Présentée par:

Antonius Cornelis Van Hulst (représenté par un conseil, M. Taru Spronken)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

8 avril 1998 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 23 octobre 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

1er novembre 2004

Le 1er novembre, le Comité a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 903/1999 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF

AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

− Quatre ‑vingt ‑deuxième session −

concernant la

Communication n o  903/1999 **

Présentée par:

Antonius Cornelis Van Hulst (représenté par un conseil, M. Taru Spronken)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

8 avril 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 903/1999, présentée au nom de Antonius Cornelis Van Hulst en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Antonius Cornelis Van Hulst, ressortissant néerlandais. Il prétend être victime de violations par les Pays‑Bas des articles 14 et 17 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

1.2Une communication analogue, reposant sur les mêmes faits, a été présentée le 7 septembre 1998 par M. A.T.M.M., se déclarant lui aussi victime d’une violation par les Pays‑Bas de l’article 17 du Pacte. M. A.T.M.M. n’a pas fait valoir par la suite ses prétentions et, nonobstant un rappel qui lui a été adressé, n’a pas indiqué au Comité s’il souhaitait maintenir sa communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1À l’occasion d’une enquête préliminaire ouverte contre M. A.T.M.M., l’avocat de l’auteur, des conversations téléphoniques entre A.T.M.M. et l’auteur ont été interceptées et enregistrées. Au vu des informations ainsi recueillies, une enquête préliminaire a été ouverte contre l’auteur lui‑même, et sa mise sur table d’écoute autorisée.

2.2Par décision rendue le 4 septembre 1990, le tribunal de district de ’s‑Hertogenbosch a déclaré l’auteur coupable de participation à une organisation criminelle, d’acquisition habituelle de biens sans intention de payer, d’escroquerie et de tentative d’escroquerie, de chantage, de contrefaçon et de recel, et l’a condamné à six ans d’emprisonnement.

2.3Au cours du procès, le conseil de l’auteur a affirmé que l’accusation ne devrait pas être retenue parce qu’elle s’appuyait sur un certain nombre de procès‑verbaux de conversations téléphoniques entre l’auteur et son avocat, A.T.M.M., qui ne sauraient, au regard du droit, être admis comme éléments de preuve. Il a fait valoir que, conformément au paragraphe 2 de l’article 125h, lu en liaison avec l’article 218, du Code de procédure pénale, les éléments de preuve recueillis illégalement auraient dû être écartés.

2.4Bien que le tribunal de district ait reconnu avec l’auteur que les conversations téléphoniques échangées entre celui‑ci et A.T.M.M. ne pouvaient pas être utilisées comme éléments de preuve, dans la mesure où ce dernier intervenait en sa qualité d’avocat de l’auteur et non en tant que suspect, il a rejeté l’argumentation développée par l’auteur pour réfuter la thèse de l’accusation, notant que le procureur ne s’était pas fondé, pour établir la culpabilité de l’auteur, sur les conversations téléphoniques mises en cause. Tout en ordonnant que ces éléments soient retirés du dossier, il a admis et utilisé comme éléments de preuve d’autres conversations téléphoniques, qui avaient été interceptées et enregistrées dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte contre A.T.M.M., conformément à l’article 125g du Code de procédure pénale, et qui ne concernaient pas la relation avocat‑client avec l’auteur.

2.5En appel, le défenseur a fait valoir que les enregistrements des écoutes téléphoniques, qui auraient dû être détruits conformément au paragraphe 2 de l’article 125h, ne l’avaient pas en fait tous été. Néanmoins, par arrêt rendu le 10 avril 1992, la cour d’appel de ’s‑Hertogenbosch a rejeté cet argument, déclarant qu’il n’y aurait pas lieu de faire droit à la demande présentée par l’auteur d’examiner la question de savoir si les procès‑verbaux en question avaient été détruits, car «l’absence de ces pièces dans le dossier ne prouverait pas avec certitude qu’elles ont été détruites». La cour a reconnu l’auteur coupable d’acquisition habituelle de biens sans intention de payer, de contrefaçon et de recours à des menaces physiques, sans faire état des enregistrements des conversations téléphoniques, et l’a condamné à cinq années d’emprisonnement.

2.6Devant la Cour suprême, le défenseur a fait observer que la cour d’appel n’avait pas donné de réponse à la thèse qu’il avait avancée selon laquelle les enregistrements des conversations téléphoniques avec l’avocat de l’auteur avaient été obtenus illégalement et qu’ils n’avaient pas été détruits par la suite. La Cour suprême a rejeté cet argument et, par décision du 30 novembre 1993, pour des raisons différentes, elle a partiellement cassé l’arrêt de la cour d’appel sur deux chefs d’accusation, ainsi que la peine prononcée, et renvoyé l’affaire à la cour d’appel d’Arnhem.

2.7Le 24 mars 1995, la cour d’appel d’Arnhem a acquitté l’auteur sur un chef d’accusation et l’a condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement sur les autres chefs d’accusation. Dans le pourvoi qu’il a formé contre cet arrêt, l’auteur a fait valoir qu’il n’avait toujours pas été répondu à son grief touchant les écoutes téléphoniques. Le 16 avril 1996, la Cour suprême a rejeté le pourvoi, sans le motiver, en se fondant sur l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire.

2.8Le 22 octobre 1996, l’auteur a présenté à la Commission européenne des droits de l’homme une requête, alléguant notamment une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par décision rendue le 8 décembre 1997, la Commission a déclaré la requête irrecevable au motif qu’une juridiction d’appel ne viole pas l’article 6 de la Convention si, se fondant sur une disposition juridique spécifique, elle rejette un recours dont elle considère qu’il n’a aucune chance d’aboutir sans motiver plus avant sa décision. S’agissant des autres griefs présentés par l’auteur, la Commission a considéré qu’ils ne laissaient apparaître aucune violation des droits et des libertés énoncés dans la Convention ou ses protocoles.

Teneur de la plainte

3.1Selon l’auteur, le rejet par la Cour suprême, par simple référence à l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire, de son grief touchant les écoutes téléphoniques, ainsi que l’admission en tant qu’éléments de preuve de procès‑verbaux de l’écoute de conversations téléphoniques entre lui‑même et son avocat et leur utilisation constituaient une violation de ses droits au titre de l’article 14 du Pacte, et l’atteinte portée à son droit de communiquer avec son avocat en toute confidentialité était illégale et arbitraire, constituant une violation de l’article 17 du Pacte.

3.2L’auteur ajoute que le fait que les juridictions ont rejeté son moyen de défense sans le motiver a rendu vain son droit de faire appel de sa condamnation. En particulier, l’exercice par la Cour suprême du pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire, de se borner à déclarer qu’une requête ne peut pas déboucher sur la cassation de l’arrêt initial ou qu’elle n’appelle pas de réponse sur des points de droit dans l’intérêt de l’uniformité et du développement du droit, l’a privé de l’occasion de préparer sa défense devant le Comité ou, au demeurant, devant la Commission européenne des droits de l’homme.

3.3De l’avis de l’auteur, l’article 121 de la Constitution des Pays‑Bas exige que les jugements soient motivés; les exceptions à cette règle doivent être définies par la loi et limitées au strict minimum. En conséquence, l’article 101a, qui a été adopté en 1988 afin de réduire la charge de travail de la Cour suprême et de renforcer son efficacité, ne saurait justifier le déni du droit d’un défendeur à connaître les motifs du rejet de son recours de manière à dûment préparer sa défense.

3.4L’auteur se réfère à la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle les juridictions nationales doivent indiquer avec suffisamment de clarté les motifs sur lesquels elles se sont fondées pour prendre leurs décisions, afin de permettre à l’accusé de dûment exercer son droit de recours. Vu les similitudes existant entre l’article 6 de la Convention européenne et l’article 14 du Pacte, il est fait observer que les exceptions à l’application de ce principe, qui peuvent être excipées de la jurisprudence de la Cour européenne, s’appliquent aussi dans le cas de l’article 14 du Pacte. Aussi, une juridiction n’a‑t‑elle pas à motiver sa décision: a) si une juridiction inférieure a déjà rendu une décision motivée sur la même question; b) si une décision n’est pas susceptible d’appel; c) dans le cas d’arguments qui ne revêtent pas une importance essentielle; d) dans le contexte d’un système de formation de recours sur autorisation; et e) dans le cas d’une décision sur la recevabilité.

3.5Selon l’auteur, les exceptions énumérées ci‑dessus ne s’appliquent pas dans son cas, pour les raisons suivantes: a) aucune des juridictions saisies de son affaire n’a répondu, dans le fond et de façon circonstanciée, à son argument mettant en cause l’utilisation des écoutes téléphoniques lors de la procédure pénale; b) bien que l’arrêt de la Cour suprême du 16 avril 1996 ne fût pas susceptible d’appel au niveau national, il aurait dû être motivé de manière à permettre à l’auteur de préparer une communication destinée au Comité et/ou à la Commission européenne des droits de l’homme; c) son argument ne pouvait pas être rejeté pour n’être pas essentiel, car il avait trait à des violations de son droit à la protection de sa vie privée et de son droit à un procès équitable; et d) le pouvoir discrétionnaire de la Cour suprême de rejeter un pourvoi en cassation en se fondant sur l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire ne saurait être comparé à un système de formation de recours sur autorisation, car cet article habilite la Cour à «renoncer purement et simplement à motiver ses décisions».

3.6S’agissant de son grief au titre de l’article 17, l’auteur fait observer que, en tant que client de M. A.T.M.M., il aurait dû se voir accorder une protection judiciaire contre les écoutes téléphoniques et l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec son avocat, parce qu’il ne pouvait pas savoir que celui‑ci était tenu pour suspect dans le cadre d’une procédure pénale. Il y a atteinte au droit de s’assurer les services de l’avocat de son choix lorsque la protection de la confidentialité dépend de la question de savoir si l’avocat est lui‑même tenu ou non pour suspect dans une affaire pénale.

3.7D’après l’auteur, le droit que lui reconnaît l’article 17 de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée englobe le droit à communiquer en toute confidentialité avec son avocat, droit qui ne peut être limité que: a) conformément à la loi; b) dans un but légitime; et c) si l’immixtion est proportionnée au but recherché.

3.8Tout en admettant que la lutte contre la criminalité est un objectif légitime, l’auteur conteste la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle le paragraphe 2 de l’article 125h du Code de procédure pénale, bien qu’exigeant la destruction des procès‑verbaux d’écoute de conversations téléphoniques faisant intervenir une personne habilitée à refuser de témoigner, n’empêche pas de prendre éventuellement connaissance d’informations qui entrent dans le champ d’application de l’article 218 du Code de procédure pénale, car il n’est pas possible de savoir par avance si participe à la conversation une personne tenue au secret par la loi. Le paragraphe 2 de l’article 125h devrait plutôt être interprété comme interdisant rigoureusement de mettre sur table d’écoute un avocat/suspect, «les enregistrements de toutes les conversations confidentielles devant être immédiatement détruits». Dans le cas contraire, des informations pourraient être recueillies par voie d’interception et d’enregistrements, qui ne pourraient pas normalement être obtenues à travers les dépositions de témoins ou de suspects. L’auteur ajoute que l’écoute de conversations téléphoniques échangées entre lui et son avocat était une mesure disproportionnée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations datées du 23 avril 2003, l’État partie, sans contester la recevabilité de la communication, fait observer que ni la référence faite par la Cour suprême à l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire ni l’admission comme éléments de preuve de conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. interceptées ne constituaient une violation du droit de l’auteur à un procès équitable conformément à l’article 14 et que les immixtions dans sa vie privée et sa correspondance n’étaient ni illégales ni arbitraires.

4.2Tout en concédant que le droit à un procès équitable, en principe, veut que les tribunaux exposent les motifs de leurs décisions, l’État partie déclare que le droit d’obtenir une décision de justice motivée n’est pas un droit absolu, mais qu’il dépend de la nature de la décision, des circonstances de chaque espèce et du stade de la procédure. La jurisprudence de la Cour européenne selon laquelle les juridictions d’appel peuvent, en principe, se borner à faire leurs les motifs énoncés dans la décision d’une juridiction inférieure, doit a fortiori s’appliquer aussi dans le cas des cours suprêmes qui, à l’instar des cours constitutionnelles, rejettent souvent des recours hâtivement.

4.3L’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire a été conçu comme une mesure d’efficacité devant permettre à la Cour suprême de faire face à sa charge de travail de plus en plus lourde. Il a été donné à la Cour européenne d’examiner cette disposition, et elle a déclaré des recours dont elle a fait l’objet manifestement non fondés. On ne saurait donc prétendre que, du seul fait qu’il existe, l’article 101a constitue une violation de l’article 14 du Pacte.

4.4L’État partie rejette l’argument de l’auteur selon lequel l’application de l’article 101a a restreint la possibilité qu’il avait de se défendre devant le Comité, faisant valoir que les garanties prévues à l’article 14 du Pacte ne s’appliquent qu’aux recours formés au niveau national. Au grief de l’auteur selon lequel le fait que la Cour suprême s’est contentée d’invoquer l’article 101a constituait une atteinte à son droit de saisir le Comité, l’État partie répond que la décision de la Cour suprême n’a nullement remis en cause les motifs circonstanciés exposés par les juridictions aux stades antérieurs de la procédure. L’allégation de l’auteur selon laquelle aucun organe judiciaire n’a jamais répondu au fond à son argument touchant l’écoute de ses conversations téléphoniques avec son avocat était dénuée de fondement. En outre, la Cour suprême n’a invoqué l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire qu’après avoir cassé en partie l’arrêt rendu de la cour d’appel du 10 avril 1992, et elle a renvoyé l’affaire à la cour d’appel d’Arnhem, par décision du 30 novembre 1993.

4.5Quant à l’admission comme élément de preuve de l’enregistrement de certaines conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M., l’État partie relève qu’il appartient en règle générale aux juridictions nationales, et non au Comité, d’apprécier les éléments de preuve recueillis par elles, sauf s’il apparaît manifestement qu’il y a eu violation de l’article 14. Pour l’État partie, il y a lieu de considérer que la procédure, dans son ensemble, s’est déroulée de façon équitable, pour les raisons suivantes: a) le tribunal de district n’a admis l’enregistrement de conversations entre l’auteur et son avocat que dans la mesure où celles‑ci avaient un rapport avec la participation de ce dernier à la commission d’une infraction pénale, et il a précisé que ni le parquet ni le tribunal lui‑même n’avaient fondé leurs conclusions sur des conversations avocat‑client protégées; b) aucune transcription des enregistrements n’a été faite ni versée au dossier, les enregistrements ayant été tout simplement mentionnés au cours du procès, conformément à l’arrêt rendu par la Cour européenne dans l’affaire Kruslin c. France, arrêt dans lequel elle a souligné la nécessité de communiquer complets les enregistrements réalisés, aux fins de contrôle éventuel par le juge et par la défense; c) l’auteur n’a jamais contesté la fiabilité des éléments de preuve, maintenant tout simplement que les informations auraient dû être effacées; et d) le dossier montre que la condamnation de l’auteur ne reposait pas sur des conversations interceptées dans lesquelles M. A.T.M.M. intervenait en tant qu’avocat et non comme suspect.

4.6S’agissant de l’assertion de l’auteur concernant l’article 17, l’État partie concède que les expressions «vie privée» ou «correspondance» peuvent s’entendre aussi d’appels téléphoniques en provenance ou à destination d’un cabinet d’avocats et que l’interception des conversations téléphoniques de l’auteur constituait une «immixtion» au sens de cette disposition. Évoquant l’Observation générale no 16 du Comité, il conteste que cette immixtion ait été illégale ou arbitraire au sens de l’article 17, car celui‑ci n’interdit que les immixtions qui ne sont pas prévues par la loi (immixtions «illégales»), laquelle doit être elle‑même conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte, ou qui ne sont pas raisonnables dans les circonstances de l’espèce (immixtions «arbitraires»).

4.7L’État partie avance que le droit applicable au moment considéré, à savoir les alinéas f à h de l’article 125 du Code de procédure pénale, n’interdisait pas la mise sur écoute de conversations téléphoniques échangées avec des personnes liées, aux termes de la loi, par le secret. En promulguant ces dispositions en 1971, le législateur n’a pas indiqué qu’elles ne devraient pas s’appliquer aux personnes liées, aux termes de la loi, par le secret, au sens de l’article 218 du Code de procédure pénale. De plus, le droit applicable, qui incluait alors des directives circonstanciées relatives à l’examen des conversations téléphoniques, était suffisamment précis pour autoriser des immixtions dans le droit au respect de la vie privée, puisqu’il énonçait des garanties de procédure contre les excès de pouvoir, comme par exemple la subordination des écoutes téléphoniques à une autorisation du juge et la réglementation de l’établissement et, dans certains cas, de la destruction d’enregistrements officiels de toute conversation téléphonique interceptée.

4.8L’État partie affirme que les immixtions dans l’exercice par l’auteur de son droit au respect de sa vie privée visaient un objectif légitime (la lutte contre la criminalité) et étaient proportionnées, le tribunal de district ayant veillé à ce qu’il ne soit pas tenu compte, dans le cadre des poursuites pénales engagées contre l’auteur, des conversations téléphoniques interceptées dans lesquelles M. A.T.M.M. intervenait en tant qu’avocat de l’auteur et non en tant que suspect dans des affaires pénales. S’agissant des conversations interceptées parce que A.T.M.M. était tenu pour suspect, et qui n’englobaient donc pas des communications professionnelles entre un avocat et son client, l’État partie fait observer qu’il est déraisonnable d’escompter une impunité totale pour l’auteur et A.T.M.M. du simple fait que ce dernier est également avocat.

4.9Enfin, l’État partie maintient que les inconvénients causés à l’auteur du fait de l’écoute de ses conversations téléphoniques avec A.T.M.M. relèvent essentiellement d’une affaire entre parties privées, car l’auteur aurait pu engager une procédure au civil contre A.T.M.M., qui pourrait faire en outre l’objet d’une procédure disciplinaire.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans ses commentaires datés du 15 juillet 2003 sur les observations de l’État partie, l’auteur réitère ses griefs et développe son argumentaire concernant la violation présumée de l’article 17. Les décisions des juridictions néerlandaises impliquent concrètement que, chaque fois qu’un avocat est soupçonné d’avoir perpétré une infraction pénale et qu’il est mis pour ce fait sur écoute, ses clients ne peuvent plus prétendre à la confidentialité de la relation avocat‑client ni à la garantie de la destruction immédiate des enregistrements des conversations téléphoniques ainsi interceptées.

5.2L’auteur prétend que l’État partie n’a pas établi de distinction entre les conversations conseil‑client et les conversations suspect‑suspect lorsqu’il a intercepté ses propres conversations téléphoniques avec A.T.M.M., lesquelles n’avaient strictement rien à voir avec l’affaire dans laquelle son avocat était tenu pour suspect, lançant ainsi la police sur la piste d’une nouvelle infraction pénale éventuelle, ni lorsqu’il a ultérieurement mis sur écoute sa propre ligne téléphonique, lançant ainsi de nouveau la police sur la piste d’une autre infraction qui, elle aussi, différait de celle qui avait été à l’origine de la mise sur écoute et dans laquelle son avocat était alors considéré aussi comme suspect. Son grief tourne autour du fait que les soupçons éveillés contre lui sont nés de l’interception de conversations téléphoniques confidentielles, dont les enregistrements auraient dû être détruits immédiatement au lieu d’être versés au dossier comme preuve à charge contre lui.

5.3L’auteur conclut que la liberté dont disposent les autorités d’enquêter, à partir d’informations confidentielles recueillies à travers l’interception de conversations téléphoniques, sur une éventuelle infraction pénale susceptible d’avoir été commise par le client d’un avocat, mis sur écoute téléphonique parce qu’il est soupçonné d’avoir perpétré une infraction pénale, constitue une immixtion disproportionnée au regard de l’article 17 du Pacte, immixtion que le but recherché ne saurait justifier. Toute autre interprétation rendrait le droit d’avoir des conversations téléphoniques confidentielles avec son avocat illusoire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, conformément aux alinéas a et b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que l’auteur a épuisé les recours internes.

6.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle le fait que la Cour suprême, dans sa décision du 16 avril 1996, s’est bornée à se référer à l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire l’a privé de la possibilité de dûment développer son argumentaire à l’appui de la présente communication, le Comité note que les garanties énoncées à l’alinéa b du paragraphe 3 et au paragraphe 5 de l’article 14, qui s’appliquent aux poursuites pénales engagées au niveau national, ne s’appliquent pas à l’examen de communications présentées par des particuliers à des instances internationales d’enquête ou de règlement. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle le droit que le paragraphe 5 de l’article 14 lui reconnaît de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et sa condamnation a été violée parce que, abstraction faite de la décision rendue le 16 avril 1996 par la Cour suprême, les juridictions n’ont pas suffisamment motivé leur décision de rejeter son argument mettant en cause la légalité des éléments de preuve recueillis, le Comité rappelle que, lorsque le droit interne prévoit plusieurs instances d’appel, le condamné doit pouvoir s’adresser utilement à chacune d’elles. Afin d’exercer effectivement ce droit, l’intéressé doit pouvoir disposer du texte écrit des jugements, dûment motivés, de la juridiction de jugement et au moins de ceux de la première juridiction d’appel.

6.5Le Comité note que les décisions du tribunal de district et de la cour d’appel de ’s‑Hertogenbosch, de même que l’arrêt de la Cour suprême du 30 novembre 1993 et l’arrêt de la cour d’appel d’Arnhem, énoncent les motifs du rejet de la demande de l’auteur. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions nationales, et non au Comité, d’apprécier les faits et les éléments de preuve soumis dans chaque affaire, à moins que l’on puisse déterminer que la procédure qui s’est déroulée devant les tribunaux nationaux était clairement arbitraire ou constituait un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas prouvé, aux fins de la recevabilité de sa communication, que les motifs exposés par les juridictions néerlandaises pour rejeter sa mise en cause de la recevabilité de la thèse de l’accusation étaient arbitraires ou constituaient un déni de justice. Il doit donc s’ensuivre que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Au sujet de l’assertion de l’auteur selon laquelle l’admission comme éléments de preuve de certaines conversations téléphoniques entre lui‑même et A.T.M.M. qui avaient été interceptées et leur utilisation au cours de la procédure pénale en général constituaient une violation de son droit à un procès équitable, le Comité ne croit pas que la distinction opérée par le tribunal de district entre, d’une part, l’enregistrement de conversations téléphoniques susceptible d’être utilisé comme élément de preuve dans la mesure où il s’agissait de conversations interceptées dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte contre A.T.M.M. et, d’autre part, l’enregistrement de conversations dans lesquelles A.T.M.M. intervenait en tant qu’avocat de l’auteur, qui ne pouvait pas être utilisé comme élément de preuve et qui était appelé à être retiré du dossier et détruit, était arbitraire. Bien que l’auteur prétende que les autorités néerlandaises n’ont pas distingué les conversations conseil‑client des conversations suspect‑suspect, puisque ses appels téléphoniques à M. A.T.M.M. portaient sur des questions différentes de l’affaire dans laquelle son avocat était tenu pour suspect, il n’a pas étayé cette allégation. Cette partie de la communication est, elle aussi, irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité considère que l’auteur a étayé, aux fins de la recevabilité de sa communication, son argumentation selon laquelle l’interception de conversations téléphoniques entre lui‑même et son avocat et le fait que l’État partie n’a pas détruit les enregistrements de certaines conversations téléphoniques peuvent soulever des questions au titre de l’article 17 du Pacte. En conséquence, il conclut que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre de l’article 17.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. constituaient une immixtion illégale ou arbitraire dans sa vie privée, en violation de l’article 17 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle que, pour être admissible au regard de l’article 17, une immixtion dans l’exercice du droit au respect de la vie privée doit répondre de façon cumulative à plusieurs conditions, énoncées au paragraphe 1, c’est‑à‑dire qu’elle doit être prévue par la loi, être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et être raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce.

7.4Le Comité note que l’article 125g du Code de procédure pénale des Pays‑Bas autorise le juge d’instruction à ordonner, au cours de l’enquête préliminaire, l’interception ou l’enregistrement d’un trafic de données lorsqu’il croit que le suspect y prend part, à condition que cette mesure soit strictement nécessaire dans l’intérêt de l’enquête et que soit en jeu une infraction susceptible de donner lieu à une décision de mise en détention provisoire. L’auteur n’a pas contesté le fait que les autorités compétentes ont agi conformément à cette disposition. En conséquence, le Comité constate que l’immixtion dans les conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. était légale au sens du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

7.5Il s’agit de savoir aussi si les dispositions du paragraphe 2 de l’article 125h, lu en liaison avec l’article 218, du Code de procédure pénale, faisaient obligation à l’État partie d’écarter et de détruire toutes informations recueillies par l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M., dans la mesure où ce dernier intervenait en tant qu’avocat de l’auteur et qu’en cette qualité il était tenu au secret professionnel. Le Comité note à ce propos que l’auteur conteste la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle il peut être pris connaissance de conversations téléphoniques interceptées faisant intervenir une personne habilitée à refuser de témoigner, bien que le paragraphe 2 de l’article 125h dispose que les procès‑verbaux de ces conversations doivent être détruits. Le Comité rappelle qu’une immixtion n’est pas «illégale» au sens du paragraphe 1 de l’article 17 si elle est conforme au droit interne applicable, tel qu’interprété par les juridictions nationales.

7.6Enfin, le Comité doit examiner la question de savoir si les immixtions dans les conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. étaient arbitraires ou raisonnables eu égard aux circonstances de l’espèce. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle pour être raisonnable, l’immixtion dans la vie privée doit être proportionnée à l’objectif recherché et doit être nécessaire dans les circonstances particulières à chaque cas. Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur selon lequel des clients ne peuvent plus compter sur la confidentialité des communications avec leur avocat s’il existe un risque que la teneur de ces communications soit interceptée et utilisée contre eux, selon que leur avocat est soupçonné ou non d’avoir commis une infraction pénale, que le client en ait ou non connaissance. Tout en reconnaissant l’importance qu’il y a à protéger le caractère confidentiel des communications, en particulier celles échangées entre un avocat et son client, le Comité doit aussi évaluer la nécessité pour les États parties de prendre des mesures efficaces pour prévenir la commission d’infractions pénales et enquêter à leur sujet.

7.7Le Comité rappelle que la législation pertinente autorisant des immixtions dans les communications doit préciser dans le détail les cas précis dans lesquels ces immixtions peuvent être autorisées et que la décision de procéder à ces immixtions doit être prise par l’autorité désignée par la loi, et cas par cas. Il note que les conditions de forme et de fond auxquelles doit répondre l’interception des conversations téléphoniques sont clairement définies et à l’article 125g du Code de procédure pénale des Pays‑Bas et dans les directives relatives à l’examen des conversations téléphoniques datées du 2 juillet 1984. Les deux textes subordonnent cette interception à l’autorisation écrite du juge d’instruction.

7.8Le Comité considère que l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques entre l’auteur et A.T.M.M. ne portaient pas atteinte de façon disproportionnée à son droit de communiquer avec son avocat dans des conditions garantissant le plein respect du caractère confidentiel des communications entre eux, car le tribunal de district a fait la distinction entre les conversations mises sur écoute, dans lesquelles A.T.M.M. est intervenu en tant qu’avocat de l’auteur et ordonné leur retrait du dossier en tant qu’éléments de preuve, et d’autres conversations, qui ont été admises comme éléments de preuve parce qu’elles ont été interceptées dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte contre A.T.M.M. Bien qu’il ait contesté que l’État partie ait opéré judicieusement cette distinction, l’auteur n’a pas étayé son argumentation.

7.9Quant au grief de l’auteur selon lequel les procès‑verbaux des conversations entre lui et son avocat qui ont été interceptées auraient dû être détruits immédiatement, le Comité prend note de la réponse de l’État partie, qui n’a pas été contestée, selon laquelle les enregistrements des conversations interceptées ont été conservés intacts et complets, séparément du dossier, aux fins de contrôle éventuel par le juge. Comme le droit au respect de la vie privée implique le droit de chaque individu de réclamer la rectification ou la suppression de données personnelles incorrectes figurant dans des dossiers placés sous le contrôle des autorités publiques, le Comité considère que le stockage, séparément des enregistrements des conversations interceptées entre l’auteur et M. A.T.M.M., ne saurait être tenu pour déraisonnable aux fins de l’article 17 du Pacte.

7.10Vu ce qui précède, le Comité conclut que l’immixtion dans la vie privée de l’auteur s’agissant de ses conversations téléphoniques avec A.T.M.M. était proportionnée et nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime que constitue la lutte contre la criminalité et donc raisonnable dans les circonstances particulières de l’affaire et qu’en conséquence il n’y a pas eu violation de l’article 17 du Pacte.

7.11Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’article 17 du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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