NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/40/D/309/200619 mai 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTUREQuarantième session(28 avril‑16 mai 2008)

DÉCISION

Communication n o  309/2006

Présentée par:

R. K. et consorts (représentés par un conseil, Confrere Juristbyrå)

Au nom de:

R. K. et consorts

État partie:

Suède

Date de la requête:

12 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

16 mai 2008

Objet:Expulsion de Suède vers l’Azerbaïdjan avec risque allégué de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant

Question de procédure : Aucune

Question de fond: Risque de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas d’expulsion

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L ’ ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Quarantième session

concernant la

Communication n o  309/2006

Présentée par:

R. K. et consorts (représentés par un conseil, Confrere Juristbyrå)

Au nom de:

R. K. et consorts

État partie:

Suède

Date de la requête:

12 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 16 mai 2008,

Ayant achevé l’examen de la requête no 309/2006 présentée par R. K. et consorts en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision suivante au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1.1Les requérants sont R. K., son épouse T. O. et leurs trois enfants, T. K., née le 2 novembre 1989, T. S., née le 8 février 1992, et S. K., né le 14 février 2005, actuellement en attente d’expulsion de Suède vers l’Azerbaïdjan. Ils affirment que leur expulsion constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils sont représentés par un conseil, Confrere Juristbyrå.

1.2Le 13 décembre 2006, le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection a demandé à l’État partie de ne pas expulser les requérants vers l’Azerbaïdjan tant que leur affaire était en cours d’examen par le Comité, conformément au paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur du Comité. Le 13 septembre 2007, l’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1En 1998, R. K. est devenu membre du parti azerbaïdjanais Moussavat (parti d’opposition) et journaliste au Yeni Moussavat (journal d’opposition). La même année, il a été élu secrétaire du parti Moussavat dans le district de Fizouli. Il était très actif au sein du parti, prenait part à l’organisation de réunions et de manifestations et signait la plupart des articles politiques publiés dans le Yeni Moussavat. Il a fondé un autre journal d’opposition, Reyting, qui était connu pour ses critiques du régime.

2.2En raison de ses activités politiques, R. K. a été harcelé et maltraité physiquement à plusieurs reprises. Il a été arrêté trois fois (le 10 mai 1998, pendant l’été 2001 et en juin 2002) et a été maltraité à l’occasion de réunions et de manifestations. Au cours d’une de ces arrestations, en 1998, un commissaire de police adjoint lui a dit qu’il avait «indisposé» les autorités. En 2001, il a été condamné à des dommages-intérêts pour diffamation après avoir écrit un article sur un membre du parti du Front populaire. La même année, il a été arrêté alors qu’il interrogeait des réfugiés qui vivaient dans des bâtiments destinés à être démolis et il a été détenu jusqu’au soir. En mars 2002, R. K., I. G., qui était à l’époque le dirigeant du parti Moussavat, et d’autres membres du parti se rendaient en voiture à une réunion lorsqu’ils ont été attaqués et maltraités physiquement par la police. Après avoir rendu compte de cet incident dans un article publié par son journal le 24 mars 2002, R. K. a été menacé par la police. En juin 2002, il a été arrêté après avoir pris des photos d’une femme qui avait été battue par la police. En mai 2003, les bureaux du journal ont été attaqués par des inconnus et des «objets ont été lancés» en direction de R. K. Bien que celui-ci ait déposé plainte à la police, aucune enquête n’a été menée et les requérants sont convaincus que les autorités avaient cautionné cette attaque. En mai 2003, R. K. a écrit un article sur la détérioration de l’état de santé du Président Eldar Aliev et immédiatement après, les autorités ont annoncé que le parti Moussavat serait dissout et le Yeni Moussavat fermé.

2.3En octobre 2003, des élections présidentielles se sont tenues en Azerbaïdjan. Le 15 octobre, veille des élections, et le jour du scrutin, des affrontements se sont produits entre les forces gouvernementales et des partisans de l’opposition. Des centaines de partisans du Moussavat ont été battus à coups de matraque en caoutchouc et à coups de poing lors d’une attaque non provoquée. Le siège du parti Moussavat a également été attaqué. L’Ambassadeur de Norvège a prévenu les membres du personnel que leur vie était en danger et les a invités à rester dans l’enceinte de l’ambassade norvégienne, où R. K. a passé la nuit. Plus tard, on lui a demandé de témoigner dans un procès engagé contre des membres du parti Moussavat accusés d’être les instigateurs des émeutes qui avaient éclaté dans les rues. Le 16 septembre 2004, R. K. a confirmé au cours du procès qu’il avait encouragé les manifestants à former un cortège. À la suite de ce procès et de menaces émanant des autorités, il a fui l’Azerbaïdjan avec sa famille.

2.4Le 5 octobre 2004, les requérants sont arrivés en Suède et ont demandé l’asile. Le 13 mars 2006, l’Office des migrations a rejeté leur demande, considérant que nombre des mesures prises contre R. K. dans le cadre des manifestations ne pouvaient pas être considérées comme étant dirigées contre lui personnellement. Conformément à la législation suédoise en vigueur avant le 31 mars 2006, les demandes d’asile ont été d’abord examinées par l’Office des migrations puis par la Commission de recours des étrangers, qui est la dernière instance (loi de 1989 sur les étrangers). Après le 31 mars 2006, la loi de 2005 sur les étrangers est entrée en vigueur; conformément à la nouvelle législation, le réexamen de la décision de l’Office des migrations a été transféré de la Commission de recours des étrangers à trois tribunaux chargés des affaires de migration. Du 15 novembre 2005 au 31 mars 2006, une loi provisoire était en vigueur, en vertu de laquelle certains demandeurs d’asile qui avaient été déboutés se sont vu offrir une nouvelle possibilité d’obtenir un titre de séjour. Leurs dossiers ont été analysés par l’Office des migrations dont les décisions n’étaient pas susceptibles d’appel. À la demande des requérants, leur dossier a été examiné par l’Office des migrations conformément à la loi provisoire.

2.5Le 4 septembre 2006, l’Office des migrations a rejeté la demande des requérants, au motif qu’ils n’avaient pas résidé assez longtemps en Suède. D’après cette décision, aucun fait nouveau qui aurait constitué une raison de délivrer des permis de séjour en vertu de la loi sur les étrangers n’était apparu et la famille n’avait pas formé au cours de son séjour les liens avec la Suède qui lui auraient donné droit à un permis de séjour. Les requérants estiment que l’Office des migrations a examiné leur dossier sans y regarder de plus près et sans accorder toute l’attention requise à l’entretien oral.

Teneur de la plainte

3.Les requérants font valoir que s’ils sont renvoyés de force en Azerbaïdjan, ils risquent d’être torturés, en violation de l’article 3 de la Convention, en raison: des activités politiques de R. K., en tant que membre du parti Moussavat, de ses activités de journaliste au journal d’opposition le Yeni Moussavat et de la déposition qu’il aurait faite devant le tribunal azerbaïdjanais le 16 septembre 2004. Selon les requérants, qui fournissent de nombreux documents à l’appui, il est notoire que les autorités azerbaïdjanaises ont recours à la torture lors des interrogatoires.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 13 septembre 2007, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la requête. Répondant uniquement aux griefs soulevés au sujet de R. K., il a confirmé que celui-ci avait épuisé les voies de recours internes mais a fait valoir que la requête était manifestement sans fondement. Sur les faits, l’État partie affirme que les condamnations pour diffamation prononcées par des tribunaux azerbaïdjanais contre R. K. ne sont pas des condamnations pénales mais des mesures civiles. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. L’État partie renvoie également à la jurisprudence du Comitéselon laquelle aux fins de l’article 3 de la Convention, l’individu concerné doit courir personnellement un risque prévisible, réel, d’être torturé dans le pays dans lequel il est renvoyé. En outre, il incombe au requérant de présenter des arguments défendables et le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, même s’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. L’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que plusieurs dispositions de la loi de 1989 sur les étrangers et de la nouvelle loi sur les étrangers, entrée en vigueur en mars 2006, renferment le principe énoncé au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Il souligne que les autorités suédoises appliquent donc le même type de critères que le Comité lorsqu’il examine les requêtes soumises en vertu de la Convention.

4.2L’État partie affirme que le renvoi de R. K. en Azerbaïdjan n’entraînerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Il faut accorder toute la considération voulue aux décisions des services suédois des migrations car ils sont bien placés pour évaluer les informations fournies à l’appui d’une demande d’asile et pour apprécier la crédibilité des déclarations d’un requérant. R. K. n’a pas étayé ses allégations de violations passées et n’a apporté aucune preuve à l’appui − ni rapports médicaux ni photographies. Il s’est borné à décrire en termes généraux les situations dans lesquelles il aurait été maltraité et il n’a pas donné de détails précis sur ces événements. Il n’a pas démontré que l’une quelconque des agressions alléguées le visait personnellement et il semble qu’elles se soient produites dans le cadre de réunions politiques et de manifestations lors desquelles des arrestations massives ont eu lieu. S’il affirme avoir été arrêté et conduit à un poste de police à trois reprises en Azerbaïdjan, rien n’indique cependant qu’il ait subi une quelconque violence en détention, même si ces arrestations étaient selon lui liées à ses activités politiques et à son travail de journaliste. Il n’a jamais été détenu pendant plus de quelques heures et jamais poursuivi pour les actes qui ont motivé ces arrestations. L’État partie en déduit que les autorités azerbaïdjanaises se sont moins intéressées à lui qu’il ne le prétend s’il n’a été arrêté que brièvement à trois reprises.

4.3L’État partie fait également valoir que R. K. n’a pas prouvé qu’un mandat d’arrêt avait effectivement été décerné contre lui et qu’il n’explique pas pourquoi il n’a jamais été arrêté. Il renvoie à la déposition que le requérant affirme avoir faite lors d’une audience au tribunal le 16 septembre 2004 et dans laquelle il a déclaré avoir exhorté les manifestants à défiler le 16 octobre 2003, mais note aussi que l’intéressé n’a pas été arrêté au cours de cette procédure. Le requérant prétend que les autorités avaient prévu de «s’occuper de lui» d’une autre manière. À l’appui de sa déposition, il a invoqué un article de presse qui aurait été publié par le Yeni  Moussavat le 17 septembre 2004. Selon un rapport daté du 4 juillet 2007, établi au terme d’une enquête menée à la demande de l’ambassade de Suède à Ankara par un avocat exerçant en Azerbaïdjan, il semblerait que le nom de R. K. ne soit pas mentionné dans le jugement rendu à l’issue de la procédure citée par l’article en question. Le requérant n’est pas recherché par les autorités et n’a été reconnu coupable d’aucune infraction. En tout état de cause, l’État partie fait observer qu’en 2005, les sept responsables de l’opposition qui avaient été condamnés à des peines d’emprisonnement à la suite des élections de 2003 auraient tous été graciés et leurs condamnations antérieures auraient été annulées; il apparaît donc hautement improbable que les autorités verraient un quelconque intérêt à arrêter et à inculper le requérant pour les activités qu’il affirme avoir menées lors de ces élections.

4.4Dans le même rapport du 4 juillet 2007, l’ambassade de Suède à Ankara a confirmé que R. K. était membre du parti Moussavat mais a précisé qu’il n’avait jamais été un dirigeant du parti et que sa seule activité politique avait consisté à être journaliste au Yeni Moussavat. Elle a également indiqué que Moussavat était un parti d’opposition qui avait constamment des problèmes avec les autorités, surtout au sujet de la fraude électorale, et que les journalistes qui critiquaient le régime actuel faisaient constamment l’objet de menaces de la part des autorités, y compris d’attaques, de mauvais traitements et de violences physiques. Cependant, aucun de ces journalistes (liste établie par l’avocat) n’avait quitté le pays. L’État partie ajoute que le parti Moussavat est enregistré officiellement, qu’il est légal et que l’adhésion à ce parti n’est pas considérée comme une infraction pénale. Le parti n’ayant remporté que cinq des 125 sièges aux élections législatives de novembre 2005, il n’est plus l’un des principaux partis d’opposition en Azerbaïdjan. L’État partie doute donc que les autorités s’intéresseraient grandement aux activités politiques des membres du parti Moussavat.

4.5En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Azerbaïdjan à l’heure actuelle, l’État partie fait observer que l’Azerbaïdjan est membre du Conseil de l’Europe et qu’il a ratifié plusieurs des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme, y compris la Convention contre la torture. Il fait valoir que l’Azerbaïdjan a fait des progrès dans le domaine des droits de l’homme et renvoie à ce sujet aux sanctions infligées à une centaine de policiers en 2006, à la création de l’institution du médiateur national et au nouveau plan d’action pour la protection des droits de l’homme qui a été annoncé par le Président Aliev en décembre 2006. Il ne sous-estime pas les inquiétudes légitimes qui peuvent être exprimées au sujet de la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan; il note que des violations des droits de l’homme ont été signalées, notamment des détentions arbitraires et des cas de passage à tabac et de torture de personnes détenues par les forces de sécurité, en particulier des militants connus, et que la liberté des médias et la liberté d’expression suscitent des préoccupations, surtout en ce qui concerne les journalistes. Cependant, il est d’avis, comme l’Office des migrations, que la situation en Azerbaïdjan à l’heure actuelle ne permet pas de conclure à un besoin général de protection des demandeurs d’asile en provenance de ce pays.

4.6L’État partie reconnaît que la situation des journalistes en Azerbaïdjan est un sujet de préoccupation. Cependant, elle n’est pas grave au point que le simple fait qu’un demandeur d’asile soit un journaliste professionnel et ait critiqué le régime actuel dans des articles publiés par le passé en Azerbaïdjan suffise à établir une éventuelle violation de l’article 3. À cet égard, l’État partie fait observer que R. K. n’a pas mené d’activités politiques ni publié d’articles en Azerbaïdjan depuis qu’il a quitté le pays à la fin de septembre 2004.

Commentaires des requérants sur les observations de l ’ État partie

5.1Le 10 décembre 2007, les requérants affirment que c’est finalement à cause de la déposition faite par R. K. le 16 septembre 2004 que «les autorités ont décidé de se débarrasser de lui», ce pour quoi toute la famille a fui le pays. R. K. a été menacé par des employés du Ministère de l’intérieur et du Ministère de la sécurité qui n’ont pas eu l’occasion de mettre leurs menaces à exécution parce qu’il y avait beaucoup de monde lorsqu’il est sorti de la salle d’audience. Il a compris que ce ne serait qu’une question de temps avant que ces menaces ne soient mises à exécution. S’il n’a pas été arrêté pour ses activités les 15 et 16 octobre 2003, c’est parce que les autorités craignaient d’attirer l’attention internationale. Il se trouvait au siège du journal avec plusieurs observateurs internationaux pendant les événements, tandis que ceux qui étaient dehors étaient maltraités physiquement ou arrêtés. Les autorités avaient déjà eu mauvaise presse à la suite des événements en question et n’attendaient que le moment opportun pour le faire «disparaître».

5.2En ce qui concerne le rapport de l’ambassade de Suède à Ankara, les requérants soulignent qu’il confirme que R. K. était membre du parti Moussavat et journaliste au journal affilié à ce parti, le Yeni Moussavat. En outre, il indique que le parti Moussavat avait «constamment des problèmes avec les autorités» et que les journalistes qui critiquaient le régime faisaient constamment l’objet de menaces de la part des autorités et subissaient des attaques, des mauvais traitements et des violences physiques. Les requérants confirment que R. K. n’a jamais été reconnu coupable d’une infraction pénale ni «officiellement» recherché par les autorités. Cependant, cela n’enlève rien au fait qu’il est considéré comme une menace pour le régime. Le requérant conteste qu’il n’y a pas de cas connu d’autres journalistes ayant quitté le pays, comme le prétend le rapport, et cite le cas d’un journaliste qui a obtenu l’asile en Suède. Quant au fait que le nom de R. K. n’apparaisse pas dans le jugement, il est expliqué que les autorités ne feraient pas état d’une telle déposition faite par un témoin dans un jugement officiel afin de ne pas ternir leur réputation. Les requérants reconnaissent que R. K. n’occupait pas un poste de direction au sein du parti mais affirment qu’il jouait un rôle de premier plan au Yeni  Moussavat.

5.3Quant aux arguments sur le caractère général de la description des violences qu’aurait subies R. K., les requérants font valoir qu’il lui est difficile de se rappeler tous les détails et renvoient à la jurisprudence du Comité selon laquelle les récits d’actes de torture passés contiennent des incohérences ou des inexactitudes mais qu’une exactitude parfaite ne peut guère être attendue de victimes de la torture. Ils joignent un rapport médico‑légal et un rapport d’expertise psychiatrique datés respectivement du 22 et du 23 octobre 2007, qui, selon eux, rendent compte en détail de la persécution, du harcèlement et des violences physiques dont R. K. a été victime. Le rapport médico‑légal indique que les résultats de l’examen peuvent éventuellement corroborer les déclarations de R. K. qui affirme avoir subi des violences infligées au moyen d’instruments contondants; le rapport psychiatrique confirme que R. K. souffre de troubles post‑traumatiques. Selon les requérants, ces rapports montrent que le mauvais état de santé de R. K. est compatible avec les informations qu’il a données au sujet de sa persécution. Les requérants renvoient à la jurisprudence du Comité en faisant valoir que le fait que R. K. souffre de troubles post‑traumatiques devrait être pris en compte lors de l’évaluation de son cas.

5.4Quant à l’opinion de l’État partie qui estime qu’il n’y a pas de besoin général de protection des demandeurs d’asile en provenance d’Azerbaïdjan, les requérants font valoir qu’ils n’ont jamais prétendu cela mais réaffirment que R. K. est actuellement personnellement en danger. Ils doutent que les services suédois des migrations appliquent le même type de critères que le Comité lors de l’examen d’une demande d’asile en vertu de la loi de 1989 sur les étrangers, car il s’agit d’établir s’il existe une «crainte fondée» et non des «motifs sérieux» de croire que le requérant serait soumis à la torture, comme dans la Convention. Selon les requérants, l’Office des migrations a examiné le dossier «sans y regarder de plus près» et non de manière pondérée, objective et impartiale.

5.5Quant à la situation générale des droits de l’homme en Azerbaïdjan, les requérants font valoir qu’elle s’est détériorée, en particulier pour les journalistes. Des préoccupations sont exprimées au sujet de la liberté des médias et de la liberté d’expression et les journalistes font de plus en plus souvent l’objet de menaces, de harcèlement et de violences physiques. De fausses accusations de diffamation sont utilisées à des fins d’intimidation. Il y a eu une augmentation spectaculaire des accusations de diffamation portées contre des journalistes par des agents de l’État et huit journalistes sont actuellement détenus en Azerbaïdjan. Ceux qui sont affiliés au parti Moussavat sont harcelés, arrêtés, détenus et battus, et de multiples poursuites judiciaires ont été engagées contre le journal Yeni Moussavat dans le but de le faire fermer. Le décès inexpliqué de deux sympathisants de l’opposition a également été signalé. Le Gouvernement a recours à des arrestations pour raisons politiques afin de museler l’opposition. Les personnes arrêtées restent souvent en détention provisoire pendant plus d’un an et des cas de tortures, infligées notamment dans les cellules des postes de police continuent d’être signalés aux organisations non gouvernementales.

Réponses complémentaires de l ’ État partie

6.1Dans une note du 25 février 2008, l’État partie fait observer qu’il ne faut pas déduire de sa réponse succincte qu’il accepte les observations du requérant qu’il n’a pas commentées, et qu’il maintient la position exprimée dans ses observations du 13 septembre 2007. En ce qui concerne les certificats médico‑légal et psychiatrique que le requérant a produits à l’appui de ses dires, l’État partie fait valoir que comme il s’agissait de nouveaux documents, les services suédois des migrations ne les ont pas examinés. En outre, le requérant n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas subi plus tôt ces examens. L’État partie estime que la conclusion des certificats ne corrobore que faiblement la réalité des mauvais traitements que le requérant affirme avoir subis par le passé, puisqu’elle indique en particulier que «les traumatismes dus à l’exercice répété d’une pression contondante qui ont été signalés peuvent être en partie vérifiés à l’examen. Le résultat de l’examen peut éventuellement confirmer les violences et actes de torture que le requérant indique avoir subis.». L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas étayé ses allégations au sujet des violences qu’il aurait subies par le passé.

Réponses complémentaires du requérant

6.2Le 18 avril 2008, les requérants ont communiqué une réponse supplémentaire dans laquelle ils déclarent qu’il n’est pas contesté que les certificats médicaux n’ont pas été invoqués auparavant ni examinés par les services suédois des migrations. Ils font valoir que l’organe compétent pour décider de mener ou non une enquête approfondie sur des actes de torture est l’Office des migrations. Même si l’Office des migrations n’a pas contesté l’affirmation du requérant selon laquelle on lui avait fait subir de graves sévices, la question de savoir s’il avait été ou non torturé et quelles en ont été les conséquences pour lui n’a pas été examinée du tout. Par conséquent, de l’avis du requérant, les autorités suédoises estimaient que le fait que l’auteur de la communication ait subi des mauvais traitements dans le passé n’avait aucune pertinence lorsqu’elles se sont penchées sur la question de savoir si les requérants avaient besoin d’un asile et de protection. Les requérants ont été surpris lorsqu’ils ont appris la «nouvelle» position communiquée par l’État partie le 13 septembre 2007, selon laquelle le requérant n’avait pas étayé ses allégations au sujet des violences qu’il aurait subies par le passé. C’est pour étayer sa requête que le requérant avait jugé nécessaire de se soumettre à une enquête approfondie. Ainsi, c’est la thèse de l’État partie qui avait poussé le requérant à présenter de nouveaux documents. Si l’État partie n’avait pas «révisé l’examen effectué par les autorités nationales», l’auteur de la communication n’aurait eu aucune raison d’invoquer de nouveaux documents devant le Comité. Le requérant conteste la conclusion de l’État partie selon laquelle les rapports en question ne corroborent que faiblement ses dires et fait état des conclusions de ces rapports. Il joint aussi une déclaration, datée du 17 avril 2008, de Reporters sans frontières, où il est fait mention de lui, comme d’un journaliste dont l’action politique au service d’un parti de l’opposition en Azerbaïdjan avait été décrite dès le 19 décembre 2001 et qui appuie sa demande d’asile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes. Il note que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés et constate donc que les requérants se sont conformés aux dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22.

7.4L’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention car elle ne présente pas le niveau de preuve minimum requis par ces dispositions aux fins de la recevabilité. Le Comité est d’avis que les griefs dont il est saisi soulèvent des questions de fond qui devraient être traitées sur le fond et ne relèvent pas seulement de considérations sur la recevabilité.

7.5En conséquence, le Comité juge la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Azerbaïdjan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.2Pour évaluer le risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. De même, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3de la Convention, selon laquelle, étant donné qu’il est tenu de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. Le risque ne doit pas nécessairement être hautement probable, mais il doit être personnel et effectif. À cet égard, dans des décisions antérieures, le Comité a déterminé que le risque de torture doit être prévisible, réel et personnel.

8.4Le Comité note que R. K. affirme qu’il serait torturé s’il était expulsé vers l’Azerbaïdjan en raison de ses activités politiques passées, de ses activités de journaliste et de la déposition qu’il a faite devant un tribunal azerbaïdjanais en 2004. Il note également qu’il affirme avoir été torturé par le passé et qu’il a récemment fourni à l’appui de ses griefs des rapports médicaux qui, comme l’a souligné l’État partie, n’avaient pas été présentés à l’Office des migrations. Le requérant n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas pu faire état de ces examens et rapports médicaux avant de saisir le Comité. Le Comité remarque que R. K., s’il a bel et bien été membre du parti Moussavat, admet qu’il n’était pas un dirigeant du parti et n’a pas montré qu’il avait mené des activités politiques suffisamment importantes pour attirer l’intérêt des autorités azerbaïdjanaises. Le requérant n’a pas non plus montré qu’il avait participé aux manifestations qui ont accompagné les élections de 2003. Il convient qu’il n’a pas été reconnu coupable d’une quelconque infraction à la suite de ces manifestations; même s’il l’on admettait, malgré le manque de preuves, qu’il a fait une déposition au cours d’un procès au sujet de sa participation aux manifestations, il n’a pas été arrêté pour ce fait et n’est pas recherché par les autorités. En fait, il n’a jamais été inculpé ni poursuivi pour une infraction pénale en Azerbaïdjan.

8.5En ce qui concerne les actes de torture que le requérant affirme avoir subis par le passé, le Comité note que, comme l’a souligné l’État partie, R. K. n’a donné que des informations générales et aucune information détaillée précise sur ces actes de torture ou mauvais traitements. Il fait observer que le requérant, bien qu’il affirme avoir été arrêté à trois reprises, n’a été ni torturé ni maltraité au cours de ces arrestations. Même les rapports médicaux fournis à la fin de 2007 manquent de détails, contrairement à ce qu’affirme le requérant, et font état de «violences répétées» dans le cadre de manifestations et du fait que R. K. a fait l’objet de «menaces, agressions et violences…». Même si les conclusions du rapport médico‑légal du 22 octobre 2007 «peuvent éventuellement confirmer les violences et actes de torture que le requérant indique avoir subis» et si le rapport psychiatrique du 23 octobre 2007 confirme qu’il souffre de troubles post‑traumatiques, la question est de savoir s’il court actuellement le risque d’être torturé s’il était renvoyé en Azerbaïdjan. Il ne s’ensuit pas automatiquement que, plusieurs années après que les événements allégués se sont produits, il risquerait toujours d’être torturé s’il était renvoyé en Azerbaïdjan dans un avenir proche.

8.6De l’avis du Comité, les requérants n’ont pas produit d’éléments tangibles pour montrer que R. K.ferait face à un risque de torture prévisible, réel et personnel s’il était renvoyé en Azerbaïdjan. En conséquence, et étant donné que l’affaire des autres requérants est étroitement liée à celle de R. K., le Comité conclut que les autres requérants n’ont pas démontré qu’ils feraient également face à un risque de torture prévisible, réel et personnel à leur retour en Azerbaïdjan et, partant, il en déduit que leur expulsion vers ce pays ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi par l’État partie des requérants en Azerbaïdjan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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