Nations Unies

CAT/C/MKD/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 juin 2015

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapportpériodique de l’ex-République yougoslave de Macédoine *

Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de l’ex‑République yougoslave de Macédoine (CAT/C/MKD/3) à ses 1310e et 1313e séances (CAT/C/SR.1310 et 1313), les 4 et 5 mai 2015, et a adopté les observations finales ci-après à sa 1317e séance, le 7 mai 2015.

A.Introduction

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports, qui permet un dialogue plus ciblé entre l’État partie et le Comité.

Le Comité se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation multisectorielle de haut niveau de l’État partie, et note avec satisfaction les informations et explications complémentaires qui lui ont été fournies par la délégation.

B.Aspects positifs

Le Comité salue la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Le Comité accueille avec satisfaction les modifications législatives apportées dans les domaines intéressant la Convention, et notamment :

a)L’adoption de la loi sur la prévention de la discrimination et la protection des victimes, en 2010 ;

b)L’adoption de la loi sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes, en 2014 ;

c)L’adoption de la loi relative au Conseil d’enquête et les modifications apportées à la loi relative au Conseil judiciaire en vue, notamment, de redéfinir les procédures disciplinaires contre les juges ;

d)Les modifications apportées à la loi sur la police afin de rendre obligatoire la confiscation de leur arme aux policiers qui ont commis une infraction violente ou ont été identifiés comme ayant commis des violences familiales.

Le Comité note également avec satisfaction que le Bureau du Médiateur a été désigné en 2009 comme mécanisme national de prévention au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et que ses activités ont commencé en 2011, notamment les visites dans des centres de détention.

Le Comité prend acte des politiques et initiatives de réforme en cours, conduites par l’État partie, notamment :

a)La stratégie de santé dans les établissements pénitentiaires et correctionnels et d’autres stratégies nationales portant notamment sur le traitement des prisonniers, comme indiqué par un représentant de l’État partie ;

b)Les investissements importants consentis pour la construction de nouveaux lieux de détention et pour la réparation de structures existantes ;

c)La création d’un nouvel organe intersectoriel sur les droits de l’homme, en 2012.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Affaire dite des écoutes téléphoniques et institutions de l’État

Le Comité note avec préoccupation les récentes allégations selon lesquelles des hauts responsables de l’État partie auraient été impliqués dans un certain nombre de violations manifestes des droits de l’homme, notamment la fraude électorale, le harcèlement de la société civile et de membres de l’opposition et l’ingérence dans les activités du ministère public et de certains membres de l’appareil judiciaire. Les allégations en lien avec cette affaire dite des écoutes téléphonique ont entraîné des manifestations de masse, des plaintes dénonçant l’usage excessif de la force par la police et les agents des services de répression, ainsi qu’une perte de confiance dans l’intégrité des institutions de l’État, dont les médias se sont fait l’écho (art. 2, 13, 15 et 16).

À titre d’urgence, l’État partie devrait prendre des mesures pour respecter et renforcer l’indépendance de la justice et l’intégrité des institutions publiques. Il devrait veiller à ce que toutes les allégations d’actes illicites en lien avec l’affaire des écoutes téléphoniques, quelle que soit leur source, donnent immédiatement lieu à des enquêtes indépendantes, approfondies et impartiales, à ce que des poursuites soient engagées s’il y a lieu, et à ce que les coupables soient punis. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations faisant étant d’usage excessif de la force par des agents de l’État partie lors des manifestations provoquées par les révélations de fautes commises par des responsables dans l’exercice de leurs fonctions, et s’inquiète des nouvelles violations qui risquent d’être commises si l’obligation de rendre des comptes n’est pas garantie, notamment en menant des enquêtes et en poursuivant et punissant les auteurs c haque fois que nécessaire (art.  2, 13, 15 et 16).

Absence des données demandées

Bien qu’il ait précédemment recommandé à l’État partie de lui fournir des statistiques sur les enquêtes, les poursuites et les sanctions pénales ou disciplinaires (voir CAT/C/MKD/CO/2, par. 25), et malgré ses demandes spécifiques formulées dans la liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport (CAT/C/MKD/Q/3), le Comité regrette de n’avoir reçu, pour toute réponse, que des données sur le nombre de cas enregistrés, en particulier sur les questions ayant trait aux articles 12 à 16, et qu’aucune information n’ait été fournie sur les résultats des enquêtes, les poursuites ou les sanctions. L’absence des données demandées sur les enquêtes menées, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans les cas de torture et de mauvais traitements et les cas de violence à l’égard des femmes et des minorités ethniques et religieuses, constitue un obstacle majeur qui empêche de déterminer l’existence éventuelle d’un ensemble de violations nécessitant une intervention immédiate (art. 2 et 12 à 16).

L’État partie devrait compiler et fournir au Comité des statistiques sur le suivi de la mise en œuvre de la Convention à l’échelon national , y compris les données demandées sur les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements, les conditions de détention et la violence à l’égard des femmes et des minorités ethniques et religieuses.

Violence entre détenus et conditions de détention

Le Comité apprécie les mesures déjà prises pour réformer le système pénitentiaire mais il est gravement préoccupé par les conditions de détention actuelles dans les établissements pénitentiaires, en particulier dans les prisons d’Idrizovo et de Skopje qui abritent 75 % de la population carcérale du pays et sont dans un état déplorable, selon le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (CPT/Inf (2012) 38). Il est vivement préoccupé par les informations du CPT qui pointe la fréquence du recours illégitime à la force dans la prison d’Idrizovo et l’ampleur de la violence entre les détenus dans cet établissement où règne un climat de « collusion » entre le personnel et les détenus condamnés. Le Comité note également avec préoccupation que, malgré les efforts faits pour améliorer les équipements dans ces lieux de détention, le CPT a souligné l’insuffisance des mesures prises pour faire en sorte qu’ils soient dotés d’un personnel en nombre suffisant et offrent des conditions matérielles appropriées pour les détenus. Le Comité juge également préoccupantes les informations relatives au surpeuplement carcéral, dont les taux seraient élevés, ainsi qu’à la formation insuffisante des gardiens et du personnel pénitentiaire. Le Comité constate en outre avec préoccupation que l’État partie n’assure pas comme il se doit la surveillance et l’enregistrement des cas de violations (art. 2 et 10 à 13).

L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux mauvais traitements dans les prisons. Il devrait veiller à ce que tous les membres du personnel de la prison d’Idrizovo qui utilisent la force de manière illégitime contre les prisonniers soient suspendus de leurs fonctions, qu’ils fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites et que des peines proportionnées à la gravité de leurs actes leur soient infligées. Il devrait en outre élaborer une stratégie nationale pour lutter contre la violence entre détenus dans les prisons d’Idrizovo et de Skopje, en prévoyant notamment d’allouer davantage de ressources pour recruter du personnel d’encadrement supplémentaire et lui dispenser une formation portant sur les prescriptions de la Convention  ;

b) Améliorer les conditions matérielles dans les centres de détention conformément aux normes et règles internationales pertinentes, notamment en rénovant les prisons existantes et en accélérant la construction programmée de nouvelles prisons, et rendre compte au Comité des progrès accomplis dans la réalisation du projet de reconstruction des prisons  ;

c) Renforcer les initiatives visant à réduire le surpeuplement en adoptant des mesures de substitution telles que celles envisagées dans le cadre du projet de l’État partie sur le service de probation et des peines de substitution, en veillant à ce que ces mesures soient conformes aux dispositions de la Convention et des Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo)  ;

d) Élaborer des stratégies de prévention adaptées pour surveiller et recenser les cas de violence entre détenus et faire en sorte que des enquêtes soient menées sur toutes les allégations de violences et que les responsables aient à rendre compte de leurs actes, qu’il s’agisse de détenus ou de gardiens.

Impunité pour les actes de torture et les mauvais traitements

Le Comité note avec préoccupation que 242 plaintes relatives à l’usage excessif de la force et de la violence par des policiers ont été déposées auprès du Médiateur et du Département du contrôle interne et des normes professionnelles entre 2009 et 2013. Le Comité note avec regret que, bien que des organisations non gouvernementales (ONG) aient dénoncé le climat de corruption généralisée qui règne dans les prisons et que le Médiateur (mécanisme national de prévention) et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants aient signalé que les agressions ou les actes de violence étaient courants dans les prisons, personne n’a été inculpé en vertu de l’article 142 du Code pénal au cours des années couvertes par le rapport, qu’aucune poursuite n’a été engagée et qu’aucune condamnation ou peine n’a été prononcée pour crime de torture. En outre, l’État partie n’a pas fourni les renseignements demandés sur les enquêtes effectivement menées en cas de soupçon d’agression ou de violences en prison, ce qui est particulièrement inquiétant au vu des informations rapportées par le CPT, qui souligne la fréquence du recours illégitime à la force dans les prisons et l’absence de mécanisme de surveillance externe ou de contrôle indépendant par la police. Certaines ONG pointent également le manque de transparence du Comité de surveillance parlementaire, qui n’aurait pris aucune mesure contre les actes de torture ou les mauvais traitements infligés par la police.

S’agissant de l’affaire Zuher Ibrahimov, mise en évidence par le Médiateur et dans laquelle le détenu a perdu un rein et la rate à la suite de coups infligés par un agent de l’administration pénitentiaire, le Comité juge préoccupantes les informations selon lesquelles l’auteur des coups a été inculpé seulement en vertu de l’article 131 du Code pénal (lésions corporelles graves) et n’a été condamné, dans un premier temps, qu’à une peine de six mois d’emprisonnement, portée à un an et demi en appel. Le Comité est également préoccupé par l’allégation selon laquelle l’auteur des coups n’aurait pas été suspendu de ses fonctions pendant la durée de la procédure d’appel.

L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures pour que des enquêtes approfondies et impartiales soient menées immédiatement sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés par des agents de la force publique, en vue de poursuivre les responsables et de leur imposer des peines à la mesure de la gravité des actes commis  ;

b) Faire en sorte que tous les agents de l’État soupçonnés d’avoir violé les dispositions de la Convention soient suspendus de leurs fonctions pendant la durée de toute enquête sur les allégations les mettant en cause et, s’ils sont reconnus coupables, qu’ils ne soient pas autorisés à réintégrer un poste où ils seraient susceptibles de commettre d’autres violences contre les détenus. À cet égard, il conviendrait de fournir des informations à jour sur le poste actuellement occupé par la personne reconnue coupable dans l’affaire Zuher Ibrahimov.

Violences à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de nombreux cas de harcèlement et d’agressions violentes contre des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués, et notamment par l’incident du 22 juin 2014, l au cours duquel un groupe de 40 jeunes auraient attaqué, à coups de briques et de pierres, un centre d’aide ouvert depuis peu, menaçant la trentaine de personnes qui se trouvait à l’intérieur. Le Comité relève avec préoccupation l’absence de réaction des agents de l’État partie, qui n’auraient pas assuré la protection de ces personnes ni de leurs locaux ; de surcroît, les auteurs de ces violences et d’autres incidents jouiraient de l’impunité pour leurs actes. Le Comité s’inquiète également de ce que, selon certaines informations, les préoccupations des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués n’ont pas été prises en compte par le Gouvernement lors de l’élaboration et de l’adoption de la Stratégie nationale pour l’égalité et la non‑discrimination (art. 2, 11 à 13 et 16).

L’État partie devrait immédiatement prendre des mesures effectives pour protéger les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués contre les agressions, les violences et les détentions arbitraires. Il devrait en outre veiller à ce que tous les actes de violence fassent immédiatement l’objet d’une enquête efficace et impartiale et à ce que les poursuites engagées prennent en considération tout motif discriminatoire. De plus, l’État partie devrait faire en sorte que les auteurs soient traduits en justice, que les victimes obtiennent réparation et que les membres des forces de l’ordre reçoivent une formation appropriée. Enfin, l’État partie devrait associer pleinement des représentants de la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués à l’examen de toute question concernant leurs intérêts.

Violence à l’égard des Roms

Le Comité accueille avec satisfaction la mise en place de plans d’action nationaux et les autres efforts entrepris pour lutter contre l’intolérance et la haine à l’égard des minorités ethniques, en particulier des Roms, mais il demeure préoccupé par les informations relatives à l’usage excessif de la force par les agents de police, notamment les membres de l’unité spéciale Alfa, à l’égard des Roms. Le Comité est également préoccupé par l’enquête sur l’incident du 5 mai 2013 impliquant une cinquantaine de fonctionnaires de police, dont certains appartenant à l’unité Alfa, qui seraient entrés de force dans plusieurs maisons et magasins de Roms, à Topaana, un quartier rom de Skopje, et auraient fait un usage excessif et arbitraire de la force en tentant de procéder à une arrestation. D’après les informations communiquées, les policiers auraient malmené et bousculé les personnes présentes, et sans fournir la moindre explication, leur auraient donné des coups de pied et de poing et les auraient frappés à coups de matraque, faisant 10 blessés (art. 11 et 16).

L’État partie devrait :

a) Combattre et prévenir les comportements discriminatoires au sein de la police en veillant à ce que toute allégation d’usage excessif de la force par les policiers contre des membres de la communauté rom soit immédiatement enregistrée et donne lieu à une enquête en bonne et due forme et , le cas échéant, à des poursuites et des sanctions et que les victimes aient la possibilité de demander réparation, y compris une réadaptation aussi complète que possible  ;

b) Améliorer la formation aux droits de l’homme des agents de l’État, en particulier des policiers, pour les sensibiliser au droit qu’ont tous les citoyens et toutes les minorités, y compris les Roms, de ne pas être soumis à l’arbitraire de la force et aux mauvais traitements.

Définition de la torture

Le Comité accueille avec satisfaction les efforts accomplis par l’État partie pour mettre sa législation nationale en conformité avec les dispositions de la Convention. Toutefois, il demeure préoccupé par le fait que l’article 142 du Code pénal ne reflète pas pleinement tous les éléments de la définition de l’article premier de la Convention, en particulier en ce qui concerne l’instigation, le consentement exprès ou tacite et la complicité d’actes de torture commis par d’autres personnes agissant à titre officiel. En outre, le Comité est préoccupé de ce que l’article 143 puisse ne pas s’appliquer aux policiers, aux procureurs et aux responsables militaires (art. 1 et 4).

L’État partie devrait :

a) Revoir sa législation pour inclure dans le Code pénal une définition de la torture qui soit pleinement conforme à la Convention et reprenne tous les éléments énoncés à l’article premier  ;

b) Veiller à ce que l’article 142 du Code pénal prévoie des poursuites à l’encontre de toute personne qui tente de commettre des actes de torture, qui s’abstient délibérément de signaler des cas de torture et qui se rend complice d’actes de torture  ;

c) Veiller à ce que les dispositions de l’article 143 s’appliquent à la police, à l’armée et au parquet, et à ce que d’autres personnes agissant à titre officiel puissent être poursuivies au titre dudit article.

Loi sur l’amnistie et les enquêtes

Ayant à l’esprit ses précédentes observations finales (voir CAT/C/MKD/CO/2, par. 5), le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur le champ d’application de la loi d’amnistie qui prévoit une exonération de poursuites pour certaines personnes, l’extinction de l’action publique et l’exonération totale de peine d’emprisonnement pour les personnes condamnées à la suite du conflit de 2001, à l’exception des personnes mises en cause dans quatre affaires qui avaient été portées devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Le Comité est gravement préoccupé par le fait que l’interprétation authentique de la loi donnée en 2011 garantit l’impunité pour les personnes accusées de violations des droits de l’homme commises pendant le conflit de 2001, y compris dans quatre affaires de crimes de guerre (l’affaire de la Direction de l’ALN, l’affaire des travailleurs de la rue Mavrovo, l’affaire de la réserve d’eau de Lipkovo et l’affaire Neprošteno), dans l’enlèvement de 12 Macédoniens de souche et d’un ressortissant bulgare par l’Armée de libération nationale des Albanais de Macédoine et dans une affaire concernant la disparition forcée de six Albanais de souche impliquant la police. Suite à l’interprétation authentique de la loi, le Bureau du Procureur a « abandonné » les poursuites contre les quatre personnes qui avaient commis des crimes de guerre. Dans un seul de ces cas, une peine d’emprisonnement a été prononcée − pour crimes de guerre contre les populations civiles et préparation d’un acte de terrorisme − mais ce jugement a été annulé, ce qui renforce le sentiment que l’impunité perdure pour les personnes ayant un lien avec le conflit de 2001.

Le Co mité recommande à l’État partie  :

a) De prendre les mesures nécessaires pour que tous les cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fassent immédiatement l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales, que les auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes, et que les victimes obtiennent réparation, y compris une assistance médicale et psychologique, une indemnisation intégrale et les moyens nécessaires à leur réadaptation complète. À cet égard, l’État partie devrait prendre des mesures immédiates pour que soit réexaminées les quatre affaires de crime de guerre susmentionnées, notamment pour vérifier si des enquêtes efficaces ont été menées et pour étudier quel effet aura la loi d’amnistie sur les éléments nouveaux dans ces affaires. En outre, l’État partie devrait mener des enquêter approfondies sur les cas présumés de disparition et d’enlèvement  ;

b) D’envisager de modifier la loi dans la mesure requise pour éliminer toute disposition incompatible avec la Convention et les normes et règles du droit international, de sorte que l’exemption d’enquêtes et de poursuites ne s’applique pas aux allégations d’actes de torture. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le paragraphe  5 de son observation générale n o 2 (2007) relati ve à l’application de l’article  2 de la Convention par les États parties, dans laquelle il indique qu’une amnistie ou tout autre obstacle juridique qui empêcherait que les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements fassent rapidement l’objet de poursuites et de sanctions équitables, ou qui exprimerait une réticence à cet égard, violerait le principe d’intangibilité.

Violence à l’égard des femmes et des filles

Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption, en 2014, de la loi sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes, et des informations fournies par l’État partie selon lesquelles cette loi a permis de réduire le nombre de cas de violence familiale et d’améliorer la protection, notamment grâce à l’éducation et à la surveillance. Cependant, le Comité note que les données du Ministère du travail et de la politique sociale font apparaître une augmentation du nombre de cas signalés de violences familiales, ce nombre étant passé de 447 en 2008 à 733 en 2011. Le Comité est conscient qu’une meilleure sensibilisation pourrait se traduire par un signalement accru des incidents, mais reste toutefois préoccupé de voir que l’État partie n’a pas été en mesure de fournir des informations sur le nombre de poursuites engagées grâce aux nouveaux efforts déployés et à l’adoption de la nouvelle législation, ni la moindre donnée sur les sanctions pénales prononcées et les indemnisations versées. En outre, d’après les informations dont dispose le Comité, les mesures d’assistance et de protection prises par l’État pour encourager les femmes, en particulier les femmes roms, à signaler les cas de violences familiales et sexuelles ont été insuffisantes. Le Comité constate également avec préoccupation que les restrictions prévues par la nouvelle loi sur l’avortement, qui fixe des périodes d’attente et exige des autorisations, risquent de mettre en danger la vie de femmes enceintes nécessitant un avortement thérapeutique (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes sur l’ensemble de son territoire, en prenant les mesures suivantes  :

a) Intensifier ses efforts en vue de prévenir, combattre et sanctionner la violence à l’égard des femmes, y compris la violence familiale  ;

b) Faire appliquer effectivement le cadre juridique existant, en veillant à ce que tous les cas de violence signalés donnent lieu promptement à une enquête efficace et impartiale et à ce que les auteurs soient poursuivis et sanctionnés conformément à la gravité de leurs actes  ;

c) Encourager les femmes à signaler les cas de violences familiales et sexuelles en les sensibilisant au fait qu’il s’agit d’infractions, et en fournissant une assistance et une protection appropriées aux femmes victimes de violence, y compris les femmes roms et les femmes appartenant à d’autres minorités ethniques  ;

d) Veiller à ce que toutes les femmes et les filles victimes de violence aient immédiatement accès à des moyens de protection et à des voies de recours. En outre, l’État partie devrait faire en sorte qu’il existe suffisamment de foyers sur l’ensemble du territoire et que ces structures disposent d’un financement suffisant.

Traite des personnes

Le Comité accueille avec satisfaction les efforts faits par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes, notamment par l’intermédiaire du Centre pour les victimes de la traite des êtres humains et du Bureau de coordination du Mécanisme national d’aide aux victimes, ainsi que les statistiques fournies dans le rapport soumis au Comité en ce qui concerne le nombre de procédures pénales ouvertes dans des affaires de traite. Cependant, le Comité est préoccupé par le manque d’informations sur le nombre d’enquêtes, les poursuites, les sanctions ou les indemnisations auxquelles ont abouti ces procédures. Le Comité demeure préoccupé par les cas de traite de femmes et de mineurs à des fins d’exploitation sexuelle et autre sur le territoire et par le très faible nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées contre les auteurs de ces crimes en vertu de la législation nationale relative à la lutte contre la traite. En outre, le Comité note avec préoccupation que l’État partie a fourni très peu d’informations depuis son dernier rapport sur le nombre de nouveaux foyers gérés par l’État ouverts pour accueillir les victimes de la traite, et sur les ressources financières allouées pour construire de telles structures (art. 2 et 10).

L’État partie devrait continuer d’intensifier ses efforts pour lutter contre la traite des personnes, et notamment  :

a) Faire appliquer strictement le cadre législatif existant et mener immédiatement des enquêtes impartiales et efficaces sur les cas de traite et de pratiques apparentées, en particulier lorsque les victimes sont des femmes ou des mineurs, et poursuivre et sanctionner de façon appropriée les responsables  ;

b) Renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre la traite des êtres humains, notamment par des accords bilatéraux, et en surveiller les effets  ;

c) Dispenser aux agents de l’État une formation spécialisée, en particulier sur le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et sur la prévention effective de la traite, la conduite d’enquêtes, l’engagement de poursuites et la répression des actes de traite, et mener des campagnes nationales de sensibilisation, notamment dans les médias, sur le caractère criminel de ces actes  ;

d) Veiller à ce que les victimes de la traite bénéficient d’une protection et de recours utiles, et notamment à ce qu’elles aient accès à des services médicaux et juridiques, à un soutien psychosocial et à des foyers sûrs et dotés de ressources financières suffisantes, dans toutes les régions du pays  ;

e) Fournir au Comité des données ventilées complètes sur le nombre d’enquêtes menées, de poursuites engagées et de condamnations prononcées dans des affaires de traite, sur les réparations accordées aux victimes et sur les mesures prises pour lutter contre la corruption parmi les agents de l’État.

Détention de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile

Le Comité constate avec préoccupation que les migrants en situation irrégulière sont transférés dans le Centre d’accueil des étrangers de Gazi Baba, où ils sont détenus dans des conditions qui, selon certaines informations, seraient assimilables à un traitement inhumain et dégradant, en violation de la Convention, notamment du fait du surpeuplement. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des mineurs non accompagnés seraient placés en détention, y compris dans les mêmes locaux que des adultes, et les tuteurs spécialement désignés pour aider les mineurs n’auraient pas encore établi de contacts avec eux ou obtenu l’aide juridictionnelle pour eux. Le Comité juge également préoccupante la pratique de l’État partie qui consisterait à rejeter ou invalider les demandes émanant de réfugiés et de demandeurs d’asile au motif que ces personnes représenteraient une menace pour la sécurité nationale, sans donner la possibilité aux requérants de contester ces décisions, par exemple devant une juridiction d’appel. Le Comité est profondément préoccupé par les informations selon lesquelles l’État procéderait à des expulsions sans qu’ait été déterminé comme il convient si les intéressés risquent d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants à leur retour dans le pays vers lequel ils sont expulsés (art. 3).

L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que la détention soit une mesure appliquée uniquement en dernier ressort, lorsqu’elle apparaît strictement nécessaire dans chaque cas particulier et pour une période aussi brève que possible, et faire en sorte que des mesures de substitution à la détention soient prévues par la loi et mises en œuvre dans la pratique  ;

b) Adopter toutes les mesures nécessaires pour que les apatrides dont la demande d’asile a été rejetée, ainsi que les demandeurs d’asile, les migrants en situation irrégulière et les réfugiés ne soient pas placés en détention pour une durée indéterminée, notamment en fixant des limites légales à la durée de la détention et en garantissant l’accès effectif à une instance judiciaire chargée de réexaminer la nécessité de la détention  ;

c) Prendre immédiatement des mesures pour mettre fin aux conditions de détention inhumaines et dégradantes dans le centre de détention de Gazi Baba, par exemple en fermant ce centre ou en instituant des peines de substitution  ;

d) Respecter pleinement ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le non-refoulement en veillant à ce que personne ne soit refoulé en violation dudit article et, de plus, veiller à ce que tous les intéressés aient la possibilité d’apporter des éléments de preuve pour réfuter les allégations selon lesquelles ils constituent un danger pour la sécurité du pays, y compris devant une juridiction d’appel  ;

e) Trouver un hébergement de remplacement pour les mineurs non accompagnés afin qu’ils ne soient pas détenus dans les mêmes établissements que les adultes. Les tuteurs spécialement désignés devraient rencontrer régulièrement les mineurs et faire le nécessaire pour qu’ils aient accès à l’aide juridictionnelle, notamment en prenant contact avec les organisations humanitaires compétentes.

Médiateur et mécanisme national de prévention

Le Comité note avec intérêt que, depuis que le Bureau du Médiateur a été désigné comme mécanisme national de prévention, un certain nombre de mesures de prévention ont été prises et des visites inopinées ont été effectuées dans les lieux de détention, notamment 32 visites préventives et inopinées dans 25 lieux de détention en 2012. Le Comité juge préoccupantes les informations selon lesquelles le Médiateur n’est pas en mesure de visiter tous les lieux de détention sans préavis et ses recommandations ne sont pas mises en œuvre par les autres organismes et services gouvernementaux, puisqu’il n’y a aucune obligation d’y donner suite. Le Comité prend note avec intérêt de la déclaration d’un représentant de l’État partie indiquant que le Parlement envisage de modifier la loi sur le Médiateur pour permettre à l’institution d’obtenir le statut « A » auprès du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Néanmoins, il demeure préoccupé par le fait que le Médiateur s’est vu accorder le statut « B » parce que son mandat ne comprend pas d’activités de promotion des droits de l’homme, que le personnel (y compris des auxiliaires) nommé n’est pas suffisamment diversifié et que l’institution n’est pas pleinement indépendante au plan financier. Le Comité prend également note avec préoccupation des critiques selon lesquelles l’institution du Médiateur n’est que partiellement indépendante et son mode de fonctionnement n’est pas pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Enfin, le Comité s’inquiète de ce qu’un mécanisme de surveillance fondé sur la société civile, qui était en place jusqu’à ces dernières années, a été supprimé par l’État partie.

L’État partie devrait  :

a) Renforcer la surveillance indépendante des lieux de privation de liberté assurée par le Médiateur en veillant à ce qu’il ait accès à tous ces lieux et puisse, en droit et en pratique, les surveiller et les inspecter sans préavis. L’État partie devrait faire en sorte que le Médiateur rende compte publiquement de ses constatations et signale aux autorités les conditions de détention ou les comportements assimilables à des actes de torture ou à des mauvais traitements  ;

b) Renforcer le Bureau du Médiateur et le doter de ressources humaines, matérielles et financières suffisantes, conformément aux Principes de Paris. Veiller à ce que les modifications qu’il est proposé d’apporter à la loi sur le Médiateur tiennent pleinement compte des recommandations relatives à l’accréditation formulées par le Sous-Comité d’accréditation du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme et à ce qu’une fois adoptées, ces modifications soient rapidement mises en œuvre  ;

c) Rétablir la surveillance des lieux de détention par les organisations de la société civile afin de compléter la surveillance assurée actuellement par le Médiateur.

Formation

Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie sur les formations dispensées à 559 professionnels travaillant dans des centres d’action sociale, des établissements de soins de santé, des établissements d’enseignement, des collectivités locales et des organisations de la société civile, mais il regrette l’absence d’informations sur les résultats obtenus. Le Comité est également préoccupé par le manque de renseignements sur les formations spécifiques à l’intention des fonctionnaires qui interviennent dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de toute personne arrêtée, détenue ou emprisonnée de quelque façon que ce soit. En outre, d’après certaines sources, le personnel médical n’est pas formé comme il le faudrait à la détection et au recensement de cas de torture, ainsi qu’à la réadaptation des victimes. Le Comité relève également avec préoccupation que les agents qui s’occupent des personnes privées de liberté ne reçoivent pas tous une formation sur l’utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 10 et 16).

L’État partie devrait dispenser des formations aux droits de l’homme à tous les fonctionnaires intervenant dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de toute personne soumise à une quelconque forme d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement, en mettant l’accent sur les obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention. En particulier, l’État partie devrait veiller à ce que tous les personnels concernés, y compris le corps médical, reçoivent une formation spécifique pour pouvoir déceler les signes de torture et de mauvais traitements, et devrait dispenser des formations périodiques et obligatoires sur les procédures définies dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (le Protocole d’Istanbul) aux fonctionnaires de police, aux fonctionnaires chargés des questions d’asile, aux juges, aux procureurs, aux gardiens de prison, aux médecins légistes et au personnel qui travaille dans les centres d’accueil ou de détention, notamment une formation portant sur les moyens de détecter les séquelles psychologiques de la torture et sur des approches respectueuses des spécificités de chaque sexe.

L’État partie devrait évaluer régulièrement la formation dispensée à ses agents sur la prévention de la torture et des mauvais traitements, et veiller à ce que leur comportement fasse périodiquement l’objet d’un contrôle indépendant.

Santé dans les lieux de privation de liberté

Le Comité accueille avec satisfaction les efforts déployés par l’État partie pour améliorer les conditions de vie dans les lieux de privation de liberté mais il est préoccupé par la mauvaise qualité persistante des services de santé dans ces structures. Il s’inquiète également de l’absence de soins de santé appropriés dans les prisons d’Idrizovo et de Skopje (art. 10 et 13).

L’ État partie devrait  :

a) Veiller à ce que tout détenu nouvellement arrivé ait le droit d’être examiné par un médecin indépendant  ;

b) Améliorer l’accès aux soins de santé, garantir l’accès sans restriction aux services de soins de santé mentale dans tous les établissements pénitentiaires et proposer davantage d’activités professionnelles et récréatives aux détenus  ;

c) Augmenter les effectifs du personnel de santé, notamment le nombre d’infirmiers qualifiés, ainsi que les équipements et le matériel médical dans les prisons d’Idrizovo et de Skopje.

Réparation, indemnisation et réadaptation des victimes

Le Comité note que la loi sur la procédure pénale prévoit une réparation, mais regrette que l’État partie n’ait pas fourni, comme il le lui avait demandé dans la liste de points à traiter, des informations détaillées sur les mesures prises pour assurer et garantir que les victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements aient le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate.

Ayant à l’esprit ses précédentes observations finales (voir CAT/C/MKD/CO/2, par. 17), le Comité juge préoccupant que l’État partie déclare n’avoir toujours pas mis en place de programme pour la réadaptation des victimes de la torture.

L’État par tie devrait  :

a) Fournir au Comité des informations détaillées sur le nombre de demandes déposées, l’assistance disponible pour formuler de telles demandes, le nombre de demandes auxquelles il a été donné suite, et quelle réparation a été ordonnée ou octroyée, y compris les moyens nécessaires à la réadaptation la plus complète possible, comme demandé dans la liste de points à traiter  ;

b) Prendre les mesures voulues pour que toutes les victimes de torture obtiennent réparation et bénéficient d’une prise en charge médicale et psychologique, d’une indemnisation et des moyens nécessaires à leur réadaptation complète, comme préconisé dans l’observation générale n o 3 (2012) sur l’application de l’article 14 par les États parties  ;

c) Mettre en place des programmes complets pour le traitement et la réadaptation physique et mentale des victimes de torture et de mauvais traitements.

Procédure de suivi

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, le 7 mai 2016 au plus tard, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées au paragraphe 8, concernant les enquêtes sur les allégations d’actes illicites dans le cadre de l’affaire dite des écoutes téléphoniques ; au paragraphe 9, concernant l’absence des données demandées ; au paragraphe 10, concernant la violence entre détenus et les conditions de détention ; au paragraphe 11, concernant l’impunité pour les actes de torture et les mauvais traitements ; et au paragraphe 19 c), concernant les conditions de détention au centre de détention de Gazi Baba.

Autres questions

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité et les présentes observations finales, dans toutes les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport, qui sera son quatrième rapport périodique, le 7 mai 2019 au plus tard. À cette fin, le Comité communiquera en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points à traiter puisque l’État partie a accepté d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.