Nations Unies

CCPR/C/ETH/CO/2

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 décembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le deuxième rapport périodique de l’Éthiopie *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le deuxième rapport périodique de l’Éthiopie à ses 3929e et 3930e séances, les 17 et 18 octobre 2022. À sa 3946e séance, le 31 octobre 2022, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de l’Éthiopie et les renseignements qu’il contient. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la période considérée pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites apportées à la liste de points, qui ont été complétées oralement par la délégation, ainsi que des renseignements supplémentaires qui lui ont été communiqués par écrit.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives ci-après :

a)La loi no 1234/2021, qui définit, entre autres, le cadre institutionnel permettant d’engager des poursuites en cas de violation des droits de l’homme, en 2021 ;

b)La loi no 1224/2020, qui vise à renforcer l’indépendance et l’autonomie de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, en 2020 ;

c)La loi no 1178/2020 relative à la prévention et à l’élimination de la traite et du trafic d’êtres humains, qui met en place différents mécanismes préventifs et répressifs visant à lutter contre la traite des personnes, en 2020 ;

d)La loi no 1110/2019 sur les réfugiés, qui permet à ceux-ci d’obtenir un permis de travail, d’accéder à l’enseignement primaire, de passer leur permis de conduire et de faire enregistrer les faits d’état civil, en 2019.

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), le 13 février 2020 ;

b)Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo), en 2018 ;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 14 mai 2014 ;

d)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 25 mars 2014.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Cadre constitutionnel et juridique de la mise en œuvre du Pacte

5.Le Comité salue les mesures qui ont été prises pour faire mieux connaître les dispositions du Pacte aux agents de l’État et à la population en général, notamment la traduction du Pacte dans deux langues nationales supplémentaires. Il salue également la mise en place en 2016 d’un mécanisme national d’établissement de rapports et de suivi chargé de coordonner et d’appuyer l’application effective des instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Éthiopie est partie. En ce qui concerne la Commission éthiopienne des droits de l’homme, le Comité note qu’elle a été accréditée avec le statut « A » par l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme en décembre 2021, après que des mesures ont été prises en application de la loi no 1224/2020 (art. 2) pour renforcer son indépendance, son efficacité et sa transparence. Il prend note des circonstances particulières dans lesquelles l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie s’effectue, à savoir la situation de conflit qui perdure depuis novembre 2020 dans le nord du pays et les difficultés rencontrées par l’État central pour reprendre le contrôle de l’intégralité de son territoire. Rappelant son observation générale no 31 (2004), le Comité tient néanmoins à souligner que les difficultés qui peuvent empêcher l’État partie de contrôler effectivement certaines parties de son territoire ne l’exonèrent pas de l’obligation de mettre tout en œuvre pour garantir le plein respect des droits énoncés dans le Pacte à toute personne se trouvant sur son territoire. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas encore ratifié le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte (art. 2).

6. L’État partie devrait :

a) Institutionnaliser le mécanisme national d’établissement de rapports et de suivi et renforcer encore sa capacité opérationnelle pour qu’il puisse s’acquitter de son mandat, notamment en assurant un suivi systématique, régulier et coordonné de l’exécution des obligations conventionnelles et de l’application des recommandations émanant des mécanismes internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme  ;

b) Continuer de soutenir la Commission éthiopienne des droits de l’homme, notamment en lui assurant un financement suffisant pour lui permettre d’exercer ses fonctions et en prenant les mesures stratégiques, juridiques, administratives ou autres nécessaires pour appliquer les recommandations qu’elle formule dans ses rapports  ;

c) Poursuivre ses efforts visant à faire connaître le Pacte, notamment en le traduisant dans toutes les langues nationales et en menant des actions de sensibilisation dans les États régionaux  ;

d) V eiller , à la lumière de l’observation générale n o 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, à ce que les obligations découlant du Pacte soient respectées sur l’ensemble du territoire national  ;

e) Envisager de ratifier le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

État d’urgence

7.Le Comité note avec préoccupation qu’un certain nombre de dispositions adoptées pendant les périodes d’état d’urgence déclarées au cours de la période considérée n’étaient pas conformes aux obligations de l’État partie en matière de notification, de légalité, de nécessité et de proportionnalité. En particulier, il est préoccupé par le fait que la loi no 05/2021 instaurant l’état d’urgence (du 2 novembre 2021 au 15 février 2022) dans le contexte du conflit dans le nord du pays contenait des dispositions d’une portée excessivement large permettant de procéder à l’arrestation et à la détention massives de personnes qui auraient soutenu des groupes rebelles et d’infliger des peines disproportionnées pour des infractions mineures comme le fait de « se déplacer sans carte d’identité ». Il est préoccupé par le fait que l’État partie a suspendu tout contrôle juridictionnel de l’application de la loi, y compris de la légalité des arrestations et des détentions. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie continuerait de déroger à ses obligations en matière de droits de l’homme, alors qu’aucun état d’urgence n’a été déclaré officiellement. Il est en outre préoccupé par l’absence de renseignements concernant les commissions d’enquête sur l’état d’urgence dont la Constitution exige la mise en place à chaque situation d’état d’urgence et par le fait que l’État partie n’a pas systématiquement signalé aux États parties au Pacte les dérogations mises en place pendant les périodes d’état d’urgence, comme le prescrit l’article 4 (par. 3) du Pacte (art. 4).

8. L’État partie devrait :

a) Formuler en termes clairs et précis les restrictions liées à l’état d’urgence, les actes prohibés et les sanctions encourues et veiller à ce que les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité soient dûment pris en compte et les droits non susceptibles de dérogation, respectés  ;

b) S’abstenir de suspendre globalement tout contrôle juridictionnel, en particulier de la légalité des arrestations et des détentions, de sorte à s’acquitter de son obligation de protéger les droits non susceptibles de dérogation pendant l’état d’urgence  ;

c) Informer rapidement les autres États parties au Pacte, par l’intermédiaire du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, des droits faisant l’objet d’une dérogation dans les situations de danger public exceptionnel, ainsi que des motifs de cette dérogation, conformément à l’article 4 (par. 3) du Pacte.

Mesures de lutte contre la corruption

9.Le Comité note qu’un certain nombre de mesures ont été prises pour lutter contre la corruption, mais constate avec préoccupation que celle-ci reste importante dans l’État partie. Il sait gré à l’État partie d’avoir communiqué des statistiques sur des affaires de corruption ayant fait l’objet d’une enquête au cours de l’année écoulée, mais regrette qu’en raison de leur caractère incomplet les données reçues ne lui permettent pas d’évaluer les progrès accomplis dans la lutte contre la corruption. Il salue l’adoption de la loi no 699/2010 sur la protection des témoins et des dénonciateurs d’infractions pénales et la mise en place d’un système de protection des témoins et des dénonciateurs et attend avec intérêt de recevoir, dans le cadre du prochain examen, des renseignements sur la mise en œuvre de ces mesures (art. 2 et 25).

10. L’État partie devrait renforcer l’application de la législation et des mesures préventives visant à lutter contre la corruption et à promouvoir la bonne gouvernance, la transparence et le principe de responsabilité, notamment dans la gestion des ressources foncières. Il devrait en outre faire en sorte que des mécanismes de coordination efficaces soient mis en place pour établir des liens entre les entités compétentes au niveau fédéral et au niveau des États, notamment celles qui ont pour mission de mener des enquêtes et celles qui ont un mandat de prévention.

Non-discrimination

11.Le Comité est préoccupé par l’absence d’une loi globale contre la discrimination qui assurerait une protection complète et efficace contre la discrimination directe, indirecte et multiple sous toutes ses formes et par le nombre apparemment faible d’affaires de discrimination portées devant les tribunaux compétents. Il est également préoccupé par le fait que les pouvoirs étendus accordés aux forces de l’ordre pendant l’état d’urgence instauré en vertu de la loi no 05/2021 ont donné lieu à du profilage ethnique et à des détentions arbitraires massives visant en particulier les Tigréens vivant en dehors de la région du Tigré, dont certains ont été contraints de cesser toute activité commerciale. Le Comité rappelle ses précédentes recommandations et demeure préoccupé par l’incrimination des relations homosexuelles et des « autres actes indécents » entre adultes consentants et par la discrimination, la violence et les discours de haine au sein de la société à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (art. 2, 19, 20 et 26).

12. L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures pour faire mieux connaître les voies judiciaires et administratives permettant de porter les allégations de discrimination devant la justice et pour faciliter l’accès à ces voies  ;

b) Éviter d’accorder des pouvoirs trop étendus aux forces de l’ordre pendant les situations d’état d’urgence et dispenser aux agents des forces de l’ordre une formation sur la prévention du profilage ethnique dans les opérations policières  ;

c) Mener des campagnes de sensibilisation, notamment auprès des institutions religieuses, pour lutter contre la stigmatisation sociale, les discours de haine, le harcèlement, la violence et la discrimination à l’égard de la communauté des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres  ;

d) Dépénaliser les relations homosexuelles entre adultes consentants et faire en sorte que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres aient effectivement accès à la justice.

Violence à l’égard des femmes et pratiques préjudiciables

13.Le Comité prend note de l’ensemble des mesures mises en œuvre dans le cadre de la stratégie et du plan d’action nationaux sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et des enfants et les mesures à prendre pour y faire face, adoptés récemment, mais s’inquiète de l’ampleur considérable de la violence sexuelle et fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles, y compris dans les lieux de détention. Il est profondément préoccupé par le fait que la violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment le viol, le viol collectif, l’esclavage sexuel et la transmission intentionnelle du VIH, est utilisée comme méthode de guerre dans le contexte du conflit en cours dans le nord du pays, en particulier dans les régions du Tigré, de l’Amhara et de l’Afar, par toutes les parties au conflit, y compris par les Forces éthiopiennes de défense nationale. Il se dit également préoccupé de ce que les victimes n’ont pas effectivement accès aux soins de santé d’urgence et aux mécanismes de réadaptation et de réparation. Il s’inquiète de ce que les mutilations génitales féminines, la polygamie et les mariages précoces demeurent fréquents, en particulier dans les régions rurales, et que le nombre de mutilations génitales féminines a augmenté pendant la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). Il est profondément préoccupé par le fait que le viol conjugal reste légal sur le fondement de « l’obligation de consommation du mariage qui incombe aux époux » (art. 2, 3, 6, 7, 24 et 26).

14. L’État partie devrait :

a) En ce qui concerne les violences sexuelles et fondées sur le genre commises à l’égard des femmes et des filles dans le contexte du conflit qui sévit dans le nord du pays, accélérer l’application des recommandations correspondantes figurant dans le rapport d’enquête conjoint du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et de la Commission éthiopienne des droits de l’homme (2021), garantir à toutes les victimes de violences sexuelles et fondées sur le genre un accès effectif à des services de réadaptation et à des mesures de réparation, et prévenir de nouvelles violations  ;

b) Renforcer la mise en œuvre de la stratégie nationale relative aux pratiques traditionnelles néfastes et de la feuille de route nationale visant à mettre fin d’ici à 2025 au mariage des enfants et aux mutilations génitales féminines ou à l’excision, notamment au moyen de mesures ciblées visant à lutter contre les comportements discriminatoires dans les communautés, y compris parmi les acteurs du système de justice coutumière  ;

c) Renforcer les mesures visant à mettre fin à la polygamie et appliquer effectivement la législation qui l’interdit (art .  11 du Code de la famille révisé et art .  650 du Code pénal), notamment en menant des actions d’information et de sensibilisation dans les zones rurales où cette pratique est encore répandue. L’État partie devrait également soutenir les administrations régionales dans cette action, notamment en les aidant à élaborer une législation appropriée au niveau régional, si nécessaire  ;

d) Ériger le viol conjugal en infraction  ;

e) Dispenser aux membres de l’appareil judiciaire, aux procureurs et aux agents des forces de l’ordre une véritable formation sur les droits des femmes et sur les procédures d’enquête et d’interrogatoire qui tienne compte des questions de genre dans les affaires de violence sexuelle et fondée sur le genre  ;

f) Recueillir et publier des données sur les affaires de violence sexuelle et fondée sur le genre.

Peine de mort

15.Le Comité prend acte de la mise en place d’un moratoire de fait sur la peine de mort depuis 2007, mais redit sa préoccupation face au fait que, en dépit de ses précédentes recommandations, la peine de mort reste en vigueur et continue d’être régulièrement prononcée par les tribunaux. Il s’inquiète en outre de ce que la peine de mort peut être prononcée pour d’autres infractions que les crimes les plus graves au sens de l’article 6 (par. 2) du Pacte, à savoir les homicides volontaires. Il s’inquiète, par exemple, de ce qu’en vertu de la loi no 1176/2020 relative à la prévention et à la répression des crimes terroristes, la peine de mort peut être prononcée pour des infractions du type « dommages à la propriété, aux ressources naturelles ou à l’environnement » (art. 6).

16.Conformément à l’observation générale n o 36 (2018) sur le droit à la vie, dans laquelle le Comité réaffirme que les États parties qui ne sont pas encore totalement abolitionnistes devraient être engagés de manière irréversible sur la voie de l’élimination complète de la peine de mort, de facto et de jure, l’État partie devrait envisager :

a) D’instaurer un moratoire de jure sur la peine de mort en vue de l’abolir  ;

b) D’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort. Dans l’intervalle, il devrait réviser sa législation afin de la rendre strictement conforme à l’article 6 (par. 2) du Pacte et réserver la peine de mort aux auteurs des crimes les plus graves, à savoir les homicides volontaires  ;

c) De prendre des mesures visant à commuer les peines de mort déjà prononcées en peines de réclusion criminelle à perpétuité.

Lutte contre l’impunité et violations des droits de l’homme commises par le passé

17.Le Comité salue les premières mesures prises par l’État partie pour lutter contre l’impunité des violations généralisées des droits de l’homme commises par le passé, notamment l’usage excessif de la force à l’égard de manifestants, les détentions arbitraires massives, la torture, le viol, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires, mais il est préoccupé par la lenteur des progrès accomplis pour amener les responsables, notamment les policiers, les agents pénitentiaires et les membres des forces de sécurité, à rendre compte de leurs actes. Il salue également l’ouverture de plusieurs enquêtes sur les violations des droits de l’homme commises par le passé, notamment la création d’une commission d’enquête sur les violations commises dans la région Somali, et l’adoption de mesures visant à jeter les bases d’une justice transitionnelle, mais il est préoccupé par l’absence d’informations rendues publiques sur l’avancement des enquêtes menées et par le faible nombre de déclarations de culpabilité. Il est préoccupé par des informations selon lesquelles des actes de violence continueraient d’être commis par les forces de sécurité, en particulier les forces paramilitaires spéciales de la police régionale depuis septembre 2018, dont des exécutions extrajudiciaires, et qui s’inscrivent dans le contexte de violences intercommunautaires qui prévaut dans de nombreuses régions d’Éthiopie, comme les régions d’Oromiya et d’Amhara. S’agissant des mesures de réparation, en dépit des exemples précis fournis par l’État partie, le Comité est également préoccupé par l’absence d’un mécanisme global chargé d’accorder réparation aux victimes de violations des droits de l’homme, qui permettrait qu’elles soient toutes adéquatement indemnisées et bénéficient de services de réadaptation et d’autres mesures, selon les besoins (art. 2, 6, 7, 9 et 14).

18. L’État partie devrait :

a) Mettre en place un mécanisme global de réparation afin que toutes les victimes de violations des droits de l’homme commises par le passé aient accès à un recours utile, soient adéquatement indemnisées et bénéficient de mesures appropriées de restitution et de réadaptation, compte tenu des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire  ;

b) Redoubler d’efforts pour traduire les responsables en justice, en veillant à ce que les procès se déroulent de manière transparente et équitable, conformément aux normes internationales, et diffuser largement auprès de la population des informations sur les progrès réalisés en la matière  ;

c) Faire en sorte que les populations touchées par le conflit, en particulier les victimes, les membres de leur famille et d’autres acteurs de la société civile participent effectivement à la conception et à la mise en œuvre du processus de justice transitionnelle envisagé, et veiller à interdire toute amnistie pour des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et des violations graves du droit international humanitaire. Le Comité souligne à cet égard que la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle ne rendent pas moins nécessaires les poursuites pénales à l’égard des auteurs de violations graves des droits de l’homme.

Droit à la vie et protection des populations civiles

19.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des civils ont été et sont encore victimes de violations graves et généralisées des droits de l’homme, notamment de viols et d’autres formes de violence sexuelle, de détentions arbitraires, d’actes de torture, de traite d’êtres humains, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires, commises par toutes les parties au conflit en cours dans la région du Tigré et dans certaines parties des régions d’Afar et d’Amhara auxquelles le conflit s’est étendu. Il salue les premières mesures prises pour venir en aide aux victimes et amener les auteurs à répondre de leurs actes, notamment dans le cadre des travaux de l’équipe spéciale interministérielle créée en novembre 2021, mais s’inquiète de ce que les progrès restent limités, ce qui s’explique en partie par le fait que le conflit dans la région du Tigré est encore en cours (art. 2, 6, 7, 9 et 14).

20. L’État partie devrait :

a) Mener sans délai des enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations de violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par des acteurs non étatiques et des acteurs étatiques dans le contexte du conflit qui sévit dans la région du Tigré et les zones environnantes, afin d’identifier, de poursuivre et de sanctionner les responsables, et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours utiles et puissent obtenir pleinement réparation  ;

b) Prendre des mesures pour accroître la transparence des enquêtes, notamment en en publiant les conclusions  ;

c) Prendre les mesures appropriées pour assurer la sûreté et la sécurité des populations touchées par le conflit et pour prévenir toute violation de leurs droits humains par les parties au conflit  ;

d) Garantir un accès total et inconditionnel à l’aide humanitaire dans toutes les zones touchées par le conflit.

Usage excessif de la force

21.Le Comité rappelle ses précédentes recommandations et se dit préoccupé de ce que l’usage excessif de la force par la police et les forces de sécurité, y compris de la force létale, reste généralisé, notamment à l’occasion des manifestations, et de ce que le cadre juridique régissant l’usage de la force et des armes à feu par les agents de l’État en Éthiopie n’est ni adapté ni conforme au Pacte et aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Il prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles le Bureau du Procureur général élabore actuellement un projet de loi sur l’usage de la force, ainsi qu’un nouveau système de responsabilisation au sein de la police, mais s’inquiète toutefois de la lenteur des progrès accomplis dans l’adoption d’un cadre conforme aux normes internationales (art. 6 et 7).

22. L’État partie devrait :

a) Accélérer l’adoption du projet de loi sur l’usage de la force par les agents de l’État, en veillant à ce qu’il soit conforme aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois  ;

b) Veiller à ce que tous les organes publics chargés de recevoir des plaintes pour usage excessif de la force par des agents de l’État soient totalement indépendants  ;

c) Faire en sorte que tous les cas d’usage excessif de la force fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale et efficace, que les responsables soient traduits en justice et que les victimes obtiennent une réparation intégrale  ;

d) Dispenser aux membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité une formation efficace sur les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.

Interdiction de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants

23.Le Comité salue certaines mesures prises par l’État partie, notamment l’accès accru des organes d’inspection aux lieux de détention, mais réitère les préoccupations déjà exprimées au vu d’informations indiquant que des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants continuent d’être commis. Il se dit préoccupé par les allégations selon lesquelles la torture reste une pratique répandue pendant les interrogatoires et la détention provisoire. Il est également préoccupé par la très large impunité dont jouissent les auteurs de ces actes, notamment les officiers de haut rang, et la lenteur des progrès accomplis pour offrir aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements des voies de recours utiles et des mesures de réadaptation. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les objections à la recevabilité d’aveux forcés en tant qu’éléments de preuve sont fréquemment rejetées par les tribunaux, en particulier dans les procès pour terrorisme. Il regrette que l’État partie n’ait pas une législation sur la torture et les mauvais traitements qui soit pleinement conforme aux normes internationales et qu’il n’ait pas encore ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (art. 2 et 6 et 7).

24. L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures énergiques pour éliminer la torture et les mauvais traitements, notamment :

a) Réviser la législation afin qu’elle contienne une définition de la torture pleinement conforme à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à l’article 7 du Pacte  ;

b) Procéder sans délai à des enquêtes approfondies, efficaces, transparentes et impartiales sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), en veillant à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis en justice et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés de manière appropriée, et à ce que les victimes reçoivent une réparation intégrale  ;

c) Veiller à ce que les éléments de preuve obtenus par la torture soient irrecevables dans les procédures judiciaires, sans exception, conformément aux Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet  ;

d) Envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Liberté et sécurité de la personne

25.Le Comité est préoccupé par les nombreuses informations concernant les détentions arbitraires massives et les disparitions forcées d’opposants politiques et de manifestants, et par celles qui ont trait aux détentions arbitraires dont font l’objet des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes malgré l’adoption de la loi no 1238/2021 sur les médias, qui vise à mieux protéger les journalistes contre la détention arbitraire. Il est également préoccupé par le fait que la suppression des garanties juridiques pendant l’état d’urgence instauré le 2 novembre 2021 a entraîné l’arrestation et la détention arbitraires massives de plusieurs milliers de personnes soupçonnées de soutenir des groupes d’opposition interdits, notamment dans le cadre de la vaste opération visant des Tigréens à Addis-Abeba et dans d’autres villes, dont des milliers ont fait l’objet d’une longue détention arbitraire dans des camps où la fourniture élémentaire de nourriture suffisante et de soins médicaux n’était pas assurée (art. 9).

26. L’État partie devrait :

a) Enquêter sur toutes les allégations d’arrestation et de détention arbitraires, et veiller à ce que les auteurs des faits soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés de manière appropriée  ;

b) Faire en sorte que toute personne détenue arbitrairement soit libérée sans condition et adéquatement indemnisée  ;

c) Veiller à ce que la période initiale de garde à vue soit raccourcie et n’excède pas quarante-huit heures  ;

d) Veiller systématiquement à ce que les personnes placées en garde à vue ou en détention provisoire soient informées de leurs droits et à ce que les garanties juridiques fondamentales soient respectées, en particulier le droit de consulter un avocat et le droit à la libération sous caution  ;

e) Recourir, lorsque c’est indiqué, à des peines non privatives de liberté comme solution de substitution à la détention provisoire, et veiller à ce que la durée de la détention provisoire ne soit pas excessive.

Conditions de détention

27.Le Comité prend acte de la construction de nouveaux lieux de détention et du recours accru à la libération sous caution, mais reste préoccupé par les informations indiquant que les prisons continueraient d’être surpeuplées dans l’État partie, en particulier à la suite du conflit armé, et que, pendant les périodes d’état d’urgence, des personnes seraient placées en détention dans des installations de fortune surpeuplées. Il est également préoccupé par les informations indiquant qu’en dépit de l’augmentation des ressources budgétaires allouées à la fourniture de services essentiels, les détenus n’ont toujours pas un accès suffisant à la nourriture, à l’eau et aux soins médicaux et souffrent du manque d’hygiène, et que ceux présentant un handicap psychosocial ne reçoivent aucun traitement psychiatrique. Il regrette d’apprendre que les enfants auteurs d’infractions sont détenus avec des adultes (art. 7, 10 et24).

28. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que les conditions de détention, notamment en ce qui concerne l’accès à la nourriture, à l’eau potable, à l’hygiène et aux soins de santé, soient conformes aux normes internationales applicables en matière de droits de l’homme, notamment à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)  ;

b) Réduire la surpopulation carcérale, en particulier en recourant davantage aux mesures non privatives de liberté comme solution de substitution à l’emprisonnement  ;

c) Faire en sorte que tous les lieux de détention continuent de faire régulièrement l’objet d’inspections et de contrôles indépendants et efficaces, notamment par la Commission éthiopienne des droits de l’homme et d’autres organismes indépendants, sans préavis et hors de toute surveillance  ;

d) Veiller à ce que les enfants auteurs d’infractions soient strictement séparés des détenus adultes.

Élimination de l’esclavage, de la servitude et de la traite des personnes

29.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes, notamment la création de chambres spéciales chargées de connaître des affaires de traite et l’organisation d’une formation appropriée à l’intention des membres des forces de l’ordre et de l’appareil judiciaire, mais reste préoccupé par la persistance de la traite des personnes, en particulier des migrants et des personnes déplacées, du travail forcé, du travail des enfants et de l’exploitation sexuelle des enfants. En outre, il est alarmé par les informations selon lesquelles la traite des enfants serait systématiquement pratiquée dans les régions touchées par le conflit, comme le Tigré, l’Amhara, l’Afar et l’Oromiya, en particulier à des fins d’exploitation et d’esclavage sexuels et d’exploitation économique. Il s’inquiète du sous-signalement des cas de traite par les femmes qui en sont victimes et de l’insuffisance des mesures en place pour identifier les victimes et leur garantir l’accès à la justice et aux services d’aide, notamment aux soins médicaux nécessaires en cas d’exploitation et d’esclavage sexuels (art. 2, 7 et 8).

30. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour combattre, prévenir et réprimer la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants à des fins d’exploitation et d’esclavage sexuels et de travail forcé. Il devrait en particulier  :

a) Redoubler d’efforts pour enquêter sur les responsables de la traite, les poursuivre, les déclarer coupables et les condamner, et offrir aux victimes une réparation intégrale  ;

b) Identifier les victimes de la traite et veiller à ce qu’elles reçoivent protection et assistance, notamment à ce qu’elles aient accès à des centres d’accueil et à des services juridiques, médicaux et psychologiques  ;

c) Dispenser une formation appropriée, y compris sur les normes et procédures relatives à l’identification et à la prise en charge des victimes de la traite, à tous les agents publics concernés, notamment les juges, les procureurs, les agents de la force publique et les membres des forces de l’ordre.

Droits de l’enfant

31.Le Comité regrette que l’État partie maintienne l’âge de la responsabilité pénale à 9 ans et continue de poursuivre comme des adultes les enfants âgés de 15 à 18 ans. Il est également préoccupé par les informations concernant des pratiques préjudiciables dont sont victimes des enfants, notamment : des mutilations génitales féminines, des mariages forcés, des infanticides et des châtiments corporels, en particulier dans les régions reculées ; l’augmentation des cas de violence domestique, y compris de violence sexuelle, à l’égard d’enfants pendant la pandémie de COVID-19, due en partie à la fermeture des écoles ; et des violences et mauvais traitements dont les enfants vivant en institution et les enfants handicapés font l’objet. Il est préoccupé en outre par les informations selon lesquelles, depuis novembre 2020, des enfants sont victimes de violations graves et systématiques de leurs droits humains commises par les forces de sécurité et les groupes armés privés dans les régions du Tigré, de l’Amhara, de l’Afar et de l’Oromiya, notamment d’enlèvements, de séparation forcée d’avec leur famille, de recrutement en tant qu’enfants soldats, de torture et de mariages forcés. Il relève avec préoccupation que les enfants vivant dans les zones de conflit n’ont pas suffisamment accès à l’école, à la nourriture, aux soins de santé et à d’autres services essentiels à leurs besoins particuliers (art. 7, 14 et 24).

32. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour :

a) Faire en sorte que son système de justice pour mineurs soit conforme au Pacte, en particulier à son article 24, et à d’autres normes internationales, et que les enfants en conflit avec la loi soient traités d’une manière adaptée à leur âge, notamment en relevant l’âge de la responsabilité pénale et en créant des tribunaux spécialisés et en désignant des juges spécialement formés pour les enfants, y compris ceux qui sont âgés de 15 à 18 ans  ;

b) Appliquer effectivement les dispositions légales interdisant les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, les mariages précoces, les infanticides et les châtiments corporels, et mener des campagnes de sensibilisation sur l’ensemble de son territoire  ;

c) Faire en sorte que tous les cas de torture, de mauvais traitements, de pratiques préjudiciables et de violence, y compris de violence domestique et sexuelle, à l’égard d’enfants fassent l’objet sans délai d’une enquête efficace, que les auteurs soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés de manière appropriée, et que les victimes aient accès à des voies de recours utiles, y compris à des mesures de réadaptation et à une indemnisation, et à des moyens de protection et d’assistance  ;

d) Détecter le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats et mettre un terme à ces pratiques, veiller à ce que ces enfants soient rapidement désarmés, démobilisés, réadaptés et réinsérés, et retournent dans leur famille, dans le respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant  ;

e) Faire en sorte que les enfants vivant dans les zones de conflit aient suffisamment accès à l’école, à la nourriture, aux soins de santé et à d’autres services essentiels.

Traitement des étrangers, notamment des réfugiés et des demandeurs d’asile

33.Le Comité salue la détermination de l’État partie à protéger les réfugiés et les demandeurs d’asile, dont témoigne le fait que, jusqu’en juin 2022, il en avait accueilli environ 870 000. Il s’inquiète toutefois des graves répercussions du conflit armé en cours sur la situation de ces personnes, en particulier celles qui ont dû quitter des camps de réfugiés de la région du Tigré sans bénéficier de mesures de protection ou d’un soutien appropriés. Il est préoccupé par la violence ciblée dont seraient victimes les réfugiés érythréens de la part des parties au conflit armé et qui aurait provoqué des décès, des déplacements, des disparitions et des refoulements. Il prend note des statistiques communiquées par l’État partie, mais reste préoccupé par les informations selon lesquelles, depuis janvier 2020, lorsque les procédures de détermination du statut de réfugié ont été révisées, les personnes en provenance d’Érythrée ne se voient plus accorder le statut de réfugié présumé, ce qui se traduit par une diminution du nombre de demandeurs d’asile érythréens enregistrés, en particulier en ce qui concerne les enfants non accompagnés et séparés de leur famille. Il regrette de ne pas avoir reçu d’informations précises sur les mesures prises pour traiter les questions relatives aux apatrides (art. 2, 6, 7, 9, 13, 24 et 26).

34. L’État partie devrait :

a) Prendre les mesures nécessaires pour garantir la sûreté et la sécurité des réfugiés et des demandeurs d’asile touchés par le conflit, en particulier ceux qui sont déplacés, pour prévenir efficacement toutes violations de leurs droits humains par les parties au conflit et y remédier, et pour faire en sorte que ces personnes aient un accès suffisant aux services essentiels  ;

b) Prendre les mesures nécessaires pour faciliter l’accès aux procédures d’asile et respecter strictement le principe de non-refoulement, tant en droit que dans la pratique, en particulier en ce qui concerne les personnes arrivant d’Érythrée et les enfants non accompagnés  ;

c) Prendre des mesures concrètes pour déterminer l’ampleur du problème de l’apatridie en vue de réduire et de prévenir ce phénomène, en particulier chez les enfants.

Personnes déplacées

35.Le Comité est préoccupé par le nombre important de personnes déplacées, par les conditions humanitaires désastreuses dans lesquelles elles vivent et par le fait qu’elles dépendent des organismes d’aide pour survivre. Il est particulièrement préoccupé par les informations indiquant que, dans les régions touchées par le conflit qui connaissent de graves pénuries alimentaires et dans lesquelles les services sont réduits, les personnes déplacées ont été contraintes de retourner dans leur lieu d’origine sans bénéficier de mesures de protection suffisantes ou de solutions durables, ce qui constitue pour elles un second ou un troisième déplacement. Il regrette qu’en dehors de ces retours, les personnes déplacées ne disposent pas de solutions viables d’intégration sur place ou de réinstallation. Il prend acte des mesures prises pour transposer dans le droit interne la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), mais regrette les retards signalés dans ce domaine (art. 12 et 26).

36. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour trouver des solutions durables et les proposer aux personnes déplacées, notamment en créant un climat propice à un retour volontaire, une intégration sur place ou une réinstallation à long terme et dans des conditions de sécurité et de dignité, conformément aux normes internationales applicables, dont celles énoncées dans le Pacte, les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et la Convention de Kampala. Il devrait également accélérer l’application de la Convention de Kampala dans son ordre juridique interne, notamment en élaborant et en adoptant des stratégies et une législation nationales sur les personnes déplacées et en désignant une autorité ou une entité chargée de coordonner les actions visant à protéger et à aider les personnes déplacées.

Accès à la justice et indépendance du pouvoir judiciaire

37.Le Comité prend note des mesures prises pour renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, comme l’adoption de la loi no 1233/2021 sur l’administration judiciaire fédérale et de la loi n° 1234/2021 sur les tribunaux fédéraux, mais demeure préoccupé par les informations selon lesquelles, dans la pratique, les forces de l’ordre ne coopèrent pas pleinement avec le pouvoir judiciaire pour exécuter les ordonnances et les décisions rendues par les tribunaux. Il prend acte des mesures prises pour élargir l’accès à l’aide juridictionnelle, notamment du fait qu’une stratégie d’aide juridictionnelle gratuite est en attente d’approbation par le Conseil des ministres, mais regrette que la fourniture d’une telle aide est actuellement seulement obligatoire pour les personnes accusées d’une infraction grave (art. 14).

38. L’État partie devrait poursuivre ses efforts pour :

a) Garantir l’indépendance et l’impartialité totales des magistrats du siège et du parquet dans la pratique et veiller à ce que ceux-ci puissent faire leur travail sans aucune pression ou ingérence, notamment en faisant en sorte que les ordonnances et décisions judiciaires soient appliquées, y compris par les forces de l’ordre  ;

b) Faire en sorte que, en droit et dans la pratique, toute personne sans ressources qui est présentée devant un tribunal ait accès à l’aide juridictionnelle et que la population, y compris les personnes vivant dans des régions reculées et les personnes issues de groupes vulnérables ou de groupes minoritaires, connaisse l’existence de ces services juridiques et puisse y recourir dans la pratique.

Liberté d’expression

39.Le Comité est préoccupé par les informations persistantes selon lesquelles des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des personnes critiques à l’égard du Gouvernement et des militants feraient l’objet de harcèlement, d’agressions et d’arrestations et de détentions arbitraires. Il est préoccupé par les nombreuses informations concernant des arrestations de journalistes − notamment de 39 journalistes, entre juin 2021 et juin 2022, à Addis‑Abeba et dans les régions d’Amhara et d’Oromiya, et d’éminents journalistes critiques à l’égard du Gouvernement, au cours d’une campagne de répression des médias menée entre janvier et mai 2022. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les autorités invoquent des dispositions pénales, notamment celles figurant dans la loi no 1176/2020 relative à la prévention et à la répression des crimes terroristes et dans la loi no 1185/2020 relative à la prévention et à la suppression des discours de haine et de la désinformation, pour réprimer les opinions dissidentes et les reportages critiques, y compris sur le conflit en cours. Il regrette que, d’après des informations qu’il a reçues, l’accès à Internet et les services de téléphonie aient été coupés sans base légale claire, une mesure disproportionnée dans son étendue et sa durée (art. 19).

40. L’État partie devrait faire en sorte que chacun puisse exercer librement le droit à la liberté d’expression, conformément à l’article 19 du Pacte et à l’observation générale n o 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression. À cette fin, il devrait :

a) Protéger les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les personnes critiques à l’égard du Gouvernement et les militants contre le harcèlement, les agressions ou les ingérences indues dans l’exercice de leur profession ou du droit à la liberté d’opinion et d’expression, et faire en sorte que de tels actes donnent lieu sans délai à des enquêtes indépendantes et approfondies, que les responsables soient traduits en justice et que les victimes disposent de recours utiles  ;

b) Mettre fin à la pratique consistant à arrêter, à placer en détention et à poursuivre des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des personnes critiques à l’égard du Gouvernement et des militants en vue de les dissuader ou de les décourager d’exprimer librement leurs opinions, et libérer immédiatement ceux qui ont été placés en détention simplement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression  ;

c) Revoir et modifier la loi n o 1176/2020 relative à la prévention et à la répression des crimes terroristes et la loi n o 1185/2020 relative à la prévention et à la suppression des discours de haine et de la désinformation de manière à éviter l’emploi de termes vagues et des restrictions trop larges du droit à la liberté d’expression  ;

d) Veiller à ce que toute restriction de l’accès à Internet et aux services de téléphonie respecte strictement les principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité et fasse l’objet d’un contrôle indépendant.

Liberté de réunion pacifique

41.Le Comité est préoccupé par la position générale de l’État partie selon laquelle les manifestations ne doivent pas nuire aux droits que la loi confère à autrui, alors que, selon l’observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique, on doit pouvoir attendre des entités privées et de la société en général qu’elles acceptent que l’exercice de ce droit entraîne des perturbations, dans une certaine mesure. Il se dit également préoccupé par les informations concernant l’usage excessif de la force à l’égard des manifestants et les arrestations et détentions arbitraires dont ceux-ci font l’objet. Il prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles 3 560 personnes ont été arrêtées lors des manifestations qui ont suivi l’assassinat du chanteur populaire oromo Hachalu Hundessa en juin 2020, mais reste préoccupé par des informations contraires indiquant que 9 000 personnes, dont des journalistes, des militants et des personnes critiques à l’égard du Gouvernement, ont été arrêtées. En outre, le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles, bien que la police ait été accusée d’avoir employé la force de façon excessive lors de ces manifestations, ce sont des particuliers qui ont été jugés responsables de meurtres, de blessures et de la destruction de biens, mais il reste préoccupé et s’interroge sur l’impartialité et l’efficacité des enquêtes (art. 21).

42. Conformément à l’article 21 du Pacte et à la lumière de l’observation générale n o 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique, l’État partie devrait faire en sorte que  :

a) Toute restriction du droit de réunion pacifique, y compris par l’application de sanctions administratives et pénales à des personnes exerçant ce droit, respecte les règles strictes fixées par l’article 21 du Pacte  ;

b) Toutes les allégations d’usage excessif de la force et d’arrestations et de détentions arbitraires pendant des manifestations pacifiques fassent sans délai l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales, que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés, et que les victimes obtiennent réparation  ;

c) Les personnes détenues pour avoir exercé leur droit de réunion pacifique soient immédiatement libérées et adéquatement indemnisées, et que celles qui sont en attente de jugement pour des accusations connexes soient jugées sans délai et dans le respect de toutes les garanties d’une procédure régulière  ;

d) Les agents des forces de l’ordre reçoivent une formation appropriée sur l’usage de la force , inspirée des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et des Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois .

Participation à la conduite des affaires publiques

43.Le Comité félicite l’État partie pour les mesures qu’il a prises en vue de promouvoir la représentation des femmes dans la vie publique, en particulier d’augmenter à environ 40% leur représentation au sein du Parlement. Il prend également note de l’adoption de la loi no1162/2019 visant à faciliter la tenue d’élections transparentes et équitables, mais est préoccupé par les informations selon lesquelles des restrictions illégales viseraient des membres de l’opposition en ce qui concerne leur participation aux affaires publiques et aux élections. Il est particulièrement préoccupé par les informations concernant l’arrestation arbitraire et la détention prolongée de dirigeants, de membres et de sympathisants de partis d’opposition, en particulier pendant la période précédant les élections nationales de 2021, et le rejet de leurs demandes de remise en liberté malgré la levée des accusations, qui a empêché plus de 330 personnes de participer aux élections générales. Il regrette également d’apprendre que des opposants, des partisans de l’opposition et des agents électoraux ont fait l’objet d’actes d’intimidation, de harcèlement et de violence, et ont eu un accès limité aux médias, aux salles de réunion et aux lieux de rassemblement. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles 20% des bureaux de vote et des centres d’inscription sur les listes électorales étaient inaccessibles aux personnes handicapées, aux femmes enceintes et aux électeurs âgés. Il prend note des efforts déployés par l’État partie pour faciliter le vote des personnes déplacées, dont la mise en place de bureaux de vote spéciaux, mais reste préoccupé par les informations selon lesquelles ces mesures seraient insuffisantes (art.2, 6 et 25).

44. L’État partie devrait mettre sa réglementation et ses pratiques électorales en pleine conformité avec les dispositions du Pacte, en particulier l’article 25, et notamment  :

a) Mettre fin aux arrestations et détentions arbitraires et aux actes de harcèlement, d’intimidation et de violence dont font l’objet des membres et des partisans des partis d’opposition, libérer immédiatement ceux qui sont encore détenus, mener sans délai des enquêtes approfondies et indépendantes sur ces affaires, traduire les auteurs en justice et assurer aux victimes des recours utiles  ;

b) Faire en sorte que tous les partis politiques puissent mener une campagne électorale libre, égale et transparente, notamment en garantissant l’égalité d’accès aux médias et aux ressources publiques  ;

c) Faire en sorte que les bureaux de vote et les centres d’inscription sur les listes électorales soient totalement accessibles aux électeurs ayant besoin d’une aide à la mobilité ou d’autres formes d’assistance  ;

d) Redoubler d’efforts pour permettre aux personnes déplacées d’exercer pleinement leur droit de vote.

Droits des minorités

45.Le Comité est alarmé par la récente recrudescence des homicides et autres actes de violence fondés sur l’appartenance ethnique et perpétrés par des forces de sécurité concurrentes et des groupes militants rivaux. Il est préoccupé par les informations selon lesquelles les enquêtes et les poursuites menées dans ces affaires n’ont pas été efficaces, ce qui a favorisé un climat d’impunité. Il s’inquiète également d’apprendre que, bien que la Constitution de la République fédérale démocratique d’Éthiopie garantisse l’égalité de tous les groupes ethniques, de nombreuses constitutions d’États régionaux ne confèrent des droits qu’aux groupes ethniques majoritaires, ce qui empêche les membres des groupes minoritaires de prendre part aux affaires politiques et publiques et contribue aux tensions ethniques (art. 26).

46. L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que toutes les allégations concernant des homicides et d’autres actes de violence fondés sur l’appartenance ethnique donnent lieu sans délai à une enquête efficace, que les auteurs soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés de manière appropriée, et que les victimes aient accès à des recours utiles  ;

b) Dispenser aux agents des forces de l’ordre et des forces de sécurité une formation sur la détection et la résolution des tensions ethniques susceptibles d’entraîner des conflits violents et sur l’usage de la force, qui soit inspirée des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et des Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois  ;

c) Veiller à ce que les constitutions des États régionaux et les textes législatifs subsidiaires respectent les garanties d’égalité pour tous, conformément à l’article 25 de la Constitution de la République fédérale démocratique d’Éthiopie et aux dispositions du Pacte  ;

d) Redoubler d’efforts pour mettre fin aux tensions existantes entre groupes ethniques et à la discrimination à l’égard des groupes ethniques minoritaires, notamment en favorisant un dialogue ouvert entre différents groupes ethniques, en permettant des débats publics sur les tensions et les conflits ethniques, en promouvant l’harmonie et la tolérance interethniques et en éliminant les préjugés et les stéréotypes négatifs, notamment à l’école et à l’université et dans les médias.

Peuples autochtones

47.Le Comité est préoccupé par l’absence dans l’État partie de législation spécifique consacrant et promouvant les droits des peuples autochtones. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles des consultations préalables visant à obtenir le consentement libre et éclairé des intéressés ne sont pas systématiquement organisées en amont de projets de développement susceptibles d’avoir une incidence sur les droits des peuples autochtones, notamment avant la construction du barrage hydroélectrique Gibe III. Il est en outre préoccupé par les informations indiquant que la gestion déficiente de la mine d’or de Lega Dembi, combinée à l’absence de contrôle officiel, a entraîné une contamination de l’eau et du sol qui a eu de graves conséquences sanitaires, environnementales et socioéconomiques pour les communautés autochtones voisines. Il s’inquiète en outre d’appendre qu’après une fermeture temporaire, la mine a repris ses activités sans que les communautés touchées n’aient préalablement été véritablement et complètement consultées, que des études d’impact indépendantes n’aient été publiées et que des protections nécessaires, comme des clôtures autour des zones dangereuses et des systèmes efficaces d’élimination des déchets, n’aient été mises en place, que la contamination existante n’a pas été suffisamment réduite et que les victimes n’ont pas obtenu pleinement réparation (art. 2, 14 et 27).

48. L’État partie devrait prendre immédiatement des mesures pour  :

a) Élaborer et adopter un cadre juridique permettant de reconnaître et de protéger les droits des peuples autochtones, notamment le droit à leurs terres ancestrales  ;

b) Tenir de véritables consultations complètes avec les peuples autochtones afin de recueillir leur consentement préalable, libre et éclairé avant d’adopter et d’appliquer des mesures susceptibles d’avoir des effets sur leurs droits, notamment au moment d’autoriser des projets de développement, et faire en sorte que les peuples autochtones soient consultés avant l’adoption de tout instrument normatif concernant ces consultations  ;

c) Mettre en place un mécanisme de régulation et de surveillance en vue de contrôler efficacement les activités extractives et toutes les autres activités rejetant des déchets toxiques et des résidus miniers sur les terres autochtones, comme l’exploitation de la mine d’or de Lega Dembi , de protéger ces terres contre la contamination et la destruction et d’empêcher toute répercussion négative sur les droits des peuples autochtones  ;

d) Réaliser et rendre publiques et accessibles des études indépendantes sur les conséquences sanitaires, environnementales et socioéconomiques de l’exploitation de la mine d’or de Lega Dembi et accorder aux victimes de la contamination aux produits toxiques une réparation intégrale, notamment sous la forme d’une indemnisation suffisante et de moyens de réadaptation.

D.Diffusion et suivi

49.L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son deuxième rapport périodique et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public pour faire mieux connaître les droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait faire en sorte que le rapport périodique et les présentes observations finales soient traduits dans ses langues officielles.

50. Conformément à l’article 75 (par. 1) du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 4 novembre 2025 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 14 (violences à l’égard des femmes et pratiques préjudiciables), 20 (droit à la vie et protection de la population civile) et 40 (liberté d’expression) ci-dessus.

51. Dans le cadre du cycle d’examen prévisible du Comité, l’État partie recevra en 2028 la liste de points établie par le Comité avant la soumission du rapport et devra soumettre dans un délai d’un an ses réponses à celle-ci, qui constitueront son troisième rapport périodique. Il demande également à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68 / 268 de l’Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l’État partie se tiendra en 2030, à Genève.