NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE *

CCPR/C/86/D/1123/2002

18 avril 2006

Original: FRANÇAIS

COMITE DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-sixième session

13-31 mars 2005

CONSTATATIONS

Communication no 1123/2002

Présentée par : Carlos Correia de Matos (non représenté par un conseil)

Au nom de  : L’auteur

État partie  : Portugal

Date de la communication  : 1 er  avril 2002

Références  : Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 octobre 2002.

Date de l’adoption

des constatations  : 28 mars 2006

Objet  : Droit d’assurer sa propre défense

Questions de procédure  : Statut de « victime »; amnistie; décision finale d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme; épuisement des recours internes étroitement lié aux questions de fond

Questions de fond  : Droit d’assurer sa propre défense; procès équitable; bonne administration de la justice

Articles du Pacte  : Article 14, paragraphe 3 d)

Articles du Protocole facultatif  : Article 5, paragraphe 2 a)

Le 28 mars 2006, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication n o  1123/2002, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits

civils et politiques

– quatre-vingt-sixième session -

concernant la

Communication no 1123/2002*

Présentée par : Carlos Correia de Matos (non représenté par un conseil)

Au nom de  : L’auteur

État partie  : Portugal

Date de la communication  : 1 er  avril 2002

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1123/2002 présenté au nom de Carlos Correia de Matos en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit  :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur est M. Carlos Correia de Matos, citoyen portugais né le 25 février 1944 et résidant à Viana do Castelo (Portugal). Il se déclare victime de violation par le Portugal de l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour le Portugal, le 15 juin 1978 et le 3 mai 1983 respectivement.

Rappel des faits

2.1 L’auteur est commissaire aux comptes et avocat au Portugal. Toutefois, son inscription au tableau de l’ordre des avocats a été suspendue par une décision de l’ordre des avocats du 24 septembre 1993, qui a considéré l’exercice de la profession d’avocat incompatible avec celle de commissaire aux comptes.

2.2 Le 4 juillet 1996, l’auteur a été renvoyé en jugement devant le Tribunal de Ponte de Lima. Il était accusé d’injures à magistrat. Le juge d’instruction lui a commis d’office un avocat, contrairement à ce qu’il souhaitait, dans la mesure où il estimait être habilité à assurer sa propre défense.

2.3 L’auteur a interjeté appel de l’ordonnance de renvoi ( despacho de pronúncia ) devant la cour d’appel de Porto ( Tribunal da Relação do Porto ). Toutefois, le juge d’instruction a déclaré l’appel irrecevable car il n’était pas présenté par un avocat, et l’auteur ne pouvant pas assurer sa propre défense. Une réclamation de l’auteur devant le Président de la cour d’appel a été rejetée pour le même motif.

2.4 L’auteur a interjeté alors un recours constitutionnel devant le Tribunal constitutionnel. Par une ordonnance du 16 mai 1997, le Président de la cour d’appel a considéré que la question soulevée par l’auteur, à savoir l’impossibilité d’assurer sa propre défens, devait être décidée par le Tribunal constitutionnel, et a ordonné ainsi la transmission du recours à ce dernier.

2.5 Le 23 septembre 1997, le juge rapporteur au Tribunal constitutionnel, après avoir constaté que l’inscription de l’auteur au tableau de l’ordre des avocats était suspendue, l’a invité à constituer avocat, aux termes de la loi sur l’organisation du Tribunal. Le 6 octobre 1997, l’auteur a allégué que la disposition l’obligeant à constituer avocat était contraire à la Constitution et a demandé l’examen de son recours. Par ordonnance du 4 novembre 1997, le juge rapporteur a considéré que la disposition en question n’était pas contraire à la Constitution et a de nouveau invité l’auteur, à constituer avocat, sous peine de refus d’examen du recours par le Tribunal. Le 19 novembre 1997, l’auteur a demandé qu’un comité de juges soit saisi de la question.

2.6 Par arrêt du 13 octobre 1999, un comité de juges a confirmé l’ordonnance du 4 novembre 1997, soulignant que ni la disposition en cause sur l’organisation du Tribunal constitutionnel, ni les dispositions du Code de procédure civile n’étaient contraires à la Constitution. En conséquence, le Tribunal constitutionnel a invité l’auteur à constituer avocat.

2.7 Entre-temps, le Tribunal de Ponte de Lima a fixé l’audience au 15 décembre 1998. Lors de l’ouverture de celle-ci, l’auteur déclare avoir demandé à se défendre lui-même, ce qui a été refusé par le juge. Un avocat a alors été commis d’office.

2.8 Par jugement du 21 décembre 1998, le Tribunal a jugé l’auteur coupable et l’a condamné à une peine de 170 jours-amende, c’est-à-dire à verser 600 000 escudos portugais au magistrat en cause, à titre de dommages et intérêts.

2.9 L’auteur a interjeté appel de ce jugement. Le juge a décidé de ne pas renvoyer l’affaire devant la cour d’appel, considérant qu’il ne s’agissait que d’un simple exposé de l’auteur aux termes de l’article 98 du Code de procédure pénale. Une deuxième réclamation au même titre a été rejetée par ordonnance le 23 mars 1999. L’auteur a introduit une dernière réclamation le 18 janvier 2001 contre une ordonnance du 4 janvier 2001, et l’affaire a été transmise à la cour d’appel le 7 février 2001. Le juge-président de la cour d’appel a confirmé le 12 juin 2001 que l’affaire était toujours devant la troisième Section de la cour (procès n o  268/01).

2.10 Le 12 mai 1999, la loi d’amnistie n o 29/99 a été adoptée. Le 3 décembre 1999, le juge du Tribunal de Ponte de Lima, considérant que cette loi devait être appliquée en l’espèce, a prononcé l’extinction de la peine contre l’auteur. Cependant, le 14 août 2000, l’auteur a pris connaissance d’une procédure d’exécution, introduite par le ministère public, concernant la somme à verser au magistrat en cause à titre de dommages et intérêts.

2.11 Le 2 février 2000, suite à une demande de l’auteur en ce sens, le juge rapporteur au Tribunal constitutionnel a prononcé l’extinction du recours qui était toujours pendant devant ce tribunal.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se plaint de ce qu’on lui ait interdit d’assurer sa propre défense, en violation de l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte, et estime qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable.

3.2 Le 17 avril 1999, l’auteur a également élevé une plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a rendu une décision partielle d’irrecevabilité le 14 septembre 2000 , et une décision finale d’irrecevabilité le 15 novembre 2001 , au motif que la requête était infondée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Par une note verbale en date du 3 janvier 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. En premier lieu, l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif et l’article 96 e) [ex-90 e)] du Règlement intérieur du Comité stipulent que celui-ci ne peut se connaître d’une requête déjà examinée par une autre instance internationale. Dès lors, dans la mesure où la plainte de l’auteur a également été adressée à la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle s’est déjà prononcée sur la recevabilité et le fond, l’État partie estime que le Comité ne peut examiner la présente plainte, notamment parce qu’il risque d’y avoir contradiction entre des décisions internationales.

4.2 En second lieu, l’auteur n’a pas respecté la règle qui l’obligeait à introduire sa plainte dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision interne définitive avait été rendue. En troisième lieu, l’auteur n’a pas la qualité de victime dans la mesure où il a bénéficié, dans le cadre de la procédure, d’une amnistie qui a effacé les conséquences de sa condamnation.

4.3 Enfin, l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes dans la mesure où son refus de constitution d’avocat a empêché le Tribunal constitutionnel, qu’il avait saisi, d’examiner son recours. D’après l’État partie, le recours devant le Tribunal constitutionnel n’ayant pas été introduit correctement, l’auteur a empêché l’examen de la question et n’a de ce fait pas épuisé toutes les voies de recours internes.

4.4 Dans ses observations du 1 er avril 2003, l’État partie réitère les arguments qu’il a invoqués pour déclarer la communication irrecevable et formule des commentaires quant au fond. Il fait valoir que le droit d’assurer sa propre défense prévu à l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte impose qu’il n’y ait pas d’entraves à la possibilité de défense personnelle de l’accusé. Ceci signifie que l’accusé devrait être capable de présenter sa propre version des faits, qu’aucun avocat ne devrait lui être imposé et qu’il devrait être libre de choisir son défenseur.

4.5 L’État partie précise que le droit d’assurer sa propre défense est garanti par la procédure pénale portugaise. Les articles 138 et 140 du Code de procédure pénale autorisent l’accusé à être entendu et à exposer directement et personnellement sa position concernant les faits, tandis que l’article 332 du même code requiert la présence de l’accusé au tribunal.

4.6 D’après l’État partie, il convient de faire la distinction entre la défense personnelle, qui permet à l’accusé d’être entendu et d’exposer directement sa position, et la défense technique, qui doit être assurée par un avocat à certains stades de la procédure (audience, introduction d’un recours, etc.). Le droit d’assurer sa propre défense n’est pas absolu, les États pouvant imposer, dans certaines circonstances, l’obligation de représentation par un avocat . L’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte, s’il reconnaît à tout accusé le droit d’assurer sa propre défense ou de bénéficier de l’aide d’un défenseur, ne précise pas les conditions d’exercice de ce droit et laisse aux États parties le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir.

4.7 L’État partie soutient que le fait que la présence d’un avocat soit exigée à certains stades de la procédure constitue un moyen adéquat et proportionné qui permet aux États d’offrir davantage de garanties et de défendre avec plus de rigueur l’accusé, compte tenu de la nature et du caractère spécifique des questions qui sont soulevées dans le cadre de la procédure pénale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans ses commentaires en date du 4 août 2003, l’auteur conteste l’argumentation de l’État partie. Tout d’abord, il estime que le Code de procédure pénale portugais déroge à l’article 14 du Pacte, en stipulant que, dans certains cas, notamment lors des audiences et au moment de l’introduction de recours, la présence d’un avocat est obligatoire, et que si l’accusé ne désigne aucun avocat, le juge doit en commettre un d’office. L’auteur se réfère également à la jurisprudence de la Cour suprême portugaise (Supremo Tribunal de Justiça) selon laquelle l’accusé ne peut pas intervenir personnellement dans une procédure pénale, même s’il est avocat ou magistrat. Enfin, l’auteur estime que le renvoi par l’État partie au jugement de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Croissant c. Allemagne (25 septembre 1992) n’est pas pertinent, dans la mesure où, dans cette affaire, la Cour avait décidé que la commission d’office d’un troisième avocat à un requérant qui ne voulait pas assurer sa propre défense ne contrevenait pas à la Convention européenne.

5.2 Sur la question de la recevabilité, l’auteur explique que la plainte qu’il a élevée auprès du Comité est différente de l’affaire qui a été jugée par la Cour européenne. Tout d´abord, la Cour n´a examiné que les événements qui se rapportaient au jugement du Tribunal de première instance du 15 décembre 1998. Or, par la suite il a interjeté appel de ce jugement et il attend encore la décision. En outre, la question de droit soulevée a trait à l’article 14 du Pacte, et non pas à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme; or, la teneur de ces dispositions est différente. Selon l`auteur, outre la violation de la garantie fondamentale consacrée aux alinéas d) et e) du paragraphe 3 de l`article 14, il y a eu également infraction des paragraphes 1 et 5 du même article, à savoir du droit à un procès équitable dans le cadre du jugement, par voie de recours, de la contestation des obligations civiles émergentes d´une condamnation pénale illicite.

5.3 Enfin, l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif relatif au Pacte interdit au Comité d’examiner une communication, quelle qu’elle soit, si la même question que celle qui est soulevée dans cette communication est « en cours d’examen » devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et non pas si cette question a déjà été examinée .

5.4 L’auteur rappelle que la règle en vertu de laquelle une plainte doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date de la dernière décision définitive ne s’applique pas au Comité. S’agissant de sa qualité de victime, l’amnistie que lui a accordé le Tribunal de Ponte de Lima le 3 décembre 1999 n’ayant pas effacé sa condamnation, il reste tenu de verser des dommages et intérêts au magistrat en question, et peut dès lors continuer de revendiquer le statut de victime.

5.5 Quant à l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur reconnaît ne pas avoir épuisé les recours internes, vu la réclamation qu’il a introduite le 18 janvier 2001. Cependant, il maintient, sans toutefois élever de plainte pour violation de l’article 14, paragraphe 3 c) du Pacte, qu’il attend la décision de la cour d’appel depuis plus de quatre ans et que cette procédure de recours ne se déroule pas dans des délais raisonnables. Il explique également avoir invoqué devant le Tribunal constitutionnel le droit de se défendre lui-même et que, dans sa décision, ledit tribunal n’a pas tenu compte du fait que la suspension de son inscription au tableau de l’ordre des avocats était illicite.

5.6 Sur le fond, l’auteur fait valoir que dans la législation portugaise, la violation de l’article 14, paragraphe 3 d), est manifeste, alors que la législation d’autres États permet à l’accusé de se défendre lui-même. Sur le plan judiciaire, la décision des tribunaux portugais de lui imposer un avocat contre sa volonté constitue également une violation de l’article 14, paragraphe 3 d). L’auteur note qu’il convient d’établir une distinction entre la défense personnelle et la défense technique qui doit obligatoirement être assurée par un avocat. Il estime toutefois que la défense personnelle telle que la garantit la législation portugaise donne un rôle passif à l’accusé, et affirme que les limitations du droit à assurer sa propre défense ne devraient pas s’appliquer lorsque l’accusé est lui-même avocat.

Délibérations sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité ne peut retenir l’argument d’irrecevabilité avancé par l’État partie qui conclut à l’incompétence du Comité, en faisant valoir que la présente communication a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, dans la mesure où, d’une part, l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif ne s’applique que lorsqu’une question analogue à celle qui est soulevée dans la communication est « en cours d’examen » devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et d’autre part, aucune réserve à l’article 5, paragraphe  a), du Protocole facultatif n’a été exprimée par le Portugal.

6.3 S’agissant de la qualité de victime, le Comité a pris acte de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur ne pouvait se prétendre « victime » au sens de l’article 1 du Protocole facultatif, dans la mesure où il avait bénéficié d’une amnistie ayant effacé les conséquences de sa condamnation. Le Comité relève que l’amnistie du Tribunal de Ponte de Lima du 3 décembre 1999 n’a pas effacé la condamnation de l’auteur au versement de dommages-intérêts. Le Comité conclut dès lors que l’auteur peut prétendre à la qualité de victime d’une violation du Pacte.

6.4 Quant à l’argument de l’État partie relatif au délai de six mois pour la présentation des communications, le Comité souligne que cette règle, n’étant pas prévue explicitement par le protocole facultatif ni établie par le Comité, elle ne peut étre retenue en l`espèce.

6.5 S’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris acte de l’argumentation de l’État partie qui soutient que si le recours devant le Tribunal Constitutionnel, sur la question de l’impossibilité d’assurer sa propre défense, n’a pas pu être examiné, c’est parce que l’auteur n’a pas constitué avocat, et n’a dès lors pas épuisé les voies de recours internes. Ayant également pris note des arguments de l’auteur, le Comité constate que le Tribunal constitutionnel a refusé d’examiner le recours au seul motif que l’auteur n’avait pas constitué avocat et avait demandé à assurer sa propre défense. Dans ces conditions, le Comité estime que la question de l’épuisement des voies de recours internes est étroitement liée à celle de savoir si l’auteur pouvait prétendre assurer sa propre défense dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui. Le Comité estime qu’il y a lieu de se pencher sur ces arguments au moment de l’examen quant au fond de la communication.

Examen sur le fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité a pris note de l’argumentation de l’État partie rappelant que les articles 138 à 140 du Code de procédure pénale portugais garantissent le droit d’assurer sa propre défense et les références à l´arrêt de la Cour européenne des droits de l´homme. L’État partie fait valoir que le droit d’assurer sa propre défense n’est pas absolu et il distingue à cet égard la défense personnelle (permettant à l’accusé d’être entendu et d’exposer sa position sur les faits de la cause) de la défense technique (qui doit être assurée par un avocat à certains stades de la procédure). Il estime, en outre, que l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte ne précise pas les conditions d’exercice du droit d’assurer sa propre défense, et laisse aux États parties le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir ce droit. Enfin, le Comité prend acte de la position de l’auteur, lui-même avocat, et fait valoir qu’il a le droit absolu de se défendre lui-même à tous les stades de la procédure pénale, sous peine d’atteinte à l’équité du procès.

7.3 Le Comité note que l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte prévoit que toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit « de se défendre » ou « de se faire défendre par un défenseur de son choix ». Les deux types de défense ne s’excluent pas mutuellement. Les personnes qui sont conseillées par un avocat conservent le droit d’agir pour leur propre compte, d’être entendues et de présenter leurs opinions sur les faits. Dans le même temps, le Comité considère que la formulation du Pacte est claire dans toutes les langues officielles, en ce qu’elle prévoit que l’accusé peut assurer sa propre défense « ou se faire défendre par un défenseur de son choix », prenant comme point de départ le droit de se défendre. De fait, un accusé qui se verrait contraint d’accepter un avocat dont il ne veut pas et en qui il n’a pas confiance pourrait ne plus être capable de se défendre efficacement dans la mesure où cet avocat ne serait pas son assistant. Ainsi, le droit d’assurer sa propre défense, qui constitue une pierre angulaire de la justice, peut être enfreint lorsque un avocat est commis d’office à l’accusé, alors que ce dernier n’en veut pas.

7.4 Le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est cependant pas absolu. Sans sous-estimer l’importance de la relation de confiance entre l’accusé et l’avocat, l’intérêt de la justice peut demander l’imposition d’un avocat commis d’office, contre le gré de l’accusé, en particulier si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou, s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer en les interrogeant lui-même. Cependant, les restrictions apportées à la volonté qu’a l’accusé d’assurer sa propre défense doivent servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice.

7.5 Le Comité considère qu’il appartient aux tribunaux compétents de déterminer si dans une affaire précise, la commission d’office d’un avocat est nécessaire dans l’intérêt de la justice, dans la mesure où l’accusé qui fait l’objet de poursuites pénales peut ne pas être capable d’évaluer correctement les intérêts en jeu, et donc d’assurer le plus efficacement possible sa défense. Toutefois, dans le cas présent, la législation de l’État partie et la jurisprudence de la Cour Suprême prévoient que l’accusé ne peut jamais être libéré de l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale, même s’il est lui-même avocat, et que la loi ne prend pas en compte la gravité des accusations ou le comportement de l’accusé. De plus, l’État partie n’a pas avancé de raisons objectives et suffisamment importantes qui expliqueraient pourquoi, en l’espèce, dans une affaire relativement simple, l’absence d’avocat commis d’office aurait porté atteinte aux intérêts de la justice, et pourquoi il faudrait restreindre le droit qu’a l’auteur d’assurer sa propre défense. Le Comité conclut que le droit de se défendre soi-même qui est garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, n’a pas été respecté.

8. Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile. L’État partie devrait modifier sa législation afin de s’assurer de sa conformité avec l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte. Aussi, le Comité souhaite-t-il recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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