NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/82/D/1107/2002

15 novembre 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt deuxième session

18 octobre ‑ 5 novembre 2004

CONSTATATIONS

Communication n o  1107/2002

Présentée par:

Loubna El Ghar (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste

Date de la communication:

14 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 août 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

2 novembre 2004

Le 2 novembre 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté le projet joint en annexe en tant que constatations concernant la communication no 1107/2002 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIFSE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt deuxième session

concernant la

Communication n o  1107/2002 **

Présentée par:

Loubna El Ghar (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste

Date de la communication:

14 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 mars 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1107/2002 présentée par Loubna El Ghar, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur est Melle Loubna El Ghar, citoyenne libyenne (née le 2 septembre 1981 à Casablanca) résidant au Maroc. Elle se déclare victime de violations par laJamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste. L’auteur n’invoque pas de dispositions particulières du Pacte, mais ses allégations semblent soulever des questions au titre de l’article 12 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour laJamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste respectivement le 23 mars 1976 et le 16 août 1989

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, de nationalité libyenne, réside depuis sa naissance au Maroc auprès de sa mère divorcée et y est titulaire d’une carte de séjour. Etudiante en droit français à la faculté Hassan II de Casablanca, elle a souhaité poursuivre ses études en France pour une spécialisation en droit international. A cet effet, depuis 1998, l’auteur a demandé son passeport auprès de la représentation consulaire libyenne au Maroc.

2.2L’auteur déclare n’avoir reçu que des réponses négatives, sans motivation légale et légitime. Elle précise que bien que majeure, elle a accompagné sa demande d’une autorisation de son père résidant en Libye, assermentée auprès du ministère de l’extérieur libyen, afin de lui permettre d’acquérir tout document officiel. Elle ajoute qu’en septembre 2002, déclarant se référer au règlement en la matière (sans donner de détails à ce sujet), le Consul libyen lui a déclaré ne pas pouvoir lui délivrer un passeport, mais un document temporaire de voyage pour se rendre en Libye.

2.3L’auteur a également contacté la représentation diplomatique française au Maroc afin de vérifier s’il était possible d’obtenir un laissez-passer pour la France, requête à laquelle les autorités françaises n’ont pu accéder.

2.4En l’absence de passeport, l’auteur n’a pu s’inscrire auprès de l’université de Montpellier I en France.

Teneur de la plainte

3.L’auteur déclare que le refus par le Consulat libyen de Casablanca de lui délivrer un passeport l’empêche de voyager et d’étudier et constitue une violation du Pacte.

Observations de l’Etat partie

4.1Dans ses observations du 15 octobre 2003, l’Etat partie apporte les informations suivantes. Après avoir été informée de la communication de l’auteur, la Direction générale des passeports et de la nationalité de l’Etat partie a pris contact avec le Bureau de la fraternité à Rabat qui lui a fait savoir que jusqu’au 1er septembre 1999, il n’avait reçu de l’intéressée aucune demande officielle pour obtenir un passeport.

4.2Le 6 septembre 2002, la Direction des passeports et de la nationalité a demandé au consulat général de lui faire savoir si l’intéressée avait présenté une demande de passeport, étant donné qu’aucun élément concernant Melle El Ghar n’était consigné dans ses registres.

4.3Le 13 octobre 2002, la Direction générale des passeports et de la nationalité a adressé au consulat général à Casablanca un télégramme pour qu’il communique, au cas où il l’aurait reçue, la demande de l’intéressée et tous renseignements et pièces justificatives nécessaires pour l’octroi d’un passeport.

4.4L’Etat partie soutient qu’il ressort clairement de ce qui précède que les autorités libyennes concernées accordent toute l’attention requise à la question et que le retard est dû au fait que l’intéressée ne s’est pas présentée au moment voulu au Bureau de la fraternité au Maroc. L’Etat partie précise que rien dans la législation en vigueur n’empêche des ressortissants libyens d’obtenir des titres de voyage lorsqu’ils remplissent les conditions requises et présentent les documents demandés.

4.5Enfin, l’Etat partie explique que des instructions ont été envoyées, le 1er juillet 2003, au Bureau de la fraternité à Rabat pour qu’il délivre un passeport à Melle Loubna El Ghar. D’autre part, l’auteur a été contactée, par téléphone, à son domicile, et a été informée qu’elle pouvait se rendre au consulat libyen à Casablanca pour le retrait de son passeport.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie

5.1Dans ses commentaires du 24 novembre 2003, l’auteur précise, concernant la date officielle de présentation de sa demande de passeport, avoir entrepris des démarches dès 1998, date à laquelle sa mère s’est rendue en Libye afin d’obtenir une autorisation de son père pour l’obtention d’un passeport (voir para. 2.2). Elle ajoute que la date précise de sa demande officielle de passeport est le 25 février 1999.

5.2Concernant la Direction des passeports et de la nationalité et la date du 6 septembre 2002 mentionnée par l’Etat partie (voir para. 4.2), l’auteur rappelle que lors d’une de ses visites au Consulat général libyen afin de s’informer sur le déroulement de sa demande, le 18 septembre 2002, les représentants libyens lui ont signifié ne pas pouvoir lui donner un passeport, mais un laisser passer pour la Libye. Ce laissez-passer délivré ce même jour et produit par l’auteur précise : « Tenant compte du fait qu’elle est native du Maroc et qu’elle n’a pas obtenu de passeport, le présent document de voyage lui est délivré pour pouvoir retourner au territoire national ».

5.3L’auteur confirme avoir reçu un appel téléphonique, le 1er août 2003, de Madame l’Ambassadrice de la Libye auprès des Nations Unies à Genève l’informant qu’elle pouvait se rendre au Consulat général de Libye à Casablanca afin d’obtenir son passeport, un communiqué ayant été adressé à cet effet par la Direction générale des passeports. Le jour même, l’auteur s’est rendu au Consulat, en possession de tout document susceptible d’être demandé pour le retrait du passeport. Or, les représentants libyens ont nié avoir reçu le communiqué précité. De retour à son domicile, l’auteur a rappelé l’Ambassadrice libyenne auprès des Nations Unies à Genève pour l’informer de la situation, et deux jours plus tard est retournée au Consulat. L’auteur explique que le Consul en personne lui a déclaré qu’il n’était pas nécessaire qu’elle se déplace à chaque fois, et qu’elle serait contactée dès réception du communiqué précité. Depuis lors, l’auteur n’a pu obtenir de passeport et donc se rendre à l’étranger pour poursuivre ses études.

5.4L’auteur ajoute être dans l’impossibilité de demander une aide juridictionnelle en vue d’intenter une action en justice contre les autorités libyennes à partir du Maroc, et qu’elle ne peut intenter un recours pour excès de pouvoir.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2(a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Ayant pris note des arguments de l’auteur relativement à l’épuisement des voies de recours internes, à savoir les obstacles à toute demande d’aide juridictionnelle et à un recours contre les autorités libyennes à partir du Maroc, et compte tenu de l’absence de toute contestation pertinente de la recevabilité de la communication à ce sujet de la part de l’Etat partie, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité estime que les griefs formulés par l’auteur peuvent soulever des questions au regard de l’article 12, paragraphe 2 du Pacte et procède à l'examen de la plainte sur le fond, conformément au paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité constate qu’à ce jour, l’auteur n’a pu obtenir de passeport des autorités consulaires libyennes alors même que sa demande officielle date au plus tard, selon les déclarations mêmes des autorités, du 1er septembre 1999. En outre, il ressort que, dans un premier temps, le 18 septembre 2002, le Consul Libyen a signifié à l’auteur ne pas pouvoir lui délivrer un passeport, mais un laissez-passer pour la Libye, ceci en vertu d’un règlement n’ayant pas été précisé tant oralement que sur le laissez-passer même. La demande de délivrance d’un passeport présentée au Consulat de Libye a ainsi été rejetée sans que cette décision soit motivée quant au fond, la seule observation étant que l’auteur « est native du Maroc et qu’elle n’a pas obtenu de passeport, le présent document de voyage [laissez passer] lui [étant] délivré pour pouvoir retourner au territoire national ». Le Comité estime que ce laissez-passer ne saurait être considéré comme remplaçant de façon satisfaisante un passeport libyen valable afin de se rendre à l’étranger.

7.3Dans un second temps, le Comité constate que le 1er juillet 2003, la Direction générale des passeports a adressé un communiqué aux autorités consulaires libyennes au Maroc afin d’octroyer un passeport à l’auteur, information certifiée par l’Etat partie ayant produit une copie de ce document. L’Etat partie affirme que l’auteur a été personnellement contactée, par téléphone, à son domicile afin de retirer son passeport au Consulat de Libye. Or, il apparaît qu’à ce jour, malgré deux visites de l’auteur auprès du Consulat de Libye, aucun passeport ne lui a été délivré, sans que la responsabilité ne puisse lui être attribuée. Le Comité rappelle qu’un passeport offre à un ressortissant un moyen de « quitter tout pays, y compris le sien », comme le stipule le paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte, et qu’en conséquence il résulte de la nature même du droit considéré que, dans le cas d’un ressortissant résidant à l’étranger, le paragraphe 2 de l’article 12 impose des obligations à la fois à l’Etat où l’intéressé réside et à celui dont il a la nationalité, et que le paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte ne peut être interprété comme limitant les obligations de la Libye en vertu du paragraphe 2 de l’article 12 aux seuls ressortissants vivant sur son territoire. Le droit reconnu par le paragraphe 2 de l’article 12 peut, en vertu du paragraphe 3 dudit article faire l’objet de restrictions « prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le Pacte ». Il y a, par conséquent, des circonstances dans lesquelles un Etat peut, si la loi le prévoit, refuser de délivrer un passeport à l’un de ses ressortissants. Toutefois, dans le présent cas, l’Etat partie n’a pas, dans les informations qu’il a soumises au Comité, avancé d’argument de cet ordre, et a, au contraire, certifié avoir donner des instructions afin de satisfaire la demande de passeport de l’auteur, déclaration n’ayant pas été suivie d’effet.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits constatés révèlent une violation du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte dans la mesure où l’auteur n’a pu obtenir de passeport, sans aucune justification valable et dans le cadre de délais déraisonnables, se voyant de ce fait empêchée de se rendre à l’étranger afin de poursuivre ses études.

9.En vertu du paragraphe 3 a de l’article 2 du Pacte, l’Etat partie est tenu de garantir que l’auteur dispose d’un recours utile, y compris une indemnisation. Le Comité invite instamment l’Etat partie à délivrer, sans plus tarder, un passeport à l’auteur. L’Etat partie est, en outre, dans l’obligation de prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que des violations analogues ne se produisent plus à l’avenir.

10.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie.Aussi, le Comité souhaite-t-il recevoir de l’Etat partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’Etat partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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