Nations Unies

CAT/OP/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 janvier 2013

Français

Original: anglais

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Résumé des débats concernant le processus en cours relatif à la révision de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus *

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction1−33

II.Modifications proposées4−253

A.Information et droit de plainte des détenus4−83

B.Contact avec le monde extérieur/relations sociales et aide postpénitentiaire 9−104

C.Religion ou croyance11−155

D.Autres questions16−257

I.Introduction

1.Ce document résume les débats qui ont eu lieu au sein du Groupe de travail sur l’Ensemble de règles minima du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (le «SPT»), au cours desquels a été examiné le processus en cours relatif à la révision de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus («Ensemble de règles minima»).

2.Le SPT accueille avec satisfaction les projets visant à apporter des modifications ciblées à l’Ensemble de règles minima. Son expérience et sa connaissance du sujet lui permettent de saisir cette précieuse occasion de partager ses préoccupations au sujet de divers aspects de l’Ensemble de règles minima qui relèvent de son mandat.

3.Les points ci-dessous sont cités uniquement à titre d’exemples, l’objectif étant de montrer qu’il est urgent et primordial d’apporter certaines modifications et certains ajouts à l’Ensemble de règles minima afin d’y intégrer pleinement une approche fondée sur les droits de l’homme. Le SPT est d’avis que l’Ensemble de règles minima devrait souligner la nécessité de garantir les droits de l’homme par l’adoption de mesures appropriées pour les personnes privées de liberté.

II.Modifications proposées

A.Information et droit de plainte des détenus

4.L’Ensemble de règles minima ne reconnaît pas le droit à la représentation juridique, qui fait partie des garanties d’un procès équitable. Le SPT estime que l’accès à la représentation juridique est une exigence essentielle, tant pour protéger les droits inhérents aux détenus (par exemple l’accès à une nourriture et à un hébergement adéquats, les visites et l’accès à différents services) que pour permettre à ceux-ci d’être mieux informés à propos de leur détention et des moyens de faire valoir leurs droits. Tous les détenus devraient avoir accès à la représentation juridique, qu’ils soient prévenus ou condamnés (voir art. 35 de l’Ensemble de règles minima).

5.La portée du droit à la représentation juridique revêt une grande importance dans le cadre pénitentiaire. La représentation juridique devrait être disponible dès le début de la détention, d’autant que cette garantie recouvre bien davantage que le simple conseil: un avocat peut en effet constater l’état physique de son client lorsqu’il lui rend visite.

6.Tout détenu qui souhaite déposer une plainte doit pouvoir s’adresser à un juge ou à une autre autorité judiciaire compétente et indépendante. Cela est particulièrement important dans les cas où la question ne peut pas être réglée par une plainte auprès de l’administration de la prison.

7.Des mesures préventives doivent être prises afin d’éviter toute forme de représailles, y compris de la part des codétenus, à l’encontre des auteurs de plaintes visant l’administration de la prison.

8.Compte tenu de l’évolution reflétée à l’article 3.6 des Règles de Tokyo, dans les principes 3 et 4 des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, à l’article 13 b) et c) des Principes de base relatifs au rôle du barreau et dans le Principe 33 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, et compte tenu des travaux du SPT relatifs à la nécessité de «garanties procédurales et [de] garanties d’une procédure équitable applicables à la détention» et à «la notion de prévention» ainsi que des conséquences préjudiciables − tant au niveau organisationnel que procédural − de l’absence de cadre juridique approprié pour la protection des détenus et le respect de leurs droits, le SPT demande les modifications suivantes:

a)L’évolution des normes internationales doit se traduire par des modifications de l’article 35 de l’Ensemble de règles minima indiquant que le droit des détenus à la représentation juridique et à l’accès à la justice ne relève pas seulement des règles d’un procès équitable, mais est également nécessaire à la protection des droits spécifiques relatifs aux conditions et au régime de détention;

b)La protection ainsi offerte devrait permettre de veiller à ce que les règles d’une procédure équitable soient appliquées aussi bien aux prévenus qu’aux condamnés. Des mesures permettant aux détenus d’avoir accès à une aide juridictionnelle − qu’ils soient prévenus ou condamnés − sont nécessaires, particulièrement lorsqu’ils n’ont pas les moyens de rémunérer un avocat;

c)L’Ensemble de règles minima devrait tenir compte du fait que les affaires pénitentiaires sont très spécifiques et exigent des avocats ayant des compétences distinctes de celles de leurs confrères pénalistes.

B.Contact avec le monde extérieur/relations sociales et aide postpénitentiaire

9.Bien que l’article 37 de l’Ensemble de règles minima prévoie des contacts avec le monde extérieur, la manière dont le terme «autorisés» est utilisé dans le texte traduit une approche restrictive. La communication avec le monde extérieur devrait être considérée comme essentielle, et encouragée plutôt que tolérée.

10.Compte tenu du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des articles 9, 10, 20 et 21 de la Convention relative aux droits de l’enfant, des articles 18 et 25 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe, de l’article 17 de la Charte arabe des droits de l’homme et de l’article 28 des Règles de Bangkok, le SPT demande que les modifications suivantes soient apportées à l’Ensemble de règles minima:

a)L’administration pénitentiaire devrait encourager la communication entre les détenus et leurs proches et amis, sauf motif raisonnable et justifié. La communication doit se faire régulièrement par courrier, par téléphone ou par d’autres moyens, et par des visites. Lorsque le partenaire ou le conjoint d’un détenu ou bien des membres de sa famille lui rendent visite, des contacts physiques devraient être permis;

b)L’administration pénitentiaire devrait prévoir des conditions décentes pour les visites de sorte que les détenus puissent entretenir et renforcer leurs liens familiaux de manière naturelle − sans aucune discrimination. La fouille à corps d’un visiteur devrait être pratiquée dans le respect de la dignité de l’intéressé par un employé du même sexe.

C.Religion ou croyance

11.S’agissant de la religion ou de la croyance, l’Ensemble de règles minima met l’accent sur le droit d’entrer en contact avec le représentant d’une religion et de participer à des services religieux. Il est bon de fixer des règles en la matière, mais une disposition générale soulignant le respect et la tolérance dus à toutes les religions est souhaitable et recommandée.

12.Outre les modifications proposées, le SPT recommande d’ajouter à l’Ensemble de règles minima les éléments suivants.

1.Attention portée aux personnes en situation de vulnérabilité

13.L’Ensemble de règles minima propose des lignes directrices générales mais ne tient pas particulièrement compte des personnes en situation de vulnérabilité, à savoir notamment les femmes, les enfants, les ressortissants étrangers, les personnes souffrant de problèmes de santé, les personnes handicapées, ainsi que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres.

14.À cet égard, les aspects sociocriminologiques doivent être compris et pris en compte pour que les services apportés aux détenus soient adéquats, accessibles, acceptables et adaptables. Il conviendrait de prendre en considération:

a)Les besoins spécifiques en matière de soins de santé et d’hygiène, entre autres, des personnes en situation de vulnérabilité, notamment des femmes, des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, ne sont pas remplis. Il faut s’en occuper pendant la détention;

b)Les diverses circonstances dans lesquelles différents groupes commettent des infractions;

c)La stigmatisation et le sensationnalisme médiatique et leurs effets sur la vie personnelle et familiale, sur la honte éprouvée, sur l’étiquetage; leur rôle dans le cycle de la délinquance;

d)L’attitude du système judiciaire pénal et de la société à l’égard des groupes vulnérables peut être dure car l’on considère parfois que l’individu a non seulement commis une infraction mais a aussi transgressé son rôle et méconnu sa place dans la société, ce qui l’expose doublement au moment du prononcé de la peine, vu qu’il est souvent jugé plus sévèrement;

e)La majorité des personnes en situation de vulnérabilité qui sont en détention ont, à un moment de leur vie, subi des violences physiques, sexuelles ou psychologiques. Il convient d’en tenir compte pendant la détention;

f)Les violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, qu’elles soient le fait d’agents des forces de l’ordre ou d’autres détenus. Le viol et les rapports sexuels rémunérés sont un moyen de survie en prison: effets psychologiques, séquelles;

g)Les personnes en situation de vulnérabilité courent un risque plus important d’être atteintes du VIH/sida, de l’hépatite ou d’autres maladies transmissibles par le sang;

h)Les effets des fouilles à corps de routine: liens avec les abus subis par les personnes en situation de vulnérabilité;

i)L’accès limité à la justice lié aux difficultés socioéconomiques, qu’il s’agisse de pauvreté, d’éducation défaillante ou d’insuffisance de ressources;

j)Les programmes d’aide juridictionnelle insuffisamment financés et le manque de moyens des personnes prévenues ou condamnées ont, parmi d’autres facteurs, une incidence majeure sur le traitement reçu dans le système judiciaire et pénitentiaire.

2.Catégories spéciales de détenus

15.D’une manière générale, bien que les règles internationales en la matière deviennent de plus en plus détaillées et ciblées, des catégories spéciales de détenus ne sont pas mentionnées dans l’Ensemble de règles minima. Celui-ci devrait souligner certains aspects propres aux personnes vulnérables, comme indiqué ci-dessus, mais il devrait également prendre en considération les catégories suivantes:

a)Les condamnés à perpétuité:

La réclusion à perpétuité étant assez fréquemment prononcée dans la majorité des États Membres de l’Organisation des Nations Unies, le nombre de détenus concernés va continuer à augmenter, d’autant que la peine de mort est en voie d’abolition et que la condamnation à la perpétuité est considérée comme son remplacement logique. Malgré cela, il n’existe pas d’ensemble de règles généralement reconnues pour cette catégorie de détenus, à l’exception de dispositions générales dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans la Convention contre la torture. Il est donc absolument essentiel de réviser l’Ensemble de règles minima pour combler cette lacune, ce pour deux raisons:

Premièrement, les condamnés à la perpétuité ne devraient pas être systématiquement considérés et traités comme des détenus «dangereux», et le fait qu’une personne soit détenue à vie ne justifie pas qu’elle subisse un régime plus strict que ceux qui purgent une peine plus courte ni qu’elle soit placée à l’isolement;

Deuxièmement, les condamnés à la perpétuité devraient être placés dans des prisons bien protégées et avoir un accès libre à différentes activités, y compris à des traitements médicaux et/ou à des soins de réadaptation, à la culture et au sport. Ils devraient également être autorisés à aménager et personnaliser leur cellule à leur gré, dans les limites raisonnables fixées par la direction de l’établissement;

b)Les détenus «dangereux»:

Dans de nombreux systèmes pénitentiaires, il existe une catégorie de délinquants qui, pour diverses raisons, sont qualifiés de «dangereux». Ils sont déclarés tels car ils représentent une menace pour les autres détenus, pour l’institution dans laquelle ils se trouvent et pour la société dans son ensemble. Le fait qu’ils soient considérés comme «dangereux» ne signifie pas qu’il soit acceptable de restreindre leur liberté dans une mesure telle que cela constituerait une forme de torture ou de traitement inhumain;

Le SPT salue l’approche non restrictive et différenciée du Comité antitorture du Conseil de l’Europe, qui souligne que «les différentes notions de “dangerosité pour la société” (expressément mentionnée dans la législation), de dangerosité criminelle (risque de récidive) et de dangerosité psychiatrique (pathologie mentale) […] se prêtent à des interprétations très larges et subjectives, […]». Le SPT réaffirme que le placement à l’isolement de personnes privées de liberté ne devrait être imposé, en cas de nécessité, que comme une mesure de dernier ressort, mais de caractère temporaire, soumise à une surveillance médicale et sujette à réexamen. Le SPT demande que les modifications apportées à l’Ensemble de règles minima tiennent compte des éléments suivants:

a)Les personnes susceptibles de présenter un risque pour elles-mêmes ou pour autrui devraient être autorisées à avoir des contacts sociaux. Ceux-ci ne sauraient être exclus, d’autant qu’il a été constaté que certains détenus peuvent même perdre une partie de leur capacité à parler de manière fluide après plusieurs années à l’isolement;

b)Les mesures de sécurité ne devraient être appliquées que dans la mesure où elles sont justifiées (c’est-à-dire nécessaires et proportionnées) et raisonnables compte tenu de la situation de l’intéressé;

c)La qualification de «détenu dangereux» devrait faire l’objet de réévaluations.

D.Autres questions

1.Inspection indépendante

16.Les détenus sont vulnérables parce qu’ils sont détenus. Il devrait donc exister autant de garanties que possible en matière d’emprisonnement. L’inspection des prisons par des institutions publiques comme les mécanismes nationaux de prévention, les médiateurs ou d’autres entités, y compris les organisations internationales, est d’une importance cruciale. La société civile devrait également avoir un droit de regard sur les établissements pénitentiaires, ce qui pourrait être possible grâce à une plus grande transparence des prisons et du système de justice pénale. Les différents mécanismes de visite devraient être considérés comme complémentaires et non exclusifs. Les États devraient encourager et promouvoir les activités des organismes indépendants qui surveillent les conditions de détention et le traitement des détenus. Ces organismes devraient, en vertu de leur mandat, pouvoir accéder librement à l’établissement pénitentiaire et communiquer avec les détenus en toute confidentialité. Les organismes indépendants de surveillance devraient également être en mesure d’informer les autorités publiques responsables du système carcéral, et le public en général, des résultats de leurs activités.

17.L’Ensemble de règles minima devrait en outre souligner les différences qui existent entre les mécanismes de surveillance − par exemple dans leur compétence et leur mandat − qui contribuent à la variété des modalités d’intervention. Par exemple, la visite du mécanisme national de prévention et celle d’un médiateur (à noter que dans certains États le médiateur est le mécanisme national de prévention) peuvent être différentes; il peut s’agir de prévention ou d’une enquête faisant suite à une plainte. La visite d’un juge est encore différente. Le rôle des juges n’est pas d’apprécier les conditions de vie ou les autres questions relatives à la détention d’un point de vue préventif. En revanche, un juge se rend parfois dans une prison afin de rassembler les éléments qui lui permettront de se prononcer sur une affaire ou une plainte. Attribuer un rôle de surveillance aux juges et leur demander de présenter des recommandations (à visée préventive) pourrait nuire à leur fonction, qui est de statuer sur des cas.

2.Prévention de la torture

18.Certaines dispositions de l’Ensemble de règles minima devraient être utilisées pour aborder de manière spécifique la prévention de la torture et des mauvais traitements. Des mesures devraient être adoptées pour que toute blessure ou plainte puisse être enregistrée par un médecin qualifié lorsque le détenu arrive à la prison ou lorsqu’elle est signalée ou découverte. Lorsque des blessures sont constatées ou qu’une plainte pour mauvais traitement est formulée, le personnel pénitentiaire devrait immédiatement en informer les autorités chargées d’enquêter sur ce type d’allégations. De la même manière, l’accès du détenu à un médecin de son choix (que ce choix soit fondé sur la spécialité médicale ou le médecin lui-même) doit être garanti à cette fin.

3.Prisons privées

19.Il doit être précisé dans l’Ensemble de règles minima que celui-ci s’applique de la même manière aux prisons privées qu’aux prisons publiques. Les prisons privées devraient faire l’objet d’une surveillance spéciale du mécanisme national de prévention ou d’autres organes indépendants, comme un médiateur ou une commission parlementaire. Cela devrait être énoncé clairement.

4.Remplacement des notions ou termes désuets

20.Les notions et termes donnant l’impression que les détenus sont traités comme des patients ou des personnes ayant besoin de traitements ou d’une réadaptation devraient être entièrement écartés. Une conception fondée sur les droits de l’homme, qui met en valeur la responsabilisation, les droits, les obligations et les règles d’une procédure équitable, devrait être retenue et encouragée s’agissant par exemple de la terminologie relative aux personnes souffrant de troubles mentaux.

21.Les décisions quant aux lieux et secteurs dans lesquels un détenu doit être placé doivent se fonder sur l’observation du comportement de l’intéressé en détention et sur le bon sens, compte tenu de faits objectifs. À cet égard, il ne convient pas de «cataloguer» un détenu.

22.Il est préférable d’éviter les postulats qui voudraient que les personnes condamnées pour infraction sont dénuées de respect de soi ou de sens des responsabilités, qu’elles doivent montrer qu’elles font des progrès ou qu’elles doivent être évaluées selon des critères de pathologie.

23.Même si, dans certains pays, les prisons ne font pas partie du système judiciaire pénal (c’est-à-dire qu’elles relèvent non pas du pouvoir judiciaire mais d’autorités administratives auxiliaires), elles doivent respecter les jugements et les peines prononcés, qui leur donnent l’autorité légitime de détenir des personnes. Les prisons doivent fonctionner dans les limites légitimes de leur pouvoir, dans le cadre de la loi et dans le respect des droits de l’homme. Aucune autorité administrative n’a le droit d’accroître de sa propre initiative la peine prononcée par un juge.

24.Il convient de revenir sur les affirmations et conclusions admettant qu’un détenu puisse se voir infliger une réduction de nourriture à titre de sanction, quelles que soient les circonstances.

25.La liberté de conscience des détenus doit être respectée à tout moment. Les études de la personnalité mentionnées dans l’Ensemble de règles minima devraient être totalement abandonnées, comme devrait l’être toute tentative de modifier la personnalité propre du détenu. L’attention devrait au contraire être concentrée sur les services fournis par les institutions, sur la bonne gouvernance et sur la responsabilisation.