Comité contre la torture
Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 865/2018**,***
Communication présentée par: |
K.M.(représenté par un conseil, Tarig Hassan) |
Victime(s) présumée(s) : |
Le requérant |
État partie: |
Suisse |
Date de la requête: |
31 juillet 2017 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise en vertu des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 21 mars 2018 (non publiée sous forme de document) |
Date de la présente décision: |
27 juillet 2021 |
Objet : |
Expulsion vers l’Éthiopie |
Question ( s ) de procédure: |
Recevabilité − défaut manifeste de fondement |
Question(s) de fond: |
Risque de torture en cas d’expulsion (non‑refoulement) |
Article (s) de la Convention: |
3, 22 |
1.1Le requérant est K.M.,de nationalité éthiopienne, né en 1964. Il fait l’objet d’une décision de renvoi vers l’Éthiopie et considère qu’un tel renvoi constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil, Tarig Hassan.
1.2Le 4 août 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas accéder à la demande de mesures provisoires du requérant. Le requérant a réitéré à deux autres reprises la même demande, qui a été refusée à nouveau par le Rapporteur les 28 novembre 2017 et 20 mars 2018.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1Le requérant est membre de l’Église orthodoxe Tewahedo éthiopienne, au sein de laquelle il a été prêtre en Éthiopie. Par suite de la séparation de cette Église en deux synodes, le requérant a pris position en faveur de l’une des deux branches, ce qui l’a contraint à quitter le pays. Après son arrivée en Suisse, il est devenu membre et prêtre volontaire de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne de Suisse, à Zurich. En plus de son engagement religieux, le requérant est également membre du Front patriotique du peuple éthiopien depuis le 1eraoût 2011. À ce titre, le requérant a été impliqué dans le recrutement de membres, la production de slogans et la motivation d’autres personnes à participer aux rassemblements de protestation du Front patriotique du peuple éthiopien contre le régime éthiopien. En 2015 et 2016, le requérant a participé à plusieurs activités de contestation en Suisse. Le 18 juin 2017, il a assisté à une conférence de l’Ethiopian Human Rights and DemocracyTask Force in Switzerland et du mouvement Ginbot 7. Il a été photographié avec Berhanu Nega, l’un des fondateurs deGinbot 7.
2.2Le 4 mars 2010, le requérant a demandé l’asile en Suisse. Le 31 mai 2010, l’Office fédéral des migrations a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel de cette décision. Le 3 décembre 2010, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision de l’Office. Le 27 juillet 2011, le requérant a déposé une demande de reconsidération de la décision de l’Office datée du 31 mai 2010. Le 29 août 2011, le Tribunal a rejeté la demande du requérant pour manque de cohérence et de preuves.
2.3Le 25 novembre 2011, le requérant a déposé une deuxième demande d’asile auprès de l’Office fédéral des migrations, qui l’a rejetée le 7 mars 2014. Le 26 mars 2014, le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision.
2.4Le 29 avril 2015, le requérant a déposé une troisième demande d’asile. Le 25 juin 2015, le Secrétariat d’État aux migrations, ayant succédé à l’Office fédéral des migrations en date du 1er janvier 2015, a rejeté cette nouvelle demande, estimant que les activités du requérant ne le mettaient pas en situation de risque, comme il le prétendait, et qu’il n’était pas considéré comme une menace réelle pour le régime éthiopien. Le Secrétariat d’État a estimé en outre que les manifestations auxquelles le requérant avait pris part visaient principalement l’Union européenne et l’Organisation des Nations Unies, et non les autorités éthiopiennes. Il a ajouté que le statut du requérant, en tant que prêtre, ne représentait pas un profil politique impliquant une attitude dissidente à l’égard des autorités éthiopiennes.
2.5Le 6 juillet 2017, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision duSecrétariat d’État aux migrations. Le Tribunal a concédé que les ressortissants éthiopiens vivant en exil couraient le risque d’être persécutés ou arrêtés à leur retour en Éthiopie s’ils étaient identifiés comme membres ou partisans d’organisations dissidentes. Cependant, il a conclu que les activités du requérant au sein de l’Église ainsi que ses activités politiques ne pouvaient pas être qualifiées d’attitude dissidente qui pourrait conduire à des persécutions de la part des autorités éthiopiennes. Le Tribunal a admis que le requérant occupait une position exposée au sein de la communauté des exilés éthiopiens en Suisse, car il était l’un des trois prêtres de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne de Suisse ; toutefois, malgré les mesures de surveillance du régime éthiopien à l’encontre des personnalités exilées engagées politiquement et exposées, ses activités de prêtre ou ses activités politiques au sein du Front patriotique du peuple éthiopien ne pouvaient pas être considérées comme constituant une menace réelle pour le régime éthiopien. En outre, le Tribunal a conclu que le requérant n’avait pas fourni de preuves substantielles indiquant que la branche suisse de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne était vraiment critique envers le régime éthiopien. Par conséquent, il a conclu que les allégations selon lesquelles le requérant serait exposé à la torture ou à des mauvais traitements à son retour en Éthiopie n’étaient pas fondées.
Teneur de la plainte
3.1Le requérant allègue qu’en le renvoyant en Éthiopie, la Suisse violerait l’article 3 de la Convention. Il estime que, par son travail pastoral et ses activités politiques en Suisse, il a déjà été en contact avec des membres de haut rangde l’opposition, ce qui l’expose à des persécutions de la part des autorités éthiopiennes. Le requérant affirme que, même si l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne n’est pas considérée comme faisant partie de l’opposition politique, ses activités et ses membres sont étroitement surveillés par les services de sécurité éthiopiens dès lors qu’ils sont identifiés comme critiques à l’égard du régime actuel. Le requérant invoque un rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a conclu que des membres de l’Église, politiquement actifs, pourraient être arrêtés. Le requérant donne plusieurs exemples de membres de Ginbot 7 qui ont été arrêtés, condamnés à de longues peines d’emprisonnement, ou même à perpétuité ainsi qu’à la peine de mort. Il invoque une résolution adoptée par le Parlement européen le 18 mai 2017, appelant à une enquête indépendante de l’Organisation des Nations Unies sur le meurtre de plusieurs personnalités opposées au Gouvernement éthiopien.
3.2Le requérant ajoute que le régime actuel en Éthiopie s’est davantage durci depuis octobre 2016, avec la proclamation de l’état d’urgence, qui a été prolongé jusqu’en août 2017 par les autorités.
3.3Le requérant précise qu’il a fait preuve d’une conscience politique sans équivoque et d’une attitude dissidente claire contre les autorités éthiopiennes. Il estime qu’en cas de renvoi en Éthiopie, la Suisse agirait en violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention.
Observations de l’État partie sur le fond
4.1Par note verbale du 22 octobre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la requête.
4.2L’État partie rappelle d’abord les faits et la procédure engagée devant les autorités et tribunaux suisses. Il examine également le présent cas à la lumière des différents éléments qui doivent être pris en compte pour conclure à l’existence d’un risque personnel, actuel et sérieux pour le requérant d’être soumis à la torture, en cas d’expulsion vers son pays d’origine : a) preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine ; b) allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent, et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci ; c) activités politiques du requérant à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine ; d) preuves de la crédibilité du requérant ; et e) incohérences factuelles dans les affirmations du requérant.
4.3Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, l’État partie estime que celle-ci ne constitue pas en soi un motif suffisant pour estimer qu’un individu sera victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays où il doit être renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens de l’article 3 (par. 1) de la Convention, de prévisible, réel et personnel. Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.
4.4L’État partie indique que, dans son arrêt du 6 juillet 2017, le Tribunal administratif fédéral a noté que la situation des droits de l’homme en Éthiopie pouvait mettre en danger les activistes et les opposants, y compris ceux vivant en exil. L’État partie souligne néanmoins que le Tribunal a questionné la probabilité et l’ampleur d’une éventuelle surveillance des opposants en Suisse, particulièrement à l’égard de personnes qui n’apparaissent pas comme potentiellement dangereuses pour le régime éthiopien. L’État partie ajoute que le Tribunal a examiné de manière détaillée le caractère politique et le fondement historique de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne, au sein de laquelle le requérant officie comme prêtre, et a constaté qu’il existe deux synodes de cette Église, l’un étant proche du régime éthiopien et l’autre, de l’opposition. L’État partie affirmeque les sources à sa disposition, pas plus que les prises de position du requérant, ne permettent pas de savoir à quel synode appartient l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne à Zurich, ni si cette Église est critique à l’égard du régime éthiopien.
4.5L’État partie fait remarquer que la situation en Éthiopie a évolué à plusieurs égards, depuis l’arrêt du 6 juillet 2017 rendu par le Tribunal administratif fédéral sur le cas du requérant. L’état d’urgence décrété en février 2018 a été levé officiellement en juin 2018, le Premier Ministre Abiy Ahmed a conclu un accord de paix avec l’Érythrée, et des centaines de prisonniers politiques ont été remis en liberté.
4.6L’État partie indique que le requérant ne fait pas valoir avoir subi de torture ou de mauvais traitements par le passé pour justifier le risque qu’il dit courir en cas de retour en Éthiopie.
4.7L’État partie affirme que le requérant n’a pas su établir qu’il se livrait à des activités politiques en Éthiopie ou en Suisse pouvant conduire à un acharnement du régime éthiopien contre lui. L’État partie souligne que le rejet de la première demande d’asile du requérant est dû au fait que ce dernier n’a pas su fournir de preuves de l’exercice de son sacerdoce au sein de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne, en Éthiopie. Il souligne également que le requérant n’a pas su non plus démontrer qu’il avait dû quitter son pays en raison de la séparation de cette Église en deux synodes et de problèmes concrets qu’il aurait rencontrés dans son pays d’origine. L’État partie souligne en outre que dans ses deuxième et troisième demandes d’asile, le requérant a principalement fait valoir ses activités en Suisse, en omettant toutefois de mentionner les problèmes qu’il avait invoqués à l’appui de sa première demande d’asile. Le requérant ne remet pas non plus en cause l’argumentation des autorités nationales en ce qui concerne la mise en doute de ses prétendues activités en Éthiopie. L’État partie souligne également que le requérant n’a fait valoir ni devant les autorités nationales ni devant le Comité avoir poursuivi, dans son pays d’origine, des activités politiques d’opposition au régime. L’État partie fait valoir que, lors de ses auditions, le requérant a expressément nié avoir rencontré des problèmes avec les autorités de son pays d’origine ou y avoir exercé des activités politiques. Il a seulement fait valoir avoir pris la fuite en raison de conflits internes au sein de sa communauté religieuse.
4.8Quant aux activités politiques du requérant en Suisse, l’État partie souligne que le 13novembre 2016, le Président de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne de Suisse a reconnu que le requérant était l’un des trois prêtres officiant pour cette Église dans toute la Suisse, qu’il officiait également comme aumônier et enseignait à l’école du dimanche. L’État partie souligne également qu’après un examen minutieux du dossier du requérant, le Tribunal administratif fédéral a adhéré à la position du Secrétariat d’État aux migrations en retenant, dans un arrêt rendu le 6 juillet 2017, qu’il ne doutait pas du fait que le requérant, en tant que l’un des trois prêtres actifs dans toute la Suisse au sein de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne, était actif dans une position « exposée » au sein de la communauté éthiopienne en exil. L’État partie dit constater toutefois que, malgré les mesures de surveillance du régime éthiopien à l’encontre des personnalités exilées, engagées politiquement et exposées, on ne peut présumer que les activités et les déclarations du requérant en tant que prêtre, aumônier et enseignant à l’école du dimanche revêtent un caractère politique suffisant pour susciter un intérêt de la part des autorités éthiopiennes.
4.9En ce qui concerne la crédibilité des allégations soumises, l’État partie fait valoir que, malgré une demande explicite en ce sens, le requérant n’a pas démontré de manière crédible que l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne de Zurich était critique envers le régime éthiopien. Il n’a pas non plus démontré ses intentions politiques prétendument critiques et publiques, par exemple au moyen de retranscriptions, de déclarations qu’il aurait faites lors de cérémonies religieuses ou par des publications écrites. L’État partie estime en outre que la participation du requérant à des manifestations politiques, telles que des rassemblements à Genève contre les violations des droits de l’homme en Éthiopie et des réunions de l’Ethiopian Satellite Television and Radio, ne suffit pas pour conclure qu’il serait une personne politiquement engagée dont le profil pourrait constituer une menace potentielle pour le régime éthiopien. L’État partie estime également que l’activité principale du requérant au sein du Front patriotique du peuple éthiopien est mineure et consiste uniquement à faire de la publicité pour recruter de nouveaux membres. L’État partie affirme en outre qu’au vu de la situation particulière du requérant, de son engagement au sein de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne et de ses activités politiques en exil, et même au vu de la situation actuelle en Éthiopie, il ne peut être admis avec une probabilité prépondérante que le régime éthiopien l’ait identifié comme un opposant sérieux pouvant constituer une menace potentielle pour le régime.
4.10Quant aux informations soumises pour la première fois devant le Comité par le requérant concernant sa participation à un rallye qui s’est déroulé le 22 mai 2017 à Genève et à une conférence de l’Ethiopian Human Rights andDemocracyTaskForce in Switzerlandet du mouvement Ginbot 7 à Berne, le 18 juin 2017, l’État partie estime que ces faits ne sont pas de nature à modifier les conclusions des autorités suisses. L’État partie estime également que ni le courrier du 22 août 2017 attestant de l’adhésion du requérant au mouvement Ethiopian Human Rights andDemocracyTaskForce in Switzerland, ni celui du 19 février 2018 attestant de sa participation au mouvement Ginbot 7 n’ont permis aux autorités suisses de conclure qu’il y aurait une menace pour sa personne.
4.11En ce qui concerne les incohérences factuelles dans les informations fournies par le requérant, l’État partie fait remarquer que, lors de l’examen de la première demande d’asile, les autorités suisses compétentes en la matière ont constaté que le récit du requérant relatif aux motifs qui l’auraient poussé à quitter son pays n’était pas crédible. L’État partie fait remarquer également que, devant le Comité, le requérant n’a pas remis en cause les constatations des autorités nationales quant au manque de crédibilité de ses déclarations.
4.12Par rapport à l’état de santé du requérant, l’État partie fait référence au rapport médical daté du 3 octobre 2017, qui atteste que le requérant souffrirait, entre autres, d’épisodes dépressifs, d’hypertonie et de diabète. L’État partie rappelle que ces problèmes peuvent être traités à Addis-Abeba et que le requérant a la possibilité de présenter une demande d’aide au retour pour soins médicaux, afin de recevoir des soins pendant la période de transition. L’État partie estime que l’état de santé du requérant ne peut déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16 de la Convention. L’État partie estime que, contrairement au cas A. N. c. Suisse, il n’apparaît pas que le requérant présente des troubles graves, susceptibles d’entraîner une dégradation très rapide de son état de santé au point de conduire de manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une atteinte sérieuse de son intégrité physique, en cas de renvoi.
4.13En conséquence, l’État partie estime que le requérant n’a pas démontré qu’il existe des motifs sérieux de craindre qu’il soit exposé concrètement et personnellement à des traitements contraires à la Convention en cas de renvoi dans son pays d’origine.
Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie
5.1Le 16 mai 2019, le requérant a transmis ses commentaires relatifs aux observations de l’État partie.
5.2Le requérant relève des contradictions dans les observations de l’État partie. Il fait remarquer que, d’une part, l’État partie reconnaît qu’en Éthiopie, la torture semble être fréquemment utilisée et que la situation des droits de l’homme suscite de sérieuses préoccupations ; d’autre part, il soutient que la situation des droits de l’homme s’est améliorée depuis la décision du Tribunal administratif fédéral datée du 6 juillet 2017. Le requérant affirme que, même si la situation générale en Éthiopie s’est améliorée, il est impossible de dire si les efforts de réconciliation avec l’opposition seront efficaces et durables. Le requérant rappelle que le Tribunal a déclaré dans plusieurs arrêts rendus récemment que, malgré les progrès, la situation en Éthiopie demeurait préoccupante et que le pays était encore loin de la stabilité. Il ajoute que la situation tendue en Éthiopie a été décrite dans un rapport détaillé du Service de l’immigration danois, lequel a souligné que, malgré des améliorations, des informations faisaient état de détentions pour motifs politiques et qu’un nombre important de prisonniers politiques n’avaient pas encore été libérés.
5.3Quant à ses activités politiques en Suisse, le requérant souligne que l’État partie reconnaît que les services secrets éthiopiens ont récemment intensifié la surveillance des membres de l’opposition résidant à l’étranger et que, par conséquent, il faut supposer que les personnes engagées politiquement contre le régime éthiopien peuvent être identifiées. Le requérant relève toutefois que l’État partie affirme que cette surveillance se limite aux personnes exerçant des responsabilités au sein de l’opposition politique, menaçant le régime. Le requérant souligne que si l’État partie affirme que le Gouvernement éthiopien respecte la liberté de religion et que les chefs religieux (en exil) ne sont pas considérés comme une menace pour le régime éthiopien, il ne conteste cependant pas les conclusions du rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, présenté dans la communication, selon laquelle des membres de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne sont arrêtés et persécutés. Le requérant fait observer que le rapport de la Commission indique que la liberté religieuse n’est tolérée en Éthiopie que dans la mesure où elle s’exerce en dehors de toute activité politique. Le requérant réitère, en conséquence, que sa condition de membre du Front patriotique du peuple éthiopien et du mouvementGinbot 7, engagé dans plusieurs activités politiques, et de prêtreparmi les trois seuls de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne en Suisse, l’expose au risque d’être torturé ou maltraité dans l’éventualité de son retour en Éthiopie, en violation de l’article 3 de la Convention.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles, et n’a pas mis en doute la recevabilité de la communication.
6.3Ne constatant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable au titre de l’article 3 de la Convention et procède à son examen au fond.
Examen au fond
7.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.
7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant vers l’Éthiopie constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité rappelle avant tout que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation, et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée par un État partie pour justifier des actes de torture.
7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Éthiopie. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
7.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité a pour pratique, en de telles circonstances, de considérer que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment, l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille, ou l’existence d’un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables. Le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le risque d’être soumis à la torture est prévisible, personnel, actuel et réel. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner de détails sur son cas, la charge de la preuve est inversée et il incombe alors à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les informations sur lesquelles est fondée la requête. Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; toutefois, il n’est pas lié par ces constatations et il évalue librement les informations qui lui sont soumises, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque cas.
7.5En l’espèce, le Comité note l’argument du requérant selon lequel, en cas de renvoi en Éthiopie, la Suisse agirait en violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Le Comité note également que le requérant fait valoir qu’en tant que membre de l’Église orthodoxe Tewahedoéthiopienne en exil qui a une position critique vis-à-vis des autorités éthiopiennes, et membre du Front patriotique du peuple éthiopien et du mouvement Ginbot 7, il est susceptible de faire l’objet de mauvais traitements en cas de retour dans son pays d’origine.
7.6Le Comité rappelle qu’il lui appartient de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture, en cas de renvoi en Éthiopie. Il note que le requérant a amplement eu la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs, au niveau national, devant l’Office fédéral des migrations, puis le Secrétariat d’État aux migrations, et devant le Tribunal administratif fédéral, mais que les éléments apportés n’ont pas permis aux autorités nationales de conclure qu’il risquerait de subir des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants à son retour en Éthiopie ; et que la situation de ce pays a amplement évolué avec la fin de l’état d’urgence et la libération de centaines de prisonniers politiques. Le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante en soi pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé. Dès lors, le simple fait que des violations des droits de l’homme sont commises en Éthiopie ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour conclure que l’expulsion du requérant vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité note qu’il ressort du dossier que les autorités de l’État partie ont tenu compte des informations pertinentes d’ordre général dans le cadre de l’examen des demandes d’asile présentées par le requérant. Il observe qu’en l’espèce, le requérant n’a pas apporté la preuve que ses activités politiques revêtent une importance suffisante pour attirer l’intérêt des autorités de son pays d’origine et conclut que les informations fournies ne démontrent pas qu’il risquerait personnellement d’être torturé ou de subir des traitements inhumains ou dégradants s’il retournait en Éthiopie.
7.7Le Comité observe que le requérant n’a pas pu démontrer qu’il avait été victime de torture ou de mauvais traitements dans un passé récent et n’a pas pu produire d’éléments pouvant mettre en doute les conclusions des autorités suisses quant au refus de sa demande d’asile.
7.8Le Comité note que le requérant a soumis à l’appui de sa communication un rapport médical daté du 3 octobre 2017, attestant qu’il souffre notamment d’épisodes dépressifs, d’hypertonie et de diabète, et qu’un renvoi vers l’Éthiopie ne lui permettrait pas d’avoir accès aux soins adéquats et violerait ses droits consacrés par la Convention. Le Comité note également l’argument de l’État partie, qui indique que les problèmes de santé soulevés peuvent être traités à Addis-Abeba et que le requérant a la possibilité de bénéficier d’une aide afin de recevoir des soins pendant la période de transition. Le Comité considère de ce fait que la situation du requérant, y compris sa condition physique et psychologique, a fait l’objet d’un examen approfondi par les autorités suisses, qui ont estimé qu’il n’y avait pas de risques majeurs pouvant porter atteinte aux droits garantis par la Convention, en cas de renvoi en Éthiopie.
7.9.Dans ces circonstances, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie.
8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.