Comité contre la torture
Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 962/2019 * , **
Communication présentée par : |
R. K. et L. B. M. (représentés par un conseil, Alfred Ngoyi Wa Mwanza) |
Victime(s) présumée(s) : |
Les requérants |
État partie : |
Suisse |
Date de la requête : |
4 août 2019 (date de la lettre initiale) |
Références : |
Décision prise en application de l’article 114 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 21 octobre 2019 (non publiée sous forme de document) |
Date de la présente décision : |
11 novembre 2022 |
Objet : |
Expulsion vers la République démocratique du Congo |
Question(s) de procédure : |
Néant |
Question(s) de fond : |
Risque de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas d’expulsion vers le pays d’origine |
Article(s) de la Convention : |
3 |
1.1Les requérants sont R. K., né le 25 novembre 1952, et son épouse, L. B. M., née le 21 mars 1962, tous deux ressortissants de la République démocratique du Congo. À la suite du rejet de leur demande d’asile par la Suisse, ils ont fait l’objet d’une décision de renvoi vers la République démocratique du Congo. Ils considèrent qu’un tel renvoi constituerait une violation par l’État partie de leurs droits au titre de l’article 3 de la Convention.
1.2Le 21 octobre 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas accéder à la demande de mesures provisoires des requérants.
Rappel des faits présentés par les requérants
2.1En novembre 2015, R. K., le premier requérant, a appris l’arrestation de son neveu à Brazzaville par des agents de l’Agence nationale de renseignements à la suite d’un conflit l’opposant à son locataire qui l’aurait dénoncé aux services de renseignement comme opposant au régime. Le premier requérant a fait appel à un ami qui était colonel de l’armée congolaise pour qu’il l’aide à retrouver la trace de son neveu. Grâce à lui, il a appris que son neveu serait détenu dans un cachot de la Détection militaire des activités anti-patrie, accusé de collusion avec les forces extérieures pour déstabiliser le régime de la République démocratique du Congo. Compte tenu de la gravité de l’affaire et de l’impossibilité dans laquelle se trouvait son ami colonel de l’aider davantage, le premier requérant a entamé diverses démarches auprès d’un avocat et de l’organisation non gouvernementale « La voix des sans voix pour les droits de l’homme », sans succès. Finalement, en décembre 2015, il s’est adressé à la personne responsable de Human Rights Watch en République démocratique du Congo.
2.2À la fin du mois de décembre 2015, le neveu du premier requérant a été libéré sans que des poursuites n’aient été engagées contre lui. De mars à mai 2016, les requérants ont voyagé en Afrique du Sud. À leur retour, ils ont été avertis par leur ami colonel que le premier requérant aurait été fiché par les services de sécurité de la République démocratique du Congo pour avoir porté l’affaire de son neveu devant Human Rights Watch, et que son nom figurerait dans un rapport de juillet 2016 de l’organisation. De plus, la personne de Human Rights Watch à laquelle le premier requérant s’était adressé a été expulsée du pays.
2.3À leur retour d’un voyage en Europe en juillet 2016, les requérants ont été informés par des voisins que des inconnus avaient cherché le premier requérant à son domicile. Ce dernier aurait consulté son ami colonel qui lui aurait conseillé de ne pas retourner chez lui ; le requérant s’est donc installé chez des amis.
2.4Le 10 mai 2016, le premier requérant a reçu une convocation l’enjoignant de se présenter à l’Agence nationale de renseignements pour des motifs qui lui seraient communiqués sur place. Début septembre 2016, le premier requérant s’est rendu à Rutshuru craignant pour sa sécurité et pour sa vie. Le requérant n’ayant pas donné suite à la convocation, les autorités congolaises ont établi un mandat d’amener à son encontre. La deuxième requérante est quant à elle restée à Kinshasa dans un premier temps avant de se rendre au Kasaï en raison de la mort de son père puis de rejoindre son mari en décembre 2016.
2.5Dans la nuit du 23 décembre 2016, des militaires armés se sont rendus au domicile des requérants et les ont accusés de détention d’armes et d’espionnage contre l’État congolais au profit des milices. Le premier requérant a été emmené dans un véhicule et frappé au point de perdre connaissance. Il a repris connaissance en pleine nature et a été secouru par des villageois et des membres de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo qui l’ont conduit dans un centre hospitalier à Rutshuru où il a passé plusieurs semaines. Fin janvier 2017, le premier requérant a atteint le centre de réfugiés de Bondeko, en Ouganda, grâce à un prêtre rencontré dans le centre hospitalier. En Ouganda, il a été informé par son ami colonel que, le 30 janvier 2017, un avis de recherche avait été émis contre lui pour haute trahison et atteinte à la sûreté nationale de l’État par l’Agence nationale de renseignements.
2.6Craignant pour sa vie et sa sécurité en Ouganda en raison de la proximité avec la République démocratique du Congo et des relations entre les deux pays, le requérant a rejoint la Suisse en passant par Istanbul le 15 mai 2017 grâce aux services d’un passeur et avec un passeport d’emprunt. Une fois arrivé en Suisse, où réside l’une de ses filles, il a immédiatement déposé une demande d’asile.
2.7La deuxième requérante, séparée de son mari au moment où celui-ci avait été agressé, a été également abandonnée dans la nature par ses ravisseurs. Elle a ensuite été hébergée par des religieuses avant de se rendre, le 22 mai 2017, au centre de réfugiés de Bondeko, aidée par le même prêtre que son mari. Elle est arrivée en Suisse le 3 juillet 2017 par le même chemin que son mari et avec l’assistance d’un passeur.
2.8Le premier requérant a fondé ses motifs de demande d’asile sur ses craintes d’être persécuté par les services de sécurité de la République démocratique du Congo en raison de la détention de son neveu et de ses comportements envers les autorités. Par une décision du 10 avril 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la demande d’asile des requérants. Les requérants ont contesté cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral suisse. Ce recours a été rejeté le 20 juin 2019 par le Tribunal administratif fédéral qui a souligné que le neveu du requérant avait été relâché au bout de quelques semaines sans que des poursuites ne soient engagées contre lui, ce qui ne paraît pas compatible avec l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État. Il était dès lors improbable que le requérant soit inquiété par l’État pour s’être enquis de son neveu. Selon le Tribunal administratif fédéral, il était aussi invraisemblable que le requérant ait été cité nommément dans le rapport de Human Rights Watch. Le Tribunal administratif fédéral a affirmé qu’il n’existait aucune preuve probante que le requérant soit recherché par les autorités congolaises et a mis en doute l’authenticité des documents fournis par les requérants. En particulier, les attestations fournies par les centres Bondeko et Masaja rapportent une version différente et nouvelle des faits, qui n’avait jamais été mentionnée par les requérants. Le fait qu’elles ait été émises aux mêmes dates et que les attestations du centre Bondeko aient été rédigées en français et non en anglais, qui est la langue officielle de l’Ouganda, suggère également que ces documents ont été faits à la demande des requérants.
2.9À la suite de la décision du Tribunal administratif fédéral, le délai imparti aux requérants pour quitter la Suisse était fixé au 5 août 2019. Les requérants se trouvent, toutefois, encore en Suisse à ce jour. Ils peuvent être placés en détention et renvoyés en République démocratique du Congo à tout moment.
2.10Les requérants allèguent qu’ils ont épuisé toutes les voies de recours internes.
Teneur de la plainte
3.1Les requérants soutiennent que leur renvoi vers la République démocratique du Congo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention en raison de l’existence d’un risque concret, personnel et sérieux de torture et de mauvais traitements sur la personne du premier requérant en cas de retour dans le pays.
3.2Les requérants soulignent que l’avis de recherche émis contre le premier requérant aurait comme conséquence son arrestation dès son entrée sur le territoire congolais et sa détention pour une durée indéterminée. Vu la nature politique des infractions d’atteintes à la sûreté de l’État et de trahison dont il serait accusé et les violations systématiques des droits de l’homme en République démocratique du Congo, en particulier en termes de procès équitable et de conditions de détention, et vu les pratiques de l’Agence nationale de renseignements, il existe un risque imminent de préjudice irréparable, réel et personnel, pour le premier requérant d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants. Le premier requérant soutient qu’à la suite du changement de président, en décembre 2018, les services de sécurité sont restés les mêmes et qu’il n’existe pas de procès équitable en cas d’infractions à caractère politique. Les requérants soutiennent également que les documents qu’ils présentent démontrent qu’ils courent des risques réels, actuels et personnels d’être soumis à la torture et à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention.
3.3En conséquence, les requérants demandent au Comité d’adopter des mesures provisoires en leur faveur en demandant à l’État partie de ne pas les renvoyer vers la République démocratique du Congo en attendant l’issue de l’affaire devant le Comité.
Observations de l’État partie sur le fond
4.1Le 7 avril 2020, l’État partie a soumis ses observations concernant le fond de la requête, soutenant que les auteurs n’avaient pas apporté d’éléments concrets pour étayer l’affirmation selon laquelle ils seraient exposés à des risques prévisibles, personnels et réels de torture ou de mauvais traitements en cas de retour en République démocratique du Congo. L’État partie demande donc au Comité de constater que le renvoi des requérants vers ce pays ne constituerait pas une violation des engagements internationaux de la Suisse au titre de l’article 3 de la Convention.
4.2L’État partie mentionne l’observation générale no 4 (2017) du Comité sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, qui prévoit que l’auteur d’une communication doit prouver qu’il court un risque prévisible, actuel, personnel et réel d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers son pays d’origine, et qu’un tel risque doit apparaître comme sérieux, les allégations devant se baser sur des faits crédibles. L’État partie se réfère par ailleurs aux éléments qui doivent être pris en compte par le Comité pour conclure à l’existence d’un tel risque, énoncés au paragraphe 49 de l’observation générale no 4 (2017).
4.3En ce sens, en ce qui concerne les preuves de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, l’État partie soutient qu’il s’agit toutefois, suivant la jurisprudence du Comité, de déterminer si les requérants risquent personnellement d’être soumis à la torture, car l’existence d’un ensemble de violations ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être victime de torture à son retour dans son pays. En l’espèce, l’État partie souligne que malgré les affrontements locaux qui surgissent sporadiquement et des tensions surtout dans l’est du pays, il n’existe pas sur l’ensemble de la République démocratique du Congo une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée. L’État partie soutient que les requérants n’ont pas apporté d’éléments, à ce titre, permettant de conclure qu’ils courraient un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo.
4.4L’État partie soutient que la torture ou les mauvais traitements subis par le passé constituent des éléments à prendre en compte pour apprécier le risque d’être soumis à nouveau à la torture ou à des mauvais traitements en cas de retour dans son pays. En l’espèce, l’État partie soutient que les requérants n’ont jamais spécifié les mauvais traitements auxquels ils prétendent avoir été exposés ni apporté de preuves provenant de sources indépendantes permettant d’étayer leurs allégations.
4.5En ce qui concerne les activités politiques des requérants à l’intérieur ou hors de la République démocratique du Congo, comme élément à prendre en compte pour l’évaluation du risque d’être soumis à la torture en cas de retour, l’État partie considère qu’il ne ressort pas du dossier que les requérants se seraient livrés à des activités politiques.
4.6Enfin, en ce qui concerne les preuves de crédibilité des allégations, l’État partie observe que tant le Secrétariat d’État aux migrations que le Tribunal administratif fédéral ont rejeté les motifs d’asile avancés par les requérants, considérant qu’ils avaient présenté un récit invraisemblable, artificiel et construit. En particulier, l’État partie soutient que les requérants n’ont pas étayé de façon convaincante l’affirmation selon laquelle le premier requérant était recherché pour avoir renseigné Human Rights Watch et l’accusation portée contre les autorités congolaises qui seraient responsables de l’enlèvement par une bande armée dont les requérants auraient été victimes en décembre 2016. Concernant les preuves présentées par les requérants, l’État partie observe que la copie de la convocation par l’Agence nationale de renseignements soumise au Comité est datée du 10 mai 2016, alors que celle remise aux autorités suisses est datée du 29 août 2016. Selon l’État partie, la version remise au Comité rend moins vraisemblable le fait que les requérants aient pu voyager en France puis revenir en République démocratique du Congo sans rencontrer de problème en juillet 2016, bien que les requérants déclarent avoir reçu la convocation deux ou trois semaines après leur retour. L’État partie soulève également les doutes du Tribunal administratif fédéral quant à l’authenticité de la convocation émise par les autorités nationales. En ce qui concerne l’avis de recherche, l’État partie se rallie aux conclusions du Tribunal administratif fédéral et considère sa portée probatoire comme nulle, tout en soulignant que ledit document contient des erreurs d’orthographe surprenantes. L’État partie soutient que les deux attestations concernant les séjours des requérants au centre de réfugiés de Bondeko ne sauraient être qualifiées d’indices du risque de persécution en République démocratique du Congo. L’État partie s’étonne que les documents ne soient pas rédigés en anglais et qu’ils mentionnent une attaque contre le premier requérant à Kampala qui n’avait jamais été mentionnée par celui-ci. De plus, il ressort du document que le premier requérant serait parti à l’étranger le 29 avril 2017, alors qu’il a quitté l’Ouganda le 15 mai 2017 selon le procès-verbal de son audition devant le Secrétariat d’État aux migrations. L’État partie ajoute que l’attestation concernant la deuxième requérante, établie le 24 juillet 2017, confirme son intention de partir le lendemain, alors qu’elle était déjà arrivée en Suisse le 27 juin 2017. L’État partie souligne également l’incohérence des lettres attestant les séjours des requérants au centre Masaja signées le 28 avril 2017 et confirmant que le premier requérant avait quitté l’Ouganda le 29 avril 2019.
4.7L’État partie soutient que les copies des courriels que le premier requérant aurait envoyés à une collaboratrice de Human Rights Watch ne démontrent pas que l’organisation aurait mentionné le premier requérant dans un rapport établi par la suite. L’État partie observe que la mention du nom d’un indicateur dans un rapport serait totalement incompatible avec la pratique de Human Rights Watch et que le premier requérant n’a jamais présenté ledit rapport. Enfin, l’État partie note que les requérants n’ont jamais présenté devant les instances nationales ni devant le Comité la preuve d’un mandat d’amener qui aurait été établi à leur encontre. L’État partie souligne aussi que les requérants n’ont pas fourni de précision sur la date à laquelle ce mandat aurait été établi, sa teneur, ni sur les circonstances dans lesquelles ils en auraient eu connaissance. L’État partie considère que les allégations du premier requérant selon lesquelles il serait poursuivi en République démocratique du Congo pour atteinte à la sûreté de l’État et haute trahison ne sont pas corroborées par des éléments de fait.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
5.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable que le requérant obtienne réparation par ce moyen.
5.3Conformément à l’article 22 (par. 5b) de la Convention, le Comité doit s’assurer que les requérants ont épuisé les recours internes disponibles, cette règle ne s’appliquant pas lorsque les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction à la victime présumée. Le Comité observe que l’État partie n’apporte aucune observation relative à la recevabilité de la présente requête. Le Comité s’est toutefois assuré que les requérants ont épuisé toutes les voies de recours internes disponibles, il déclare donc la communication recevable au titre de l’article 22 de la Convention et procède à son examen au fond, puisque, par ailleurs, les griefs que les requérants tirent de l’article 3 de la Convention sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.
5.4Ne constatant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable au titre de l’article 3 de la Convention et procède à son examen quant au fond.
Examen au fond
6.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.
6.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi des requérants vers la République démocratique du Congo constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité rappelle avant tout que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation, et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée par un État partie pour justifier des actes de torture.
6.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risquent personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
6.4Le Comité rappelle également que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le danger d’être soumis à la torture est prévisible, actuel, personnel et réel. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication. Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations et apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.
6.5En l’espèce, le Comité note l’argument des requérants selon lequel, en cas de renvoi en République démocratique du Congo, la Suisse agirait en violation des droits qu’ils tiennent de l’article 3 de la Convention. Le Comité note que les requérants affirment craindre être arrêtés et détenus à leur entrée en République démocratique du Congo pour une durée indéterminée compte tenu de l’avis de recherche émis contre le premier requérant. Le Comité prend note des allégations des requérants qui estiment, en raison des violations systématiques des droits de l’homme en République démocratique du Congo, en termes de procès équitable et de conditions de détention, et vu les pratiques de l’Agence nationale de renseignements, qu’il existe un risque imminent de préjudice irréparable, réel et personnel pour le premier requérant d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants.
6.6Le Comité rappelle qu’il lui appartient de déterminer si les requérants courent actuellement le risque d’être soumis à la torture, en cas de renvoi en République démocratique du Congo. Il note que les requérants ont eu la possibilité d’étayer et de préciser leurs griefs, au niveau national, devant l’Office fédéral des migrations, puis le Secrétariat d’État aux migrations, et devant le Tribunal administratif fédéral, mais que les éléments apportés n’ont pas permis aux autorités nationales de conclure qu’ils risqueraient de subir des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants à leur retour en République démocratique du Congo. Le Comité note que, selon l’État partie, il n’y a pas de situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée sur l’ensemble du territoire de la République démocratique du Congo, malgré des troubles locaux et épisodiques dans l’est du pays. Il note que l’État partie fait valoir que les requérants n’ont jamais spécifié ni apporté des éléments de preuve pour étayer les allégations selon lesquelles ils avaient subi des mauvais traitements. Le Comité note également que l’État partie fait valoir que le récit présenté par les requérants tant devant les instances nationales que devant le Comité concernant leurs motifs d’asile était invraisemblable, artificiel et construit, et qu’il contenait des contradictions sur des points cruciaux. À cet égard, il note également que l’État partie fait observer que les requérants ont affirmé avoir quitté la République démocratique du Congo en juillet 2016 et ont pu y revenir sans être inquiétés par les autorités alors qu’ils avaient reçu une convocation de l’Agence nationale de renseignements datée du 10 mai 2016. Le Comité observe que la majorité des atteintes aux droits de l’homme ainsi que les tensions et conflits intercommunautaires générant une situation sécuritaire alarmante se concentrent majoritairement à l’est du pays, dans les zones de conflit armé, notamment dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Il prend aussi note que les requérants étaient installés à Kinshasa et n’ont pas prétendu, ni devant les instances nationales de l’État partie ni dans la requête qu’ils ont adressée au Comité avoir pris part à des activités politiques. Le Comité observe que les requérants ont pu voyager en Afrique du Sud et retourner en République démocratique du Congo après avoir entrepris des démarches pour la libération du neveu du premier requérant sans être inquiétés par les autorités à leur retour. À cet égard, le Comité note également que les requérants joignent à leur requête une convocation de l’Agence nationale de renseignements datée du 10 mai 2016 et avaient connaissance à cette époque qu’ils étaient fichés par les services de sécurité, mais ont néanmoins pu voyager en France en juillet 2016 et retourner en République démocratique du Congo sans être arrêtés.
6.7Le Comité est préoccupé par les nombreuses informations faisant état de violations des droits de l’homme, notamment du recours à la torture et aux mauvais traitements en République démocratique du Congo, mais rappelle qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, les requérants doivent courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturés dans le pays vers lequel ils sont renvoyés. À la lumière de ce qui précède, le Comité estime qu’un tel risque n’a pas été établi. Le Comité considère que les documents et informations soumis par les requérants ne sont pas de nature à faire tomber le doute exprimé par les autorités de l’État partie sur leur fiabilité et ne sont pas suffisants pour établir qu’ils courraient personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en République démocratique du Congo.
7.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi des requérants vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.