Nations Unies

CAT/C/75/D/1034/2020

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

31 janvier 2023

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 1034/2020 * , **

Communication présentée par :

S. B.(représenté par un conseil, Michael Fossoh Nkendem)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Cameroun

Date de la requête :

2juillet2020 (date de la lettre initiale)

Référence s:

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 27octobre2020 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

4novembre2022

Objet :

Torture ou mauvais traitements d’un détenu lors d’un incident sanitaire d’urgence

Question ( s ) de procédure :

Recevabilité − épuisement des voies de recours internes ; recevabilité − examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; recevabilité − fondement des griefs

Question ( s ) de fond :

Activités politiques ; obligation de l’État partie de procéder immédiatement à une enquête impartiale ; torture ; traitements cruels, inhumains ou dégradants 

Article ( s ) de la Convention :

1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16

1.Le requérant est S. B., de nationalité camerounaise, né le 25 avril 1967. Il est actuellement détenu à la prison centrale de Yaoundé (Kondengui), à la suite de sa condamnation à la prison à perpétuité. Il considère que l’État partie a violé ses droits au titre des articles 1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 12 octobre 2000. Le requérant est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est considéré comme un prisonnier politique au Cameroun, puisqu’il est l’un des dirigeants du « Gouvernement intérimaire d’Ambazonie », mouvement séparatiste anglophone qui s’oppose depuis trois ans au Gouvernement camerounais dans un conflit qui sévit dans l’ouest du pays. Il a été arrêté illégalement au Nigéria en janvier 2018, avec d’autres dirigeants du mouvement, avant d’être transféré de force au Cameroun.

2.2Le 20 août 2019, le requérant a été condamné à la prison à perpétuité par le tribunal militaire de Yaoundé pour des faits de terrorisme, rébellion et sécession, lors d’un procès dont l’équité a été remise en question. Depuis lors, il exécute sa peine au sein de la prison centrale de Yaoundé.

2.3En mai 2020, alors que le requérant souffrait depuis plusieurs jours de problèmes respiratoires et présentait tous les symptômes associés à la maladie à coronavirus (COVID‑19), les autorités pénitentiaires ne lui ont pas prodigué les soins nécessaires. Son état de santé se dégradant gravement, il a été transféré au matin du 16 mai 2020 à l’hôpital militaire de Yaoundé, où ses proches l’ont trouvé dans un état comateux et sous perfusion. Au soir du 19 mai 2020, les autorités de la prison, prétendant devoir renforcer la sécurité autour du requérant, l’ont menotté avec une trop grande pression et l’ont attaché au lit, alors même qu’aucun élément ne justifiait ces mesures et bien qu’il fût toujours sous perfusion. Le requérant est resté menotté à son lit toute la nuit sans pouvoir bouger et se plaignant, de longues heures durant, de fortes douleurs. Celles-ci ainsi que l’entrave ont été infligées au requérant intentionnellement par les gardiens de la prison, fonctionnaires publics agissant dans l’exercice de leurs attributions officielles et aux fins de lui soutirer des informations ou de faire pression sur lui.

2.4Dans une déclaration faite sous serment, la sœur du requérant a confirmé que ces mêmes gardiens lui avaient fait savoir qu’ils souhaitaient que le requérant « coopère avec eux », eu égard à ses liens avec les mouvements indépendantistes de l’ouest du Cameroun en conflit avec les forces gouvernementales. Le requérant a également reçu un coup à la poitrine par l’un des gardiens de la prison, lui causant ainsi de lourdes douleurs. Ce coup et cette contrainte ont été commis aux fins d’avilir le requérant et de l’humilier, et ont eu pour effet de porter atteinte à sa dignité humaine.

2.5De plus, le requérant a été encapuchonné pendant la nuit, un drap lui ayant été placé sur la tête. Les gardiens de l’escorte ont justifié cette pratique par le fait de le protéger des piqûres de moustique. Cela s’apparente à une technique de « désorientation », qui a pour effet de faire perdre à la victime ses repères géographiques et visuels et cause d’importantes douleurs mentales, notamment lorsque la durée de la privation est particulièrement longue. De surcroît, s’agissant d’un malade présentant les symptômes de la COVID-19, qui provoque une infection respiratoire, cette technique de désorientation n’a pu qu’accroître considérablement les difficultés de respirer et les souffrances inhérentes à la sensation d’asphyxie.

2.6Le 26 mai 2020, le requérant a déposé une plainte auprès du Procureur général concernant les traitements dont il avait été victime à l’hôpital militaire, mais aucune suite n’y a été accordée, et aucune investigation n’a été menée par l’État partie. Le requérant a de nouveau tenté de joindre les autorités judiciaires le 26 juin 2020, mais n’a pas reçu de réponse.

2.7En ce qui concerne la possibilité de déposer une plainte auprès du procureur hiérarchiquement supérieur ou devant les tribunaux concernant le déroulement de l’enquête, il est légalement impossible d’adresser une telle plainte au Parquet général, qui n’est pas compétent pour la recevoir. De même, aucune autre autorité judiciaire n’étant actuellement saisie de ces faits, à cause de l’inertie des autorités internes, il est impossible pour le requérant de s’adresser directement à une juridiction.

2.8Le requérant soutient qu’en tout état de cause, il n’existe pas d’obligation d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir. Il allègue que les voies de recours ne sont ni disponibles ni effectives, et qu’une mise en œuvre de ces recours n’aurait que pour effet de retarder de manière déraisonnable la reconnaissance des mauvais traitements qu’il a subis. En effet, au Cameroun, le système judiciaire n’est pas impartial, et il règne une situation d’impunité généralisée lorsque des violations des droits humains sont commises par des membres de l’administration. Par ailleurs, lorsque des recours sont intentés devant les juridictions compétentes, l’inertie de la justice au Cameroun conduit à l’allongement déraisonnable des délais de procédure, de manière contraire au droit à un procès équitable et à la reconnaissance d’une justice effective et efficace.

Teneur de la plainte

3.1Selon le requérant, l’État partie aurait violé ses droits protégés au titre des articles 1er, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention.

3.2Le refus des autorités de prodiguer au requérant les soins appropriés ainsi que l’entrave à sa liberté, injustifiée et démesurée, constituent un traitement inhumain au sens de l’article 16 de la Convention. Au moment des faits, le requérant était dans un état de santé particulièrement critique, souffrant de graves problèmes respiratoires et présentant tous les symptômes de la COVID-19 en sa forme sévère ; il n’a cependant été ni testé ni traité. Il sortait d’une période de coma et était sous perfusion continue. Il était profondément fatigué et ne pouvait se déplacer librement.

3.3En outre, le requérant a été encapuchonné pendant plusieurs heures, la nuit, ce qui a créé chez lui un état de stress intense et des souffrances mentales. En ne prenant pas en compte son état de santé, les gardiens de la prison n’ont pas respecté la condition humaine du requérant et ont ainsi porté gravement atteinte à sa dignité. À cet égard, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont pu estimer que de tels actes étaient constitutifs de traitements inhumains, au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

3.4La plainte du requérant datée du 26 mai 2020 ainsi que la relance du 26 juin 2020 étant restées sans suite, l’État partie contrevient à son obligation générale d’enquête de rigueur, lorsqu’il y a des raisons de croire que des actes de torture ou des traitements inhumains ont été commis sous sa juridiction, en vertu de l’article 12 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 24 février 2021, l’État partie observe que le requérant est détenu à la prison centrale de Yaoundé depuis le 22 novembre 2018, dans le cadre d’une procédure pour faits d’apologie d’actes de terrorisme, sécession, complicité d’actes de terrorisme, financement des actes de terrorisme, recrutement et formation en vue de commettre des actes de terrorisme, révolution, insurrection, hostilité contre la patrie, bande armée, propagation de fausses nouvelles, atteinte à la sécurité extérieure et intérieure de l’État, et défaut de carte nationale d’identité.

4.2Cette procédure s’est soldée par le jugement no 194/19 des 19 et 20 août 2019, dans lequel le tribunal militaire de Yaoundé a reconnu le requérant coupable des infractions sus‑évoquées et l’a condamné à l’emprisonnement à vie. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel du Centre le 17 septembre 2020.

4.3Le 22 novembre 2018, à la suite du mandat de détention provisoire pris à son égard, le requérant a été inscrit au registre d’écrou de la prison centrale de Yaoundé et placé dans le local 13 du bloc de détention, conformément à l’article 20 du décret no 92/052 du 27 mars 1992 portant régime pénitentiaire au Cameroun. Ce décret fixe notamment les principes et les règles qui garantissent un traitement humain des détenus.

4.4Le 23 novembre 2018, en application de l’article 32 (al. 1) du décret no 92/052, le médecin cardiologue responsable de la santé pénitentiaire a effectué une visite médicale au requérant. De cette visite, il est ressorti que le requérant souffrait de diabète, de mycose et de caries dentaires. Par la suite, le requérant a été reçu à maintes reprises à l’infirmerie de la prison centrale de Yaoundé, au centre médical pénitentiaire de Yaoundé, et dans des hôpitaux ayant un plateau technique plus élevé, à l’instar de l’hôpital militaire de Yaoundé, qui constitue une référence au sein du système national de santé publique.

4.5Le requérant a bénéficié de cinq consultations à l’hôpital militaire de Yaoundé. Le 16 mai 2020, à la suite de « crises de délire », le requérant a été admis aux urgences de l’hôpital militaire de Yaoundé. Il est ressorti de la consultation médicale et des résultats obtenus le même jour que le requérant souffrait d’une hypoglycémie de 0,5 gramme/litre (la valeur normale étant de 0,6 à 1,2), d’un déficit de sodium et de potassium, et d’anémie. Les résultats des examens complémentaires ont établi que le requérant ne souffrait ni de la COVID-19 ni d’un problème de santé affectant le système respiratoire.

4.6Durant son séjour médical de sept jours, le requérant a pu bénéficier de visites de membres de sa famille, et l’un d’eux était en permanence à son chevet. Pour pallier les risques d’évasion, un groupe de garde, permutant toutes les vingt-quatre heures, a été mis en place. En raison de la fraîcheur ambiante à cette époque de l’année, les gardiens de prison ont pris soin de couvrir le requérant jusqu’à la taille avec un drap. Le Régisseur de la prison centrale de Yaoundé a fait plusieurs rondes d’inspection et s’est entretenu avec le requérant ainsi qu’avec les membres de sa famille. Ces derniers n’ont porté à sa connaissance aucun grief.

4.7L’État partie considère que la plainte est irrecevable au motif que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes et que la plainte manque d’éléments de preuve.

4.8Les voies de recours internes sont disponibles au requérant. Ce dernier allègue sans preuve l’indisponibilité des recours internes, leur inefficacité, la durée déraisonnable des procédures subséquentes ainsi que l’impunité des personnes chargées de l’application des lois. Cependant, l’État partie a érigé la torture en infraction par la loi no 97/009 du 10 janvier 1997, laquelle a modifié et complété certaines dispositions du Code pénal. Les alinéas 6 et 7 de l’article 277-3 dudit code précisent que « [l]’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture », et qu’« [a]ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture ». Le législateur camerounais a édicté des peines sévères et proportionnelles à la gravité des actes commis. En fonction du quantum de la peine, la torture est en droit camerounais constitutive tantôt de délit, tantôt de crime, le délit relevant de la compétence du tribunal de première instance, le crime relevant de celle du tribunal de grande instance.

4.9Sur le plan procédural, aux termes des articles 83 et 135 du Code de procédure pénale, les officiers de police judiciaire et le Procureur de la République reçoivent des plaintes de personnes qui s’estiment lésées par une infraction. Dispensées du droit de timbre, les plaintes ne sont soumises à aucun formalisme. Bien qu’étant incarcéré, un détenu peut saisir ces autorités judiciaires sous le contrôle du Régisseur de la prison ou par l’intermédiaire de son avocat.

4.10En l’occurrence, le requérant a choisi d’adresser sa plainte au Procureur général près la cour d’appel du Centre, autorité sous le contrôle de laquelle est placée la police judiciaire dans cette région, conformément à l’article 78 (par.3) du Code de procédure pénale. Contrairement aux allégations contenues dans la communication, le Procureur général près la cour d’appel du Centre a prescrit l’ouverture d’une enquête par le Procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi. Les investigations subséquentes sont en cours. Il sera réservé aux résultats de cette enquête la suite légale appropriée.

4.11Par ailleurs, en vertu des articles 59 à 61 du Code de procédure pénale, toute infraction peut donner lieu, d’une part, à une action publique tendant à faire prononcer contre l’auteur d’une infraction une peine ou une mesure de sûreté − laquelle peut aussi être mise en mouvement par la victime − et, d’autre part, à une action civile tendant à la réparation du dommage causé par une infraction − laquelle peut être exercée par la victime en même temps que l’action publique devant la même juridiction lorsque les deux résultent des mêmes faits.

4.12S’agissant de l’action publique, toute personne sous la juridiction camerounaise qui s’estime lésée par une infraction peut la mettre en mouvement par la voie, soit de la citation directe, soit de la plainte avec constitution de partie civile. En sus de ce que le requérant peut bénéficier de l’assistance judiciaire, la citation directe, comme la plainte avec constitution de partie civile, est une procédure simple et peu onéreuse. Instrumentée par un huissier de justice, la citation directe permet de faire enrôler la procédure dans un délai ordinaire de cinq jours après sa délivrance au mis en cause, conformément à l’article 52 du Code de procédure pénale.

4.13S’agissant de la plainte avec constitution de partie civile, elle est adressée au Président du tribunal compétent, lequel désigne un juge d’instruction qui en sera chargé. En l’espèce, le requérant n’a usé ni de la citation directe ni de la plainte avec constitution de partie civile.

4.14Pour ce qui est de l’action civile exercée séparément de l’action publique, elle est, en fonction du quantum des dommages-intérêts sollicités, portée soit devant le tribunal de première instance pour les demandes de paiement inférieures ou égales à 10 millions de francs CFA, soit devant le tribunal de grande instance pour celles supérieures à 10 millions de francs CFA. Ces tribunaux sont le plus souvent saisis par la voie de l’assignationprévue aux articles 6 et suivants du Code de procédure civile et commerciale. Instrumenté par un huissier de justice, le délai ordinaire entre la signification de l’assignation et la première audience est de huit jours, selon l’article 14 dudit code. En l’espèce, le requérant s’est abstenu d’engager une procédure civile.

4.15En outre, les recours disponibles sont efficaces. La loi pénale s’impose à toutes et tous au Cameroun, et les personnes chargées de l’application de la loi et auteurs de violations des droits humains font l’objet de sanctions judiciaires, sans préjudice des sanctions disciplinaires. Les tribunaux ont connu et connaissent des affaires de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant impliquant des personnes chargées de l’application de la loi. Lorsque la preuve des faits dénoncés est rapportée, ces tribunaux, contrairement aux allégations du requérant sur l’impunité, prononcent des décisions de culpabilité, infligent des peines et octroient des dommages-intérêts aux victimes.

4.16Une illustration récente est l’affaire Ibrahim Bello, dans laquelle un inspecteur et un officier de police ont été poursuivis pour tortures et blessures graves. Par jugement du 6 mai 2020, le tribunal de grande instance du Mbam-et-Inoubou les a reconnus coupables de ces infractions, leur a infligé des sanctions et a alloué aux victimes des dommages-intérêts à hauteur de 50 millions de francs CFA.

4.17S’agissant particulièrement de l’administration pénitentiaire, en 2018, des poursuites ont été engagées devant le tribunal de première instance de Bafia contre quatre gardiens de prison, tous placés sous mandat de détention provisoire, à la suite d’un traitement inhumain infligé à un détenu. Plus généralement, en 2019, devant le tribunal militaire de Bamenda, 31 militaires ont été poursuivis dans le cadre de 10 procédures parmi lesquelles 7 affaires ont déjà été jugées, avec des peines allant de douze mois à sept ans d’emprisonnement pour des faits de violation de consignes, destruction, enlèvement avec fraude, abus de fonction, rétention sans droit de la chose d’autrui, viol, menaces sous condition, assassinat et non‑dénonciation. À titre d’exemple, un soldat de première classe a été condamné à sept ans d’emprisonnement par ce tribunal pour des faits de viol.

4.18Devant le tribunal militaire de Buéa, le 7 novembre 2019, 48 procédures étaient pendantes contre 88 éléments des forces de défense et de sécurité poursuivis pour diverses infractions de violation de consignes, vol aggravé, assassinat, abus de fonction, rétention sans droit de la chose d’autrui, tentative de meurtre, blessures légères et simples, destruction, menaces sous condition, violation de domicile, outrage à la pudeur d’une personne mineure de 16 ans suivi de viol, arrestation et séquestration, et escroquerie. À cette date, 5 affaires étaient déjà jugées, avec des peines allant de douze à dix-huit mois d’emprisonnement. Par ailleurs, des poursuites judiciaires ont été engagées contre deux policiers en 2019, pour des faits d’utilisation abusive d’une arme à feu et de violences au préjudice d’une personne placée en garde à vue.

4.19La présente communication est également manifestement dénuée de fondement, car le requérant n’a fourni aucune preuve pour étayer ses allégations de privation de soins à la prison centrale de Yaoundé, d’actes de violence, d’encapuchonnement ou d’usage de menottes à l’hôpital militaire de Yaoundé. Il s’est contenté de joindre à sa requête une déclaration illisible, laquelle ne permet d’appréhender ni son auteur ni son contenu.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 23 juin 2021, le requérant soutient que l’État partie n’a pas fourni de preuves suffisantes pour étayer ses allégations quant aux soins qu’il aurait reçus en prison et à l’hôpital. Le requérant s’appuie sur plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales pour contester les dires de l’État partie concernant les conditions carcérales actuelles au Cameroun. Il réfute également certaines observations factuelles de l’État partie. Il n’est pas vrai qu’un membre de sa famille était en permanence à son chevet, car les sœurs du requérant ont toutes deux été conduites hors de sa chambre d’hôpital au soir du 19 mai 2020 par les autorités de la prison de Kondengui et ont dû attendre le lendemain matin afin de pouvoir retourner le voir. En outre, il n’a pas été couvert jusqu’à la taille avec un drap, mais de la tête aux pieds, tel un cadavre. Sous couvert d’une potentielle protection contre les fortes chaleurs et les moustiques, il a subi un réel traitement inhumain, lui provoquant de graves séquelles psychologiques. Enfin, le soir du 19 mai 2020, ses poignets ont été enchaînés à son lit d’hôpital alors même qu’il était sous perfusion. Ce traitement inhumain a entraîné de graves séquelles corporelles au requérant.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, le requérant a saisi le Procureur général les 26 mai et 26 juin 2020, sans réponse, sur les fondements de la violation des articles 1er, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention. Il a donc toute légitimité à déposer une requête devant le Comité.

5.3Par ailleurs, aucune des actions présentées dans les observations de l’État partie ne peut être considérée comme effective. De nombreuses violations des droits humains commises au sein de la prison de Kondengui, dont des traitements inhumains, ont fait l’objet de recours auprès des différentes juridictions internes. Presque aucun de ces recours n’a abouti, au prétexte d’un manque de preuves ou encore à cause de brutalités perpétrées par les forces de l’ordre camerounaises sur plusieurs avocats. Ces recours ne présentent donc pas de perspectives raisonnables de succès, requièrent des exigences excessives par rapport à cette requête et ne sauraient remédier à la situation incriminée.

5.4À l’égard du fondement de la plainte, le requérant explique que lorsqu’il a été encapuchonné, les autorités ont interdit toute photographie de la scène. Par conséquent, aucune preuve visuelle n’a pu être jointe à la requête. Ces mauvais traitements ne sont pas un cas isolé. Le 5 août 2020, un détenu de la prison de Kondengui dénommé T. T. est décédé lors de son séjour à l’hôpital central de Yaoundé, lui aussi menotté à son lit d’hôpital, en conséquence des mauvais traitements subis. De la même manière, un autre détenu dénommé I. O. a été enchaîné plusieurs jours à son lit d’hôpital par les autorités de la prison. Le 31 mai 2021, I. O. a dû quitter l’hôpital Jamot de Yaoundé alors même qu’il n’était pas encore guéri, du fait des souffrances physiques et psychologiques entraînées par ces mauvais traitements.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 28 juin 2021, l’État partie réitère ses arguments concernant la disponibilité et l’efficacité des voies de recours internes non épuisées, et l’absence de fondement de la requête. En particulier, il informe le Comité qu’à la suite du dépôt d’une plainte par le requérant auprès du Procureur général près la cour d’appel du Centre, l’enquête ouverte par le Procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi est toujours en cours. Telle suite légale qui sera jugée appropriée sera réservée aux résultats de cette enquête.

6.2En ce qui concerne le fond de la requête, l’État partie considère qu’en circonscrivant les allégations de privation de soins au seul mois de mai 2020, le requérant admet implicitement que, depuis le 22 novembre 2018, date de son incarcération, sa prise en charge médicale a toujours été assurée.

6.3En effet, lors de cette incarcération, comme tout détenu, le requérant a été inscrit au registre d’écrou et placé dans un local du bloc de détention, conformément à l’article 20 du décret no 92/052. Ce décret fixe notamment les principes et les règles qui garantissent un traitement humain des détenus.

6.4Le requérant n’a pas subi de traitements inhumains au sein de la prison ou lors de son hospitalisation. En complément des informations décrites au paragraphe 4.4 supra, l’État partie précise que conformément à la loi, une visite médicale d’incarcération a été conduite le 23 novembre 2018 par le médecin cardiologue responsable de la santé pénitentiaire pour la région du Centre, le docteur Kevin Nkem Efon, Administrateur général des prisons. De cette visite médicale, il est ressorti que le requérant souffrait de diabète, de mycose et de caries dentaires. Un protocole de soins a été subséquemment mis en place pour une prise en charge appropriée.

6.5Dans le cadre de cette prise en charge, aux frais de l’État, le requérant a été, à plusieurs reprises, reçu non seulement à l’infirmerie de la prison centrale de Yaoundé mais aussi au centre médical pénitentiaire de Yaoundé. Bien plus, le Régisseur de la prison a toujours pris les mesures logistiques afin qu’il soit, toujours aux frais de l’État et lorsque les circonstances l’exigeaient, transféré vers les hôpitaux ayant un plateau technique plus relevé, à l’instar de l’hôpital militaire de Yaoundé − qui est un hôpital de référence du système national de santé publique −, où il a bénéficié de multiples consultations.

6.6Même dans le contexte de la pandémie de COVID-19, l’État partie a continué d’assurer la prise en charge médicale du requérant. Il importe de signaler qu’en mai 2020, l’État partie a procédé à des tests de dépistage sur un échantillon aléatoire de plusieurs centres pénitentiaires, dont la prison centrale de Yaoundé. Des cas positifs ayant été révélés, le Ministère de la santé publique a recommandé l’application du protocole médical national pour les positifs asymptomatiques à l’ensemble de la population carcérale de référence, moyennant acceptation (le taux d’acceptation s’élevait à 97,6 %). Le requérant a consenti à prendre ce traitement.

6.7Au-delà du cas du requérant, l’État partie multiplie les efforts pour améliorer la couverture sanitaire de tous les détenus, à laquelle il a affecté en 2019 une enveloppe budgétaire de 1 050 000 000 francs CFA. Un total de 65 901 consultations de routine ont été effectuées. Pour répondre au défi de la qualité du plateau technique des prisons, 1 455 cas ont été référés pour des consultations externes, qui ont abouti à 377 cas d’hospitalisation externe et même à des cas d’évacuation à l’étranger. En 2020, on a dénombré 180 hospitalisations externes et 1 617 consultations externes.

6.8S’agissant particulièrement de l’affection sus-évoquée, à la suite du constat des crises de délire du requérant, ce dernier a été immédiatement, soit le 16 mai 2020, transféré vers l’hôpital militaire de Yaoundé par l’administration pénitentiaire. Il est ressorti de la consultation médicale du médecin de service du jour et des résultats obtenus le même jour que le requérant souffrait d’une hypoglycémie de 0,5 gramme/litre (la valeur normale étant de 0,6 à 1,2), d’un déficit de sodium (hyponatrémie), d’un déficit de potassium (hypokaliémie) et d’une anémie modérée. Les résultats des examens complémentaires ont établi qu’il ne s’agissait ni de la COVID-19 ni d’un problème de santé affectant le système respiratoire.

6.9Depuis l’incarcération du requérant et nonobstant le fait que celui-ci avait en sa possession plusieurs objets prohibés par le règlement intérieur de la prison centrale de Yaoundé, qui ont dès lors été saisis, le requérant n’a jamais fait l’objet de mesure disciplinaire.

6.10Les allégations du requérant de traitements inhumains au sein de l’hôpital militaire de Yaoundé ne sont soutenues par aucun élément de preuve. L’État partie réitère les informations contenues dans le paragraphe 4.6 supra, et observe que le Régisseur de la prison centrale de Yaoundé a effectué plusieurs rondes d’inspection à l’hôpital et s’est entretenu avec le requérant ainsi qu’avec les membres de sa famille. Aucun grief n’a été signalé par ses collaborateurs, par le personnel ou par les visiteurs, pas plus que par le garde-malade.

6.11La vacuité des allégations d’actes de violence est renforcée par le fait que le requérant n’a pas cru devoir indiquer le nom du ou des auteurs de ces actes, et encore moins indiquer le jour et l’heure des faits, dans la mesure où les groupes de garde permutaient toutes les vingt-quatre heures.

6.12Par ailleurs, l’usage temporaire de menottes comme instrument de contrainte se justifiait notamment par les risques d’évasion, des groupuscules terroristes dont se réclame le requérant ayant diffusé sur les réseaux sociaux des messages annonçant des attentats à Yaoundé et suggérant qu’ils donneraient l’assaut sur l’hôpital pour le libérer. Il était donc nécessaire de prendre des dispositions appropriées, compte tenu des risques, pour restreindre la possibilité d’évasion.

6.13La nécessité de l’utilisation d’un instrument de contrainte devrait s’apprécier sous le prisme de l’opportunité et de la proportionnalité. L’opportunité est établie au regard du profil du détenu et de sa position extra - muros. La proportionnalité découle de ce que le requérant n’a pas été immobilisé toute la nuit mais s’est vu placer des menottes sur une seule main, ce qui lui permettait de faire les mouvements nécessaires. Lesdites menottes étaient provisoirement ôtées chaque fois qu’il le sollicitait.

6.14La règle 48 (par. 1 b)) de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) indique à cet effet que la méthode utilisée pour la contrainte doit être raisonnablement disponible pour contrôler les mouvements du détenu, compte tenu du niveau et de la nature des risques courus. À cet égard, il est évident que le moyen « raisonnablement disponible » dont disposait l’administration pénitentiaire dans cette situation était les menottes.

6.15La règle 48 (par. 1 c)) des Règles Nelson Mandela indique que les moyens de contrainte ne doivent être utilisés que le temps qui est nécessaire et être retirés dès que possible une fois qu’il n’y a plus de risques liés à la liberté de mouvement. En respect de cette orientation pertinente, les moyens de contrainte exercés contre le requérant le 19 mai 2020 à partir de 20 heures lui ont été retirés le 20 mai 2020 à partir de 6 heures, lorsque les risques d’évasion et d’attaque en plein jour ont été considérés comme minimes. À partir de là, les menottes n’ont plus été placées sur l’intéressé jusqu’à sa sortie de l’hôpital.

6.16Les allégations du requérant relatives à l’obtention de renseignements et aux pressions exercées ne sont pas pertinentes. Le requérant prétend que le personnel de l’administration pénitentiaire lui aurait infligé des mauvais traitements pour obtenir de lui des renseignements ou pour faire pression sur lui au regard de ses liens avec des groupuscules terroristes. Or, il n’en est rien.

6.17Avant l’incarcération du requérant, l’enquête au sujet de ses agissements criminels avait été bouclée, et toutes les preuves retenues à son égard avaient déjà été rassemblées. De plus, bien avant la date des faits allégués, le juge d’instruction du tribunal militaire de Yaoundé avait clôturé l’information judiciaire et renvoyé le requérant devant ledit tribunal, qui a rendu sa décision de condamnation le 20 août 2019. Par conséquent, en mai 2020, il n’était d’aucun intérêt de soutirer des renseignements au requérant ou de faire pression sur lui.

6.18En outre, les membres de l’administration pénitentiaire ne sont pas, au sens des articles 79, 80 et 81 du Code de procédure pénale, des officiers de police judiciaire, et encore moins des agents de police judiciaire. Ils n’ont pas, par conséquent, compétence pour notamment rassembler des preuves ou assister un officier de police judiciaire. Il est ainsi chimérique de prétendre qu’ils auraient agi pour soutirer des renseignements ou exercer une quelconque pression.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie sur le fond

7.1Dans ses commentaires du 16 février 2022, le requérant soutient que ses efforts pour épuiser les voies de recours internes n’ont pas abouti en raison de retards déraisonnables. L’État partie affirme qu’une enquête a été ouverte à la suite de la plainte déposée par le requérant le 26 mai 2020 auprès du Procureur de la République, mais n’explique pas la raison pour laquelle ladite enquête n’a pas été menée ni clôturée. La seule existence de lois qui prévoient des peines pour le crime de torture ne suffit pas à démontrer la disponibilité pour le requérant de recours internes efficaces. En l’occurrence, l’accès du requérant aux recours internes a été entravé par des actes et omissions d’agents étatiques.

7.2L’État partie a concédé que le requérant avait été privé de soins médicaux prompts et n’avait été amené dans un hôpital militaire que lorsque son état de santé s’était détérioré. Selon le rapport médical soumis par l’État partie, l’état de santé du requérant était grave et nécessitait des soins spécialisés. Par ailleurs, ce rapport ne contenait pas de recommandation ou d’ordonnance par le médecin traitant visant à ce que le requérant soit menotté à son lit durant l’administration de soins.

7.3Les autorités internes ont obtenu le livret médical du requérant par le biais de fausses déclarations. Le requérant a joint à sa requête la demande qu’il avait présentée aux autorités pénitentiaires de lui renvoyer son livret médical, qui est toujours en leur possession. Les autorités pénitentiaires de la prison de Kondengui, où le requérant est incarcéré, ont reçu la demande de livret d’hôpital en date du 10 février 2022, mais n’ont ni accusé réception de cette demande ni renvoyé ledit livret. L’État partie n’a pas fait valoir que, dans cet état de santé déplorable, le requérant avait tenté de s’échapper, ce qui justifiait de le soumettre à des actes de torture et à d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants en l’enchaînant au lit d’hôpital. L’État partie n’a pas contesté le fait que ses agents pénitentiaires avaient soumis le requérant à des interrogatoires injustifiés et l’avaient frappé à la poitrine pendant l’interrogatoire à l’hôpital, pour tenter de le forcer à avouer une accusation injustifiée, qu’il a niée.

7.4L’État partie n’a pas expliqué ni apporté la preuve que le requérant, qui était gravement malade et se trouvait dans un hôpital militaire, aurait eu en sa possession du matériel illégal et aurait été au courant des informations prétendument diffusées sur les médias sociaux concernant des efforts par des personnes non identifiées de libérer le requérant de prison.

7.5L’État partie a violé les droits du requérant au titre de l’article 2 de la Convention en ce qu’il a reconnu et a tenté de justifier les actes de torture et mauvais traitements à l’encontre du requérant sur la base de la proportionnalité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si elle est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que le cas du requérant a été signalé au Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui a émis un avis sur l’affaire en octobre 2022. Toutefois, il rappelle que le mandat du Groupe de travail sur la détention arbitraire concerne, ratione materiae, la question de la privation arbitraire de liberté et non la question de la torture. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas du requérant par cette procédure ne rend pas la communication irrecevable au titre de cette disposition.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il doit s’assurer que le requérant a épuisé les voies de recours internes disponibles, cette règle ne s’appliquant pas lorsque les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction à la victime présumée. Le Comité observe que selon l’État partie, le requérant n’a eu recours à aucune des trois procédures internes disponibles. Notamment, ce dernier n’a pas envisagé la possibilité de porter plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction compétent, ou de saisir directement le juge par voie d’une citation directe de particulier en vertu du Code de procédure pénale. Par ailleurs, il n’a pas porté plainte au titre des articles 83 et 135 du Code de procédure pénale auprès de la police judiciaire et du Procureur de la République, qui reçoivent des plaintes de personnes s’estimant lésées par une infraction.

8.3Cependant, le Comité observe que selon l’État partie, à la suite du dépôt par le requérant d’une plainte adressée le 26 mai 2020 au Procureur général près la cour d’appel du Centre, celui-ci a prescrit l’ouverture d’une enquête par le Procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi, et les investigations subséquentes sont en cours. Toutefois, le Comité observe que le requérant n’a pas soulevé dans sa plainte du 26 mai 2020 l’agression dont il aurait été victime à l’hôpital, aux mains d’un agent de police qui lui aurait donné un coup de poing dans la poitrine lors d’un interrogatoire à l’hôpital, alors qu’il était souffrant, afin de lui soutirer des renseignements. De plus, le requérant n’a pas porté plainte auprès des autorités concernant ses allégations selon lesquelles les autorités pénitentiaires et les membres de l’administration de l’hôpital militaire de Yaoundé lui auraient fait subir des actes de torture et des mauvais traitements en refusant de lui prodiguer des soins en prison pour des problèmes respiratoires similaires aux symptômes de la COVID-19, qui l’ont fait tomber dans le coma. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle de simples doutes quant à l’utilité d’un recours ne libèrent pas le requérant de l’obligation d’épuiser ce recours. Compte tenu de ce qui précède, le requérant n’ayant donné aucune explication au sujet des raisons pour lesquelles il n’a pas porté plainte au niveau interne concernant ces faits, le Comité déclare ces aspects de la communication irrecevables en application de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention.

8.4Néanmoins, le Comité observe que dans ladite plainte du 26 mai 2020, le requérant a affirmé être tombé dans le coma diabétique en prison le 16 mai 2020, et a allégué avoir été « brutalisé » lorsqu’il avait été menotté de force le soir du 19 mai 2020, après avoir tenté de résister au placement de menottes, et lorsque l’un des gardiens à l’hôpital l’avait couvert d’un drap pour empêcher que des moustiques lui piquent le visage. Étant donné que le Procureur de la République a reçu la plainte du requérant le 26 mai 2020, que plus de deux ans après les faits, l’enquête est toujours en cours, et que les informations reçues par le Comité n’indiquent pas que des progrès concrets ont été réalisés dans l’enquête, le Comité considère que ce recours a excédé des délais raisonnables. Quant aux possibilités de porter plainte avec constitution de partie civile ou de saisir directement le juge par voie d’une citation directe, le Comité conclut qu’à la lumière de ce qui précède, les recours qu’évoque l’État partie n’auraient pas été utiles dans le cas d’espèce. Par conséquent, le Comité considère qu’il n’est pas empêché, en application de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, d’examiner les allégations du requérant selon lesquelles des agents étatiques lui auraient fait subir des actes de torture et des mauvais traitements : a) en le menottant de manière brutale ; b) en entravant sa liberté en ce qu’il ne pouvait pas se déplacer librement à l’hôpital et était menotté dans le lit hospitalier pendant la nuit du 19 mai 2020, ce qui lui a causé des douleurs ; et c) en lui mettant un drap sur la tête dans le lit hospitalier.

8.5Le Comité rappelle que, pour être recevable en vertu de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité prend note que selon l’État partie, la communication est manifestement dénuée de fondement. Il rappelle que selon la plainte du requérant du 26 mai 2020, l’un des gardiens l’aurait couvert d’un drap pour le protéger des moustiques qui le piquaient au visage et dont il se plaignait. Le Comité observe que dans la même plainte, le requérant n’a fourni aucun détail concernant la manière dont il aurait été brutalisé lors du placement de menottes, et que dans sa requête soumise au Comité, le requérant affirme avoir été menotté avec une pression excessive, mais n’explique pas la manière dont cet acte aurait constitué un acte de torture ou traitement cruel, inhumain ou dégradant, et ne fait pas mention d’actes de violence. En outre, le Comité observe que selon l’État partie, les menottes ont été placées sur une seule main du requérant le 19 mai 2020 à partir de 20 heures, et lui ont été retirées le 20 mai 2020 à partir de 6 heures, lorsque les risques d’évasion et d’attaque en plein jour ont été considérés comme minimes ; et qu’à partir de là, les menottes n’ont plus été placées sur le requérant jusqu’à sa sortie de l’hôpital. Le Comité observe également que le requérant n’a pas fourni de détails en ce qui concerne les séquelles qui auraient résulté de l’usage de menottes pendant une durée de dix heures ou qui découleraient d’autres actes ou omissions des agents pénitentiaires ou hospitaliers.

8.6Le Comité renvoie au paragraphe 38 de son observation générale no 4 (2017), dont il ressort que la charge de la preuve incombe au requérant, qui est tenu de présenter des arguments défendables. À la lumière de ce qui précède, et dans les circonstances de l’espèce, le Comité estime que le requérant ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve, n’ayant pas fourni suffisamment d’informations afin d’établir que, lorsqu’il a été menotté ou couvert d’un drap à l’hôpital la nuit du 19 mai 2020, il a subi des blessures ou d’autres traitements qui pourraient être qualifiés d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants aux fins des articles 1er ou 16 de la Convention. Par conséquent, le Comité considère que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses griefs au titre des articles 1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention aux fins de la recevabilité.

8.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité déclare la requête irrecevable faute d’épuisement des voies de recours internes et faute de fondement, conformément à l’article 22 de la Convention et à l’article 113 (al. b)) de son règlement intérieur.

8.8En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.