NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE

CAT/C/28/D/164/200022 janvier 2003

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTUREVingt‑huitième session(29 avril‑17 mai 2002)

DÉCISION

Requête n o 164/2000

Présentée par:Mme L.M.T.D.

Au nom de:Mme L.M.T.D.

État partie:Suède

Date de la requête:22 mars 2000

Date de la présente décision:15 mai 2002

[Annexe]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE EN VERTU DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Vingt ‑huitième session

concernant la

Requête n o 164/2000

Présentée par:Mme L.M.T.D.

Au nom de:Mme L.M.T.D.

État partie:Suède

Date de la requête:22 mars 2000

Date de la présente décision:15 mai 2002

Le Comité contre la torture, institué conformément à l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 15 mai 2002,

Ayant achevé l’examen de la requête no 164/2000, présentée au Comité en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante et l’État partie,

Adopte la décision suivante en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1La requérante est L. M. T. D, de nationalité vénézuélienne, qui réside actuellement en Suède. Elle affirme que son renvoi au Venezuela à la suite du rejet de sa demande d’asile politique constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante a occupé la charge de procureur des mineurs, qui relève du parquet général de la République (Fiscalía General) de 1988 à 1997. Elle était notamment chargée de régulariser l’inscription des enfants sur les registres de l’état civil afin que les enfants puissent obtenir ensuite leur carte d’identité. Cette procédure était soumise à l’autorisation préalable d’une juridiction civile.

2.2En 1995, la requérante a découvert que quelques citoyens d’origine chinoise avaient obtenu des cartes d’identité et des passeports vénézuéliens en présentant de faux documents comme des copies de jugements et de publications judiciaires, qui portaient la signature et le cachet de la requérante elle‑même, en plus du cachet du tribunal civil. La requérante a informé le Fiscal General de la République de ces irrégularités afin que celui‑ci ouvre une enquête pour déterminer qui était responsable de la falsification. Le 22 février 1995, la requérante a déposé une plainte devant la quinzième juridiction pénale de première instance de Caracas. En 1996, elle a demandé une vérification personnelle du juge ou une perquisition à l’Office national d’identification (Oficina Nacional de Identificación – ONI) ainsi qu’aux archives de la Direction des étrangers (Dirección de Extranjería – DEX) où elle avait découvert la fraude. L’inspection n’a jamais eu lieu parce que, d’après la requérante, les directeurs des deux organismes étaient liés avec le parti politique Convergencia, lequel recevait de fortes sommes d’argent pour que des personnes d’origine chinoise puissent avoir la nationalité vénézuélienne.

2.3En mars 1997, la requérante a été démise de ses fonctions à la Fiscalía General sans aucun motif mais a malgré tout poursuivi l’enquête. À partir de ce moment‑là elle a commencé à recevoir des menaces par téléphone et dans des lettres anonymes glissées sous sa porte. Sa fille a été victime d’une tentative d’enlèvement et son époux a été brutalement frappé à la tête et au dos à coups de crosse de pistolet. En outre, la requérante a été sommée de cesser l’enquête et d’arrêter de porter des accusations.

2.4En août 1997, à la suite des incidents décrits, la requérante a quitté Caracas avec sa famille pour s’installer à Maracaibo. En décembre 1997, sa voiture a été volée puis retrouvée incendiée. De plus elle a été harcelée par téléphone, s’entendant dire que si elle portait encore des accusations, ce serait elle qui serait accusée d’avoir fait les faux documents. Ces deux faits l’ont conduite à partir avec sa famille pour aller à Maracay, en janvier 1998. C’est alors que la famille a décidé de vendre tous ses biens et de quitter le pays pour se rendre en Suède.

2.5La requérante et sa famille ont déposé une demande d’asile politique en Suède le 19 mars 1998. Le service suédois de l’immigration a rejeté la demande le 24 août 1998, faisant valoir que les faits ne justifiaient en aucune manière l’obtention du droit d’asile en Suède et qu’en outre la requérante aurait pu faire la preuve de son innocence par les voies légales. La requérante a attaqué la décision auprès de la Commission des étrangers, laquelle a confirmé la décision initiale le 3 mars 2000. Ensuite, elle a déposé une nouvelle requête auprès de la Commission des étrangers, qui l’a rejetée le 14 mars 2000.

Teneur de la requête

3.La requérante fait valoir qu’il existe des motifs suffisants de croire que si elle est renvoyée au Venezuela elle continuera d’être victime de persécutions et qu’elle sera traduite en jugement pour avoir dénoncé des hommes politiques corrompus, dans un système juridique où il n’existe aucun moyen lui permettant de faire la preuve de son innocence dans l’affaire des faux. Elle ajoute que les forces de sécurité continuent de faire subir aux personnes arrêtées des tortures et des mauvais traitements psychiques et physiques et qu’elle risque d’être arrêtée, toutes choses qui constituent une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations en date du 28 août 2000, l’État partie répond aux allégations de la requérante en ce qui concerne la recevabilité et le fond. Après un bref exposé de la législation suédoise en matière d’immigration, l’État partie explique que la requérante, née en 1958, est entrée en Suède avec son mari et ses enfants le 26 février 1998, en possession de passeports valables. Ils ont déposé une demande d’asile le 19 mars 1998 au motif qu’ils avaient été victimes de harcèlements à la suite d’un scandale lié à une affaire de corruption et qu’ils avaient peur de retourner au Venezuela. La demande a été rejetée le 24 août 1998 et la Commission des étrangers a rejeté leur recours le 3 mars 2000.

4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie affirme que la requête devrait être déclarée irrecevable ratione  materiae parce que la requérante n’a pas apporté de motifs suffisants pour que sa demande soit compatible avec la Convention, conformément au paragraphe 2 de l’article 22. L’État partie dit que d’après la requérante, si elle retourne au Venezuela elle sera arrêtée, jugée et condamnée à un emprisonnement, sans bénéficier des garanties d’un procès équitable. Or, objecte l’État partie, même si la requérante invoque l’article 3 de la Convention, elle n’a pas dit spécifiquement qu’elle serait victime de torture si elle retournait au Venezuela. Au contraire, elle a déclaré au fonctionnaire du service de l’immigration, que la police ne pratiquait pas la torture, quand il l’a interrogée sur les conditions dans les prisons au Venezuela. L’État partie affirme que les faits éventuels que la requérante redoute n’entrent pas dans le cadre de la définition de la torture donnée dans la Convention.

4.3En ce qui concerne le fond, l’État partie distingue la situation générale des droits de l’homme au Venezuela et la situation personnelle de la requérante si elle retournait au Venezuela.

a)En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme au Venezuela, l’État partie objecte que, même si elle continue de ne pas être très bonne dans certaines régions, il n’y a pas de raison d’affirmer qu’elle révèle un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il rappelle à ce sujet que, s’il est vrai que les rapports concernant les violations des droits de l’homme au Venezuela, comme le rapport du Département d’État des États‑Unis pour 1999, le rapport de Human Rights Watch pour 1999 et le rapport d’Amnesty International pour 2000 font état d’exécutions extrajudiciaires de la part des membres de l’armée et de la police ainsi que d’une augmentation des cas de tortures et de mauvais traitements infligés aux détenus, les femmes sont placées dans des centres de détention distincts, où les conditions sont meilleures que dans les prisons pour hommes. L’État partie affirme en outre que le Gouvernement Chávez a rétabli en février 1999 les articles de la Constitution garantissant l’interdiction de l’arrestation sans mandat ainsi que la liberté de déplacement. Enfin, l’État partie rappelle que les rapports mentionnés font état de tortures et indiquent que les forces de sécurité continuent de soumettre les détenus à des tortures et mauvais traitements physiques et psychiques. Toutefois, bien que la situation générale des droits de l’homme au Venezuela laisse beaucoup à désirer, en particulier en ce qui concerne les conditions carcérales, cela ne suffit pas à conclure qu’une personne renvoyée au Venezuela sera soumise à la torture.

b)Pour ce qui est de la situation personnelle de la requérante, l’État partie rappelle que, contrairement à de nombreuses autres personnes qui ont adressé des requêtes au Comité, la requérante n’a jamais appartenu à un parti ou une organisation politique. Sa plainte repose sur le fait qu’elle est soupçonnée à tort d’être impliquée dans une affaire de corruption, ce qui pourrait lui valoir d’être condamnée à une peine de prison si elle retournait au Venezuela, et sur les mauvaises conditions carcérales. La requérante n’a pas fait valoir non plus qu’elle avait été torturée dans le passé et, plus important encore, elle n’a pas montré de façon claire pourquoi elle serait soumise à la torture si elle retournait au Venezuela. L’État partie fait savoir enfin que le Venezuela n’a pas demandé l’extradition de la requérante et ajoute qu’il n’existe aucun élément permettant de penser que les autorités vénézuéliennes ont l’intention de la mettre en prison. Au contraire, l’État partie a pu confirmer que le chef de l’ONI, principal suspect dans l’affaire de corruption, n’avait pas été arrêté.

4.4L’État partie indique que le service national de l’immigration dans sa décision du 24 août 1998, comme la Commission des étrangers dans sa décision du 14 mars 2000, ont fait valoir qu’encourir le risque d’être jugé ou être l’objet de harcèlement ne constituait pas un motif pour obtenir l’asile en Suède. De plus, ils se sont assurés que si elle était traduite en jugement, la requérante bénéficierait de toutes les garanties d’un procès équitable et que de surcroît elle avait beaucoup de chance de gagner un éventuel procès. L’État partie ajoute qu’il n’a aucun doute sur l’authenticité du récit de la requérante au sujet de l’affaire de corruption et des harcèlements dont elle a fait l’objet ultérieurement. Toutefois, il estime que les arguments donnés par les deux organes sont fondés.

Commentaires de la requérante

5.1Dans ses commentaires en date du 27 mars 2002, la requérante reconnaît que l’État partie ne met pas en doute ses déclarations concernant les faits mais doute qu’elle risque d’être soumise à la torture si elle retourne au Venezuela. Toutefois, elle explique qu’elle risque effectivement et incontestablement d’être jugée et condamnée à une longue peine d’emprisonnement et par conséquent qu’il existe aussi pour elle le risque d’être soumise à la torture dans une prison vénézuélienne, en contravention des dispositions de l’article 3 de la Convention.

5.2En ce qui concerne les arguments de l’État partie qui fait valoir que la requête devrait être déclarée irrecevable ratione  materiae, la requérante explique que, quand elle a été démise de ses fonctions, elle a perdu la protection dont elle jouissait en tant que fonctionnaire et qu’elle est devenue la cible de harcèlements et de menaces de la part de l’ONI et de la DEX, qui lui disaient qu’elle allait être accusée de faux. La requérante fait valoir que, comme les menaces émanent de personnes qui occupent encore des postes politiques importants, il est tout à fait douteux que son procès puisse être équitable. Elle ajoute que les décisions des autorités de l’État partie à son égard ont été prises sur la foi d’informations fausses, puisqu’elles n’ont pas su faire la distinction entre le Fiscal General, d’une part, et la DEX et l’ONI, d’autre part, et qu’elles n’ont pas compris que le chef de l’ONI n’avait jamais été son supérieur hiérarchique. La requérante reconnaît également que devant les fonctionnaires du service national de l’immigration elle a bien dit que la torture n’était pas autorisée au Venezuela mais elle a expliqué qu’elle avait peur de la torture et des conditions dans les prisons vénézuéliennes.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie sur le fond, la requérante affirme qu’elle avait des motifs sérieux de craindre pour sa sécurité et que l’argument de l’État partie qui affirme que les conditions générales dans un pays ne sont pas un motif suffisant pour apprécier le risque encouru par un individu d’être soumis à la torture s’il est renvoyé dans son pays n’est en aucune manière une preuve satisfaisante. En outre, malgré les améliorations qu’aurait apportées Chávez, nul n’ignore le degré de corruption du Gouvernement vénézuélien. De plus, poursuit la requérante, d’après l’État vénézuélien lui‑même chaque jour au moins une personne est soumise à la torture.

5.4La requérante répond à l’argument de l’État partie qui dit qu’elle n’a jamais milité dans un parti politique quel qu’il soit ou qu’elle n’a eu aucune activité politique en expliquant que, même si elle était seulement fonctionnaire, le fait que les responsables de la fraude étaient des agents publics d’un organisme politique rend l’affaire politique et fait qu’elle craint à juste titre pour sa sécurité si elle revient dans son pays. En ce qui concerne l’objection de l’État partie qui fait valoir que le directeur de l’ONI n’a pas été arrêté, la requérante dit que cet élément ne peut pas servir à prouver qu’elle est en sécurité car les puissants protègent les puissants.

5.5Enfin la requérante réaffirme que la situation actuelle au Venezuela, après le coup d’État contre le Président Chávez, lui fait craindre encore plus pour sa sécurité.

Délibérations du Comité

6.Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et n’est pas en cours d’examen. Le Comité relève que l’État partie ne conteste pas que les recours internes aient été épuisés. Il note aussi que de l’avis de l’État partie la requête doit être déclarée irrecevable ratione materiae parce que la Convention n’est pas applicable aux faits allégués, étant donné que les actes auxquels la requérante dit qu’elle sera exposée si elle est renvoyée au Venezuela n’entrent pas dans le cadre de la définition de la «torture» donnée à l’article premier de la Convention. Le Comité estime toutefois que les arguments de la requérante soulèvent une question de fond, qui doit être traitée dans le cadre de l’examen au fond et non pas au stade de la recevabilité. Ne voyant pas d’autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et, étant donné que l’État partie et la requérante ont formulé l’un et l’autre des observations sur le fond, il procède donc à l’examen au fond.

7.Conformément au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque d’être soumise à la torture si elle est renvoyée au Venezuela. Pour ce faire, il doit tenir compte de toutes les considérations possibles, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit toutefois de déterminer si l’intéressé court personnellement le risque d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il est renvoyé. L’existence d’un ensemble de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être victime de torture à son retour dans ce pays; il faut qu’il existe des raisons supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Dans le cas à l’étude, le Comité doit déterminer si l’expulsion de la requérante vers le Venezuela aurait comme conséquence prévisible de l’exposer à un risque réel et personnel d’être arrêtée et torturée.

8.Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui fait valoir que si la situation des droits de l’homme au Venezuela continue d’être mauvaise, en particulier en ce qui concerne les conditions de détention, il n’y a pas de motif suffisant pour affirmer qu’il existe au Venezuela un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. De même, le Comité prend note des arguments de la requérante et de l’État partie en ce qui concerne le risque de torture qu’encourrait la requérante et estime que cette dernière n’a pas fourni d’éléments suffisants pour montrer qu’elle courrait au Venezuela un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture.

9.Le Comité est convaincu par les arguments de l’État partie et considère que les informations dont il est saisi ne montrent pas qu’il existe des motifs suffisants de croire que la requérante court personnellement le risque d’être torturée si elle est renvoyée au Venezuela.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que la décision de l’État partie de renvoyer la requérante au Venezuela ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

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