Nations Unies

CAT/C/71/D/885/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

13 septembre 2021

Français

Original : anglais

Comité c ontre la t orture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 885/2018*,**

Communication p résentée par :

Y.F. (représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

17 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Référenc e :

Décision prise en vertu des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 11 décembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

21 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est Y. F., de nationalité iranienne, né le 25 février 1990. Il a déposé une demande d’asile en Suisse, mais sa requête a été rejetée. Il fait l’objet d’une décision de renvoi vers la République islamique d’Iran et soutient que son renvoi constituerait une violation par l’État partie de l’article3 de la Convention.L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil, Me Marcel Zirngast.

1.2Le 24 septembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers laRépublique islamique d’Iran tant que sa requête serait à l’examen.

1.3Le 25 septembre 2018, l’État partie a informé le Comité que, conformément à sa pratique constante, le Secrétariat d’État aux migrations avait demandé à l’autorité compétente de n’entreprendre aucune démarche en vue de l’exécution du renvoi du requérant, de sorte que celui-ci était assuré de demeurer en Suisse tant que sa requête serait à l’examen devant le Comité.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Fin 2015, le requérant a quitté laRépublique islamique d’Iran et, après avoir transité par la Turquie, est arrivé en Suisse à une date non précisée. Le 24 novembre 2015, il a déposé une demande d’asile en Suisse. Le 6avril 2016, il a été entendu sur ses motifs d’asile en présence de son conseil. Il a indiqué qu’il craignait pour sa vie en République islamique d’Iran parce qu’il avait entretenu une relation intime avec la fille d’un mollah lié aux services secrets, alors que ce dernier lui avait refusé son consentement à un mariage. Le 15 avril 2016, le requérant a été invité à se prononcer sur le projet de décision du Secrétariat d’État aux migrations. Par écrit du 18 avril 2016, il a fourni des explications quant aux incohérences relevées dans le projet de décision. Le 19 avril 2016, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté sa demande au motif que les raisons de sa fuite étaient insuffisamment étayées et non crédibles. Le 31mai 2016, le Tribunal administratif fédéral a rejeté son recours sans entrer en matière, faute depaiement des frais judiciaires.

2.2Le 6 décembre 2017, le requérant a déposé une demande de réexamen sur la base d’éléments nouveaux de preuve. Il a soumis sept documents pour établir la crédibilité de ses motifs de fuite : un arrêt du tribunal révolutionnaire de Marvdasht daté du 5 octobre 2016 ; trois convocations dudit tribunal datées du 6 juin 2016, au nom du requérant, de son père et de son frère pour le 18 juin 2016 ; et trois nouvelles convocations dudit tribunal datées du 25 juillet 2016 au nom du requérant, de son père et de son frère pour le 8 août 2016.

2.3Selon l’arrêt du 5 octobre 2016, sur plainte du mollah, le requérant a été reconnu coupable de « tromperie et insultes ». En application de la charia, le requérant était implicitement déclaré coupable d’avoir criminellement séduit la fille du mollah, d’avoir eu avec elle des relations intimes illégales et, ce faisant, d’avoir insulté et déshonoré son père et l’ensemble de sa famille. L’arrêt était d’ailleurs aussi appelé « mandat d’exécution » et, sur sa base, le requérant serait passible d’arrestation et devrait s’attendre, en raison de principes juridiques formels, à une peine d’emprisonnement de cinq à six ans. Les autres documents montraient que le requérant, son père et son frère avaient tous trois été convoqués à deux reprises dans cette affaire. Son père et son frère se sont conformés à ces assignations.

2.4Le 11janvier 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la demande du requérant, contestant le fait que l’arrêt nouvellement produit et les autres documents étayaient les faits présentés. Le Secrétariatd’État a d’abord observé que, dans l’arrêt du 5octobre 2016, rien n’indiquait que le requérant encourait une peine de cinq à six ans d’emprisonnement et qu’il ne contenait aucune référence à une relation extraconjugale ou à des intimités incompatibles avec la charia. Dans le cadre de la procédure d’asile ordinaire, le requérant avait souligné qu’aucune plainte formelle n’avait été déposée contre lui, il paraissaitdonc improbable qu’il ait été convoqué à une audience peu après. Le Secrétariat d’État a noté que l’arrêt iranien faisait référence à un arrêt antérieur, ce qui donnait à penser que l’affaire remontait à l’époque de la procédure d’asile ordinaire. Ensuite, le Secrétariatd’État a considéré que l’absence de référence aux articles de lois et aux décrets remettait en cause l’authenticité de l’arrêt. Enfin, le Secrétariatd’État a noté qu’il n’était pas clairement indiqué à quoi se rapportait l’ordre, à la dernière ligne de l’arrêt, exigeant du requérant qu’il se conforme aux instructions dans les dix jours,puisque l’arrêt ne comprenait aucune instruction.

2.5Le 7février 2018, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours du requérant.Celui-cia jugé que l’arrêt du tribunal révolutionnaire de Marvdashtn’était pas une décision partielle touchant à la question de la culpabilité, car il s’agissait plus précisément d’un mandat d’exécution, et la dernière ligne mentionnait une loi sur l’exécution des jugements. Le Tribunal a donc considéré que la menace qui pèserait sur le requérant n’était pas fondée, en dépit des nouvelles preuves.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient qu’il est victime d’une violation de l’article3 de la Convention par l’État partie, les autorités suisses ayant ordonné son renvoi vers un pays où il sera certainement exposé à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

3.2Le requérant considère, contrairement à l’avis du Secrétariat d’État aux migrationsdans sa décision du 11janvier 2018, que les documents présentés sont parfaitement en mesure d’étayer la menace alléguée. L’État partie a traité la décision d’une manière inappropriée, comme si laRépublique islamique d’Iran était un État de droit. Il est tout à fait plausible que l’arrêt rendu contre luienRépublique islamique d’Iran ne soit pas plus substantiel. Le simple fait qu’il existe un arrêt est extraordinaire. Dans le contexte donné de la théocratie islamique dans ce pays, on ne peut tout simplement pas s’attendre à plus pour documenter la crédibilité d’une menace.

3.3Le requérant explique que la décision du 5 octobre 2016 du tribunal révolutionnaire de Marvdasht a été rendue en son absence, donc il est possible qu’elle ne concerne que la question de la culpabilité, la peine en soi devant être déterminée lorsqu’il sera de retour en République islamique d’Iran. Étant donné que le jugement est appelé « mandat d’exécution » et que la dernière ligne de l’arrêt renvoie à une loi sur l’exécution des jugements, il est également possible qu’une peine ait déjà été prononcée au cours d’un autre jugement dont le requérant n’a pas connaissance. Le requérant ne sait pas quelle sera la peine d’emprisonnement formelle − les cinq à six ans correspondent à une estimation en fonction des dispositions du Code pénal.

3.4Le requérant confirme qu’il n’existe pas de procédure pénale ou de jugement antérieur auquel se référerait l’arrêt du 5 octobre 2016, contrairement à ce qu’a présumé le Secrétariat d’État aux migrations. De même, il n’existe aucun historique procédural qui remonterait à la procédure d’asile ordinaire. La présomption de l’instance précédente repose sur un malentendu dans la traduction du jugement : le texte original ne se réfère pas à un arrêt précédent, mais au présent arrêt en se référant au numéro de dossier cité dans le coin supérieur gauche dans l’original, et indiqué dans la traduction allemande avec l’intitulé Aktenzeichen, soit « numéro de référence ». Les citations à comparaître comportent également ce même numéro sous « numéro de référence », ce qui prouve qu’il s’agit du numéro du dossier ou de l’affaire.

3.5L’arrêt doit être compris à la lumière de la culture orientale de la honte. Le mollah a pris soin de réduire au minimum l’humiliation qui pèse sur sa fille et sa famille. Avec le choix des termes « tromperie et insultes », les allégations à l’encontre du requérant sont délibérément exprimées de manière vague. Les détails du déshonneur tombant sur sa famille − et donc sur lui, en tant que chef de famille − ne sont délibérément pas mentionnés, du moins dans le texte formel. En sa qualité de mollah, il a veillé à ce qu’il n’existe pas de texte officiel indiquant que sa fille entretenait, d’une manière contraire à la charia, des relations intimes extraconjugales avec un homme qu’il n’avait pas choisi. Il convient également de noter que le père de la fille n’a pas porté plainte à Tabriz, où se trouve le domicile du requérant, mais à Téhéran, à environ 800 kilomètres de là.

3.6L’honneur familial blessé du mollah ne sera rétabli que lorsque le requérant aura disparu, qu’il soit définitivement placé dans une prison iranienne, où il doit s’attendre à être torturé, ou qu’il soit tué directement. Étant donné qu’en République islamique d’Iran, la police religieuse influence et chapeaute chaque action de l’État, le requérant ne peut s’attendre à bénéficier d’aucune protection étatique. Il court ainsi un risque majeur de subir des tortures ou d’autres traitements inhumains dans ce pays.

3.7Le requérant admet qu’il est vrai que l’arrêt du 5 octobre 2016 ne contient pas d’instructions directes. Il est concevable et plausible que cela signifie que le requérant ne doit plus se soustraire à la procédure pénale, mais doit s’y soumettre et s’annoncer aux autorités. Il est possible que le libellé de la disposition tirée de la loi sur l’exécution des jugements, citée dans l’arrêt, conduise à des résultats répressifs plus concrets, mais le requérant n’en a pas connaissance et n’y a pas accès.

3.8Le requérant explique que l’arrêt du tribunal révolutionnaire de Marvdasht est un « coup » monté entre le mollah et le juge révolutionnaire, lui-même mollah aussi. Le seul but de l’arrêt est de préserver un semblant de légalité dans la procédure contre le requérant. Il n’est donc guère surprenant qu’aucune disposition juridique concrète à laquelle le requérant aurait contrevenu ne soit mentionnée dans le document. En République islamique d’Iran, les autorités spirituelles influencent toutes les structures et institutions de l’État et, en particulier, il n’existe pas de système judiciaire indépendant ni d’appareil policier fonctionnant dans le respect de l’état de droit. Même si l’arrêt présenté ne contient que peu d’informations concrètes, il atteste que des poursuites pénales sont en cours contre le requérant et qu’elles ont été engagées par le père de son amie. Il est par conséquent attesté que le requérant doit craindre pour sa vie et son intégrité physique.

3.9Enfin, le requérant conteste le jugement du Tribunal administratif fédéral du 7février 2018, qui n’a pas examiné plus en détail la crédibilité de la situation de risque qu’il encourt sur la base des nouveaux éléments de preuve, mais a surtout réprimandé la première instance, arguant que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas dû être examinés de manière substantielle, puisqu’ils n’avaient pas été soumis à temps. Il est fort possible que l’arrêt iranien présenté constitue une séparation des débats, même s’il contient des instructions d’exécution qui peuvent simplement être utilisées à titre préventif pour assurer l’exécution d’un jugement ultérieur. Il est d’ailleurs à noter que la maison du requérant a été confisquée. L’autre possibilité est que, dans le cadre de la même procédure, un autre jugement ait déjà été rendu avant l’arrêt présenté, et que la peine ait été déterminée dans ce premier arrêt. Indépendamment de ces faits, il convient de noter que l’arrêt original soumis documente le fait que le père de l’amie du requérant a engagé des poursuites pénales contre ce dernier et que ces poursuites ont abouti à une condamnation.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 25 mars 2019, l’État partie a soumis des observations sur le fond de la communication. Rappelant les faits et les procédures engagées par le requérant en Suisse pour obtenir l’asile,il note que les autorités compétentes en la matière ont dûment pris en considération les arguments du requérant. Il déclare que la présente communication ne contient aucun élément nouveau susceptible d’infirmer les décisions des autorités compétentes.

4.2L’État partie rappelle qu’en application de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Rappelant l’observation générale no 4 du Comité (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention, l’État partie ajoute que l’auteur d’une communication doit établir l’existence d’un risque personnel, prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine, ce qui est le cas lorsque les allégations y relatives se basent sur des faits crédibles. Les motifs à l’appui de l’existence d’un tel risque doivent par ailleurs apparaître comme sérieux. La charge de la preuve incombe donc, en principe, à l’auteur de la communication, qui doit présenter des arguments défendables, c’est‑à‑dire circonstanciés, montrant qu’un tel risque existe. Les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un tel risque : preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine ; allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci ; activités politiques de l’auteur à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine ; et preuves de la crédibilité de l’auteur et de la véracité générale de ses allégations, en dépit de certaines incohérences dans la présentation des faits ou de certaines défaillances de mémoire.

4.3Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, l’État partie fait valoir que celle-ci ne constitue pas en soi un motif suffisant pour penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque « personnellement » d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens de l’article 3 (par. 1) de la Convention, de « personnel, prévisible, réel et actuel ».

4.4L’État partie admet que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est préoccupante à plusieurs égards. Ainsi, des informations indiquent qu’il y est fait massivement et systématiquement usage de tortures psychologiques et physiques pour extorquer des aveux. Toutefois, la situation qui règne dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que le requérant risque d’y être victime de torture en cas de renvoi. Le requérant n’a pas démontré que lui-même court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture.

4.5Pour ce qui est des allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et d’activités politiques, l’État partie note que le requérant ne fait pas valoir avoir été soumis à la torture par les autorités iraniennes ou avoir exercé des activités politiques en République islamique d’Iran ou en Suisse.

4.6En ce qui concerne la crédibilité du requérant et la cohérence des faits rapportés, l’État partie relève tout d’abord que les allégations du requérant sont restées peu détaillées et superficielles, sans indicateurs de véracité. Entre autres, il n’a été en mesure de décrire ni la position du père de son amie au sein du Corps des gardiens de la révolution islamique, ni les activités politiques de celui-ci. De même, il n’a pas pu expliquer comment une famille aussi religieuse aurait pu permettre que son amie mène une relation avec lui durant quatre ans et pourquoi, malgré l’accusation de viol portée contre lui, aucune plainte n’aurait été déposée. Le requérant n’a pas non plus été en mesure de décrire les efforts qu’il aurait entrepris pour régler la situation ou d’expliquer pourquoi, alors qu’il était prétendument recherché, il aurait décidé de demander un passeport auprès des autorités, afin de quitter le pays légalement en avion.

4.7En ce qui concerne les moyens de preuve que le requérant a versés au dossier avec sa demande de réexamen, l’État partie considère qu’ils ne sont pas de nature à démontrer les faits allégués. Même s’ils devaient être considérés comme authentiques, il n’en ressort pas que le requérant risquerait une peine d’emprisonnement de cinq à six ans. De même, les documents ne démontrent pas les poursuites alléguées pour rapports intimes hors mariage, aucune infraction en ce sens n’étant mentionnée dans le document. Rien ne confirme les allégations du requérant selon lesquelles il serait reconnu coupable, avec ce jugement, d’avoir incité son amie à des rapports intimes. Les explications du requérant devant les autorités internes selon lesquelles il s’agirait d’une décision partielle sur la question de la culpabilité ne parviennent pas à convaincre, puisqu’en cas de séparation de la procédure, seule la seconde décision, fixant la peine, est exécutoire.

4.8De plus, l’État partie relève que l’arrêt du 5octobre 2018 est intitulé « ordre d’exécution ». Il ne concerne ainsi pas une sanction pénale, mais l’exécution d’une telle sanction. Cette analyse est confirmée par le fait qu’il mentionne l’article de la loi sur l’exécution d’arrêts pénaux. Néanmoins, cet ordre d’exécution ne se prononce ni sur les faits à l’origine de la condamnation ni sur la peine infligée. Par ailleurs, le requérant ayant indiqué, lors de son audition du 6avril 2016, que le père de son amie entendait régler l’affaire avec le Corps des gardiens de la révolution islamique et que, par conséquent, aucune plainte pénale n’aurait été déposée contre lui, il paraît peu probable qu’il aurait été convoqué par un tribunal pour les faits en question deux mois plus tard. De plus, l’arrêt en question − soit l’ordre d’exécution, selon l’intitulé du document− se réfère à un arrêt antérieur et à une communication du tribunal y relative. De manière surprenante, le numéro de référence de cet arrêt n’est pas indiqué. En tout état de cause, au vu de ce renvoi, il y a lieu de croire que l’affaire en question avait déjà été traitée par les autorités iraniennes et que cette procédure devait avoir eu lieu alors que la procédure d’asile ordinaire était en cours en Suisse. Il n’est ainsi pas compréhensible que le requérant n’ait pas mentionné cette procédure lors de son audition du 6avril 2016.

4.9En outre, l’authenticité des documents soulève des questions. D’une part, selon l’analyse du Secrétariat d’État aux migrations, ceux-ci diffèrent d’autres documents comparables en ce qui concernela forme. D’autre part, le langage utilisé ne correspond pas au langage juridique d’autres arrêts. Notamment, les articles de lois correspondant aux infractions mentionnées ne sont pas cités. Concernant le contenu, plusieurs éléments sont dépourvus de sens. Il ressort ainsi de l’arrêt en question que le requérant serait poursuivi pénalement et que son bien-fonds serait saisi. À la fin du document, le requérant est invité à se conformer aux indications de l’arrêt dans un délai de dix jours à compter de celui-ci. Toutefois, on ne comprend pas à quoi se rapporte cette injonction. S’il devait s’agir de l’arrêt antérieur mentionné, dont il manque la référence, on pourrait s’attendre à ce que cela soit indiqué.

4.10En ce qui concerne les arguments développés par le requérant dans sa communication au sujet d’une procédure pénale qui serait en cours à son égard, il s’agit de simples allégations, qui n’ont pas été démontrées. De plus, lorsque le requérant fait valoir qu’un arrêt antérieur pourrait avoir été rendu ou être rendu ultérieurement, il contredit ses propres allégations dans son recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations daté du 11 janvier 2018, selon lesquelles le renvoi vers un autre arrêt serait fondé sur une erreur de traduction, l’arrêt renvoyant en réalité à lui-même. De plus, aucun arrêt ultérieur n’a été versé au dossier.

4.11Au vu de ce qui précède, l’État partie est d’avis que les allégations du requérant ne sont pas plausibles et que celui-ci n’est pas parvenu à démontrer qu’il serait exposé, en cas de retour en République islamique d’Iran, à un risque de traitements contraires à la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 27 mai 2019, le requérant a transmis des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il considère que l’État partie s’est limité à répéter et à résumer les arguments invoqués par le Secrétariat d’État aux migrations pour rejeter sa demande d’asile, sans toutefois aborder les explications contenues dans sa communication au Comité. Il affirme que, sur les points essentiels, ses explications données durant la procédure d’asile sont cohérentes, plausibles et consistantes. À aucun moment les autorités suisses ne se sont montrées disposées à traiter de façon impartiale la situation à risque du requérant. Bien au contraire, elles se sont efforcées de rechercher des contradictions alléguées dans les nombreuses déclarations du requérant ou de les disqualifier superficiellement comme n’étant pas plausibles, avec l’intention manifestement biaisée de lui refuser le statut de réfugié.

5.2Pour exemple, l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas été en mesure d’expliquer comment il se fait que la famille pourtant si religieuse de sa petite amie lui ait permis d’avoir avec elle une relation extraconjugale pendant quatre ans illustre bien cette méthode. Le requérant avait déjà expliqué dans sa prise de position du 18 avril 2016 que, s’il connaissait sa petite amie depuis quatre ans, leurs contacts se limitaient toutefois à des appels téléphoniques sporadiques et que leur relation n’était devenue intime que lors d’un voyage en août et septembre 2015. Le père de la fille ayant refusé la demande en mariage du requérant, les deux sont devenus intimes au cours de ce voyage proscrit par le père, qui est un fanatique religieux. À aucun moment le requérant n’a prétendu avoir eu une relation intime avec sa petite amie durant quatre ans. Il se peut que, dans le contexte culturel occidental, le mot « relation » implique entre deux personnes des rapports sexuels, mais ce n’est certainement pas le cas dans le contexte culturel iranien.

5.3Il n’est donc guère surprenant que l’État partie ne soit pas disposé à attacher une quelconque importance aux documents judiciaires présentés. Bien au contraire, ces derniers et les conclusions que l’on peut en tirer sont globalement discrédités et traités de simples allégations. Certes, le jugement présenté ne contient que peu d’informations concrètes, mais la raison de cet état de fait a déjà été expliquée dans la communication au Comité. Même si le jugement iranien laisse de nombreuses questions sans réponse, la simple existence de ce jugement contre le requérant est remarquable. Ce jugement a été amorcé et mis en scène par le père de la jeune fille, afin de manœuvrer contre le requérant et sa famille tout en préservant l’apparence d’un état de droit.

5.4En ce qui concerne les allégations de l’État partie quant à la possibilité d’un jugement antérieur au jugement iranien présenté ou quant à son intitulé comme « ordre d’exécution », le requérant fait valoir que l’État partie n’a pris en considération ses déclarations et explications que dans l’intention d’en dégager des contradictions. Le jugement iranien présenté documente de manière suffisante le risque que le requérant doive faire face à des inconvénients, s’il retourne en République islamique d’Iran.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément àl’article22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie, en l’espèce, n’a contesté ni le fait que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles, ni, en général, la recevabilité de la requête.

6.3Le Comité considère que la requête soulève des questions substantielles au titre de l’article 3 de la Convention qui doivent être examinées sur le fond. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant vers laRépublique islamique d’Iran constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République islamique d’Iran. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne. Le Comité relève en outre que, laRépublique islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une violation dans ce pays des droits qu’il tient de la Convention, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour obtenir une forme quelconque de protection.

7.4Le Comité fait référence à son observation générale no 4, dans laquelle il a indiqué que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il rappelle que, bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est « hautement probable », la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court un risque « prévisible, réel et personnel ». Le Comité rappelle également que, conformément à son observation générale no 4, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu de l’article 22 (par. 4) de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.5Dans le cas présent, le Comité relève que le requérant soutient craindre pour sa vie s’il retourne en République islamique d’Iran, parce qu’il a entretenu une relation intime avec la fille d’un mollah lié aux services secrets iraniens, en dépit du refus de ce dernier de donner son consentement au mariage de sa fille avec le requérant. Afin d’établir la crédibilité de ses motifs de fuite, le requérant s’appuie surun arrêt du tribunal révolutionnaire de Marvdasht daté du 5octobre 2016. Le Comité observe que les autorités suisses ont dûment examiné la forme et la substance du prétendu jugement des autorités iraniennes et, malgré les explications du requérant, ont exprimé des doutes non seulement à l’égard de l’aptitude dudit jugement à démontrer les faits allégués par le requérant, mais aussi à l’égard de l’authenticité de celui-ci. En particulier, le Comité note que les parties s’accordent sur le fait que ledit jugement ne fait pas mention d’une poursuite ou condamnation pour rapports intimes hors mariage, et qu’il ne contient ni disposition juridique concrète ni instructions directes. En outre, le Comité note que le requérant n’a pas contesté les affirmations de l’État partie selon lesquelles ledit jugement n’est pas un arrêt indépendant, mais une décision d’exécution d’un arrêt antérieur, et qu’il ne démontre pas, en tout cas, que ce jugement serait une décision partielle sur la question de la culpabilité et que le requérant risquerait, sur la base de cet arrêt, une peine d’emprisonnement.

7.6Le Comité prend également note du fait que, selon l’État partie, le requérant ne fait pas valoir, par le passé, avoir été soumis à la torture par les autorités iraniennes ou avoir exercé des activités politiques en République islamique d’Iran ou en Suisse.

7.7Le Comité est conscient que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran reste problématique à de nombreux égards. Néanmoins, il rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante, en soi, pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’y être torturé. Le Comité note également que le requérant a eu amplement la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs devant le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral. Toutefois, les éléments apportés n’ont pas permis de confirmer le récit du requérant et d’établir l’existence d’un risquepersonnel, prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture en cas de retour dans son pays d’origine.

7.8Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que le requérant n’a pas apporté la preuve que sa prétendue relation extraconjugale en République islamique d’Iran aurait attiré l’intérêt des autorités de son pays d’origine, et conclut que les informations fournies ne démontrent pas qu’il risquerait personnellement d’être torturé ou de subir des traitements inhumains ou dégradants s’il retournait en République islamique d’Iran.

8.Dans ces circonstances, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi durequérant vers la République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article3 de la Convention.