Nations Unies

CAT/C/75/D/964/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 mars 2023

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 964/2019 * , **

Communication soumise par :

S. L. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

2 août 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l'État partie le 29 octobre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

4 novembre 2022

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka ; risque de torture

Question(s) de procédure :

Recevabilité ratione materiae; recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non‑refoulement); prévention de la torture

Article(s) de la Convention :

2, 3 et 16

1.1Le requérant est S. L., de nationalité sri‑lankaise, né le 6 mai 1979. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 3 et 16 de la Convention. Il affirme également qu’en l’expulsant vers Sri Lanka, l’État partie violerait les droits qu’il tient des articles 2, 3 et 16 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 29 janvier 1993. Le requérant n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le requérant a demandé des mesures provisoires tendant à ce qu’il ne soit pas expulsé vers Sri Lanka tant que sa communication serait à l’examen, afin d’éviter qu’il ne subisse un préjudice irréparable. Le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas formuler de demande de mesure provisoire au titre de l’article 114 de son règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Hindou d’origine tamoule, né à Batticaloa, dans la province de l’Est de Sri Lanka. En 1990, le grand‑père du requérant a été enlevé puis assassiné par un groupe armé militant islamique dont le requérant dit qu’à l’époque il avait partie liée avec les autorités sri‑lankaises dans la ville d’Eravur. En 1992, le requérant a été arrêté par le Département des enquêtes criminelles et placé en détention dans le camp militaire de Batticaloa au motif qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et de les soutenir. Il affirme porter les cicatrices des brûlures de cigarettes qui lui ont été infligées pendant son interrogatoire subséquent. Il dit avoir été recruté de force par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul en 1995, alors qu’il était âgé de 15 ans. En raison de son âge, il n’a pas été contraint de participer à des combats actifs, mais a été affecté aux communications. En 1996, il a été libéré à la demande de ses parents, au motif qu’il était le seul enfant de sexe masculin de la famille et mineur. Le requérant a vécu à Doubaï pendant trois mois en 1999 et au Qatar de 2006 à 2009.

2.2En mars 2008, le père du requérant a été élu représentant du parti Tamil Makkal Viduthalai Pulikal au sein du Conseil de la province de l’Est. Le requérant dit que peu de temps après les élections, des membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul ont tiré sur les bureaux du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal, blessant plusieurs personnes, dont ses parents. Après avoir eu une crise cardiaque en 2009, le père du requérant a tenté de démissionner du Conseil, mais le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal n’a pas accepté sa démission.

2.3Le requérant affirme qu’en 2012, son père a participé à la campagne visant à faire élire le chef du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal à un poste au sein du Ministère central. Le requérant a également apporté son soutien à cette campagne en imprimant des tracts. Une fête a été organisée au domicile du requérant pour célébrer la victoire du candidat, pendant laquelle des membres de la faction Karuna sont venus chez lui et l’ont battu, ainsi que son père. Son père a déposé une plainte auprès de la police, mais, craignant pour la sécurité de son fils, il a fait en sorte que celui-ci quitte le pays.

2.4En août 2012, des hommes non identifiés, appartenant vraisemblablement au Département des enquêtes criminelles ou aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul, se sont rendus chez son père et l’ont menacé de représailles s’il ne s’abstenait pas de soutenir l’Alliance populaire unie pour la liberté (United Peoples ’ Freedom Alliance) dans des élections à venir. Son père a déposé une plainte concernant cette menace auprès de la police le 25 août 2012.

2.5Le 10 octobre 2012, le requérant est arrivé par bateau aux îles Cocos (Keeling), arrivée qualifiée « d’arrivée non autorisée par voie maritime », et a demandé l’asile en l’Australie en tant que réfugié. Après avoir passé six mois en détention, il a été remis en liberté en Australie continentale.

2.6Le 17 octobre 2012, l’épouse du requérant a déposé une plainte auprès du bureau régional de la Commission sri‑lankaise des droits de l’homme de Batticaloa, car des hommes non identifiés, vraisemblablement des agents du Département des enquêtes criminelles, habillés en civil et armés, étaient venus chez elle, l’avaient menacée, avaient exigé qu’elle leur révèle où se trouvait le requérant et avaient menacé d’abattre son époux lorsqu’ils le trouveraient. Comme elle ne leur avait pas dit où il se trouvait, ils avaient endommagé les meubles de sa maison. Son épouse et ses enfants ont été traumatisés par cet épisode.

2.7Le 24 février 2016, le requérant a fait une demande de visa de protection (safe haven enterprise visa), au motif qu’il craignait que les autorités sri‑lankaises ne s’en prennent à lui, en particulier l’armée et le Département des enquêtes criminelles, car il avait déjà été détenu et torturé en raison de son appartenance aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul, sa famille avait des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, il avait vécu dans une zone contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et il demandait l’asile dans un pays occidental. Il a également affirmé craindre des représailles de la part de la faction Karuna. Le requérant a eu un entretien de demande de visa de protection le 30 juin 2016.

2.8Le 11 juillet 2016, le chef du Département de la police de Batticaloa a engagé des poursuites pénales contre le requérant en vertu de la loi no 48 (1979) relative aux mesures temporaires de prévention du terrorisme. Le 10 août 2016, le tribunal d’instance de Batticaloa a cité le requérant à comparaître, et un mandat d’arrêt a été délivré le 11 août 2016 pour défaut de comparution. Le requérant affirme que le autorités s’intéressaient alors à lui, et que c’est donc toujours le cas aujourd’hui.

2.9Le 18 juillet 2016, la demande de visa de protection du requérant a été rejetée. Le représentant du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a estimé qu’il y avait des contradictions importantes entre certains éléments du récit que le requérant avait fait de son recrutement forcé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, de sa détention par le Département des enquêtes criminelles, des actes de torture que ce dernier lui avait infligés et de l’association et des relations de son père avec le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal, la faction Karuna et les autorités sri‑lankaises. Le requérant a été interrogé sur ces contradictions, mais le représentant n’a pas estimé que ses réponses dissipaient suffisamment les doutes qu’il avait concernant la crédibilité et la véracité de ses déclarations. Le 8 août 2016, le requérant a formé un recours devant l’Autorité d’examen des demandes d’immigration.

2.10Le 21 septembre 2016, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a confirmé la décision du représentant de rejeter la demande de visa de protection, estimant que les déclarations du requérant manquaient de crédibilité car elles comportaient un certain nombre d’incohérences. Si elle a admis que son père avait été associé au Tamil Makkal Viduthalai Pulikal, elle a estimé que d’autres éléments du récit du requérant concernant les événements l’ayant amené à quitter Sri Lanka n’étaient pas crédibles. Elle a relevé, en particulier, des contradictions entre des déclarations qu’il avait faites lors de son entretien d’arrivée, les informations figurant dans sa demande de visa de protection et les arguments qu’il avait invoqués dans son recours. Elle a notamment évoqué les contradictions touchant l’année au cours de laquelle le requérant avait été détenu par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et la durée de sa détention, celui-ci ayant déclaré dans son entretien d’arrivée qu’il avait été recruté de force par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul en 1995 et avait été détenu pendant deux jours, mais indiqué dans sa demande de visa de protection qu’il avait été recruté en 1994 et détenu pendant six mois. Ayant écouté l’enregistrement de cet entretien, l’agent de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration chargé de statuer sur sa demande a estimé que le requérant s’était exprimé avec aisance, parfois en anglais, et il n’a pas ajouté foi à l’argument selon lequel il était stressé au point de commettre une telle erreur. Devant l’Autorité d’examen des demandes d’immigration, le requérant avait déclaré qu’il avait été détenu pendant six mois et affirmé que cette information cadrait avec ce qu’il avait dit lors de l’entretien d’arrivée. L’Autorité d’examen des demandes d’immigration a relevé d’autres contradictions dans ses déclarations concernant les raisons de son séjour à Trincomalee et la durée de celui‑ci, ce qui l’a amenée à conclure que, s’il avait pu y vivre pendant un certain temps, elle ne pouvait ajouter foi à son affirmation selon laquelle ce séjour était lié au fait qu’il avait peur des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, du Département des enquêtes criminelles ou de tout autre groupe. Les déclarations du requérant et les pièces présentées par son père, selon lesquelles il avait été recherché par le Département des enquêtes criminelles après son départ, n’ont pas non plus été jugées crédibles dès lors qu’il avait quitté Sri Lanka à deux reprises, ayant à chaque fois obtenu légalement un passeport pour se rendre d’abord à Doubaï, puis au Qatar. L’Autorité d’examen des demandes d’immigration estimait que, s’il avait été recherché par les autorités, il n’aurait pas obtenu ces passeports.

2.11Au vu des incohérences relevées dans les déclarations du requérant, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’a pas ajouté foi à son récit selon lequel il avait été recruté de force par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul en 1994 et avait été arrêté et soumis à la torture par le Département des enquêtes criminelles en raison de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, ni au fait qu’il s’était rendu à Trincomalee pour ne pas subir de préjudice de la part des autorités. En outre, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’a pas estimé que le requérant était toujours recherché puisqu’il s’était vu délivrer deux passeports authentiques et avait voyagé librement à l’intérieur du pays et à l’étranger depuis son prétendu recrutement en 1994. Bien que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration ait retenu que des membres de la famille du requérant appartenaient aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul et que deux de ses cousins étaient portés disparus, elle a rejeté l’allégation du requérant selon laquelle il avait lui‑même déjà subi des préjudices. Si elle a tenu pour vrai que son père avait reçu des menaces en raison de ses activités politiques, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a estimé que ces menaces ne constituaient pas un préjudice grave et a relevé que la famille du requérant, y compris son père, son épouse et ses enfants, résidait encore à Batticaloa et que son père avait pu poursuivre ses activités politiques sans entrave jusqu’en 2012. Elle a conclu qu’il n’existait aucune preuve crédible donnant à penser que la famille du requérant avait subi un quelconque préjudice en raison de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou avec le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal. Elle a également remis en question le récit que le requérant avait fait des événements qui ont précédé et immédiatement suivi les élections organisées en septembre 2012 dans la province de l’Est. L ‘Autorité d’examen des demandes d’immigration a relevé que, alors qu’il avait déclaré lors de l’entretien de demande de visa de protection qu’après les élections, son père et lui avaient été agressés à leur domicile en raison de leur appartenance politique lors des élections, et qu’il avait été hospitalisé suite à cette agression, aucun de ces faits ne figurait dans la plainte que le père du requérant avait déposée auprès de la Commission sri‑lankaise des droits de l’homme, alors même qu’il l’avait déposée en octobre 2012, après que les faits susmentionnés auraient eu lieu, la plainte ne portant en effet que sur les mises en garde qui leur avaient été adressées lors des élections d’août et de septembre. Elle a également relevé que, alors que le requérant avait affirmé que la faction Karuna avait commis ces actes, celle‑ci ne s’était pas présentée sous cette bannière aux élections de 2012. En outre, l’Autorité n’a pas ajouté foi à l’explication du requérant selon laquelle le représentant de l’organisation humanitaire chargé de l’aider à faire sa demande écrite de visa de protection avait dû omettre des informations soumises à l’appui de cette demande, d’autant plus que le requérant a montré que son niveau d’anglais était bon et qu’il avait eu la possibilité de revoir et d’approuver ses observations, ce qu’il avait fait. Par conséquent, l’Autorité n’a pas retenu l’argument selon lequel le requérant ou son père avaient été menacés par la faction Karuna, que ce soit avant ou après les élections de septembre 2012.

2.12Dans sa décision du 21 septembre 2016, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a dit qu’elle avait tenu compte des informations qui lui avaient été transmises en application de l’article 473CB de la loi sur les migrations et qu’elle avait conclu que le requérant n’avait pas subi de préjudice en raison de son origine ethnique et ne présentait pas un profil qui l’exposerait au risque d’être inquiété par les autorités sri‑lankaises à son retour. Elle a estimé que même s’il était probable qu’il encoure une sanction pour avoir quitté illégalement Sri Lanka, il ressortait des informations disponibles sur le pays et contenues dans le rapport publié en 2015 par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce que, bien qu’il puisse être interrogé et mis en accusation, il ne resterait que brièvement en détention dans le cas où il ne pourrait pas payer sa caution. Toutefois, il n’a pas été jugé que cette situation serait telle que sa vie ou sa liberté serait menacée, ni qu’elle donnerait lieu à un harcèlement physique ou à des mauvais traitements importants de nature à fonder sa crainte d’être persécuté, de sorte que l’Autorité a conclu que le requérant n’avait pas besoin d’une protection internationale.

2.13En avril 2019, le requérant a saisi le Tribunal de circuit fédéral de l’Australie d’une demande modifiée de contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration, à laquelle il a joint une déclaration sous serment et des pièces justificatives qui n’avaient pas été fournies auparavant à l’Autorité. Cependant, la déclaration sous serment et les pièces justificatives n’ont pas été admises par le Tribunal en tant que preuve, car il a été estimé que ces éléments portaient sur le fond de sa demande d’asile et qu’ils étaient donc irrecevables puisqu’ils étaient sans rapport avec une erreur de compétence (seul motif de contrôle autorisé par la loi sur les migrations). Le requérant n’était pas représenté pendant la procédure d’appel et n’a pas présenté d’observations écrites. Le Tribunal de circuit fédéral, qui ne peut annuler une décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration qu’en cas d’erreur de compétence, a estimé que les motifs avancés par le requérant étaient irrecevables. Par conséquent, le Tribunal jugeant qu’aucune erreur de compétence n’entachait la procédure menée par l’Autorité d’examen de l’immigration, il a rejeté la demande du requérant le 9 juin 2017.

2.14Le 16 juin 2017, le requérant a introduit un recours contre la décision du Tribunal de circuit fédéral devant la Cour fédérale d’Australie siégeant en formation plénière. Le moyen avancé par le requérant à l’appui de son recours était que le Tribunal de circuit avait commis une erreur en concluant que le fait que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’ait pas pris en compte certains éléments de preuve ne constituait pas une erreur de compétences. Si le requérant n’était pas représenté lorsqu’il a initialement déposé son acte d’appel, il avait engagé un conseil avant l’audience pour le représenter à celle-ci. Il affirme que, sept jours avant l’audience devant le Tribunal fédéral, son conseil avait soumis une demande d’autorisation de modifier sensiblement les motifs du recours, proposant de remplacer les trois motifs invoqués initialement par un seul motif reformulé en des termes fort différents. Dans ce recours tel que modifié par le conseil, le requérant affirmait que le Tribunal de circuit avait eu tort de ne pas conclure que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration avait enfreint l’article 473CC de la loi sur les migrations. Toutefois, comme ce motif n’avait pas été invoqué en ces termes devant le Tribunal de circuit et qu’il avait une portée plus large que les motifs présentés initialement, le Tribunal fédéral a refusé d’examiner le recours sur le fondement de ce nouveau motif puisque le Tribunal de circuit n’avait pas eu la possibilité d’examiner l’affaire au regard de cette formulation précise. Par conséquent, la demande d’autorisation de modifier les motifs du recours a été refusée et le recours fondé sur les motifs initiaux a été rejeté le 10 janvier 2019.

2.15Le 21 janvier 2019, le requérant a déposé une demande d’autorisation spéciale de former recours contre la décision de la Cour fédérale d’Australie devant la Haute Cour d’Australie. Cette autorisation lui a été refusée le 17 avril 2019 au motif que sa demande ne soulevait aucun doute quant à la régularité de la décision de la Cour fédérale.

2.16Le 1er mai 2019, le requérant a demandé au Ministre de l’immigration, de la citoyenneté et des affaires multiculturelles d’examiner le refus opposé à sa demande de visa de protection, en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui conférait l’article 48B de la loi de 1958 sur les migrations. Le 20 juin 2019, le requérant a été informé que sa demande ne remplissait pas les critères fixés dans les directives relatives à l’intervention ministérielle et qu’elle avait donc été classée sans que le Ministre en soit saisi.

2.17Le requérant a ensuite soumis des informations supplémentaires au Comité, y compris un rapport d’un travailleur social spécialisé en santé mentale, duquel il ressort que le requérant a présenté des symptômes de dépression et d’anxiété et a déclaré qu’il risquait de subir un préjudice à son retour à Sri Lanka. Le requérant a également fourni une copie de la Sri Lanka Gazette, le journal officiel du Gouvernement sri‑lankais, qui contient une liste modifiée des personnes considérées comme ayant des liens avec le terrorisme, à laquelle 424 Tamouls et 16 organisations de la diaspora tamoule ont été ajoutés en 2021 en raison de leurs liens présumés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

2.18Le requérant réaffirme qu’il a de bonnes raisons de craindre d’être victime de persécution et de mauvais traitements graves contraires à l’article 3 s’il était renvoyé à Sri Lanka du fait : a) qu’il a déjà été victime de persécutions et des mauvais traitements ; b) des liens de sa famille avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, en particulier des parents et amis de haut rang ; c) de ses activités politiques et de celles de son père ; d) des changements importants qu’ont récemment connus le paysage politique, la situation en matière de sécurité et la situation des droits de l’homme, qui ont des incidences directes sur la minorité tamoule dans le nord et l’est de Sri Lanka, et étant donné que les autorités continuent de s’intéresser à lui, comme en témoignent l’affaire pénale dont a été saisie le tribunal d’instance de Batticaloa sur le fondement de la loi relative à la prévention du terrorisme et le mandat d’arrêt émis contre lui.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant avance que les droits qu’il tient des articles 2, 3 et 16 de la Convention seraient violés s’il était renvoyé à Sri Lanka.

3.2Il affirme que les autorités nationales n’ont pas pris en considération le rapport établi en 2019 par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte antiterroriste concernant la situation des Tamouls et la fréquence des actes de torture et de la violence à Sri Lanka.

3.3Le requérant renvoie à un rapport établi le 29 juillet 2019 par un travailleur social spécialisé en santé mentale, et affirme souffrir de troubles post‑traumatiques pour lesquels il n’existe pas de traitement adapté à Sri Lanka.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 27 juin 2020, l’État partie a présenté ses observations concernant la communication du requérant. Il soutient que les griefs du requérant sont irrecevables car a) celui pris de ce qu’il risque de subir un préjudice à l’avenir est irrecevable ratione materiae et b) ils sont manifestement dénués de fondement au regard de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.2L’État partie avance que, dans l’hypothèse où le Comité considérerait que les allégations du requérant sont recevables, les griefs sont infondés étant donné qu’ils ne sont pas étayés par des éléments montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention, ou que l’État partie a violé ou violerait les obligations mises à sa charge par les articles 2, 3, 7 ou 16 de la Convention.

4.3L’État partie renvoie aux allégations du requérant selon lesquelles, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il risquerait de subir un préjudice de la part des autorités sri‑lankaises, y compris du Département des enquêtes criminelles, de l’armée sri‑lankaise et de la faction Karuna. L’État partie fait valoir à cet égard que le requérant n’a pas fourni d’information concernant la nature du préjudice qu’il subirait.

4.4L’État partie affirme que les allégations du requérant concernant sa crainte d’être victime de persécution et d’une grave discrimination, sa santé mentale et l’absence, à Sri Lanka, de services d’assistance médicale pour traiter les troubles de santé mentale ne satisfont pas aux critères requis pour être considérées comme mettant en évidence un risque de torture au sens de l’article premier de la Convention et, partant, ne mettent pas en jeu les obligations de non‑refoulement qui incombent à l’Australie au regard de l’article 3 de la Convention.

4.5Concernant la violation des articles 2 ou 16 de la Convention, l’État partie relève que le requérant n’a présenté aucun argument qui porte sur l’interdiction et la prévention de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur le territoire de l’Australie. Il fait observer que les articles 2 et 16 de la Convention font tous deux obligation à un État partie d’empêcher que des actes de torture soient commis dans « tout territoire sous sa juridiction ». Ces dispositions sont limitées territorialement et n’imposent donc pas d’obligation à l’Australie s’agissant d’actes commis à Sri Lanka. Par conséquent, l’État partie affirme respectueusement que les griefs soulevés par le requérant au titre des articles 2 et 16 sont irrecevables ratione materiae.

4.6L’État partie prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle son renvoi à Sri Lanka, où, soutient-il, « il est peu probable qu’[il] reçoive le traitement nécessaire pour soigner [sa] maladie mentale », constituerait une violation de l’article 7 de la Convention. Il fait cependant observer que l’article 7 de la Convention concerne la poursuite des infractions visées à l’article 4 de la Convention. L’État partie avance que le requérant n’a fourni aucune explication quant à la pertinence de l’article 7 de la Convention aux fins de sa requête. Il confirme que le requérant n’est pas accusé d’avoir commis en Australie l’une quelconque des infractions visées à l’article 4. Il affirme donc respectueusement que, par conséquent, les griefs que le requérant tire de l’article 7 sont irrecevables ratione materiae. En outre, il avance que, dans l’hypothèse où l’intention du requérant était de renvoyer à l’article 7 du Pacte, l’examen d’une question au regard du Pacte n’entre pas dans le champ des compétences conférées au Comité par l’article 22 de la Convention. L’État partie affirme, par conséquent, que si le requérant tire son grief de l’article 7 du Pacte, celui‑ci est irrecevable ratione materiae.

4.7L’État partie affirme que les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement. Il soutient que le requérant n’a pas étayé son grief de violation de l’article 3 par des arguments exhaustifs qui permettent de conclure, à première vue, à la recevabilité de sa requête.

4.8L’État partie affirme de plus que tous les griefs du requérant, à l’exception de ceux qui ont été soulevés pour la première fois dans la communication et qui font l’objet d’un examen distinct ci‑dessous, ont été soigneusement examinés au fond par diverses autorités décisionnelles nationales, notamment dans le cadre de l’examen par l’Autorité d’examen de l’immigration de la demande de visa de protection soumise par le requérant au Ministère de l’intérieur. Le requérant a également demandé le contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration auprès du Tribunal de circuit fédéral et de la Cour fédérale d’Australie. La Haute Cour d’Australie a dûment examiné la demande d’autorisation spéciale de former un recours contre la décision de la Cour fédérale d’Australie soumise par le requérant, et l’a rejetée à l’issue de cet examen. De surcroît, la demande d’intervention ministérielle du requérant a fait l’objet d’un examen approfondi à l’issue duquel il a été conclu qu’elle ne remplissait pas les critères fixés dans les directives relatives à l’intervention ministérielle.

4.9L’État partie évoque son obligation de se montrer exemplaire en tant que partie à des procédures concernant des litiges et contentieux soumis par ou contre le Commonwealth ou l’une de ses institutions. Il affirme qu’il s’est acquitté de cette obligation s’agissant des griefs qui lui sont faits dans la communication. Les griefs du requérant ont ainsi été examinés de bonne foi dans le cadre de procédures internes solides, à l’issue desquelles il a été considéré qu’ils ne mettaient pas en jeu les obligations de l’Australie en matière de non‑refoulement, obligations que celle-ci prend au sérieux.

4.10S’agissant des conclusions auxquelles les autorités nationales sont parvenues en ce qui concerne la crédibilité du requérant, l’État partie est conscient que, si on ne saurait attendre une exactitude parfaite de la part de victimes de torture, ce facteur a été pris en considération par les autorités décisionnelles nationales.

4.11L’État partie renvoie ensuite aux griefs soulevés par le requérant dans la communication qu’il a soumise au Comité et qui n’ont pas été examinés dans le cadre d’une procédure interne, notamment ses allégations concernant sa santé mentale, les procédures menées dans l’État partie par des autorités décisionnelles nationales et la situation actuelle à Sri Lanka. L’État partie affirme que les éléments pertinents ne permettent pas à première vue d’étayer suffisamment, aux fins de la recevabilité, les griefs soulevés par le requérant au titre de l’article 3 de la Convention.

4.12En ce qui concerne le rapport établi par un travailleur social spécialisé en santé mentale, que le requérant a soumis pour étayer son allégation selon laquelle il courrait un risque réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka, l’État partie relève qu’il reprend le récit du requérant, tel qu’il l’ a répété au travailleur social, mais ne vient pas pour autant étayer l’affirmation du requérant selon laquelle il courrait un risque réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. En outre, il note qu’aucune preuve corroborante n’a été fournie en ce qui concerne l’affirmation du requérant selon laquelle on lui avait diagnostiqué des troubles post‑traumatiques. L’État partie affirme par conséquent que les allégations du requérant ayant trait à son état de santé mentale en lien avec son renvoi à Sri Lanka ne sont pas étayées par des preuves et sont donc manifestement dénuées de fondement.

4.13En ce qui concerne les allégations de caractère général formulées par le requérant selon lesquelles la loi sur les migrations exige un niveau de preuve plus élevé que celui requis par la Convention, la procédure de visa accélérée comporte un « risque d’injustice inacceptablement élevé » et il n’a pas bénéficié de l’équité procédurale de la part du Tribunal de circuit fédéral et de la Cour fédérale d’Australie ou dans le cadre de sa demande d’intervention ministérielle, l’État partie avance qu’elles ne sont pas étayées par des pièces justificatives permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité de ce moyen et qu’elles n’apportent donc pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité.

4.14L’État partie affirme donc que les griefs que le requérant tire de l’article 3 restent manifestement dénués de fondement et devraient par conséquent être déclarés irrecevables.

4.15Dans l’éventualité où le Comité jugerait les griefs du requérant recevables, l’État partie affirme qu’ils sont en tout état de cause infondés, conclusion à laquelle les autorités décisionnelles nationales sont parvenues concernant lesdits griefs et à laquelle l’État partie est parvenu au terme de l’examen auquel il s’est livré des questions supplémentaires soulevées dans la communication que le requérant a soumise au Comité.

4.16En ce qui concerne l’examen de la demande de visa de protection présentée par le requérant, l’État partie affirme que le représentant a organisé un entretien avec le requérant (qui était assisté par un interprète de langue tamoule) et a tenu compte d’autres éléments pertinents, tels que les informations sur le pays communiquées par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce. Quant à la crédibilité du requérant, le représentant a estimé que les réponses données par celui-ci étaient vagues et que son récit, peu plausible, comportait des incohérences et contradictions importantes qui étaient inexpliquées. Le représentant a conclu que le requérant n’était pas un « témoin crédible » et qu’il avait modulé certains éléments de son récit de sorte à donner du poids à sa demande de visa.

4.17Concernant le risque que le requérant courrait à Sri Lanka en raison des liens que lui et sa famille entretenaient auparavant avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, l’État partie indique que le représentant a convenu que le requérant pouvait avoir subi certains mauvais traitements de la part des autorités sri‑lankaises et des Tigres de libération de l’Eelam tamoul pendant le conflit armé, mais il n’a pas ajouté foi à l’allégation selon laquelle le requérant avait été enlevé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul en 1995, ou avait ensuite été détenu et soumis à la torture par les autorités sri‑lankaises, ni à celle selon laquelle le requérant ou des membres de sa famille pourraient actuellement présenter un intérêt particulier pour les autorités, étant donné que, depuis les événements qu’il a décrits au stade de l’examen au fond, il a effectué des voyages avec un passeport sri‑lankais. Il indique également que le représentant a fait remarquer que le récit livré par le requérant lors de l’entretien d’arrivée était en contradiction avec les faits qu’il avait présentés lors de l’entretien de demande de visa de protection. Plus particulièrement, il souligne que ce n’est que lors de ce dernier entretien que le requérant a affirmé avoir été soumis à la torture par le Département des enquêtes criminelles. Le représentant n’a pas estimé que cette erreur pouvait s’expliquer par l’état de stress dans lequel il était lors de l’entretien d’arrivée. L’État partie souligne que le représentant a considéré que l’on ne jugerait pas que le requérant est lié aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul du fait de son origine tamoule, et qu’il avait fait observer que dans ses dernières lignes directrices, publiées en 2012, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés n’avait pas indiqué que les Tamouls avaient potentiellement un profil les exposant à des risques du seul fait de leur appartenance ethnique. Le représentant a conclu que les allégations du requérant selon lesquelles il avait un lien, réel ou supposé, avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou les autorités sri‑lankaises s’intéressaient particulièrement à lui étaient dénuées de fondement, et que, partant, le requérant ne courrait pas un risque réel d’être persécuté s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.18S’agissant des allégations du requérant concernant le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal, le représentant n’a pas considéré comme établi que le père du requérant avait été membre ou représentant élu de ce parti, ni qu’il se serait lié au parti un an après la fin de la guerre, surtout si, comme affirmé, des proches parents du requérant étaient des membres haut placés des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. En outre, l’orthographe du nom de son père sur le bulletin de vote était différente de celle donnée par le requérant, et le représentant n’a pas retenu l’argument selon lequel cela était dû à une erreur de translittération. En ce qui concerne les faits impliquant la faction Karuna, qui étaient à l’origine des plaintes déposées par le père et l’épouse du requérant auprès de la Commission sri‑lankaise des droits de l’homme en août et octobre 2012, le représentant a relevé que, dans sa demande de visa de protection, le requérant avait dit que les faits signalés à la Commission (en août) s’étaient produits après les élections de septembre 2012. Le représentant s’est également demandé pourquoi le requérant avait dit avoir fait l’objet de menaces en raison de ses liens avec le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal lors de son entretien d’arrivée, alors que dans sa demande de visa de protection il avait affirmé avoir été battu et hospitalisé. L’explication que le requérant a donnée à ce sujet lorsqu’il a été interrogé n’a pas été acceptée. Le représentant n’a pas été d’avis que le requérant avait participé aux élections organisées à Batticaloa en 2012, bien qu’il ait pris note de l’explication du requérant selon laquelle sa participation n’avait consisté qu’à distribuer des tracts et qu’il ne s’y connaissait pas bien en politique. Au vu de ce qui précède, le représentant n’a pas estimé que des partisans de la faction Karuna s’étaient rendus au domicile du requérant et l’avaient battu, lui et son père, en raison de leur soutien au Tamil MakkalViduthalaiPulikallors des élections organisées à Batticaloa en 2012, ni que le requérant ou son père intéressaient particulièrement le parti Karuna en raison de leurs opinions politiques. Le représentant n’était donc pas convaincu que le requérant ait jamais été violenté par des membres de la faction Karuna ou ait véritablement craint que ceux‑ci le persécutent à l’avenir. Le degré de risque qu’il courrait n’a donc été apprécié que sur la base de son origine tamoule et de la probabilité qu’on en déduise, en conséquence, qu’il avait des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Le représentant a souligné qu’il ressortait des informations sur le pays que les Tamouls qui n’ont pas de tels liens réels ou perçus ne sont pas spécifiquement persécutés au seul motif de leur appartenance ethnique. Étant donné qu’il avait estimé que le requérant n’avait pas subi de traitement préjudiciable parce qu’il était soupçonné d’entretenir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam ou de les soutenir, le représentant a conclu que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, le requérant ne courrait pas de risque réel de subir un préjudice important du seul fait de son origine tamoule ou en raison, également, de ses liens présumés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

4.19L’État partie indique que le représentant a concédé que, s’il était renvoyé à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté ayant quitté illégalement le pays, le requérant serait traité conformément aux procédures habituelles, indépendamment du fait qu’il était tamoul. Bien qu’il soit probable qu’il soit arrêté et brièvement détenu sur la base d’accusations portées en vertu de la loi sri‑lankaise de 1988 sur les immigrants et les émigrés, le représentant, eu égard aux faits, n’a pas estimé que le requérant se verrait infliger une peine privative de liberté. Le représentant a concédé qu’il se pouvait que le requérant fasse l’objet d’une surveillance légère à son retour, mais a estimé que cela ne s’apparentait pas à un préjudice grave, ni à de la torture. Il s’ensuit que le requérant ne courrait pas un risque réel de subir des mauvais traitements, en particulier au vu des fréquents voyages qu’il avait effectués via l’aéroport de Colombo.

4.20Après examen de l’ensemble des circonstances, le représentant a estimé que le requérant ne risquerait pas de subir un préjudice grave et a donc conclu que ses griefs ne mettaient pas en jeu les obligations en matière de protection qui incombaient à l’Australie en application de l’article 5H (par. 1) de la loi sur les migrations et de la Convention relative au statut des réfugiés et du Protocole relatif au statut des réfugiés, ou au regard des critères relatifs à la protection complémentaire qui, comme le fait observer l’État partie, visent le traitement visé par l’article 3 de la Convention.

4.21Le 8 août 2016, le Ministère a renvoyé la décision relative au visa de protection à l’Autorité d’examen des demandes d’immigration afin qu’elle procède à un examen au fond. Le 21 septembre 2016, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a confirmé la décision du représentant de ne pas accorder de visa de protection au requérant, soulignant elle aussi que les déclarations du requérant n’étaient pas cohérentes. Elle n’a donc pas ajouté foi au récit du requérant selon lequel il avait été recruté par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul en 1994, ou avait été arrêté, puis placé en détention et battu par l’armée sri‑lankaise en 1995. Ayant écouté l’enregistrement de l’entretien de demande de visa de protection, L’Autorité a constaté que le requérant avait échangé librement et ouvertement avec son interlocuteur et que son niveau d’anglais était bon, et elle n’a donc pas estimé que ces contradictions pouvaient s’expliquer par l’état de stress dans lequel il était lors de l’entretien. Si elle a retenu le fait qu’il avait quitté Batticaloa pour Trincomalee afin de terminer ses études, elle n’a pas donné crédit à son récit selon lequel il avait fui Batticaloa pour Trincomalee afin de ne pas subir de préjudice de la part des autorités sri‑lankaises en raison de ses liens présumés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et selon lequel le Département des enquêtes criminelles était toujours à sa recherche, même après son arrivée en Australie. Contrairement aux conclusions du représentant, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a convenu que des parents du requérant avaient été membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et avaient disparu une fois la guerre terminée, mais elle n’a pas été d’avis que le requérant avait été victime d’une quelconque persécution pour cette raison.

4.22En ce qui concerne les liens du père du requérant avec le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a pris note des allégations du requérant, à l’appui desquelles il avait présenté un certain nombre de documents. Contrairement au représentant, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a tenu pour vrai que le père du requérant avait été élu représentant du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal lors des élections organisées à Batticaloa en 2008, que la différence d’orthographe était due à une erreur de translittération et que le père du requérant avait reçu des menaces de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul en raison de son statut et de ses opinions politiques. Cependant, elle n’a pas acquis la conviction que ces menaces s’apparentaient à un grave préjudice, puisque le père du requérant avait maintenu des liens avec le Tamil MakkalViduthalai Pulikal jusqu’en 2013 et continué à vivre à Batticaloa. En outre, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’a pas considéré comme établi que le requérant avait personnellement reçu des menaces de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul au cours de la période électorale de 2008 puisque, selon ses propres dires, il se trouvait au Qatar à cette époque. L’Autorité d’examen des demandes d’immigration a noté que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul avaient été vaincus en 2008 et que, partant, ils n’existaient plus ou ne constituaient plus une menace en général. Elle a concédé que le requérant avait participé dans une certaine mesure à la campagne électorale de 2012. Cependant, comme il n’avait fait que distribuer des tracts et avait avoué qu’il ne s’y connaissait pas bien en politique, elle n’a pas estimé qu’il était établi que le requérant ou son père avaient été menacés ou battus par la faction Karuna après l’élection de 2012.

4.23En ce qui concerne les incohérences entre les renseignements donnés par le requérant dans le cadre de son entretien d’arrivée, de sa demande de visa de protection et de l’entretien de demande de visa de protection, et son affirmation selon laquelle le représentant de l’organisation humanitaire, qui l’avait aidé à faire sa demande, avait dû omettre des informations, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a relevé que le niveau d’anglais du requérant était bon et qu’il avait signé sa déclaration et confirmé sa véracité. En outre, le requérant avait été autorisé à soumettre des précisions supplémentaires dans les sept jours suivant l’entretien de demande de visa de protection, mais il ne l’avait pas fait.

4.24En ce qui concerne le risque de préjudice que le requérant courrait en raison de son origine tamoule, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a estimé, en se fondant sur des évaluations réalisées par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, que les Tamouls ne couraient pas des risques plus élevés du seul fait de leur appartenance ethnique.

4.25S’agissant du retour du requérant à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a relevé que, si les personnes qui quittent illégalement Sri Lanka encourent une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, en plus d’une amende, il ressort du rapport du Ministère australien des affaires étrangères et du commerce qu’aucune personne ayant voyagé dans le cadre d’un trafic de personnes ne s’était vu infliger de peine privative de liberté pour avoir quitté illégalement Sri Lanka. Elle a conclu que, dans le pire des cas, le requérant recevrait une amende et serait relâché. L’Autorité d’examen des demandes d’immigration a souligné que la majeure partie des demandeurs d’asile tamouls déboutés qui avaient subi des mauvais traitements à leur retour entretenaient des liens réels ou supposés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Elle a également examiné les griefs du requérant tirés des dispositions relatives à la protection complémentaire et conclu que le renvoi du requérant à Sri Lanka n’aurait pas pour conséquence nécessaire ou prévisible qu’il courrait un risque de subir un préjudice grave, y compris d’être torturé. Elle a donc considéré que le requérant ne s’était pas vu infliger de préjudice grave de la part des autorités et des factions de l’opposition et que, partant, il ne présentait pas un profil de risque défavorable, de nature à empêcher son renvoi à Sri Lanka en raison d’obligations internationales ou nationales.

4.26L’État partie indique en outre que, le 9 juin 2017, le Tribunal de circuit fédéral a rejeté chacun des trois principaux motifs invoqués par le requérant aux fins du contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité d’examen de l’immigration, concluant que celui‑ci n’avait pas établi que cette décision était entachée d’une quelconque erreur de compétence.

4.27Le Tribunal de circuit fédéral a estimé que l’argument du requérant selon lequel l’Autorité d’examen des demandes d’immigration avait tenu compte d’informations qui n’avaient pas été soumises au représentant ne justifiait pas qu’il autorise la présentation de ces informations en tant que nouvel élément puisque, en tout état de cause, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration avait tenu compte d’informations actualisées concernant le pays pour parvenir à ses conclusions. Aucune erreur de droit n’a été constatée sur la base des autres motifs invoqués.

4.28L’État partie indique que, le 17 avril 2019, la demande d’autorisation spéciale du requérant de former recours devant la Haute Cour d’Australie a également été rejetée au motif que sa demande ne soulevait aucun doute quant au bien-fondé des décisions rendues par des juridictions inférieures.

4.29Le 3 mai 2019, le requérant a introduit une demande d’intervention ministérielle. Outre qu’il y reprenait les griefs qu’il avait déjà soulevés, le requérant avançait un argument supplémentaire, à savoir qu’il souffrait de dépression et d’anxiété en raison de sa crainte d’être renvoyé à Sri Lanka. Le 20 juin 2019, le Ministère a rejeté sa demande. Il a estimé qu’elle ne remplissait pas les critères fixés par les directives relatives à l’intervention ministérielle, étant donné que le requérant n’avait présenté aucune preuve corroborante à même d’étayer ses allégations selon lesquelles il subirait un préjudice mental ou psychologique s’il était renvoyé à Sri Lanka, et qu’il n’avait pas fourni d’informations susceptibles de contredire les conclusions de l’Autorité d’examen de l’immigration.

4.30L’État partie affirme également que, en raison des événements survenus à Sri Lanka depuis la fin de la procédure, qui constituent des circonstances nouvelles, le Ministère a procédé à un examen supplémentaire et conclu que l’affaire concernant le requérant ne mettait pas en jeu les obligations de l’Australie en matière de protection et, conformément aux directives relatives à l’intervention ministériel, il n’a donc pas transmis la demande au Ministre.

4.31L’État partie commente les allégations du requérant concernant l’équité des procédures migratoires de l’Australie, en particulier son grief selon lequel la loi sur les migrations exige un niveau de preuve plus élevé que celui que la Convention requiert, prescription qui, affirme également le requérant, n’a pas été incorporée dans la législation nationale. Il fait référence aux affirmations du requérant selon lesquelles la loi sur les migrations « fait peser la charge de la preuve sur les demandeurs, qui doivent faire en sorte de “convaincre” le Ministre que leur crainte est véritable et fondée sur un risque réel de persécution », alors qu’en application de la Convention, la charge de la preuve « incombe à l’État visé par la demande de protection », et à son argument selon lequel l’objectif primordial est de protéger les demandeurs contre la torture « malgré les doutes qui peuvent exister sur les faits d’une affaire ». L’État partie affirme que le droit n’impose pas de charge de la preuve ou de niveau de preuve en matière administrative. La norme générale relative à la prise de décisions administratives a plutôt trait à la notion de conviction, qui suppose, en substance, que le décideur soit convaincu d’avoir suffisamment d’informations pour pouvoir se prononcer au regard du critère ou de la règle applicables. Il indique qu’il incombe aux demandeurs de transmettre au représentant toutes les informations sous-tendant leurs griefs et toute preuve du bien‑fondé de ceux-ci afin que le représentant soit suffisamment convaincu pour qu’il soit satisfait aux critères énoncés à l’article 5AAA de la loi sur les migrations. Il précise que le représentant (ou l’Autorité d’examen de l’immigration) doit à son tour fournir aux demandeurs une véritable possibilité de présenter des preuves à l’appui de leurs griefs. Le représentant (ou l’Autorité d’examen de l’immigration) peut également demander des précisions si cela est jugé nécessaire. Toutefois, les autorités décisionnelles ne sont pas tenues d’établir la validité des griefs à la place des demandeurs. L’État partie fait remarquer qu’il s’agit de l’approche suivie par le Comité, comme celui-ci l’a indiqué dans son observation générale no 4 (2017).

4.32L’État partie souligne également que lorsqu’elles apprécient la crédibilité d’un demandeur, les autorités décisionnelles tiennent compte des circonstances atténuantes et de leurs incidences sur la capacité du demandeur de présenter ses griefs. Il répète que tous ces facteurs ont été pris en considération pour apprécier la crédibilité du requérant.

4.33En ce qui concerne les critères énoncés à l’article 36 de la loi sur les migrations et les affirmations du requérant selon lesquelles cette loi « ne vise pas à incorporer les obligations de non‑refoulement » qui découlent de la Convention, l’État partie affirme que la loi sur les migrations et les règlements y relatifs donnent bel et bien effet aux obligations de non‑refoulement de l’Australie, y compris celles qui lui incombent au titre de l’article 3 de la Convention. Il affirme que la législation nationale est compatible, tant sur le fond que sur la forme, avec la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention et qu’elle reprend le libellé de l’obligation de non‑refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention. En conclusion, l’État partie affirme que le requérant a eu droit à une procédure équitable lors de l’examen de sa demande d’asile, conformément aux obligations mises à sa charge par la Convention.

4.34En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles la procédure d’examen accélérée applicable aux demandeurs ayant le statut de personne arrivée sans autorisation par voie maritime impose des délais extrêmement serrés aux demandeurs qui sollicitent un contrôle des décisions en matière de migration, l’État partie affirme que tous les demandeurs bénéficient des garanties d’une procédure équitable. Il souligne que, dans le cadre de cette procédure accélérée, il importe que les demandeurs d’asile formulent leur demande de protection en donnant des informations complètes et exactes dès que possible et affirme que cette procédure garantit un examen exhaustif et approfondi de leur demande. L’État partie soutient que la procédure accélérée offre des garanties relatives à la rapidité et à la transparence de la procédure, comme le prévoit l’observation générale no 4 du Comité.

4.35En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration de prendre en considération des informations nouvelles et pertinentes (communiquées oralement ou par écrit), l’État partie indique que, bien qu’elle n’ait aucune obligation d’accepter ou de demander un complément d’information ou d’entendre le demandeur, l’Autorité examine de nouvelles informations lorsqu’elle estime que des circonstances exceptionnelles justifie cet examen. Il indique que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne doit pas outrepasser les limites de la loi et que sa légalité peut être contestée en justice.

4.36S’agissant des arguments liés au niveau d’anglais du requérant ou au fait qu’il n’était pas représenté, l’État partie fait remarquer que le représentant et l’Autorité d’examen des demandes d’immigration ont constaté que le niveau d’anglais du requérant était bon et que celui-ci avait été assisté d’interprètes, y compris avant les décisions rendues par la justice à son égard. L’État partie indique que la demande de visa de protection du requérant avait été préparée par un représentant d’une organisation humanitaire. En outre, lors de l’audience du requérant devant le Tribunal de circuit fédéral, au cours de laquelle il assurait sa propre défense, le juge lui a d’emblée expliqué la nature de la procédure et le requérant a confirmé qu’il avait compris.

4.37Enfin, en ce qui concerne les affirmations du requérant selon lesquelles les informations disponibles sur le pays confirment que les Tamouls continuent d’être victimes de violations des droits de l’homme à Sri Lanka et qu’ils subissent une oppression collective, l’État partie relève que le requérant s’appuie sur des informations desquelles il ressort notamment que le Gouvernement sri‑lankais n’a pas enquêté sur les enlèvements commis à l’aide de fourgonnettes blanches et les actes de torture infligés à de nombreuses personnes, et que la situation en matière de sécurité et de droits de l’homme a changé, comme en témoignent par exemple les attentats à la bombe qui font régner la violence dans le pays. Le requérant soutient en outre que ni l’Autorité d’examen des demandes d’immigration ni les tribunaux n’ont tenu compte du rapport susmentionné du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste et du rapport établi en janvier 2016 par International Truth and Justice Project Sri Lanka, intitulé « Silenced: survivors of torture and sexual violence in 2015 ». L’État partie rappelle que l’existence, dans un pays, d’un risque général de violence ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays et qu’« il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque ». À cet égard, il affirme que les informations générales citées ne démontraient pas qu’il existait des motifs supplémentaires donnant à penser que le requérant courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

4.38En ce qui concerne les observations supplémentaires du requérant selon lesquelles l’État partie a adopté des mesures dissuasives, notamment eu égard aux conditions imposées à son visa relais E, qui le privent du droit de travailler pendant l’examen de sa demande de protection, l’État partie affirme qu’en réalité, son visa relais E n’a pas été assorti de la condition no 8101. En conséquence, il soutient que ces griefs ne sont pas étayés par le minimum d’éléments de preuve requis et sont donc irrecevables au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 du Règlement intérieur du Comité. L’État partie prend également note du grief du requérant selon lequel son visa a été assorti de la condition no 8207, qui lui interdit d’étudier. L’État partie rejette ce grief et affirme qu’il est irrecevable ratione materiae puisque l’obligation de non‑refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention se limite aux situations dans lesquelles il existe des motifs sérieux de croire que la personne risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi et que, partant, ce grief est manifestement dénué de fondement.

4.39L’État partie affirme donc que les griefs du requérant sont irrecevables et dénués de fondement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que le requérant tire de l’article 3 de la Convention sont irrecevables et manifestement dénués de fondement, car le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs de croire qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être persécuté s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le Comité constate que les griefs du requérant, selon lesquels il a été arrêté et soumis à des mauvais traitements à Sri Lanka et recruté de force par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et son appartenance ethnique, ses antécédents, les liens de sa famille avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, ses activités politiques et le mandat d’arrêt le concernant l’exposeraient personnellement à un risque sérieux, prévisible et imminent de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 2) de la Convention d’examiner ces griefs.

5.3Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui‑ci a épuisé tous les recours internes disponibles. En l’espèce, il prend note des affirmations de l’État partie selon lesquelles certains moyens du requérant n’ont pas été invoqués devant les autorités nationales, tels que ses allégations concernant les erreurs qui entachaient la procédure d’asile accélérée de l’État partie, la charge de la preuve imposée par la loi sur les migrations, les preuves concernant sa santé mentale et les observations sur les attentats de Pâques, et que ces moyens sont donc irrecevables, soit ratione materiae, soit du fait qu’ils sont manifestement infondés, car ils n’étayent pas les griefs qu’il tire de l’article 3. Le Comité considère que, dès lors que ces moyens (santé mentale, incapacité de contester les conclusions factuelles, limitations procédurales et nouvelles informations concernant le pays) ont été soulevés sur le fond devant les autorités nationales, il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) d’examiner les griefs tels que formulés par le requérant au titre de l’article 3 de la Convention.

5.4Pour ce qui est des griefs tirés des articles 2, 7 et 16 de la Convention, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel ils ne concernent que les actes commis dans un territoire sous la juridiction de Sri Lanka ou sur lequel elle exerce un contrôle effectif et que, partant, ces griefs sont manifestement dénués de fondement. Le Comité note que dans sa communication, le requérant n’établit pas de lien entre l’un quelconque de ces griefs et les actes de l’État partie et que lesdits griefs n’ont pas de rapport avec les violations alléguées commises dans un territoire placé sous la juridiction de celui-ci ou sur lequel il exerce un contrôle effectif, contrairement aux actes faisant l’objet des griefs formulés au titre de l’article 3. En conséquence, le Comité déclare les griefs soulevés par le requérant au titre des articles 2, 7 et 16 irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 b) et c) de son règlement intérieur.

5.5En l’absence d’autres observations sur la recevabilité de la communication, le Comité considère qu’il n’est pas empêché d’examiner les griefs soulevés au titre de l’article 3 et passe donc à son examen au fond.

Examen au fond

6.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’expulsion du requérant vers Sri Lanka constitue une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

6.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.

6.4Le Comité, renvoyant à son observation générale no 4 (2017), rappelle qu’il « apprécie l’existence de “motifs sérieux” et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui‑même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion ». Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; […] g) les actes de torture subis antérieurement ; h) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; i) la fuite clandestine du pays d’origine suite à des menaces de torture (par. 45). Pour ce qui est de l’examen sur le fond d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est‑à‑dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par. 38). Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné. Cependant, il n’est pas tenu par ces constatations, puisqu’il peut apprécier librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

6.5Le Comité renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il a exprimé de vives préoccupations quant aux informations selon lesquelles les forces de sécurité de l’État, notamment la police, avaient continué à commettre des enlèvements et des actes de torture et à infliger des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, en mai 2009. Il renvoie également à des rapports dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales concernant les mauvais traitements infligés par les autorités sri-lankaises à des personnes revenant dans le pays. Il prend également note des conclusions les plus récentes du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) concernant les informations persistantes qui lui sont parvenues, selon lesquelles les services de renseignement, l’armée et la police surveillent, intimident et harcèlent, notamment, des familles de disparus et des personnes participant à des activités de commémoration, en particulier dans le nord et l’est du pays. Le HCDH indique plus particulièrement que les anciens cadres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul font l’objet d’une surveillance étroite, qui crée un climat généralisé de surveillance et un environnement oppressif. En outre, il est dit dans le rapport que, malgré les modifications apportées à la loi relative à la prévention du terrorisme et le moratoire imposé sur son application, les personnes jugées critiques à l’égard du régime continuent d’être arrêtées et détenues sur le fondement de cette loi.

6.6S’agissant du grief du requérant selon lequel il risquerait de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka, le Comité note que celui-ci affirme avoir été recruté de force par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, qui l’ont affecté aux communications (il fournit des informations d’identification), et qu’après sa libération, cela lui a valu d’attirer l’attention des autorités sri‑lankaises, qui l’ont alors arrêté, détenu et soumis à la torture. Le Comité prend note de ce que le requérant affirme que : a) après avoir été arrêté et torturé, il a d’abord quitté sa région, puis s’est rendu à l’étranger ; b) après que son père s’est engagé en politique en 2012, démarche dans laquelle il a joué un rôle, ayant reçu des menaces de la part d’éléments s’opposant aux autorités, il a quitté Sri Lanka pour l’Australie, pour éviter de subir un grave préjudice ; c) les autorités continuent de s’intéresser à lui en raison des activités politiques de sa famille, de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, de son enrôlement par ces derniers et du fait qu’il a quitté Sri Lanka illégalement ; d) ayant en Australie le statut de personne arrivée sans autorisation par voie maritime, sa demande de visa est régie par les dispositions de la loi de 1958 sur les migrations, en vertu desquelles les demandes telles que la sienne relèvent de la procédure accélérée, de sorte que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration procède à leur examen au fond en se basant uniquement sur la documentation écrite ; e) du fait que sa demande relève de la procédure accélérée il n’a pas pu se présenter en personne et expliquer les contradictions au motif desquelles il a été conclu que ses déclarations n’étaient pas crédibles ; f) la charge de la preuve qu’impose la loi de 1958 sur les migrations est excessivement lourde ; g) des informations concernant le pays qui présentaient un intérêt pour sa demande n’ont pas été prises en considération ; h) il a été empêché de défendre sa cause auprès des autorités décisionnelles en raison de restrictions juridictionnelles. Le requérant affirme que ce qui précède, s’ajoutant au fait qu’il n’était pas représenté et aux conditions restrictives dont était assorti son visa relais, constituent des mesures dissuasives prises par l’État partie dans le but de réduire l’afflux de migrants, ce qui signifie que celui-ci n’examine pas effectivement les demandes mettant en jeu ses obligations de non‑refoulement.

6.7Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquelles les demandes d’asile du requérant ont fait l’objet de solides examens au fond à deux reprises, à l’issue desquels trois instances judiciaires ont constaté qu’il n’y avait eu aucune erreur de compétence; le requérant avait pu soumettre des observations écrites au représentant après l’entretien de demande de visa de protection; son entretien d’arrivée et l’entretien de demande de visa de protection avaient été menés en face-à-face et il avait bénéficié de l’assistance d’un interprète et d’un avocat et avait été invité à présenter des observations supplémentaires après l’audience, ce qu’il n’avait pas fait; les observations écrites qu’il avait fournies à l’Autorité d’examen des demandes d’immigration avaient été dûment prises en considération et il avait pu faire examiner la légalité de la décision rendue par le Tribunal de circuit fédéral, la Cour fédérale d’Australie et la Haute Cour d’Australie. L’État partie affirme ainsi que la demande d’asile du requérant a fait l’objet d’un examen au fond approfondi et solide, conformément aux obligations nationales et internationales qui lui incombent.

6.8Le Comité constate que nul ne conteste qu’en raison des importantes incohérences relevées dans le récit du requérant concernant les événements l’ayant amené à quitter Sri Lanka, ni le représentant ni l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’ont considéré comme établi que le requérant avait été recruté de force par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, qu’il avait été arrêté, détenu et soumis à la torture par les autorités sri‑lankaises, ou agressé ou menacé par des éléments s’opposant à celles-ci en raison de ses activités politiques ou de celles de son père. Si les autorités nationales ont ajouté foi aux allégations du requérant concernant son appartenance ethnique, ses origines géographiques, les liens de sa famille avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, les activités politiques de son père et sa participation aux élections de 2012, et ont convenu qu’il avait pu subir des mauvais traitements de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul pendant le conflit, qu’il avait quitté Sri Lanka illégalement et qu’il serait peut‑être mis en accusation et placé en détention pendant une courte période à son retour, elles n’ont pas été d’avis qu’il risquait de subir un préjudice suffisamment grave à son retour pour mettre en jeu les obligations de non‑refoulement de l’État partie.

6.9Le Comité note ainsi que le requérant s’est finalement vu refuser un visa de protection en raison des doutes quant à la crédibilité de son récit selon lequel les Tigres de libération de l’Eelam tamoul l’avaient recruté de force et le Département des enquêtes criminelles l’avait soumis à la torture. Le Comité relève que le requérant a clairement dit dans sa communication qu’une citation à comparaître lui avait été adressée et qu’un mandat d’arrêt, portant son nom, avait été émis par le Département de la police de Batticaloa, les 10 et 11 août 2016, respectivement, et qu’il a joint ces pièces à sa communication. Il a également indiqué le nom que lui avait attribué les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, son numéro de groupe au sein de ceux-ci et le numéro que portait sa plaque d’identification, et il affirme qu’il porte les cicatrices des brûlures de cigarettes qui lui ont été infligées par le Département des enquêtes criminelles pendant son interrogatoire. Le Comité constate que l’État partie ne fait pas directement référence à ces documents, mais, dès lors que celui-ci n’a pas avancé qu’ils avaient été produits pour la première fois dans le cadre de la requête devant le Comité, il en déduit que l’on peut tenir pour acquis que les autorités nationales de l’État partie avaient eu connaissance de ces documents alors que les procédures étaient toujours en cours. Bien qu’aucune des parties n’ait indiqué à quel moment précis ces documents avaient été produits dans le cadre des procédures nationales, il semble vraisemblable, compte tenu de la date à laquelle le requérant a soumis ses dernières observations à l’Autorité d’examen des demandes d’immigration (8 août 2016), des dates auxquelles la citation et le mandat d’arrestation ont été émis (les 10 et 11 août 2016, respectivement) et de la date à laquelle le Tribunal de circuit fédéral a tranché la demande modifiée introduite par le requérant (9 juin 2017), que ces documents figuraient parmi ceux qui avaient été soumis au Tribunal de circuit fédéral et au sujet desquels celui‑ci avait dit qu’ils portaient sur le fond de la demande de protection. Cependant, ceux-ci n’ayant pas été soumis à l’Autorité d’examen de l’immigration, il avait été jugé qu’ils étaient irrecevables au motif qu’ils ne présentaient pas d’intérêt pour la seule question dont il était saisi, à savoir l’erreur de compétence imputée à l’Autorité d’examen de l’immigration.

6.10Le Comité prend note du fait que la loi sur les migrations limite strictement la portée du contrôle effectué par le tribunal fédéral à l’examen de la question de savoir si l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a commis une erreur de compétence en confirmant la décision du représentant de rejeter la demande de visa et que la Haute Cour d’Australie se limite à déterminer si un vice de procédure donné est d’une gravité telle qu’il appelle un réexamen dans l’intérêt de la justice. En outre, l’intervention ministérielle a un caractère purement discrétionnaire et les directives applicables à la saisine du Ministre ne sont pas exhaustives et n’exigent pas de décision motivée en cas de non-saisine. Nonobstant ces spécificités, le Comité note que le Tribunal de circuit fédéral, la Cour fédérale d’Australie, la Haute Cour d’Australie et le représentant du Ministre disposaient tous des éléments de preuve en question qui appuyaient la demande de protection du requérant mais n’étaient pas disponibles au stade de l’examen de sa demande au fond. Pour qu’un demandeur qui assure sa propre défense et dont l’anglais n’est pas la première langue, même s’il est capable d’avoir une conversation, puisse surmonter, sans avoir accès à une aide juridique, les obstacles législatifs qui se dressent devant qui tente de contester avec succès le réexamen d’un refus de visa, notamment à la lumière de nouveaux éléments de preuve, il doit de facto avoir une connaissance détaillée de la loi sur les migrations, des règles de procédure administrative, du système de la common law et de la jurisprudence nationale en matière d’erreur de compétence, sans parler de la capacité de préparer des plaidoiries satisfaisantes. Étant donné que la loi sur les migrations exclut expressément les principes de la common law en matière d’équité procédurale et énonce que les principes de la common law en matière de contrôle juridictionnel ne s’appliquent pas aux demandes examinées dans le cadre d’une procédure accélérée, les nouvelles informations en l’espèce n’ont pas été renvoyées à l’autorité chargée d’établir les faits afin que le Tribunal de circuit fédéral ou la Cour fédérale d’Australie examine leur pertinence et leur valeur probante, et il n’a pas non plus été jugé qu’elles suffisaient à justifier une saisine du Ministre aux fins d’examen au fond, alors que les directives énoncent qu’une saisine est indiquée en cas de circonstances non prévues par la législation pertinente, ou pour éviter des conséquences clairement non intentionnelles de la législation, ou lorsque l’application de la législation pertinente conduit à des résultats injustes ou déraisonnables dans une affaire donnée. Le Comité ne dispose d’aucune pièce donnant à entendre que le requérant s’était vu offrir la possibilité de faire examiner ces informations à la lumière des critères en matière de protection internationale ou des principes de non‑refoulement, consacrés par la Convention.

6.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que le fait que l’État partie n’a pas apprécié des éléments de preuve essentiels, qui n’étaient pas disponibles au stade de l’examen au fond mais qui tenaient une place centrale dans la demande de protection du requérant, a eu pour conséquence que l’État partie a conclu que celui-ci n’était pas crédible, ce qui amène le Comité a conclure que l’État partie ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui est faite de procéder à une évaluation exhaustive et individualisée du risque prévisible, actuel et réel que courrait personnellement le requérant d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers Sri Lanka.

7.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que, en l’absence d’une telle évaluation, l’expulsion du requérant vers Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité est d’avis que, conformément à l’article 3 de la Convention, l’État partie est tenu de réexaminer la demande d’asile du requérant à la lumière des obligations mises à sa charge par la Convention et de la présente décision, et de s’abstenir d’expulser le requérant tant que sa demande d’asile sera à l’examen.

9.Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci‑dessus.