Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/82/D/1188/200311 novembre 2004

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑deuxième session18 octobre‑5 novembre 2004

DÉCISION

Communication n o  1188/2003

Présentée par:Riedl‑Riedenstein, Viktor‑Gottfried et Josseline; Scholtz, Maria (représentés par des conseils, M. Hans‑Jochen Moser et Mme Sylvia Moser)

Au nom de:Les auteurs

État partie:Allemagne

Date de la communication:11 juin 2003 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 11 juin 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:2 novembre 2004

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑deuxième session

concernant la

Communication n o  1188/2003 **

Présentée par:Riedl‑Riedenstein, Viktor‑Gottfried et Josseline; Scholtz, Maria (représentés par des conseils, M. Hans‑Jochen Moser et Mme Sylvia Moser)

Au nom de:Les auteurs

État partie:Allemagne

Date de la communication:11 juin 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 novembre 2004,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

1.Les auteurs de la communication sont Viktor‑Gottfried Riedl-Riedenstein (premier auteur) et Josseline Riedl‑Riedenstein (deuxième auteur), respectivement nés en 1916 et 1934, et Maria Scholtz (née Riedl‑Riedenstein; troisième auteur). Tous sont de nationalité autrichienne. Ils affirment être victimes d’une violation par l’Allemagne du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Ils sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Avant la Deuxième Guerre mondiale, la famille des auteurs possédait un vaste patrimoine en Tchécoslovaquie, comprenant notamment des actions de plusieurs entreprises allemandes, parmi lesquelles Daimler Benz (d’une valeur de 154 000 reichsmark), Dresdner Bank (d’une valeur de 142 000 reichsmark) et IG Farben Industrie AG (d’une valeur de 410 000 reichsmark). Les titres étaient en dépôt au château d’Aich, résidence secondaire de la famille. En septembre 1944, le père des premier et troisième auteurs a, en présence du premier, décidé d’emballer ces actions par paquets et d’inscrire sur ces paquets le nom du troisième auteur. En application des décrets Benes de 1945, la famille a été dépossédée de ses biens qui se trouvaient en Tchécoslovaquie, y compris le château d’Aich, où les titres étaient dissimulés dans un placard du hall d’entrée. Les preuves matérielles de l’existence de ces actions ayant été confisquées, les autorités tchécoslovaques n’ont pas tenté de lui en rembourser la valeur.

2.2En 1948, la monnaie de la République fédérale d’Allemagne est devenue le deutsche mark et les actions libellées en reichsmark ont été réémises. Il fallait alors produire ces anciennes actions, pour prouver qu’on en était propriétaire, faute de quoi la preuve devait être établie d’une autre manière, par exemple par le biais de relevés bancaires, de déclarations de revenus, etc. La République fédérale d’Allemagne a fait office de fiduciaire pour les actionnaires et a fini par s’approprier les actions non réclamées.

2.3En 1965, les auteurs se sont rendus au château d’Aich pour recueillir des informations sur leurs actions, dans le but de communiquer ces informations au Bureau d’indemnisation fédéral allemand en vertu des lois adoptées entre 1949 et 1964 sur la procédure d’examen et de validation des demandes pour perte ou destruction de titres pendant ou immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale (Wertpapierbereinigungsschlussgesetze).

2.4Entre 1965 et 1976, les auteurs ont déposé trois demandes d’indemnisation auprès du Bureau d’indemnisation fédéral, lesquelles ont été rejetées en 1965, 1971 et 1981, respectivement, faute d’éléments suffisants prouvant qu’ils possédaient effectivement ces actions. Les auteurs ont en vain formé recours contre ces décisions dans des procédures distinctes, pour chaque paquet d’actions, devant des tribunaux différents.

2.5Avant 1990, les auteurs ne pouvaient produire de documents apportant la preuve qu’ils détenaient les actions, car les documents en question se trouvaient au château d’Aich et leur étaient inaccessibles et que les relevés bancaires et déclarations de revenus correspondants avaient été détruits dans un incendie de la maison familiale à Vienne à la fin de la guerre. De plus, les autorités tchèques avaient à plusieurs reprises refusé de délivrer un certificat de la Banque centrale confirmant l’existence de ces actions.

2.6Suite au changement de gouvernement intervenu en Tchécoslovaquie en 1990, les auteurs ont progressivement obtenu accès aux documents justificatifs requis. C’est ainsi que le 19 avril 1991, une nouvelle demande d’indemnisation au titre des actions de l’entreprise IG Farben a été soumise à la chambre de validation des actions de la cour régionale de Francfort, qui a rejeté la plainte le 2 novembre 1992. En appel, la cour d’appel de Francfort a infirmé cette décision et renvoyé l’affaire à la cour régionale de Francfort.

2.7Les auteurs ayant demandé un report de décision parce qu’il leur était désormais possible d’apporter de nouveaux éléments émanant des autorités tchèques, la chambre de validation des actions de la cour régionale de Francfort a décidé, en date du 29 novembre 1999, que les auteurs n’étaient pas fondés à demander une indemnisation à hauteur de 410 000 reichsmark pour les actions d’IG Farben et a fixé le montant en question à 1 644 000 deutsche mark. Elle a considéré que les conditions fixées au paragraphe 1 de l’article 15 de la loi de 1964 sur la validation finale des actions n’avaient pas été remplies et que les auteurs n’avaient pas justifié le fait de ne pas avoir demandé la vérification et l’enregistrement de leurs droits avant l’expiration du délai légal, fixé au 31 décembre 1964. Le tribunal a rejeté l’argument des auteurs selon lequel ils auraient été dans l’incapacité d’obtenir des preuves à l’appui de leur requête avant leur visite au château d’Aich en 1965, étant donné qu’en 1962 leur ancien régisseur est réapparu à Aich (entre‑temps rebaptisé «Doubi»), et que celui-ci connaissait parfaitement les biens des auteurs, et notamment l’existence des actions. Ni la confiscation du château d’Aich ni l’incendie de leur maison à Vienne ne pouvaient justifier qu’ils n’aient pas respecté le délai car on pouvait raisonnablement attendre d’eux qu’ils présentent une requête à la banque de Karlsbad, qui avait servi d’intermédiaire à l’achat des actions, ou qu’ils s’enquièrent de l’existence éventuelle de coupons pour le paiement de dividendes, de déclarations de revenus ou d’autres justificatifs auprès des autorités tchèques.

2.8De plus, les auteurs n’avaient pas démontré de manière plausible que les actions en question leur appartenaient: le simple fait d’inscrire, en 1944, le nom du troisième auteur sur les paquets ne pouvait constituer une «remise» des actions à la fille ni s’y substituer, en l’absence de toute indication de la situation juridique du porteur du nom inscrit et sachant que la capacité du père d’agir au nom de sa femme et de sa fille n’avait pas été établie. Même si le premier auteur, en qualité de légataire universel, avait été habilité à demander une indemnisation, il n’avait pas enregistré son titre de propriété dans le cadre des procédures d’indemnisation avant l’expiration du délai, fixée au 30 juin 1976, comme l’exigeait le paragraphe 1 de l’article 11 de la loi de 1975 pour que la conversion monétaire puisse être menée à bien. Enfin, la répartition et la valeur nominale des actions n’avaient pas été spécifiées.

2.9Le 2 octobre 2000, la cour d’appel de Francfort a rejeté l’appel immédiat formé par les auteurs, ayant conclu à l’absence de vice juridique dans la décision de la cour régionale de Francfort attaquée. Concernant l’argument des auteurs selon lequel le fait que leur régisseur, maintenant décédé, aurait eu connaissance de l’existence des actions était soudainement devenu la question centrale de leur affaire, la cour a estimé que le simple fait que les plaintes des auteurs avaient auparavant été rejetées pour d’autres motifs ne donnait pas légitimement matière à conclure qu’il était justifié qu’ils n’aient pas respecté le délai pour demander la validation de leurs actions.

2.10Indépendamment de l’argument des auteurs selon lequel ils n’imaginaient même pas que le régisseur puisse ouvrir le placard du hall d’entrée et trouver les titres, la cour a estimé que le fait qu’ils n’aient pas demandé à ce dernier ce qu’il était advenu de ces titres était un manquement à leur obligation de diligence, dans la mesure où cette personne avait continué à administrer le château d’Aich après le départ de la famille et avait assisté à la confiscation de ses biens par les autorités tchécoslovaques en 1945 et où le compte rendu de la confiscation remis aux auteurs par cette même personne en 1962 ne faisait aucune mention des titres. La cour d’appel a donc entériné la conclusion de la cour régionale selon laquelle les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient fait tous les efforts qu’on pouvait raisonnablement attendre d’eux pour étayer leur demande de validation avant leur visite au château d’Aich en octobre 1965. Lorsqu’elle a rejeté la demande d’indemnisation des auteurs au motif de l’absence injustifiée de demande de validation de leurs actions avant l’expiration du délai le 31 décembre 1964, la cour n’a pas examiné la question de la propriété des actions.

2.11Le 13 septembre 2001, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté la plainte constitutionnelle des auteurs, constatant que les décisions des instances inférieures n’avaient pas violé l’interdiction constitutionnelle de l’arbitraire et que la question de savoir si une éventuelle violation de l’article 6 de la Convention européenne, requérant une audience y compris dans les affaires non conflictuelles de caractère civil, constituerait en même temps une violation de la Loi fondamentale allemande, était sans rapport avec l’affaire, dans la mesure où les auteurs n’ont jamais prétendu qu’ils auraient pu, au cours d’une procédure orale, présenter de nouveaux éléments de nature à infléchir les décisions des instances inférieures.

2.12Le 1er février 1999, les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, en faisant valoir que la durée des procédures d’indemnisation concernant les actions des trois entreprises − Dresdner Bank, Daimler Benz et IG Farben − était contraire à l’article 6 de la Convention européenne et que le déni de toute indemnisation pour ces actions portait atteinte au droit de propriété (consacré par l’article premier du Protocole no 1 à la Convention européenne). Le 22 janvier 2002, la Cour a rejeté les plaintes des auteurs relatives aux procédures concernant les actions d’IG Farben et de Dresdner Bank pour non‑épuisement des recours internes. Pour ce qui est des actions de Daimler Benz, elle a qualifié la plainte portant sur la durée des procédures manifestement infondée et déclaré la requête irrecevable ratione materiae au regard de l’article premier du Protocole no 1 à la Convention: la conclusion des tribunaux allemands selon laquelle les auteurs n’avaient pas suffisamment établi leur droit de propriété sur les actions n’était ni arbitraire ni contraire aux dispositions nationales applicables.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs, qui restreignent la portée de leur communication aux seules procédures concernant les actions de l’entreprise IG Farben, se plaignent de violations de leur droit à un tribunal impartial, consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, ainsi que de leur droit à l’égalité et à la non‑discrimination, consacré par l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et font valoir que les tribunaux allemands ont arbitrairement rejeté leur demande d’indemnisation en appliquant dans leur cas des règles en matière de preuve plus strictes que celles appliquées à des demandes d’indemnisation passées, auxquelles il avait souvent été donné droit dans des affaires de confiscation de biens appartenant à des Juifs. Ce traitement discriminatoire pourrait avoir un lien avec l’intention des tribunaux de protéger le Trésor allemand en période de graves difficultés économiques.

3.2Les auteurs font valoir qu’ils ont exercé la diligence due pour présenter des justificatifs à l’appui de leurs requêtes mais se sont d’abord vu refuser toute information des anciennes autorités tchécoslovaques puis, lorsqu’ils ont enfin obtenu des éléments prouvant qu’ils étaient propriétaires des actions, se sont vu refuser l’indemnisation par les tribunaux allemands au motif qu’ils avaient présenté leur requête après expiration du délai et qu’ils n’y avaient pas associé leur ancien régisseur.

3.3Les auteurs font valoir qu’ils ont épuisé les recours internes et que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Concernant la réserve émise par l’Allemagne au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, ils soutiennent que leur requête devant la Cour européenne ne portait pas sur le même contenu des droits puisqu’elle visait leur droit à la propriété, qui n’est pas en tant que tel protégé par le Pacte, ainsi que la durée des procédures, et non pas leur droit à l’égalité de traitement et à la non‑discrimination. De plus, leur grief concernant les actions d’IG Farben n’avait pas du tout été examiné par la Cour européenne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 12 août 2003, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, répondant que les plaintes des auteurs n’étaient pas étayées et qu’elles étaient incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte, dans la mesure où un argument fondé sur l’article 26 uniquement serait incompatible avec la réserve émise par l’Allemagne, mais étaient aussi irrecevables pour non‑épuisement des recours internes, dans la mesure où les auteurs n’avaient pas saisi la Cour constitutionnelle fédérale de la question de l’«interdiction de l’arbitraire sous l’aspect de l’inégalité de traitement par rapport à d’autres plaignants».

4.2L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas démontré, aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif, que leur droit à l’égalité devant les tribunaux avait été violé, en particulier par comparaison avec d’autres groupes de personnes en situation comparable, ni sur la base de quels critères ils avaient fait l’objet d’une discrimination de la part des tribunaux allemands, qui leur auraient, selon eux, appliqué des règles plus strictes en matière de preuve. Ni des plaignants non identifiés ayant obtenu une indemnisation pour des biens perdus ni des plaignants ayant obtenu une restitution de biens juifs confisqués ne pouvaient être considérés comme des groupes de comparaison adaptés, en l’absence de toute indication des critères sur lesquels la différence de traitement supposée aurait été basée, et compte tenu du fait que les demandes d’indemnisation des Juifs pour les pertes subies pendant la guerre concernaient une situation complètement différente soumise à une législation distincte.

Commentaires des auteurs

5.1Dans une lettre du 4 novembre 2003, les auteurs ont fait valoir que la réserve émise par l’Allemagne était sans rapport avec leur plainte puisque la question dont le Comité était saisi était celle d’un déni d’égalité de traitement dans un procès, de sorte que leur grief était basé sur l’article 26 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14, et non pas sur le seul article 26. Si la réserve devait être considérée comme concernant leurs griefs, les auteurs demanderaient au Comité d’examiner si elle est compatible avec l’objet et le but du Protocole facultatif.

5.2Les auteurs considèrent qu’ils ont suffisamment étayé leur plainte aux fins de la recevabilité, inversant par là même la charge de la preuve, conformément à la jurisprudence du Comité. En conséquence, il appartenait à l’État partie de préciser quelles informations additionnelles il souhaitait obtenir et d’expliquer pourquoi d’autres plaignants s’étaient vus reconnaître en tant que propriétaires d’actions, alors qu’on avait toujours exigé des auteurs qu’ils soumettent des éléments de preuve tangibles inaccessibles jusqu’aux années 90.

5.3Les auteurs réaffirment qu’une fois leurs plaintes déposées les tribunaux allemands les ont rejetées pour des motifs complètement différents, à savoir que les auteurs auraient dû essayer d’obtenir une déclaration sous serment de quelqu’un qui n’aurait pas nécessairement eu connaissance de l’existence de ces actions et n’aurait pas dressé l’inventaire des biens du château d’Aich. L’État partie aurait dû ne plus être fondé à soulever ces questions après le décès du régisseur. De plus, l’État partie lui‑même aurait pu apporter son concours pour l’obtention des informations nécessaires auprès des autorités tchécoslovaques.

5.4Enfin, les auteurs font savoir qu’il serait déraisonnable d’exiger qu’ils épuisent d’éventuels autres recours internes alors qu’ils ont, pendant des décennies, exercé la diligence due pour faire valoir leurs droits devant les tribunaux allemands.

6.1Le 29 septembre 2004, le conseil a communiqué de nouvelles observations et a fait valoir que, contrairement à d’autres personnes, juives et non juives, victimes de persécutions pour des motifs raciaux, dont les plaintes pouvaient être examinées en vertu de la loi sur l’indemnisation des injustices commises par les nazis (Bundesentschädigungsgesetz), les auteurs avaient dû faire connaître la valeur nominale de leurs titres. Or, lorsque cette information a enfin été disponible auprès des autorités tchèques, leur requête a été rejetée au prétexte que cette même information aurait pu être obtenue plus tôt auprès du régisseur de la famille. Étant donné que la loi sur l’indemnisation ne prévoit pas l’obligation de se mettre en relation avec tous les témoins potentiels, les auteurs estiment avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire par comparaison avec d’autres personnes, juives et non juives, victimes de persécutions pour des motifs raciaux.

6.2À l’appui de leur plainte, les auteurs soumettent une décision de la Caisse régionale des impôts de Berlin datée du 12 juin 2002, par laquelle celle-ci accorde à titre d’indemnisation un montant considérable aux cohéritiers d’une personne juive qui aurait été victime de spoliation de biens immobiliers en 1944. Ce montant avait été estimé en l’absence d’informations précises quant à la valeur des biens donnant droit à indemnisation.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Concernant le grief des auteurs selon lequel les tribunaux allemands les auraient traités de manière discriminatoire en leur appliquant des règles plus strictes en matière de preuve qu’ils ne l’avaient fait par le passé pour d’autres demandes d’indemnisation, en particulier dans des affaires tenant à la restitution de biens confisqués à des Juifs, le Comité relève que les auteurs n’ont pas soulevé cette question dans leur plainte constitutionnelle datée du 13 novembre 2000. Il rappelle que, outre les recours judiciaires et administratifs ordinaires, les auteurs doivent aussi faire usage de tous les autres recours judiciaires, y compris les plaintes constitutionnelles, pour satisfaire à la prescription de l’épuisement de tous les recours internes disponibles, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et leur sont de facto ouverts. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas démontré que le fait de porter la question de l’application prétendument discriminatoire de règles plus strictes en matière de preuve devant la Cour constitutionnelle fédérale n’aurait pas constitué un recours utile du simple fait que les tribunaux inférieurs avaient toujours appliqué lesdites règles à leur affaire. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles à cet égard.

7.3Le Comité prend note de la plainte des auteurs selon laquelle le rejet par les tribunaux allemands de leur demande d’indemnisation dans les procédures concernant les actions de l’entreprise IG Farben au motif qu’ils ne s’étaient pas mis en relation avec leur ancien régisseur avant le délai légal (31 décembre 1964) pour le dépôt d’une demande de validation était arbitraire et constituait une violation de leurs droits consacrés par le paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, compte tenu du fait qu’il n’était pas certain que ce dernier ait eu connaissance de l’existence des actions. Le Comité rappelle qu’il a toujours considéré dans sa jurisprudence qu’il appartenait généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application faite de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il pouvait être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation avait été manifestement arbitraire et avait représenté un déni de justice, ou que le tribunal avait par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité note que les tribunaux allemands ont conclu que les auteurs avaient failli à leur obligation de diligence, entre autres en prenant pour hypothèse que le comportement normal de quiconque prétendait, comme le premier auteur, avoir eu connaissance de l’existence des titres depuis 1944 aurait été de s’enquérir de ce qu’il en était advenu à la réception, en 1962, d’un avis de confiscation qui n’en faisait aucune mention et en s’appuyant également sur le fait que les auteurs n’avaient pas cherché à savoir si d’autres justificatifs existaient (ils auraient pu, par exemple, vérifier auprès de l’ancienne banque de la famille à Karlsbad si celle-ci détenait une preuve de l’achat de ces titres). Il relève en outre que la cour régionale de Francfort a rejeté la demande d’indemnisation des auteurs non seulement parce que, sans raison, ils n’avaient pas fourni de preuve de l’existence de leurs actions de l’entreprise IG Farbenavant le 31 décembre 1964, mais aussi parce qu’ils n’avaient pas établi de manière plausible qu’ils étaient propriétaires de ces actions. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas démontré, aux fins de la recevabilité, que la façon dont les tribunaux allemands avaient statué était entachée d’arbitraire, et déclare que cette partie de la communication est en conséquence irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4À la lumière de ce qui précède, le Comité n’a pas à examiner la question de savoir si la réserve émise par l’État partie concernant l’article 26 du Pacte s’applique en l’espèce.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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