Nations Unies

CAT/C/70/D/743/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25 janvier 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 743/2016 * , * *

Communication présentée par :

F. K. (représenté par un conseil, Niels Erik Hansen)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Danemark

Date de la requête :

15 avril 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 28 avril 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

30 décembre 2020

Objet :

Expulsion du Danemark vers la Turquie

Question(s) de procédure :

Examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes ; fondement de la requête ; recevabilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Risque de torture et de mauvais traitements

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est F. K., de nationalité turque, né en 1990. Sa demande d’asile a été rejetée par le Danemark et, lorsque la lettre initiale a été soumise au Comité, il se trouvait dans un centre de détention pour immigrants dans l’attente de son expulsion vers la Turquie. Il affirmait que son expulsion vers la Turquie constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. La Convention est entrée en vigueur pour l’État partie le 26 juin 1987. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, laquelle a pris effet le 26 juin 1987.

1.2Le 28 avril 2016, en application de l’article 114 (al. 1) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la Turquie tant que sa communication serait à l’examen.

1.3Dans le cadre de l’examen de la communication no 580/2014, que le requérant avait précédemment soumise et qui visait l’État partie (voir CAT/C/56/D/580/2014), le Comité, le 2 janvier 2014, avait, de la même manière, demandé au Gouvernement de ne pas expulser le requérant vers la Turquie tant que l’affaire serait à l’examen. Le 2 juillet 2014, l’État partie avait fait savoir au Comité que le requérant avait été libéré, avec ordre de se présenter au services d’immigration. Le 28 juin 2016, l’État partie a informé le Comité qu’il avait décidé de ne pas accéder à sa demande de mesures provisoires dans ce cas particulier. Par une note verbale en date du 30 juin 2016, le Comité a réitéré sa demande de mesures provisoires et a informé l’État partie que, selon la jurisprudence bien établie du Comité, ne pas respecter cette demander constituerait un manquement grave aux obligations que lui impose l’article 22 de la Convention s’il ne respectait pas ladite demande. Le 14 novembre 2019, le conseil du requérant a confirmé que celui-ci avait été expulsé vers la Turquie.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est de nationalité turque et d’origine kurde. Il a été arrêté à plusieurs occasions en Turquie entre 2006 et 2010 en raison de ses activités politiques. Il affirme avoir été soumis à la torture à ces occasions.

2.2Le requérant a déposé une demande d’asile au Danemark. Il a demandé au Service danois de l’immigration d’ordonner qu’il soit soumis à un examen médical afin que soient constatés les signes des actes de torture qu’il avait subis dans le passé. Le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande, ainsi que sa demande d’asile. Par une décision en date du 30 août 2013, les membres de la Commission danoise de recours des réfugiés ont rejeté, à la majorité, son recours contre la décision de rejet de sa demande d’asile, au motif, en particulier, qu’il manquait de crédibilité, sans le soumettre à un examen médical visant à vérifier l’exactitude de ses allégations de torture.

2.3Le deuxième motif invoqué par le requérant pour solliciter l’asile était qu’il craignait d’être persécuté par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie car il en avait été un membre actif avant de le quitter en 2010. Cette affirmation a également été écartée par les autorités danoises de l’asile pour manque de crédibilité.

2.4Précédemment, en 2008, le requérant avait été appelé au service militaire obligatoire, mais il ne s’était pas présenté, de crainte d’être contraint de combattre contre d’autres Kurdes et de subir des mauvais traitements dans l’armée en raison de son origine kurde. Le fait qu’il se soit soustrait au service militaire et ait demandé l’asile à l’étranger l’exposerait à un risque supplémentaire d’être emprisonné et soumis à des traitements inhumains en prison. Toutefois, les autorités compétentes en matière d’asile ont décidé qu’une peine d’emprisonnement pour s’être soustrait au service militaire ne constituerait pas une sanction disproportionnée.

2.5Le 18 décembre 2013, la police a tenté de forcer le requérant à se rendre à l’ambassade de Turquie. Selon le requérant cet acte était susceptible d’attirer encore plus l’attention sur lui. Il a résisté et s’est tailladé les bras et le torse. Les surveillants du centre de détention l’ont remis à la police pour qu’elle le conduise à l’ambassade, mais en cours de route, celle-ci s’est ravisée et a ramené le requérant au centre de détention, sans le conduire à l’hôpital d’abord.

2.6Compte tenu de ce qui précède, le 19 décembre 2013, le requérant a soumis une communication au Comité. Dans sa décision, en date du 23 novembre 2015 (voir CAT/C/56/D/580/2014), le Comité a conclu que le renvoi du requérant en Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il a en outre estimé que l’État partie avaitviolé les prescriptions de l’article 12, lu conjointement avec l’article 16 de la Convention, en raison de la manière dont la police danoise avait traité le requérant et du fait que par la suite aucune enquête n’avait été menée.

2.7Le 14 mars 2016, le requérant a été convoqué à un entretien avec la Commission de recours des réfugiés. Il a expliqué à son conseil qu’au cours de son premier entretien il avait informé les Services danois de l’immigration des actes de tortures qu’il avait subis dans le passé, mais qu’on ne lui avait jamais demandé de signer un document pour confirmer qu’il était prêt à se soumettre à des examens médicaux à cet égard. Pendant les entretiens, aucun membre de la Commission n’a posé de question au requérant. Le rapport médical établi par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International concernant les actes de torture subis par le requérant, en date du 25 septembre 2014, n’a pas non plus été mentionné.

2.8La Commission de recours des réfugiés a rendu sa décision concernant le cas du requérant le 17 mars 2016, considérant qu’il n’y avait pas lieu de demander un examen médical. Le 21 mars 2016, le requérant a été informé par la police qu’il devait quitter immédiatement le Danemark.

2.9Le requérant affirme qu’il a ensuite saisi la Cour européenne des droits de l’homme, mais que sa requête n’a jamais été enregistrée.

2.10Le requérant affirme que son expulsion constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. À l’appui de cette affirmation, il souligne que plusieurs rapports, y compris celui du groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, montrent que la situation des droits de l’homme en Turquie fait qu’une expulsion serait contraire à l’article 3 de la Convention, les autorités turques faisant un usage excessif de la force et recourant à la torture et aux mauvais traitements. Le requérant répète ses affirmations précédentes, à savoir :

a)Qu’il a été torturé dans le passé, comme l’atteste le rapport médical d’Amnesty International daté du 25 septembre 2014, et qu’aucun autre rapport médical n’a été établi malgré les demandes qu’il a adressées aux autorités danoises de l’immigration à cet effet ;

b)Qu’il avait été actif politiquement au sein du PKK dans le passé, mais qu’il a quitté le parti et que celui-ci le punirait s’il revenait en Turquie ;

c)Que sa crédibilité a été mise en doute par les autorités danoises de l’immigration, qui n’ont cependant jamais remis en question le fait qu’il soutenait activement la cause kurde depuis 2006 ;

d)Les autorités danoises n’ont jamais mis en doute le fait qu’il avait refusé d’accomplir son service militaire obligatoire et qu’il craignait non seulement d’être emprisonné et soumis à des mauvais traitements pour cette raison, mais aussi d’être enrôlé de force dans l’armée.

2.11La Commission de recours des réfugiés s’est focalisée sur la question de la crédibilité et, même si la majorité de ses membres doutaient de la crédibilité du requérant, ceux-ci ne sont pas parvenus à s’entendre sur les éléments de son récit auxquels ils ne pouvaient accorder foi. Si, ailleurs, une décision prise dans de telles conditions pourrait normalement être contestée, au Danemark, les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne sont pas soumises au contrôle des tribunaux. À ce propos, le requérant fait remarquer que, dans les observations finales qu’il a formulées à l’issue de son examen des seizième et dix‑septième rapports périodiques soumis par le Danemark en application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est dit préoccupé par le fait que les décisions de la Commission de recours des réfugiés étaient définitives et n’étaient pas susceptibles de recours devant un tribunal (CERD/C/DEN/CO/17, para. 13).

2.12Le requérant affirme que c’est à l’État partie qu’incombe la responsabilité d’apprécier les risques associés à un renvoi forcé au regard des tortures subies par la personne concernée dans le passé. Selon lui, la Commission de recours des réfugiés a tenté dans un premier temps de se soustraire à cette obligation en refusant de rouvrir son dossier d’asile, le 18 septembre 2015, date à laquelle elle a affirmé que le rapport d’Amnesty International ne comportait aucun élément nouveau et pertinent nécessitant la réouverture du dossier. Dans un deuxième temps, comme suite à la décision adoptée par le Comité contre la torture, en novembre 2015, concernant la communication no 580/2014, elle a rouvert son dossier, mais est arrivée à la même conclusion à l’issue de la procédure. Le requérant soutient que toutes les décisions adoptées par la Commission en 2015 et en 2016 et auparavant étaient contraires à l’article3 de la Convention.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que sa communication initiale reste valable. Même si la Commission de recours des réfugiés a rouvert son dossier et l’a convoqué à une audience, l’État partie n’a pas ordonné d’examen médical visant à déceler les actes de torture auxquels il a été soumis dans le passé, malgré le rapport établi à cet égard par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International. La Commission a refusé de prendre en considération les conclusions figurant dans ce rapport, en violation de l’article 3 de la Convention.

3.2Le requérant estime que, comme c’était le cas dans l’affaire Oberschlick c. Autriche, sur laquelle la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée à deux reprises, dans son cas, la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 17 mars 2016 constitue une nouvelle décision, ce qui exige une nouvelle décision de la part du Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1L’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité dans une note verbale en date du 28 juin 2016. Il fait observer qu’en l’espèce, contrairement à ce qui était le cas dans la communication no 580/2014, le requérant n’invoque pas les articles 12 et 16 de la Convention. L’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que la même question a déjà été examinée par le Comité.

4.2L’État partie rappelle les faits de l’affaire. Le requérant, ressortissant turc, est entré au Danemark en novembre 2010, sans document de voyage valable. Il a été arrêté par la police le 4 février 2012 parce qu’il était en possession de substances placées sous contrôle et avait donné de fausses informations sur son identité, et a été condamné à quarante jours d’emprisonnement avec sursis le 11 décembre 2012. À la suite de cela, son renvoi du Danemark a été ordonné, avec interdiction de retour sur le territoire pendant six ans.

4.3Le 13 novembre 2012, le requérant a déposé une demande d’asile. Le 31 mai 2013, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande. Le 30 août 2013, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration. Le 19 décembre 2013, le requérant a saisi le Comité (communication no 580/2014). Le 18 septembre 2015, la Commission de recours des réfugiés a refusé de rouvrir le dossier du requérant.

4.4Le 23 novembre 2015, le Comité a rendu sa décision concernant la communication no 580/2014. Le 28 décembre 2015, le requérant a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir son dossier sur la base de la décision du Comité. Le 7 janvier 2016, la Commission a décidé de le rouvrir aux fins de réexamen à une audience et de maintenir la suspension du délai fixé pour le départ du requérant.

4.5Le 17 mars 2016, la Commission de recours des réfugiés a confirmé le rejet de la demande d’asile du requérant.

4.6Le 1er avril 2016, le requérant a porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, affirmant que son renvoi en Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Conventionde sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Le 5 avril 2016, la Cour a rejeté sa requête pour cause de non-conformité aux articles 34 et 35 de ladite Convention.

4.7Le 15 avril 2016, le requérant a soumis au Comité la communication faisant l’objet de la présente décision, dans laquelle il affirme que son renvoi forcé en Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

4.8Le 10 mai 2016, la Commission de recours des réfugiés a décidé de suspendre le délai fixé pour le départ du requérant du Danemark pour la durée de l’examen par le Comité de la requête qui lui avait été soumise le 15 avril 2016. Le 27 juin 2016, elle a décidé qu’il n’y avait pas lieu de maintenir la suspension de ce délai et a adressé au conseil du requérant le message suivant :

La Commission de recours des réfugiés a maintenant eu l’occasion d’examiner la recevabilité et le fond de la requête. Elle a donc transmis ce jour au Ministère de la justice sa contribution aux observations communiquées par le Gouvernement au Comité, dont il ressort entre autres qu’elle estime que la requête portée devant le Comité par votre nouveau client devrait être considérée comme irrecevable, car elle est manifestement mal fondée. Partant, la Commission estime qu’il n’y a aucun motif de proroger la suspension du délai fixé pour le départ de votre client. Celui-ci est donc tenu de quitter le Danemark immédiatement après avoir été informé de la décision mettant fin à la suspension du délai fixé pour son départ. Comme indiqué dans la décision rendue par la Commission le 17 mars 2016. votre client pourra être renvoyé de force en Turquie s’il ne quitte pas volontairement le pays.

4.9L’État partie constate que, dans la requête qu’il a soumise au Comité, le requérant soutient que le Danemark enfreindrait l’article 3 de la Convention s’il le renvoyait de force. Le requérant y reprend les allégations qu’il avait formulées dans sa communication no 580/2014 concernant ses activités politiques passées en Turquie, et répète qu’il a été soumis à la torture dans ce pays. Dans cette communication, en date du 15 avril 2016, il n’apporte pas d’élément nouveau et invoque les mêmes motifs que dans l’affaire no 580/2014.

4.10Dans le cadre de l’examen de la communication no 580/2014, le requérant avait produit un rapport établi par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, en date du 25 septembre 2014. Le requérant rappelle que l’État partie ne lui a jamais demandé de se soumettre à un examen médical visant à déceler des signes de torture. Il soutient que l’article 3 de la Convention a été violé, étant donné que la Commission de recours des réfugiés n’a pas tenu compte des conclusions du rapport d’Amnesty International, a refusé d’ordonner un examen médical et a rejeté sa demande d’asile. D’après le requérant, si elle voulait contester les conclusions du rapport d’Amnesty International, la Commission aurait dû ordonner un examen médical. Il affirme que l’État partie a manqué à son obligation de procéder à un examen médical en se contentant de le convoquer à une audience. Le requérant affirme en outre qu’à l’audience du 14 mars 2016, les membres de la Commission ne lui ont posé que quelques questions, qui n’avaient aucun lien avec le rapport d’Amnesty International.

4.11L’État partie fait observer que, dans sa décision du 20 mai 2005 en l’affaire Agiza c. Suède (CAT/C/34/D/233/2003), le Comité a examiné la question de savoir si la requête qui lui avait été soumise était une simple répétition d’une question déjà tranchée et constituait donc un abus de la procédure relevant de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) de son règlement intérieur. Étant donné que les requêtes concernaient deux personnes différentes, le Comité a décidé qu’elles n’étaient pas fondamentalement identiques et que la deuxième requête ne constituait donc pas un abus du droit de soumettre une communication. En l’espèce, toutefois, la requête est, pour l’essentiel, de nature identique à la requête précédente. La communication se rapporte aux mêmes parties que celles auxquelles avait trait la communication no 580/2014 et aux mêmes droits substantiels, à savoir ceux garantis par l’article 3 de la Convention. S’agissant des faits de l’espèce, l’État partie fait observer que, dans les deux cas, le requérant a fondé sa requête sur les mêmes informations relatives à sa situation en Turquie entre 2006 et 2010. En l’espèce, il n’a été fourni aucun élément nouveau d’importance notable, qui serait venu s’ajouter aux informations déjà présentées dans le cadre de la communication no 580/2014. En conséquence, la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) du règlement intérieur du Comité.

4.12Le requérant a comparu et fait des déclarations à deux reprises devant la Commission de recours des réfugiés, qui a rejeté l’intégralité de ses affirmations concernant ses activités politiques alléguées et les actes de torture et les mauvais traitements qui en ont résulté. À cet égard, la Commission a tenu compte de la décision adoptée par le Comité le 23 novembre 2015 concernant la communication no 580/2014.

4.13L’État partie considère que le Comité n’est pas mieux placé pour apprécier les éléments du dossier que les autorités nationales de l’immigration, qui ont entendu les déclarations du requérant en personne. Le Comité devrait s’en remettre à l’appréciation que la Commission de recours des réfugiés a faite des éléments de preuve, à moins de circonstances exceptionnelles. Dans sa décision du 17 mars 2016, la Commission a conclu ce qui suit quant à la possibilité de procéder à un nouvel examen médical :

En ce qui concerne l’examen pratiqué sur le requérant par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, la Commission constate que les conclusions figurant dans le rapport du 25 septembre 2014 ne concordent pas, à plusieurs égards, avec les informations fournies par le requérant dans le cadre de la procédure d’asile concernant les violences physiques auxquelles il aurait été soumis. En effet, dans son formulaire de demande d’asile daté du 20 décembre 2012, le requérant, pour apporter des précisions sur la manière dont il avait été torturé et les mauvais traitements qui lui avaient été infligés, a déclaré ce qui suit : « À la suite des tortures subies, mon bras gauche est cassé ; je porte encore des marques permanentes des traitements qui m’ont été infligés au milieu de l’arcade sourcilière et du front, sous le menton et sur la tête... Mon bras gauche est fracturé et tordu à deux endroits, du fait des tortures endurées. ».

4.14La Commission de recours des réfugiés a indiqué qu’elle jugeait que les actes de torture décrits par le requérant ne cadraient pas avec le rapport en date du 25 septembre 2014. S’agissant des bras et des jambes de requérant, ce rapport indiquait simplement : « force, sensibilité et mobilité normales ; aucune anomalie détectée ». En revanche, le rapport faisait état à plusieurs reprises de coups sur la plante des pieds (falanga), ce qui constitue de la torture, mais le requérant n’avait pas mentionné ces coups dans son formulaire de demande d’asile, ni lors des entretiens menés par le Service danois de l’immigration ou de l’audience tenue devant la Commission le 30 août 2013.

4.15La Commission de recours des réfugiés a en outre indiqué qu’à l’exception de ses craintes de faire d’objet de représailles pour s’être soustrait au service militaire obligatoire, les motifs invoqués par le requérant à l’appui de sa demande d’asile concernaient le fait qu’il avait quitté le PKK et l’Union des communautés du Kurdistan et sa fuite d’un camp d’entraînement en 2010, et qu’en tout état de cause, elle estimait que les conclusions de l’examen médical ne présentaient pas un intérêt direct pour l’appréciation de la crédibilité du requérant. Par ailleurs, elle a estimé qu’il n’y avait pas lieu de considérer que les violences physiques auxquelles aurait été soumis le requérant avaient une influence déterminante sur les déclarations de celui-ci et le souvenir qu’il avait des faits mentionnés dans cette partie de sa demande d’asile. Elle a également estimé que les conclusions figurant dans le rapport du groupe médical de la section danoise d’Amnesty International ne suffisaient pas à elles seules à asseoir la crédibilité des motifs invoqués par le requérant à l’appui de sa demande d’asile, y compris le fait qu’il avait fait l’objet des actes de torture décrits, dans les circonstances décrites.

4.16S’agissant de l’appréciation de la crédibilité du requérant par la Commission de recours des réfugiés, l’État partie renvoie aux constatations du Comité des droits de l’homme dans l’affaire K. c. Danemark (CCPR/C/114/D/2393/2014, par. 7.4 et 7.5), où le Comité a rappelé que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée aux fins de déterminer s’il existe un risque réel que la personne concernée subisse un préjudice irréparable si elle est expulsée de leur territoire, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice. Le Comité des droits de l’homme a constaté que la Commission danoise de recours des réfugiés avait examiné en profondeur chacun des motifs invoqués par l’auteur et qu’elle avait, en particulier, analysé les menaces dont l’auteur alléguait qu’il ferait l’objet en Afghanistan, et qu’elle avait jugé ces allégations incohérentes et invraisemblables pour plusieurs raisons; elle avait également constaté que l’auteur contestait les conclusions de fait de la Commission ainsi que l’appréciation que celle-ci avait faite des éléments de preuve, mais sans expliquer en quoi cette appréciation avait été arbitraire ou avait constitué un déni de justice.

4.17L’État partie fait également observer que, dans l’affaire M. X. et M me X. c. Danemark (CCPR/C/112/D/2186/2012, par. 7.5), le Comité des droits de l’homme avait constaté que la demande de statut de réfugié présentée par les auteurs avait été soigneusement évaluée par les autorités de l’État partie, qui avaient conclu que les déclarations des auteurs concernant le motif de la demande et le compte rendu des événements qui étaient à l’origine de leur crainte d’être torturés ou tués n’étaient pas crédibles. Le Comité des droits de l’homme avait ensuite constaté que les auteurs n’avaient pas mis en évidence une irrégularité quelconque dans le processus de prise de décisions ni un facteur de risque qui n’aurait pas été suffisamment pris en compte par les autorités de l’État partie. Le Comité des droits de l’homme avait donc indiqué que compte tenu de ces éléments, il ne pouvait pas conclure que les auteurs seraient exposés à un risque réel de traitement contraire aux articles 6 ou 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’ils étaient renvoyés en Fédération de Russie.

4.18Dans l’affaire P. T. c. Danemark (CCPR/C/113/D/2272/2013, par. 7.3), le Comité des droits de l’homme a rappelé sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque.

4.19L’État partie renvoie également à l’affaire N. c. Danemark (CCPR/C/114/D/2426/2014, par. 6.6), dans laquelle le Comité des droits de l’homme a rappelé qu’il appartient en général aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreurs ou qu’elle a représenté un déni de justice. Dans cette affaire, l’auteur n’avait pas expliqué en quoi la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés n’avait pas rempli les critères susmentionnés, et n’avait pas non plus fourni de motif sérieux de croire, comme il l’affirme, que son renvoi en République islamique d’Iran l’aurait exposé à un risque réel de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité des droits de l’homme a donc conclu que l’auteur n’avait pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 7 aux fins de la recevabilité et a déclaré la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.20L’État partie fait observer qu’en l’espèce, le requérant a bénéficié des mêmes garanties d’une procédure régulière et que sa demande d’asile a été examinée avec le même soin.

4.21En ce qui concerne l’importance des informations médicales, l’État partie renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Cruz Varas et autres c. Suède (requête no 15576/89) et à la décision adoptée par le Comité dans l’affaire M. O. c. Danemark (CAT/C/31/D/209/2002). Dans ces deux affaires, les griefs de torture du requérant, ainsi que les informations médicales produites à l’appui, ont été écartés en raison du manque général de crédibilité des requérants.

4.22L’État partie explique que la jurisprudence de la Commission de recours des réfugiés porte notamment sur des affaires similaires à la présente affaire, dans lesquelles des demandeurs d’asile affirmaient avoir subi des préjudices physiques ou psychologiques du fait des tortures qui leur avaient été infligées. Parfois, les informations données par les demandeurs d’asile sont entièrement ou partiellement corroborées par des examens médicaux, réalisés dans certains cas par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International. Il est assez courant qu’il ressorte des conclusions des examens médicaux que les constatations objectives concordent avec les allégations du demandeur d’asile concernant les tortures subies. Cependant, lorsque la Commission décide de ne pas tenir compte des allégations du demandeur d’asile, au motif, par exemple, qu’il ne peut considérer comme établi que l’intéressé a eu des activités politiques et que son engagement politique a été découvert par les autorités, une telle concordance ne suffit pas à elle seule à donner lieu à un examen. La Commission peut, dans de tels cas, constater que le demandeur d’asile a subi des préjudices physique ou psychologique, sans toutefois déterminer la raison pour laquelle de tels préjudices lui ont été infligés, ni par qui. Elle n’obtiendrait pas plus d’informations en demandant un examen médico-légal. Un tel examen révélerait seulement que le demandeur d’asile a subi des préjudices physiques et psychologiques, qui peuvent lui avoir été infligés de la manière décrite, mais aussi de quelque autre manière que ce soit. Il ne permet donc pas de déterminer si le préjudice subi a été causé par la torture ou s’il a d’autres causes (bagarre, agression, accident ou acte de guerre, par exemple).

4.23Si les allégations de torture du demandeur d’asile doivent être écartées au motif qu’elles ne sont pas crédibles, et que celui-ci continue de prétendre qu’il risque d’être soumis à la torture pour les mêmes motifs, on ne peut pas considérer comme établi qu’il risquerait d’être soumis à la torture à son retour. La Commission de recours des réfugiés conclut donc, dans de tels cas, qu’il n’est pas nécessaire de procéder à un examen médical visant à déceler d’éventuels signes de torture, car un tel examen ne contribuerait pas à l’établissement des faits de l’affaire.

4.24L’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés a examiné minutieusement les faits de l’espèce, y compris les conclusions de l’examen médical. Elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire de demander un deuxième avis en procédant à un examen médico-légal en vue de déceler des signes de torture, car on ne pouvait supposer qu’un tel examen apporterait davantage d’éléments pertinents.

4.25L’État partie n’a aucune raison de remettre en question l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés, et l’auteur n’a fait état d’aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions, ni d’aucun facteur de risque que les autorités de l’État partie auraient omis de prendre dûment en compte.

4.26Compte tenu de ces considérations, l’État partie estime que le Comité n’est pas en mesure de conclure que le requérant courrait un risque réel de torture s’il était renvoyé en Turquie, et que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle est manifestement mal fondée.

4.27S’agissant de l’audience tenue devant la Commission de recours des réfugiés le 14 mars 2016, l’État partie relève que le requérant soutient que la Commission ne lui a posé que quelques questions, qu’elle ne l’a pas interrogé sur les divergences entre ses déclarations précédentes et les conclusions figurant dans le rapport médical et que la question de la conduite d’un examen médical n’a pas été abordée. L’État partie indique qu’en vertu de l’article 40 de la loi relative aux étrangers, un demandeur d’asile doit fournir les renseignements requis pour que l’on puisse décider si son cas relève de l’article 7 de ladite loi. C’est donc au demandeur d’asile qu’il incombe d’étayer l’affirmation selon laquelle les conditions d’octroi de l’asile sont remplies. Lors de l’audience devant la Commission, le demandeur d’asile a la possibilité de faire une déclaration. Son conseil lui pose des questions, après quoi les représentants du Service danois de l’immigration l’interrogent. La Commission peut également lui demander des précisions. Si la Commission ne pose que quelques questions, cela signifie que le demandeur et son conseil ont fourni suffisamment d’informations pour lui permettre d’apprécier la demande.

4.28Pour ce qui est du fait que la question d’un examen médical n’a pas été abordée, l’État partie souligne que la Commission de recours des réfugiés a accepté les conclusions du rapport médical comme des faits établis, et que le requérant et son conseil ont eu l’occasion de formuler toutes les observations sur ce rapport qu’ils jugeaient pertinentes à ce propos à l’audience tenue devant la Commission le 14 mars 2016.

4.29S’agissant des observations formulées par le requérant quant à l’objectivité et à l’indépendance de la Commission de recours des réfugiés, l’État partie fait observer que les décisions rendues le 30 août 2013 et le 17 mars 2016 le concernant ont été adoptées par des membres différents de la Commission. Le dossier a été rouvert, ce qui signifie qu’il a fait l’objet d’un réexamen complet, qui tenait compte de toute information nouvelle éventuelle, et que d’autres membres de la Commission ont tenu une audience, laquelle a eu lieu le 17 mars 2016. Le requérant a fait une déclaration, son conseil lui a posé des questions, après quoi le représentant du Service danois de l’immigration l’a interrogé. Le requérant a fait une longue déclaration sur sa situation. Son conseil et le représentant du Service danois de l’immigration ont été autorisés à présenter oralement des arguments. Enfin, le requérant a eu la possibilité de faire une dernière déclaration.

4.30L’État partie fait observer que, dans sa décision du 17 mars 2016, la Commission d’appel des réfugiés a indiqué qu’elle ne pouvait pas considérer comme un fait établi que, comme l’affirme le requérant, il était membre du Parti pour une société démocratique depuis 2006 et avait été victime de violences physiques et psychologiques entre 2006 et 2008. De l’avis de la Commission, le requérant n’a pas été en mesure de dire, avec le degré de certitude et de précision attendu, quand et comment il a pris part aux activités des partis mentionnés et dans quelles circonstances il a été détenu et soumis à des mauvais traitements.

4.31La Commission de recours des réfugiés a également estimé que la déclaration du requérant selon laquelle il était devenu membre du PKK et s’était enfui d’un camp militaire à la mi-2010 ne pouvait pas non plus être considérée comme établissant ces faits. Dans le cadre de la procédure d’asile, le requérant avait fait des déclarations contradictoires quant à la manière dont il avait rejoint le PKK. En outre, il avait déclaré avoir demandé à suivre un entraînement au maniement des armes, déclaration qui était contredite par sa déclaration du 21 mars 2013 selon laquelle il n’avait, à aucun moment, envisagé de prendre les armes de quelque manière que ce soit. La Commission a estimé en outre que la déclaration faite par le requérant devant les membres de la Commission le 30 août 2013, selon laquelle il avait été arrêté plusieurs fois en Turquie en 2009 pour d’autres raisons, et que les autorités ne s’étaient pas rendu compte de ce qu’en fait il était recherché, reposait sur des suppositions et ne correspondait pas à ses déclarations précédentes. Cette affirmation ne semblait pas crédible à la lumière des informations disponibles concernant la nature et l’intensité des efforts mis en œuvre par la police et les services de renseignement turc pour arrêter les opposants kurdes et les inculper en application de la loi antiterroriste.

4.32Pour ce qui est de l’affirmation du requérant selon laquelle il a refusé d’effectuer son service militaire, le 17 mars 2016, la Commission de recours des réfugiés a formulé l’observation suivante : « selon les informations disponibles, le fait que le demandeur d’asile n’ait pas accompli le service militaire obligatoire n’entraînera pas de sanctions disproportionnées, et on peut conclure qu’il ne justifie pas l’octroi d’un permis de séjour ».

4.33L’État partie souligne que, comme suite à la décision adoptée par le Comité le 23 novembre 2015, concernant la communication no 580/2014, le dossier d’asile du requérant a été rouvert. Lors d’une audience tenue le 14 mars 2016, la Commission a réexaminé le dossier, à la lumière, entre autres, du rapport de l’examen effectué par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International et de la décision adoptée par le Comité concernant l’affaire no 580/2014. Dans sa décision du 17 mars 2016, la Commission a conclu que le requérant n’avait pas étayé les motifs de sa demande d’asile, et sa demande de permis de séjour a été rejetée. L’État partie considère que la Commission a tenu pleinement compte de la décision rendue par le Comité le 23 novembre 2015.

4.34En ce qui concerne la présente affaire, l’État partie souligne que le requérant n’a pas apporté d’éléments nouveaux susceptibles de justifier le réexamen de sa demande par la Commission de recours des réfugiés. La présente communication devrait donc être déclarée irrecevable. Dans ces circonstances, l’État partie a décidé, en l’espèce, de ne pas accéder à la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité, sans pour autant remettre en cause la possibilité pour les particuliers de soumettre des communications au Comité et pour celui-ci de demander que des mesures provisoires soient prises afin d’éviter un préjudice irréparable.

4.35Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) du règlement intérieur du Comité, au motif que la même question a déjà été examinée par le Comité et que, par conséquent, la requête constitue un abus de la procédure d’examen de communications émanant de particuliers. La communication est également irrecevable au regard de l’article 113 (al. b)) et de l’article 115 (al. 3) du règlement intérieur du Comité, car elle est manifestement mal fondée.

Observations complémentaires des parties

Observations complémentaires du requérant

5.Par une lettre en date du 21 mars 2017, le requérant a fait savoir au Comité qu’il était entré dans la clandestinité, l’État partie ayant manifesté son intention de l’expulser. Il a ajouté qu’il avait intenté une action en justice devant le tribunal municipal de Copenhague afin d’obtenir une autorisation de séjour au Danemark.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Dans une note verbale en date du 8 février 2019, l’État partie a indiqué que les dernières informations communiquées par le requérant n’appelaient pas de nouvelles observations de sa part. Le 4 novembre 2016, le requérant a introduit un recours devant le tribunal municipal de Copenhague contre la décision de la Commission de recours des réfugiés de ne pas maintenir la suspension du délai fixé pour son départ. Le 3 mars 2017, le tribunal municipal de Copenhague a décidé que la procédure avait pour effet de suspendre le délai fixé pour le départ du requérant. Le 6 juillet 2017, la Haute Cour du Danemark oriental a décidé en appel que la procédure engagée devant le tribunal n’avait pas d’effet suspensif. Le 15 novembre 2017, la Cour suprême a confirmé la décision de la Haute Cour. Le 18 décembre 2018, le conseil du requérant a retiré la plainte déposée devant le tribunal national, en raison de l’expulsion du requérant vers la Turquie.

Observations complémentaires communiquées au nom du requérant

7.1Dans des lettres en date du 14 novembre 2019 et du 4 février 2020, le conseil de requérant explique que celui-ci a pris contact avec lui après son renvoi. Le conseil a fourni une copie d’un certificat médical concernant le requérant, daté du 27 janvier 2020.

7.2Le conseil renvoie à ses observations concernant la suite donnée à la communication no 580/2014, et souligne que le renvoi forcé du requérant en Turquie, en dépit de la demande de mesures provisoires du Comité, constituait une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention.

7.3Le requérant a informé son conseil qu’après avoir été expulsé, il avait été torturé par la police en Turquie, qu’il avait été enrôlé dans l’armée et qu’il effectuait actuellement son service militaire obligatoire.

7.4Dans une note en date du 10 février 2020, le conseil, renvoyant à la décision prise par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Savran c. Danemark, a ajouté que l’expulsion du requérant constituait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il estime qu’en l’espèce, l’expulsion du requérant constitue une violation analogue.

7.5Le conseil rappelle que, dans la décision qu’il a prise concernant la communication no 580/2014, le Comité a conclu que l’État partie avait violé l’article 12, lu conjointement avec l’article16 de la Convention, en raison notamment du refus des autorités d’ordonner un examen médical visant à déterminer si le requérant avait été torturé dans le passé. En l’espèce, les autorités ont à nouveau refusé un examen médical au requérant, ce qui constitue une violation de l’article 3 de la Convention. L’expulsion du requérant malgré la demande de mesures provisoires du Comité constitue également une violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-respect de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité en application de l’article 114 de son règlement intérieur

8.1Le Comité souligne que l’adoption de mesures provisoires de protection en application de l’article 114 de son règlement intérieur, conformément à l’article 22 de la Convention, est essentielle au rôle qui lui est confié en vertu de cet article. Le fait de ne pas respecter la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, en particulier en prenant une mesure irréparable telle que l’expulsion d’une victime présumée, affaiblit la protection des droits consacrés par la Convention.

8.2Le Comité rappelle le caractère absolu du principe du non-refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention. Il souligne que tout État partie qui a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soumises par des particuliers qui affirment être victimes d’une violation des dispositions de la Convention. En faisant cette déclaration, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité en lui donnant les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au requérant. Le Comité considère qu’en ne respectant pas la demande de mesures provisoires qui lui a été adressée le 28 avril 2016 et en expulsant le requérant vers la Turquie, l’État partie a gravement contrevenu aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention.

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En conséquence, il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention d’examiner la communication.

9.2Le Comité constate qu’en l’espèce, l’État partie ne conteste pas que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par.5 b)) de la Convention d’examiner la présente communication.

9.3Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle son expulsion vers la Turquie l’exposerait à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il note qu’il a examiné cette affirmation au titre de la communication no 580/2014, et qu’il avait conclu qu’en expulsant le requérant vers la Turquie, l’État partie contreviendrait aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention.

9.4Le Comité a pris note de l’observation de l’État partie selon laquelle en l’espèce, le requérant reprend les allégations formulées dans la communication no 580/2014 concernant ses activités politiques passées en Turquie et répète qu’il a été soumis à la torture dans ce pays. Le requérant n’a communiqué aucun renseignement supplémentaire dans sa lettre du 15 avril 2016 et invoque les mêmes motifs que ceux déjà invoqués dans la communication no 580/2014. L’État partie souligne qu’à la suite de l’adoption, par le Comité, le 23 novembre 2015, de sa décision concernant la communication no 580/2014, le dossier du requérant a été rouvert. Sa demande d’asile a été réexaminée par la Commission de recours des réfugiés lors d’une audience tenue le 14 mars 2016, à la lumière, entre autres, du rapport de l’examen médical effectué par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International et de la décision du Comité concernant la communication no 580/2014. Dans sa décision en date du 17 mars 2016, la Commission a conclu que le requérant n’avait pas étayé les motifs de sa demande d’asile, et sa demande de permis de séjour a été rejetée. L’État partie considère que la Commission a pleinement pris en considération la décision rendue par le Comité le 23 novembre 2015. Aussi, le requérant n’ayant pas fourni d’éléments nouveaux dans la communication à l’examen, l’État partie est d’avis que celle-ci devrait être considérée comme irrecevable.

9.5Le Comité constate que l’objet de la communication à l’examen, à savoir les risques encourus par le requérant en cas d’expulsion vers la Turquie, correspond à l’objet de l’examen auquel il a procédé concernant communication no 580/2014, à l’issue duquel il a conclu qu’en renvoyant le requérant en Turquie, l’État partie contreviendrait aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. Le Comité rappelle, s’agissant de sa décision concernant la communication no 580/2014, qu’il avait estimé, au vu du rapport établi par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, que l’État partie, ayant rejeté la demande d’asile du requérant sans ordonner d’examen médical, ne s’était pas suffisamment efforcé d’établir s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Turquie. De ce fait, le Comité avait considéré que le renvoi du requérant constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité était également d’avis que l’État partie avait contrevenu aux prescriptions de l’article 12, lu conjointement avec l’article 16 de la Convention, qui n’ont pas été invoqués en l’espèce.

9.6Le Comité constate que l’État partie a dûment pris en considération la décision qu’il avait adoptée concernant la communication no 580/2014, et que le dossier du requérant a été rouvert et sa demande d’asile réexaminée par la Commission de recours des réfugiés, sur la base de ladite décision et compte tenu des conclusions du rapport médical du groupe médical de la section danoise d’Amnesty International en date du 25 septembre 2014. Le Comité relève qu’à ce titre, le requérant et son avocat ont eu la possibilité de donner des informations et des éclaircissements aux autorités danoises chargées des demandes d’asile.

9.7Le Comité prend note en outre de l’objection du requérant selon laquelle bien que la Commission de recours des réfugiés ait rouvert son dossier et l’ait convoqué à une audience, elle n’a pas ordonné d’examen médical, malgré le rapport établi par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International sur les tortures subies par le requérant dans le passé.

9.8Le Comité considère qu’il ressort des documents versés au dossier que la Commission de recours des réfugiés a pris dûment en compte les conclusions du rapport établi par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, qui mettait en évidence un certain nombre de contradictions entre les déclarations faites par le requérant tout au long de la procédure d’asile. Le Comité estime que les éléments du dossier ne lui permettent pas de conclure qu’en l’espèce, la Commission a agi d’une manière partiale ou de toute autre manière qui constitue un déni de justice. Il constate également à cet égard que le requérant n’a pas dénoncé de telles fautes, mais qu’il conteste plutôt les décisions de la Commission et demande notamment qu’elles soient réexaminées.

9.9Le Comité a pris note de l’affirmation du conseil du requérant selon laquelle celui-ci l’a informé lors d’une conversation téléphonique qu’après son expulsion, il avait été torturé par la police en Turquie. Le Comité constate qu’aucune autre information ou explication n’a été donnée à l’appui de cette affirmation, en particulier concernant l’identité de ceux qui ont infligé des mauvais traitements au requérant et le lieu où les actes de torture allégués ont été commis, et qu’aucune précision n’a été apportée sur la méthode de torture employée et la gravité de ces actes, ou sur les autres mauvais traitements infligés. À la suite de l’expulsion du requérant, son conseil a présenté une copie d’un certificat médical sommaire établi le 27 janvier 2020, attestant que l’examen du requérant par un médecin avait révélé que l’intéressé souffrait de troubles post-traumatiques, mais dans lequel il n’est nullement question de torture. Le Comité relève également qu’il n’a pas été précisé si le requérant avait porté plainte auprès des autorités turques compétentes pour torture et, le cas échéant, quel avait été le résultat de sa démarche.

9.10Dans ces circonstances, et en l’absence de toute autre information utile dans le dossier, le Comité considère que la présente communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2)) de la Convention, car elle est manifestement mal fondée. Compte tenu de cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner d’autres motifs d’irrecevabilité.

10.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.