Nations Unies

CAT/C/71/D/843/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 septembre 2021

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 843/2017 * , **

Communication présentée par :

O. N. (représentée par un conseil, de TRIAL International)

Victime(s) présumée(s) :

La requérante

État partie :

Burundi

Date de la requête :

18 juillet 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en vertu des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 20 septembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 juillet 2021

Objet :

Torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; absence d’enquête effective et de réparation

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes

Questions de fond :

Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; mesures visant à empêcher la commission d’actes de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; surveillance systématique quant à la garde et au traitement des personnes détenues ; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale ; droit de porter plainte ; droit d’obtenir une réparation

Article(s) de la Convention :

2 (par. 1), 11, 12, 13 et 14, lus conjointement avec les articles 1er et 16, et 16

1.La requérante est O. N., de nationalité burundaise, née le 18 février 1977. Elle affirme être victime de violations par l’État partie de ses droits protégés au titre des articles 2 (par. 1) et 11 à 14 de la Convention, lus conjointement avec l’article 1er et, subsidiairement, avec l’article 16, ainsi que de l’article 16 de la Convention lu seul. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 10 juin 2003. La requérante est représentée par un conseil de l’organisation TRIAL International.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1Le 8mars 2014, la requérante a été arrêtée alorsqu’elle tentait d’échapper à un assaut de policiers à la permanence de son parti, le Mouvement pour la solidarité et la démocratie. Elle s’y trouvait pour participer à une réunion avec d’autres membres du parti à Bujumbura. Ce jour-là, de nombreux policiers lourdement armés se sont présentés au siège du parti. Deux agents de police ont réussi à s’infiltrer dans les locaux de la permanence sans mandat, mais ont été désarmés et neutralisés par les militants. Ensuite, les autres policiers ont lancé des grenades et les membres du parti ont commencé à courir dans tous les sens à la recherche d’un abri. La requérante a quitté la permanence et s’est cachée avec d’autres membres du parti dans une maison voisine qui était en chantier. Plusieurs tentatives de médiation ont été menées par les représentants de la société civile afin d’obtenir la libération des deux policiers, mais les négociations entre le parti et la police ont échoué. Les policiers ont donc lancé l’assaut contre la permanence.

2.2La requérante et les autres membres du parti étaient encore cachés dans la maison en chantier, mais ont été découverts par les policiers, qui ont lancé une dizaine de grenades lacrymogènes dans la maison. Lors de l’assaut, la requérante a reçu de nombreux coups infligés par la police à l’aide de crosses de fusils et de matraques, ainsi que des coups de pied à la tête, au dos et au ventre.Elle a également été dépouillée de l’argent qu’elle avait en sa possession et de son téléphone. Alors qu’elle saignait de la tête, du cou, des bras et des autres parties du corps qui avaient été atteintes par les coups des policiers, la requérante a été gardée par la police, en compagnie d’autres victimes, devant la permanence du parti pendant plus de deux heures.

2.3Le personnel de la Croix-Rouge du Burundi a demandé à s’occuper de la requérante pour lui prodiguer des soins, mais les policiers l’en ont empêché. Vers 21heures, la requérante a été conduite avec les autres blessés au Service national de renseignement situé à Rohero, où elle a été insultée et intimidée. Le commissaire de police G. N. a grossièrement insulté la requérante et les autres femmes et leur a demandé quel était leur revenu journalier dans le commerce du sexe. Vers 22heures, par suite des pressions exercées par une organisation de la société civile que la requérante n’a pas pu identifier, cette dernière a enfin été conduite à la clinique Prince-Louis-Rwagasore.

2.4À la clinique, quatre agents de la Brigade de recherche et d’intervention judiciaire étaient postés jour et nuit devant la chambre de la requérante. Elle n’a pas pu recevoir de visites de sa famille lors de son premier jour à l’hôpital. Ce n’est que le lendemain, le 9mars 2014, que sa famille a pu lui rendre visite, grâce aux pressions exercées par des organisations de la société civile et aux messages relayés par les médias. Au cours de ces visites, les policiers étaient toujours présents.

2.5La requérante n’a pas reçu de soins appropriés car le personnel soignant ne s’occupait pas bien d’elle, par peur des représailles de la police qui le contrôlait constamment. Ce n’est que le 17mars 2014 que la requérante a pu obtenir l’autorisation de passer des radiographies dans un autre hôpital. Malgré les demandes qu’il a présentées les30mars et 15décembre 2015, l’avocat de la requérante n’a jamais reçu copie des éléments de son dossier médical, notamment la fiche d’hospitalisation, les éventuels examens réalisés et le billet de sortie qui auraient été utiles dans le cadre des procédures judiciaires que la requérante souhaitait entamer.

2.6Le 21mars 2014, le Procureur de la République de Bujumbura s’est rendu à l’hôpital et a présenté à la requérante un mandat d’arrêt en son nom, sans pourtant lui en donner une copie, et l’a informée de son arrestation. La requérante a été obligée de sortir de l’hôpital −en fauteuil roulant−et a été amenée devant le Parquet de la République de Bujumbura, où elle a été interrogée et détenuedans un cachot pendant des heures, malgré les blessures profondes et visibles qui étaient les siennes, avant d’être transférée à la prison centrale de Mpimba. Pendant l’interrogatoire, la requérante n’a pas eu accès à un avocat.

2.7Au cours de sa détention en prison, la requérante a été obligée de partager un lit minuscule avec une autre détenue, dans une pièce qui abritait 46autres femmes. La nourriture était insuffisante et de qualité médiocre, ce qui,associé à la surpopulation carcérale, favorisait la propagation de maladies contagieuses et a en conséquence causé de graves problèmes de santé à la requérante.

2.8La requérante est restée en détention dans la prison de Mpimba jusqu’au 12juin 2015, date à laquelle elle a pu être amenée aux urgences, en raison de ses graves problèmes de santé, grâce à l’intervention de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues et du Comité international de la Croix-Rouge. La requérante a été hospitalisée jusqu’au 24juin 2015, notamment pourétablir un traitement pour diabète, maladie qu’elle n’avait pas avant sa mise en détention.

2.9Le 24juin 2015, la requérante a quitté l’hôpital afin de fuir le Burundi. Le 9juillet 2015, elle a obtenu le statut de réfugiée au Rwanda. Le 15février 2016, elle a été condamnée par le tribunal de grande instance de Bujumbura à trois ans et six mois de détention pour rébellion.

2.10La requérante a dénoncé les tortures subies au cours de la procédure engagée contre elle, mais aussi par l’intermédiaire d’une plainte formelle déposée le 14 mars 2014 au Parquet général de la République à Bujumbura, au nom de la requérante et d’autres membres du Mouvement pour la solidarité et la démocratie qui avaient subi le même traitement. Malgré de nombreuses démarches, les autorités n’ont donné aucune suite aux dénonciations présentées. Aucune enquête n’a été menée par les autorités burundaises, et la requérante n’a jamais été entendue ou même appelée au sujet des actes de torture qu’elle a subis et qui étaient pourtant largement connus. Dans une conférence de presse du 9 mai 2014, les avocats ayant signé la plainte ont dénoncé le fait que deux mois après la présentation de celle-ci, le Procureur n’avait pas encore entamé l’instruction du dossier et que les victimes avaient été obligées de sortir de l’hôpital avant leur rétablissement complet. L’affaire dans laquelle la requérante a été impliquée a eu un très fort retentissement médiatique, au niveau tant national qu’international. De plus, les responsables de ces violations, bien qu’ils soient identifiés expressément dans la plainte, n’ont jamais été sanctionnés par l’État partie.

2.11Outre le refus manifeste des autorités d’établir les responsabilités dans cette affaire, la requérante relève le climat général d’impunité au Burundi, notamment pour les actes de torture, lequel a fait l’objet de nombreux rapports d’organismes des Nations Unies. En outre, dans ses conclusions sur le rapport initial du Burundi adoptées le 20 novembre 2006, le Comité a exprimé ses préoccupations quant à la situation de dépendance de fait du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif. Ensuite, dans ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burundi, le Comité s’est dit préoccupé par la faiblesse et la lenteur des enquêtes ouvertes et des poursuites engagées corroborant ainsi des allégations d’impunité prévalant à l’égard des responsables d’actes de torture et d’exécutions extrajudiciaires impliquant notamment la Police nationale du Burundi et le Service national de renseignement. Enfin, dans ses observations finales d’août 2016 concernant le rapport spécial du Burundi, le Comité a affirmé que le Burundi devrait mettre un terme à l’impunité et veiller à ce que tous les cas et allégations de torture et de mauvais traitements donnent rapidement lieu à une enquête efficace et impartiale.

2.12La requérante fait en conséquence valoir ce qui suit : a) les voies de recours internes disponibles ne lui ont donné aucune satisfaction, les autorités n’ayant pas réagi à ses dénonciations alors qu’elles auraient dû ouvrir une enquête pénale sur la base de ses allégations ; b) ces voies de recours ont excédé les délais raisonnables, puisque trois ans et quatre mois après la dénonciation des actes de torture en date du 14 mars 2014, aucune enquête n’avait été ouverte ; et c) il était dangereux pour elle d’entreprendre d’autres démarches, car elle avait fui le Burundi avec sa famille alors qu’elle devait encore être en détention et car les personnes responsables des faits de torture étaient des policiers et des proches du Gouvernement en place.

Teneur de la plainte

3.1La requérante prétend être victime de la violation par le Burundi de ses droits protégés par les articles 2 (par. 1) et11 à 14, lus conjointement avec l’article1er et, subsidiairement, avec l’article16 de la Convention, ainsi que de l’article 16 de la Convention lu seul.

3.2Selon la requérante, les sévices qui lui ont été infligés ont provoqué des douleurs et des souffrances aiguës, qui ont encore un impact aujourd’hui sur sa santé tant physique que psychologique. Parmi les séquelles des actes de torture subis en mars 2014, la requérante souffre de douleurs physiques, mais aussi d’anxiété, d’insomnie, d’hallucinations et de troubles dépressifs. Le but des policiers qui l’ont violemment battue était bien de provoquer une telle souffrance : ils l’ont frappée sur les zones les plus sensibles pour une femme, comme le dos, les reins et les seins. De plus, elle s’est vu refuser l’accès aux soins du personnel de la Croix-Rouge se trouvant sur place, et au lieu d’être amenée d’urgence à l’hôpital pour recevoir le traitement médical dont elle avait visiblement besoin, elle a été conduite au Service national de renseignement, où elle a été insultée et intimidée. Ces actes de torture infligés par les membres de la Police nationale visaient à l’intimider, à la punir et à faire pression sur elle en raison de son appartenance politique. La requérante maintient donc que ces sévices constituent des actes de torture au sens del’article1er de la Convention.

3.3Au titre de l’article2 (par. 1) de la Convention, la requérante fait valoir que l’État partie n’a pas pris de mesures efficaces pour prévenir la commission d’actes de torture sous sa juridiction. En particulier, tout au long de sa détention, la requérante n’a pas reçu de soins appropriés. Au contraire, la présence des agents de police à l’hôpital et les conditions insalubres de la prison de Mpimba ont contribué à la dégradation de son état de santéphysique et psychologique. La requérante n’a eu accès à un avocat que lors de l’audience en chambre de conseil du 25avril 2014, soit plus d’un mois et demi après son arrestation, sans avoir été assistée lors de l’interrogatoire au parquet en date du 21mars 2014. Ensuite, malgré les dénonciations et une plainte formelle présentées par la requérante, l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations d’enquêter sur les tortures infligées et de traduire en justice les responsables de ces actes. Enfin, la requérante souligne qu’en droit burundais, hormis lorsqu’ils sont commis dans le contexte de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou du crime de génocide, les actes de torture sont soumis à un délai de prescription de vingt ou trente ans selon les circonstances. En conséquence, la requérante soutient que l’État partie n’a pas adopté les mesures, notamment législatives, qui s’imposaient au titre de l’article 2 (par. 1) de la Convention.

3.4Invoquant l’article11 de la Convention et la pratique du Comité, la requérante fait valoir que malgré son état critique au moment de l’arrestation, elle n’a pas reçu de soins appropriés. Elle a été arrêtée sans être informée des chefs d’accusation retenus contre elle ; elle n’a pas bénéficié de voies de recours efficaces pour contester les actes de torture ; et elle a été détenue dans des conditions déplorables à la prison de Mpimba, malgré son état de santé critique.

3.5Par ailleurs, la requérante fait valoir qu’alors qu’elles étaient informées des tortures qu’elle avait subies par l’intermédiaire d’une plainte déposée le 14 mars 2014 ainsi que des dénonciations faites lors de l’audience du 25 avril 2014, les autorités burundaises n’ont pas effectué d’enquête prompte et effective sur les allégations de torture, en violation de l’obligation imposée par l’article 12 de la Convention. Elle allègue également que l’État partie n’a pas respecté son droit de porter plainte en vue de l’examen immédiat et impartial des faits allégués, contrevenant ainsi à l’article 13 de la Convention.

3.6En privant la requérante d’une procédure pénale, l’État partie l’a privée par la même occasion de toute voie de recours pour obtenir une indemnisation par suite de crimes graves tels que la torture. En outre, elle n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation après les tortures subies, avec pour objectif sa réadaptation la plus complète possible, sur les plans physique, psychologique, social et financier. Au regard de la passivité des autorités judiciaires, d’autres recours, notamment pour obtenir réparation au moyen d’une action civile en dommages et intérêts, n’ont objectivement aucune chance de succès. Peu de mesures d’indemnisation des victimes de torture ont été prises par les autorités burundaises, ce qui avait été relevé par le Comité dans ses observations finales concernant le rapport initial du Burundi, en 2006. En 2014, tout en notant que le nouveau Code de procédure pénale burundais prévoyait une indemnisation pour les victimes de tortures, le Comité a exprimé sa préoccupation sur le manque d’application de cette disposition en violation de l’article 14 de la Convention. Enfin, en 2016, le Comité a réitéré l’obligation de l’État partie de garantir l’accès des victimes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants à des réparations adéquates. Ainsi, les autorités burundaises n’ont pas respecté leurs obligations en vertu de l’article 14 de la Convention car, d’une part, les violations perpétrées contre la requérante restent impunies du fait de la passivité de l’État et, d’autre part, la requérante n’a reçu aucune indemnisation et n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation.

3.7La requérante réitère que les violences qui lui ont été infligées sont des actes de torture, conformément à la définition de l’article 1er de la Convention. Si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, elle maintient que les sévices qu’elle a endurés constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et de réprimer leur commission, leur instigation ou leur tolérance par des agents étatiques, en vertu de l’article 16 de la Convention. En outre, elle rappelle les conditions de détention qui lui ont été imposées dans les cachots du Service national de renseignement et au sein de la prison centrale de Mpimba. La requérante se réfère de nouveau aux observations finales du Comité concernant le rapport initial du Burundi, dans lesquelles celui-ci avait considéré les conditions de détention au Burundi comme assimilables à un traitement inhumain et dégradant. Enfin, la requérante rappelle qu’elle n’a reçu aucun soin médical durant sa détention, malgré son état critique, et conclut que les conditions de détention auxquelles elle a été exposée sont constitutives d’une violation de l’article 16 de la Convention.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Le 20 septembre 2017 ainsi que les 19 juin, 15 novembre et 17 décembre 2019, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse et regrette l’absence de collaboration de l’État partie pour partager ses observations sur la présente plainte. Il rappelle que l’État partie concerné est tenu, en vertu de la Convention, de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de la requérante qui ont été dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée parune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond des griefs présentés par la requérante au titre des articles 1er, 2 (par. 1), 11 à 14 et 16 de la Convention.

Examen au fond

6.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties. L’État partie n’ayant fourni aucune observation sur le fond, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de la requérante.

6.2Le Comité note l’allégation de la requérante selon laquelle elle a été battue par des policiers, qui lui ont administré des coups violents sur tout le corps avec les crosses de leurs fusils et leurs matraques, ainsi que des coups de pied à la tête, au dos et au ventre. Le Comité note également : a) que les policiers ont gardé la requérante devant la permanence du Mouvement pour la solidarité et la démocratie pendant plus de deux heures alors qu’elle saignait de la tête, du cou, des bras et des autres parties du corps qui avaient été atteintes par les coups des policiers ;b) que les policiers n’ont pas permis au personnel de la Croix‑Rouge du Burundi de s’occuper de la requérante pour lui prodiguer des soins ; c) qu’au lieu d’être conduite à l’hôpital, la requérante a été conduite au Service national de renseignement, où elle a été insultée et intimidée ; et d) que ce n’est que par suite de pressions exercées par une organisation de la société civile que la requérante a été conduite à l’hôpital. Le Comité note en outre que l’hôpital n’a pas donné suite aux demandes de l’avocat de la requérante de lui fournir son dossier médical afin de pouvoir présenter des preuves aux autorités des sévices qu’elle avait subis. Le Comité prend également note des allégations de la requérante selon lesquelles les coups reçus lui ont occasionné des douleurs et des souffrances aiguës, ycompris des souffrances morales et psychologiques, et lui auraient été infligés intentionnellement par des agents étatiquesdans le but de la punir et de l’intimider.Le Comité note aussi que ces faits n’ont été contestés à aucun moment par l’État partie. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils sont présentés par la requérante, sontconstitutifs de torture au sens de l’article 1er de la Convention.

6.3La requérante invoque également l’article 2 (par. 1) de la Convention, en vertu duquel l’État partie aurait dû prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes constitutifs de torture soient commis sur l’ensemble du territoire sous sa juridiction. À cet égard, le Comité rappelle ses conclusions et recommandations concernant le rapport initial du Burundi, dans lesquelles il a exhorté l’État partie à prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires effectives pour prévenir tout acte de torture et tout mauvais traitement, et à prendre des mesures urgentes pour que tout lieu de détention soit sous autorité judiciaire afin d’empêcher ses agents de procéder à des détentions arbitraires et de pratiquer la torture. Dans le cas présent, le Comité prend note des allégations de la requérante selon lesquelles elle a été battue par des policiers, puis détenue sans mandat d’arrêt, sans base légale, et sans avoir la possibilité d’entrer en contact avec un défenseur pendant plus d’un mois et demi, demeurant soustraite à la protection de la loi. Le Comité note également que l’État partie n’a pris aucune mesure pour protéger la requérante jusqu’à ce que des organisations non gouvernementales interviennent pour la soutenir. Finalement, les autorités étatiques n’ont pris aucune mesure pour enquêter sur les actes de torture subis par la requérante et prendre les sanctions qui s’imposaient, et ce, malgré les plaintes qu’elle avait présentées à cet égard à plusieurs reprises. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 1er de la Convention.

6.4Le Comité note également l’argument de la requérante selon lequel l’article 11 de la Convention aurait été violé, car l’État partie n’a pas exercé la surveillance nécessaire quant au traitement qui lui a été réservé durant sa détention. Elle allègue, en particulier, ce qui suit : a) malgré son état critique au moment de l’arrestation, elle n’a pas reçu de soins appropriés ; b) elle n’a eu accès à un avocat qu‘un mois et demi après son arrestation, sans avoir été assistée lors de l’interrogatoire au parquet en date du 21 mars 2014 ; c) elle a été arrêtée sans être informée des chefs d’accusation retenus contre elle ; d) elle n’a pas bénéficié de voies de recours efficaces pour contester les actes de torture ; et e) elle a été détenue dans des « conditions déplorables » à la prison de Mpimba, malgré son état de santé critique. Le Comité rappelle ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burundi, dans lesquelles il s’est dit préoccupé par la durée excessive de la garde à vue, les nombreux cas de dépassement du délai de garde à vue, la non-tenue et tenue incomplète des registres d’écrou, le non-respect des garanties juridiques fondamentales des personnes privées de liberté, l’absence de dispositions prévoyant l’accès à un médecin et à l’aide juridictionnelle pour les personnes démunies, et le recours abusif à la détention préventive en l’absence d’un contrôle régulier de sa légalité et d’une limite à sa durée totale. En l’espèce, la requérante semble avoir été privée de tout contrôle judiciaire. En l’absence d’information probante de la part de l’État partie susceptible de démontrer que la détention de la requérante a en effet été placée sous sa surveillance, le Comité conclut à une violation de l’article 11 de la Convention.

6.5S’agissant des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité prend note des allégations de la requérante selon lesquelles,le 8 mars 2014, elle a été battue par des agents de police lors d’une intervention à la permanence du Mouvement pour la solidarité et la démocratie. Bien qu’elle ait déposé une plainte le 14 mars 2014 devant le Procureur général de la République à Bujumbura et dénoncé les tortures subies devant le juge lors d’une audience en chambre de conseil qui s’est tenue le 25 avril 2014,aucune enquête n’avait été menée presque six ans après les faits. Le Comité considère qu’un tel délai avant l’ouverture d’une enquête sur des allégations de torture est manifestement abusif. À cet égard, il rappelle l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 12 de la Convention, qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale d’office chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’espèce, le Comité constate donc une violation de l’article 12 de la Convention.

6.6N’ayant pas rempli cette obligation, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui incombait, au titre de l’article 13 de la Convention, de garantir à la requérante le droit de porter plainte,qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale. Le Comité conclut que l’article13 de la Convention a également été violé.

6.7S’agissant des allégations de la requérante au titre de l’article14 de la Convention, le Comité rappelle que cette disposition reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de tortureobtienne réparation. Le Comité rappelle que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non‑répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire.En l’espèce, en l’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartiale, malgré l’existence de preuves matérielles manifestes indiquant que la requérante a été victime d’actes de torture −restés impunis −,le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article14 de la Convention.

6.8Pour ce qui est du grief tiré de l’article 16 de la Convention, le Comité a pris note des allégations de la requérante, selon lesquelles elle a été détenue du 21 mars 2014 au 12 juin 2015 à la prison centrale de Mpimba, caractérisée par un état d’insalubrité et de surpopulation constitutif de traitement inhumain et dégradant. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que les faits de l’espèce révèlent une violation par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 16 de la Convention.

7.Le Comité, agissant en vertu de l’article22 (par. 7) de la Convention, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation desarticles 2 (par.1) et11 à 14, lus conjointement avec l’article1er, et de l’article16 de la Convention.

8.Dans la mesure où l’État partie n’a pas répondu aux demandes du Comité de soumettre des observations sur la présente plainte, refusant par là même de coopérer avec le Comité et l’empêchant d’examiner effectivement les éléments de la plainte, le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, décide que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie de l’article 22 de la Convention.

9.Conformément àl’article118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à lancer une enquête impartiale sur les événements en question, dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé à la victime, et à l’informer, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus, notamment une indemnisation adéquate et équitable, qui comprenne les moyens nécessaires à la réadaptation la plus complète possible de la victime.