Présentée par:

M. Rafael Pérez Escolar (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

13 décembre 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 20 février 2003 (non publiée sous forme de document)

CCPR/C/80/D/1156/2003 décision concernant la recevabilité datée du 9 mars 2004

Date de l’adoption des constatations:

28 mars 2006

Objet: Étendue de la révision dans un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême espagnol, aggravation de la condamnation par le tribunal de deuxième instance

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Droit à ce que la déclaration de culpabilité et la condamnation soient soumises à une juridiction supérieure conformément à la loi

Article du Pacte: 14 5)

Article du Protocole facultatif: Néant

Le 28 mars 2006, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1156/2003 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-sixième session

concernant la

Communication n o 1156/2003*

Présentée par:

M. Rafael Pérez Escolar (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

13 décembre 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1156/2003, présentée au nom de M. Rafael Pérez Escolar en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, en date du 13 décembre 2002, est Rafael Pérez Escolar, de nationalité espagnole, né en 1927, qui se déclare victime de violations par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par des conseils, MM. Iván Hernández Urraburu et José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1L’auteur était actionnaire et membre du Conseil d’administration de la banque Banco Español de Crédito (BANESTO). Le 28 décembre 1993, il a été destitué de ses fonctions conjointement avec les autres membres du Conseil d’administration.

2.2Le 14 novembre 1994, la Fiscalía (ministère public) de l’Audiencia Nacional a engagé une action pénale contre 10 personnes, dont l’auteur, pour faux en écritures de commerce et détournement de fonds. Le procès oral a duré deux années, au cours desquelles 470 personnes ont comparu en qualité de témoins ou d’experts. Le dossier contenait 53 volumes d’actes d’instruction préliminaire et 121 volumes de pièces autres. L’auteur était accusé d’avoir participé à 3 des 11 opérations présumées irrégulières qui avaient été approuvées par la direction de BANESTO. Dans une décision datée du 31 mars 2000, l’Audiencia Nacional a condamné l’auteur à une peine de cinq ans et huit mois d’emprisonnement assortie d’une amende de 18 millions de pesetas pour escroquerie, et à quatre mois d’emprisonnement pour détournement de fonds. Il a été acquitté du chef de faux en écritures. En ce qui concerne le premier chef d’accusation, l’auteur dit qu’on l’a accusé d’avoir obtenu gratuitement des prises de participation dans des entreprises. L’Audiencia Nacional n’aurait pas accordé de valeur probante à la déclaration de sept experts à décharge ni aux documents présentés par l’auteur, éléments de preuve qui, selon lui, ne peuvent pas être réexaminés en deuxième instance. Pour ce qui est du deuxième chef d’accusation, l’auteur affirme que la condamnation a été fondée sur des témoignages contradictoires et, en particulier, sur les déclarations de trois témoins à charge dont la crédibilité n’a pas pu être réexaminée en deuxième instance.

2.3L’auteur s’est pourvu en cassation devant la Chambre pénale du Tribunal suprême, en demandant, sur la base de 16 motifs, le réexamen de plusieurs éléments de fait qui avaient fondé la décision le concernant. Le réexamen de faits prouvés étant impossible en cassation, l’auteur a invoqué le droit à la présomption d’innocence pour tenter d’obtenir le réexamen des preuves à charge sur lesquelles s’appuyait la condamnation, mais sans succès. Pendant la procédure de cassation, les constatations du Comité relatives à l’affaire Gómez Vázquez ont été rendues publiques, ce qui a amené l’auteur à demander à trois reprises au Tribunal suprême d’appliquer le critère du Comité relatif au principe de la double juridiction énoncé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; ces demandes ont cependant été rejetées.

2.4Le syndicat UGT (Unión General de Trabajadores), qui s’était constitué partie civile en cassation, a affirmé devant le Tribunal suprême, à propos du chef de détournement de fonds dont l’auteur avait été reconnu coupable en tant que complice, que les actes incriminés devaient être considérés comme ceux d’un auteur et non d’un simple complice. L’auteur a démenti ces allégations dans un mémoire au Tribunal suprême daté du 4 décembre 2000, dont une copie a été adressée au Comité. Dans une décision en date du 29 juillet 2002, le Tribunal suprême a statué sur le recours en cassation et aggravé la peine prononcée pour détournement de fonds, la portant de quatre mois à quatre ans d’emprisonnement, au motif que l’auteur avait eu une part plus grande au délit, en tant qu’auteur et non simplement en tant que complice. Selon l’auteur, le Tribunal suprême n’a pas examiné les questions de fait en raison du caractère limité du recours en cassation, ce qui l’a privé du droit à une révision complète.

2.5Le jour même de la notification de cette décision, c’est-à-dire le 29 juillet 2002, l’auteur a été écroué et il est resté en détention jusqu’en septembre de la même année, date à laquelle il a bénéficié d’une libération conditionnelle en raison de son âge et de son mauvais état de santé.

2.6L’auteur considère que la décision du Tribunal suprême marque l’épuisement des recours internes. Il reconnaît qu’il n’a pas formé de recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. À son avis, ce recours était inutile étant donné la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel pour lequel le recours en cassation satisfait au droit de révision visé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, car il estime n’avoir pas obtenu la révision complète des condamnations prononcées à son encontre par l’Audiencia Nacional. Il fait valoir que, bien qu’il ait tenté d’obtenir un réexamen des faits pour lesquels il a été condamné en alléguant une violation du droit à la présomption d’innocence, le Tribunal suprême, en raison du caractère limité du recours en cassation, ne s’est attaché qu’aux points de droit et en a exclu les faits ainsi que tout nouvel examen des éléments de preuve non pris en considération par l’Audiencia Nacional. L’auteur affirme que l’argument selon lequel le Tribunal suprême ne peut pas réexaminer les éléments de preuve parce qu’il n’a pas assisté au procès n’est pas applicable à son cas, étant donné que le procès a été intégralement enregistré par vidéo.

3.2D’après l’auteur, le Tribunal suprême a établi une jurisprudence selon laquelle l’examen des éléments de preuve produits au procès ne fait pas partie de la procédure de cassation, sauf dans les cas exceptionnels d’arbitraire extrême ou d’irrationalité manifeste. En outre, l’auteur fait valoir qu’il ressort de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel postérieure aux constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez que ce tribunal a considéré que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ne prévoyait pas, à proprement parler, un double degré de juridiction, mais simplement l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure, et que le recours en cassation, malgré sa portée limitée, satisfaisait aux prescriptions du Pacte en matière de révision et de garanties.

3.3À l’appui de sa plainte, l’auteur cite les observations finales du Comité sur le quatrième rapport périodique de l’Espagne, dans lesquelles il est recommandé à l’État partie d’instituer un droit d’appel des décisions de l’Audiencia Nacional pour satisfaire aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il cite également les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez, dans lesquelles le Comité a estimé que l’impossibilité d’obtenir une révision complète de la déclaration de culpabilité et de la condamnation, du fait que le réexamen portait uniquement sur les aspects formels ou juridiques de la décision, allait à l’encontre des garanties exigées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.4L’auteur invoque une deuxième violation du paragraphe 5 de l’article 14, du fait qu’il n’a aucune possibilité d’obtenir la révision de l’aggravation de la peine prononcée par le Tribunal suprême. L’auteur fait valoir que l’Espagne, à la différence d’autres États parties, n’a pas émis de réserves au paragraphe 5 de l’article 14 tendant à ce que ses dispositions ne soient pas applicables à une condamnation prononcée en premier ressort par une juridiction de deuxième degré. Il ajoute que le Tribunal constitutionnel a jugé à plusieurs reprises qu’il n’existait aucun droit de recours si la condamnation était prononcée en cassation, ce qui rendait inutile tout recours en amparo.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Dans sa note du 17 avril 2003, l’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. L’État partie estime que l’auteur de la communication aurait dû former un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel contre la décision du Tribunal suprême portant rejet du pourvoi en cassation, et qu’il n’y a pas lieu de considérer le recours en amparo comme inefficace dans le cas précis de l’auteur.

4.2Selon l’État partie, le Tribunal constitutionnel aurait dû avoir la possibilité de se prononcer, par la voie de l’amparo, sur l’étendue du réexamen effectué en cassation. En renonçant à former un recours en amparo, l’auteur a privé le Tribunal constitutionnel de cette possibilité. L’État partie affirme qu’il convient de considérer l’épuisement des recours relativement au cas d’espèce. En ce qui concerne l’auteur, il fait valoir que la révision de la décision rendue en cassation ne s’est pas limitée aux points de forme ou de droit et qu’elle a consisté au contraire en un vaste réexamen des faits et des éléments de preuve sur lesquels était fondée la condamnation, ainsi que le précise la décision du Tribunal suprême dans cette affaire. S’agissant de l’étendue de la révision par voie de cassation, l’État partie dit qu’il ressort de la jurisprudence que le champ d’application de la révision a été élargi, en particulier en ce qui concerne l’erreur de fait et l’appréciation des éléments de preuve. Pour l’État partie, cela ressort également de la décision rendue en cassation. En conséquence, l’auteur aurait dû former un recours en amparo de manière que le Tribunal constitutionnel puisse évaluer l’étendue de la révision dans son cas.

4.3L’État partie se réfère à la décision rendue en l’espèce par le Tribunal suprême, qui a relevé ce qui suit: «Comme on peut le constater à la lecture de la présente décision, les nombreuses parties ont eu la possibilité d’invoquer plus de 170 motifs de cassation, parmi lesquels figurent fréquemment l’erreur de fait dans l’appréciation des éléments de preuve et la nécessité qui en découle de réexaminer les faits prouvés. Le principe de la présomption d’innocence est également invoqué pour contester l’appréciation des éléments de preuve, du point de vue rationnel et du point de vue de l’argumentation logique. Il s’ensuit que nous nous trouvons en présence d’un recours qui dépasse les limites rigides et formalistes de la cassation classique et qui satisfait au principe du double degré de juridiction.».

4.4En ce qui concerne l’aggravation de la peine, l’État partie fait valoir que celle‑ci a été prononcée dans le respect total du principe accusatoire et que l’auteur a eu connaissance des demandes des parties adverses, le fait qu’il ait été condamné pour la première fois n’étant pas vrai. Pour l’État partie, le fait que plusieurs États parties aient formulé des déclarations relatives au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte qui excluent son application au cas d’aggravation de la peine ne signifie pas que la disposition en question fasse obstacle à une telle aggravation.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans sa note datée du 25 juillet 2003, l’auteur insiste sur l’inutilité d’un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Il explique qu’en ce qui concerne le recours en cassation, la jurisprudence du Tribunal suprême et celle du Tribunal constitutionnel sont restées les mêmes avant et après les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez et continuent d’être que cette procédure n’a pas pour objet de réexaminer les aspects factuels d’une affaire. L’auteur affirme que le prétendu élargissement observé dans la jurisprudence est en réalité un principe qui a toujours existé, c’est‑à‑dire que le Tribunal suprême peut examiner les faits dans un recours en cassation en cas d’arbitraire extrême ou d’irrationalité manifeste.

5.2L’auteur souligne qu’il n’est pas vrai que, dans le cadre du recours en cassation, le Tribunal suprême ait procédé à un vaste réexamen des erreurs de fait qui ont donné lieu à la condamnation. Il rappelle que, dans sa décision, l’Audiencia Nacional n’a pas pris en considération des éléments de preuve à décharge, et que cet aspect n’a pas fait l’objet d’une révision en cassation. Il affirme que sa communication est identique à celle qui a été examinée par le Comité dans l’affaire Gómez Vázquez et qu’elle doit être traitée de la même manière. L’auteur fait également valoir que, tout en affirmant qu’un recours en amparo lui est ouvert devant le Tribunal constitutionnel, l’État partie admet que ce recours n’aboutirait pas s’il était formé par l’auteur, ce qui peut être considéré comme la preuve de son inutilité.

Décision du Comité concernant la recevabilité de la communication

6.À sa quatre‑vingtième session, le 8 mars 2004, le Comité a estimé que les recours internes avaient été épuisés, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle soulevait des questions au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

a) Modification législative qui généralise le recours en cassation en Espagne

7.1L’État partie indique que la loi organique 19/2003 du 23 décembre 2003 a généralisé le deuxième degré de juridiction en Espagne, donnant aux chambres pénales des tribunaux supérieurs de justice compétence pour connaître des recours formés contre les décisions des Audiencias Provinciales, et prévoyant la création de la Chambre d’appel à l’Audiencia Nacional. Selon l’exposé des motifs de la loi, outre l’allégement de la charge de travail de la deuxième chambre du Tribunal suprême, la loi vise à résoudre la controverse née de la décision adoptée le 20 juillet 2000 par le Comité des droits de l’homme, dans laquelle celui‑ci affirmait que le système actuel de cassation en Espagne était contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’État partie ajoute que l’extraordinaire élargissement du champ d’application de la cassation avait rendu nécessaire une réforme législative visant à alléger le travail du Tribunal suprême pour lui permettre de se concentrer sur l’application uniforme des lois. L’État partie souligne que la réforme législative a été faite non pas parce que l’étendue de la cassation ne suffisait pas à répondre aux prescriptions du Pacte mais, au contraire, parce que l’ampleur extraordinaire conférée au recours en cassation exigeait de faire face à la surcharge de travail du Tribunal suprême.

b) Extraordinaire élargissement de la révision en cassation à l’heure actuelle

7.2L’État partie affirme que la portée du recours en cassation a connu un élargissement extraordinaire. Il cite la décision du Tribunal suprême en date du 16 février 2004 selon laquelle le recours en cassation, dans sa conception initiale comme dans son évolution jusqu’à l’entrée en vigueur de la Constitution de l’Espagne, se fondait sur un formalisme rigide qui rejetait toute possibilité de révision des éléments de preuve, à moins que celle‑ci ne soit justifiée, à titre exceptionnel, par la teneur d’un document prouvant de façon formelle que le tribunal de première instance a commis une erreur. L’État partie affirme que cette situation a cependant changé à partir de l’adoption de la Constitution de l’Espagne et de la modification de l’article 5, paragraphe 4 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire, qui ont suscité d’importantes attentes en matière de révision des éléments de preuve. La possibilité d’invoquer une violation des droits fondamentaux de toute personne accusée d’un fait délictueux et, principalement, la prééminence du droit à la protection de la loi, la présomption d’innocence, la nécessité de motiver suffisamment les décisions ainsi que les critères et le raisonnement logique qui ont conduit le tribunal à rendre une décision donnée, sont autant d’éléments qui permettent d’affirmer que le recours peut être utile.

7.3L’État partie ajoute que, dans l’ordre juridique espagnol comme dans celui des pays voisins, l’appel ne comprend pas la réadministration de la preuve. Dans le cas de l’auteur, le Tribunal suprême a souligné qu’il n’existait aucune procédure d’appel permettant de répéter intégralement le procès tenu en première instance. L’article 795 de la loi de procédure criminelle espagnole qui régit les recours formés contre des décisions rendues au pénal par les Audiencias Provinciales ou l’Audiencia Nacional, limite la possibilité de former ces recours aux cas de violation de normes ou de garanties procédurales, d’erreur dans l’appréciation des éléments de preuve, et de non‑respect de principes constitutionnels ou juridiques. Il est uniquement permis de demander l’examen d’éléments de preuve qui n’ont pas pu être produits en première instance, qui ont été indûment rejetés ou qui ont été admis mais n’ont pas été examinés pour un motif non imputable à la partie requérante, et à condition qu’il y ait eu violation du droit à la défense. L’État partie se réfère ensuite aux législations de différents pays européens qui, à son avis, ne permettent pas non plus que la procédure d’appel conduise à une répétition du procès avec reproduction complète de la preuve.

7.4L’État partie indique qu’en l’espèce le Tribunal suprême a examiné avec attention si le recours en cassation satisfaisait au droit à une révision de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. Pour l’État partie, l’ampleur extraordinaire de la révision des faits prouvés est soulignée dans la décision, dans les termes suivants: «Il est vrai que la décision du 9 novembre 1993 (dans l’affaire Gómez Vázquez) affirmait que c’était au tribunal a quo, et à lui seul, qu’il appartenait d’apprécier les éléments de preuve, conformément à l’article 741 de la loi de procédure criminelle. Il y était également affirmé que l’éventuel réexamen des preuves enlèverait toute substance au pourvoi en cassation, le convertissant en une seconde instance, mais il n’est pas moins vrai qu’à l’heure actuelle le recours en cassation a perdu ses structures rigides et formalistes et a ouvert de vastes possibilités de révision, y compris de l’appréciation des preuves par les Audiencias Provinciales.».

7.5La décision invoquée par l’État partie indique également que les anciens critères selon lesquels l’appréciation des éléments de preuve était intangible sont dépassés. L’analyse rationnelle de la preuve, le principe de la présomption d’innocence, l’obligation de motiver les décisions judiciaires, le rejet constitutionnel de toute trace d’arbitraire dans le comportement des pouvoirs publics sont autant de règles qui font qu’il est possible de faire étudier et évaluer, par la voie de la cassation, la manière dont la preuve a été traitée. Dans sa jurisprudence, le Tribunal a établi que la fonction de la cassation ne se limitait pas à l’appréciation de la légalité ou de l’illégalité de la preuve produite, et que le réexamen de la preuve allait jusqu’à l’analyse du contenu de la preuve en vue d’établir si celle‑ci peut être considérée comme incriminante ou à charge ou si, au contraire, elle n’est pas suffisamment consistante pour affaiblir la présomption d’innocence. Le principe in dubio pro reo, longtemps considéré comme un critère d’interprétation qui n’avait pas sa place en cassation, fait désormais partie des critères d’appréciation de la preuve et peut être réexaminé en cassation. L’État partie souligne qu’on ne saurait ignorer l’évolution indéniable du recours en cassation en Espagne, qui peut désormais permettre une révision très large et approfondie de faits considérés comme prouvés en première instance. À l’appui de ses arguments, l’État partie cite en outre l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en date du 19 février 2002, dans laquelle la Cour, statuant sur le grief d’un ressortissant espagnol concernant l’inexistence du double degré de juridiction, a considéré que le système de cassation espagnol était compatible avec l’article 6, paragraphe 1 et l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

c) Ampleur de la révision dans le cas précis de l’auteur

7.6L’État partie affirme qu’en l’espèce il est nécessaire d’analyser les circonstances de la révision effectuée en cassation. Selon lui, à la différence de ce qui s’est passé dans l’affaire Gómez Vázquez, le Tribunal suprême a révisé des questions relatives aux faits et à l’appréciation de la preuve, dans les huit cas où l’auteur a invoqué une erreur de fait dans l’appréciation de la preuve ou une violation du principe de la présomption d’innocence. L’État partie cite à cet effet la décision rendue par le Tribunal suprême dans le cas de l’auteur, dans laquelle le Tribunal indique que le fait que les parties aient avancé plus de 170 motifs de cassation et invoqué à plusieurs reprises l’erreur dans l’appréciation de la preuve et le principe de la présomption d’innocence l’a amené à conclure qu’en l’espèce le droit au double degré de juridiction avait été respecté. L’État partie conclut qu’indépendamment de tout jugement qui peut être porté sur le système de recours espagnol, il est évident qu’en l’espèce il y a eu une révision très étendue d’éléments factuels et que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur ont été intégralement soumises à une juridiction supérieure, comme l’exige le Pacte.

d) Absence de violation du Pacte découlant de l’aggravation de la peine

7.7L’État partie fait valoir que la possibilité de former un recours et de demander la révision de la déclaration de culpabilité n’est pas offerte uniquement au condamné mais aussi aux parties adverses, notamment aux personnes qui ont été lésées par suite des infractions commises, et que cela n’enfreint en aucune manière le droit à la défense du condamné, étant donné que celui‑ci connaît les prétentions de l’accusation et peut formuler les allégations qu’il juge opportunes. L’État partie ajoute qu’en cas d’aggravation de la peine, la condamnation est prononcée dans le respect total du principe accusatoire; la qualification des délits et les peines ne sont pas plus importantes que celles demandées par l’accusation, et l’accusé les connaît depuis l’ouverture de la procédure orale, donc a fortiori au moment du recours. Le droit à l’information et le droit à la défense qui protègent l’accusé en première instance sont pareillement respectés lors du recours. Concrètement, la situation de l’accusé ne change pas, la demande de condamnation formulée par la partie adverse étant maintenue. En ce sens, selon l’État partie, les recours constituent la suite du procès. Il n’est pas exact que l’auteur ait été condamné pour la première fois en cassation. La possibilité d’une aggravation de la peine à l’issue du recours, dans les limites des accusations portées et des recours formés, est commune à tous les ordres juridiques avancés des pays voisins de l’Espagne. S’il en était autrement, cela reviendrait à nier le droit de recours des parties demanderesses, ce que l’on ne peut pas inférer du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le fait que certains États parties aient émis des réserves à cette disposition ne signifie aucunement que celle‑ci interdise d’aggraver la peine à la suite du recours formé par la partie adverse; ces réserves semblent plutôt viser à exclure la possibilité d’interpréter le paragraphe 5 de l’article 14 dans le sens proposé par l’auteur, c’est‑à‑dire à préserver, et non à exclure, l’application de ladite disposition.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant au fond de la communication

a) À propos de la modification législative introduite par la loi 19/2003

8.1Dans sa note datée du 15 novembre 2004, l’auteur indique que la loi en question n’est pas d’application immédiate et qu’elle n’est pas encore en vigueur étant donné que les règlements d’application nécessaires n’ont pas été adoptés. Il ajoute que la réforme législative n’a pas d’effet rétroactif et qu’il demeure privé du droit à un double degré de juridiction puisque la loi ne prévoit aucune mesure correctrice pour les affaires déjà jugées. Il affirme que la ratio legis de la réforme n’était pas d’élargir la portée de la cassation, comme le prétend l’État partie, mais plutôt de résoudre la controverse née de l’adoption des constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez.

b) À propos de la prétendue ampleur de la cassation à l’heure actuelle

8.2L’auteur affirme que l’État partie n’a pas tenu compte des constatations du Comité dans les affaires Gómez Vázquez, Sineiro et Semey, dans lesquelles l’État partie a été condamné pour l’insuffisance du réexamen de la condamnation pénale. Le rôle du Comité est d’examiner un cas précis et, contrairement à ce que prétend l’État partie, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la situation générale des droits de l’homme dans le pays mis en cause dans une communication, ce qui relève davantage de l’examen des rapports périodiques. La décision du Tribunal suprême en date du 16 février 2004 se réfère au cas de Manuel Sineiro Fernández et rejette un recours en ignorant les constatations du Comité concernant la communication présentée par M. Sineiro. Le Tribunal constitutionnel a avancé des motifs qui, pour l’auteur, ne sont pas convaincants: «[…] il est absolument impossible, pour des raisons métaphysiques et chronologiques, de reproduire exactement tout ce qui s’est passé lors du procès en première instance. Le système respecte les dispositions du Pacte si […] il réinterprète la signification donnée aux éléments de preuve par le tribunal d’instance, en vérifiant la rationalité des méthodes de déduction logique qui sous‑tendent toute activité judiciaire relative à l’appréciation des preuves […] On ne peut pas arrêter le temps. Même l’enregistrement vidéo du procès mené par la juridiction de jugement serait insuffisant, car ces images du passé ne permettent de connaître que le scénario, et non le vécu direct et intangible des protagonistes.». L’auteur fait valoir que, dans cette décision, le Tribunal constitutionnel déclare que le Tribunal suprême «n’a pas compétence pour procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve sur lesquels s’est fondé le tribunal de première instance pour rendre un verdict de condamnation». L’auteur ajoute que le non‑respect des faits déjà déclarés prouvés constitue un motif d’irrecevabilité du recours, conformément à l’article 884 de la loi de procédure criminelle, et que selon l’article 849 du même texte un pourvoi en cassation ne peut être fondé sur une erreur dans l’appréciation de la preuve que si cette erreur est démontrée par des documents, versés au dossier, qui prouvent que le tribunal s’est trompé et qui ne sont pas contredits par d’autres éléments de preuve.

c) À propos de l’ampleur de la révision dans le cas précis de l’auteur

8.3L’auteur soutient que le recours en cassation ne permet pas de remettre en question la crédibilité des déclarations de témoins ou d’experts sur lesquelles la condamnation s’est fondée, sauf en cas d’arbitraire manifeste ou d’absence de toute preuve à charge. Pour ce qui est du chef d’escroquerie, la décision de l’Audiencia Nacional imputait à l’auteur des prises de participation gratuites dans des entreprises, ce que l’auteur a nié, affirmant que les sommes en question correspondaient à des honoraires professionnels perçus au titre de son intervention en qualité d’avocat. Plusieurs experts ont appuyé la version de l’auteur, mais le juge ne l’a pas acceptée et n’a accordé aucune valeur aux documents à décharge fournis par l’auteur. Selon l’auteur, ces aspects ne peuvent pas être révisés en cassation. En ce qui concerne le chef de détournement de fonds, la décision de l’Audiencia Nacional reposait sur des témoignages contradictoires que le tribunal n’a acceptés que lorsqu’ils étaient défavorables à l’auteur, notamment ceux de trois témoins à charge dont la crédibilité ne peut pas être réexaminée en cassation. Le Tribunal ne nie pas qu’il n’a pas réexaminé la preuve concernant ce point, mais il soutient que la vérification de la rationalité de l’examen effectué par le juge satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En revanche, le procureur auprès du Tribunal suprême a reconnu qu’il n’appartenait pas au Tribunal d’apprécier les éléments de preuve. L’auteur fait observer que lorsque l’État partie cite une décision de la Cour européenne des droits de l’homme il oublie que le droit au double degré de juridiction n’est pas reconnu dans la Convention européenne des droits de l’homme, mais dans le Protocole additionnel no 7 à la Convention, auquel l’Espagne n’est pas partie. Par contre, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, par sa décision du 2 juillet 2004 dans l’affaire Herrera Ulloa c. Costa Rica, a tenu compte de la jurisprudence du Comité dans les affaires susmentionnées et a déclaré que le système de cassation du Costa Rica ne satisfaisait pas aux prescriptions de l’article 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, étant donné que le tribunal supérieur ne pouvait pas «procéder à un examen global et intégral de toutes les questions débattues et analysées par le tribunal inférieur».

d) À propos de l’absence d’un double degré de juridiction en raison de l’aggravation de la condamnation lors du recours

8.4L’auteur fait valoir que les États parties qui souhaitaient exclure l’application du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte au cas d’aggravation de la condamnation en deuxième instance ont formulé une réserve expresse en ce sens. Il cite la réserve de l’Autriche à cet égard. Il ajoute que l’État partie pourrait adopter des modifications législatives simples pour garantir qu’une chambre du Tribunal suprême puisse procéder à une révision intégrale de la nouvelle condamnation ou de l’aggravation prononcée à l’issue du recours. Il affirme que la loi organique relative au pouvoir judiciaire espagnol prévoit un mécanisme de révision des jugements dans des cas semblables, notamment en ce qui concerne les décisions rendues par la section administrative du Tribunal suprême.

Délibérations du Comité

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Dans une affaire précédente (communication no 1095/2002, Gomariz c. Espagne, constatations du 22 juillet 2005, par. 7.1), le Comité a conclu que l’absence du droit de faire réviser par une juridiction supérieure la peine infligée par une juridiction du second degréaprèsun acquittement par le tribunal de première instance constituait une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le cas d’espèce diffère du précédent en ce que la peine prononcée par la juridiction inférieure a été confirmée par le Tribunal suprême. Celui‑ci a cependant aggravé la peine infligée par le tribunal inférieur pour le même délit. Le Comité fait observer que, dans les systèmes juridiques de nombreux pays, les juridictions du second degré peuvent réduire, confirmer ou aggraver les peines prononcées par la juridiction inférieure. Bien que dans le cas d’espèce le Tribunal suprême ait adopté un avis différent en ce qui concerne les faits considérés comme prouvés par la juridiction inférieure, en ce sens qu’il a conclu que M. Pérez Escolar était l’auteur et non pas simplement le complice du délit de détournement de fonds, le Comité considère que la décision du Tribunal suprême ne modifie pas substantiellement la qualification du délit; elle reflète simplement le fait que l’appréciation par le Tribunal de la gravité des circonstances du délit justifiait d’infliger une peine plus lourde. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’affirmer qu’il y a eu, dans le cas d’espèce, une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9.3En ce qui concerne les autres griefs de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que plusieurs des moyens de cassation invoqués par l’auteur devant le Tribunal suprême étaient tirés d’erreurs de fait dans l’appréciation des éléments de preuve ainsi que de la violation du principe de la présomption d’innocence. Il ressort de la décision du Tribunal suprême que celui‑ci a examiné avec attention les allégations de l’auteur, qu’il a analysé les éléments de preuve déjà produits et ceux auxquels l’auteur s’est référé dans son recours et qu’il a considéré qu’il y avait suffisamment de preuves à charge pour écarter toute possibilité d’erreur dans l’appréciation des éléments de preuve et pour réfuter la présomption d’innocence de l’auteur. Le Comité conclut que cette partie de la communication relative à la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’a pas été suffisamment étayée par l’auteur.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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