Nations Unies

CAT/C/71/D/834/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

13 septembre 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 834/2017 * , **

Communication p résentée par :

S. R. (représenté par un conseil, Rabinderei Savitri Nandoe)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

31 mai 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 juillet 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est S. R., de nationalité sri-lankaise, né en 1977. Il affirme qu’en l’expulsant vers Sri Lanka, les Pays-Bas violeraient les droits qui lui sont reconnus par l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 21 décembre 1988. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 18 juillet 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas demander la mise en œuvre des mesures provisoires visées à l’article 114 de son règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant travaillait comme chauffeur de taxi à l’aéroport international Bandaranaike, situé à Katunayaka, à la périphérie de Colombo ; il utilisait pour cela sa propre camionnette. Le 20 novembre 2010, il conduisait trois clients tamouls du quartier de Kotahena à l’aéroport quand il a été arrêté par l’armée sri‑lankaise à un poste de contrôle de l’aéroport. Le requérant a été arrêté en raison des liens qu’il entretenait avec trois combattants présumés des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Il affirme avoir été frappé et maltraité par les membres de l’armée sri-lankaise qui l’ont interrogé sur ses liens avec les trois membres des LTTE qu’il transportait.

2.2Le requérant et ses trois clients ont été poussés dans un fourgon, les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Lorsque le fourgon s’est immobilisé, le requérant a été tiré hors du véhicule et placé dans une pièce. Le lendemain, des militaires armés en civil sont entrés dans la pièce et ont poursuivi l’interrogatoire, accusant le requérant de transporter des militants pour les aider à fuir le pays. Les militaires ont frappé le requérant à la tête avec leur arme. Le jour suivant, le requérant a à nouveau été interrogé et battu, cette fois avec une batte de cricket et un tube en polychlorure de vinyle (PVC) jusqu’à ce qu’il perde connaissance.

2.3Le 16 décembre 2010, le requérant a été libéré après qu’un ami eut payé un pot‑de‑vin de 700 000 roupies sri-lankaises. Ce même ami l’a accueilli chez lui et lui a fait savoir que son domicile avait été fouillé pendant qu’il était en détention, que sa libération avait été organisée illégalement et qu’il ne pouvait donc pas rentrer chez lui en toute sécurité. Une semaine plus tard, avec l’aide d’un passeur, le requérant a pu quitter le pays, muni d’un faux passeport. Il a pris l’avion pour le Qatar, puis pour la Roumanie, d’où il a été conduit en voiture jusqu’aux Pays-Bas.

2.4Le 10 janvier 2011, le requérant est entré aux Pays-Bas et, le 8 mars 2011, il a demandé l’asile. Sa demande d’asile a été rejetée le 16 mars 2011 par le Service de l’immigration et de la naturalisation. Le même jour, le requérant a déposé une demande de contrôle juridictionnel auprès du tribunal de district de Zwolle.

2.5Le requérant affirme qu’en février 2011, après sa fuite de Sri Lanka, son domicile a fait l’objet d’une perquisition et qu’à l’issue de celle-ci sa femme et sa belle-mère ont été conduites au poste de police, où elles ont été interrogées. Il soutient que sa femme a été victime de harcèlement ce jour-là et que, depuis lors, elle vit cachée avec leurs enfants.

2.6Le requérant dit qu’il est un chrétien converti et qu’il assiste aux offices religieux dans une église d’Assen, où des Tamouls se rendent régulièrement. Sur place, le requérant a rencontré un compatriote, auquel il a raconté son histoire et expliqué les raisons de sa demande d’asile. Le requérant affirme que, selon son ancien conseil, ce compatriote s’est révélé être un agent infiltré du Département des enquêtes criminelles de la police sri‑lankaise, qui collaborait avec l’ambassade de Sri Lanka à La Haye. Le requérant craint par conséquent que les autorités sri-lankaises aient été informées de sa demande d’asile.

2.7Le 8 avril 2011, le tribunal de district de Zwolle a estimé que le recours en révision du requérant était fondé. Le 15 avril 2011, le Ministre de l’immigration a formé un recours contre cette décision auprès de la chambre administrative du Conseil d’État. Le 20 septembre 2011, la chambre administrative a jugé ce recours fondé, annulé la décision antérieure du tribunal de district et déclaré infondé le recours en révision introduit par le requérant devant le tribunal de district.

2.8Le requérant affirme qu’en raison des actes de torture qu’il a subis en détention à Sri Lanka, il souffre de vives douleurs à la cheville, au dos et aux bras, et a dû subir une opération chirurgicale à la cheville en janvier 2012. Il affirme que ses cicatrices résultent d’actes de torture, comme il l’a indiqué dans le cadre de la procédure d’asile, et qu’il présente des symptômes de troubles post-traumatiques. Le 16 novembre 2012, le Service de l’immigration et de la naturalisation a rejeté la deuxième demande de permis de séjour temporaire soumise par le requérant pour raisons médicales. Le requérant a déposé une demande de contrôle juridictionnel auprès du tribunal de district de Zwolle. Le 5 décembre 2012, un juge a accédé à la demande de mesure provisoire du requérant, interdisant son expulsion avant la fin du contrôle juridictionnel. Le 3 septembre 2014, le tribunal de district a déclaré la demande de contrôle juridictionnel fondée ; il a toutefois estimé que les conséquences juridiques de la décision du 16 novembre 2012 du Service de l’immigration et de la naturalisation continuaient de s’appliquer.

2.9Le 12 décembre 2014, la chambre administrative du Conseil d’État a examiné le recours du requérant et l’a déclaré manifestement dénué de fondement.

2.10Enfin, les troisième et quatrième demandes de permis de séjour temporaire au titre de l’asile déposées par le requérant ont été rejetées respectivement les 13 janvier 2015 et 31 janvier 2017.

2.11Le requérant affirme qu’en août 2016, il a décidé de rentrer dans son pays. Dans ce contexte, il s’est rendu à l’ambassade de Sri Lanka à La Haye pour obtenir des documents de voyage. Il dit avoir dû fournir des informations détaillées sur les membres de sa famille et sur les entretiens qu’il avait eus avec le Service de l’immigration et de la naturalisation dans le cadre de la procédure d’asile. Le requérant déclare avoir changé d’avis et décidé de ne pas retourner à Sri Lanka, où il risquait d’être soumis à la torture ou à de mauvais traitements. Il dit avoir été arrêté par les autorités de l’État partie peu après sa visite à l’ambassade.

2.12Le 10 avril 2017, le requérant a été remis en liberté ; il est alors entré dans la clandestinité.

2.13Le requérant dit avoir épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient que, comme il a déjà été arrêté en raison de ses liens présumésavec trois membres des LTTE, il serait exposé à un risque réel de traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé à Sri Lanka.

3.2Le requérant affirme qu’il fait partie d’un groupe de personnes qui risquent d’être torturées par les autorités sri‑lankaises en cas de renvoi pour les raisons suivantes : il est un jeune homme d’origine tamoule ; il a des cicatrices et des blessures apparentes ; il a quitté Sri Lanka illégalement et y retournera avec un passeport provisoire en provenance d’un pays où des fonds ont été recueillis au profit des LTTE ; il a déjà été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE ; il a demandé l’asile aux Pays-Bas, où il a assisté aux célébrations de la Journée des héros, qui étaient organisées par les LTTE.

3.3Le requérant affirme également que le Service de contrôle des frontières du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada ont tous deux signalé que les personnes portant des cicatrices visibles faisaient l’objet, à leur arrivée à Sri Lanka, d’enquêtes menées par les autorités en vue de permettre d’établir leurs liens avec les LTTE. Le requérant ajoute que, selon le rapport de l’International Truth and Justice Project, les violations commises depuis la fin de la guerre par les forces de sécurité sri‑lankaises visent à terroriser et à déstabiliser les membres de la communauté tamoule. Le Gouvernement sri-lankais contribue activement à la persistance de ces mauvais traitements et ne demande pas aux forces de sécurité de lui rendre des comptes.

3.4Se référant au rapport de Freedom from Torture, le requérant affirme que la grande majorité des personnes placées en détention et soumises à la torture à Sri Lanka sont des Tamouls ayant des liens réels ou supposés avec les LTTE. D’après ce rapport, bon nombre de personnes découvrent que certains de leurs amis, connaissances, collègues et employeurs sont associés d’une manière ou d’une autre aux LTTE alors qu’elles sont elles‑mêmes détenues et interrogées. Les autorités ont tendance à considérer qu’un individu est coupable d’avoir entretenu des liens avec les LTTE, même lorsqu’il n’a fait que rendre de simples services, à son insu, à des membres de cette organisation. Le requérant soutient que plusieurs autres organisations ont fait part de leurs préoccupations quant au fait que les Tamouls qui revenaient de l’étranger risquaient d’être arrêtés parce qu’on les soupçonnait d’être liés aux LTTE.

3.5Le requérant affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation par les Pays-Bas de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 18 janvier 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond et apporté des précisions sur les quatre procédures d’asile relatives aux demandes de permis de séjour temporaire au titre de l’asile déposées par le requérant. Il a également communiqué des informations sur les faits de l’espèce, la législation interne applicable, la situation générale des Tamouls et des anciens membres des LTTE, la politique des Pays-Bas concernant les demandeurs d’asile d’origine sri-lankaise et la jurisprudence pertinente.

4.2L’État partie affirme que le requérant n’a pas montré de façon convaincante que les autorités sri‑lankaises se sont un jour intéressées à lui ou s’intéressent encore à lui. Les facteurs de risque invoqués par le requérant ne permettent pas d’établir qu’il courrait un risque réel de torture à Sri Lanka. L’État partie estime, compte tenu des faits présentés par le requérant, que celui-ci n’a pas démontré qu’il existait un risque réel ou qu’il y avait une probabilité raisonnable que les autorités sri-lankaises le considèrent désormais comme une menace. Il n’a donc pas été établi de façon satisfaisante que le requérant serait soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention à son retour à Sri Lanka.

4.3L’État partie explique que les demandes d’asile déposées par des Tamouls sri‑lankais sont évaluées en fonction des facteurs de risque établis par la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier des facteurs suivants : a) le demandeur d’asile est un membre des LTTE connu des autorités sri-lankaises ou est soupçonné d’avoir pris part aux activités des LTTE ; b) il a un casier judiciaire ou fait l’objet d’un mandat d’arrêt ; c) il s’est évadé de prison ou a été libéré sous caution ; d) il a signé des aveux ou un document similaire ; e) les autorités sri-lankaises l’ont sollicité afin de le recruter comme informateur ; f) il a des cicatrices ; g) il est expulsé vers Sri Lanka de Londres ou d’autres endroits où des fonds sont recueillis au profit des LTTE ; h) il a quitté Sri Lanka illégalement ; i) il n’a pas de papiers d’identité ; j) les autorités sri-lankaises ont appris qu’il avait déposé une demande d’asile ; k) certains de ses proches appartiennent aux LTTE et les autorités sri-lankaises le savent.

4.4L’État partie affirme que toutes les précautions voulues ont été prises dans le cadre des procédures d’asile internes relatives au requérant et que l’article 3 de la Convention a été dûment pris en compte. L’État partie est convaincu que la demande d’asile du requérant a été examinée avec soin et compte tenu de la protection juridique offerte au plan national.

4.5L’État partie note que la situation des droits de l’homme à Sri Lanka est certes préoccupante mais que, compte tenu des informations provenant de diverses sources publiques, rien ne porte à croire que l’expulsion du requérant vers Sri Lanka comporterait en soi un risque de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Si la situation des Tamouls en général et des anciens membres des LTTE en particulier reste préoccupante, il n’y a aucune raison de penser que tous les Tamouls, qu’ils aient entretenu ou non des liens avec les LTTE dans le passé, seront soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à leur retour à Sri Lanka. Dans ce contexte, l’État partie soutient que le risque de torture doit être évalué sur la base d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Le risque doit être personnel et actuel, et le requérant doit prouver qu’il court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture.

4.6L’État partie fait observer que toutes les déclarations du requérant ont été soigneusement examinées et qu’il a été conclu que le récit fait par celui-ci à l’appui de sa demande d’asile ne saurait être considéré comme plausible. Bien que les informations factuelles fournies par le requérant, c’est-à-dire son état civil, son origine ethnique, sa religion et son travail en tant que chauffeur de taxi-minibus à Colombo, soient jugées crédibles, le reste de son récit, en particulier les déclarations qu’il a faites concernant son arrestation, sa libération et son départ par l’aéroport où il avait été arrêté, manque de crédibilité. L’État partie ajoute que, même si son arrestation et sa détention avaient été considérées comme plausibles, cela n’aurait en rien modifié les résultats de l’évaluation des risques auxquels il serait exposé à Sri Lanka.

4.7L’État partie ne juge pas crédibles les raisons invoquées par le requérant pour justifier son départ de Sri Lanka, en particulier l’allégation selon laquelle il aurait été détenu pendant un mois et soumis à la torture par les autorités sri-lankaises parce qu’il était soupçonné d’entretenir des liens avec les LTTE. L’État partie fait observer que, même s’il est probable que le requérant ait été arrêté et soumis à la torture, il n’a pas été démontré de manière satisfaisante que le requérant risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à son retour à Sri Lanka. L’État partie avance également quedes actes de torture qui auraient été subis dans le passé ne constituent pas nécessairement un risque actuel de torture et que le requérant doit démontrer qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était expulsé à l’heure actuelle.

4.8L’État partie relève en outre que les déclarations du requérant concernant son itinéraire et ses documents de voyage, son arrestation et les soupçons quant à son militantisme au sein des LTTE, sa détention et sa libération après le paiement d’une rançon, sa visite à l’ambassade et la situation de sa mère et de son épouse manquaient de crédibilité. Le requérant n’a produit aucun titre de voyage, billet d’avion ou autre élément qui permettrait d’attester l’itinéraire de voyage qu’il dit avoir emprunté. Il a donné des informations contradictoires aux différents stades de la procédure d’asile : il a d’abord dit avoir voyagé avec un faux passeport, puis avec les papiers d’une personne qui lui ressemblait. Il n’a pas présenté de passeport ni d’autres papiers d’identité à son arrivée en Roumanie, alors qu’il se trouvait dans un pays sûr, où il aurait pu déposer une demande de protection internationale. L’État partie ajoute qu’ensuite le requérant a choisi de ne pas remettre son passeport à un agent de voyage. Le fait qu’il n’ait pas présenté son passeport ou tout autre élément de preuve à l’appui de ses allégations concernant son itinéraire de voyage ne joue pas en sa faveur et nuit à la crédibilité de son récit.

4.9L’État partie juge invraisemblable que le requérant ait éveillé les soupçons pendant un contrôle de routine visant à identifier les personnes qui se trouvaient dans son minibus, simplement parce qu’il avait dit, par politesse, qu’il connaissait ses passagers. Le requérant n’a jamais mené d’activités pour le compte des LTTE, et n’était pas, ni n’est à l’heure actuelle, membre ou sympathisant de cette organisation. D’après ses déclarations, aucun membre de sa famille n’appartenait aux LTTE. Étant donné que, selon l’État partie, il est invraisemblable que le requérant ait été soupçonné, il est également peu plausible qu’il ait été détenu pendant un mois, interrogé et battu à plusieurs reprises par des militaires en raison de sa participation présumée aux activités des LTTE.

4.10L’État partie avance que les déclarations du requérant concernant sa détention et la torture subie étaient vagues, sommaires et contradictoires. Il trouve curieux que le requérant, qui avait été battu et souffrait d’une fracture de la cheville, n’ait pas consulté de médecin après sa remise en liberté le 16 décembre 2010. Le requérant ne s’est fait soigner qu’une fois arrivé aux Pays-Bas, alorsqu’il aurait pu le faire au moment de sa libération.

4.11L’État partie rappelle que le requérant dit avoir pu quitter Sri Lanka librement en passant par l’aéroport international Bandaranaike de Katunayaka (périphérie de Colombo). Il juge peu plausible la déclaration du requérant à ce sujet. Selon le rapport sur Sri Lanka qui a été publié en juin 2010 par le Ministère des affaires étrangères, les personnes qui se rendent à l’aéroport international doivent passer par un grand poste de contrôle fixe situé près de l’entrée. L’État partie ne voit pas comment le requérant aurait pu quitter Sri Lanka par cet aéroport sans encombre et sans être reconnu, alors qu’il s’y rendait en voiture trois fois par jour en moyenne depuis 1996 et qu’il avait été libéré contre rançon quelques jours auparavant, le 16 décembre 2010. Il est peu plausible que le requérant ait pris un tel risque, après avoir été arrêté au poste de contrôle de cet aéroport le 20 novembre 2010. En outre, à ce moment-là, il devait encore avoir du mal à marcher à cause des coups qu’il dit avoir reçus peu avant son départ, ce qui aurait certainement attiré l’attention sur lui.

4.12S’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle il aurait été en contact étroit avec un agent infiltré du Département des enquêtes criminelles de la police sri‑lankaise qui était espion à Assen, l’État partie affirme que cette question a été dûment examinée dans le cadre de l’une des procédures d’asile. Il soutient qu’avant de rejeter la demande d’asile du requérant, les autorités néerlandaises ont tenu compte, en exécution d’une décision de justice, des informations communiquées par le Service général de renseignement et de sécurité néerlandais concernant l’enquête menée par celui-ci sur les éventuelles activités d’espionnage d’un inspecteur présumé du Département des enquêtes criminelles de la police sri‑lankaise.

4.13En ce qui concerne la visite du requérant à l’ambassade de Sri Lanka, l’État partie fait observer que celui-ci a fait des déclarations contradictoires, qu’il a modifiées afin de constituer une nouvelle demande d’asile. Il trouve étrange que le requérant se soit rendu à l’ambassade et ait mentionné sa demande d’asile à un fonctionnaire alors qu’il craignait pour la sécurité de ses proches restés au pays ainsi que pour sa vie en cas de renvoi. Il convient également de noter que le requérant a été informé dans le cadre de chaque procédure d’asile que sa demande serait traitée confidentiellement et qu’aucune information ne serait communiquée à son pays d’origine. L’État partie ne voit pas pourquoi le requérant violerait la confidentialité de la procédure de son propre chef, en particulier compte tenu de sa crainte déclarée des autorités.

4.14S’agissant de la situation des membres de la famille du requérant, l’État partie note que celui-ci n’a pas été en mesure de communiquer des informations cohérentes sur les circonstances entourant la détention de sa mère et de son épouse par les autorités sri‑lankaises. L’État partie attire également l’attention sur le long délai écoulé entre la visite du requérant à l’ambassade de Sri Lanka et la persécution dont auraient été victimes les membres de sa famille. En outre, le requérant n’a pas produit l’acte de décès de sa mère ni n’a apporté le moindre élément permettant d’établir que le décès de celle-ci était lié à de mauvais traitements.

4.15Concernant le rapport médical produit par le requérant, l’État partie fait observer que les cicatrices, prises isolément, ne constituent pas des preuves suffisantes, bien qu’elles puissent servir à alimenter les soupçons. Cela étant, le rapport en question ne permet pas de conclure que les cicatrices du requérant résultent (ou devraient être considérées comme résultant) de coups. On ne saurait donc accorder à ce rapport l’importance que le requérant souhaite lui donner.

4.16L’État partie est convaincu que le simple fait que le requérant soit Tamoul et originaire de Sri Lanka ne suffit pas, à lui seul, à laisser penser que, s’il était expulsé des Pays‑Bas, pays où des fonds sont recueillis au profit des LTTE, sans carte nationale d’identité et muni d’un document de voyage temporaire, il risqueraitd’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. L’État partie souligne à ce propos que les autorités sri‑lankaises n’ignorent pas que bon nombre des personnes renvoyées à Sri Lanka avaient quitté le pays pour des raisons économiques.

4.17En ce qui concerne la participation du requérant aux célébrations de la Journée des héros organisées aux Pays-Bas par les LTTE, l’État partie estime que le requérant n’a pas démontré de manière convaincante que les autorités sri-lankaises avaient eu connaissance de sa participation mais que, même si c’était le cas, les activités en question étaient trop insignifiantes pour que le requérant soit considéré comme un militant.

4.18L’État partie conclut qu’il n’a pas été démontré de manière convaincante que le requérant serait soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à son retour à Sri Lanka. La communication est donc entièrement dénuée de fondement et la décision de renvoyer le requérant à Sri Lanka ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Le 31 janvier 2019, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie et a maintenu que les Pays-Bas violeraient l’article 3 de la Convention s’ils le renvoyaient à Sri Lanka.

5.2Le requérant réaffirme qu’il a été arrêté par les autorités sri-lankaises le 16 novembre 2010 et accusé de transporter des insurgés et de les laisser fuir le pays. Il soutient que ses proches ont été détenus et soumis à de mauvais traitements par les autorités en raison de ses activités.

5.3Le requérant n’a apporté aucun élément nouveau et a fait référence à de nombreux rapports sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, notamment sur les mauvaises conditions de détention et les traitements dégradants infligés aux détenus dans le pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif.

6.3Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité demeure vivement préoccupé par les informations concordantes qui continuent de lui parvenir selon lesquelles les agents de l’État sri-lankais, notamment les militaires et les policiers, continuent d’avoir couramment recours à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants dans de nombreuses régions du pays depuis la fin du conflit en mai 2009. Il rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), dont il ressort que l’obligation de non‑refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle aussi que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel » (par. 11). Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) les actes de torture subis antérieurement ; d) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; e) la fuite clandestine du pays d’origine comme suite à des menaces de torture (par. 45).

7.5Le Comité rappelle également que c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la requête. Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations et apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

7.6En l’espèce, le requérant affirme qu’il sera placé en détention et torturé à Sri Lanka pour les raisons suivantes : il est un jeune Tamoul ; il a des cicatrices et des blessures apparentes ; il a quitté Sri Lanka illégalement et y retournera sans carte nationale d’identité en provenance d’un pays où des fonds ont été recueillis au profit des LTTE ; il a déjà été détenu parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE ; il a demandé l’asile aux Pays-Bas, où il a également assisté aux célébrations de la Journée des héros, organisées par les LTTE. Le Comité prend note des arguments du requérant selon lesquels il a été arrêté le 20 novembre 2010 parce qu’il conduisait des membres des LTTE à l’aéroport international Bandaranaike, situé à Katunayaka, à la périphérie de Colombo, et a ensuite été torturé en raison de ses liens présumés avec le mouvement de résistance. Le 24 décembre 2010, le requérant a été libéré après qu’une rançon a été payée par un ami de la famille, qui l’a également aidé à quitter Sri Lanka.

7.7Le Comité relève que, selon l’État partie, le requérant n’a pas présenté de preuves crédibles, ni démontré qu’il courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture par les autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka, et les griefs du requérant ont été soigneusement examinés par les autorités et juridictions nationales compétentes, conformément à la législation interne et compte tenu de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka.

7.8Le Comité note que, lorsqu’il examine les demandes d’asile émanant de ressortissants sri-lankais, l’État partie évalue les arguments des demandeurs au regard des facteurs de risque associés à leurs liens présumés avec les LTTE. Le Comité note également que rien dans la présente communication ne montre que le requérant ou des membres de sa famille ont joué un rôle important au sein des LTTE ou ont déjà eu maille à partir avec les autorités sri-lankaises. Le Comité se réfère en outre aux observations de l’État partie selon lesquelles les autorités ont procédé à un examen approfondi de l’ensemble des éléments de preuve présentés par le requérant, y compris des rapports médicaux, et note à ce propos que, selon l’État partie, rien ne permet de conclure que les cicatrices du requérant ont été causées par des coups.

7.9S’agissant de la rencontre du requérant avec un agent du Département des enquêtes criminelles de la police sri-lankaiseaux Pays-Bas, le Comité note que les autorités compétentes de l’État partie ont examiné les risques potentiels et décidé que le renvoi du requérant à Sri Lanka ne serait pas contraire à l’article 3 de la Convention. Pour ce qui est de la participation du requérant à une manifestation organisée par les LTTE, le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels le requérant n’a pas montré de manière convaincante que les autorités sri-lankaises avaient connaissance de sa participation mais, même si elles étaient au courant, ces activités étaient trop insignifiantes pour conclure que le requérant était un militant. Le Comité note en outre que les difficultés rencontrées par les proches du requérant restés à Sri Lanka n’ont pas étédémontrées de manière convaincante.

7.10L’État partie avance que, dans le cadre des quatre procédures d’asile menées sur une période de six ans, le requérant a fait des déclarations contradictoires et n’a pas démontré de manière satisfaisante que les autorités sri-lankaises s’étaient un jour intéressées à lui, et que les facteurs de risque qu’il avait mentionnés ne permettaient pas de conclure qu’il courrait un risque réel de torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

7.11Le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations, et rappelle que c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables. Au regard de l’ensemble des éléments versés au dossier, y compris des informations concernant la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité considère que le requérant n’a pas produit d’éléments de preuve suffisants pour conclure qu’un renvoi à Sri Lanka l’exposerait personnellement à un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion du requérant vers Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.