Nations Unies

CAT/C/75/D/770/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 mars 2023

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 770/2016 * , **

Communication soumise par :

J. X. F. P. (représenté par des conseils, John Phillip Sweeney et Michaela Byers)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

26 août 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 août 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

4 novembre 2022

Objet :

Expulsion du requérant vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est J. X. F. P., de nationalité sri-lankaise, né en 1981. Au moment de la soumission de la communications, sa demande d’asile en Australie avait été rejetée et il faisait l’objet d’une décision d’expulsion vers Sri Lanka. Le requérant affirme que si l’Australie procédait à son expulsion, elle manquerait aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 30 août 2016, en application de l’article 114 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son président a prié l’État partie de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka tant que sa communication serait à l’examen. Ces mesures provisoires de protection ont été prises pour une période initiale de soixante jours, sous réserve de nouvelles justifications à fournir par le requérant. Dans une note en date du 14 septembre 2016, le requérant a soumis des observations complémentaires concernant le risque auquel il serait exposé à son retour à Sri Lanka, compte tenu en particulier de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) (voir par. 2.1 et 2.2). Le 27 octobre 2016, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires de protection. Le 16 novembre 2016, le Comité, par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a informé l’État partie que les mesures provisoires de protection du requérant devaient continuer d’être appliquées et a prié l’État partie de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1Le requérant est né dans le village de Pesalai, dans le district de Mannar (Province du Nord de Sri Lanka). Il est de nationalité sri-lankaise, d’origine ethnique tamoule et de confession chrétienne. En 1992, le requérant et sa famille ont été déplacés en raison de la guerre civile à Sri Lanka et ont vécu au camp de réfugiés de Rasta, dans l’État indien du Tamil Nadu. Il est retourné à Sri Lanka avec ses parents et sa sœur en 1995, où il résidait à Pesalai. En 2000, il a commencé à travailler avec son oncle comme pêcheur à Mannar. À partir de 2002, il a été contraint de travailler pour les LTTE et, lorsqu’il a été envoyé à Puthukkudiyiruppu pour y travailler, vers la fin de 2003, il a commencé à nouer des relations avec les Sea Tigers, la branche navale des LTTE, qui étaient basés à Semmalai. Il a aidé les LTTE à introduire en contrebande des armes et d’autres marchandises, principalement à partir des eaux indonésiennes, dans diverses parties des côtes septentrionales de Sri Lanka, en particulier dans le district de Mannar. Il s’est rendu dans les eaux indonésiennes à bord d’un chalutier appartenant aux LTTE avec quelques autres pêcheurs tamouls et au moins un membre des LTTE en civil. Il recevait 10 000 roupies sri-lankaises pour chaque voyage dans les eaux indonésiennes. Le requérant affirme avoir été formé au maniement des armes par les LTTE et être devenu membre de l’organisation, ce qu’il dit avoir regretté presque immédiatement ; cependant, à l’époque, il était contraint de travailler pour l’organisation et n’était donc pas autorisé à la quitter. À la fin de 2004, le requérant a pris le commandement d’un bateau, le Kushum, à Kallar, près de Mannar. Il a fourni une photo, qui aurait été prise à Kilinochchi en juillet 2006 à l’occasion de la « Journée des Tigres noirs », sur laquelle il apparaît en compagnie de huit personnes, dont certaines seraient des Tigres noirs de haut rang. À cette époque, le requérant était sous-lieutenant et portait le nom de guerre de Puyalarasan.

2.2Vers la fin de 2006, le requérant et trois autres membres d’équipage ont été arrêtés par les autorités indonésiennes, après que leur bateau, le Kushum, aurait subi une panne de moteur au large des côtes de Sumatra. Ils n’ont pas dit aux autorités indonésiennes qu’ils aidaient les LTTE, mais plusieurs balles ont été découvertes dans le bateau lorsqu’il a été fouillé. À l’époque, le requérant a nié avoir eu connaissance de l’existence des balles et a affirmé aux autorités indonésiennes que lui et d’autres membres de l’équipage étaient des demandeurs d’asile qui avaient été abandonnés par un trafiquant d’êtres humains alors qu’ils étaient en route pour Singapour. Le requérant est devenu dépressif et a tenté de se suicider alors qu’il était en détention en Indonésie, détention qui a duré environ huit mois. Pendant sa détention, il a appris que ses parents et sa sœur avaient fui en Inde illégalement parce qu’ils craignaient que les autorités sri-lankaises n’apprennent qu’il participait aux activités des LTTE et ne leur fassent du mal. Le 22 août 2007, le requérant a été expulsé vers Sri Lanka avec d’autres membres de l’équipage. Comme il bénéficiait de l’aide de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour retourner à Sri Lanka, il n’a pas été pris pour cible par les autorités sri-lankaises lorsqu’il est arrivé à l’aéroport avec le passeport provisoire qui lui avait été délivré par l’ambassade de Sri Lanka. Le lendemain, des agents du Département des enquêtes criminelles, à la recherche du requérant, se sont rendus à son domicile de Pesalai, mais il se trouvait alors chez son frère aîné. Le requérant a appris par un voisin que des agents du Département des enquêtes criminelles s’étaient rendus chez lui, visite dont il pense qu’elle était liée à l’aide qu’il a apportée aux LTTE dans leurs opérations de contrebande d’armes. Vers le 25 août 2007, le requérant, craignant pour sa vie, a quitté Sri Lanka illégalement par bateau pour se rendre au Tamil Nadu, où ses parents et sa sœur vivaient dans un camp de réfugiés. Il s’est fait délivrer une carte de réfugié en Inde le 31 août 2007 et a séjourné à Sathyamangalam, dans le district d’Erode, au Tamil Nadu, où il a travaillé dans une usine de textile et comme peintre. Le requérant est resté en Inde jusqu’à ce qu’il quitte ce pays pour l’Australie avec l’aide d’un passeur, le 11 juin 2012, parce qu’il craignait que les autorités indiennes ne le renvoient à Sri Lanka.

2.3Le bateau transportant le requérant et d’autres passagers a été intercepté par les autorités australiennes, et tous les passagers ont été emmenés sur l’île Christmas le 28 juin 2012. À une date non précisée, le requérant a été transféré en Australie continentale et a été conduit au centre de détention pour immigrants de Wickham Point, près de Darwin, dans le Territoire du Nord. Le 22 novembre 2012, le requérant a obtenu un visa relais et a été remis en liberté. Le 31 décembre 2012, il a déposé une demande de visa de protection auprès du Département de l’immigration et de la citoyenneté, dans laquelle il a déclaré qu’il ne souhaitait pas retourner à Sri Lanka car il risquait d’y être arrêté et torturé, voire tué par les autorités sri-lankaises parce qu’elles le soupçonnaient d’avoir aidé les LTTE. Il pensait également qu’il lui serait fait du mal pour avoir quitté Sri Lanka illégalement et demandé l’asile en Australie. Le 10 juillet 2013, la demande du requérant a été rejetée par un délégué du Ministre de l’immigration et de la citoyenneté.

2.4Le 16 juillet 2013, le requérant a saisi le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés d’une demande de contrôle de la décision du délégué du Ministre de l’immigration et de la citoyenneté. Le requérant, qui était représenté par l’agent des services d’immigration chargé de son dossier, a comparu devant le Tribunal le 13 janvier 2015 pour être entendu et présenter ses arguments. L’audience du Tribunal s’est déroulée avec l’aide d’un interprète en langues tamoule et anglaise. À l’issue de l’audience, le Tribunal a accordé au requérant un délai jusqu’au 20 janvier 2015 pour présenter des observations ou d’autres éléments à l’appui de sa demande. Le représentant du requérant a présenté des observations datées du 25 juin 2013, du 27 août 2013 et du 19 janvier 2015. Le 19 février 2015, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé la décision du délégué du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières portant rejet de la demande de visa de protection du requérant.

2.5Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a estimé que les affirmations du requérant selon lesquelles il s’était livré à la contrebande d’armes pour le compte des LTTE dans la région du district de Mannar ou à partir des eaux indonésiennes n’étaient pas crédibles, car il n’avait pas prouvé la véracité de son affirmation selon laquelle en 2003, pendant les pourparlers de paix avec le Gouvernement sri-lankais, la population tamoule de son village natal de Pesalai était entièrement contrôlée par les LTTE, à l’insu de l’armée sri-lankaise ou des autorités du camp de la marine qui délivraient les permis de pêche dans ce village. Le Tribunal a également considéré que le requérant n’avait fourni que des éléments de preuve imprécis à l’appui de son affirmation selon laquelle des officiers de l’armée sri-lankaise s’étaient rendus à son domicile pour s’enquérir de ses activités au sein des LTTE. En outre, le Tribunal n’a pas tenu pour vrai que les parents et la sœur du requérant avaient fui en Inde parce qu’ils craignaient les autorités sri-lankaises du fait des activités du requérant au sein des LTTE, étant donné qu’ils avaient fui en août 2006, soit trois ou quatre ans après que le requérant avait prétendument commencé ses activités au sein des LTTE. De plus, comme le déclare le requérant, son frère n’a jamais quitté le district de Mannar et a continué à travailler comme pêcheur. Le Tribunal a estimé que les explications du requérant concernant sa détention et ses activités de pêche en Indonésie n’étaient pas cohérentes, car il n’avait pas une connaissance suffisante des eaux indonésiennes. En particulier, le Tribunal n’a pas tenu pour vrai que le requérant ait jamais pêché dans les eaux indonésiennes. Pour toutes ces raisons, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a conclu que le requérant n’était pas crédible et que ses affirmations étaient inventées de toutes pièces. Il a également estimé qu’il n’y avait pas de risque réel que le requérant subisse des mauvais traitements en raison de ses liens présumés avec les LTTE, de son appartenance à l’ethnie tamoule ou de son statut de demandeur d’asile débouté s’il était renvoyé à Sri Lanka, car même s’il était interrogé par les autorités sri-lankaises au sujet de son départ illégal et détenu pendant une période de temps relativement courte en vertu de la loi relative aux immigrants et aux émigrants, cette détention ou cet emprisonnement ne seraient pas constitutifs de persécution. En outre, seules les personnes ayant des liens réels ou supposés avec les LTTE couraient un risque réel d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en détention, et le requérant ne correspondait pas à ce profil.

2.6Le requérant a saisi le tribunal de circuit fédéral d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, laquelle a été rejetée le 7 octobre 2015. Le requérant a ensuite formé un recours contre cette décision devant la Cour fédérale d’Australie, dont il a été débouté le 16 février 2016. Le 12 mars 2016, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle au titre de l’article 417 de la loi de 1958 relative aux migrations. Cette demande a été rejetée le 31 mars 2016 car elle ne remplissait pas les conditions fixées par les directives relatives à la saisine du Ministre. Par conséquent, le requérant soutient qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il courrait un risque réel d’être soumis à la torture et à des peines et traitements cruels, inhumains et dégradants par le Département des enquêtes criminelles. L’Australie commettrait donc une violation de l’article 3 de la Convention et manquerait en particulier à l’obligation de non-refoulement visée par celui-ci. Il affirme également que le Gouvernement sri-lankais contrôle désormais l’ensemble du pays et que les personnes qui ont quitté le pays illégalement et les demandeurs d’asile déboutés sont immédiatement repérés à leur arrivée à l’aéroport de Colombo et placés en détention par les autorités sri-lankaises.

3.2Le requérant soutient en outre qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il courrait un risque réel d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka, étant donné qu’il est notoire que le Département des enquêtes criminelles, la Division des enquêtes antiterroristes de la police sri-lankaise et les services de renseignements militaires de l’armée sri-lankaise utilisent les aveux comme moyen d’obtenir des déclarations de culpabilité et ont recours à la torture lors des interrogatoires pour obtenir des aveux. Le requérant affirme également que la question du respect de la primauté du droit à Sri Lanka continue de susciter de graves préoccupations, et soumet à cet égard des éléments de preuve tirés de divers rapports.

3.3En ce qui concerne la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (voir par. 2.5 ci-dessus), le requérant dit qu’il a été prouvé que l’île de Mannar était sous le contrôle des LTTE en 2003 et qu’elle abritait une base de la marine sri-lankaise. Il fournit également des informations générales indiquant que des demandeurs d’asile tamouls déboutés ayant des liens avec les LTTE ont récemment été torturés après leur retour à Sri Lanka et ont été victimes de violences sexuelles. Le requérant soutient que sa participation à des activités des LTTE pendant plusieurs années, en tant que trafiquant d’armes entre les eaux indonésiennes et diverses parties des côtes septentrionales de Sri Lanka, conjuguée au fait que les autorités sri-lankaises seront alertées de son retour du fait de la délivrance d’un document de voyage temporaire, l’exposerait à un risque grave d’être soumis à torture ou à des mauvais traitements à son retour à Sri Lanka.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note en date du 27 octobre 2016, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête, avançant que certains griefs formulés par le requérant étaient irrecevables ratione materiae et que tous ses griefs étaient manifestement dénués de fondement au regard de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité. L’État partie a également rappelé que, la demande de visa de protection soumise par le requérant ayant été rejetée, celui-ci résidait illégalement dans le pays.

4.2L’État partie fait valoir que l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention se limite aux situations dans lesquelles il existe des motifs sérieux de croire que la personne renvoyée risquerait d’être soumise à la torture. L’État partie affirme en outre qu’afin de déterminer l’applicabilité de l’article 3 de la Convention, le Comité a toujours distingué entre, d’une part, les actes de torture et, d’autre part, les traitements ne satisfaisant pas aux critères requis pour être considérés comme tels, parmi lesquels les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il considère donc que l’article 3 de la Convention ne s’applique pas aux griefs du requérant, qui ne portent pas sur des actes répondant à la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention. En conséquence, il ne s’agit pas de griefs de violation par l’État partie d’une disposition de la Convention, ce qui est contraire aux prescriptions de l’article 113 (al. a)) du Règlement intérieur du Comité. Cela concerne en particulier les griefs du requérant touchant sa crainte d’être pris pour cible, harcelé, menacé de mort et soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les autorités sri-lankaises, notamment le Département des enquêtes criminelles, la Division des enquêtes antiterroristes de la police sri-lankaise et les services de renseignements militaires de l’armée sri-lankaise, en raison de son retour au pays après son départ illégal et de sa participation présumée aux activités de LTTE.

4.3L’État partie rappelle les affirmations du requérant selon lesquelles son profil de contrebandier des LTTE pourrait conduire à ce qu’il soit accusé de contribuer à la résurgence de l’organisation, ainsi que son affirmation selon laquelle les personnes fortement soupçonnées de détenir des informations que les forces de sécurité cherchent à obtenir, concernant par exemple des éléments ou des groupes des LTTE à Sri Lanka ou à l’extérieur du pays, sont exposées au risque qu’on les soumette à la torture dans le but de leur arracher ces informations. L’État partie soutient toutefois que le récit fait par le requérant lui-même de son parcours bat en brèche l’idée qu’il risquerait d’être torturé à son retour à Sri Lanka. Dans sa lettre initiale au Comité, le requérant a reconnu qu’il n’avait rencontré aucune difficulté lors de son retour à Sri Lanka depuis l’Indonésie en 2007, qui avait été facilité par l’OIM. En outre, si le requérant allègue qu’un voisin l’a informé que des personnes susceptibles d’appartenir au Département des enquêtes criminelles qui étaient à sa recherche étaient venues à son domicile, rien dans cette allégation ne met en évidence un quelconque risque de torture.

4.4L’État partie rappelle en outre que dans ses déclarations, le requérant ne fait état que de menaces, notamment de menaces de mort, sous la rubrique « infliction d’une douleur ou de souffrances aiguës », affirmant que ces menaces étaient susceptibles de constituer des actes de torture aux fins de l’article 3 de la Convention. L’État partie fait valoir à cet égard qu’on voit mal quel est le lien entre ces déclarations et la situation personnelle du requérant. Ces déclarations ne sont pas non plus suffisantes pour étayer le grief soulevé par le requérant au titre de l’article 3 de la Convention, étant donné que l’obligation de non-refoulement qui y est énoncée se limite aux situations dans lesquelles il existe des motifs sérieux de croire que la personne renvoyée risquerait d’être soumise à la torture. L’État partie déclare qu’à sa connaissance, le Comité n’a jamais estimé que des menaces, y compris des menaces de mort, remplissaient à elles seules les conditions requises pour constituer un acte de torture au sens de l’article premier de la Convention.

4.5L’État partie soutient également que les griefs non précisés du requérant concernant le risque de se faire infliger des traitements ou des peines cruels, inhumains ou dégradants par le Département des enquêtes criminelles sont irrecevables ratione materiae et ne mettent pas en jeu les obligations en matière de non-refoulement qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. L’État partie fait également valoir que l’affirmation du requérant selon laquelle même s’il était relâché sans difficulté importante par le Département des enquêtes criminelles, il serait toujours exposé au risque d’être harcelé à son retour à son domicile, ne satisfait pas aux critères requis pour être considérée comme mettant en évidence un risque de torture au sens de l’article premier de la Convention. Le Comité devrait donc déclarer ces griefs irrecevables ratione materiae et, dans l’éventualité où il ne le ferait pas, l’État partie soutient que tous les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité car ils sont manifestement infondés.

4.6L’État partie rappelle qu’au regard de l’article 3 de la Convention, il incombe au requérant de démontrer qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il courrait le risque d’être soumis à la torture. Cela exige du requérant qu’il démontre l’existence d’un risque couru personnellement, réel et prévisible d’être soumis à la torture. Ce risque doit être « apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons ». L’État partie soutient que cet élément exige également du requérant qu’il montre que le préjudice qu’il invoque comme fondement de son grief est un préjudice qui répond à la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention.

4.7À cet égard, l’État partie indique qu’après avoir examiné les éléments de preuve, les déclarations du requérant et les informations sur le pays, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas tenu pour vrai que le requérant avait eu des liens avec les LTTE à Sri Lanka, notamment en ce qui concernait la contrebande d’armes dans la région de Mannar ou à partir des eaux indonésiennes. Il n’a pas tenu pour vrai que les autorités de Mannar, notamment l’armée, la marine ou le Département des enquêtes criminelles, avaient soupçonné que le requérant travaillait pour le compte des LTTE ou l’aient recherché après son retour en août 2007, ou qu’elles le feraient dans l’avenir. Le Tribunal a estimé que les affirmations du requérant étaient fabriquées de toutes pièces. Enfin, le Tribunal n’a pas estimé qu’il y avait un risque réel que le requérant subisse un préjudice grave, notamment en raison des liens qu’il dit avoir eus avec les LTTE avant son départ de Sri Lanka en 2007 ou parce qu’il était un pêcheur tamoul de Mannar. Le Tribunal a concédé que le requérant, en tant que demandeur d’asile tamoul débouté revenant d’Australie après avoir quitté illégalement Sri Lanka en 2007, pourrait être interrogé par le Département des enquêtes criminelles ou d’autres autorités sri-lankaises à son retour à Mannar, mais il n’a pas estimé il y avait un risque réel qu’il subisse un préjudice grave de ce fait ou du fait d’un placement en détention ou d’une incarcération. En outre, dans sa lettre initiale au Comité, le requérant a reconnu qu’il n’avait rencontré aucune difficulté lors de son retour à Sri Lanka depuis l’Indonésie en 2007, qui avait facilité par l’OIM, et pour lequel le Gouvernement sri-lankais lui avait délivré un document de voyage temporaire.

4.8L’État partie relève que les sources d’information sur le pays et les extraits mentionnés par le requérant dans sa lettre initiale au Comité donnent à la fois des informations générales sur Sri Lanka et des informations sur des cas précis. Les extraits mentionnés dans sa requête concernent essentiellement des allégations de mauvais traitements infligés par le Département d’enquête criminelle et la Division des enquêtes antiterroristes à des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les LTTE. Or le requérant ne prétend pas ou ne démontre pas que sa situation personnelle est similaire à celle de ces personnes. En outre, il ne précise pas en quoi ces informations sur le pays sont pertinentes au regard de sa propre situation ou indiquent qu’il courrait le risque, visé par l’article 3 de la Convention, d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Bien que le requérant affirme, dans ses déclarations, qu’il serait soumis à la torture par le Département des enquêtes criminelles, la Division des enquêtes antiterroristes ou les services de renseignement militaire de l’armée sri-lankaise et qu’il pourrait également être ciblé ou harcelé en raison de ses liens supposés avec les LTTE, il n’expose pas le raisonnement qui sous-tend cette affirmation ou n’explique pas en quoi ces informations sur le pays sont pertinentes au regard de sa situation précise.

4.9L’État partie ajoute que le requérant, dans le cadre des procédures internes, a affirmé craindre d’être persécuté en raison de liens présumés avec les LTTE et d’extorsion parce qu’il appartenait à un groupe social précis (à savoir les personnes considérées comme nanties), mais n’a pas soulevé ces griefs devant le Comité. Les allégations d’extorsion ont été examinées et rejetées par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés au motif qu’il s’agissait d’un « copier-coller », car le requérant n’avait pas réellement soulevé ce grief et que sa situation personnelle ne cadrait pas avec un tel grief. Le Tribunal a souligné, entre autres choses, que les affirmations du requérant concernant les activités de contrebande menées pour le compte des LTTE n’étaient pas crédibles pour diverses raisons, notamment leur caractère vague, leur manque de cohérence, l’absence de précisions concernant ses fonctions et le caractère fictif des éléments présentés à leur appui.

4.10L’État partie fait valoir que pour établir qu’il manquerait aux obligations en matière de non-refoulement qui lui sont faites par l’article 3 de la Convention, il faudrait établir que l’intéressé risquerait personnellement de subir le traitement visé par cet article. Or le requérant n’a pas soumis d’éléments prouvant qu’il courrait personnellement le risque d’être torturé, et les informations sur le pays auxquelles il renvoie ne sont manifestement pas pertinentes au regard de sa propre situation.

4.11L’État partie indique que les griefs formulés par le requérant ont été examinés de manière approfondie par plusieurs autorités décisionnaires nationales, qui ont conclu qu’ils ne mettaient pas en jeu les obligations en matière de non-refoulement qui incombent à l’Australie en vertu de la Convention. Il rappelle que le requérant dit être conscient que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a formulé des conclusions très fermes à son encontre concernant sa crédibilité, mais qu’il soutient que le Tribunal s’est trompé dans sa qualification de la situation pendant le conflit civil dans la région où il vivait. L’État partie fait valoir que cette critique de la décision du Tribunal est injustifiée. Le Tribunal a estimé que la demande de protection du requérant n’était pas étayée et que son récit des événements, sur lequel reposait sa demande, n’était pas crédible. L’État partie ajoute que ni le tribunal de circuit fédéral ni la Cour fédérale n’ont constaté que la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés était entachée d’une erreur de droit. L’État partie renvoie à l’observation générale no 1 (1997) du Comité relative sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 (par. 9), dans laquelle le Comité indique qu’étant donné qu’il n’est pas un organe d’appel ni un organe quasi-judiciaire, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie.

Observations complémentaires de l’État partie

5.1Dans des observations complémentaires en date du 11 janvier 2017, l’État partie fait référence aux observations complémentaires du requérant en date du 14 septembre 2016, dans lesquelles il a décrit ses relations alléguées avec les Sea Tigers et qu’il a accompagnées d’une photo qui aurait été prise à Kilinochchi en juillet 2006. L’État partie indique qu’il n’y a rien dans ces observations qui l’amènerait à modifier son appréciation initiale selon laquelle les griefs du requérant sont irrecevables. L’État partie ne peut établir la véracité des affirmations du requérant concernant les personnes, y compris le requérant lui-même, apparaissant sur la photo, ou les circonstances dans lesquelles celle-ci a été prise. Dans ses observations du 14 septembre 2016, le requérant fait un récit des événements différent de celui qu’il a fait dans le cadre des procédures internes et dans la communication qu’il a soumise au Comité. En outre, il n’a pas fourni d’éléments pour étayer les affirmations formulées dans ces observations. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie réaffirme sa position selon laquelle le récit des faits présenté par le requérant n’est pas crédible.

5.2L’État partie souligne en outre que des copies des décisions rendues dans le cadre des procédures internes concernant le requérant ont été communiquées au Comité et que ces décisions constituent un compte rendu exhaustif de l’examen approfondi des griefs du requérant auquel il s’est livré.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

6.1Dans une note en date du 18 janvier 2017, le requérant a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie, dans lesquels il soutient que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, la communication relève de la compétence ratione materiae du Comité, puisqu’elle touche à la torture telle que celle-ci est définie par la Convention ; les actes de tortures dont il est question seraient commis par des autorités relevant du Gouvernement sri-lankais, à savoir le Département des enquêtes criminelles, la Division des enquêtes antiterroristes de la police sri-lankaise ou les services de renseignement militaire de l’armée sri-lankaise ; ces actes seraient commis intentionnellement, c’est-à-dire qu’ils viseraient à arracher du requérant des informations ou des aveux.

6.2Le requérant est conscient que la question soulevée doit concerner la torture plutôt que des traitements cruels ou inhumains ou des douleurs et souffrances aiguës, et ne le conteste pas. S’il reconnaît que certains éléments de sa requête étaient formulés en des termes faisant apparaître un risque moins important que celui de torture, il y a bien affirmé qu’il existe un risque de torture et il continue d’affirmer que ce risque constitue l’élément central de sa requête.

6.3Le requérant soutient qu’il serait exposé à un risque plus important à son retour à Sri Lanka en 2017 que celui auquel il aurait été exposé en 2007. Il affirme notamment que les soupçons de contrebande d’armes qui pèseraient sur un homme qui a quitté Sri Lanka depuis si longtemps seraient beaucoup plus lourds qu’ils ne l’auraient été en 2007. En outre, selon le requérant, le Gouvernement sri-lankais axe maintenant son action sur la prévention de la résurgence des LTTE au-delà des frontières du pays, et il pourrait être soupçonné d’avoir connaissance de caches d’armes et d’argent dans d’autres pays et d’y avoir des contacts. Le requérant reprend son grief initial selon lequel, en raison de son départ illégal et de sa participation à des activités des LTTE en tant que trafiquant d’armes, il serait détenu à l’aéroport pour une période de temps indéterminée et que, pendant cette détention, il serait interrogé et soumis à la torture. Le requérant ajoute qu’il serait harcelé à son retour à son domicile et qu’il serait également soumis au risque d’être enlevé et interrogé sous la torture en raison de sa participation à des activités des LTTE.

6.4Le requérant fait également valoir qu’en raison des problèmes de santé mentale qu’il a connus pendant sa détention en Indonésie (voir par. 2.2), il aurait dû être traité par les autorités et les tribunaux de l’État partie comme une personne vulnérable, conformément aux lignes directrices concernant les personnes vulnérables. Ces lignes directrices proposent des stratégies de prise en charge des personnes présentant des déficiences associées à des troubles psychologiques et psychiatriques et, plus précisément, des déficiences associées à la torture et à d’autres expériences traumatisantes, parmi lesquelles il est expressément fait mention de la détention. Les personnes souffrant de stress post-traumatique peuvent « réprimer certains éléments de l’événement traumatique [et] avoir des souvenirs très vifs d’autres éléments de l’événement. [...] Cela peut conduire à des incohérences apparentes dans le récit et/ou à l’incapacité de présenter un récit chronologiquement exact ». Le requérant soutient que certaines des incohérences dans ses réponses aux questions qui lui ont été posées dans le cadre de la procédure d’asile étaient dues à son état de santé mentale, mais que le Tribunal de contrôle des réfugiés n’a pas tenu compte de ce facteur lorsqu’il a apprécié la cohérence et la crédibilité de ses déclarations. Il ajoute que la conclusion du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés selon laquelle il ne s’est pas livré à la contrebande d’armes pour le compte des LTTE était fondée sur des arguments déraisonnables et sur le recours à de prétendues connaissances d’experts concernant les pratiques de la marine sri-lankaise pendant la guerre civile, questions qui ne relevaient pas de la compétence du Tribunal, lequel ne disposait d’aucun rapport d’expert concernant ces questions.

6.5Le requérant reconnaît également que la photo qui accompagnait ses observations datées du 14 septembre 2016 n’est pas déterminante. Toutefois, des précisions étaient données concernant les autres personnes apparaissant sur cette photo et l’occasion à laquelle elle avait été prise. Il soutient que l’appréciation négative faite de sa crédibilité par l’État partie (voir par. 5.1) ne tient pas compte des autres précisions dont il a assorti la photo pour atteindre le degré de preuve exigé par le Comité. Compte tenu de ce qui précède, le requérant demande instamment au Comité de conclure que s’il était renvoyé à Sri Lanka, il courrait le risque d’être torturé par des agents du Gouvernement.

Observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans une note en date du 24 mars 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur les commentaires du requérant datés du 18 janvier 2017, indiquant qu’ils ne comportaient aucune information susceptible de modifier son appréciation initiale selon laquelle les griefs soulevés par le requérant sont irrecevables. Cette appréciation s’applique également à l’affirmation du requérant selon laquelle la situation à Sri Lanka a changé et que le Gouvernement sri-lankais centre actuellement son attention sur la résurgence des LTTE. L’État partie maintient également que le récit des faits présenté par le requérant n’est pas crédible.

7.2L’État partie estime en particulier que le requérant n’a pas fourni d’éléments crédibles pour étayer ses affirmations selon lesquelles les autorités sri-lankaises soupçonnent ou savent qu’il s’est livré à la contrebande d’armes pour le compte des LTTE ou qu’il y a un risque prévisible, réel et personnel qu’il soit torturé. Ces affirmations n’ont pas été retenues lors des procédures très complètes qui ont été menées en Australie, notamment devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale, qui ont examiné tant le fond que la recevabilité des griefs du requérant. Les incohérences dans les affirmations du requérant et l’invraisemblance de certaines d’entre elles ont été constatées précédemment dans le cadre de divers mécanismes de décision et d’examen.

7.3L’État partie ne souscrit pas à l’idée que le requérant courrait un plus grand risque à son retour à Sri Lanka en 2017 que celui auquel il aurait été exposé en 2007. Il est indiqué dans le rapport sur Sri Lanka daté du 24 janvier 2017 établi par le Département australien des affaires étrangères et du commerce que l’on estime que pour la majorité des personnes qui rentrent à Sri Lanka, le risque qu’elle soit soumises à la torture ou à des mauvais traitements est considéré comme faible, et qu’il continue de diminuer, y compris pour les personnes soupçonnées d’infraction à la loi sri-lankaise relative aux immigrants et aux émigrant. Les personnes rentrant au pays qui sont soupçonnées d’avoir quitté Sri Lanka de manière illégale sont inculpées en vertu de cette loi et sont soumises aux procédures habituelles de contrôle d’identité et de vérification des antécédents judiciaires. Une fois ces contrôles terminés, l’individu est conduit devant un tribunal de première instance (Magistrate’s Court) pour détermination des prochaines étapes. Les personnes arrêtées peuvent rester en garde à vue au bureau du Département des enquêtes criminelles de l’aéroport jusqu’à vingt-quatre heures après leur arrivée. Si un magistrat n’est pas disponible (le week-end ou un jour férié, par exemple) la personne inculpée peut être détenue temporairement dans une prison voisine. À ce jour, aucune personne rentrant au pays qui n’a fait que voyager dans le cadre d’un trafic de personnes ne s’est vu infliger de peine privative de liberté pour avoir quitté le territoire illégalement; plutôt, des amendes ont été infligées pour dissuader les personnes de quitter le pays illégalement.

7.4Concernant l’argument du requérant selon lequel il aurait dû être traité par les autorités et les tribunaux de l’État partie comme une personne vulnérable conformément aux lignes directrices concernant les personnes vulnérables (voir par. 6.4 ci-dessus), l’État partie affirme assurer à tous le immigrants en détention l’accès à des services de soins de santé, y compris de santé mentale, équivalents à ceux dont disposent la population du pays. S’il était apparu que la santé mentale du requérant se détériorait, il aurait été orienté vers des services médicaux pour évaluation et traitement. De même, le requérant aurait pu s’adresser à de tels services de sa propre initiative.

7.5Dans une note en date du 3 décembre 2018, l’État partie a repris ses observations du 27 octobre 2016, du 11 janvier 2017 et du 24 mars 2017, et a informé le Comité que, compte tenu de l’examen détaillé dont les griefs du requérant avaient fait l’objet, et de la décision selon laquelle les mesures provisoires de protection demandées n’étaient pas justifiées, le requérant serait expulsé d’Australie conformément à l’article 198 de la loi de 1958 relative aux migrations.

7.6L’État partie indique également que les autorités décisionnaires nationales n’avaient pas été saisis de la photo numérisée dont le requérant prétend qu’elle montre qu’il était membre des Sea Tigers et qu’elle a été prise à l’occasion de la commémoration de la « Journée des Tigres noirs » à Kilinochchi, en juillet 2006, ni des allégations ci-après relatives à son parcours formulées devant le Comité : 1) il a quitté l’Inde pour Trincomalee, à Sri Lanka, en 2002, s’est enrôlé dans les LTTE et a été battu et forcé par ceux-ci à suivre un entraînement au maniement des armes lorsqu’il ne s’est pas présenté pour prendre ses fonctions ; 2) il a décidé de se joindre aux Sea Tigers ; 3) fin 2003, il a entamé une formation sur la mécanique navale de base et sur les codes de navigation et de communication ; 4) vers la fin de 2004, il a pris le commandement d’un bateau ; 5) il a reçu l’ordre d’effectuer un transfert d’armes depuis un grand navire au large des côtes indonésiennes et, au cours de ce transfert, il a convenu avec d’autres membres de l’équipage de fuir les LTTE, puis de naviguer vers l’Indonésie, où il a été arrêté et inculpé d’entrée illégale. Le récit du requérant présenté dans la communication qu’il a soumise au Comité diffère grandement de celui qu’il a présenté dans sa demande de visa de protection et au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, devant lequel il a affirmé qu’il avait été forcé de travailler pour les LTTE à partir de 2002 environ, alors que dans la communication soumise au Comité il a déclaré qu’il s’était joint aux Sea Tigers de son plein gré. Le requérant n’a pas expliqué cette incohérence ni fourni de raison plausible pour laquelle il n’avait pas donné cette information auparavant, dans le cadre des procédures nationales. L’État partie rappelle qu’il ne peut établir la véracité des affirmations du requérant concernant les personnes, y compris le requérant lui-même, apparaissant sur la photo, ou les circonstances dans lesquelles elle a été prise, et que cette pièce est insuffisante pour étayer ses affirmations selon lesquelles il se livrait au trafic d’armes pour le compte des LTTE.

7.7L’État partie renvoie au rapport sur Sri Lanka daté du 23 mai 2018 établi par le Département australien des affaires étrangères et du commerce, selon lequel le risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements par les forces militaires, les services de renseignement ou les forces de police a diminué depuis la fin de la guerre civile et que l’État n’encourage plus de telles pratiques. Le Département des affaires étrangères et du commerce estime également que le risque que courent les Sri-Lankais de subir des mauvais traitements pouvant être constitutifs de torture est faible, quel que soit leur religion, leur appartenance ethnique, leur statut ou leur lieu de résidence. Le Département des affaires étrangères et du commerce indique en outre que, bien que les sanctions pour avoir quitté Sri Lanka illégalement puissent comprendre des peines d’emprisonnement et des amendes, dans la pratique, la plupart des cas débouchent sur une amende et non sur une peine d’emprisonnement. Les membres des LTTE peu en vue qui attirent l’attention des autorités sri-lankaises peuvent être placés en détention et peuvent être envoyés dans l’un des seuls centres de réadaptation restants. L’État partie renvoie à l’appréciation faite par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, selon laquelle les conditions de vie dans les centres de réadaptation et les aménagements qui y sont consentis en font des lieux de détention nettement plus humains que les prisons.

7.8L’État partie conclut que le requérant n’a pas fourni d’éléments crédibles pour étayer ses affirmations selon lesquelles les autorités sri-lankaises soupçonnent qu’il s’est livré à la contrebande d’armes pour le compte des LTTE ou qu’il y a un risque prévisible, réel et personnel qu’il soit torturé. En conséquence, il affirme que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs supplémentaires de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à des actes ou des traitements constitutifs de torture au regard de l’article premier de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans des observations en date du 14 mars 2019, le requérant confirme qu’il continue de résider en Australie. Il soutient que son profil d’ancien trafiquant d’armes pour le compte des LTTE implique qu’il est au courant des activités des LTTE en matière d’armes, ce qui est illégal à Sri Lanka. La crainte d’une résurgence des LTTE fait du requérant une personne auxquelles les autorités s’intéressent et lui fait courir le risque d’être interrogé et torturé.

8.2Le requérant ajoute que le fait que le Tribunal de contrôle des réfugiés ne l’ait pas traité comme une personne vulnérable conformément aux lignes directrices a conduit a une appréciation négative de sa crédibilité. Le requérant affirme en outre qu’il a comparu devant le tribunal de circuit sans être représenté et que le tribunal ne lui a pas expliqué qu’elles étaient ses compétences, ses obligations et sa procédure, en particulier qu’il ne pouvait statuer que sur des affaires comportant une erreur de compétence et que le requérant disposait d’un délai après le jugement pour soumettre une demande de modification.

8.3Le requérant soutient également que les conditions de détention à Sri Lanka constituent un traitement cruel et inhumain et qu’elles relèvent donc des obligations en matière de non-refoulement qui incombent à l’État partie en vertu de traités ou de son cadre législatif, et qu’elles entrent dans le champ d’application de la protection complémentaire. Le requérant soutient à cet égard que, bien que la question de l’octroi de la protection complémentaire au regard du risque de préjudice grave ne se pose pas dans les situations d’emprisonnement de courte durée, les périodes d’emprisonnement prolongées augmentent le risque d’être interrogé sous la torture. Il affirme que du fait qu’il n’était pas représenté devant le tribunal de circuit fédéral, il n’a pas pu correctement mettre en évidence la grave inéquité dont le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avait fait preuve. Le requérant demande au Comité de fonder son examen de sa communication sur la crédibilité des éléments qu’il a fournis plutôt que sur l’appréciation faite desdits éléments dans le cadre de la procédure interne.

8.4Le requérant reprend son argument selon lequel la situation à Sri Lanka a changé et que les autorités se préoccupent davantage de la résurgence des LTTE en dehors des frontières de Sri Lanka qu’en 2007. Il affirme qu’il a minimisé sa volonté de travailler pour les LTTE dans ses déclarations à son arrivée en Australie afin de ne pas être considéré comme un terroriste et d’éviter de faire l’objet d’une évaluation négative par l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité, qui aurait pu conduire à une détention pour une durée indéterminée. Le requérant fait également valoir que la nature clandestine de ses activités au sein des LTTE fait qu’il est difficile d’étayer ses affirmations.

8.5Le requérant renvoie à des rapports récents indiquant que le Département des enquêtes criminelles et l’armée exercent un contrôle et une surveillance accrus dans le nord et l’est de Sri Lanka, au moyen de technologies sophistiquées, d’informateurs, de l’interconnexion des postes de police et d’une liste de surveillance. Le requérant affirme que les conditions dans les prisons sri-lankaises ne sont pas conformes aux normes internationales minimales pertinentes du fait de la surpopulation, de l’insalubrité, du recours fréquent à la torture pendant les interrogatoires, de la longueur des procédures judiciaires, de la non‑fourniture de conseils juridiques et du manque de soins médicaux. Il dit que les cas mentionnés dans les rapports du Ministère des affaires étrangères et du commerce ont été reconnus comme provenant de plaintes déposées à l’extérieur de Sri Lanka et qu’il existe peu de témoignage concordants provenant de l’intérieur du pays. Il dit également que les rapports du Ministère des affaires étrangères et du commerce sur la question des méthodes et pratiques des forces de police locales ne font référence à aucun élément de preuve. La référence faite à des méthodes de maintien de l’ordre dépassées laisse supposer que de nouvelles méthodes sont appliquées, ce qui est faux. Le requérant avance donc qu’il ne serait pas prudent d’écarter sans de bonnes raisons la possibilité que des actes de torture soient commis.

8.6Le requérant conclut en déclarant que l’inadéquation du mécanisme de signalement des faits de corruption commis par les unités spéciales de la police conjuguée à l’absence de programme de protection des témoins font qu’il existe un risque réel de torture. Il demande donc instamment au Comité de conclure qu’il ne devrait pas être renvoyé à Sri Lanka car il courrait un risque réel d’y être soumis à la torture.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

9.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la requête au regard de l’article 3, affirmant qu’elle est manifestement dénuée de fondement parce que le requérant n’a pas montré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son renvoi à Sri Lanka l’exposerait personnellement et actuellement à un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. Le Comité estime cependant que le requérant a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief formulé au titre de l’article 3 de la Convention selon lequel il risquerait d’être soumis à la torture et à de mauvais traitements s’il était renvoyé à Sri Lanka. En conséquence, il déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’expulsion du requérant vers Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

10.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays de renvoi. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

10.4Le Comité, renvoyant à son observation générale no 4 (2017), rappelle qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que, en cas d’expulsion, ce risque aurait en soi des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention. Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille ; c) l’arrestation ou la détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace ; e) des actes de torture subis antérieurement (par. 45). Pour ce qui est de l’examen sur le fond d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par. 38). Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; cependant, il n’est pas tenu par ces constatations et il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

10.5En l’espèce, le requérant affirme qu’il risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à Sri Lanka, en raison de sa participation aux activités des LTTE et de leurs Sea Tigers en tant que trafiquant d’armes, car il est notoire que le Département des enquêtes criminelles, la Division des enquêtes antiterroristes de la police sri-lankaise et les Services de renseignements militaires de l’armée sri-lankaise utilisent les aveux comme moyen d’obtenir des déclarations de culpabilité et ont recours à la torture pendant les interrogatoires pour obtenir des aveux. Le Comité prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle il serait être exposé au risque de subir un préjudice parce qu’il a quitté illégalement Sri Lanka et été débouté de sa demande d’asile. Le Comité prend note en outre du grief du requérant selon lequel l’État partie ne s’est pas livré à un examen approfondi de ses affirmations car des incohérences dans son récit ont servi de fondement à une appréciation négative de sa crédibilité, en dépit de ses explications, ce qui a ôté toute valeur probante aux éléments qu’il a présentés. En conséquence, il affirme que lorsque l’État partie a apprécié le risque qu’il courrait en cas de refoulement, il a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la Convention.

10.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs formulés par le requérant ont été examinés de manière approfondie dans le cadre d’un certain nombre de processus décisionnels, notamment par un délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières. En outre, le requérant a saisi le tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire au motif que la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés était entachée d’une erreur de droit. Le Comité note l’indication donnée par l’État partie selon laquelle les autorités et les juridictions nationales compétentes ont estimé que les affirmations du requérant n’étaient pas crédibles et ne mettaient pas en jeu ses obligations en matière de non-refoulement, et que le requérant ne courrait pas le risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention à Sri Lanka.

10.7Le Comité constate en outre que le requérant n’a soumis certains de ses griefs et éléments de preuve corroborante qu’au Comité, après le rejet de sa demande d’asile par les autorités internes. Or le requérant a eu amplement l’occasion d’étayer et de préciser ses griefs dans le cadre des procédures internes. Cependant, il n’a pas prétendu à un stade antérieur, par exemple, s’être joint aux Sea Tigers de son plein gré et avoir reçu l’ordre d’effectuer un transfert d’armes depuis un grand navire au large des côtes indonésiennes, ni soulevé de griefs concernant les risques qu’il pourrait courir ultérieurement pour ces motifs. Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a minimisé sa volonté de travailler pour les LTTE dans ses déclarations à son arrivée en Australie afin de ne pas être considéré comme un terroriste et d’éviter de faire l’objet d’une évaluation initiale négative par l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité, qui aurait pu conduire à une détention pour une durée indéterminée. Les procédures internes se sont déroulées de décembre 2012 à mars 2016, et il est donc peu plausible que le requérant n’ait pas communiqué ces informations importantes pendant cette période, le requérant n’a donné aucune explication plausible quant aux raisons pour lesquelles il a décidé de ne révéler ces informations que dans les observations complémentaires en date du 14 septembre 2016 qu’il a soumises au Comité. En outre, les renseignements et les éléments de preuve fournis à l’appui des affirmations du requérant à cet égard sont très limités.

10.8Le Comité prend note, en outre, des affirmations du requérant selon lesquelles il serait exposé au risque de subir un préjudice du fait qu’il a quitté illégalement Sri Lanka et qu’il a présenté une demande de protection en Australie. Il note qu’à la lumière des renseignements dont elles disposaient sur le pays et des informations diffusées par les médias, les autorités de l’État partie ont souligné que la situation des Tamouls à Sri Lanka avait considérablement changé depuis l’arrivée du requérant en Australie, et qu’elles ont conclu que le requérant n’avait pas un profil qui lui donnerait de bonnes raisons de craindre d’être persécuté pour de quelconques liens qu’on lui prêterait avec les LTTE ou pour le soutien qu’il serait soupçonné d’apporter à cette organisation. S’agissant de l’argument du requérant concernant son renvoi à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté, les autorités nationales ont conclu que les éventuelles amendes ou sanctions qui pourraient lui être infligées en raison de son départ illégal résulteraient d’une loi d’application générale et ne relèveraient pas de la persécution.

10.9S’agissant de l’affirmation du requérant relatif à sa santé mentale, à savoir qu’il est devenu dépressif et a tenté de se suicider alors qu’il était détenu dans un centre indonésien de détention pour immigrants pendant environ huit mois en 2006 et 2007, et son argument selon lequel il aurait dû être traité par les autorités et les tribunaux de l’État partie comme une personne vulnérable conformément aux lignes directrices concernant les personnes vulnérables, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon lequel il assure à tous le immigrants en détention l’accès à des services de soins de santé, y compris de santé mentale, équivalents à ceux dont disposent la population du pays; s’il était apparu que la santé mentale du requérant se détériorait, il aurait été orienté vers des services médicaux pour évaluation et traitement. De même, le requérant aurait pu s’adresser à de tels services de sa propre initiative.

10.10Au vu de ce qui précède, et compte tenu de toutes les informations qui lui ont été soumises par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité estime qu’il ne peut pas conclure que le renvoi du requérant à Sri Lanka lui ferait courir personnellement un risque réel, prévisible et actuel d’être soumis à la torture ou que les autorités de l’État partie ne se sont pas livrées à un examen en bonne et due forme des affirmations du requérant.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.