Enquête concernant l’Afrique du Sud menée en vertu de l’article 8 du Protocole facultatif à la Convention

Rapport du Comité * , **

I.Introduction

Le 28 février 2013, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a reçu des informations de 11 organisations en vertu de l’article 8 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, alléguant que l’incapacité de l’Afrique du Sud à prévenir la violence domestique et à en protéger les femmes et les filles constitue des violations graves et systématiques des droits prévus par la Convention.

L’État partie a ratifié la Convention le 15 décembre 1995 et a adhéré au Protocole facultatif le 18 octobre 2005.

II.Soumission par les sources d’information

Les sources indiquent que les niveaux élevés de violence domestique dans l’État partie et le fait que celui-ci manque à son obligation de diligence raisonnable qui consiste à protéger les femmes contre cette violence constituent des violations graves ou systématiques de la Convention. On remarque une aggravation de la situation pour les raisons suivantes :

a)La prévalence de pratiques néfastes telles que l’ukuthwala (c’est-à-dire la fugue menant à des mariages d’enfants et à des mariages forcés) et la polygamie ;

b)La persistance de stéréotypes qui légitiment la violence domestique et découragent les femmes de dénoncer cette violence ;

c)Le manque de données statistiques et de recherche sur ce phénomène ;

d)L’absence de sensibilisation du public et de renforcement des capacités des forces de maintien de l’ordre et des travailleurs sociaux et de santé.

III.Historique de la procédure

À sa cinquante-sixième session, en 2013, le Comité a considéré que les informations reçues des sources étaient fiables et indiquaient des violations graves ou systématiques. Il a invité l’État partie à soumettre ses observations. À sa cinquante-neuvième session, en 2014, le Comité a décidé de mener une enquête et a demandé à l’État partie de consentir à une visite sur son territoire.

Le 23 septembre 2015, l’État partie a présenté ses observations. Il a reconnu la forte prévalence de la violence domestique et son incidence dévastatrice sur les personnes rescapées et leurs familles. L’élimination et la prévention de la violence basée sur le genre ont été érigées en priorité nationale. Il a adopté un cadre législatif solide et des politiques et mécanismes pour lutter contre la violence domestique.

Le 17 juillet 2019, l’État partie a donné son accord pour une visite de pays, qui a eu lieu du 9 au 20 septembre 2019. Hilary Gbedemah etEsther Eghobamien-Mshelia (les membres désignées) se sont rendues sur place, accompagnées de deux spécialistes des droits humains.

À Pretoria (province de Gauteng), les membres désignées ont rencontré la Vice-Ministre des femmes, de la jeunesse et des personnes en situation de handicap, le Vice-Ministre des relations et de la coopération internationales et des représentants de services œuvrant dans les domaines suivants : femmes, jeunesse et personnes en situation de handicap ; développement social; justice ; travail et emploi ; développement rural et réforme agraire ; éducation de base ; enseignement supérieur ; établissements humains ; gouvernance coopérative et affaires coutumières ; planification, suivi et évaluation ; intérieur ; services pénitentiaires. La délégation a également rencontré des représentants de l’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires, de la police sud-africaine et de Statistics South Africa.

À Johannesburg (province de Gauteng), les membres désignées ont rencontré la Présidente et les membres de la Commission sur l’égalité des genres, la Vice-Présidente de la Commission sud-africaine des droits de l’homme et le Président, la Vice-Présidente et les membres de la Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques.

Au Cap (province du Cap-Occidental), les membres ont rencontré des représentants du Bureau du Premier Ministre et des ministères provinciaux suivants : affaires environnementales et planification du développement ; sécurité communautaire ; établissements humains ; développement social ; agriculture ; santé ; affaires culturelles et sport ; éducation ; développement économique ; collectivités locales ; transport ; aménagement rural. Elles ont également vu des représentants de l’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires et du Trésor du Cap-Occidental, visité un centre de soins Thuthuzela à l’hôpital Karl Bremer de Bellville et des commissariats de police (également appelés « centres de services communautaires ») à Bellville et Stellenbosch.

À East London (province du Cap-Oriental), Mme Eghobamien-Mshelia a rencontré des représentants des autorités provinciales suivantes : le Bureau du Premier Ministre ; le Ministère du développement social ; le Ministère des sports, des loisirs, des arts et de la culture. Elle s’est également entretenue avec un représentant de l’Autorité nationale des poursuites judiciaires. Elle a visité le centre de soins Thuthuzela du Cecilia Makiwane Hospital et un commissariat de police à Mdantsane.

À East London (province du Cap-Oriental), Mme Gbedemah s’est réunie avec des représentants des autorités provinciales suivantes : le Bureau du Premier Ministre ; le Ministère des services pénitentiaires ; le Ministère de l’enseignement supérieur. Elle a également rencontré des représentants de l’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires, de lapolice sud-africaine et de la Municipalité du district d’Ugu. Elle a visité le centre de soins Thuthuzela du Prince Mshiyeni Memorial Hospital et le tribunal de première instance d’Umlazi.

Les membres se sont rendues dans des centres d’hébergement et des résidences protégées, ont interrogé des personnes rescapées de la violence domestique et ont rencontré des représentants de la société civile et des universitaires.

Le Comité tient à remercier l’État partie de sa coopération. Il remercie également les personnes rescapées de la violence domestique interrogées pour leurs témoignages courageux.

IV.Objet du présent rapport

Le Comité constate que les femmes et les filles d’Afrique du Sud font face à de multiples formes de violence basée sur le genre. Toutefois, la portée du présent rapport se limite à la violence domestique telle qu’elle est définie dans les instruments internationaux et régionaux pertinents relatifs aux droits humains et dans le droit national.

V.Cadre juridique de la violence domestique en Afrique du Sud

La Constitution sud-africaine de 1996 protège le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, y compris « le droit [...] d’être libre de toute forme de violence de source publique ou privée » (art. 12 (1) (c)) et « le droit à l’intégrité physique et psychologique, qui comprend le droit [...] à la sécurité et au contrôle de son corps » (art. 12 (2) (b)).

Dans son préambule, la loi sur la violence domestique (n° 116 de 1998) fait référence à l’obligation découlant de la Convention de mettre fin à la violence à l’égard des femmes. L’article 1 donne une définition exhaustive de la violence domestique. La loi prévoit une procédure civile permettant à la plaignante d’obtenir d’un tribunal une ordonnance de protection qui interdise au défendeur de commettre tout acte de violence domestique (sect. 7). Le tribunal doit également autoriser la délivrance d’un mandat d’arrêt contre le défendeur en cas de non-respect de l’ordonnance (sect. 8 (1)). La loi exige des membres de la police sud-africaine qu’ils prêtent assistance à la plaignante (sect. 2). L’instruction nationale 7/1999 concernant la violence domestique ordonne à la police d’orienter les plaignantes vers des services de soutien ; de les aider à trouver un centre d’hébergement convenable et à bénéficier d’un traitement médical ; de les informer des recours possibles en vertu de la loi sur la violence domestique ; de signifier l’ordonnance de protection au défendeur ; d’arrêter les contrevenants aux ordonnances de protection ; d’accompagner les plaignantes pour récupérer des effets personnels ; de tenir un registre de tous les incidents en matière de violence domestique. Le non-respect de ces obligations par la police constitue un acte délictueux qui entraîne une procédure disciplinaire.

17.Il n’existe pas de délit spécifique de violence domestique. Les actes constituant des violences domestiques sont interdits par les dispositions générales du droit pénal relatives aux voies de fait, au harcèlement, au viol et aux agressions sexuelles.

18.L’article 211 de la Constitution de 1996 reconnaît l’applicabilité du droit coutumier, sous réserve de la Constitution et de la législation spécifique.

VI.Constatations de fait

A.Contexte politique et socio-économique actuel

On estime que la violence basée sur le genre en Afrique du Sud s’explique notamment par l’histoire du pays, marquée par le colonialisme et l’apartheid. Ce passé difficile a sapé les systèmes familiaux et domestiques locaux, a renforcé les structures patriarcales et a reposé sur la légitimation des violences racistes et des inégalités. Son héritage contribue aux niveaux extrêmement élevés de violence basée sur le genre. Il se caractérise par la violence généralisée au sein de toutes les communautés, la violence criminelle, la pauvreté, le chômage, la dépendance économique des femmes, la consommation de drogues, l’alcoolisme et l’impact du VIH/SIDA.

Le 1er août 2018, des femmes de tout l’État partie ont participé à une marche de protestation dans le but d’exiger que l’État prenne des mesures pour enrayer la violence basée sur le genre. En novembre 2018, lors d’un sommet national sur la violence basée sur le genre et le féminicide, le Président de l’Afrique du Sud et la société civile ont prôné la mise en place d’un plan stratégique national. En avril 2019, un comité directeur intérimaire a été mis sur pied afin d’élaborer ce plan.

Peu avant la visite des membres désignées, un postier a violé et assassiné une étudiante de 19 ans dans un bureau de poste du Cap. Cette affaire emblématique a déclenché une deuxième vague de protestations à l’échelle nationale contre la violence basée sur le genre. Au moment de la visite, le Parlement a tenu une session d’urgence pour discuter des services aux victimes et du système de justice pénale.

Les organisations non gouvernementales (ONG) ont observé que le système politique tolérait la violence basée sur le genre, rappelant l’acquittement de Jacob Zuma, l’ancien Président, des chefs d’accusation de viol en 2006. Un examen diagnostique mené par KPMG International en 2016 a révélé qu’il y avait un manque de leadership politique et de contrôle nécessaire en vue de tenir le gouvernement responsable de l’élimination de la violence basée sur le genre.

La commission prend note de la publication en 2020 du plan stratégique national sur la violence basée sur le genre et le féminicide. En avril 2020, le Président a annoncé la création du Conseil sur la violence basée sur le genre et le féminicide. Le Parlement a approuvé la budgétisation tenant compte des questions de genre et a demandé à tous les ministères de l’introduire, mais n’a pas exigé qu’ils fournissent des repères budgétaires proportionnels ou des ressources dédiées.

B.Stéréotypes de genre et contexte socioculturel de la violence domestique

La Vice-Ministre des femmes, de la jeunesse et des personnes en situation de handicap a expliqué que la prépondérance de la violence basée sur le genre est le résultat de la combinaison des stéréotypes patriarcaux coutumiers et de l’oppression basée sur le genre, la race, l’ethnie, la région et la classe sociale pendant le colonialisme et l’apartheid.

En Afrique du Sud, on inculque aux enfants les rôles binaires des femmes et des hommes, et ce, dès leur plus jeune âge. Les pères envoient leurs fils dans des écoles d’initiation pour « devenir des hommes », tandis que les filles des zones rurales subissent souvent un test dit « de virginité » et abandonnent l’école pour se marier. Dans une société patriarcale où les femmes sont considérées comme la propriété de leurs maris, la violence domestique est socialement acceptée. Les organisations religieuses considèrent souvent qu’il s’agit d’une affaire privée et craignent que le fait d’aborder le sujet ne mette en péril la cohésion familiale.

C.Prévalence, formes et circonstances de la violence domestique

Statistics South Africa n’a pas mené d’enquêtes spécifiques sur la violence domestique. L’État partie s’appuie sur les données administratives recueillies par le Services de police sud-africain, les données reçues des centres d’hébergement et des centres de soins Thuthuzela, ainsi que sur des recherches universitaires. Selon l’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires, il est difficile de recueillir des données sur la violence domestique en l’absence d’une infraction spécifique. Les statistiques de la police ne prennent en compte que les cas enregistrés, et non la prévalence des sous-signalements.

Le Ministère de la justice a indiqué que 22 211 des 143 824 demandes d’ordonnances de protection ont été accordées en 2018 et 2019. Les données probantes indiquent que les chiffres de la violence domestique (y compris le féminicide) atteignent un niveau alarmant.

De nombreuses victimes interrogées dans les centres d’hébergement ont subi des violences ou ont été abandonnées par leur mère, et plusieurs avaient perdu un de leur parent ou les deux. Bon nombre d’entre elles sont retournées auprès des auteurs de violences parce qu’elles en dépendaient économiquement ou qu’elles ne voulaient pas que leurs enfants grandissent sans père. Elles se sont mises à consommer de la drogue pour endurer la violence ou ont tenté de se suicider. Même après avoir mis fin à une relation abusive, beaucoup continuent de souffrir de dépression, de traumatismes et d’anxiété.

Les ONG ont rappelé que la violence domestique touchait de plus en plus les enfants. Plusieurs victimes ont rapporté que leurs enfants souffraient de reviviscences ou étaient tombés dans la drogue à cause des expériences traumatisantes des violences commises contre eux-mêmes, leur mère ou leurs frères et sœurs. Les ONG ont fait part des niveaux élevés de désensibilisation dans les écoles, où de nombreuses filles considèrent la violence domestique comme normale.

Les auteur de violences ont souvent une faible estime d’eux-mêmes ou ont eux-mêmes subi des violences pendant leur enfance. De nombreuses victimes ont déclaré que leur partenaire violent était jaloux, possessif, abusait de l’alcool ou de la drogue ou jouait à des jeux d’argent.

Les récits des victimes sur les violences psychologiques qu’elles ont subies comprennent des cas où le partenaire les a isolées de l’entourage familiale et amical, les a abandonnées ainsi que leurs enfants, les a rabaissées, les a accusées d’adultère, les a menacées de se suicider si elles partaient et a exercé un contrôle excessif ou les a séquestrées.

Plusieurs victimes ont subi des violences économiques, leurs partenaires les privant de nourriture, d’argent, d’accès à l’éducation ou à l’emploi, ou ne versant pas de pension alimentaire après un divorce. Les ONG ont souligné que l’accès limité des femmes à ces ressources les exposait à la violence domestique.

Plusieurs victimes ont décrit des actes de violence physique perpétrés sur elles par leur partenaire (ayant souvent des tendances sadiques) ou par des membres de leur famille, notamment sous forme de coups de poing avec des objets, de coups de pied et de brûlures infligées. D’autres ont décrit comment leur conjoint ou bien des membres de leur entourage familiale ou amicale de sexe masculin les avaient violées, y compris pendant leur enfance. Les membres désignées ont interrogé la famille des femmes et des filles assassinées par leur conjoint ou leur père, selon le cas. Elles ont parlé à une officière de police du Cap dont l’ex-mari alcoolique, lui aussi officier de police, avait tué leurs trois enfants une nuit après une dispute verbale avec elle. Très peu de temps avant le meurtre, elle avait révoqué l’ordonnance de protection temporaire qu’elle avait obtenue contre lui.

D.Pratiques néfastes et violence domestique

1.Enlèvement de filles et de femmes pour les marier (ukuthwala)

La Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques a expliqué que l’ukuthwala caractérise la fugue consensuelle d’une future épouse menant à des négociations pour un mariage coutumier. Les ONG ont critiqué l’ukuthwala car cette pratique aboutit souvent à des mariages forcés. Dans l’affaire Jezile, la Haute Cour d’Afrique du Sud a confirmé la condamnation d’un homme de 28 ans qui avait enlevé et violé une jeune fille de 14 ans à la suite de négociations ukuthwala avec son oncle. Elle a estimé que le défendeur ne pouvait pas invoquer l ’ ukuthwala comme légitime défense.

La Commission n’a pas répondu à la question d’une membre désignée qui demandait comment l’État partie veillerait à ce que l’ukuthwala n’ait lieu qu’avec le consentement libre, préalable et éclairé de la femme et ne donne pas lieu à un mariage d’enfants.

2.Mariages d’enfants et forcés

La loi sur la reconnaissance des mariages coutumiers de 1998 reconnaît les mariages coutumiers contractés avant l’entrée en vigueur de la loi (sect. 2). Les mariages coutumiers ultérieurs à la promulgation de la loi sont valables si les deux futurs époux sont âgés de plus de 18 ans et consentent à être mariés l’un à l’autre en vertu du droit coutumier (sect. 3 (1)). Si l’un des deux est mineur, les deux parents ou un tuteur légal doivent consentir au mariage (sect. 3 (3) (a)). La loi sur le mariage de 1961 prévoit qu’aucun garçon de moins de 18 ans et aucune fille de moins de 16 ans ne peut se marier, sauf avec l’autorisation écrite du Ministre de l’intérieur. La loi sur les enfants de 2005 interdit le mariage ou les fiançailles d’un enfant n’ayant pas l’âge minimum susmentionné ou d’un enfant ayant plus de cet âge sans son consentement (sect. 12 (2)).

Les ONG ont affirmé que le gouvernement hésitait à remettre en cause les mariages coutumiers afin d’éviter tout conflit avec la puissante Chambre nationale des chefs coutumiers sud-africains. Les mariages d’enfants (impliquant souvent des viols) sont fréquents dans les zones rurales, où les familles pauvres reçoivent une dot (lobolo).

3.Polygamie

La loi sur la reconnaissance des mariages coutumiers reconnaît les mariages coutumiers polygames contractés avant l’entrée en vigueur de la loi. Pour que ceux contractés par la suite soient valables, le ou les conjoints actuels du demandeur doivent consentir au mariage (sect. 2 (4) et sect. 3 (1) (a) (ii)). La Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques a fait valoir que la polygamie permet d’éviter que des enfants naissent hors mariage sans connaître leur père et offre aux femmes une protection économique.

4.Rôle des chefs coutumiers et religieux

Les chefs coutumiers ne sont pas suffisamment sensibilisés à la prise en charge des victimes de violence domestique. Selon les sources d’information, les chefs coutumiers renvoient souvent dans leur famille les filles qui dénoncent des pratiques néfastes.

Les chefs coutumiers et la Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques prennent part à des programmes de sensibilisation des communautés rurales à la violence domestique. Selon la Commission sud-africaine des droits de l’homme et diverses ONG, les chefs coutumiers justifient souvent l’ukuthwala et d’autres pratiques néfastes en les qualifiant de pratiques culturelles consensuelles.

Les victimes ont décrit une culture du silence au sein de leurs communautés de croyants. L’une d’elles a déclaré que la police lui avait dit que son agresseur, un archevêque, avait « simplement tenté » de la violer, et ce, du fait qu’il n’avait pas éjaculé en elle. Malgré les pressions exercées pour qu’elle garde le silence afin de protéger l’Église anglicane, elle a déposé une plainte. Deux victimes musulmanes de violences physiques et psychologiques ont indiqué qu’elles se sentaient piégées. En effet, elles rencontraient des obstacles pour demander le divorce et ne souhaitaient pas mettre leurs familles dans l’embarras. Des conseillers religieux musulmans leur ont conseillé de « faire la paix » avec leurs maris violents.

E.Sensibilisation et prévention

Les faiblesses institutionnelles, les ressources limitées, le manque de compréhension des causes profondes de la violence domestique et la coordination insuffisante limitent l’efficacité des programmes de prévention de la violence basée sur le genre. Les coordinateurs ministériels pour les questions de genre et les groupes municipaux des questions de genre manquent de ressources et sont surchargés par d’autres tâches.

La Commission de l’égalité des sexes, créée en vertu du chapitre 9 de la Constitution et chargée de contrôler que le gouvernement respecte la législation sur l’égalité des genres, n’a pas l’autorité nécessaire pour lui demander des comptes.

Le Ministère du développement social a lancé une campagne intitulée « 365 jours d’activisme » contre la violence basée sur le genre et le féminicide ; il met par ailleurs en œuvre des programmes de sensibilisation ciblant les hommes et axés sur leur rôle dans la rupture des cycles de violence. À l’échelle provinciale, le Bureau du Premier Ministre coordonne la mise en œuvre de programmes sur la violence basée sur le genre, et ce, avec des ressources minimales. En coopération avec la télévision nationale, la province KwaZulu-Natal a lancé une campagne de lutte contre le viol qui est portée par le Premier Ministre et les reines zouloues.

En 2018 et 2019, le Ministère de la justice a organisé des réunions de sensibilisation et des concertations sur la violence domestique et le féminicide ; 850 personnes y ont participé. Il a également mis au point un outil d’estimation des risques, affiché dans les commissariats de police et les tribunaux ; le but était de sensibiliser les victimes aux raisons pour lesquelles elles devraient mettre fin à une relation abusive. L’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires a mené à bien plusieurs projets communautaires sur la violence basée sur le genre. L’administration précédente avait organisé des audiences publiques de vérité et de réconciliation sur la violence basée sur le genre dans les provinces.

La Commission de l’égalité des genres et diverses ONG sensibilisent également les populations à la violence basée sur le genre. Ils ont cependant déploré que, malgré les efforts déployés, les attitudes violentes et patriarcales restent inchangées.

F.Rôle de la police et du système judiciaire en matière d’enquêtes, de poursuites et de sanctions dans les affaires de violence domestique

1.Police sud-africaine

Selon les sources d’information, les officiers de police manquent de formation adéquate en matière de lutte contre la violence basée sur le genre. Les formations obligatoires de cinq jours sur les violences domestiques ne leur apprennent pas comment appliquer la loi sur la violence domestique et la loi sur les infractions sexuelles, ou comment mener des interrogatoires tenant compte des questions de genre et recueillir des preuves scientifiques.

Les officiers de la police sud-africaine sont nommés de manière permanente à un commissariat de police et résident souvent dans le même district. En tant que membres de la communauté, ils subissent des pressions pour accorder des faveurs et sont enclins à se laisser corrompre. On dit que certains auraient déjà informé des auteurs de violences de l’emplacement de résidences protégées.

La performance des officiers de police est évaluée en fonction des taux de détection des auteurs de violences, de condamnation et de résolution des délits. Le Ministère des femmes, des jeunes et des personnes en situation de handicap a fait remarquer l’absence d’indicateurs de violence basée sur le genre dans les plans d’évaluation des performances. Les ONG ont signalé que la police sud-africaine est souvent réticente à enregistrer les cas, car ils ne sont généralement pas résolus. Un magistrat a fait savoir que les officiers de police décourageaient souvent les victimes de déposer une plainte pénale et les envoyaient au tribunal pour demander une ordonnance de protection. Souvent, ils n’arrêtent pas les auteurs de violences, les libèrent sans en informer les victimes, retardent les enquêtes ou cherchent à régler les affaires pour éviter les enquêtes. Les affaires sont parfois classées parce que les registres disparaissent.

Selon les rapports, les officiers de police sont souvent influencés par des stéréotypes, considèrent la violence domestique comme une affaire privée et renvoient les victimes à l’auteur de violences ou la tournent en ridicule. Plusieurs victimes ont déclaré que la police avait refusé de donner suite à leurs plaintes. À Kliptown, à l’extérieur de Soweto, une victime de violence domestique vivant avec le VIH a déclaré qu’elle avait dormi au poste de pendant une semaine avant que sa plainte ne soit enregistrée. Les officiers se sont moqués d’elle et n’ont pris aucune mesure pour lui venir en aide.

Les ONG ont signalé que la police omettait fréquemment d’orienter les victimes vers des prestataires de services de soutien. Il arrive que les victimes de viol ne soient pas orientées vers un examen médical ou qu’elles attendent des heures avant que la police ne les emmène dans un centre de soins Thuthuzela.

Les ONG ont expliqué que les officiers de police subissent régulièrement des traumatismes, n’ont pas d’espace pour des séances de bilan après mission, souffrent de dépression, maltraitent leurs partenaires et vont parfois jusqu’à se suicider. Le Ministère du développement social a déclaré que les officiers de police se montrent hésitants à demander une aide psychologique en raison de la stigmatisation qu’ils pourraient subir.

Dans quelques-unes des affaires, les victimes ont déclaré que la police les avait aidées. Une habitante d’une résidence protégée à Durban, dont le mari l’avait frappée avec une chaise et avait incendié la maison de sa famille, a déclaré que des officiers du commissariat de police de Chatsworth l’avaient encouragée à porter plainte alors qu’ils venaient d’arrêter ce dernier.

2.Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires

D’avril 2012 à mars 2019, l’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires a dispensé 25 séances de formation sur la violence domestique, auxquelles ont participé 411 procureurs de la République ; 45 séances ont été par ailleurs organisées sur la violence sexuelle, auxquelles ont participé 822 procureurs de la République. Pour retirer une plainte, le procureur de la République doit veiller à ce que la victime prenne une décision éclairée. Toutefois, dans les situations où la victime décide de retirer sa plainte, la loi n’autorise pas de poursuites d’office lorsqu’il n’y a pas d’autres preuves que le témoignage de la victime. Les ONG ont averti qu’une politique de « non retrait de plainte » pourrait mettre les victimes en danger.

3.Juridiction

La loi sur la violence domestique a entraîné la mise en place de tribunaux spécialisés dans la violence domestique à l’échelle du tribunal de district afin de délivrer des ordonnances de protection. En 2013, en vertu de la loi sur les infractions sexuelles, le Ministère de la justice a désigné 74 tribunaux spécialisés dans les infractions sexuelles à l’échelle des tribunaux régionaux. Les tribunaux de district et régionaux sont regroupés avec les tribunaux d’instance.

Selon l’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires, le taux de condamnation pour les délits sexuels a fortement augmenté, passant de 48 à 74 % depuis 2000, et ce, grâce à l’action menée par les tribunaux spécialisés dans les infractions sexuelles et aux 55 centres de soins Thuthuzela. Ces établissements sont des structures à guichet unique où les infractions sexuelles (dont 65 % sont des viols) font l’objet d’une enquête. Les universitaires constatent que le taux de déclaration de culpabilité ne concerne que les 2 225 affaires judiciaires finalisées sur les 34 558 cas de viols signalés aux centres de soins Thuthuzela en 2018 et 2019.

4.Département des services pénitentiaires

Bien que le Département des services pénitentiaires soit mandaté pour réhabiliter les délinquants, il ne dispose d’aucune ressource pour les programmes de réhabilitation destinés aux auteurs d’actes délictueux liés à la violence basée sur le genre.

G.Accès aux recours, à la protection et à la réhabilitation pour les victimes/personnes rescapées de la violence domestique

1.Manque d’accès à la justice

Les victimes de violence domestique sont confrontées à de nombreux obstacles à l’accès à la justice, notamment la méconnaissance juridique, les frais de transport, l’accès limité à l’aide juridictionnelle et aux preuves scientifiques, et les systèmes judiciaires parallèles qui privilégient la médiation. Les victimes issues de communautés défavorisées ont un accès limité à Internet et aux transports publics.

Contrairement aux accusés, les victimes sans moyens suffisants n’ont pas droit à une aide juridictionnelle, sauf si l’auteur de violences est représenté par un avocat. La Commission sud-africaine des droits de l’homme a souligné la nécessité de mettre en place un système d’aide juridictionnelle pour les victimes. Des conseillers juridiques proposent une assistance judiciaire dans les centres d’hébergement et les résidences protégées. Ils orientent ensuite les dossiers des victimes vers des centres d’aide juridictionnelle.

Lorsque les victimes demandent une ordonnance de protection, plusieurs possibilités s’offrent au magistrat (conformément à l’article 5 de la loi sur la violence domestique) : rejeter la demande ; délivrer une ordonnance de protection provisoire ; mettre le défendeur en demeure de prouver qu’une ordonnance n’a pas lieu d’être. Sauf en cas de non-lieu, une date de retour est fixée où les deux parties doivent comparaître. De nombreuses victimes ne se présentent pas parce qu’elles craignent une confrontation avec le défendeur ou des représailles de sa part, ou parce qu’elles ne comprennent pas que l’ordonnance de protection temporaire sera annulée. Aussi, une ordonnance de protection définitive, valable à vie, ne peut être délivrée que si la victime est présente. Les ONG ont signalé des cas où les victimes ont subi des viols collectifs, ont été séquestrées ou ont reçu des menaces de mort afin qu’elles ne se présentent pas à l’audience. La plupart des victimes cherchent à obtenir un avertissement contre l’auteur de violences plutôt que d’obtenir une ordonnance permanente ou de l’inculper.

Les ONG ont souligné que les victimes n’étaient pas assistées en dehors des heures d’ouverture des tribunaux. Il est fréquent qu’elles ne soient pas orientées vers des services de soutien et qu’elles soient renvoyées vers l’auteur de violences. Aller au tribunal déposer une demande implique pour les victimes de rester dans la file d’attente pendant des heures, de payer le transport et la nourriture et de prendre un jour de congé. Les formulaires de demande sont par ailleurs difficiles à remplir. Les greffiers sont parfois absents ou manquent d’empathie et résument les demandes de manière superficielle. Une victime a déclaré : « Pour le greffier, rédiger une ordonnance de protection n’est qu’un travail, mais pour la plaignante, il s’agit de sa vie. ». En raison de la charge de travail importante et de l’insuffisance des ressources, les magistrats renvoient parfois de manière informelle les affaires aux organisations religieuses ou aux tribunaux coutumiers pour une médiation.

Les victimes ont informé les membres désignées que les auteurs de violences demandent des ordonnances de protection pour de faux motifs afin de discréditer ou d’intimider la victime.

Selon l’Autorité nationale des poursuites judiciaires, le contenu d’une ordonnance de protection peut mettre une victime en danger, par exemple lorsqu’elle se contente d’ordonner au défendeur de dormir dans une autre pièce. La plupart des ordonnances de protection ne prévoient pas l’interdiction de commettre d’autres actes de violence domestique. Les victimes ont déclaré avoir à nouveau subi des violences après être rentrées chez elles avec une ordonnance de protection, et ont souligné la nécessité de confisquer les armes à feu aux défendeurs. De nombreuses victimes ignorent qu’elles doivent démontrer l’existence d’un danger imminent pour qu’une ordonnance d’expulsion soit délivrée. Les commissariats de police n’ont souvent aucun véhicule disponible pour signifier une ordonnance de protection.

Le Ministère de la justice a souligné les difficultés de suivi des ordonnances de protection en tant qu’actions civiles. La police ne peut intervenir qu’en cas de violation d’une ordonnance de protection, qui représente une infraction pénale. Les victimes omettent souvent de signaler les violences récurrentes ou de demander aux voisins d’alerter la police. Afin d’arrêter un défendeur, les officiers de police doivent être formés à l’examen des casiers judiciaires, à la détection des signes de violence récurrente et à l’évaluation du danger imminent. Les ONG et les victimes ont critiqué la clémence des peines dans les cas de violations des ordonnances.

Les victimes de violences sexuelles peuvent déposer une plainte pénale dans un commissariat de police ou un centre de soins Thuthuzela. Les membres désignées ont visité un centre de soins Thuthuzela à East London. Dans cet établissement, les personnes rescapées n’avaient pas accès aux services de santé tant qu’elles n’avaient pas déposé une plainte auprès de la police sud-africaine. De plus, les officiers de police n’étaient présents au centre que les jours de semaine. Bien que les centres disposent d’unités de police scientifique, on y enregistre une pénurie de kits d’échantillons buccaux pour les tests ADN. Les centres sont par ailleurs concentrés dans les zones urbaines. Dans les zones rurales, tout hôpital peut procéder à un examen médico-légal. Pour faire remplir un rapport d’examen médico-légal (« formulaire J88 ») par un professionnel de santé, les victimes doivent souvent passer une journée dans un hôpital de jour local, car les examens médico-légaux ne bénéficient pas d’un traitement accéléré. La de police manque de véhicules pour transporter les victimes vers un centre ou un hôpital. Obtenir un rendez-vous dans un établissement médico-légal de santé mentale peut prendre des mois.

Les délais considérables des procédures judiciaires constituent un autre obstacle. Les tribunaux ajournent fréquemment les audiences et changent de magistrat ou de travailleur social assistant la victime. Les dossiers judiciaires comportent parfois des index du cas différent pour une même affaire. En l’absence d’un système électronique centralisé de gestion des dossiers, leur traitement prend du temps.

La Commission sud-africaine des droits de l’homme a noté que les juges et les procureurs de la République avaient besoin d’une formation sur le viol et la violence basée sur le genre, car les victimes sont souvent soumises à des contre-interrogatoires traumatisants ou à des reproches, par exemple lorsqu’elles doivent répondre à des questions sur ce qu’elles portaient au moment du viol. Les ONG ont signalé que les forces de l’ordre autorisent les victimes à retirer leurs plaintes et les étiquettent comme des « habituées » lorsqu’elles reviennent, ce qui peut entraîner leur meurtre ou suicide. Un magistrat du tribunal des infractions sexuelles a confirmé l’existence d’un préjugé lié au genre chez les juges sans formation spécialisée.

Les ONG ont affirmé que les peines dans les cas de violence domestique étaient clémentes. Les victimes plaident souvent pour que leur partenaire violent ne soit pas condamné afin qu’il puisse conserver son emploi. L’Autorité nationale des poursuites judiciaires a souligné la nécessité d’harmoniser la peine maximale imposée par les tribunaux de district (trois ans) avec la peine maximale pour les infractions dans les cas de violence domestique (cinq ans).

Selon des ONG, la majorité des victimes ne signalent pas de faits de violence domestique ou retirent leurs plaintes en raison de la honte, de la culpabilité, de la pression exercée par la famille ou la communauté, de la dépendance économique, de la méfiance à l’égard de la police et du système judiciaire, de la peur pour leurs enfants ou des représailles et de la stigmatisation. Parfois, les familles règlent les affaires par un accord financier. Certaines victimes ont confirmé qu’elles n’ont pas déposé de plainte ou demandé une ordonnance de protection en raison de la pression familiale. Les ONG ont fait valoir que le viol n’est pas pris suffisamment au sérieux dans les communautés coutumières, où les mères empêchent souvent leurs filles de porter plainte. L’autorité nationale chargée des poursuites judiciaires est d’avis que les chefs coutumiers devraient en faire davantage pour sensibiliser à la violence basée sur le genre et déstigmatiser les victimes. Si certaines victimes ont déclaré avoir décidé de leur propre gré d’abandonner l’affaire, beaucoup ont affirmé que l’auteur de violences les avait intimidées. Les directeurs des centres d’hébergement ont souligné que les auteurs de violences sont souvent mis en liberté ou libérés sous caution et exercent des représailles contre la plaignante. Les activistes pour les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes ont fait mention d’un risque élevé de victimisation secondaire pour les plaignantes transgenres dans les commissariats de police et les tribunaux.

Les ONG ont déclaré que, dans les commissariats de police, les salles réservées aux victimes sont souvent délabrées ou utilisées par les officiers pour dormir ou avoir des relations sexuelles. Dans la province du Cap-Occidental, 18 des 151 commissariats de police disposent d’installations destinées aux victimes ; elles sont gérées par des bénévoles. Les membres désignées ont visité un local bien équipé et adapté aux victimes au commissariat de Bellville et un autre, plus rudimentaire, au commissariat de Stellenbosch. Les ONG ont appelé l’attention sur le fait que, souvent, les volontaires ne respectent pas les listes récapitulatives et sont trop complices avec les policiers. Les membres désignées ont rencontré deux volontaires à Bellville, qui se sont montrés sensibles aux protocoles tenant compte des questions de genre.

Parmi les victimes dans les affaires d’infractions sexuelles signalées aux centres de soins Thuthuzela et finalisées au tribunal en 2018 et 2019, 988 avaient moins de 18 ans et 960 avaient 18 ans ou plus. L’autorité nationale chargée des poursuites judiciaires a commenté que de nombreux professeurs, travailleurs sociaux et officiers de police ne signalaient pas les cas de maltraitance d’enfants dans leur communauté.

La Présidente du Comité sur la violence basée sur le genre de l’Université de KwaZulu-Natal a souligné que sa politique en matière de violence basée sur le genre devait être appliquée au sein de l’Université de manière rigoureuse pour faire face à la gravité de la violence sexuelle, y compris la violence au sein du couple.

2.Manque de soutien aux victimes

Les centres de soins Thuthuzela ont été mis en place en 2006 dans le but de réduire la victimisation secondaire des personnes ayant subi des violences sexuelles et augmenter les taux de condamnation. Les centres sont situés au sein même des hôpitaux publics ; les personnes rescapées peuvent s’y rendre pour être soumises à des examens médico-légaux et bénéficier de conseils et d’un traitement médical. Selon l’autorité nationale chargée des poursuites judiciaires et diverses ONG, les centres reçoivent des fonds insuffisants du Ministère du développement social et des donateurs internationaux. Au cours des quatre dernières années, aucun centre supplémentaire n’a été ouvert. Ils manquent de travailleurs sociaux qualifiés pour les interventions psychosociales. Les ONG ont signalé que de nombreux centres sont délabrés et ne fonctionnent pas 24 heures sur 24. Les victimes de viols, y compris les enfants, doivent attendre dans la douleur qu’un médecin soit de garde, surtout la nuit ou le week-end. Les médicaments sont souvent périmés et les stocks disparaissent.

Les membres désignées se sont rendues dans les centres de soins Thuthuzela de Cape Town, Umlazi (près de Durban) et East London. Au total, ils desservent huit districts. La procédure d’accueil des victimes était similaire dans chacun de ces centres. Après un premier entretien avec un travailleur social ou un représentant d’une ONG, la victime consulte une infirmière pour une prophylaxie postexposition et un test de dépistage du VIH. Elle voit également un médecin habilité pour un examen médico-légal. La victime a jusqu’à cinq jours pour décider si elle souhaite déposer une plainte auprès de la police sud-africaine. Si la victime est âgée de moins de 16 ans, la police doit entamer une procédure. À Umlazi, des officiers sont sur place 24 heures sur 24. Les victimes peuvent recourir à un avortement jusqu’à 18 ou 20 semaines de grossesse. Cette procédure est gratuite. Elles sont orientées vers une assistance psychosociale, qui n’est financée par l’État que jusqu’à la fin du procès. Les ONG qui proposent des services de conseil font défaut.

Le Ministère du développement social est le principal organisme d’intervention en matière de violence basée sur le genre et assume la responsabilité des services d’autonomisation des victimes à l’échelle nationale et provinciale. Avec un budget annuel de 46 millions de rands sud-africains (2,65 millions de dollars), les services d’autonomisation des victimes ne disposent pas de ressources suffisantes. Les ONG comblent le vide dans la prestation de services. La législation nationale ne définit pas les services d’autonomisation des victimes comme des services essentiels. En décembre 2019, le Cabinet a approuvé un projet de loi sur les services de soutien aux victimes définissant les tâches de chaque ministère. Le Ministère supervise six centres polyvalents provinciaux Khuseleka, où les victimes peuvent rester jusqu’à un mois, et 220 centres de l’espoir White Door, qui offrent un centre d’hébergement aux victimes pendant 24 heures et peuvent les orienter vers d’autres centres d’hébergement.

La loi sur la violence domestique n’oblige pas le Ministère du développement social à administrer ou à financer les centres d’hébergement. Le Ministère subventionne les centres d’hébergement administrés par des ONG sur la base d’une allocation quotidienne de référence par résidente ; elle varie considérablement selon la province et est octroyée à condition que l’ONG concernée dispose d’infrastructures dans au moins quatre provinces du pays. Les taux journaliers des résidentes des centres d’hébergement sont nettement inférieurs à ceux des détenus des prisons. Un rapport de la Commission de l’égalité des genres de 2019 sur l’état des centres d’hébergement en Afrique du Sud a révélé une insuffisance de fonds. Dans la province du Cap-Occidental, où les subventions du Ministère sont les plus élevées ; elles couvrent 40 % du budget des centres d’hébergement. De nombreux refuges ne sont pas accrédités par le Ministère et ceux qui le sont collectent des fonds pour combler leur dette résiduelle. La Commission de l’égalité des genres et les ONG ont mis en lumière le fait que toutes les provinces devraient utiliser le même modèle de financement. Les donateurs internationaux exigent généralement que les ONG soient propriétaires du terrain sur lequel se trouve un centre d’hébergement.

Les membres désignées ont visité des centres d’hébergement et des résidences sécurisées à Johannesburg, Le Cap, Stellenbosch, East London et Durban. En raison de leurs capacités limitées, les centres d’hébergement ne peuvent pas accepter toutes les victimes qui leur sont adressées. Le centre d’hébergement découvert ce jour-là à Johannesburg ne pouvait accueillir que 25 des 350 femmes demandant à être placées chaque année. Tous les centres d’hébergement visités étaient entièrement occupés. De nombreuses résidentes partageaient une chambre avec leurs enfants ou d’autres occupantes. La plupart des centres d’hébergement acceptent que les enfants (jusqu’à 12 ans) accompagnent les victimes, mais n’ont pas la capacité d’accueillir les victimes qui souffrent de troubles psychiatriques. Elles sont donc destinées à attendre pendant des mois d’être orientées vers un hôpital psychiatrique. De nombreux centres d’hébergement seraient réticents à accepter les victimes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes.

La plupart des centres d’hébergement prodiguent aux victimes un traitement médical, une aide psychosociale, une pharmacothérapie, une assistance parajuridique et une formation professionnelle afin de leur donner les moyens de devenir financièrement indépendantes. Les victimes ont exprimé leur gratitude pour l’aide, l’amour et l’attention qu’elles avaient reçus dans les centres d’hébergement. Les ONG ont fait observer un manque de possibilités de formation professionnelle pour les résidentes des centres d’hébergement. Le Cap-Occidental est la seule province où le Ministère du développement social prévoit une allocation budgétaire dédiée au renforcement des compétences dans les centres d’hébergement. La longueur des listes d’attente pour les logements à loyer modéré fait que les victimes restent parfois plus de 12 mois dans un centre d’hébergement. Le centre d’hébergement du Cap proposait des hébergements transitoires pour les victimes à risque. On estime que 25 % des résidentes des centre d’hébergement finissent par retourner auprès de leurs agresseurs.

La Directrice d’un centre d’hébergement a déclaré que le financement provenant du Ministère du Développement social entraînait trop de bureaucratie. Elle a lancé un appel aux donateurs individuels pour financer les salaires, les services publics, la formation, la scolarité, le transport, la maintenance et les services d’une société de sécurité. Le centre d’hébergement du Cap comptait 26 employés, pour la plupart des travailleurs sociaux financés par le Ministère, mais ne recevait pas de financement de la part d’autres donateurs importants et accusait un déficit annuel de 6 millions de rands sud-africains.

H.Autonomie des personnes rescapées de la violence domestique

1.Accès à des logements abordables

De nombreuses personnes rescapées sont restées dans une relation abusive parce qu’elles n’avaient pas accès à un logement abordable. Le Ministère du développement social a déclaré que la mise à disposition de logements financés par l’État était hors de portée de son budget. Ni la loi sur le logement social ni le projet de programme national de logements pour les personnes ayant des besoins spéciaux ne donnent la priorité aux personnes rescapées de la violence basée sur le genre.

2.Autonomisation économique

L’autonomisation économique est essentielle pour renforcer la résilience des victimes. De nombreuses victimes interrogées étaient au chômage, recevaient une pension alimentaire minimale (430 rands sud-africains par mois et par enfant) et avaient du mal à payer la nourriture, l’électricité, l’école et les transports. Certaines dépendaient des colis alimentaires et des vêtements distribués par les travailleurs sociaux.

Les sources d’information ont expliqué que les biens matrimoniaux n’étaient souvent pas partagés de manière égale lors du divorce. Bien que le droit coutumier permette la répartition des biens matrimoniaux, de nombreuses femmes ignorent qu’elles doivent les réclamer ou en sont empêchées par des normes culturelles.

3.Garde des enfants et pension alimentaire

Le risque de perdre la garde de leurs enfants ou ne plus avoir de contact avec eux dissuade les femmes de mettre fin à une relation violente. La longueur et la complexité des procédures de divorce et de garde sont des obstacles supplémentaires. Plusieurs résidentes de centres d’hébergement n’ont pas vu leurs enfants (qui vivaient avec la famille de la victime ou celle du père violent) pendant de longues périodes, car ils vivaient loin ou qu’on leur refusait tout contact. Dans certains cas, des membres de la famille ont maltraité les enfants.

Lors des entretiens avec les victimes, il a été constaté que les tribunaux ne tenaient pas suffisamment compte de la violence domestique lorsqu’ils déterminaient les droits de garde ou de visite des enfants.

Les victimes rencontrent des difficultés pour faire respecter les obligations alimentaires. La loi sur les pensions alimentaires de 2015 a amélioré leur situation en autorisant les tribunaux à ordonner une ou plusieurs des mesures suivantes : que les fournisseurs de services de téléphonie mobile divulguent l’adresse du parent défaillant ; que le parent défaillant soit arrêté ; qu’une saisie soit réalisée sur le salaire du parent défaillant ; que l’État avance les frais d’obligations alimentaires. Cependant, les entretiens ont révélé que les pères de famille refusaient souvent de payer la pension alimentaire, n’étaient pas en mesure de la payer ou la payaient de manière irrégulière.

4.Frais d’éducation des enfants

Les membres désignées se sont dit inquiètes de savoir que les victimes devaient consacrer leurs maigres ressources à l’éducation de leurs enfants, car seules certaines « écoles sans frais » sont exonérées de l’obligation de compléter le financement public par des frais de scolarité.

VII.Conclusions juridiques

A.Obligations de l’État partie en vertu de la Convention en ce qui concerne la violence domestique

La violence à l’égard des femmes fondée sur le genre constitue une discrimination à l’égard des femmes au sens de l’article 1 de la Convention et, de ce fait, concerne l’ensemble de ses obligations. La discrimination peut apparaitre lorsque les États ne prennent pas les mesures législatives nécessaires, mais aussi s’ils n’appliquent pas les lois existantes.

Les États parties ont l’obligation de diligence raisonnable, en vertu de l’article 2 (e) de la Convention, de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir, mener des enquêtes, engager des poursuites, prendre des sanctions, et indemniser les victimes concernant les actes ou les omissions des acteurs non étatiques qui entraînent une violence fondée sur le genre à l’égard des femmes, y compris la violence domestique. Le fait pour un État partie de ne pas prendre des mesures appropriées pour prévenir les actes de violence domestique quand ses autorités ont connaissance ou devraient avoir connaissance d’un risque de violence, ou de manquer à son obligation de mener des enquêtes, d’engager des poursuites, de prendre des sanctions et d’indemniser les victimes, constitue une autorisation ou un encouragement tacite à perpétrer la violence domestique.

Les pratiques néfastes, notamment le mariage d’enfants et le mariage forcé, la polygamie et l’enlèvement de femmes en vue d’un mariage forcé, sont des formes de violence basée sur le genre. Les femmes et les filles vivant dans de telles unions risquent davantage d’être confrontées à la violence domestique. Les États parties ont l’obligation d’abroger (y compris dans le droit coutumier et le droit religieux) toutes les dispositions qui autorisent, tolèrent ou encouragent la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes, y compris les mariages d’enfants et les mariages forcés et autres pratiques néfastes.

En vertu des articles 2 (c) et 15, les États parties doivent veiller à ce que les victimes de violence domestique aient accès à des recours abordables, accessibles et rapides, avec une aide juridictionnelle (si nécessaire, gratuite). Les États parties doivent permettre aux victimes d’être indemnisées de manière appropriée. Pour garantir l’accès à la justice, il est nécessaire de proposer une aide personnalisée aux femmes n’ayant pas de connaissances en droit afin qu’elles comprennent parfaitement les procédures judiciaires, de mettre en place des programmes de culture juridique et de créer des milieux favorables qui leur permettent de dénoncer les violences domestiques. Ces services peuvent exiger le remboursement des frais de transport vers les tribunaux pour les femmes qui n’ont pas de moyens suffisants. Les États parties doivent protéger les plaignantes contre les menaces, le harcèlement et les représailles, et ce, avant, pendant et après la procédure judiciaire. Ils devraient apporter un soutien financier aux organisations qui proposent une assistance judiciaire aux victimes.

Les États parties devraient, en vertu de l’article 2 (c), protéger et aider les plaignantes qui sont victimes de violence domestique en les orientant vers des services de soutien spécialisés, et garantir un nombre suffisant de centres d’hébergement sûrs et convenablement équipés, de services médicaux, psychologiques et d’appui psychosocial, de possibilités de formation et de logements abordables.

En vertu des articles 2 (f) et 5 (a), les États parties sont tenus de déstigmatiser les victimes de violence domestique, y compris le viol, en faisant mieux comprendre ses causes profondes, notamment l’héritage de l’apartheid, et en faisant disparaître les stéréotypes discriminatoires et les normes culturelles qui perpétuent la violence domestique. L’objectif est également de combattre les idées reçues selon lesquelles les femmes sont responsables de la violence qu’elles subissent, et ce, au moyen de programmes de sensibilisation destinés aux forces de l’ordre, les services éducatifs, sanitaires et sociaux ainsi que les chefs coutumiers et religieux. Les États parties devraient prévoir un renforcement obligatoire et récurrent des capacités des magistrats, des forces de l’ordre et du personnel médico-légal et soignant afin de mettre fin aux préjugés et aux stéréotypes liés au genre ; veiller à la mise en œuvre rigoureuse des dispositions du droit pénal, à la collecte et la préservation d’éléments de preuve ainsi qu’à la délivrance et au suivi du respect des ordonnances de protection dans les affaires de violence domestique ; évaluer l’incidence de ces mesures.

B.Violations des droits garantis par la Convention

1.Droit de vivre à l’abri de la violence domestique

a)Manque de sensibilisation à la prévention de la violence domestique

Le Comité reconnaît les actions menées par l’État partie en vue de sensibiliser le public au caractère délictueux de la violence domestique et aux pratiques néfastes qui engendrent cette violence, et ce, au moyen de programmes destinés notamment aux communautés rurales. Cependant, l’efficacité de ces programmes est sapée par le manque de financement et les tentatives des institutions publiques de justifier des pratiques néfastes telles que l’ukuthwala, le mariage d’enfants et la polygamie comme des pratiques culturelles consensuelles. La portée de ces dispositions étant limitée, il est nécessaire de prendre des mesures préventives systématiques et complètes pour lutter contre la stigmatisation des victimes et faire disparaître les stéréotypes patriarcaux qui perdurent dans l’État partie, notamment dans les zones rurales, et qui ont pour conséquence de légitimer la violence domestique dans la société.

b)Adéquation du cadre législatif

Le Comité reconnaît la mise en place de sanctions pénales et d’ordonnances de protection pour prévenir la violence domestique et prendre des sanctions si elle se produit. Cependant, le fait de ne pas ériger en délit toutes les formes de violence domestique empêche de faire passer un message fort contre cette infraction et n’est pas à la hauteur de violences de sa très large prévalence dans l’État partie.

Le Comité mentionne qu’en vertu de l’article 26 (1) de la loi sur le mariage, l’âge minimum pour se marier est de 16 ans pour les filles et de 18 ans pour les hommes, et le Ministre de l’intérieur peut autoriser le mariage d’une fille de moins de 16 ans. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle le mariage d’enfants désigne tout mariage dont au moins l’un des conjoints à moins de 18 ans et constitue un mariage forcé. Bien que la loi sur la reconnaissance des mariages coutumiers exige le consentement pour les mariages polygames et l’ukuthwala (sect. 2 (4) et 3 (1) (a) (ii)) et que la loi sur les enfants impose un consentement pour les mariages d’enfants ayant un âge supérieur à l’âge minimum fixé par la loi (sect. 12 (2) (b)), elles ne définissent pas les critères permettant de vérifier le consentement libre, complet et éclairé. Le Comité considère que, faute d’abroger les dispositions qui autorisent, tolèrent ou encouragent le mariage d’enfants et le mariage forcé ainsi que d’autres pratiques néfastes, l’État partie fait peser sur les femmes et les filles une augmentation des risques de violence domestique.

c)Défaut d’application de la loi

Par rapport au nombre de cas signalés dans les centres de soins Thuthuzela, les taux de déclaration de culpabilité pour les infractions sexuelles restent faibles (voir par. 56 ci-dessus). Compte tenu du faible pourcentage de poursuites pénales et de déclarations de culpabilité dans les affaires de violence domestique et sexuelle (CEDAW/C/ZAF/CO/4, par. 24) et la clémence des peines, en particulier pour les primo-délinquants, les mesures de dissuasion sont insuffisantes et incompatibles avec l’obligation de diligence raisonnable de l’État partie au titre de l’article 2 (e) de la Convention.

Les défaillances fréquentes de la police sud-africaine en matière d’assistance aux victimes et de leur protection contre la revictimisation, de signification, d’exécution et de suivi des ordonnances de protection, la clémence des sanctions en cas de violation des ordonnances et le non-respect par la police de la loi sur la violence domestique vont à l’encontre de l’obligation de l’État partie de garantir des mécanismes de protection efficaces visant à prévenir la violence domestique.

En outre, les forces de l’ordre sont trop passives lorsqu’elles enquêtent sur des plaintes avec constitution de partie civile. La réticence à enregistrer les plaintes, le retour des victimes auprès de l’auteur de violences, la corruption ou la collusion avec les auteurs de violences et le fait de ne pas arrêter les auteurs de violences exposent les femmes à la revictimisation et compromettent l’efficacité de la réponse de la police à la violence domestique. La perte des registres et l’absence d’un système électronique centralisé de gestion des affaires entraînent des défaillances systématiques dans les enquêtes sur les affaires de violence domestique.

Le Comité appelle l’attention sur le recours limité aux poursuites d’office dans les cas de viol (uniquement lorsque la victime est âgée de moins de 16 ans) et lors du retrait d’une plainte pour violence domestique. Si les poursuites d’office peuvent exposer les victimes à des représailles, l’absence de réponse automatique de la justice pénale permet aux auteurs de violences et aux tiers de faire pression sur les victimes pour qu’elles ne déposent pas de plainte ou la retirent, ce qui donnent aux fautifs davantage d’impunité et stigmatisent encore plus les femmes qui dénoncent des faits de violence domestique et sexuelle. Il fait également observer que le fait que les procureurs de la République s’appuient fortement sur les témoignages des victimes comme preuve affaiblit la réponse de la justice pénale à la violence domestique.

d)Manque de renforcement des capacités et de sensibilisation du système judiciaire et de la police.

Le Comité prend acte de l’action menée par l’État partie mais fait aussi remarquer que le renforcement des capacités des juges, des procureurs de la République et, en particulier, de la police sud-africaine est insuffisant et ne donne pas assez de résultats. Il estime nécessaire de mettre en place des formations supplémentaires obligatoires, récurrentes et efficaces sur les diverses formes de violence domestique, l’application rigoureuse de la loi sur la violence domestique, les interrogatoires tenant compte des questions de genre et la gestion appropriée des affaires et de la collecte des preuves.

La réticence fréquente des forces de l’ordre et du système judiciaire à enquêter sur les actes de violence domestique, à engager des poursuites et à prendre des sanctions, ainsi que la victimisation secondaire des femmes au cours des procédures judiciaires, peuvent être attribuées à la persistance des stéréotypes discriminatoires au sein de ces organismes. Le Comité note que l’absence de programmes de sensibilisation visant à faire évoluer les attitudes coutumières et destinés spécifiquement au système judiciaire et à la police confine la violence domestique dans la sphère privée, contribuant ainsi à une culture de l’impunité.

e)Constats

Le Comité conclut que l’État partie a enfreint les articles suivants de la Convention :

a)1, 2 (f), 3, 5 (a), 10 (c) et (h) et 16, pour ne pas avoir pris de mesures durables pour prévenir la violence domestique et mettre fin aux pratiques néfastes en faisant disparaître les stéréotypes et pratiques discriminatoires qui sont à l’origine de la violence domestique ;

b)2 (b), (e) et (f), lu conjointement avec 5 (a), 15 et 16, pour ne pas avoir spécifiquement érigé en infraction pénale toutes les formes de violence domestique et de féminicide et abrogé les dispositions qui autorisent, tolèrent ou encouragent les mariages d’enfants et les mariages forcés et autres pratiques néfastes donnant lieu à de telles violences ;

c)2 (b), (c) et (e), lu conjointement avec 5 (a) et 15, pour ne pas avoir appliqué et suivi de manière efficace les ordonnances de protection contre les auteurs de violences présumés et ne pas avoir imposé de sanctions appropriées en cas de non-respect de cette décision de justice ;

d)1 et 2 (b), (c), (e) et (f), lus conjointement avec 3, 5 (a), 12 et 15, pour ne pas avoir systématiquement poursuivi d’office les cas de viol et de violence domestique et pour avoir laissé les stéréotypes discriminatoires avoir une influence sur les interrogatoires et la collecte des preuves dans les affaires de violence domestique et à ce que les témoignages des femmes et des filles en tant que parties ou témoins soient dûment pris en compte ;

e)1 et 2 (c)-(e), lus conjointement avec 5 (a), 12 et 15, pour avoir manqué à son obligation de diligence raisonnable de mener des enquêtes, d’engager des poursuites, de prendre des sanctions de manière efficace dans les affaires de violence domestique, y compris la violence sexuelle, et d’indemniser les victimes de façon appropriée ; de renforcer de manière obligatoire, systématique et efficace les capacités du système judiciaire et des forces de l’ordre en ce qui concerne d’une part l’application rigoureuse de la législation qui interdit une telle violence et d’autre part les méthodes d’enquête, de contre-interrogatoire, de gestion des affaires et de collecte des preuves tenant compte des questions de genre ; et les sensibiliser à l’abolition des préjugés liés au genre et des stéréotypes discriminatoires.

2.Droit d’accès à la justice et aux services de soutien aux victimes

a)Absence d’aide juridictionnelle et de mesures visant à soutenir et à faciliter le signalement par les victimes

Le Comité estime que l’État partie n’a pas réussi à créer un milieu favorable aux femmes pour qu’elles signalent les incidents de violence domestique, et ce, en ne déstigmatisant pas les victimes, en ne combattant pas les idées reçues sur les victimes, la partialité du système judiciaire et les stéréotypes liés au genre, et en ne protégeant pas les plaignantes des représailles lancées par les auteurs de violences.

L’État partie a par ailleurs omis d’informer correctement les victimes de leurs droits et de leur expliquer les procédures judiciaires, notamment l’importance de démontrer l’existence d’un danger imminent pour obtenir une ordonnance d’expulsion et de se présenter à l’audience à la date de retour pour obtenir une ordonnance de protection définitive. L’État partie n’a pas non plus donné les moyens nécessaires à la police sud-africain de protéger et d’aider les victimes, ne l’a pas doté d’un équipement adéquat et ne l’a pas tenu responsable de ses actes. Le fait d’exiger des victimes qu’elles rencontrent l’auteur de violences de l’infraction à la date de retour est incompatible avec l’obligation de mettre en place des procédures judiciaires tenant compte des questions de genre qui protègent la sécurité des plaignantes.

L’État partie n’est pas venu à bout des obstacles économiques à l’accès à la justice auxquels sont confrontées les victimes de violence domestique. L’absence d’aide juridictionnelle institutionnalisée abordable ou, si nécessaire, gratuite (CEDAW/C/ZAF/CO/4, par. 17 (a)) et de remboursement des frais de transport prive de nombreuses victimes sans moyens suffisants de leur droit de porter leur affaire devant les tribunaux.

D’autres obstacles à l’accès des femmes à la justice résident dans la fréquence des retards dans les procédures judiciaires dans les cas de violence domestique et dans le fait que la police sud-africaine et les tribunaux ne veillent pas à ce que ces affaires ne fassent pas l’objet d’une médiation.

b)Manque d’accès aux services de soutien aux victimes

Le Comité reconnaît que l’État partie a amélioré l’accès au système judiciaire en instaurant des centres de soins Thuthuzela qui proposent des services juridiques et sociaux aux victimes de violence sexuelle. Cependant, les centres souffrent d’un manque de financement, sont inaccessibles pour de nombreuses femmes des zones rurales, et tous ne sont pas ouverts 24 heures sur 24. Le mécanisme national de promotion des femmes ne dispose pas de l’autorité et des ressources qui lui permettraient d’exercer le contrôle nécessaire à l’établissement des normes de responsabilité destinées aux ministères qui proposent des services de soutien aux victimes. Le fait que l’État partie n’alloue pas les ressources nécessaires aux activités des services de soutien aux victimes [CEDAW/C/ZAF/CO/4, par. 25 d)], tels que des services psychiatriques et des services psychosociaux à long terme, des formations professionnelles et des logements abordables, sape le droit de la victime à un recours effectif.

Le Comité évoque le caractère inadapté des services de protection et de soutien aux victimes de violence domestique avant, pendant et après les procédures judiciaires, et en particulier l’absence de centres d’hébergement gérés par l’État destinés aux femmes et à leurs enfants. Il observe que la capacité limitée des centres d’hébergement et des résidences protégées gérés par des ONG qui fournissent une assistance médicale, psychologique et juridique aux victimes et le manque de possibilités de formation professionnelle sont des conséquences directes du manque de soutien financier du Ministère du développement social. Il rappelle que l’État partie ne peut s’exonérer de son obligation de garantir protection et assistance aux victimes de violence domestique en déléguant la prestation de ces services à des centre d’hébergement gérés par des ONG sans les financer de manière adéquate et sans veiller à ce que leurs services soient accessibles à toutes les victimes de violence domestique, y compris les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes.

Le Comité considère que le manque de protection économique des femmes en cas de divorce, le peu d’attention accordée à la violence domestique dans les procédures judiciaires visant à déterminer les droits de garde ou de visite, les longs délais des procédures de divorce et de garde des enfants, la mauvaise application des obligations alimentaires et le fait que l’État partie n’ait pas instauré la gratuité de l’enseignement secondaire perpétuent la dépendance des femmes à l’égard de leurs conjoints violents.

c)Constats

Le Comité conclut que l’État partie a enfreint les articles suivants de la Convention :

a)2 (c), 5 (a) et 15, pour ne pas être venu à bout des obstacles économiques et sociaux de l’accès à la justice auxquels sont confrontées les victimes de violence domestique, en ne proposant pas d’aide juridique abordable (ou, si nécessaire, gratuite) et en ne remboursant pas les frais de déplacement vers les tribunaux, et en ne créant pas un milieu favorable aux femmes pour qu’elles signalent les incidents de violence domestique et en ne garantissant pas des procédures judiciaires tenant compte des questions de genre ;

b)2 (c) et (e), 11 (c), 12 et 15, pour ne pas avoir garanti les allocations budgétaires nécessaires aux services d’autonomisation des victimes et n’avoir pas mis à disposition des femmes et de leurs enfants des services de protection et de soutien appropriés, y compris un nombre suffisant de centres de soins Thuthuzela, de centres d’hébergement et de résidences sécurisées convenablement financés ;

c)2 (c) et (e), 10, 13 et 16, pour ne pas avoir garanti la protection adéquate des femmes en ce qui concerne les procédures de divorce, de garde des enfants et de pension alimentaire, et leur protection sociale, ainsi que l’éducation gratuite de leurs enfants, afin de donner aux victimes de violence domestique les moyens de mettre fin à une relation abusive.

C.Principales violations constatées au titre de la Convention

Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que l’Afrique du Sud a violé les articles suivants de la Convention : 1, 2 (f), 3, 5 (a), 10 (c) et (h) et 16 ; 2 (b), (e) et (f), lus conjointement avec 5 (a), 15 et 16 ; 2 (b), (c) et (e), lu conjointement avec 5 (a) et 15 ; 1 et 2 (b), (c), (e) et (f), lus conjointement avec 5 (a), 12 et 15 ; 1 et 2 (c)-(e), lus conjointement avec 3, 5 (a), 12 et 15 ; 2 (c), 5 (a) et 15 ; 2 (c) et (e), 11 (c), 12 et 15 ; et 2 (c) et (e), 10, 13 et 16. Le contenu de ces articles est développé dans les recommandations générales no 18(1991), 19 (1992), 21 (1994), 29 (2013), 33 (2015) et 35 (2017) du Comité, ainsi que dans la recommandation générale no 31/observation générale no 18 (2019).

D.Nature grave et systématique des violations

En vertu de l’article 8 du Protocole facultatif et de l’article 83 de son règlement intérieur, le Comité doit évaluer si les violations des droits ont un caractère grave ou systématique.

Le Comité considère les violations comme « graves » lorsqu’elles sont susceptibles de causer un préjudice substantiel aux victimes. La détermination de la gravité des violations doit prendre en compte l’échelle, la prévalence, la nature et l’incidence des violations constatées.

Le terme « systématique » désigne la nature organisée des actes à la base des violations ainsi que l’improbabilité de les voir se produire par hasard. Le refus systématique d’accorder aux femmes des droits égaux peut survenir délibérément, ou en raison de lois ou de politiques discriminatoires, que celles-ci le soient intentionnellement ou non. Le caractère systématique des violations peut également être évalué à la lumière de l’existence de pratiques étendues et persistantes qui ne sont pas le résultat d’un hasard.

Le Comité évalue la gravité des violations dans l’État partie à la lumière de ce que les femmes et les filles victimes de violence domestique endurent. Il appelle l’attention sur les préjudices physiques et psychologiques causés par la violence domestique et sexuelle, notamment dans les mariages d’enfants et les mariages forcés, ainsi que les incidences négatives que cette violence peut avoir sur le droit des femmes et des filles à l’éducation, sur leur autonomisation économique, sur leur santé sexuelle et procréative et sur les droits connexes, et sur le fait qu’elles ont les mêmes droits que les hommes en matière de mariage et de rapports familiaux. Les femmes et les jeunes filles victimes de violences domestiques sont ainsi face à deux possibilités : rester dans la relation domestique abusive ; ou mettre fin à la relation et risquer de subir des représailles, d’être séparées de leurs enfants, de se retrouver dans la pauvreté et d’être stigmatisée, tout en ayant un accès limité à la justice, à la protection et aux services de soutien. Dans les deux cas, elles se retrouvent souvent sans protection efficace contre de nouvelles violences. Les victimes de violence domestique doivent donc choisir entre rester dans la relation abusive ou subir les conséquences de leur rupture sur le plan social, économique et en matière de sécurité. Dans les deux cas, elles risquent de voir leurs droits bafoués.

Le Comité constate que l’État partie est responsable des violations suivantes :

a)Violations graves des droits énoncés dans la Convention, étant donné que l’État partie n’a pas protégé un nombre important de femmes et de filles contre la violence domestique et ne leur a pas fourni un accès adéquat à la justice, à la protection et au soutien afin de leur permettre de mettre fin à des relations domestiques abusives, les exposant ainsi à de grandes souffrances physiques et mentales ou en les prolongeant inutilement ;

b)Violations systématiques des droits énoncés dans la Convention, étant donné que l’État partie a sciemment omis de prendre des mesures suffisantes :

i)Pour lutter contre les attitudes patriarcales et les normes sociales qui légitiment la violence domestique et déstigmatiser les victimes ;

ii)Pour ériger délibérément en délit la violence domestique et le féminicide, faire respecter et suivre les recours civils contre les auteurs de violences, abroger les dispositions qui tolèrent les pratiques néfastes donnant lieu à la violence domestique, appliquer les dispositions du droit pénal général qui punit la violence domestique et engager des poursuites d’office contre la violence domestique et le viol ;

iii)Pour mettre en place des dispositions institutionnelles appropriées, des mesures de contrôle et responsabilisation afin de protéger les victimes de la violence domestique et empêcher qu’elle ne se produise ;

iv)Pour surmonter les obstacles économiques et sociaux auxquels sont confrontées les victimes de violence domestique et créer un environnement favorable qui leur donne accès à la justice.

Le Comité considère que l’État partie a sciemment accepté ces omissions, qui ne sont pas le fruit du hasard, comme en témoignent le fait qu’il existe des niveaux extrêmement élevés de violence domestique dans l’État partie. Les omissions constituent des éléments de violations systématiques des droits énoncés dans la Convention.

VIII.Recommandations

A.Cadre juridique et institutionnel

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre les initiatives suivantes :

a) Ériger délibérément en délit et établir des peines proportionnelles à la gravité de toutes les formes de violence domestique et de féminicide et introduire des poursuites d ’ office avec la possibilité d ’ émettre un dernier avertissement plutôt que de condamner l ’ auteur de violences lorsqu ’ une victime retire sa plainte après réconciliation ;

b) Harmoniser la définition de la violence basée sur le genre dans l ’ ensemble de la législation, identifier les responsabilités spécifiques des services gouvernementaux en matière de lutte contre la violence domestique et leur demander de conférer des repères budgétaires ou des ressources dédiées à la budgétisation tenant compte des questions de genre ;

c) Octroyer un financement spécifique destiné à la mise en œuvre du plan stratégique national sur la violence basée sur le genre et le féminicide et veille à ce que le Conseil sur la violence basée sur le genre et le féminicide dispose de ressources suffisantes, soit indépendant et pourvu d ’ un mandat fort ;

d) Modifier l ’ article 26 (1) de la loi sur le mariage et l ’ article 3 de la loi sur la reconnaissance des mariages coutumiers afin de porter l ’ âge minimum du mariage à 18 ans pour les femmes et les hommes sans exception, d ’ habiliter les tribunaux à invalider les mariages d ’ enfants et les mariages forcés, d ’ interdire l ’ ukuthwala impliquant des filles et le paiement d ’ une dot et de faire respecter l ’ interdiction des mariages d ’ enfants et des mariages forcés, en particulier dans les zones rurales et au sein des communautés traditionnelles ;

e) Abroger les dispositions de la loi sur la reconnaissance des mariages coutumiers qui autorisent, tolèrent ou encouragent des pratiques néfastes telles que la polygamie et l ’ ukuthwala , et modifier la loi pour définir les critères permettant de vérifier le consentement libre, complet et éclairé des femmes concernées ;

f) Adopter le projet de loi sur l ’ autonomisation des femmes et l ’ égalité des genres et veiller à ce qu ’ il définisse et interdise toutes les formes de discrimination directe et indirecte à l ’ égard des femmes. Garantir aussi qu ’ il confère des mandats plus forts, d ’ une part, au mécanisme national de promotion des femmes afin de réglementer la prestation de services et, d ’ autre part, à la Commission de l ’ égalité des genres afin de superviser le gouvernement et le tenir responsable de la mise en œuvre de la législation sur l ’ égalité des genres.

B.Application de la loi

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre les initiatives suivantes :

a) Agir avec diligence raisonnable pour prévenir les faits de violence domestique et, si violence il y a, mener des enquêtes, prendre des sanctions et proposer des recours efficaces aux victimes ;

b) Veiller à ce que les auteurs de violences domestiques ne soient pas libérés sous caution, soient poursuivis et se voient infliger des peines proportionnelles à la gravité de l ’ infraction, ainsi que des services adéquats pénitentiaires et de réhabilitation pour prévenir la récidive ;

c) Prévoir un renforcement obligatoire, récurrent et efficace des capacités du système judiciaire, des forces de l ’ ordre, des experts en médecine légale, du personnel de santé et des travailleurs sociaux en ce qui concerne toutes les formes de violence domestique et sexuelle, l ’ application rigoureuse de la loi sur la violence domestique et de la loi sur les délits sexuels, les interrogatoires tenant compte des questions de genre, la gestion adaptée des affaires et la collecte et l ’ utilisation des preuves scientifiques, ainsi que leur rôle dans la protection, l ’ encouragement et l ’ aide aux victimes qui signalent des cas de violence domestique ;

d) Poursuivre d ’ office tous les cas de viols, y compris lorsque la victime a 16 ans ou plus ou retire sa plainte contre l ’ auteur de violences ;

e) Dispenser une formation systématique pour que les forces de l ’ ordre enquêtent sur les cas de violence domestique de manière rapide, indépendante et approfondie, y compris lorsqu ’ une victime retire sa plainte après s ’ être réconciliée avec l ’ auteur de violences ;

f) Octroyer à la police sud-africaine les compétences et les moyens nécessaires (notamment un nombre suffisant de véhicules, d ’ outils informatiques et de formations) pour signifier, faire appliquer et suivre les ordonnances de protection, accompagner les victimes pour qu ’ elles récupèrent leurs effets personnels et confisquer les armes à feu des auteurs de violences ;

g) Renforcer les mécanismes de responsabilisation afin de sanctionner les agents des services de police sud-africains pour non-respect de leur devoir d ’ enquête et de leurs obligations au titre de la loi sur la violence domestique, pour corruption ou collusion avec les auteurs de violences ;

h) Fournir des espaces pour réaliser des séances de bilan après mission confidentielles et un soutien psychologique aux officiers de la police sud-africaine subissant un traumatisme, et les inciter à enregistrer les cas de violence domestique en incluant des indicateurs de violence basée sur le genre dans leurs plans d ’ évaluation des performances ;

i) Mettre en place un système électronique de gestion des dossiers et dispenser une formation sur son utilisation afin d ’ empêcher que les dossiers ne soient perdus.

C.Accès à la justice

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre les initiatives suivantes :

a) Venir à bout des obstacles à la justice auxquels sont confrontées les femmes et les filles, notamment en fournissant une aide juridique institutionnalisée abordable (ou, si nécessaire, gratuite) aux victimes de violence domestique, indépendamment de la représentation en justice de l ’ auteur de violences, et le remboursement des frais de transport, et en finançant les organisations prodiguant une assistance judiciaire aux victimes ;

b) Exiger que les greffiers aident les victimes à remplir les formulaires de demande d ’ ordonnance de protection et les informent de la nécessité de démontrer l ’ existence d ’ un danger imminent et de comparaître à la date de retour pour obtenir une ordonnance d ’ expulsion ou de protection définitive, ainsi que de la nécessité de signaler les violences récurrentes ;

c) Former le système judiciaire et les greffiers à formuler des ordonnances de protection qui protègent efficacement les victimes et interdisent de nouveaux actes de violence domestique, et veiller à ce que les demandeuses soient reçues en dehors des heures de travail des tribunaux, qu ’ elles soient orientées vers les services d ’ aide aux victimes et qu ’ elles aient la possibilité de faire leurs demandes en ligne et dans des locaux adaptés aux victimes ;

d) Veiller à ce que les officiers de police situés dans les centres de soins Thuthuzela soient disponibles 24 heures sur 24, augmenter le nombre d ’ installations adaptées aux victimes dans les commissariats de police et garantir que les officiers et les bénévoles suivent une formation sur les protocoles tenant compte des questions de genre ;

e) Faire en sorte que les victimes de violences domestiques aient accès à des voies de recours efficaces, y compris la réhabilitation, et que les affaires ne soient pas obligatoirement déférées à des procédures alternatives de règlement des conflits ou à des tribunaux coutumiers qui privilégient la médiation ;

f) Créer un milieu favorable pour encourager les victimes à signaler les incidents de violence domestique en instaurant les mesures suivantes :

i) Déstigmatiser les victimes, combattre les idées reçues sur les victimes, protéger les victimes contre les menaces et les représailles des agresseurs avant, pendant et après la procédure judiciaire et imposer des sanctions sévères en cas de violation des ordonnances de protection ;

ii) Faire le nécessaire pour que les victimes aient accès aux preuves psychiatriques scientifiques, notamment dans les zones rurales, et accélérer les examens médico-légaux dans les hôpitaux de jour ;

iii) Pourvoir à ce que les procédures judiciaires ne soient pas indûment prolongées, en évitant la confrontation directe des victimes avec les auteurs de violences, en mettant fin aux préjugés liés au genre dans le système judiciaire et en sensibilisant les magistrats et la police à la nécessité d ’ accorder aux témoignages des femmes et des filles la valeur qui leur revient en tant que parties et témoins ;

iv) Vérifier que les tribunaux tiennent dûment compte de la violence domestique lorsqu ’ ils déterminent les droits de garde ou de visite des enfants ;

g) Mettre en place un système électronique centralisé de gestion des affaires au sein du système judiciaire afin de garantir un traitement efficace et efficient des affaires de violence domestique.

D.Soutien aux victimes

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre les initiatives suivantes :

a) Augmenter le nombre de centres de soins Thuthuzela et leur accorder un financement suffisant pour qu ’ ils puissent fonctionner 24 heures sur 24, fournir un soutien médical et psychosocial adéquat aux victimes de violences sexuelles, en particulier dans les zones rurales, et former les travailleurs sociaux à la prise en charge psychologique ;

b) Adopter le projet de loi sur les services de soutien aux victimes, définir les services d ’ autonomisation des victimes comme des services obligatoires, financer de manière adéquate les centres d ’ hébergement et les résidences protégées gérés par les ONG, augmenter l ’ allocation quotidienne de référence par résident en utilisant le même modèle de financement dans toutes les provinces, supprimer les obstacles bureaucratiques aux subventions du ministère du Développement social et l ’ obligation pour les ONG de disposer d ’ infrastructures dans au moins quatre provinces et faciliter l ’ acquisition par les ONG du terrain où se trouvent les locaux de leur refuge ;

c) Veiller à ce que les centre d ’ hébergement et les résidences protégées disposent de capacités suffisantes pour accueillir les victimes de violences domestiques, y compris celles souffrant de troubles psychiatriques et les victimes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes, ainsi que leurs enfants. Prévoir des allocations dédiées au renforcement des compétences dans les centre d ’ hébergement de toutes les provinces et mettre pleinement en œuvre les recommandations du rapport 2019 de la Commission de l ’ égalité des genres sur l ’ état des centre d ’ hébergement en Afrique du Sud ;

d) S ’ attacher à ce que les personnes rescapées de violence domestique et leurs enfants aient accès à un logement abordable, à une éducation gratuite, à un soutien psychosocial à long terme, à des prêts, à des crédits et à d ’ autres services de base, ainsi qu ’ à un soutien financier, et qu ’ elles soient économiquement autonomes pour mettre fin aux relations abusives et s ’ en remettre ;

e) Faire en sorte que les femmes bénéficient d ’ une protection économique en cas de divorce, réduire la durée des procédures de divorce, faire respecter les obligations alimentaires et verser une pension alimentaire adéquate aux mères qui mettent fin à une relation abusive.

E.Prévention et sensibilisation

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre les initiatives suivantes :

a) Adopter des mesures préventives, les mettre en œuvre avec efficacité et les financer de manière adéquate afin de remettre en question et de désamorcer les causes profondes de la violence domestique, dont les attitudes patriarcales et les stéréotypes discriminatoires qui rendent la violence domestique immuable ou légitime, ainsi que les pratiques néfastes qui engendrent cette violence et la confinent dans la sphère privée, et lutter contre la culture du silence et de l ’ impunité qui entoure la violence domestique et sexuelle ;

b) Créer des organisations de la société civile qui mènent des programmes de sensibilisation à l ’ intention du grand public et des dirigeants politiques, traditionnels et religieux, des initiateurs, de la Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques et des médias, et leur apporter un soutien financier, l ’ objectif étant de faire comprendre le caractère criminel de toutes les formes de violence domestique, y compris la violence psychologique et économique, le viol et les pratiques néfastes, ainsi que l ’ incompatibilité de certaines pratiques culturelles avec les droits des femmes, et de lutter contre la stigmatisation des victimes ;

c) Renforcer les programmes pédagogiques consacrés aux droits des femmes et à l ’ égalité entre des genres à tous les degrés d ’ enseignement afin d ’ éliminer les rôles de genre stéréotypés et de sensibiliser les filles et les garçons aux préjudices engendrés par la violence basée sur le genre ;

d) Sensibiliser les officiers de police, les travailleurs sociaux, les professeurs d ’ écoles et d ’ universités à leur devoir de signaler les cas de maltraitance d ’ enfants dans leur communauté, et les cas de violence sexuelle, y compris la violence au sein du couple dans les universités, selon le cas ;

e) Mettre en œuvre des programmes durables de traitement de la toxicomanie et de l ’ alcoolisme et d ’ information sur ces sujets dans les communautés et les écoles.

F.Principe de responsabilité et collecte de données

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre les initiatives suivantes :

a) Mettre en place des mécanismes de responsabilité et un système de suivi et d ’ évaluation de la mise en œuvre du plan stratégique national sur la violence basée sur le genre et le féminicide, et recueillir, analyser et publier régulièrement des données statistiques ventilées sur le nombre de plaintes concernant toutes les formes de violence domestique, les taux de rejet et de retrait des plaintes, y compris en cas de réconciliation, les taux de poursuite et de condamnation, les peines infligées aux auteurs de violences et les réparations accordées aux victimes ;

b) Mener des recherches et une enquête spécifique sur la violence basée sur le genre afin d ’ obtenir des données plus fiables sur l ’ ampleur et les répercussions économiques de la violence basée sur le genre, y compris la violence domestique, dans l ’ État partie.