Présentée par:

Mme et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro, M. Richard Jansen et sa fille Maria, Mme et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne, et Mme Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen (représentés par Me Laurentz Stavrum de l’étude Stavrum, Nystuen & Bøen)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Norvège

Date de la communication:

25 mars, 7 et 10 septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 30 janvier 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

3 novembre 2004

Le 3 novembre 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1155/2003. Ce texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-deuxième session

concernant la

Communication n o  1155/2003 **

Présentée par:

Mme et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro, M. Richard Jansen et sa fille Maria, Mme et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne, et Mme Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen (représentés par Me Laurentz Stavrum de l’étude Stavrum, Nystuen & Bøen)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Norvège

Date de la communication:

25 mars, 7 et 10 septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 novembre 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1155/2003, présentée au nom de Mme et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro, M. Richard Jansen et sa fille Maria, Mme et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne, et Mme Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Mme et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro, M. Richard Jansen et sa fille Maria, Mme et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne, et Mme Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen. Ils sont tous de nationalité norvégienne et se déclarent victimes de violations par la Norvège des articles 17, 18 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

Contexte général présenté par les auteurs

2.1La Norvège a une religion d’État et une Église d’État, à laquelle appartiennent environ 86 % de la population. L’article 2 de la Constitution norvégienne dispose que l’Église évangélique luthérienne est la religion officielle et que «les habitants qui en font profession sont tenus d’élever leurs enfants dans cette religion». La religion chrétienne est enseignée depuis 1739, année de la mise en place de la scolarité générale obligatoire mais, à partir de l’adoption en 1845 de la loi «de dissidence» ou «de non‑conformité», il existe un droit de dispense pour les enfants d’autres confessions.

2.2En même temps, les élèves dispensés de l’instruction religieuse avaient le droit de suivre un cours non confessionnel sur la philosophie de la vie intitulé «Connaissance de la philosophie de la vie». Toutefois, ce cours n’était pas obligatoire pour les enfants dispensés d’instruction religieuse et cette matière ne s’enseignait pas selon les mêmes modalités que les autres, par exemple pour ce qui est du nombre d’heures de cours. Un certain nombre d’enfants n’assistaient donc ni à l’instruction religieuse chrétienne, ni à la matière proposée à sa place.

2.3En août 1997, le Gouvernement norvégien a imposé l’enseignement d’une nouvelle matière à caractère religieux intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» pour remplacer les deux matières précédentes (religion chrétienne et philosophie de la vie). Pour cette nouvelle matière, les élèves ne peuvent être dispensés que de suivre certaines parties très précises de l’enseignement. Le paragraphe 4 de l’article 2 de la nouvelle loi sur l’éducation dispose que le contenu de cette nouvelle matière reposera sur l’objectif chrétien de l’école et transmettra «une connaissance approfondie de la Bible et du christianisme en tant qu’héritage culturel ainsi que de la foi évangélique luthérienne». Pendant les travaux préparatoires à l’adoption de la loi, le Parlement avait donné pour instructions au Ministère de faire évaluer la compatibilité de cette loi avec le respect des droits fondamentaux. L’évaluation a été menée par M. Erik Møse, qui était à l’époque juge à la cour d’appel et qui a conclu ce qui suit:

«La situation étant ce qu’elle est, j’estime que le plus sûr est de prévoir un droit général de dispense. Ainsi, les organes internationaux de surveillance du respect des droits de l’homme n’auront pas à s’interroger sur les doutes que peut susciter un enseignement obligatoire. Pour autant, je ne peux pas affirmer qu’une dispense partielle serait contraire aux instruments. Il faut partir de l’idée que le mécanisme qui sera établi sera, dans la pratique, conforme à leur cadre (le cadre des instruments). Tout dépendra de la suite du processus législatif et de la façon dont la mesure sera mise en œuvre dans la pratique.».

2.4Dans sa circulaire, le Ministère précise: «Les parents des élèves qui demandent la dispense doivent en aviser l’établissement scolaire par écrit, en indiquant la raison pour laquelle ils considèrent que cet enseignement est consacré à la pratique d’une autre religion ou à l’adhésion à une philosophie de vie différente.». Le Ministère a rédigé ultérieurement une autre circulaire indiquant que les demandes de dispense fondées sur des motifs autres que ceux qui régissaient les activités à caractère clairement religieux devaient être appréciées au regard de critères stricts.

2.5L’Association humaniste norvégienne (AHN), dont les auteurs sont membres, a engagé un psychologue spécialisé dans les minorités à l’automne 2000, en le chargeant de faire une étude sur la façon dont les enfants réagissaient en cas de conflit d’allégeance entre la philosophie de vie qui leur était inculquée chez eux et l’enseignement qu’ils recevaient à l’école. Cet expert a interrogé notamment les auteurs. Il a conclu entre autres choses que les enfants et leurs parents (et selon toute probabilité l’école également) éprouvaient des conflits d’allégeance et se sentaient contraints de suivre la norme et de l’approuver et que certains enfants étaient même l’objet de brimades et ressentaient de l’impuissance. Le rapport de l’expert a été transmis à l’État partie et présenté comme preuve à la Cour suprême.

2.6Face aux critiques suscitées par la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» et par le fait que le droit d’en être dispensé était limité, le législateur a décidé une période d’essai de trois ans au cours de laquelle un bilan serait fait. Le Ministère a confié cette mission au Conseil norvégien de la recherche qui a fait appel à trois instituts de recherche pour procéder à l’évaluation. Les résultats ont fait l’objet de deux rapports publiés en octobre 2000; l’un concluait que «l’application de la dispense partielle ne permettait pas de protéger suffisamment les droits des parents». Par la suite, le Ministère a fait paraître un communiqué de presse indiquant que «les modalités de dispense partielle ne fonctionnaient pas comme prévu et devaient donc être complètement revues».

2.7La question a été débattue au Parlement qui a adopté une proposition selon laquelle la matière devrait s’intituler «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale générale» à partir de la rentrée scolaire de 2002. Le Parlement soulignait que tout l’enseignement serait fondé sur la vocation chrétienne de l’école et que le christianisme représentait 55 % des heures de la nouvelle matière, 25 % étant consacrés à d’autres convictions religieuses ou philosophies de vie et 20 autres pour cent à des thèmes éthiques et philosophiques. Un formulaire de demande de dispense des activités religieuses a été établi pour simplifier les modalités de dispense en vigueur. La demande n’aurait pas à être soumise plus d’une fois par cycle d’enseignement, c’est‑à‑dire trois fois au cours de la scolarité. Il était souligné que la dispense portait toujours uniquement sur les activités religieuses et non pas sur la connaissance des matières. Ensuite, un groupe de travail des programmes a été constitué pour aider le Conseil norvégien de l’éducation à donner effet à la réforme. Bien que la majorité des membres du groupe de travail des programmes ait voté contre, le Ministère n’en a pas moins inclus dans le programme révisé une clause selon laquelle l’enseignement de la connaissance de religions et de philosophies de vie qui n’étaient pas représentées dans la communauté locale pouvait commencer, non pas à l’école primaire, mais au niveau secondaire. D’après les auteurs, cette initiative confirme que l’identité de la majorité est prioritaire, au détriment du pluralisme.

2.8Plusieurs organisations représentant des minorités qui avaient des convictions différentes se sont élevées contre le contenu de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale générale». Après la rentrée scolaire de 1997, un certain nombre de parents, dont les auteurs, ont demandé que leurs enfants soient totalement dispensés de ces cours. Leur demande a été rejetée par les établissements scolaires où leurs enfants étaient inscrits et par le Directeur régional de l’éducation, saisi d’un recours administratif, au motif que la dispense totale n’était pas autorisée par la loi.

2.9Le 14 mars 1998, l’Association humaniste norvégienne et les parents de huit élèves, dont les auteurs de la communication, ont saisi le tribunal de la ville d’Oslo, qui a rejeté leur demande le 16 avril 1999. Par un arrêt du 6 octobre 2000, la cour d’appel du ressort de Borgarting a confirmé la décision du tribunal d’Oslo. Saisie d’un autre recours, la Cour suprême a également confirmé la décision dans son arrêt du 22 août 2001; les auteurs affirment qu’ils ont ainsi épuisé les recours internes. Trois des autres parents parties à la procédure engagée devant les tribunaux nationaux ainsi que l’Association humaniste norvégienne ont décidé de soumettre une requête à la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour européenne).

Rappel des faits exposés par M me et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro

3.1Unn et Ben Leirvåg observent une philosophie de vie humaniste, areligieuse. Ils ne veulent pas que leur fille assiste aux cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale car les manuels sont incompatibles avec leur philosophie de vie. Leur fille Guro (née le 17 février 1991) est à l’école Bratsbergkleiva de Porsgrunn depuis la rentrée 1997. Sa demande de dispense totale a été rejetée et Guro a donc suivi les cours.

3.2À mesure que l’année scolaire avançait, les parents se sont aperçus que le matériel utilisé pour les cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale était des récits religieux et des histoires tirées des mythes religieux, unique base pour comprendre le monde et réfléchir sur des questions de morale et d’éthique. Unn Leirvåg, enseignant lui‑même, a évalué dans un esprit professionnel le programme et le contenu des cours ainsi que les manuels et a constaté que de la première à la quatrième année d’enseignement le thème principal était enseigné à partir d’une relecture d’histoires bibliques, rattachées à la vie des élèves. L’enseignement de cette matière aboutit donc à immerger les enfants dans les histoires de la Bible qui servent à encadrer leur propre perception de la réalité. Les enfants commencent avec des histoires de l’Ancien Testament dont la principale leçon à tirer est que le pire qu’un individu puisse faire est de désobéir à Dieu. Ensuite, l’Évangile est introduit, l’idéal mis en avant étant d’avoir foi dans un «maître» et de le suivre. Les enfants entendent ensuite des récits de même nature pris dans d’autres religions. On attend des élèves qu’ils apprennent ainsi à déterminer comment ils doivent se conduire. D’après les auteurs, les doctrines religieuses ne constituent pas une base critique et ne donnent à leur fille aucune possibilité ou moyen de prendre du recul, de faire la moindre réserve ou la moindre critique. Guro a commencé à utiliser certaines expressions qui montrent que les aspects du christianisme qu’on lui enseigne sont synonymes de «bien».

3.3Contre le gré de ses parents, Guro s’est trouvée face à un conflit d’allégeance entre l’école et la maison. Elle est dans une situation telle qu’elle se sent obligée de modifier ce qu’elle raconte à ses parents quand elle rentre de l’école pour que ce soit conforme à ce qu’elle estime acceptable pour eux.

Rappel des faits présentés par M. Richard Jansen et sa fille Maria

4.1Richard Jansen est humaniste et il ne souhaite pas que sa fille suive un cours qui soit l’occasion d’un prosélytisme religieux. Quand sa fille Maria (née le 3 mars 1991) est entrée à l’école de Lesterud à Bærum à l’automne de 1997, elle a présenté une demande de dispense totale des cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale signée de ses parents, qui a été rejetée. Une dispense partielle lui a été accordée conformément à la nouvelle loi. Constatant que le système de dispense partielle ne fonctionnait pas dans la pratique, les auteurs ont formé recours auprès du Directeur de l’éducation nationale à Oslo et à Akershus, qui a confirmé le rejet de la demande par ses décisions datées du 25 mai 1998 et de janvier 2000.

4.2En application de cette dispense partielle, Maria n’a plus alors suivi qu’une partie de cet enseignement. D’après les auteurs, elle s’est plainte plusieurs fois en rentrant de l’école de ce qu’on lui avait fait des remarques parce que sa famille ne croyait pas en Dieu. À l’occasion des cérémonies de fin d’année pour Noël, Maria a été désignée pour apprendre par cœur et réciter un texte chrétien. L’école n’a pas été en mesure de fournir à ses parents un emploi du temps donnant un aperçu des thèmes qui seraient abordés dans la classe de Maria. Au lieu de cela, ils ont été renvoyés au programme général et à l’emploi du temps hebdomadaire. Les parents de Maria l’ont bien dispensée de quelques cours pendant sa première année d’école. À ces occasions, on l’a envoyée dans la cuisine et on lui a demandé de dessiner, parfois seule, parfois sous surveillance. Quand ses parents se sont rendu compte que l’exil dans la cuisine était une punition infligée aux élèves qui se tenaient mal en classe, ils ne l’ont plus dispensée d’assister aux cours.

Rappel des faits présentés par M me et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne

5.1Birgit et Jens Orning sont humanistes et membres de l’Association humaniste norvégienne (AHN). Ils ne souhaitent pas que leur fille reçoive une éducation religieuse assortie de prosélytisme. La matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» exerce sur les enfants une influence chrétienne ou religieuse. Les auteurs estiment que l’enfant doit choisir librement et naturellement sa philosophie de vie, objectif difficile à atteindre dans ce contexte.

5.2Leur fille, Pia Suzanne (née le 23 mai 1990), est entrée à l’école à l’automne de 1997. Les parents ont présenté une demande de dispense totale de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale». Leur demande a été rejetée. À la suite de cela, Pia Suzanne a été inscrite au nouveau cours selon la modalité de dispense partielle, système dont le fonctionnement ne convenait pas aux parents. Par exemple, elle n’était pas censée suivre un enseignement religieux qui s’accompagne de prosélytisme mais c’est tout de même ce qui s’est produit.

5.3Les auteurs affirment qu’à deux reprises au moins on a demandé à leur fille d’apprendre et de réciter des psaumes et des textes tirés de la Bible à l’occasion des cérémonies de fin d’année pour Noël. On a aussi demandé aux enfants d’apprendre par cœur plusieurs psaumes et textes tirés de la Bible, ce que leurs cahiers de classe confirment. Comme conséquence de cette éducation religieuse, Pia s’est souvent retrouvée face à des conflits d’allégeance entre l’école et la maison. Ses parents ont décidé de déménager dans une région où il était possible de l’inscrire dans une école privée.

Rappel des faits présentés par M me Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen

6.1Les parents de Kevin Galåen (né le 18 février 1987) sont humanistes et souhaitent que leur fils reçoive un enseignement fondé sur des principes non dogmatiques et agnostiques. Ils considèrent que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est conçue de telle manière qu’elle attirerait progressivement leur fils vers la foi chrétienne. Ils ont donc demandé, à l’automne de 1997, que Kevin soit totalement dispensé de cette matière; leur demande a été rejetée. Kevin a donc suivi ces cours. Les parents n’ont pas déposé de demande de dispense partielle car ils ne considéraient pas que cela serait utile dans leur cas.

6.2Lorsque Kevin est entré à l’école, il n’avait pas de philosophie de la vie pleinement développée. Ses parents jugent important que la leur lui serve d’ancrage naturel dans son cheminement vers l’âge adulte et dans sa rencontre avec d’autres philosophies ou conceptions de la vie. Ils considèrent que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne satisfait pas à cette exigence car le christianisme y sert de fondement pour traiter des questions existentielles et de méthode pédagogique. La philosophie de vie à laquelle ils adhèrent n’y est représentée que de manière fragmentaire, sans vision d’ensemble ni cohérence. Ils affirment que cette matière se concentre à l’excès sur une seule religion.

Teneur de la plainte

7.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé leur droit à la liberté de religion − c’est‑à‑dire leur droit de décider sur quelle philosophie de vie ils se fonderont pour élever et éduquer leurs enfants − et leur droit à la protection de leur vie privée. Il est également affirmé que la procédure de dispense partielle constitue une violation de l’interdiction de la discrimination.

7.2Il est estimé que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, consacré par l’article 18 du Pacte, s’applique également aux philosophies de vie areligieuses et que les parents ont, en vertu du paragraphe 4 dudit article, le droit de faire assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs propres convictions philosophiques, d’autant qu’il s’agit d’une éducation obligatoire et dispensée par l’État. Les auteurs se réfèrent aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Hartikainen et consorts c. Finlande (communication no 40/1978) ainsi qu’à l’Observation générale no 22 sur l’article 18, en particulier les paragraphes 3 et 6. Il est également fait référence aux observations finales du Comité concernant le quatrième rapport périodique de la Norvège, dans lesquelles le Comité a exprimé une nouvelle fois sa préoccupation au sujet de l’article 2 de la Constitution qui stipulait que les personnes de confession évangélique luthérienne devaient élever leurs enfants dans cette religion et a estimé que cette disposition était «incompatible avec le Pacte» (CCPR/C/79/Add.112, par. 13).

7.3Dans ses observations finales sur le rapport de la Norvège, adoptées le 2 juin 2000, le Comité des droits de l’enfant a également exprimé sa préoccupation au sujet de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», notamment les modalités d’octroi d’une dispense qu’il considérait comme potentiellement discriminatoires (CRC/C/15/Add.126, par. 26 et 27).

7.4L’État partie a déclaré qu’il était nécessaire que les enfants comprennent et apprennent diverses philosophies de vie afin de trouver leur propre identité dans ce domaine tout en respectant davantage les autres religions et philosophies de vie, mais les auteurs considèrent qu’une matière religieuse obligatoire n’est pas l’instrument approprié pour obtenir le résultat souhaité. Ils estiment que l’introduction de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» a amoindri le respect manifesté à l’égard de leurs propres convictions.

7.5De surcroît, il est affirmé que la participation obligatoire au nouveau cours n’est pas nécessaire dans une société démocratique. Cela est attesté par le fait que ce type d’enseignement obligatoire n’existait pas auparavant en Norvège ni dans les autres pays européens.

7.6Les auteurs estiment que, pour atteindre le résultat souhaité, il serait plus approprié de renforcer le cours sur la philosophie de la vie qui était dispensé avant l’introduction de la nouvelle matière et de le rendre obligatoire pour les enfants dispensés d’études religieuses. Fondée sur des principes chrétiens, la nouvelle matière ne sert que la partie de l’objectif qui consiste à renforcer l’identité des enfants issus de familles chrétiennes. Par conséquent, étant obligatoire, elle représente une violation du droit des auteurs d’afficher une philosophie de vie indépendante.

7.7Pour ce qui est des enfants, il est affirmé que leur droit de choisir et de conserver leur propre religion ou philosophie de la vie est violé, du fait que la nouvelle matière obligatoire les contraint à suivre un enseignement qui comporte un endoctrinement religieux et chrétien. Les auteurs ne souhaitent en aucun cas être associés à une telle conception religieuse et chrétienne de la réalité.

7.8La modalité de dispense partielle suppose qu’un dialogue est instauré entre l’école et les parents à propos de ce que ceux-ci jugent problématique. Cela signifie que la philosophie de vie des parents sert de fondement à l’évaluation de la dispense, en particulier pendant les premières années d’école. Au lieu d’élaborer sa propre philosophie de la vie en toute liberté et en toute indépendance, l’enfant est forcé à assumer un rôle inférieur par rapport à ses parents. Cela est incompatible avec la vision humaniste du développement de l’enfant que partagent les familles des auteurs. Le fait que les autorités déterminent si une demande de dispense est fondée place les enfants face à un conflit d’allégeance entre l’école et leurs parents.

7.9La modalité de dispense partielle suppose également que les auteurs décrivent aux administrateurs de l’école les éléments du cours «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» qui sont en conflit avec leurs propres convictions, ce qui viole leur droit au respect de leur vie privée énoncé à l’article 17 du Pacte. Pour ce qui est des enfants, il est affirmé qu’ils subissent une violation de leur droit à la protection de leur vie privée lorsqu’ils accèdent à la modalité de dispense partielle.

7.10Les auteurs affirment que les faits présentés constituent également une violation de leurs droits en vertu de l’article 27 du Pacte.

7.11Les auteurs font observer que l’actuelle modalité de dispense impose davantage de contraintes aux parents non chrétiens qu’aux parents chrétiens, ce qui lui confère un caractère discriminatoire, en violation de l’article 26 du Pacte. Le système de dispense suppose que les parents aient une bonne connaissance des autres philosophies de vie et des méthodes et pratiques éducatives, qu’ils soient en mesure d’exprimer leurs opinions et qu’ils disposent du temps et des moyens nécessaires pour s’occuper de la façon dont le système fonctionne concrètement, alors qu’aucune contrainte de ce type n’est imposée aux parents chrétiens. La modalité de dispense pénalise les auteurs en ce sens qu’elle les oblige à indiquer quels éléments de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» sont en conflit avec leurs propres convictions, lesquelles apparaîtront ensuite comme une «déviation» par rapport à la norme. Il est affirmé que le fait de contraindre les auteurs à révéler leur propre philosophie de vie aux administrateurs de l’école constitue une violation de l’article 26 du Pacte lu conjointement avec les paragraphes 1 à 4 de l’article 18.

7.12Pour ce qui est des enfants, il est observé que la dispense partielle signifie qu’ils ne participeront pas à l’activité prévue au programme mais qu’ils acquerront progressivement la même connaissance du thème en question que les autres élèves. Leur approche du sujet sera donc, sur le plan qualitatif, inférieure à celle des autres élèves. Il en résulte une impression de différence qui peut être mal vécue, engendre un sentiment d’insécurité et provoque des conflits d’allégeance.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

8.1Le 3 juillet 2003, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la plainte. Il conteste cette recevabilité au motif que la même question a déjà été soumise à une autre instance internationale d’enquête et de règlement, en invoquant le non‑épuisement des recours internes et l’absence de fondement des plaintes.

8.2L’État partie note que les tribunaux norvégiens ont statué sur les demandes de dispense de l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» présentées par les auteurs en les joignant en une seule affaire avec des demandes identiques présentées par trois autres familles. Les différentes parties étaient toutes représentées par le même avocat (qui est conseil pour la présente communication), et le tribunal a rendu une seule décision sur ces demandes identiques. Aucune tentative n’a été faite pour individualiser les causes des différentes parties. Les tribunaux norvégiens ont rendu un seul et unique jugement concernant toutes les parties, et aucun des tribunaux n’a établi de distinction entre les parties. Après avoir plaidé une seule et même cause devant les tribunaux norvégiens, les parties ont toutefois décidé de s’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et au Comité des droits de l’homme. Quatre familles ont présenté une communication au Comité des droits de l’homme, et trois autres ont présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme le 20 février 2002. La communication soumise au Comité des droits de l’homme et la requête adressée à la Cour européenne des droits de l’homme sont dans une large mesure identiques. Il apparaît donc que les auteurs agissent ensemble, mais qu’ils demandent un réexamen par les deux organes internationaux de ce qui constitue essentiellement une seule et même affaire.

8.3L’État partie prend acte avec intérêt des constatations du Comité sur la communication no 777/1997, mais il estime que le cas à l’examen doit être considéré comme irrecevable parce que la même question est examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il soutient que le cas à l’examen est différent de l’affaire Sanchez Lopez du fait que les auteurs du cas cité ont fait valoir que «en ce qui concerne la plainte dont la Commission européenne des droits de l’homme a été saisie, même s’il s’agissait de la même question, ni l’infraction, ni les victimes, ni, partant, les décisions des tribunaux espagnols, y compris le recours en amparo correspondant, ne sont les mêmes». Dans le cas à l’examen, le même arrêt rendu par la Cour suprême norvégienne est attaqué devant les deux organes. L’arrêt de la Cour suprême de Norvège concernait une question de principe, celle de savoir si l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constituait ou non une violation des normes internationales relatives aux droits de l’homme.

8.4Si la communication est jugée recevable, les organes internationaux devront adopter une position générale, c’est‑à‑dire se demander si cette matière en tant que telle, en l’absence de droit à une dispense totale, constitue une violation du droit à la liberté de religion. L’objectif premier du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif est d’empêcher le double examen de la même affaire par des instances internationales, or c’est exactement la situation que sont en train de créer les différentes parties à l’affaire qui a été jugée par les tribunaux norvégiens.

8.5Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’État partie est d’avis que les allégations de violation au titre des articles 17 et 18 n’ont pas été formulées dans les procédures engagées devant les tribunaux norvégiens et que, par conséquent, les recours internes n’ont pas été épuisés. Il mentionne le quatrième alinéa du paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation qui autorise une dispense partielle de l’enseignement de la matière en question, c’est‑à‑dire des éléments de cet enseignement que les auteurs, se fondant sur leur propre religion ou philosophie de vie, perçoivent comme étant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Les établissements doivent offrir la possibilité aux élèves d’être dispensés de suivre les parties de l’enseignement qui peuvent raisonnablement être perçues comme étant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. La décision d’un établissement de ne pas accorder cette dispense est susceptible d’un recours administratif devant le Gouverneur de comté, dont la décision peut à son tour être portée devant les tribunaux pour réexamen.

8.6Les auteurs n’ont pas utilisé la possibilité de demander une dispense partielle; leurs plaintes portent sur des demandes de dispense totale de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale». Pour fonder une constatation de violation des articles 17 et 18 du Pacte, il faudra se reporter à ce qui a été enseigné aux enfants des auteurs. Mais cette violation aurait pu être évitée par les parents en présentant des demandes de dispense partielle. Pour remplir l’obligation d’épuisement des recours internes, les auteurs auraient dû tout d’abord exercer le droit qui leur est reconnu au quatrième alinéa du paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation. Si l’école et le Gouverneur de comté ne leur accordaient pas de dispense partielle, les auteurs devraient alors demander un réexamen par un organe judiciaire.

8.7L’État partie fait valoir que les allégations formulées par les auteurs au titre des articles 26 et 27 sont insuffisamment étayées. Pour l’article 26 du Pacte, l’État partie souligne que la clause de dispense figurant dans la loi sur l’éducation s’applique à tous les parents, quelle que soit leur religion ou leur philosophie de vie. En outre, le programme d’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» porte sur les principes du christianisme et d’autres religions et philosophies de vie, ne prévoit aucun prosélytisme et repose sur les mêmes principes éducatifs que l’enseignement des autres matières. Toute distinction entre les chrétiens et les autres groupes est fondée sur des critères objectifs et raisonnables. La matière dont il est question a d’importants objectifs culturels et éducatifs. Le fait de limiter les possibilités de dispense aux parties de l’enseignement qui peuvent raisonnablement être perçues comme reflétant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie ne saurait être considéré comme une discrimination contraire à l’article 26.

8.8En ce qui concerne l’article 27, l’État partie note que les auteurs ont simplement invoqué cette disposition sans chercher à expliquer comment un groupe qui se définit comme non chrétien peut constituer une minorité religieuse au sens de l’article 27.

8.9Le 9 juillet 2003, le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a refusé d’examiner séparément la question de la recevabilité et le fond de la communication.

Observations de l’État partie sur le fond

9.1Le 21 novembre 2003, l’État partie a présenté des observations sur le fond de la communication. La principale question sur laquelle devaient statuer les tribunaux norvégiens était de savoir si la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constituait d’une manière générale, en l’absence de clause de dispense totale, une violation des instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés par la Norvège, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par conséquent, toutes les allégations formulées dans la présente communication ont déjà été examinées par les tribunaux nationaux, notamment par la Cour suprême de Norvège. La Cour suprême a conclu que la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», assortie de sa clause de dispense partielle, était pleinement conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.

9.2Lorsque les autorités norvégiennes ont proposé au Parlement, en 1995, un nouveau programme national d’enseignement obligatoire, la Commission permanente du Parlement sur l’éducation, la recherche et les affaires religieuses («la Commission de l’éducation») a proposé d’y inclure une matière commune à tous les élèves englobant la religion chrétienne et les autres convictions religieuses et morales. Comme certains éléments de cette matière d’enseignement suscitaient des préoccupations quant aux droits qu’avaient les parents d’assurer à leurs enfants une éducation conforme à leurs propres convictions, la Commission permanente a demandé au Gouvernement de préparer des directives applicables à l’octroi de dispenses.

9.3Ont alors été élaborées des propositions de modification et des directives concernant une dispense partielle de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale». Le Gouvernement a chargé Erik Møse, qui était à l’époque juge à la cour d’appel, d’examiner dans quelle mesure les obligations contractées par la Norvège pouvaient imposer des limites à l’enseignement obligatoire des questions de religion ou de philosophie de vie, et dans quelle mesure il convenait d’autoriser une dispense de l’enseignement de cette matière. Dans son rapport, M. Møse concluait, notamment, qu’une dispense limitée serait en principe compatible avec les obligations juridiques internationales contractées par la Norvège, à condition que soient élaborées des modalités d’application de cette dispense dans les limites imposées par les conventions internationales. Ensuite, tout dépendrait du processus de mise en place du cadre juridique dans lequel s’inscrirait la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» et de la manière dont cette matière serait enseignée dans les écoles.

9.4En réponse à ce rapport, le Ministère de l’éducation a proposé de nouveaux amendements à la loi sur l’éducation de 1996, laquelle est entrée en vigueur le 1er juillet 1997. Le droit de dispense a été limité aux parties de l’enseignement qui étaient perçues par les parents comme reflétant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie que la leur.

9.5L’État partie considère que les droits des parents énoncés au paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte sont au cœur de la communication. La plainte des parents est fondée sur l’allégation suivante: la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» s’apparente à «du prosélytisme et à de l’endoctrinement» et cet enseignement n’est «ni objectif, ni pluraliste, ni neutre», à quoi s’ajoute le fait que la loi sur l’éducation de 1998 ne prévoit pas la dispense totale de cet enseignement. L’État partie est d’avis que la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est conforme au Pacte. Toutefois, la loi, les réglementations ou les instructions applicables peuvent, dans certains cas particuliers, être appliquées de manière injustifiée. Il peut arriver que certains enseignant abordent des sujets ou choisissent des termes, dans leur enseignement, qui seront peut‑être jugés comme relevant de l’endoctrinement, ou que certains établissements ou certaines municipalités appliquent la clause de dispense d’une manière incompatible avec la loi et les règlements d’application.

9.6Les parents qui perçoivent cet enseignement comme un endoctrinement et n’obtiennent pas de dispense disposent de plusieurs voies de recours. Premièrement, la décision de ne pas accorder la dispense peut être portée devant un organe administratif et/ou un organe judiciaire. Deuxièmement, les tribunaux peuvent être saisis d’allégations de violation des droits de l’homme. Dans le cas à l’examen, les auteurs n’ont pas précisé à quel moment ni de quelle manière leurs enfants ont été exposés à un enseignement qui était un endoctrinement, pour lequel ils ont demandé sans succès la dispense prévue par la loi. À la connaissance de l’État partie, aucun des auteurs ne s’est vu refuser une demande de dispense partielle, et il est certain qu’aucun refus n’a fait l’objet d’un recours devant les tribunaux nationaux.

9.7Les procédures qu’ont choisies les auteurs ont nécessairement des conséquences sur la recevabilité et le bien‑fondé de leur communication. La plainte formulée au titre de l’article 18 doit être considérée comme irrecevable parce que les auteurs n’ont pas épuisé le recours utile dont ils disposent sous la forme d’une demande de dispense partielle. Deuxièmement, tant qu’ils n’auront pas demandé une telle dispense, on ne pourra établir si leurs enfants ont été contraints de suivre un enseignement en violation des droits protégés par le Pacte; les auteurs ne peuvent par conséquent être considérés comme victimes d’une violation de l’article 18. Troisièmement, dans l’hypothèse où la communication serait jugée recevable, le fait que les parents n’ont pas contesté l’enseignement dispensé à leurs enfants doit influencer l’examen de la communication quant au fond. Le Comité doit se borner à examiner la question générale de savoir si, en l’absence de clause prévoyant une dispense totale, l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constitue en lui‑même une violation des droits des parents. Il n’existe aucune base pour étudier la manière dont les enfants des auteurs reçoivent individuellement l’enseignement qui leur est donné.

9.8Quant aux observations des auteurs sur les manuels, l’État partie fait observer que ces derniers ne font pas partie du cadre juridique applicable à la matière enseignée. La loi et les règlements d’application laissent aux établissements toute discrétion pour le choix des manuels à utiliser dans le cadre de cet enseignement et la mesure dans laquelle ils doivent être utilisés. Néanmoins, au cas où le Comité examinerait l’enseignement spécifique dispensé aux enfants des auteurs, il est à noter que les auteurs n’ont guère cherché à étayer leur allégation d’endoctrinement, laquelle à elle seule ne peut suffire à fonder une constatation de violation. Il convient aussi de noter que l’État partie a signalé cette nouvelle matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» dans son quatrième rapport périodique au Comité, et que ce dernier, dans ses observations finales, n’a pas exprimé de préoccupation quant à la compatibilité de cette matière avec le Pacte.

9.9L’État partie estime qu’il ressort de l’Observation générale no 22 sur l’article 18 et de la décision du Comité dans l’affaire Hartikainen et consorts c. Finlande que le paragraphe 4 de l’article 18 n’interdit pas l’enseignement scolaire obligatoire sur les questions de religion et de philosophies de vie, à condition que cet enseignement soit donné de manière neutre et objective.

9.10L’État partie soutient qu’un enseignement religieux dispensé de manière neutre et objective est conforme aux autres normes relatives aux droits de l’homme, comme celles du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de la Convention relative aux droits de l’enfant. En conséquence, le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte ne saurait interdire un enseignement obligatoire qui vise à «mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux» (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, par. 1 de l’article 13) ou qui vise à inculquer à l’enfant le respect «de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne» (Convention relative aux droits de l’enfant, par. 1 c) de l’article 29). La matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est destinée à promouvoir la compréhension, la tolérance et le respect entre les élèves d’origines différentes, et à favoriser le respect et la compréhension par l’élève de sa propre identité, de l’histoire et des valeurs nationales de la Norvège ainsi que des autres religions et philosophies de vie.

9.11L’État partie cite l’article 2 du Protocole additionnel no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, article qui énonce l’obligation pour l’État partie de respecter le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. Il mentionne la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme.

9.12L’État partie estime que, dans l’affaire à l’examen, le Comité devrait avoir une double approche. Premièrement, le Comité devrait examiner la question de savoir si la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» en général implique la transmission d’informations et de connaissances d’une manière qui n’est pas objective ni neutre. Deuxièmement, en ce qui concerne les éléments de cette matière scolaire qui ne répondent pas à ces normes, le Comité devrait examiner si des dispositions suffisantes ont été prises pour que des dispenses ou des solutions de remplacement non discriminatoires permettent de répondre aux souhaits des parents.

9.13En ce qui concerne le premier point, l’État partie est d’avis que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne comporte que quelques activités susceptibles d’être perçues comme ayant un caractère religieux. Jusqu’en 1997, l’enseignement du christianisme constituait une matière indépendante dans les écoles norvégiennes. En 1997, le Gouvernement a introduit la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» afin de combattre les préjugés et la discrimination et afin de favoriser le respect et la tolérance mutuelle entre les différents groupes, les différentes religions et philosophies de vie ainsi qu’une meilleure compréhension par chacun de ses propres origines et identité. Cette matière avait également pour but explicite de contribuer à définir une identité culturelle collective. Pour atteindre les objectifs en question, il faut que les membres des différents groupes participent ensemble à cet enseignement. En conséquence, l’enseignement de cette matière relative à la connaissance chrétienne et à l’éducation religieuse et morale ne pouvait atteindre son objectif si chacun pouvait obtenir une dispense totale de cet enseignement.

9.14Les enfants ne sont pas tenus de fréquenter l’école publique. L’Association humaniste norvégienne (AHN) ou les auteurs, par exemple, ont la possibilité d’ouvrir des écoles privées. Il s’agit d’une solution réaliste et viable, même du point de vue économique, puisque le Gouvernement prend en charge plus de 85 % de la totalité des frais liés au fonctionnement et à la gestion des écoles privées.

9.15En ce qui concerne l’allégation des auteurs selon laquelle plus de temps est consacré à l’enseignement du christianisme qu’à celui d’autres religions et philosophies de vie, l’État partie fait observer que l’enseignement du christianisme ne peut en soi poser de problèmes au regard du Pacte tant qu’il est dispensé de façon objective et neutre. Il se réfère aussi à la décision pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme .

9.16Concernant le fait que les auteurs contestent la «clause de l’objectif chrétien de l’école» énoncée au premier alinéa du paragraphe 2 de l’article premier de la loi sur l’éducation, l’État partie fait valoir qu’il est indiqué dans cette clause elle‑même qu’elle ne s’appliquera «qu’en accord et en coopération avec les familles». En outre, en vertu de l’article 3 de la loi norvégienne sur les droits de l’homme, le paragraphe 2 de l’article premier de la loi sur l’éducation doit être interprété et appliqué conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui sont incorporés dans le droit interne (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et Convention européenne des droits de l’homme). En conséquence, la clause de l’objectif chrétien n’autorise ni le prosélytisme ni l’endoctrinement dans les écoles norvégiennes. Telle a été la conclusion de la Cour suprême dans l’affaire des auteurs.

9.17S’agissant de la deuxième question, l’État partie fait observer que des mesures suffisantes ont été prises pour donner des dispenses et/ou d’autres possibilités propres à tenir compte des vœux de tous les parents eu égard aux activités qui peuvent être perçues comme étant de nature religieuse. Cette solution visait à la fois à reconnaître le droit des parents de donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs propres convictions religieuses et philosophiques et à tenir compte du fait que la société souhaitait légitimement renforcer le respect, la compréhension et la tolérance mutuels entre élèves de milieux différents.

9.18Le mécanisme le plus important est la disposition qui autorise l’octroi d’une dispense pour les éléments des cours perçus comme constituant la pratique d’une autre religion ou d’une autre philosophie de vie, sur la base d’une demande écrite des parents. Les travaux préparatoires contiennent d’autres principes directeurs concernant cette dispense. Les activités pouvant en faire l’objet sont regroupées en deux catégories distinctes. Premièrement, la dispense est donnée lorsqu’elle porte sur des activités pouvant clairement être perçues comme étant de nature religieuse. Dans ce cas, les parents ne sont pas tenus de motiver leur demande. En 2001, le Ministère a simplifié la procédure de dispense en élaborant un formulaire qui peut être utilisé pour huit activités différentes et précises, à savoir apprendre par cœur des prières, des déclarations de foi et des textes religieux, chanter des hymnes religieux, assister à un service religieux, visiter des églises, produire des images religieuses, jouer un rôle actif ou passif dans des pièces religieuses, recevoir les Saintes Écritures en cadeau, et participer à des manifestations de cet ordre. Les parents peuvent demander que leurs enfants soient dispensés de ces activités en cochant les cases correspondantes. Deuxièmement, d’autres activités peuvent elles aussi faire l’objet d’une dispense, à condition de pouvoir être perçues raisonnablement comme représentant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Dans ce cas, les parents doivent expliquer brièvement les motifs de leur demande pour que l’école détermine si l’activité en question peut raisonnablement être considérée comme représentant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie.

9.19Le second mécanisme mis en place pour remédier aux problèmes posés par les convictions religieuses ou philosophiques des parents consiste à dispenser un enseignement souple, dans la mesure du possible, et conforme à la culture des élèves.

9.20Pour ce qui est du grief de violation de l’article 26, l’État partie fait valoir qu’imposer des obligations ou des règles générales tout en autorisant des dispenses à condition que certains critères soient réunis est un moyen de gouverner efficace et admissible qui ne va pas à l’encontre de l’article 26. Pareille méthode de gouvernement exige invariablement que les citoyens eux‑mêmes cherchent à savoir s’ils réunissent les conditions requises pour bénéficier d’une dispense, et qu’ils demandent dûment celle‑ci, selon les modalités et dans les délais voulus, et que l’État partie ne considère pas ces régimes légaux comme discriminatoires. La clause de dispense s’applique indifféremment aux chrétiens et aux non‑chrétiens.

9.21En tout état de cause, les obligations imposées par la clause de dispense ne peuvent être considérées comme excessives ou déraisonnables. Les parents n’ont pas à motiver la demande de dispense dans les cas où les activités en cause peuvent clairement être perçues comme revêtant un caractère religieux. Au paragraphe 6 de son Observation générale no 22, le Comité semble accepter les systèmes ayant pour règle générale que les enfants sont tenus d’assister aux cours, avec la possibilité d’être dispensés de l’enseignement d’une religion donnée. D’autres matières, comme l’histoire, la musique, l’éducation physique et les sciences sociales, peuvent elles aussi susciter des problèmes religieux ou moraux, et la clause de dispense s’applique donc à toutes les disciplines. L’État partie considère que le seul système viable, tant pour ces matières que pour le cours appelé «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», est d’autoriser des dispenses partielles. Si ce système était considéré comme discriminatoire, l’article 26 rendrait l’instruction obligatoire impossible dans la plupart des matières.

9.22En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 au motif que les parents demandant une dispense partielle sont tenus de donner des détails sur leur philosophie de vie et leurs convictions aux administrateurs et aux enseignants de l’école, l’État partie relève que les parents n’ont à motiver leur demande que pour les activités qui ne semblent pas représenter manifestement la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Lorsqu’ils sont tenus d’exposer leurs raisons, rien ne les oblige à donner des détails sur leur propre religion ou philosophie. Le personnel de l’école a le strict devoir de respecter la confidentialité des informations qui lui sont données sur la vie privée de particuliers. Si le Comité devait conclure que l’obligation de motiver une demande dans certains cas constitue une ingérence dans la vie privée des auteurs, l’État partie soutiendrait que cette ingérence n’est ni illégale ni arbitraire.

9.23Concernant la «légalité» de l’ingérence, l’État partie note que l’obligation faite aux parents de donner des raisons dans certains cas est clairement prévue au paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation. Pour ce qui est de la notion d’arbitraire, il se réfère au paragraphe 4 de l’Observation générale no 16 du Comité, et aux objectifs positifs qui sont ceux de la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», et est d’avis que la clause de dispense partielle doit être considérée comme à la fois raisonnable et proportionnée. Faisant le parallèle avec l’objection de conscience au service militaire obligatoire, il fait observer que les objecteurs de conscience doivent donner des raisons beaucoup plus précises et personnelles pour justifier leur demande que les parents qui souhaitent voir leurs enfants dispensés de la nouvelle matière, et que l’objection de conscience est pourtant acceptée par les organes internationaux de défense des droits de l’homme.

Observations des auteurs sur la recevabilité et le fond

10.1Les 6 et 27 avril 2004, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie et retiré leur plainte au titre de l’article 27. Ils font valoir que la question de savoir si la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constitue ou non une violation des droits énoncés dans le Pacte doit être considérée dans le contexte plus général d’une société majoritairement chrétienne, étant donné qu’il y a en Norvège une religion d’État, une Église d’État, des prérogatives constitutionnelles pour la foi chrétienne, une clause d’objectif chrétien de l’école et des établissements préscolaires publics, des pasteurs de l’Église d’État dans les forces armées, les prisons, les universités et les hôpitaux et ainsi de suite. Pourtant, le droit des non‑chrétiens de ne pas professer de religion a été pris en considération de différentes manières, par exemple en les dispensant de la matière «connaissance chrétienne» dans les écoles publiques. Le droit à une dispense générale, qui existait depuis plus de 150 ans, a été supprimé lorsque la nouvelle matière a été introduite en 1997.

10.2S’agissant de la recevabilité, les auteurs font valoir que les enfants n’étaient pas officiellement les plaignants devant les tribunaux norvégiens parce que la procédure civile du pays est fondée sur la reconnaissance des parents comme représentants légaux de leurs enfants mineurs. Si les enfants avaient été officiellement les plaignants, ils auraient quand même été représentés par leurs parents, et les faits auraient été les mêmes que dans la présente affaire. Les enfants n’ont donc plus de recours interne.

10.3D’autres groupes de parents ont bien déposé des plaintes analogues devant la Commission européenne des droits de l’homme, mais on ne peut considérer qu’il s’agit de «la même question» que la présente affaire, en cours d’examen «devant une autre instance internationale … de règlement», au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les auteurs se réfèrent à la jurisprudence pertinente du Comité selon laquelle, dans le cas où différents particuliers adressent des plaintes à différents organes internationaux, ces plaintes ne sont pas considérées comme «la même question». La procédure civile norvégienne autorise différentes parties à agir conjointement. L’affaire de chaque auteur a été présentée individuellement devant les tribunaux norvégiens. Les plaintes concernaient des décisions administratives distinctes portant sur la demande de dispense du cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale faite par la partie concernée. L’Association humaniste norvégienne a pu se constituer partie civile devant les juridictions inférieures mais s’est vu refuser ce statut devant la Cour suprême, ce qui montre bien que celle‑ci a examiné les plaintes individuelles des parents.

10.4Les parents qui étaient parties aux procédures intentées devant les tribunaux nationaux sont tous des particuliers, et ils ont le droit de décider quel organe international saisir de leur plainte. Le fait qu’ils ont la même philosophie de vie et appartiennent à une organisation qui la prône ne change rien à la situation. Les communications dont sont saisis le Comité des droits de l’homme et la Cour européenne ne sont donc pas «la même question».

10.5Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie voulant que les recours internes ne soient pas épuisés parce que les auteurs n’ont pas demandé de dispense partielle, ceux‑ci font valoir que deux d’entre eux ont d’abord demandé ce type de dispense, puis sont revenus à la dispense totale lorsqu’ils ont compris que la dispense partielle ne mettrait pas leurs enfants à l’abri de l’influence de la religion et leur donnait, ainsi qu’aux enfants, le sentiment d’être montrés du doigt. La dispense partielle permet d’échapper à certaines activités mais pas à la connaissance de certaines matières: les élèves peuvent être dispensés de prier, mais ils ne le sont pas de savoir la prière. Les auteurs affirment donc que leur droit à une dispense totale est protégé par le Pacte et considèrent que l’argument de l’État partie selon lequel ils auraient dû demander une dispense partielle est sans rapport avec la question.

10.6S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils n’ont pas étayé leur plainte au titre de l’article 26, les auteurs réaffirment que les non‑chrétiens font l’objet d’une discrimination dans la mesure où ils doivent motiver leur demande de dispense concernant la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», alors que les chrétiens n’ont pas à se soumettre à ce type d’obligation étant donné que la matière en question s’adresse principalement à eux. Le Comité a déjà qualifié de discriminatoire l’instruction religieuse dispensée dans le système scolaire norvégien (avant l’introduction de la nouvelle matière en 1997). Le nouveau système de dispense est plus discriminatoire que l’ancien étant donné qu’en vertu de ce dernier les personnes demandant une dispense étaient seulement tenues d’indiquer si elles étaient ou non membres de l’Église d’État. Après le recours intenté devant la Cour suprême, l’État partie a introduit un formulaire standard de demande de dispense partielle concernant la nouvelle matière. Ce fait n’est cependant pas pertinent en l’espèce et ne modifie en rien l’opinion des auteurs au sujet de la procédure de dispense partielle.

10.7En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel tous les griefs formulés dans la présente affaire ont été soigneusement examinés, les auteurs relèvent que la Cour suprême a choisi de ne pas examiner les plaintes des parents quant au fond et a opté pour une approche générale des questions légales.

10.8Les auteurs contestent la manière légaliste dont l’État partie aborde la question d’une violation du Pacte, étant donné que la pratique du droit, à savoir l’enseignement lui‑même et la manière dont le système de dispense est appliqué, est au cœur de la question de savoir s’il y a eu ou non violation du Pacte. Le Gouvernement a demandé à deux instituts de recherche d’examiner comment l’enseignement de la nouvelle matière et, en particulier, le système de dispense partielle fonctionnaient dans la pratique. L’un d’entre eux (Diaforsk) a conclu que «l’application du système de dispense ne permettait pas de protéger suffisamment les droits des parents». Dans son communiqué de presse, le Ministère de l’Église, de l’éducation et de la recherche a indiqué que, «selon les deux études, les modalités de dispense partielle ne fonctionnaient pas comme prévu et devaient donc être revues». Les deux instituts de recherche ont recommandé l’introduction d’un droit général à la dispense.

10.9Les auteurs considèrent que l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constitue en lui‑même une violation de leur droit de décider de l’éducation donnée à leurs enfants en matière de philosophie de vie et qu’une éventuelle dispense partielle dans leur cas aurait porté sur une si grande partie de cette matière qu’elle aurait dépassé la limite de 50 % indiquée dans les travaux préparatoires. Les modalités de dispense partielle ne garantissent pas ce droit parental, étant donné que les éléments du cours qui peuvent faire l’objet d’une dispense sont quand même enseignés à l’élève.

10.10 Comme le Gouvernement l’a reconnu, les manuels contiennent des textes qui peuvent être interprétés comme enseignant le christianisme. Si la définition de leur contenu ne fait pas partie du cadre légal de la matière, ces manuels ont été examinés et autorisés par un organisme d’État officiel, ils ont un statut officiel et ils sont utilisés par 62 % des écoles norvégiennes.

10.11 L’État partie reconnaît que certains éléments au moins de la nouvelle matière peuvent être considérés comme revêtant un caractère religieux, mais il ne dit pas s’il en découle que les éléments en question ne répondent pas aux critères de neutralité et d’objectivité de l’enseignement. Les auteurs considèrent qu’il est si peu possible de faire la distinction entre les parties du cours qui sont de nature religieuse et celles qui ne le sont pas que personne ne s’y est essayé. Ils renvoient aux conclusions de la recherche menée par l’Institut Diaforsk, et en particulier à la phrase suivante: «Nous avons demandé aux enseignants comment ils faisaient cette distinction pendant le cours. Très peu d’entre eux ont compris le sens de la question.». L’un des objectifs du cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale, à savoir réunir tous les élèves dans un même enseignement, est manifestement contraire à l’affirmation de l’État partie selon laquelle les parents humanistes sont libres d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées. Si ces parents créaient leur propre école, leurs enfants ne recevraient pas le même enseignement que les autres.

10.12 L’importance accordée au christianisme dans le cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale ressort aussi des travaux préparatoires à l’occasion desquels la Commission de l’éducation a indiqué ce qui suit: «La majorité souligne que le cours n’a pas une valeur neutre. Le fait que l’enseignement ne doit comprendre aucun prosélytisme ne signifie aucunement qu’il doit être dispensé dans un vide religieux/moral. Toute instruction et éducation dispensée dans notre école primaire doit avoir comme point de départ l’objectif de l’école, en l’occurrence le christianisme, et les diverses religions et philosophies de vie devraient être enseignées en en montrant les caractéristiques distinctives. L’accent est surtout mis sur l’enseignement du christianisme.».

10.13 Les auteurs affirment que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» entraîne une discrimination excessive et déraisonnable à l’égard des non‑chrétiens étant donné que rien n’obligeait l’État partie à mettre fin à l’arrangement précédent et que, pour rassembler les élèves dans «la lutte contre les préjugés et la discrimination», et autres intentions louables, il n’était pas nécessaire de forcer tous les élèves à suivre un cours dont l’objectif premier est l’éducation chrétienne.

Informations complémentaires fournies par l’État partie

11.1Le 4 octobre 2004, l’État partie a fait des observations complémentaires sur la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, il réitère ses observations antérieures (faites le 27 avril 2004). Sur le fond, il réaffirme que la Cour suprême a minutieusement examiné l’affaire et conclu que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale et la clause de dispense partielle dont il était assorti étaient pleinement conformes au droit international relatif aux droits de l’homme; l’article 18 du Pacte n’interdit pas l’enseignement obligatoire dans les écoles de questions relatives à la religion et aux philosophies de vie à condition que cet enseignement soit dispensé de manière pluraliste, neutre et objective; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’enfant imposent tous deux aux États parties l’obligation positive d’assurer un enseignement avec une dimension sociale et éthique, et les parents n’ont pas contesté l’enseignement spécifique dispensé à leurs enfants.

11.2L’État partie se réfère plus particulièrement à l’objection principale des auteurs selon laquelle par le biais de l’enseignement d’une matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», leurs enfants peuvent recevoir des informations qui constituent un endoctrinement. Ils ont demandé, pour qu’il n’y ait pas violation du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte, que leurs enfants soient totalement dispensés de cet enseignement. Or l’État partie juge inutile une dispense totale dans la mesure où il s’agit d’une matière pluridisciplinaire dont font partie, en plus de la connaissance de la religion chrétienne, les sciences sociales, les religions du monde, la philosophie et l’éthique.

11.3En ce qui concerne les observations des auteurs, l’État partie fait valoir que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale a fait l’objet d’une évaluation approfondie et que les autorités ont fait établir deux rapports indépendants qui ont été analysés dans le rapport du Ministère de l’éducation au Storting pour 2000‑2001. La Cour suprême a examiné les rapports susmentionnés et leur suivi par l’administration, ce qui constitue, aux yeux de l’État partie, la preuve qu’elle était pleinement consciente de tous les aspects de l’affaire lorsqu’elle est parvenue à la conclusion que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale était conforme aux pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il est indiqué dans les conclusions des rapports d’évaluation que dans la majorité des cas les dispenses partielles fonctionnaient de manière satisfaisante, que la plupart des parents estimaient que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale se déroulait dans de bonnes conditions pour leurs enfants et que peu d’enseignants considéraient les dispenses partielles comme une source de problèmes pratiques.

11.4Pour ce qui est de l’allégation des auteurs selon laquelle l’État partie a fait fi des avertissements lancés par différents groupes religieux, du droit relatif aux droits de l’homme et de la recommandation du juge Møse, il est déclaré qu’il n’existe pas d’opposition unanime au cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale, que les groupes religieux minoritaires ont participé à l’élaboration du nouveau plan d’études approuvé par le Parlement et qu’à l’heure actuelle il n’y avait pratiquement pas de désaccord au sujet de la clause de dispense dont le cours était assorti.

11.5L’État partie se réfère en outre au commentaire des auteurs selon lequel la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark est sans rapport avec la présente affaire parce qu’il était à l’époque question non pas d’éducation religieuse mais d’éducation sexuelle obligatoire.

11.6L’État partie souligne, en ce qui concerne les allégations des auteurs, que dans ses observations, le Comité des droits de l’enfant s’est déclaré préoccupé par les «modalités d’octroi d’une dispense», sans expliquer pourquoi il l’était. Depuis l’adoption des observations susmentionnées (2 juin 2000), le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale et son système de dispense ont fait l’objet d’une évaluation approfondie, et les autorités ont réagi aux préoccupations exprimées en accordant des dispenses sur notification uniformisée et en facilitant la communication entre les écoles et les familles. Enfin, l’État partie note que le Comité n’a pas élevé d’objection à un système de dispense partielle et n’a pas non plus soutenu les revendications des auteurs en vue d’une dispense totale.

11.7L’État partie affirme que de nombreuses matières enseignées à l’école peuvent inclure des informations ou des mesures perçues comme ayant une dimension philosophique ou religieuse. Il note en l’espèce que, si les auteurs de la communication n’étaient pas préoccupés par des matières telles que la science, la musique, l’éducation physique et l’économie domestique, les minorités religieuses refusaient, elles, certains aspects de l’enseignement de ces matières, notamment le côté pratique des cours d’éducation physique et de musique. L’État partie fait valoir qu’une clause de dispense partielle est, de manière générale et en particulier dans le cas du cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale, le seul moyen réaliste d’assurer un enseignement obligatoire.

11.8Pour ce qui est de la question de la discrimination, l’État partie note que les auteurs semblent avoir mal compris ses observations en escamotant les mots «ne … pas» dans la phrase suivante: «En particulier, les États parties doivent être habilités à demander aux parents d’exposer leur motivation lorsqu’ils demandent une dispense d’activité qui ne semble pas à première vue assimilable à la pratique d’une religion donnée ou à une adhésion à une philosophie de vie différente.». L’État partie rappelle qu’à la suite de l’évaluation du cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale en 2000‑2001, un formulaire de notification générale a remplacé l’ancienne procédure de demande.

11.9Enfin, eu égard à la situation internationale, l’État partie affirme que le dialogue entre les cultures et les religions devrait être encouragé en tant que partie intégrante de l’éducation des enfants. Selon lui, dans ce contexte, le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale apparaît comme un moyen essentiel de promouvoir «l’émergence d’un espace commun pour une génération de plus en plus multiculturelle et diverse».

Informations complémentaires fournies par les auteurs

12.1Dans une lettre datée du 15 octobre 2004, les auteurs ont fait d’autres commentaires sur les dernières observations de l’État partie. Ils soulignent à nouveau qu’ils sont opposés au cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale parce qu’il ne s’agit pas d’une matière permettant de transmettre des informations neutres sur différentes philosophies de vie ou religions. Font manifestement partie du cours des activités ouvertement religieuses (telles que la prière). Selon les auteurs, le contenu du cours, s’ajoutant à la clause relative à l’objectif chrétien, dément l’argumentation de l’État partie quant à l’objet de la loi. Les auteurs ne sont pas opposés à une éducation ayant une certaine dimension «sociale et éthique», mais le fait est que la méthode d’enseignement du cours vise à renforcer l’identité religieuse des élèves et à enseigner l’activité religieuse dans le cadre de la clause relative à l’objectif chrétien.

12.2Les auteurs affirment que, même si un système de dispense partielle est satisfaisant dans la majorité des cas et que rares sont les enseignants qui ont rencontré des problèmes pratiques, cet argument est sans objet en l’espèce. L’essentiel dans la présente affaire est que des étudiants minoritaires et leurs parents ont une tout autre expérience du système.

12.3Les auteurs contestent l’objection de l’État partie fondée sur l’absence d’une opposition plus générale à l’inscription au programme du cours mis en cause et font valoir que presque tous les groupes minoritaires du pays qui se réclament d’une religion ou d’une philosophie de vie distincte sont opposés au cours. Ils ajoutent que le Conseil islamique et les parents musulmans ont engagé, de leur côté, contre le Gouvernement des poursuites correspondant plus ou moins aux griefs des auteurs et qu’ils ont perdu leur procès pour des motifs similaires à ceux des auteurs. Ils affirment que le Conseil a décidé d’attendre l’issue de l’examen de la communication des auteurs par le Comité avant d’intenter une nouvelle action.

12.4Il est souligné que d’importants groupes de la société norvégienne continuent d’avoir des problèmes avec le système de dispense partielle. Les auteurs versent au dossier une copie d’un rapport du Forum norvégien pour la Convention relative aux droits de l’enfant en date de juin 2004 dans lequel le Forum invite le Comité des droits de l’enfant à recommander à l’État partie de revoir son programme «d’éducation religieuse et éthique, à la fois dans le système scolaire public et dans le contexte des prescriptions relatives aux écoles privées et de l’inspection de ces écoles, à la lumière des dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la liberté de pensée, de conscience et de religion».

12.5Enfin, les auteurs soutiennent une promotion continue du dialogue interculturel mais affirment que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale ne contribue pas à la réalisation de cet objectif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

13.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif.

13.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les auteurs ne seraient pas «victimes» d’une violation présumée des droits de l’homme au sens de l’article premier du Protocole facultatif. De l’avis du Comité, les auteurs ont montré qu’ils étaient affectés, individuellement et en tant que familles, par le droit et la pratique de l’État partie. En conséquence, le Comité ne voit aucune raison de déclarer la communication irrecevable pour ce motif.

13.3L’État partie conteste également la recevabilité au motif que la «même question» est actuellement examinée par la Cour européenne des droits de l’homme dans la mesure où trois autres groupes de parents ont déposé une plainte similaire devant cette instance et que les tribunaux norvégiens se sont prononcés dans le cadre d’une seule et même procédure sur la requête des auteurs tendant à obtenir une dispense totale du cours et sur trois requêtes identiques soumises par lesdits groupes de parents. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle l’expression «la même question» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif doit être comprise comme désignant une seule et même requête concernant une même personne, soumise par cette personne ou par une autre habilitée à agir en son nom à une autre instance internationale. Que d’autres groupes de personnes aient joint leurs plaintes à celles des auteurs devant les tribunaux nationaux ne change rien à cette interprétation du Protocole facultatif. Les auteurs ont démontré qu’ils sont distincts des trois autres groupes de parents qui ont adressé une plainte à la Cour européenne des droits de l’homme. Ils ont choisi de ne pas soumettre leur plainte à cette juridiction. Par conséquent, le Comité considère qu’en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, rien ne l’empêche d’examiner la communication.

13.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les articles 17 et 18 n’ont pas été soulevés dans le cadre de la procédure nationale dans la mesure où les auteurs ne se sont pas prévalus de la possibilité de demander une dispense partielle, et que les recours internes n’ont pas été épuisés à cet égard. Toutefois, aussi bien devant le Comité que devant les tribunaux nationaux, les auteurs ont fait valoir que le caractère obligatoire du cours mis en cause constituait une violation de leurs droits garantis par le Pacte dès lors qu’ils ne pouvaient demander d’en être totalement dispensés. En outre, l’État partie a explicitement confirmé que les griefs contenus dans la communication avaient déjà été examinés par les tribunaux nationaux. En conséquence, le Comité considère que les auteurs ont épuisé les recours internes en ce qui concerne la plainte en question.

13.5L’État partie a contesté la recevabilité de la plainte des auteurs au titre de l’article 26 parce qu’elle n’a pas été étayée dans la mesure où la clause de dispense prévue par la loi sur l’éducation s’applique à tous les parents quelle que soit leur religion ou leur philosophie de vie. Le Comité ne partage pas ce point de vue. L’examen de la question de savoir s’il y a une différenciation entre les chrétiens et d’autres groupes − et si une telle différenciation est fondée sur des critères objectifs et raisonnables − doit faire partie de l’examen du fond de la communication. Le Comité considère donc que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leur allégation selon laquelle le système de dispense applicable à l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» pourrait donner lieu à une différenciation entre les parents non chrétiens et les parents chrétiens et qu’une telle différenciation pourrait constituer une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.

13.6Notant que les auteurs ont retiré leur plainte au titre de l’article 27, le Comité décide que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre des articles 17, 18 et 26 du Pacte.

Examen au fond

14.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

14.2Le Comité doit déterminer principalement si l’enseignement obligatoire de la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» dans les écoles norvégiennes, assorti seulement d’une possibilité de dispense limitée, constitue une violation des droits des auteurs à la liberté de pensée, d’opinion et de religion consacrés à l’article 18 et plus précisément du droit des parents d’assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions (par. 4 de l’article 18). La portée de l’article 18 s’étend non seulement à la protection des religions traditionnelles mais aussi aux philosophies de vie, comme celles que professent les auteurs. De l’avis du Comité, l’enseignement de la religion et de la morale peut être compatible avec l’article 18 s’il respecte les conditions énoncées par le Comité dans son Observation générale no 22 relative à l’article 18: «[L]e paragraphe 4 de l’article 18 permet d’enseigner des sujets tels que l’histoire générale des religions et des idées dans les établissements publics, à condition que cet enseignement soit dispensé de façon neutre et objective»et«l’éducation publique incluant l’enseignement d’une religion ou d’une conviction particulière est incompatible avec le paragraphe 4 de l’article 18, à moins qu’elle ne prévoie des exemptions ou des possibilités de choix non discriminatoires correspondant aux vœux des parents et des tuteurs.». Le Comité rappelle également les constatations qu’il a adoptées dans l’affaire Hartikainen et consorts c. Finlande, où il a conclu que l’instruction dans un contexte religieux devait respecter les convictions des parents et des tuteurs qui n’ont aucune religion. C’est dans ce contexte juridique que le Comité va examiner la plainte.

14.3Premièrement, le Comité examinera la question de savoir si l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est dispensé de façon neutre et objective. Sur la question, il renvoie au paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation qui dispose: «L’enseignement de la matière ne comprendra aucun prosélytisme. Les enseignants chargés de la matière “Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale” seront guidés par l’objectif de l’enseignement primaire et du premier cycle du secondaire tel qu’il est exposé au paragraphe 2 de l’article premier et présenteront le christianisme, les autres religions et les philosophies de vie en montrant leurs caractéristiques distinctives. L’enseignement des différents sujets sera fondé sur les mêmes principes éducatifs.». Dans la disposition exposant l’objectif dont il est question dans la loi, il est indiqué que l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire du premier cycle auront pour objet «en accord et en coopération avec les familles, d’aider à donner aux élèves une éducation chrétienne et morale». Il ressort clairement de certains des travaux préparatoires de la loi mentionnée que, dans cette matière, la priorité est donnée aux règles et principes du christianisme par rapport à d’autres religions et philosophies de vie. Dans ce contexte, la Commission permanente de l’éducation a conclu à la majorité de ses membres que «l’enseignement n’avait pas une valeur neutre et que l’accent était mis surtout sur le christianisme dans l’enseignement de cette matière». L’État partie reconnaît que la matière comporte des éléments qui peuvent être perçus comme revêtant un caractère religieux, les enfants pouvant être dispensés de l’enseignement de ces éléments sans que leurs parents aient à motiver leur demande de dispense. En effet, certaines au moins des activités en question impliquent à première vue non pas simplement l’enseignement de connaissances religieuses, mais la pratique effective d’une religion donnée (voir par. 9.18). Il ressort également des résultats de recherche exposés par les auteurs ainsi que de leur expérience personnelle que la matière contient des éléments qui, selon leur perception, ne sont pas enseignés de façon neutre et objective. Le Comité conclut que l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne peut pas être considéré comme répondant aux critères de neutralité et d’objectivité dans la façon dont il est dispensé, sauf si le système de la dispense aboutit en fait à une situation où l’enseignement dispensé à ces enfants, dont la famille demande la dispense, est neutre et objectif.

14.4La deuxième question que le Comité doit trancher est donc de savoir si les dispositions prévoyant une dispense partielle et les autres moyens représentent «des exemptions ou des possibilités de choix non discriminatoires correspondant aux vœux des parents et des tuteurs». Le Comité prend note de l’argument des auteurs qui font valoir que la dispense partielle ne satisfait pas à leurs besoins parce que l’enseignement de cette matière est trop fortement axé sur l’instruction religieuse et qu’une dispense partielle est impossible à mettre en œuvre dans la pratique. Le Comité note en outre que la loi norvégienne sur l’éducation dispose: «À la demande écrite des parents, les enfants seront dispensés de suivre les éléments de l’enseignement donné dans leur établissement qu’ils perçoivent, en fonction de leur propre religion ou philosophie de vie, comme représentant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie.».

14.5Le Comité note que le cadre normatif concernant l’enseignement de la nouvelle matière suscite des divergences, voire des contradictions. D’un côté, la Constitution et l’objectif énoncé dans la loi sur l’éducation expriment une nette préférence pour le christianisme par rapport au rôle d’autres religions ou visions du monde dans le système éducatif. D’un autre côté, la clause spécifique relative aux dispenses figurant au paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation est formulée d’une manière qui semble en théorie accorder un droit complet de dispense concernant tout élément de la nouvelle matière que les élèves ou les parents perçoivent comme la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Si cette clause pouvait être appliquée de manière à contrebalancer la préférence marquée par la Constitution et l’objectif énoncé dans la loi sur l’éducation, on pourrait considérer sans doute qu’elle respecte l’article 18 du Pacte.

14.6Le Comité estime cependant que, même dans l’abstrait, le système actuel de dispense partielle impose un fardeau considérable aux personnes qui se trouvent dans la position des auteurs, dans la mesure où il exige d’elles qu’elles prennent connaissance des éléments de la matière qui sont manifestement de nature religieuse, ainsi que d’autres éléments, afin de déterminer lesquels de ces autres éléments justifient qu’elles fassent une demande – motivée − de dispense. On ne pourrait pas exclure non plus que ces personnes soient dissuadées d’exercer ce droit, dans la mesure où un régime de dispense partielle pourrait créer des problèmes aux enfants, autres que ceux susceptibles de se poser dans un régime de dispense totale. En fait, comme le montre l’expérience des auteurs, le régime actuel de dispense ne protège pas la liberté des parents de veiller à ce que l’éducation religieuse et morale donnée à leurs enfants soit conforme à leurs propres convictions. À cet égard, le Comité note que la matière en question combine l’enseignement de connaissances religieuses à la pratique de convictions religieuses particulières, c’est-à-dire à l’obligation d’apprendre des prières par cœur, de chanter des hymnes religieuses ou d’assister à des services religieux (par. 9.18). S’il est vrai qu’en pareil cas les parents peuvent demander une dispense de ces activités en cochant la case correspondante sur un formulaire, le système d’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne garantit pas une séparation de l’enseignement de connaissances religieuses de la pratique religieuse propre à rendre cette dispense applicable dans la pratique.

14.7De l’avis du Comité, les difficultés rencontrées par les auteurs, en particulier le fait que Maria Jansen et Pia Suzanne Orning ont dû réciter des textes religieux à l’occasion d’une célébration de Noël, alors même qu’elles relevaient du régime de dispense, de même que le conflit d’allégeance éprouvé par les enfants, illustrent amplement ces difficultés. Qui plus est, l’obligation de motiver la demande de dispense des cours axés sur l’enseignement de connaissances religieuses et l’absence d’indications claires quant à la nature des raisons acceptables crée un obstacle supplémentaire pour les parents soucieux d’éviter que leurs enfants soient exposés à certaines idées religieuses. De l’avis du Comité, le cadre normatif actuel concernant la nouvelle matière, y compris le système de dispense en vigueur, tel qu’il a été appliqué à l’égard des auteurs, constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte vis-à-vis des auteurs.

14.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime qu’aucune autre question ne se pose au titre d’autres parties de l’article 18, ni des articles 17 et 26 du Pacte.

15.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis constituent une violation du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte.

16.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile et adéquat qui respecte le droit des auteurs, en tant que parents, de s’assurer que leurs enfants reçoivent une éducation qui soit conforme à leurs propres convictions, et le droit des enfants, en tant qu’élèves, de recevoir une telle éducation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

17.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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