination dans le choix de leur patronyme commun. L’État partie doit également s’abstenir de faire exécuter la décision de la Cour suprême en matière de dépens ou, si la décision a déjà été exécutée, faire en sorte que les sommes en question soient restituées.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les constatations du Comité.

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