Nations Unies

CAT/C/71/D/884/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 septembre 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 884/2018*,**

Communication présentée par :

N. S. (représenté par un conseil, Daniel Taylor)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

10 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 septembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présent e décision :

21 juillet 2021

Objet :

Risque de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non‑refoulement) ; prévention de la torture

Question(s) de procédure :

Recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond :

Expulsion du requérant vers Sri Lanka

Article(s) d e la Convention :

3

1.1Le requérant est N. S., de nationalité sri-lankaise, né en 1989. Sa demande d’asile dans l’État partie ayant été rejetée, il risque d’être expulsé. Il affirme que son expulsion par l’État partie constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 10 septembre 2018, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est d’origine tamoule. Il a grandi dans une région que se disputaient âprement l’armée sri‑lankaise et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (Tigres tamouls). Son frère a été tué par balles et son beau-frère a été arrêté par l’armée sri-lankaise. Après avoir terminé ses études, le requérant a rejoint les Tigres tamouls et a suivi un entraînement d’autodéfense de trois mois, au cours duquel il a notamment appris le maniement des armes. Il a ensuite travaillé en tant que médecin pour les Tigres tamouls, son rôle étant de soigner les personnes blessées au combat ou de les conduire à l’hôpital si leurs blessures étaient trop graves pour être soignées sur place.

2.2En 2008, le requérant a quitté les Tigres tamouls et il est rentré chez lui pour s’occuper de sa mère malade du cancer. En 2010, un ami lui a proposé de rencontrer trois anciens amis des Tigres tamouls afin de discuter des risques qu’ils couraient et de débattre de l’opportunité de se rendre en Inde. Au cours de leur réunion, ils ont été arrêtés par des agents de la marine sri-lankaise et de la police. L’un des amis du requérant portait sur lui un pistolet qu’il a jeté avant son arrestation mais qui a été retrouvé par la police judiciaire. Le requérant et ses amis ont été conduits au poste de police de Kuchchaveli, où ils ont été interrogés sur leur réunion et sur l’origine du pistolet. Pendant l’interrogatoire, on a déshabillé le requérant en ne lui laissant que ses sous-vêtements et on l’a battu avec un tuyau. Le requérant a été maintenu en détention pendant deux semaines, au cours desquelles il a été privé de nourriture et d’eau et soumis à d’autres actes de torture.

2.3Le requérant a été libéré sous caution au bout de deux semaines et a fait soigner ses blessures à l’hôpital. Il a ensuite été enlevé par le groupe Karuna, qui l’a séquestré pendant sept jours et l’a battu à nouveau. Il a été interrogé sur son oncle, que le groupe avait tué par balles quelque temps auparavant, et sur ses contacts au sein des Tigres tamouls. Sa mère ayant versé un pot-de-vin au groupe Karuna, il a été libéré une semaine plus tard et a commencé à vivre caché.

2.4À une date non précisée, le Département des enquêtes criminelles a ouvert une enquête judiciaire contre le requérant pour port d’armes. Lorsque le requérant, ne s’étant pas présenté au tribunal après avoir été libéré sous caution, est entré dans la clandestinité, des policiers se sont rendus chez lui et ont interrogé son père et son jeune frère. Plus tard, un mandat d’arrêt a été émis contre lui et envoyé à son domicile.

2.5Le requérant est arrivé par bateau dans l’État partie le 18 juillet 2012 et a été placé en détention à son arrivée. Il s’est vu délivrer un visa relais le 20 novembre 2012. D’autres visas relais lui ont été accordés, et le dernier a expiré le 24 février 2016.

2.6Le 4 septembre 2013, un représentant du Ministère de l’immigration a refusé d’accorder un visa de protection au requérant. Le 13 mai 2015, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (ci-après « Tribunal de contrôle ») a confirmé la décision de refus. Le 2 septembre 2016, le Tribunal fédéral de circuit a rejeté la demande de contrôle juridictionnel déposée par le requérant. Celui-ci a ensuite demandé l’autorisation de former un recours contre la décision du Tribunal fédéral de circuit, mais il a été débouté par la Cour fédérale d’Australie le 16 février 2017. Le 12 octobre 2017, la High Court d’Australie a rejeté la demande d’autorisation spéciale de former recours déposée par le requérant.

2.7Le requérant affirme qu’il a eu peur d’informer les autorités de l’État partie de ses liens avec les Tigres tamouls lorsqu’il a présenté sa première demande d’asile. Il a aussi eu peur de fournir des éléments prouvant qu’il était poursuivi à Sri Lanka pour une infraction à la législation sur les armes qu’on lui avait imputée en raison de ses liens avec d’anciens membres des Tigres tamouls. Les effets des actes de torture qu’il a subis à Sri Lanka ont limité sa capacité de fournir des éléments de preuve cohérents et de participer à la procédure. Il a indiqué à la Cour fédérale d’Australie qu’il avait été membre des Tigres tamouls, mais celle-ci a jugé qu’elle ne pouvait examiner cette allégation.

2.8En juillet 2018, le requérant a eu un entretien avec le Service de prise en charge et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de la Nouvelle-Galles du Sud, au cours duquel il a dit qu’il était membre des Tigres tamouls et a décrit les actes de torture que lui avaient fait subir les autorités sri-lankaises. Le Service a jugé que le requérant était mentalement instable (troubles dissociatifs et tentatives de suicide). Le rapport établi par le Service a été soumis au Ministre de l’intérieur afin d’obtenir que celui-ci intervienne et que les griefs du requérant soient réexaminés, mais la demande d’intervention a été refusée le 3 septembre 2018 sans avoir été transmise au Ministre pour examen. Une autre demande d’intervention ministérielle a été déposée le 7 septembre 2018 et rejetée le 10 septembre 2018. Le requérant est détenu au centre de détention pour migrants de Villawood.

2.9Le 9 mars 2019, le requérant a soumis des renseignements complémentaires concernant sa situation. Il avance que le 10 septembre 2018, on l’a mis à bord d’un avion à destination de Sri Lanka, avec une escale à Perth (Australie). Néanmoins, une fois à Perth, on l’a fait descendre de l’avion et conduit jusqu’à un centre de détention local. Sa valise, qui contenait notamment des photos de lui et d’un ami en uniforme des Tigres tamouls, des documents judiciaires utiles pour sa demande d’asile, une copie de son mandat d’arrêt, des lettres de sa famille, son permis de conduire sri-lankais et une clef USB avec quelques chants révolutionnaires des Tigres tamouls, est restée dans l’avion et, en fin de compte, a été envoyée à l’aéroport international Bandaranaike à Sri Lanka. Le requérant indique qu’il comptait détruire la plupart de ces objets avant son expulsion mais que, dans la précipitation causée par la soudaineté de l’exécution du renvoi, il n’a pas pu le faire.

2.10Le requérant affirme que peu de temps après l’arrivée de sa valise à Sri Lanka, plusieurs agents de la police judiciaire qui étaient à sa recherche se sont rendus au domicile de ses parents. Les agents ont dit qu’ils le soupçonnaient d’être lui aussi arrivé à Sri Lanka et d’avoir réussi à s’échapper de l’aéroport sans passer les contrôles aux frontières. Ils ont averti sa mère qu’ils continueraient de le rechercher et qu’ils reviendraient. Le 27 octobre 2018, des agents sont revenus, toujours à sa recherche. Ils avaient appris qu’on l’avait fait descendre de l’avion à la dernière minute en Australie, et ils ont interrogé sa mère sur les raisons de cette décision. Ils ont aussi dit qu’ils savaient que le requérant appartenait aux Tigres tamouls.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il soutient qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait torturé par la police judiciaire, qui le soupçonne d’avoir des liens avec les Tigres tamouls et qui a émis un mandat d’arrêt contre lui.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 29 juillet 2019, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. L’État partie affirme que les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) du règlement intérieur du Comité au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement. Il soutient que les griefs ont été examinés de manière approfondie par une série d’autorités décisionnaires nationales, y compris le Ministère de l’intérieur (examen de la demande de visa de protection) et le Tribunal de contrôle (examen indépendant quant au fond). Le requérant a aussi déposé des demandes de contrôle juridictionnel auprès du Tribunal fédéral de circuit et de la High Court d’Australie. Il a également sollicité une intervention ministérielle, qui lui a aussi été refusée.

4.2L’État partie renvoie aux décisions du Comité dans les communications I. P. W. F. c. Australie et T. T. P. c. Australie, et fait observer que l’approche adoptée par le Comité dans ces deux affaires renforce sa position de longue date selon laquelle une communication doit satisfaire aux critères fondamentaux de recevabilité. Il renvoie aussi à l’observation générale no 4 (2017) du Comité, dans laquelle le Comité indique qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné. Il affirme que les autorités nationales ont soigneusement examiné les allégations du requérant et qu’elles sont parvenues à la conclusion qu’elles ne mettaient pas en jeu les obligations mises à sa charge par l’article 3 de la Convention.

4.3L’État partie soutient que pendant l’entretien réalisé avec le requérant dans le cadre de l’examen de sa demande de visa de protection, la représentante du Ministre a estimé que certaines des déclarations manquaient de crédibilité. Elle n’a en particulier pas ajouté foi aux allégations du requérant selon lesquelles il avait été politiquement actif à Sri Lanka, les autorités se seraient intéressées à lui et il aurait attiré l’attention sur lui au niveau local ou national pour quelque raison que ce soit. Elle a aussi relevé que le requérant avait pu aller en Inde et revenir à Sri Lanka en toute légalité en juin 2010, ce qui prouvait qu’il ne présentait aucun intérêt pour les autorités à ce moment-là. Elle a également jugé qu’il ne courait pas de réel risque de subir un préjudice grave constitutif de persécution au motif qu’il était d’origine tamoule. Ces conclusions étaient fondées notamment sur les Principes directeurs du HRC relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile sri ‑ lankais et sur les rapports annuels établis par le Département d’État des États-Unis d’Amérique, dont aucun n’indiquait que les Tamouls risquaient d’être persécutés au seul motif de leur appartenance ethnique. S’agissant des liens présumés du requérant avec les Tigres tamouls, la représentante du Ministre a estimé qu’aucune information ne laissait supposer que le requérant avait été visé personnellement, et a considéré que celui-ci avait plutôt été pris dans des rafles et interrogé pendant et après la guerre. Se reportant à des informations récentes sur le pays, elle a conclu que même si le requérant avait été maltraité par le passé parce que les autorités soupçonnaient toutes les personnes qui vivaient dans cette région d’avoir des liens avec les Tigres tamouls, celui-ci ne courrait globalement plus le même risque à l’avenir et rien de particulier le concernant ne conduirait les autorités à le soupçonner d’être associé aux Tigres tamouls ou de les soutenir. Enfin, elle n’a pas jugé que le jeune âge du requérant et le fait qu’il revienne d’un pays occidental auraient pour conséquence qu’il serait inquiété par les autorités à son retour dans son pays. Compte tenu de ce qui précède, la demande de visa de protection du requérant a été rejetée le 4 septembre 2013.

4.4L’État partie indique que le 23 septembre 2013, le requérant a saisi le Tribunal de contrôle d’une demande d’examen quant au fond de la décision de refus du visa de protection. Le requérant était présent à l’audience du Tribunal, était représenté par l’agent de l’immigration chargé de son dossier − qui participait par téléphone − et a pu s’exprimer oralement avec l’aide d’un interprète. Le Tribunal a jugé que le requérant ne disait pas la vérité et qu’il avait inventé la plupart de ses allégations. Il a fait observer que le requérant avait apporté de nouveaux éléments au fil de la procédure de demande et que le récit qu’il avait présenté à l’audience était vague, incohérent et peu crédible. Au départ, le requérant n’avait pas parlé de ses deux détentions prolongées en 2010, alors que cela était important, et lorsqu’il les avait évoquées, le récit qu’il en avait fait était incohérent. Il n’avait pas non plus parlé d’engagement politique, même lorsqu’on lui avait demandé ce qu’il en était, et il s’était ensuite contredit dans ses dernières allégations concernant son engagement politique. Le Tribunal a estimé que le requérant n’avait pas été détenu par les autorités ou par le groupe Karuna, ni par qui que ce soit d’autre, en 2010, et que personne ne le recherchait. Il a renvoyé aux éléments fournis par le requérant établissant que celui-ci avait vécu de nombreuses années dans la même région depuis la fin de la guerre sans qu’on s’en prenne à lui, et a affirmé que si le requérant avait été soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres tamouls, il aurait été arrêté vers la fin de la guerre et envoyé dans un camp de réadaptation. Le 13 mai 2015, se fondant sur les éléments de preuve et les informations relatives à Sri Lanka dont il disposait, le Tribunal a conclu que le requérant ne courrait pas un risque réel d’être soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels ou inhumains à son retour à Sri Lanka.

4.5L’État partie indique que le Tribunal fédéral de circuit et la Cour fédérale d’Australie ont tous deux rejeté les griefs que le requérant avait soulevés dans ses recours. Les deux juridictions ont jugé qu’il n’était pas erroné de conclure que le requérant n’avait pas présenté de griefs clairement définis, reposant sur des faits établis, montrant qu’il pourrait être soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres tamouls ou qu’il appartenait à l’une des catégories de personnes tamoules susceptibles d’être placées en détention, torturées ou maltraitées à leur retour à Sri Lanka. Pendant l’audience devant la Cour fédérale d’Australie, le requérant a déclaré que l’interprète qui l’avait assisté lors de l’audience devant le Tribunal de contrôle n’avait pas correctement rendu ce qu’il avait dit, qu’il avait été déstabilisé par les questions du membre du Tribunal de contrôle et que les réponses qu’il avait données étaient donc incomplètes, qu’il y avait certains faits le concernant qu’il était dorénavant prêt à révéler si on lui en donnait la possibilité, et que le membre du Tribunal de contrôle n’avait pas pris en compte les éléments qui étaient en sa faveur et n’avait retenu que ce qui jouait contre lui. La Cour fédérale d’Australie a jugé qu’aucun des éléments de fond avancés ne justifiait d’autoriser le requérant à former un recours sur ces fondements. En outre, la Cour a fait observer que le requérant ne s’était pas plaint de l’interprétation et qu’aucun problème n’avait été relevé à cet égard lors de l’audience devant le Tribunal de contrôle.

4.6L’État partie note que le requérant a aussi déposé plusieurs demandes d’intervention ministérielle au titre des articles 48B et 417 de la loi sur les migrations. En vertu de ces dispositions, le Ministre de l’immigration est habilité à intervenir dans certaines affaires s’il estime qu’il en va de l’intérêt général. L’État partie affirme que pour étayer ses allégations, le requérant a fourni des photographies, une prétendue copie d’un mandat d’arrêt daté du 10 novembre 2017, des copies de trois évaluations réalisées en 2018 par l’organisme International Health and Medical Services et une copie du rapport du Service de prise en charge et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de la Nouvelle-Galles du Sud dans lequel le Service recommandait que le requérant reprenne les consultations visant à l’aider à mieux gérer ses symptômes de dépression et d’anxiété. Concernant le mandat d’arrêt, la fonctionnaire du Ministère a déclaré qu’elle avait des raisons de douter de l’authenticité du document étant donné que, lorsque la police australienne des frontières avait demandé à la Haute Commission sri-lankaise un document de voyage en vue du renvoi du requérant, celle-ci ne l’avait pas informée de l’existence du mandat. Le requérant n’ayant pas expliqué pourquoi le mandat n’avait pas été transmis au Ministère lors de son émission et le Tribunal de contrôle ayant jugé que le requérant n’était pas crédible, la fonctionnaire du Ministère n’avait pas acquis la conviction que le requérant était visé par un mandat d’arrêt. Le 17 août 2018, il a été décidé que la demande du requérant ne répondait pas aux critères énoncés à l’article 417 de la loi sur les migrations et qu’aucune circonstance particulière ou exceptionnelle n’obligeait le Ministre à intervenir. En examinant la demande présentée par le requérant au titre de l’article 48B de la loi sur les migrations, la fonctionnaire du Ministère a constaté que c’était la première fois que l’intéressé affirmait appartenir aux Tigres tamouls et qu’il n’avait pas expliqué pourquoi il ne communiquait cette information qu’à ce moment‑là. Elle a jugé que le requérant n’avait pas présenté de nouvelle information ou revendication crédible qui satisfasse aux critères de saisine du Ministre.

4.7L’État partie indique que le 7 septembre 2018, le requérant a de nouveau sollicité une intervention ministérielle au motif qu’il y avait eu une violation de données et que des renseignements à caractère personnel sur plusieurs demandeurs d’asile avaient été publiés par erreur sur le site Web du Ministère. Il informe le Comité que le requérant n’a pas été touché par cette violation, celle-ci n’ayant concerné que des personnes qui étaient en détention le 31 janvier 2014, ce qui n’était pas le cas du requérant.

4.8Pour ce qui est des renseignements complémentaires soumis par le requérant le 9 mars 2019, l’État partie fait observer que le renvoi d’Australie a été annulé le 10 septembre 2018 alors que le requérant était en transit, comme suite à la demande de mesures provisoires formulée par le Comité. Le 8 octobre 2018, le requérant a été informé que sa valise était arrivée à l’aéroport international Bandaranaike le 11 septembre 2018. L’État partie affirme que les renseignements complémentaires soumis par le requérant ne changent rien aux conclusions des autorités australiennes concernant son appartenance aux Tigres tamouls ou les liens qu’il pourrait avoir avec eux. Selon l’État partie, le requérant est incohérent sur ce point et n’a pas fait les mêmes déclarations dans le cadre des procédures internes et devant le Comité. Ses déclarations ont également varié à chaque étape de la procédure d’examen de ses griefs au niveau national avant que la communication soit soumise au Comité. L’État partie estime que le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles étayant l’allégation selon laquelle les autorités sri-lankaises pensent qu’il a des liens personnels avec les Tigres tamouls ou qu’il leur est associé d’une manière ou d’une autre, ou montrant qu’il court personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être torturé. Il est conscient du fait « qu’on ne saurait attendre une exactitude parfaite de la part de victimes de la torture ». Ce facteur a toutefois été pris en considération par les autorités nationales qui ont eu à se prononcer sur la crédibilité du requérant. L’État partie maintient que, même si le Comité devait juger crédibles les déclarations du requérant relatives à son appartenance aux Tigres tamouls ou à ses liens avec eux, cela ne ferait pas du requérant une personne susceptible de s’attirer l’hostilité des autorités sri-lankaises.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 31 octobre 2019, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. Il affirme que le système de contrôle des décisions concernant les réfugiés mis en place par les autorités de l’État partie est en réalité biaisé, en ce qu’il tend à persécuter les anciens membres des Tigres tamouls en les considérant comme un risque pour la sécurité et à dissuader les demandeurs d’asile tamouls de présenter librement leur demande de protection en faisant régner la peur dans cette communauté. En outre, le Ministère des affaires étrangères et du commerce a inscrit les Tigres de libération de l’Eelam tamoul sur sa liste récapitulative des organisations terroristes le 21 décembre 2001. Le requérant affirme qu’il n’a initialement évoqué ni la période qu’il avait passée avec les Tigres tamouls ni son arrestation et les actes de torture subis pour port d’armes parce qu’il avait peur de recevoir un avis négatif de la part de l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité et parce qu’il n’était pas capable de parler des actes de torture atroces dont il avait été victime. Il fait observer que, selon les rapports du psychologue du Service de prise en charge et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de la Nouvelle-Galles du Sud, il a éprouvé une détresse extrême lorsqu’il s’est souvenu des actes de torture qu’il avait subis.

5.2Le requérant constate que le Tribunal de contrôle a rejeté ses demandes sans avoir consulté les rapports médico-légaux et cliniques. Il pense que ses déclarations relatives à son arrestation et aux actes de torture subis en 2010 dans le contexte de l’affaire de port d’armes ont été rejetées principalement au motif qu’il n’en avait pas parlé lors du premier entretien et qu’il a mis du temps à répondre aux questions, raison pour laquelle il a été considéré comme évasif. Le Tribunal de contrôle ne disposait pas des éléments de preuve médicaux et ne savait donc pas qu’il présentait des troubles psychologiques dus aux actes de torture qu’il avait subis. Ayant conclu que sa déclaration était fabriquée de toute pièce et qu’il ne disait pas la vérité, le Tribunal de contrôle a ensuite rejeté toutes ses autres demandes de protection. Le requérant estime que les demandes d’interventions ministérielles qu’il a déposées par la suite et les nouveaux éléments de preuve qu’il a présentés ont aussi été rejetés au motif que le Tribunal de contrôle avait conclu qu’il ne disait pas la vérité.

5.3Le requérant affirme que le membre du Tribunal de contrôle n’était visiblement pas formé pour reconnaître les signes de troubles post-traumatiques. Il explique que parler de torture, en particulier de torture sexuelle, l’a profondément traumatisé et qu’il a éprouvé un fort sentiment de honte au moment de révéler ce qui lui était arrivé et d’en discuter, à plus forte raison lorsqu’il a été interrogé à ce sujet par une femme dans un contexte accusatoire. L’agente qui a mené son entretien au point d’entrée, la personne désignée par les autorités pour le représenter pendant la procédure de demande de visa de protection, la fonctionnaire du Ministère qui a réalisé l’entretien pour le visa de protection et le membre du Tribunal de contrôle étaient toutes des femmes. Le requérant relève qu’à aucun moment on ne lui a demandé si des considérations de genre intervenaient dans ses griefs ou leur présentation, et que cela s’apparente en pratique à une injustice.

5.4En ce qui concerne son voyage en Inde, le requérant affirme que celui-ci a eu lieu en 2012 et non en 2010 comme le prétend l’État partie. Il indique qu’il avait deux passeports sri‑lankais obtenus frauduleusement par l’intermédiaire d’un agent, l’un en 2007 et l’autre en 2012, et que le nom, la date de naissance et le numéro d’identification national qui y figuraient n’étaient pas les mêmes. Il s’est rendu en Inde en utilisant son passeport de 2012 et a passé deux semaines dans un camp de réfugiés du Tamil Nadu. Des copies scannées des deux passeports ont été soumises au Ministre le 18 septembre 2019 dans le cadre de la demande d’intervention ministérielle. Toutefois, l’original du passeport de 2012 n’ayant pas été produit, il a été jugé que l’authenticité du document ne pouvait pas être évaluée et aucun poids n’a été accordé à ce document. Le requérant soutient que le Ministre n’a pas véritablement examiné la copie scannée du document, et que le Ministère de l’intérieur aurait pu la faire évaluer par son service d’examen des documents. Il fait observer que les autorités sri-lankaises pourraient découvrir qu’il a eu recours à un passeport frauduleux par le passé, ce qui l’exposerait à un risque supplémentaire d’être placé en détention provisoire et condamné à une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, en application de la législation nationale.

5.5Le requérant avance que l’État partie n’a pas pris en considération le mandat d’arrêt dans le cadre de l’examen de la demande d’intervention ministérielle. Dans sa décision, le Directeur adjoint du Ministère de l’intérieur a déclaré qu’il y avait des raisons de douter de l’authenticité du document, étant donné que la Haute Commission sri-lankaise n’avait signalé aucun mandat d’arrêt au nom du requérant lorsque la police australienne des frontières lui avait demandé un document de voyage pour le renvoi du requérant, et que le poste de Colombo n’avait pas non plus relevé de correspondance entre le nom du requérant et les informations figurant dans les bases de données sri‑lankaises. Compte tenu de ce qui précède et de la conclusion du Tribunal de contrôle selon laquelle le requérant n’était pas crédible, le Directeur adjoint n’a pas cru qu’il était visé par un mandat d’arrêt. Le requérant soutient que ce raisonnement montre que la procédure d’intervention ministérielle n’est pas prise au sérieux et qu’aucune évaluation réaliste du risque qu’il courrait d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka n’a été réalisée. Selon lui, la Haute Commission sri-lankaise n’a pas été interrogée sur le point de savoir s’il était visé par un mandat. Il n’y a aucune raison de croire que cet organe révélerait l’existence d’un tel mandat aux autorités australiennes si on ne le lui demandait pas. En effet, la divulgation de cette information reviendrait à informer les autorités australiennes que le requérant était un réfugié et à rappeler à l’État partie ses obligations en matière de protection internationale. Le requérant fait observer que les autorités australiennes avaient connaissance du mandat d’arrêt depuis le 16 août 2018 mais qu’elles n’ont jamais pris la peine de vérifier son authenticité auprès de leurs homologues sri-lankaises.

5.6Le requérant revendique en outre le statut de réfugié sur place pour deux motifs. Le premier est que le Tribunal de circuit fédéral a fait figurer dans la décision qu’il a rendue des renseignements personnels le concernant − sa date de naissance, la date de son arrivée en Australie, son lieu de travail à Sri Lanka et des détails sur ses demandes de protection − et que la décision a été publiée sur le site Web de l’Australasian Legal Information Institute, en accès libre. Une copie du compte rendu de l’audience au cours de laquelle il a indiqué appartenir aux Tigres tamouls a également été publiée en accès libre.

5.7Le second motif est que des documents sensibles − notamment des documents relatifs à sa demande d’asile, une copie de son mandat d’arrêt, des photographies le montrant avec des armes, une copie du rapport dans lequel il affirme avoir été torturé par les autorités sri‑lankaises et une clef USB contenant des chants révolutionnaires, se trouvaient dans sa valise qui a été envoyée par erreur à Sri Lanka le 10 septembre 2018. Depuis cette date, des agents de la police judiciaire se sont rendus deux fois au domicile de ses parents, car ils craignaient qu’il soit revenu à Sri Lanka et qu’il ait pu s’échapper de l’aéroport grâce à des pots-de-vin.

5.8Le requérant affirme que les cicatrices qu’il porte sont aussi la preuve de ses liens avec les Tigres tamouls. Il dit qu’il a été blessé sur le côté gauche du cou par l’explosion d’une mine Claymore pendant la guerre et que les cicatrices sur son coude droit sont dues aux actes de torture qu’il a subis en 2010. Il avance qu’il a également été blessé à une hanche et aux genoux et qu’il a été victime de torture sexuelle, et renvoie aux rapports du psychologue pour la description de ses blessures.

5.9Le requérant souligne qu’il était indiqué dans la décision de refus concernant sa demande d’intervention ministérielle déposée le 18 septembre 2019 qu’il ne serait pas procédé à un examen d’ensemble des éléments de preuve, chacun de ces éléments étant rejeté au motif que le Tribunal de contrôle avait estimé que ses déclarations n’étaient pas véridiques. Selon lui, cela signifiait qu’aucune autre preuve ne serait effectivement examinée par l’État partie après une décision de refus du Tribunal de contrôle. Le mandat d’arrêt et les trois rapports du Service de prise en charge et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de la Nouvelle-Galles du Sud étant postérieurs à la décision du Tribunal de contrôle, le refus du Ministre de prendre véritablement ces preuves en compte − par exemple dans le cadre d’une analyse des documents, et d’un examen global de l’ensemble des preuves et des griefs soulevés ultérieurement − montre que l’État partie n’a pas procédé à une évaluation sérieuse et réfléchie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note en date du 5 mars 2020, l’État partie a soumis ses observations complémentaires sur le fond de la requête. Il y rejette les affirmations du requérant selon lesquelles le système australien de contrôle des décisions concernant les réfugiés est « en réalité biaisé » et les autorités australiennes n’ont pas examiné sérieusement les éléments de preuve qu’il a produits et les griefs qu’il a soulevés. Il fait remarquer que le Comité a dit par le passé que le système judiciaire australien offrait une procédure solide d’examen des griefs sur le fond et de contrôle juridictionnel permettant de corriger toute erreur commise dans une décision initiale. Il soutient que si le requérant a des griefs qui n’ont pas encore été examinés par des autorités décisionnaires nationales, il peut les faire examiner en déposant une autre demande d’intervention ministérielle.

6.2L’État partie fait observer que l’affirmation du requérant selon laquelle il courrait un risque supplémentaire d’être placé en détention provisoire et condamné à une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour avoir utilisé un faux passeport a été examinée très récemment, lors de l’évaluation de la demande d’intervention ministérielle déposée le 18 septembre 2019. La fonctionnaire du Ministère a jugé que cette déclaration avait déjà été examinée par le Tribunal de contrôle, qui avait conclu que le requérant serait poursuivi, libéré sous caution et condamné à une amende pour avoir quitté Sri Lanka illégalement mais que cela ne s’apparentait pas à un préjudice grave. L’État partie soutient que le fait que le requérant a voyagé avec un faux passeport ne change rien aux conclusions des autorités australiennes, à savoir qu’il n’y a pas de motif sérieux de croire que le requérant courrait un risque réel de préjudice irréparable à Sri Lanka. Il renvoie au rapport d’information sur Sri Lanka publié par le Ministère des affaires étrangères et du commerce le 23 mai 2018, qui contient des informations sur le traitement des réfugiés sri-lankais. Selon ce rapport, si les demandeurs d’asile déboutés qui quittent Sri Lanka illégalement et y sont renvoyés peuvent être condamnés à une amende ou à une peine privative de liberté en application de la loi sur l’immigration et l’émigration, en pratique, la plupart des affaires se soldent par une amende et non par une peine d’emprisonnement.

6.3S’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle l’envoi de sa valise à Sri Lanka a attiré l’attention des autorités sri-lankaises sur lui, l’État partie soutient que cet incident n’a aucune conséquence sur les conclusions des autorités australiennes concernant l’appartenance du requérant aux Tigres tamouls ou les liens qu’il pourrait avoir avec eux, et rappelle que cette affirmation a été examinée le 14 octobre 2019 dans le cadre de l’évaluation de la demande d’intervention ministérielle au titre de l’article 48B. Il renvoie à la communication V. M. c. Australie, concernant laquelle le Comité a indiqué qu’il devait déterminer si le requérant courrait actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Selon l’État partie, le requérant n’a fourni aucun élément de preuve supplémentaire pour étayer son allégation selon laquelle les autorités s’intéresseraient à lui à son retour à Sri Lanka.

6.4L’État partie rejette l’allégation du requérant selon laquelle plusieurs éléments de preuve pertinents, y compris les rapports médico-légaux et cliniques et les copies du faux passeport et du mandat d’arrêt, n’ont pas été examinés. Il soutient que les autorités nationales ont pris en considération les allégations formulées et les éléments de preuve présentés par le requérant et qu’elles ont aussi tenu dûment compte des incohérences et problèmes de preuve liés à ses allégations. Il indique que le Tribunal de contrôle a souligné que, tout au long des audiences, il avait fait expliciter les éléments de preuve produits par le requérant pour garantir une parfaite compréhension, avait tenu compte de la nervosité du requérant et avait été attentif aux nuances de langage lorsque la communication se faisait par l’intermédiaire de l’interprète. S’agissant des dossiers médicaux du requérant, la fonctionnaire du Ministère était saisie, dans le cadre de la demande d’intervention ministérielle en date du 16 août 2018, de copies des trois évaluations réalisées par l’organisme International Health and Medical Services, datées respectivement du 25 mai 2018, du 13 juin 2018 et du 29 juin 2018, et d’une copie d’un rapport établi par le Service de prise en charge et de réadaptation des victimes de torture et de traumatismes de la Nouvelle-Galles du Sud le 16 juillet 2018, dans lequel celui‑ci recommandait que le requérant reprenne les consultations visant à l’aider à mieux gérer ses symptômes de dépression et d’anxiété. La fonctionnaire a souligné que la santé mentale des demandeurs d’asile était prise en considération pendant toute la procédure interne et que ni l’agente chargée de statuer sur son cas ni le Tribunal de contrôle n’avait jugé le requérant crédible.

6.5L’État partie indique que les déclarations du requérant concernant le faux passeport ont elles aussi été examinées par les autorités nationales, mais qu’elles ont varié au cours de la procédure. La première personne chargée de statuer sur son cas a d’abord noté que le requérant avait voyagé avec un passeport en règle. Plus tard dans l’entretien, le requérant a dit qu’il n’était pas certain de la légalité du passeport. Il a toutefois confirmé que le nom qui y figurait était le sien et que c’était bien lui sur la photographie. L’agente chargée de statuer a conclu que le requérant avait quitté et regagné Sri Lanka avec un passeport authentique ou, du moins, un passeport délivré par les autorités compétentes, sur lequel figuraient des données biographiques exactes, ainsi que sa photographie. Concernant la demande d’intervention ministérielle déposée le 18 septembre 2019, la fonctionnaire du Ministère a constaté que le requérant n’avait pas soumis de document original au Ministère de l’intérieur pour examen et que l’authenticité des documents ne pouvait donc pas être évaluée.

6.6S’agissant du mandat d’arrêt, l’État partie réaffirme que, puisqu’aucune explication n’a été donnée pour justifier que le mandat n’ait pas été transmis lors de son émission, et étant donné que la Haute Commission sri-lankaise n’a pas informé la police australienne des frontières de l’existence du mandat lorsque celle-ci lui avait demandé un document de voyage en vue du renvoi du requérant, la fonctionnaire du Ministère a jugé que le requérant n’était pas crédible et elle n’a pas acquis la conviction qu’il était visé par un mandat d’arrêt.

Informations complémentaires reçues du requérant

7.1Le 5 mars 2020, le requérant a soumis des informations complémentaires concernant la communication. Il affirme que le 24 février 2020, il a découvert que le Tribunal de circuit fédéral avait divulgué son nom sur le site Web appelé Commonwealth Courts Portal en septembre 2018, en l’associant au pseudonyme BBE15 sous lequel figuraient des informations de fond concernant les demandes de protection qu’il avait déposées. Il soutient que l’État partie a été informé de cette violation de la confidentialité de ses demandes de protection le 25 février 2020 par courrier électronique et au moyen d’une déclaration sous serment déposée devant le Tribunal. Il regrette que l’État partie n’ait pas porté ce fait à l’attention du Comité. Il demande au Comité de prendre en considération le fait que ses demandes et son nom ont été publiés par erreur par les autorités de l’État partie lorsqu’il examinera sa requête.

7.2Le 11 juillet 2020, le requérant a soumis au Comité des informations complémentaires. Il y indique que le 10 juillet 2020, le Tribunal de circuit fédéral a estimé qu’il n’était pas tenu de remédier aux erreurs liées à la divulgation de données, que ce soit par lui ou par lesservices gouvernementaux, et que toute réparation était entièrement à la discrétion du Ministre. Il affirme que le pouvoir du Ministre de décider d’accorder ou nonune réparation au titre de l’article 48B de la loi sur les migrations est totalement discrétionnaire, que ses demandes en ce sens ont déjà été refusées à plusieurs reprises et qu’il n’existe aucun droit à un contrôle juridictionnel d’une telle décision. Le 22 décembre 2020, la chambre d’appel de la Cour fédérale d’Australie a rejeté l’appel du requérant.

7.3Le 10 septembre 2020, le requérant a demandé, à titre de mesure provisoire de protection, à être libéré du centre de détention pour migrants tant que sa communication serait à l’examen, en raison de la détérioration de son état de santé mentale du fait de sa détention prolongée depuis 2018. Sa demande a été acceptée le 19 octobre 2020.

7.4Le 9 juin 2021, le requérant a soumis un nouveau rapport psychologique concernant sa santé mentale, attestant notamment d’un risque de suicide ou d’automutilation grave. Il ajoutequ’il a déjà participé à des activités du Congrès tamoul australien, notamment pour la commémoration du génocide de Mullivaikal, et précise quecette organisation est aujourd’hui interdite en tant qu’organisation terroriste selon le Journal officiel de Sri Lanka. Il soumet des informations disponibles publiquement sur Facebook concernant ses activités séparatistes au sein de la diaspora tamoule et les associations avec lesquelles il a eu des liens.

7.5Le 16 juillet 2021, le requérant a transmis une nouvelle photographie de lui-même, qui le montre comme un ancien membre des Tigres tamouls, lourdement armé. Il explique qu’il n’avait pas fourni cette photo aux autorités de l’État partie auparavant parce qu’il craignait d’être maintenu en détention pour une durée indéterminée par l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité en tant qu’ancien membre des Tigres tamouls. Il précise qu’il n’a pas pu récupérer la photographie plus tôt parce que la clef USB sur laquelle elle était enregistrée se trouvait dans les bagages qui avaient été envoyés à Sri Lanka par les autorités de l’État partie, mais qu’il a récemment pu récupérer la photographie dans ses dossiers numériques. Selon le requérant, alors qu’avant 2012, les autorités sri-lankaises ne l’avaient pas identifié comme un ancien membre des Tigres tamouls, il est désormais certain qu’il le sera, compte tenu de l’examen de ses effets expédiés à Sri Lanka par les autorités de l’État partie et de la publication de ses demandes ainsi que de son nom sur le Commonwealth Courts Portal.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Il conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement, le requérant n’ayant pas établi qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il serait personnellement et actuellement exposé à un risque prévisible et réel d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il considère cependant que la requête a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête suffisamment en détail pour qu’une décision puisse être prise. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, il déclare recevable la communication soumise en vertu de l’article 3 de la Convention et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), dans laquelle il affirme qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) une arrestation ou une détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace ; et e)les actes de torture subis antérieurement (par. 45). Pour ce qui est du fond d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par.38). Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations. Il s’ensuit qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article22 (par.4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par.50).

9.5Le Comité note que le requérant affirme qu’il risquerait d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka parce qu’il a suivi, par le passé, un entraînement d’autodéfense de trois mois avec les Tigres tamouls au cours duquel il a notamment appris le maniement des armes. Le requérant a ensuite travaillé en tant que médecin pour les Tigres tamouls ; il avait alors pour rôle de soigner les personnes blessées au combat ou de les conduire à l’hôpital si leurs blessures étaient trop graves pour être soignées sur place. Le Comité note en outre que le requérant déclare qu’en 2010, il a été poursuivi pour port d’armes après avoir été arrêté par des agents de la marine sri-lankaise alors qu’il était avec trois anciens amis des Tigres tamouls, dont l’un avait un pistolet sur lui. Le requérant a été conduit au poste de police de Kuchchaveli, où on l’a déshabillé en ne lui laissant que ses sous-vêtements et battu avec un tuyau. Après avoir passé deux semaines en détention, au cours desquelles il a été soumis à d’autres actes de torture, il a été libéré sous caution. Toutefois, après sa libération, il a été enlevé par le groupe Karuna, qui l’a séquestré pendant sept jours et l’a battu à nouveau. Il a été interrogé sur son oncle, que le groupe avait tué par balles quelque temps auparavant, et sur ses contacts au sein des Tigres tamouls. Sa mère ayant versé un pot-de-vin au groupe Karuna, il a été libéré une semaine plus tard et a commencé à vivre caché.

9.6Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités nationales ont pris en considération les allégations formulées et les éléments de preuve présentés par le requérant et ont aussi dûment tenu compte des incohérences et problèmes de preuve liés à ses allégations. Selon l’État partie, les déclarations du requérant ont varié à chaque étape de la procédure d’examen au niveau national avant que la communication soit soumise au Comité. L’État partie estime que le requérant n’a pas produit d’éléments de preuve crédibles étayant l’allégation selon laquelle les autorités sri-lankaises pensent qu’il a des liens personnels avec les Tigres tamouls ou qu’il leur est associé d’une manière ou d’une autre, ou montrant qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être torturé. Le Comité note que l’État partie est conscient du fait « qu’on ne saurait attendre une exactitude parfaite de la part de victimes de la torture » et que ce facteur a été pris en considération par les autorités décisionnaires nationales qui ont eu à se prononcer sur la crédibilité du requérant.

9.7Le Comité note à cet égard que selon les principes généraux du droit de la preuve, la charge de la preuve incombe à la personne qui formule l’allégation. Ainsi, dans le contexte des demandes d’asile, c’est au demandeur qu’il incombe de prouver la véracité de ce qu’il avance et l’exactitude des faits sur lesquels sa demande repose. Pour s’acquitter de cette charge, le demandeur doit rendre fidèlement compte des faits pertinents, afin qu’une décision opportune puisse être prise sur la base de ces faits. Compte tenu des particularités de la condition de réfugié, la tâche consistant à établir et à apprécier tous les faits pertinents est partagée avec l’autorité qui statue sur la demande. La bonne exécution de cette tâche dépend dans une large mesure du fait que l’autorité en question sait quelle est objectivement la situation dans le pays d’origine, est au courant des faits pertinents qui sont de notoriété publique, aide le demandeur à fournir les renseignements utiles et vérifie de manière adéquate les allégations qui peuvent être étayées.

9.8Le Comité prend également note de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est dit préoccupé notamment par les informations indiquant que les forces de sécurité sri-lankaises, notamment l’armée et la police, avaient continué de commettre des enlèvements, des actes de torture et des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les Tigres tamouls, en mai 2009. Il se réfère également à des rapports dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales concernant les mauvais traitements infligés par les autorités sri-lankaises à des personnes qui avaient été renvoyées à Sri Lanka. Cependant, le Comité rappelle que l’existence, dans le pays d’origine du requérant, d’un ensemble de violations des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que celui-ci serait personnellement en danger d’être soumis à la torture. Il rappelle aussi que, si les événements passés peuvent avoir une importance, la principale question dont il est saisi est de savoir si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

9.9En l’espèce, le Comité constate que les autorités nationales ont jugé que les allégations du requérant relatives à son affiliation aux Tigres tamouls, à l’incident de 2010 qui aurait donné lieu aux poursuites pour port d’armes et à son enlèvement par le groupe Karuna − trois éléments centraux de sa demande, qui semblaient être la raison de son départ de Sri Lanka − n’étaient pas crédibles au motif que le requérant les avait formulées tardivement, que leur authenticité était douteuse et que le requérant n’avait pas été cohérent dans ses précédentes déclarations devant les autorités australiennes. Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel il n’a initialement pas évoqué la période qu’il avait passée avec les Tigres tamouls ni son arrestation pour port d’armes et les actes de torture subis de peur que l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité le considère comme un membre d’une organisation terroriste et rende un avis négatif à son égard, ce qui aurait pu conduire à son placement en détention pour une durée indéterminée. Le Comité constate toutefois que le requérant a obtenu son premier visa relais dès le 20 novembre 2012 et que sa détention a pris fin le 15 février 2013, soit bien avant la conclusion de la procédure relative au visa de protection et de celle engagée devant le Tribunal de contrôle. Il constate aussi que lorsque le requérant a pu obtenir une copie de son mandat d’arrêt, l’a rapidement soumise dans le cadre de sa demande d’intervention ministérielle et a en même temps admis appartenir aux Tigres tamouls. Le Comité observe que le requérant n’a pas expliqué pourquoi il avait décidé de révéler cette information à ce moment précis de la procédure, ni pourquoi le mandat d’arrêt n’avait été émis que le 10 novembre 2017, alors qu’il ne s’était apparemment pas présenté à l’audience relative aux accusations de port d’armes en 2010, après avoir été libéré sous caution, et qu’il avait quitté Sri Lanka en 2012.

9.10Le Comité relève que le requérant n’a pas indiqué où il se trouvait entre 2010 et 2012, mais qu’il s’est borné à dire qu’il avait passé deux semaines en Inde en 2012 et qu’il s’y était rendu en utilisant un faux passeport, ce qui lui ferait courir le risque d’être placé en détention provisoire et condamné à une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Il constate que l’État partie a examiné les risques que peuvent courir les demandeurs d’asile déboutés qui quittent Sri Lanka illégalement et y sont renvoyés, mais n’a pas été d’avis que le requérant courrait un risque réel de subir un préjudice irréparable, bien que celui-ci puisse être condamné à une amende ou à une peine privative de liberté, en application de la loi sur l’immigration et l’émigration.

9.11Enfin, le Comité note que le requérant revendique le statut de réfugié sur place pour les deux motifs suivants : a) des données personnelles et des informations sur ses demandes d’asile ont été publiées par inadvertance par le Tribunal de circuit fédéral sur le site Web de l’Australasian Legal Information Institute ; b) plusieurs documents sensibles, notamment des documents relatifs à sa demande d’asile et des photographies le montrant avec des armes, se trouvaient dans la valise qui a été envoyée par erreur à Sri Lanka lors de son renvoi, le 10 septembre 2018, et depuis cette date, des agents de la police judiciaire se sont rendus deux fois au domicile de ses parents car ils craignaient qu’il soit revenu à Sri Lanka et qu’il ait pu s’échapper de l’aéroport grâce à des pots-de-vin. Le Comité note aussi que l’État partie affirme que le requérant n’a pas été touché par la violation de données, celle-ci n’ayant concerné que des personnes qui étaient en détention le 31 janvier 2014, ce qui n’était pas le cas du requérant. Il note en outre que le Tribunal fédéral de circuit et la Cour fédérale d’Australie ont tous deux approuvé les conclusions du Tribunal de contrôle, selon lesquelles le requérant ne pouvait pas être soupçonné d’être membre des Tigres tamouls ou être perçu comme tel. Pour ce qui est du second motif pour lequel le requérant revendique le statut de réfugié sur place, le Comité note que l’État partie affirme que cet incident ne change rien aux conclusions des autorités concernant l’appartenance du requérant aux Tigres tamouls ou les liens qu’il pourrait avoir avec eux, et que cette revendication a été examinée dans le cadre de l’évaluation de la demande d’intervention ministérielle au titre de l’article 48B. Le Comité constate qu’en dehors du fait que la valise a été envoyée à Sri Lanka par erreur, le requérant n’a pas été en mesure de prouver que celle-ci renfermait des documents ou des pièces qui auraient clairement indiqué qu’il appartenait aux Tigres tamouls. À cet égard, il prend note des documents soumis par le requérant dans le cadre de la demande d’intervention ministérielle datée du 16 août 2018 et constate que le requérant n’a pu produire que des photographies de lui prises devant une affiche datant de 2013 et devant un autel des Tigres tamouls dans une pièce, qui ne prouvent pas qu’il appartenait à cette organisation, ainsi qu’une photographie d’un jeune homme en uniforme militaire dont on ne peut affirmer qu’il s’agit bien de lui. Le Comité doute sérieusement de la véracité des propos du requérant selon lesquels il avait mis des documents sensibles susceptibles de révéler son appartenance aux Tigres tamouls dans la valise qu’il emportait au moment de son renvoi à Sri Lanka, étant donné qu’il est notoire que les demandeurs d’asile renvoyés à Sri Lanka sont généralement arrêtés et interrogés à l’aéroport et que, dans ce contexte, il semble inutile, injustifié et déraisonnable de transporter des documents sensibles et à charge.

9.12Compte tenu de ce qui précède et sur la base de toutes les informations qui lui ont été soumises par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité estime qu’en l’espèce, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve car il n’a pas démontré que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le requérant n’a pas non plus démontré que les autorités de l’État partie n’avaient pas mené d’enquête en bonne et due forme sur ses allégations.

10.Le Comité conclut donc que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’il courrait personnellement et actuellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.