Nations Unies

CCPR/C/IRQ/CO/6

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 août 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le sixième rapport périodique de l’Iraq *

1.Le Comité a examiné le sixième rapport périodique de l’Iraq à ses 3846e, 3847e et 3848e séances, qui se sont tenues les 7 et 8 mars 2022 sous forme hybride en raison des restrictions imposées dans le contexte de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). À sa 3870e séance, le 23 mars 2022, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le sixième rapport périodique de l’Iraq et les renseignements qu’il contient. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures que ce dernier a prises pendant la période considérée pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites apportées à la liste de points, qui ont été complétées oralement par la délégation pendant le dialogue, ainsi que des renseignements supplémentaires qui lui ont été communiqués par écrit.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives et institutionnelles ci-après :

a)L’adoption, en juillet 2021, du plan national des droits de l’homme pour 2021‑2025 ;

b)L’adoption, en mars 2021, de la loi sur les survivantes yézidies ;

c)La publication en 2020 de l’arrêté administratif no29 portant création d’un comité permanent chargé d’enquêter sur les affaires de corruption de haut niveau et d’autres infractions pénales importantes ;

d)L’adoption de la loi no 31 de 2019 sur la Haute Commission électorale ;

e)La mise en place en 2019 d’un mécanisme national chargé de suivre la mise en œuvre des recommandations internationales ;

f)L’adoption de la loi relative au redressement des détenus provisoires ou condamnés (loi no 14 de 2018) ;

g)L’adoption de la loi sur l’intégration de l’Institut de la magistrature au Conseil supérieur de la magistrature (loi no 70 de 2017) ;

h)Le lancement, en 2017, de la politique nationale de protection de l’enfance.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité du Pacte en droit interne

4.Le Comité note que les traités peuvent être appliqués par les tribunaux une fois qu’ils ont été intégrés dans la législation nationale par une loi spécifique, mais regrette qu’aucun exemple à ce sujet n’ait été fourni par l’État partie. Il constate aussi que l’État partie n’a toujours pas adhéré au premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte (art. 2). Il se demande également avec préoccupation si l’article 2 de la Constitution de l’État partie est compatible avec le Pacte.

5.Rappelant ses précédentes recommandations , le Comité engage l ’ État partie à redoubler d ’ efforts pour faire connaître le Pacte aux juges, aux avocats et aux procureurs et les sensibiliser à son applicabilité en droit interne afin de garantir que ses dispositions soient prises en compte par les tribunaux. Le Comité engage également l ’ État partie à envisager d ’ adhérer au premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui instaure une procédure de communications émanant de particuliers. L ’ État partie devrait également prendre des mesures pour assurer que sa c onstitution, en particulier l ’ article 2, soit compatible avec le Pacte.

Institution nationale des droits de l’homme

6.Le Comité note que le report de la nomination des nouveaux membres de la Haute Commission des droits de l’homme s’explique par l’attente de l’issue des processus en cours pour élire le nouveau Président de l’Iraq et le nouveau Président du Conseil des ministres. Le Comité s’inquiète de ce que la procédure de nomination des membres de la Haute Commission des droits de l’homme n’en garantit pas l’indépendance vis-à-vis des partis politiques. Il note aussi que, selon la loi no 53/2008 portant création de la Haute Commission des droits de l’homme, un tiers au moins des membres de celle-ci doivent être des femmes. Il regrette toutefois que, toujours selon cette loi, un seul membre titulaire et un seul membre suppléant doivent être issus d’une minorité et la représentation de la société civile n’est pas exigée.

7. Le Comité engage l ’ État partie à prendre les mesures nécessaires pour que les groupes minoritaires ainsi que la société civile soient suffisamment représentés au sein de la Haute Commission des droits de l ’ homme . L’ État partie devrait également poursuivre ses efforts pour que la Commission dispose de ressources financières et humaines suffisantes, qu ’ elle soit accessible à toutes les personnes sur tout le territoire de l ’ État partie, que toutes les autorités publiques coopèrent pleinement avec elle et qu ’ elle soit en mesure de s ’ acquitter de son mandat de manière efficace et indépendante, conformément aux principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (les Principes de Paris).

Lutte contre l’impunité et les violations des droits de l’homme commises par le passé

8.Le Comité note avec intérêt qu’un projet de loi sur la protection des personnes contre les disparitions forcées est actuellement devant le Conseil des ministres pour approbation finale. Il salue la création d’une unité d’enquête sur les crimes commis par Daech dans le cadre de la réduction en esclavage de femmes et d’enfants kurdes yézidis et de personnes appartenant à d’autres communautés, et d’un organe judiciaire spécial chargé d’enquêter sur les crimes commis contre les Yézidis dans le gouvernorat de Ninive. Il salue également la mise en place de deux commissions d’établissement des faits, en 2016 et 2018, chargées d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme et de garantir l’établissement des responsabilités en ce qui concerne les manifestations de 2019. Il regrette toutefois l’absence d’informations concernant les résultats de ces commissions et la mise en œuvre éventuelle de leurs recommandations. En outre, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles, malgré un grand nombre de cas de violence présumée, il y a eu très peu de poursuites. Il regrette également l’absence d’informations concernant le nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées contre les auteurs de violences sexuelles visant les femmes yézidies, ainsi que le type de sanctions imposées. Il prend note avec inquiétude des informations concernant des représailles exercées à l’égard des activistes qui prônent l’établissement des responsabilités et des juges et enquêteurs travaillant sur des affaires liées aux violences commises lors des manifestations. En outre, le il se déclare préoccupé par les informations selon lesquelles des disparitions forcées continuent de se produire (art. 3, 6, 7, 9, 14 et 26).

9. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De prendre les mesures nécessaires pour rapidement mener des enquêtes et engager des poursuites sur toutes les allégations de violations des droits humains, notamment d’ infractions sexuelles commises par des membres de Daech pendant le conflit armé à l ’ encontre de femmes et de filles yézidies, et les violations qui se sont produites dans le cadre des manifestations de 2019 et 2020, en particulier les allégations de disparitions forcées, de détention arbitraire, et de torture et autres violences ;

b) De veiller à ce que les auteurs soient punis et que les peines infligées soient proportionnelles à la gravité de l ’ infraction, sans toutefois inclure la peine de mort, et à ce que les victimes ou les membres de leur famille reçoivent une réparation complète ;

c) De veiller à l ’ adoption rapide du projet de loi sur la protection des personnes contre les disparitions forcées, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser cette pratique.

Égalité entre hommes et femmes

10.Le Comité salue l’information donnée par l’État partie qui dit s’employer à renforcer la participation active des femmes à la vie publique et politique et constater que ces efforts ont porté leurs fruits lors des dernières élections. Il est néanmoins préoccupé par la faible représentation des femmes aux plus hauts niveaux du Gouvernement, dans la magistrature et au sein du ministère public (art. 2, 3 et 26).

11.L ’ État partie devrait prendre des mesures plus énergiques pour garantir l ’ égalité de jure et de facto entre les hommes et les femmes. En particulier, il devrait :

a) Redoubler d ’ efforts pour accroître la représentation des femmes dans la vie publique, en particulier aux plus hauts niveaux du Gouvernement, dans la magistrature et au sein du ministère public ;

b) Redoubler d ’ efforts pour éliminer les stéréotypes de genre concernant les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et dans la société.

Non-discrimination

12.Le Comité prend note de l’information donnée par l’État partie selon laquelle la législation iraquienne ne contient aucune disposition discriminatoire à l’égard des membres de certains groupes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ; il est néanmoins préoccupé par les informations persistantes concernant des discriminations et des violences, notamment des enlèvements, viols, actes de torture et meurtres, visant des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelle ou supposée, ainsi que par la stigmatisation et l’exclusion sociale de ces personnes et par le fait que ces infractions graves ne font pas l’objet d’enquêtes et de sanctions. En outre, le Comité note avec regret que l’État partie n’envisage pas de réviser les articles 394 et 401 du Code pénal qui, selon certaines informations, ont été utilisés pour poursuivre des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre (art. 2, 3, 7 et 26).

13. Conformément aux précédentes recommandations du Comité , l ’ État partie devrait veiller à ce que toute personne puisse, indépendamment de son orientation sexuelle ou de son identité de genre réelle ou supposée, jouir pleinement de tous les droits de l ’ homme consacrés par le Pacte. En particulier, le Comité recommande à l ’ État partie :

a) D ’ envisager de promulguer une législation antidiscrimination complète qui protège pleinement et efficacement contre la discrimination dans tous les domaines, et qui contient une liste exhaustive des motifs de discrimination interdits, dont l ’ orientation sexuelle et l ’ identité de genre ;

b) De prendre des mesures pour combattre les stéréotypes et les attitudes négatives visant des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ;

c) D ’ adopter des mesures concrètes, notamment la mise en place de programmes de formation et de sensibilisation destinés à la police et à l ’ appareil judiciaire, y compris le ministère public, afin de prévenir effectivement les actes de discrimination et de violence à l ’ encontre de ces personnes ;

d) De veiller à ce que tous les actes de violence commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre fassent l ’ objet d ’ une enquête rapide et efficace, que les auteurs soient traduits en justice et que les victimes soient indemnisées ;

e) De prendre des mesures pour garantir que la législation existante contenant de vagues notions de moralité et de décence ne soit pas utilisée pour criminaliser les actes de certaines personnes, en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

Violence à l’égard des femmes

14.Le Comité prend note avec intérêt du projet de loi sur la violence domestique et de la stratégie de lutte contre la violence fondée sur le genre, deux textes à l’examen au Parlement. Il salue l’initiative visant à modifier le Code pénal moyennant la suppression de l’article 41 (par. 1), selon lequel un mari est en droit de punir sa femme, et la modification de l’article 398, selon lequel une personne accusée de viol peut éviter les poursuites en épousant la victime. Le Comité est néanmoins préoccupé par le fait que des dispositions législatives discriminatoires à l’égard des femmes subsistent dans le Code pénal, comme l’article 393, relatif au viol, et l’article 409, qui prévoit des peines clémentes pour les crimes dits « d’honneur » dans certaines circonstances, et dans la loi de 1959 relative au statut personnel, dont l’article 3 (par. 4) autorise la polygamie dans certaines circonstances (art. 2, 3, 7, 23 et 26).

15. L ’ État partie devrait :

a) Accélérer l ’ adoption du projet de loi sur la violence domestique, poursuivre la révision de sa législation nationale et abroger ou modifier, de manière à se conformer au Pacte, toutes les dispositions qui sont discriminatoires à l ’ égard des femmes et autorisent la violence envers elles, notamment les articles 393 et 409 du Code pénal et l ’ article 3 (par. 4) de la loi relative au statut personnel ;

b) Renforcer encore les programmes de formation, d ’ éducation et de sensibilisation à la lutte contre la violence domestique destinés à la police, à l ’ appareil judiciaire, y compris le ministère public, ainsi qu ’ au personnel de la Direction de la protection de la famille et de l ’ enfance contre la violence domestique et d ’ autres services publics concernés, et a u grand public.

Mesures de lutte contre le terrorisme

16.Le Comité prend note du fait qu’un amendement à la loi sur la lutte contre le terrorisme a été soumis au Conseil des ministres dans le cadre du processus législatif et que la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme a été transmise aux ministères concernés aux fins d’application. Il réitère ses observations antérieures concernant la définition trop large du terrorisme contenue dans la loi sur la lutte contre le terrorisme et l’application de la peine de mort pour des infractions dépassant largement le cadre fixé à l’article 6 (par. 2) du Pacte (art. 9 et 14).

17. L ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que sa législation de lutte contre le terrorisme, y compris le projet d ’ amendement de la loi sur la lutte contre le terrorisme et la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, soit conforme aux normes internationales relatives aux droits de l ’ homme, notamment en définissant le terrorisme de manière plus précise, en limitant le recours aux déclarations anonymes, en assurant la pleine participation des victimes et des témoins aux procès et en veillant au plein respect des garanties d ’ un procès équitable. L ’ État partie est également invité à s ’ abstenir de l ’ imposition automatique de la peine de mort pour les infractions à la loi sur la lutte contre le terrorisme.

Droit à la vie

18.Le Comité dit une nouvelle fois sa préoccupation quant au fait que des infractions qui ne répondent pas au critère des « crimes les plus graves » au sens de l’article 6 (par. 2) du Pacte sont passibles de la peine de mort, que la peine de mort reste automatique pour certaines infractions et que certains crimes passibles de la peine de mort sont explicitement exclus du bénéfice de la grâce spéciale. En outre, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des condamnations à mort sont encore fréquemment prononcées (art. 6 et 14).

19.Compte tenu de l ’ observation générale n o 36 (2018) et des précédentes recommandations , s ’ il maintient la peine de mort, l ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires, y compris d ’ ordre législatif, pour faire en sorte qu ’ elle soit réservée aux crimes les plus graves et qu ’ elle ne soit jamais automatique , et que la grâce ou la commutation de peine puissent dans tous les cas être accordées, indépendamment de l ’ infraction commise. L ’ État partie devrait également veiller à ce que, en tout état de cause, la peine de mort ne soit jamais imposée en violation du Pacte, notamment en violation des garanties d ’ un procès équitable. Le Comité engage l ’ État partie à dûment envisager d ’ abolir la peine de mort et d ’ adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.

Interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

20.Le Comité note avec intérêt qu’un projet de loi contre la torture est en cours d’examen devant le Conseil d’État, mais regrette qu’il ne prévoie pas l’adhésion à un mécanisme de communications émanant de particuliers. En outre, le Comité réitère sa préoccupation quant au fait que la législation pénale de l’État partie n’incrimine pas comme il convient les actes répondant à la définition internationalement acceptée de la torture. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les personnes placées en garde à vue ou dans des centres de détention seraient couramment victimes de torture et de mauvais traitements, les aveux obtenus par la torture seraient admis par les tribunaux s’ils sont corroborés par d’autres éléments de preuve, et les détenus qui signalent des cas de torture risqueraient des représailles. Le Comité note que le personnel des organes d’inspection, comme la Haute Commission iraquienne des droits de l’homme, a la possibilité de visiter les prisons et les lieux de détention, mais regrette que le calendrier de ces visites doive être convenu au préalable avec les autorités compétentes (art. 7 et 9).

21. L ’ État partie devrait :

a) Prendre les mesures nécessaires pour accélérer l ’ adoption du projet de loi contre la torture, en veillant dans le même temps à ce que sa définition de la torture soit pleinement compatible avec l ’ article 7 du Pacte et les autres normes établies au niveau international et qu ’ elle interdise clairement la torture ou les peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants en toutes circonstances ;

b) Prendre des mesures concrètes pour prévenir la torture et les mauvais traitements, notamment au moyen de programmes de formation destinés à la police et l ’ appareil judiciaire, y compris le ministère public et le personnel pénitentiaire, ainsi que de programmes de sensibilisation destinés aux détenus, et veiller à ce que toutes les allégations de ce type fassent rapidement l ’ objet d ’ une enquête indépendante et approfondie, à ce que les auteurs soient traduits en justice et dûment sanctionnés et à ce que les victimes reçoivent une réparation intégrale ;

c) Veiller à ce que les aveux obtenus en violation de l ’ article 7 du Pacte ne soient en aucun cas admis par les tribunaux et à ce que ce soit à l ’ accusation qu ’ il incombe de prouver que les aveux ont été volontaire s  ;

d) Veiller à ce que les organes d ’ inspection puissent effectuer des visites inopinées dans les prisons et les centres de détention et à ce que toute recommandation ou tout rapport découlant de ces visites fasse l ’ objet d ’ un suivi.

Liberté et sécurité de la personne et traitement des personnes privées de liberté

22.Le Comité prend note de l’indication de l’État partie selon laquelle il n’existe pas de lieux de détention secrets, mais reste néanmoins préoccupé par les informations contraires et les allégations selon lesquelles des personnes auraient été détenues dans de tels lieux. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles des arrestations arbitraires seraient effectuées régulièrement sur la base d’informations non divulguées et sans mandat, et il s’inquiète du grand nombre de personnes maintenues en détention provisoire pendant des périodes dépassant celles prévues par le droit interne. Le Comité est en outre préoccupé par le fait que, malgré les efforts déployés par l’État partie pour accroître la capacité d’accueil et améliorer les conditions dans les prisons et les centres de détention, des conditions inacceptables persistent, notamment la surpopulation et le manque d’accès aux services médicaux pour les détenus, ainsi que le déni des garanties procédurales, telles que l’accès à un conseil et les contacts avec la famille (art. 7, 9 et 10).

23. L ’ État partie devrait adopter les mesures nécessaires pour garantir que toute personne arrêtée ou détenue bénéficie, en pratique, dès le début de la privation de sa liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales énoncées à l ’ article 9 du Pacte. En particulier, il devrait faire en sorte que :

a) La privation de liberté respecte pleinement les dispositions du Pacte et l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (les Règles Nelson Mandela), notamment en ce qui concerne l ’ accès à un avocat, le droit de contacter sa famille et l’obtention de soins médicaux si nécessaire ;

b) Les détenus soient uniquement placés dans d es centres de détention officiels et que tous les centres secrets soient fermés ou placés sous le contrôle du G ouvernement ;

c) Les périodes prévues pour la détention provisoire soient respectées afin d ’ éviter des périodes de détention excessives ;

d) Les efforts visant à rénover les prisons et les lieux de détention, à en accroître la capacité et à en améliorer les conditions de détention soient encore renforcés ;

e) Des solutions de substitution à la détention provisoire et à l ’ emprisonnement soient créées et appliquées dans la mesure du possible.

Traitement des étrangers, réfugiés, demandeurs d’asile et personnes déplacées

24.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des femmes et des enfants vivant dans les camps de personnes déplacées sont victimes de discrimination et de stigmatisation en raison de leurs liens supposés avec Daech, se voyant notamment refuser l’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins de santé et l’accès à des documents d’identité, et étant soumis à la violence sexuelle, y compris le viol et l’exploitation sexuelle. Le Comité est en outre préoccupé par le fait que de nombreuses femmes et enfants yézidis sont toujours retenus en captivité par des membres de Daech en Iraq (art. 2, 6, 7, 9, 10, 12, 13 et 25).

25. L ’ État partie devrait :

a) Redoubler d ’ efforts pour assurer le retour des déplacés vers leur ancien lieu de résidence ou leur pleine intégration dans la société dans de nouveaux lieux de résidence appropriés, dans le but de fermer les camps restants dès que possible ;

b) Veiller à ce que toutes les personnes se trouvant dans les camps restants, y compris celles ayant peut-être des liens avec Daech, bénéficient sans discrimination d ’ un niveau de vie et de sécurité adéquat ;

c) Faciliter le dépôt de plaintes par les victimes, en assurer un suivi effectif, et enquêter effectivement sur toutes les allégations de violations des droits de l ’ homme commises dans les camps de déplacés, et dûment sanctionner les auteurs de ces violations, en particulier les responsables de violences sexuelles et d ’ exploitation des femmes et des filles ;

d) Faire tout ce qui est possible pour libérer les femmes et les enfants yézidis retenus en captivité par des membres de Daech en Ira q .

Accès à la justice et indépendance du pouvoir judiciaire

26.Le Comité sait que le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire est inscrit dans la Constitution, mais fait observer que des dispositions législatives ne suffisent pas à elles seules à garantir l’indépendance et l’impartialité. Il reste préoccupé par les informations selon lesquelles, dans la pratique, le pouvoir judiciaire n’est ni totalement indépendant ni impartial, notamment dans les affaires concernant des personnes soupçonnées d’être liées à Daech, et les juges et les procureurs sont souvent influencés par des pressions politiques, des forces tribales ou des intérêts religieux. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles les garanties d’une procédure équitable sont fréquemment violées dans la pratique, en particulier dans les affaires de terrorisme, et ce, tant dans le système judiciaire officiel que devant les juridictions tribales (art. 2 et 14).

27. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la pleine indépendance et l ’ impartialité totale du pouvoir judiciaire et du ministère public dans la pratique et garantir leur liberté d ’ agir sans aucun type de pression ou d ’ interférence indue s . L ’ État partie devrait également veiller à ce que toutes les procédures judiciaires, y compris celles qui se déroulent devant les juridictions tribales, soient menées dans le plein respect des garanties d ’ un procès équitable consacrées à l ’ article 14 du Pacte.

Élimination de l’esclavage et de la servitude

28.Le Comité prend note avec intérêt de la proposition visant à modifier la loi contre la traite des êtres humains afin de combler les failles juridiques, de l’indication de l’État partie selon laquelle le plan national de lutte contre la traite des êtres humains, appliqué depuis 2019, a eu des résultats positifs et de son intention de créer des refuges pour les victimes de la traite dans chacun des gouvernorats du pays. Il est cependant préoccupé par le fait que la traite interne et transfrontière des femmes et des enfants prend de l’ampleur. Il se dit également préoccupé par les allégations selon lesquelles les mariages forcés et temporaires sont parfois utilisés pour déguiser la traite de femmes à l’intérieur de l’État partie et vers les pays voisins (art. 8).

29. L ’ État partie devrait continuer d ’ intensifier les actions menées pour combattre, prévenir, éliminer et réprimer la traite interne et transfrontière des êtres humains et le travail forcé. En particulier, il devrait :

a) Accélérer la modification de la loi contre la traite des êtres humains, en veillant à ce qu ’ elle comble toutes les failles juridiques, notamment l ’ utilisation des mariages forcés et temporaires à des fins de traite ;

b) Veiller à ce que toutes les affaires de traite des êtres humains et de travail forcé fassent l ’ objet d ’ enquêtes approfondies, à ce que les auteurs soient traduits en justice et dûment sanctionnés et à ce que les victimes obtiennent pleinement réparation et aient accès à un dispositif de protection, y compris à des refuges suffisamment équipés ;

c) Former les agents du système judiciaire, y compris le ministère public, les agents chargés de l ’ application des lois et de la police des frontières, sur l ’ identification précoce des femmes et des filles victimes de la traite.

Liberté de conscience et de religion

30.Le Comité se déclare préoccupé par l’existence de dispositions juridiques qui portent atteinte aux garanties énoncées dans le Pacte au sujet de la liberté de religion et de conviction, notamment l’article 17 de la loi relative au statut personnel, qui ne permet pas à une musulmane d’épouser un non-musulman, et l’article 26 de la loi sur la carte d’identité nationale unifiée, qui ne permet pas à un musulman de se convertir à une autre religion et dispose que tout enfant né d’un mariage entre un musulman et un non-musulman est identifié comme musulman. Le Comité est également préoccupé par le fait que la loi no 105 interdisant la pratique de la foi bahá’í reste en vigueur. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie a refusé de reconnaître certains groupes religieux, ce qui fait que les lieux de culte, en particulier les églises évangéliques, ne peuvent pas s’enregistrer légalement (art. 2, 18 et 26).

31.Le Comité engage l ’ État partie à prendre immédiatement des mesures pour modifier la législation pertinente, notamment la loi relative au statut personnel, la loi sur la carte d ’ identité nationale unifiée et la loi n o 105, afin qu ’ elle soit pleinement compatible avec l ’ article 18 du Pacte. L ’ État partie devrait également veiller à ce que l ’ enregistrement des organisations religieuses se fasse sur la base de critères clairs et objectifs, compatibles avec les obligations mises à la charge de l ’ État partie par le Pacte .

Liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association

32.Bien que l’article 38 de la Constitution iraquienne garantisse la liberté d’expression et de réunion, le Comité note avec regret que le Code pénal comporte des dispositions susceptibles de restreindre la liberté d’expression, comme l’article 433 sur la diffamation et l’insulte. Il se déclare préoccupé par les informations selon lesquelles la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique ont été violées dans le contexte des manifestations de 2019 et 2020, notamment par la répression de la couverture médiatique des manifestations moyennant une fermeture des médias et un ralentissement de la vitesse d’Internet, par l’emploi, par les forces de sécurité, d’une force excessive contre les manifestants, entraînant des blessures et des décès, et par des disparitions forcées présumées. Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles des journalistes et des professionnels des médias ont subi des attaques et des actes d’intimidation de la part d’acteurs étatiques que non étatiques et ont été empêchés, par les forces de sécurité, d’exercer leur profession. Il note que le projet de loi sur la liberté d’expression et d’opinion et le droit de réunion et de manifestation pacifique, actuellement à l’examen à la Chambre des députés, a fait l’objet d’une procédure accélérée devant permettre son adoption rapide (art. 6, 19, 21, 22, 25 et 26).

33.L ’ État partie devrait veiller à ce que le projet de loi sur l a liberté d ’ expression et d ’ opinion et le droit de réunion et de manifestation pacifique permette le plein exercice des droits à la liberté d ’ expression, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d ’ association prévus par le Pacte (art . 2, 19, 21 et 22). L ’ État partie devrait également prendre toutes les mesures nécessaires pour que les journalistes et les professionnels des médias soient libres de mener à bien leur travail sans crainte de violence ou de représailles. Il devrait enquêter rapidement et en tout impartialité sur les allégations de menaces ou de violences visant de s journalistes et de s manifestants et faire rendre des comptes aux auteurs de ces actes.

Droits de l’enfant

34.Le Comité note que la politique nationale de protection de l’enfance de l’État partie, qui vise à protéger en priorité les enfants dans les zones de déplacement et dans les zones libérées, est en cours d’application et qu’un projet de loi sur la protection de l’enfance est en cours d’élaboration. Il note avec regret que la loi sur les cartes d’identité nationales impose qu’un enfant né d’un parent musulman est automatiquement inscrit comme musulman, ce qui crée des difficultés pour les enfants nés des viols de femmes yézidies qui étaient retenues en captivité par Daech. Le Comité note qu’un comité spécialisé a été créé pour examiner la manière de traiter les problèmes rencontrés par les enfants nés à la suite de violences sexuelles et les enfants nés de parents perçus comme membres de Daech, dans le cadre de la loi (art. 8 et 24).

35. Le Comité exhorte l ’ État partie à accélérer l ’ adoption du projet de loi sur la protection de l ’ enfance, en veillant à ce qu ’ il assure la pleine protection des droits de l ’ enfant, conformément au Pacte et aux autres instruments internationaux auxquels l ’ État est partie. Il engage également l ’ État partie à envisager de modifier la loi sur les cartes d ’ identité nationales afin de prendre en compte la situation des enfants nés de mères non musulmanes lorsque le père est inconnu ou absent de la vie de l ’ enfant, en particulier les enfants nés de viols de femmes yézidies précédemment retenues en captivité par Daech.

Âge minimum de la responsabilité pénale

36.Le Comité note avec satisfaction qu’un amendement à la loi sur la protection des mineurs (no 76 de 1983) a été présenté pour relever l’âge minimum de la responsabilité pénale de 9 à 11 ans et que l’âge minimum de la responsabilité pénale au Kurdistan est déjà de 11 ans (art. 9 et 14).

37. Le Comité engage l ’ État partie à accélérer la modification de la loi sur la protection des mineurs et à envisager de relever encore l ’ âge minimum de la responsabilité pénale afin qu ’ il corresponde aux normes acceptées au niveau international.

Pratiques préjudiciables

38.Le Comité est préoccupé par les informations persistantes concernant des mariages précoces malgré la législation fixant l’âge minimum du mariage. Même si les mutilations génitales féminines sont rares en dehors de certaines zones du Kurdistan, le Comité note qu’elles continuent néanmoins d’être pratiquées dans l’État partie et regrette qu’elles n’aient pas été explicitement interdites et érigées en infractions pénales sur tout le territoire de l’État partie (art. 7).

39. Conformément aux précédentes recommandations du Comité , l ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour prévenir et éliminer les pratiques préjudiciables qui sont discriminatoires à l ’ égard des femmes et des filles, en particulier les mariages précoces et les mutilations génitales féminines, notamment en prenant des mesures plus énergiques pour sensibiliser le public à leurs effets négatifs. Il devrait également veiller à interdire et à ériger en infractions pénales toutes les formes de mutilations génitales féminines sur l ’ ensemble de son territoire et à faire appliquer efficacement la législation pénale idoine dans la Région du Kurdistan.

Participation à la conduite des affaires publiques

40.Tout en reconnaissant que le Code électoral (loi no 9) de 2020 prévoit des sièges parlementaires pour un certain nombre de communautés minoritaires (chrétienne, yézidie, sabéenne-mandéenne, shabak et kurde feyli), le Comité note avec regret que les Iraquiens d’ascendance africaine ne se sont vu attribuer aucun quota et que, selon certaines informations, ils ne sont pas suffisamment représentés dans la vie publique (art. 25 et 26).

41. Conformément aux recommandations du Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale , l ’ État partie, y compris le Gouvernement de la Région du Kurdistan, devrait prendre des mesures pour veiller à ce que les minorités ethniques ou ethnico-religieuses, y compris les Iraquiens d ’ ascendance africaine et, en particulier, les femmes de ce groupe minoritaire, soient représentées dans les organes électifs et les fonctions publiques en proportion de leur poids démographique réel dans la société, et devrait envisager de réviser le Code électoral pour établir un quota pour les Iraquiens d ’ ascendance africaine.

D.Diffusion et suivi

42. L ’ État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son sixième rapport périodique, des réponses écrites à la liste des points établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays ainsi qu ’ auprès du grand public pour faire mieux connaître les droits consacrés par le Pacte. L ’ État partie devrait faire en sorte que le rapport et les présentes observations finales soient traduits dans son autre langue officielle.

43. Conformément à l ’ article 75 (par. 1) du règlement intérieur du Comité, l ’ État partie est invité à faire parvenir, le 25 mars 2025 au plus tard, des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 9 (justice transitionnelle), 17 (mesures de lutte contre le terrorisme) et 21 (interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) ci-dessus.

44.Conformément au calendrier prévu par le Comité pour la présentation des rapports, l ’ État partie recevra en 2028 la liste de points établie avant la soumission du rapport et aura un an pour présenter ses réponses à la liste de points, qui constitueront son septième rapport périodique. Il demande également à l ’ État partie, lorsqu ’ il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l ’ Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l ’ État partie se tiendra en 2030, à Genève.