Nations Unies

CCPR/C/PHL/CO/5

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 novembre 2022

FrançaisOriginal : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le cinquième rapport périodique des Philippines *

1.Le Comité a examiné le cinquième rapport périodique des Philippines à ses 3919e et 3920e séances, les 10 et 11 octobre 2022. À sa 3944e séance, le 28 octobre 2022, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le cinquième rapport périodique des Philippines et les renseignements qu’il contient. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la période considérée pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites apportées à la liste de points, qui ont été complétées oralement par la délégation, ainsi que des renseignements supplémentaires qui lui ont été communiqués par écrit.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives et de politique générale ci-après :

a)La loi portant interdiction du mariage des enfants (loi no 11596 de la République), en 2021 ;

b)La loi contre la discrimination fondée sur l’âge dans le domaine de l’emploi (loi no 10911 de la République), en 2016 ;

c)La loi contre le harcèlement (loi no 10627 de la République), en 2013 ;

d)La loi relative à l’indemnisation et à la reconnaissance des victimes de violations des droits de l’homme (loi no 10368 de la République), en 2013.

4.Le Comité salue également la ratification par l’État partie de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, en 2022.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Mise en œuvre du Pacte et du Protocole facultatif s’y rapportant

5.Le Comité regrette l’absence d’informations sur les suites données aux constatations adoptées au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte et sur la mise en place d’un mécanisme spécial chargé de donner effet à ces constatations. Tout en prenant note des renseignements communiqués par la délégation de l’État partie au sujet du Plan d’action national en faveur des droits de l’homme (2018-2022) et du Programme conjoint des Nations Unies sur les droits de l’homme (2021-2024), le Comité regrette qu’il n’ait pas été fourni suffisamment de renseignements sur le contenu du Plan d’action (art. 2).

6.L’État partie devrait donner pleinement effet aux constatations du Comité et ainsi garantir l’accès à des recours utiles en cas de violation du Pacte. Il devrait faire davantage d’efforts pour donner effet aux constatations du Comité, notamment par l’intermédiaire du secrétariat du Comité présidentiel des droits de l’homme. En outre, il devrait redoubler d’efforts pour évaluer la mise en œuvre du Plan d’action national en faveur des droits de l’homme à l’aide d’indicateurs relatifs aux droits de l’homme et pour élaborer et adopter le prochain plan, avec la participation effective de la Commission des droits de l’homme et des organisations de la société civile. Il devrait également continuer de contribuer de façon tangible à l’exécution du Programme conjoint des Nations Unies sur les droits de l’homme (2021 ‑2024), en coopération avec les parties prenantes, notamment l’équipe de pays des Nations Unies aux Philippines et la Commission des droits de l’homme.

Institution nationale des droits de l’homme

7.Le Comité se félicite que la Commission des droits de l’homme soit toujours accréditée par l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme avec le statut « A » et que son budget ait augmenté entre 2016 et 2020. Il reste néanmoins préoccupé par l’important retard qui a été pris dans l’adoption des projets de loi concernant la charte de la Commission, qui vise à renforcer et élargir le mandat et l’autorité de celle-ci, ainsi que par les allégations de harcèlement et d’intimidation contre des membres de la Commission. Il regrette également d’apprendre que tous les postes de commissaire ne sont pas pourvus, cette situation pouvant entraver le plein fonctionnement de la Commission (art. 2).

8.L’État partie devrait faire en sorte que les lois concernant la charte de la Commission soient promulguées sans délai et que la Commission demeure pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Il devrait doter la Commission de ressources humaines et financières suffisantes afin qu’elle puisse s’acquitter de son mandat en toute indépendance partout dans le pays. L’État partie devrait également prendre des mesures concrètes pour que les membres de la Commission soient effectivement protégés contre le harcèlement et l’intimidation et pour accorder réparation à ceux dont les droits sont violés. En outre, il devrait accélérer la recherche et la nomination de nouveaux commissaires possédant des compétences avérées et des connaissances pertinentes dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l’homme.

Mesures de lutte contre la corruption

9.Le Comité prend note des actions menées par l’État partie pour lutter contre la corruption, notamment la création de la Commission présidentielle de lutte contre la corruption en 2017 et du numéro d’appel spécial pour les plaintes des citoyens, mais il reste préoccupé par les informations indiquant que la corruption reste très répandue et s’est intensifiée dans le contexte de la riposte de l’État à la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). Il est préoccupé par les informations selon lesquelles les organes chargés de traiter les allégations de corruption, notamment le Bureau du Médiateur, manquent de ressources financières et techniques pour enquêter sur toutes ces allégations (art. 2 et 25).

10.L’État partie devrait redoubler d’efforts pour prévenir et éliminer la corruption et l’impunité à tous les niveaux. Il devrait faire en sorte que toutes les allégations de corruption, y compris celles qui concernent la passation de marchés publics, fassent sans délai l’objet d’enquêtes indépendantes et approfondies, que les responsables soient dûment jugés et punis et que les victimes reçoivent une réparation intégrale. À cette fin, il devrait immédiatement allouer des ressources humaines, techniques et financières suffisantes à ses organes de lutte contre la corruption, notamment au Bureau du Médiateur, afin que celui-ci puisse s’acquitter de ses mandats de manière efficace et indépendante.

Lutte contre l’impunité et les violations des droits de l’homme commises par le passé

11.Le Comité note que certains des auteurs du massacre qui a causé la mort de 58 personnes dans la province de Maguindanao en 2009 ont été déclarés coupables en décembre 2019, mais il regrette que ces personnes aient été traduites en justice avec un tel retard et que de nombreux suspects n’aient pas encore été arrêtés, une situation qui suscite des inquiétudes quant à la sécurité des personnes qui cherchent à obtenir justice. Le Comité prend note de l’adoption de la loi de 2013 sur l’indemnisation et la reconnaissance des victimes de violations des droits de l’homme, qui a entraîné la création loi du Comité pour les demandes d’indemnisation des victimes de violations des droits de l’homme, mais il s’inquiète de savoir si l’indemnisation et la couverture prévues sont suffisantes. Le Comité prend note aussi des informations communiquées par l’État partie au sujet d’un projet de loi visant la mise en place d’une commission régionale pour la justice transitionnelle et la réconciliation pour la région autonome bangsamoro en Mindanao musulman, mais il regrette que l’État partie n’ait pas encore créé de commission nationale pour la justice transitionnelle et la réconciliation pour le Bangsamoro, comme le lui avait recommandé la Commission pour la justice transitionnelle et la réconciliation dans son rapport de 2016 (art. 6, 7, 9, 14 et 26).

12. L’État partie devrait, dans les meilleurs délais, enquêter sur tous les cas signalés de violations des droits de l’homme commises par le passé, engager des poursuites et veiller à ce que les auteurs soient traduits en justice, à ce que les peines infligées soient proportionnées à la gravité des infractions, et à ce que les victimes et les membres de leur famille reçoivent une réparation intégrale, y compris une indemnisation adéquate, et bénéficient d’autres services juridiques, médicaux, psychologiques et de réadaptation. Il devrait veiller à ce que toutes les victimes de violations des droits de l’homme commises dans le passé aient dûment accès aux programmes d’indemnisation, notamment en vertu de la loi sur l’indemnisation et la reconnaissance des victimes de violations des droits de l’homme, et à ce que les victimes et leurs proches qui cherchent à obtenir justice et réparation soient protégés contre l’intimidation et le harcèlement. Il devrait également accélérer la mise sur pied d’un mécanisme national pour la justice transitionnelle et la réconciliation pour le Bangsamoro qui soit conforme aux normes du droit international.

Mesures de lutte contre le terrorisme

13.Le Comité est préoccupé par certains aspects de la loi antiterroriste de 2020, en particulier par les points suivants :

a)L’absence signalée de réelles consultations au moment de l’adoption de la loi ;

b)La définition trop générale et imprécise du terrorisme dans la loi ;

c)Le fait que des personnes soupçonnées de terrorisme peuvent être arrêtées sans mandat et détenues sans inculpation jusqu’à vingt-quatre jours ;

d)Les pouvoirs excessifs accordés au Conseil antiterroriste pour autoriser la collecte et la publication de données personnelles de personnes soupçonnées de terrorisme, sans contrôle judiciaire, et le placement de ces personnes sous surveillance sans qu’elles le sachent ;

e)L’utilisation de la loi pour légitimer la répression exercée sur les détracteurs du Gouvernement, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes, notamment par la pratique consistant à les qualifier de communistes (« red-tagging »), et les effets dissuasifs qui en découlent sur les libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association (art. 4, 17, 19, 21 et 22).

14. L’État partie devrait  :

a) Revoir et modifier la loi antiterroriste, en particulier ses articles 25 et 29, afin de la rendre pleinement conforme au Pacte et aux principes de sécurité juridique, de prévisibilité et de proportionnalité. Ce faisant, il devrait veiller à ce que des consultations soient menées avec les parties prenantes, notamment la Commission des droits de l’homme et les organisations de la société civile  ;

b) Veiller à ce que les personnes soupçonnées ou accusées d’actes terroristes ou d’infractions connexes bénéficient, en droit et dans la pratique, de toutes les garanties juridiques appropriées, en particulier du droit d’être informées des accusations portées contre elles, d’être déférées sans délai devant un juge, et de s’entretenir avec un avocat, conformément à l’ article 9 du Pacte et à l’observation générale n o 35 (2014) du Comité sur la liberté et la sécurité de la personne  ;

c) Permettre que tous les lieux de détention où se trouvent des personnes détenues en vertu de la loi antiterroriste soient inspectés de manière indépendante, efficace et régulière, sans préavis ni supervision, notamment par la Commission des droits de l’homme  ;

d) Veiller à ce que toute ingérence dans le droit à la vie privée, notamment par la publication des données personnelles de personnes soupçonnées d’actes terroristes et par des activités de surveillance, ait préalablement été autorisée par un tribunal et soit contrôlée par des mécanismes de supervision efficaces, réguliers et indépendants et, dans la mesure du possible, à ce que les personnes visées soient informées des mesures de surveillance et d’interception dont elles font l’objet et aient accès à des recours utiles en cas d’abus  ;

e) S’abstenir d’utiliser la législation antiterroriste pour limiter et réprimer la liberté d’expression, de réunion et d’association des détracteurs du Gouvernement, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes.

Non-discrimination

15.Le Comité note qu’il existe plusieurs projets de loi antidiscrimination, à divers stades du processus d’adoption, notamment des projets de loi générale contre la discrimination et des projets de loi interdisant la discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, la religion, et l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles. Il reste néanmoins préoccupé par le retard qui a été pris dans l’adoption de ces projets de loi et par les informations montrant que les pratiques et comportements discriminatoires à l’égard des personnes handicapées, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, des musulmans et des autochtones persistent. En particulier, il est préoccupé par les informations concernant : les conditions de vie des personnes handicapées, en particulier des enfants présentant un handicap psychosocial, et la stigmatisation dont elles sont l’objet ; l’infraction de « grave scandale » que prévoit le Code pénal révisé, pouvant exposer les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres à des actes de harcèlement et de chantage de la part de la police ; les stéréotypes qu’entretiennent les agents publics, associant les musulmans au terrorisme, et la discrimination contre les jeunes musulmans dans le domaine de l’emploi ; la discrimination à l’égard des autochtones dans l’accès aux soins de santé, à l’éducation et aux services sociaux (art. 2 et 26).

16. L’État partie devrait  :

a) Accélérer le processus d’adoption d’un cadre juridique complet interdisant la discrimination, y compris la discrimination directe, indirecte ou multiple, dans tous les domaines, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, pour tous les motifs interdits par le Pacte, et garantir l’accès à des recours utiles et appropriés aux victimes de discrimination  ;

b) Prendre des mesures concrètes pour combattre les stéréotypes et les attitudes négatives visant des personnes en raison de leur handicap, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre et de leur origine ethnique  ;

c) Veiller à ce que tous les actes de discrimination et de violence contre des personnes handicapées, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, des membres des groupes minoritaires et des autochtones donnent lieu sans délai à une enquête efficace, à ce que les auteurs soient traduits en justice et à ce que les victimes obtiennent réparation.

Égalité entre hommes et femmes

17.Le Comité note que la représentation des femmes dans le secteur public a augmenté, mais il regrette qu’elles soient globalement peu présentes dans la vie politique et publique, en particulier dans les postes de décision, et regrette également le manque de données actualisées sur le sujet. Il est préoccupé par les informations indiquant que, depuis 2016, plusieurs femmes, principalement des détractrices de l’administration précédente, ont été sommairement démises de leurs fonctions judiciaires et de leurs charges électives alors qu’aucun homme n’a été sanctionné pour les mêmes raisons (art. 2, 3, 25 et 26).

18. L’État partie devrait intensifier ses efforts pour garantir l’égalité des sexes en droit et dans la pratique. Il devrait en particulier  :

a) Accroître la représentation des femmes dans les postes de décision à tous les niveaux des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et dans le secteur privé  ;

b) Éliminer les stéréotypes sexistes concernant les rôles et responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et au sein de la société  ;

c) S’abstenir de tout traitement discriminatoire à l’égard des femmes dans les rôles de direction et de décision.

Violence à l’égard des femmes, y compris violence familiale

19.Le Comité prend note des efforts que l’État partie déploie pour renforcer la mise en œuvre de la loi de 2004 contre la violence à l’égard des femmes et de leurs enfants et pour sensibiliser le public à ce sujet, mais il demeure préoccupé par le manque d’informations sur les effets de ces mesures et par le fait que les cas de violence à l’égard des femmes sont toujours peu signalés, en partie parce que les autorités ne traduisent pas les auteurs de tels faits en justice. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la baisse significative du nombre de cas de violence à l’égard des femmes signalés en 2020 pourrait indiquer que des obstacles supplémentaires ont empêché le signalement pendant la pandémie de COVID-19. Tout en prenant note des projets de loi visant à légaliser le divorce, le Comité se dit à nouveau préoccupé par le fait que l’absence de législation sur le divorce peut empêcher les victimes de violences familiales de s’extraire de relations violentes (art. 2, 3, 6, 7 et 26).

20. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour  :

a) Encourager le signalement des cas de violence à l’égard des femmes, notamment en veillant à ce que toutes les femmes aient accès à de multiples moyens de signalement, à l’information sur leurs droits et à des recours disponibles, et en s’employant à faire évoluer les mentalités en ce qui concerne le signalement  ;

b) Enquêter sur toutes les allégations de violence à l’égard des femmes, y compris de violence familiale, engager des poursuites et, le cas échéant, infliger des peines proportionnelles à la gravité des infractions aux personnes déclarées coupables, et offrir aux victimes une réparation intégrale et des moyens de protection, y compris l’accès à des centres d’accueil dotés de ressources appropriées  ;

c) Dispenser une formation appropriée aux agents publics, notamment aux juges, aux avocats, aux procureurs et aux agents chargés de l’application de la loi qui traitent les cas de violence à l’égard des femmes, y compris de violence familiale  ;

d) Prendre des mesures ciblées pour protéger les femmes et les enfants contre la violence familiale, en particulier dans les situations d’urgence telles que la pandémie de COVID-19  ;

e) Accélérer l’adoption d’une législation légalisant le divorce, afin de protéger les victimes de la violence familiale, conformément à la recommandation antérieure du Comité .

Interruption volontaire de grossesse et droits liés à la procréation

21.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour réduire le nombre d’avortements non médicalisés et faire reculer la mortalité maternelle, notamment en analysant les décès maternels et en intégrant la planification familiale à d’autres programmes de santé. Néanmoins, il redit sa préoccupation quant au fait que l’avortement demeure une infraction pénale dans l’État partie, ce qui conduit les femmes à recourir à des services clandestins qui mettent leur vie et leur santé en danger. Il est préoccupé par les informations indiquant que les femmes et les jeunes filles qui recourent à l’avortement ou cherchent à le faire font l’objet de harcèlement et que celles qui cherchent à obtenir des soins postavortement sont souvent questionnées et enregistrées par le personnel hospitalier. Il prend note avec préoccupation des informations relatives au nombre insuffisant d’installations de soins de santé primaires et à l’augmentation significative des décès obstétricaux indirects pendant la pandémie de COVID-19, due en partie au manque de moyens en matière de soins de santé. Il prend également note avec préoccupation du nombre élevé de grossesses non désirées, en particulier chez les adolescentes (art. 2, 3, 6 et 17).

22. Au vu des recommandations antérieures et du paragraphe 8 de l’observation générale n o 36 (2018) du Comité sur le droit à la vie, l’État partie devrait  :

a) Revoir sa législation afin de garantir l’accès effectif à un avortement légal et sécurisé dans les cas où la vie ou la santé de la femme ou de la fille enceinte est en danger et lorsque le fait de mener la grossesse à terme causerait pour la femme ou la fille des douleurs ou des souffrances considérables, tout particulièrement lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou n’est pas viable  ;

b) Éliminer les sanctions pénales imposées aux femmes et aux filles qui ont recours à l’avortement et aux prestataires de services médicaux qui les assistent  ;

c) Améliorer l’offre de services de santé sexuelle et procréative, notamment de soins postavortement accessibles en toutes circonstances et de façon confidentielle, en particulier pour les femmes des zones rurales, les femmes vivant dans la pauvreté, les femmes handicapées et les femmes appartenant à des minorités ethniques ou religieuses  ;

d) Continuer d’élaborer et de mettre en œuvre dans tout le pays des programmes complets d’éducation à la santé sexuelle et procréative, notamment en vue de prévenir les grossesses non désirées et la stigmatisation des femmes et des filles qui ont recours à l’avortement, ainsi que des programmes de prévention des infections sexuellement transmissibles.

Changements climatiques et dégradation de l’environnement

23.Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre les changements climatiques et la dégradation de l’environnement, notamment l’adoption de la Stratégie-cadre nationale sur les changements climatiques 2010-2022, du Plan d’action national sur les changements climatiques 2011-2028 et du Cadre national de gestion des risques climatiques de 2019. Tout en notant que l’État partie s’est engagé à mettre en œuvre des mesures d’atténuation, le Comité regrette l’absence d’informations sur les mesures prises ou envisagées pour mettre en application les recommandations formulées par la Commission des droits de l’homme dans son rapport 2022 sur l’enquête nationale sur les changements climatiques, concernant les effets de ces changements sur les droits de l’homme et le rôle des entreprises (art. 6).

24. Rappelant son observation générale n o 36 (2018) sur le droit à la vie, le Comité recommande à l’État partie de  :

a) Renforcer le cadre législatif relatif aux changements climatiques, notamment en appliquant les recommandations formulées par la Commission des droits de l’homme dans le rapport établi à l’issue de l’enquête nationale sur les changements climatiques, dont la recommandation d’adopter des lois créant une responsabilité légale pour les violations des droits de l’homme commises par les entreprises ou liées à une activité commerciale  ;

b) Veiller à ce que tous les projets qui ont une incidence sur le développement durable et sur la résilience face aux changements climatiques soient conçus avec la participation de la population concernée, notamment des populations autochtones, et en véritable concertation avec elles.

Peine de mort

25.Le Comité note avec préoccupation que le législateur a tenté à plusieurs reprises de rétablir la peine de mort dans l’État partie. Il est également préoccupé par le fait qu’il a été proposé d’appliquer la peine de mort dans le cas d’infractions qui ne sont pas parmi les « crimes les plus graves » au sens de l’article 6 (par. 2) du Pacte, notamment les infractions liées à la drogue (art. 6).

26. Le Comité rappelle son observation générale n o 36 (2018) sur le droit à la vie, dans laquelle il a affirmé que les États parties qui avaient aboli la peine de mort ne pouvaient pas la réintroduire . L’État partie devrait donc renoncer à rétablir la peine de mort, conformément aux obligations mises à sa charge par l’ article 6 du Pacte et les dispositions du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, auquel il est partie.

Exécutions extrajudiciaires

27.En dépit des dénégations de l’État partie, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles de très nombreuses exécutions extrajudiciaires ont lieu, en particulier dans le contexte de la campagne antidrogue menée par le Gouvernement, ce qui entraîne des violations graves des droits de l’homme, la majorité des victimes étant de jeunes hommes issus de populations pauvres et marginalisées subvenant aux besoins de leur famille. Il est particulièrement préoccupé par les points suivants : a) les informations selon lesquelles de hauts dirigeants, dont l’ancien Président, incitent à la violence contre les personnes soupçonnées d’avoir enfreint la législation sur les stupéfiants et aux exécutions extrajudiciaires de ces personnes ; b) l’utilisation de listes, fondées sur des informations non étayées, de personnes à surveiller parce qu’elles sont soupçonnées d’infractions liées à la drogue et les visites extrajudiciaires que les autorités font sur la base des listes au domicile de ces personnes pour les convaincre de se rendre (opération « Tokhang »), visites qui sont dans bien des cas menaçantes et intimidantes et à l’issue desquelles les intéressés finissent souvent par être contraints et forcés de suivre un programme de désintoxication ; c) les meurtres d’enfants, « dommages collatéraux » des visites effectuées au domicile de leur famille, et les lourdes conséquences que les exécutions extrajudiciaires ont sur les enfants des victimes et les enfants qui en sont témoins ; d) l’incapacité persistante des autorités à mener rapidement des enquêtes efficaces et indépendantes sur les exécutions extrajudiciaires et à traduire les auteurs en justice ; e) l’intimidation, le harcèlement et la surveillance des proches des victimes qui demandent justice. Le Comité constate également que l’État partie refuse de collaborer avec les mécanismes internationaux des droits de l’homme et de coopérer aux enquêtes que la Cour pénale internationale mène sur les exécutions extrajudiciaires (art. 6).

28. Le Comité demande instamment à l’État partie de mettre un terme aux exécutions extrajudiciaires de personnes soupçonnées de consommer ou de trafiquer de la drogue et de  :

a) Prendre des mesures en vue de remplacer l’approche exclusivement punitive adoptée dans le cadre de la lutte contre la drogue par une stratégie qui soit pleinement conforme au Pacte  ;

b) Veiller à ce que les hauts dirigeants s’abstiennent d’inciter à la violence et aux exécutions extrajudiciaires, en particulier contre des personnes soupçonnées de consommation ou de trafic de drogue s  ;

c) Ne plus utiliser de listes de consommateurs et de trafiquants de drogues présumés à surveiller et mettre fin à l’opération «  Tokhang  », notamment en abrogeant la circulaire administrative n o 16 et les règlements du Conseil n os 3 et 4 de 2016  ;

d) Redoubler d’efforts pour que des enquêtes approfondies et indépendantes soient rapidement menées sur toutes les allégations d’exécutions extrajudiciaires et que les auteurs de ces actes, y compris les responsables de l’application des lois, soient traduits en justice  ;

e) S’employer plus activement à faire appliquer le principe de responsabilité, notamment en établissant et en finançant un mécanisme indépendant chargé d’établir les responsabilités pour toutes les exécutions extrajudiciaires présumées et en recueillant et publiant régulièrement des données ventilées sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires  ;

f) Accorder aux victimes et à leurs proches une réparation complète, notamment une indemnisation et un soutien approprié sous la forme de services d’accompagnement psychologique et de réadaptation et d’autres services adaptés aux besoins particuliers des enfants affectés par la campagne antidrogue  ;

g) S’abstenir de tout acte de harcèlement et d’intimidation à l’égard de ceux qui demandent justice pour les victimes d’exécutions extrajudiciaires et faire en sorte que ces personnes aient accès à la justice et puissent obtenir réparation  ;

h) Dispenser régulièrement, à l’intention des responsables de l’application des lois, des formations sur l’emploi de la force inspirées des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et des Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois  ;

i) Coopérer plus étroitement avec les mécanismes internationaux des droits de l’homme et avec la Cour pénale internationale dans le cadre des enquêtes qu’elle mène.

Interdiction de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants

29.S’il prend note des mesures adoptées pour prévenir la torture et les autres mauvais traitements, et notamment des formations sur les droits de l’homme organisées à l’intention des policiers et des agents pénitentiaires, le Comité est néanmoins préoccupé par les informations selon lesquelles la torture et les autres mauvais traitements sont des pratiques généralisées dans les lieux de détention, y compris les lieux de garde à vue, et seule une déclaration de culpabilité a été prononcée sur le fondement de la loi de 2009 interdisant la torture. De même, s’il prend note des informations fournies par l’État partie sur l’inspection menée par des membres de la police nationale, il regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur l’établissement d’un éventuel mécanisme indépendant chargé de contrôler tous les lieux de détention (art. 2 et 7).

30. L’État partie devrait prendre des mesures pour éliminer la torture et les autres mauvais traitements. Il devrait en particulier  :

a) Établir une institution indépendante chargée d’effectuer des visites de contrôle dans les lieux de privation de liberté, par exemple un mécanisme national de prévention tel qu’envisagé par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et veiller à ce que tous les lieux de privation de liberté fassent régulièrement l’objet d’inspections et de contrôles effectués sans préavis et hors de toute surveillance  ;

b) Renforcer l’indépendance, l’impartialité et l’efficacité des organes d’enquête existants, y compris le mécanisme créé par l’ordonnance administrative n o  35, notamment en leur fournissant des ressources humaines et financières suffisantes, afin que tous les cas de torture et de mauvais traitements fassent rapidement l’objet de véritables enquêtes, que tous les auteurs soient poursuivis et punis et que les victimes se voient effectivement offrir réparation. L’État partie devrait également protéger les plaignants contre les représailles  ;

c) Continuer de s’employer à dispenser aux magistrats du siège et du parquet, aux avocats, aux agents de sécurité et aux membres des forces de l’ordre des formations régulières dans le domaine des droits de l’homme, notamment sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

Conditions de détention

31.S’il prend note des efforts faits par l’État partie pour que les lieux de détention puissent accueillir davantage de détenus dans de meilleures conditions, le Comité constate néanmoins avec préoccupation que la surpopulation carcérale est extrême, d’autant que de nombreuses personnes ont été incarcérées dans le cadre de la campagne antidrogue. En outre, il est préoccupé par les informations selon lesquelles les détenus n’ont pas suffisamment accès à la nourriture et à l’eau potable ni aux soins médicaux et, malgré les nombreuses vagues de l’épidémie, aux tests de dépistage de la COVID-19. Il constate que la circulaire administrative de juin 2021 publiée par l’administration pénitentiaire prévoit la fourniture de soins prénatals et postnatals, mais regrette le manque d’informations sur l’application de ces mesures (art. 7 et 10).

32. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour rendre les conditions de détention pleinement conformes aux normes internationales applicables en matière de droits de l’homme, notamment celles énoncées dans l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). Il devrait en particulier  :

a) Prendre immédiatement des mesures visant à réduire sensiblement la surpopulation dans les prisons et les locaux de garde à vue, notamment recourir davantage aux mesures de substitution à la détention, comme il est recommandé dans les Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo)  ;

b) Redoubler d’efforts pour améliorer les conditions de détention et faire en sorte que, dans tous les lieux de privation de liberté, en particulier ceux dans lesquels des foyers de maladies infectieuses comme la COVID-19 ont été recensés, les détenus aient dûment accès à la nourriture, à l’eau potable et aux soins de santé  ;

c) Veiller à ce que les détenues, en particulier celles qui sont enceintes ou ont des enfants, aient dûment accès aux soins médicaux et aux autres services essentiels nécessaires compte tenu leurs besoins particuliers.

Liberté et sécurité de la personne

33.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les détenus ne bénéficient pas toujours dès leur arrestation de toutes les garanties juridiques fondamentales, notamment le droit d’être informés des faits qui leur sont reprochés, le droit d’avoir rapidement accès à un avocat et à un médecin de leur choix, le droit d’informer une personne de leur choix de leur arrestation et le droit d’être rapidement présentés devant un juge. Il est également préoccupé par le fait que les détentions provisoires prolongées seraient monnaie courante, notamment dans les affaires de drogues, et par l’absence de statistiques concernant les personnes placées en détention provisoire. Il constate avec inquiétude que les personnes reconnues coupables d’avoir commis pour la première fois une infraction liée à la drogue sont passibles soit d’une peine de prison, soit d’un séjour dans un centre de désintoxication, ce qui les pousse à choisir la deuxième option, et que les personnes admises dans ce type de centre, y compris celles qui se sont rendues dans le cadre de l’opération « Tokhang », seraient soumises à des mauvais traitements, à l’isolement, au travail forcé et à des violences psychologiques, sachant qu’aucun mécanisme de surveillance n’existe (art. 9 et 14).

34. L’État partie devrait prendre des mesures concrètes visant à garantir que tous les détenus bénéficient, dans la pratique, de toutes les garanties juridiques et procédurales fondamentales dès leur arrestation. Il devrait en particulier  :

a) Réviser et modifier sa législation, y compris les dispositions applicables des règles de procédure pénale de 2000, afin de garantir aux détenus le droit de contacter rapidement un membre de leur famille ou une autre personne de leur choix, le droit de s’entretenir dans les plus brefs délais et en toute confidentialité avec un avocat qualifié indépendant ou, au besoin, un avocat commis d’office au titre de l’aide juridictionnelle, conformément aux Principes de base sur le rôle du barreau, le droit d’être examinés par un médecin indépendant et le droit d’être présentés devant une autorité judiciaire compétente, indépendante et impartiale dans un délai de quarante ‑huit heures  ;

b) Recourir moins souvent à la détention provisoire et davantage aux mesures préventives non privatives de liberté, comme le prévoient le nouveau Code de procédure pénale et les Règles de Tokyo, et veiller à ce que personne ne soit maintenu en détention provisoire au-delà de la durée légale  ;

c) Renforcer le contrôle juridictionnel des programmes de désintoxication auxquels l’État partie soumet les usagers de drogue s afin de prévenir et d’interdire la détention arbitraire et veiller à ce que les centres de désintoxication fassent l’objet d’un véritable contrôle régulier et indépendant, notamment par la Commission des droits de l’homme.

Élimination de l’esclavage, de la servitude et de la traite des personnes

35.S’il prend note des mesures prises pour lutter contre la traite des personnes, notamment des activités menées par le Conseil interinstitutions contre la traite, le Comité est préoccupé par le fait que les cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet se sont multipliés, en particulier pendant la pandémie de COVID-19, sont peu souvent signalés et donnent rarement lieu à des enquêtes, des poursuites et des déclarations de culpabilité, même lorsque des agents de l’État sont impliqués. Il constate avec préoccupation que les services spécialisés de protection et d’assistance destinés aux enfants victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles sont insuffisants (art. 2, 7, 8 et 24).

36. L’État partie devrait s’employer plus activement à prévenir et combattre la traite des personnes, y compris l’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet, et notamment  :

a) Identifier les victimes de la traite des personnes et de toutes les formes d’exploitation des enfants, y compris en faisant des vérifications auprès des groupes vulnérables, comme les enfants vivant dans la pauvreté  ;

b) Mener rapidement et en toute indépendance des enquêtes approfondies sur les cas de traite des personnes, y compris ceux dans lesquels des agents de l’État sont impliqués, et les cas d’exploitation sexuelle d’enfants, et traduire les auteurs en justice  ;

c) Offrir aux victimes une réparation intégrale, notamment des mesures de réadaptation et une indemnisation adéquate, et faire en sorte qu’elles aient accès à une protection et un soutien effectifs compte tenu du fait que, de par leur jeune âge, les enfants ont une vulnérabilité et des besoins particuliers.

Indépendance de la justice et procès équitable

37.Le Comité constate avec préoccupation que, selon certaines informations, les membres de l’appareil judiciaire continuent d’être victimes d’actes d’intimidation, d’assassinats et de représailles. S’il prend note des informations fournies par l’État partie concernant la procédure de quo warranto engagée contre la Présidente de la Cour suprême, Maria Lourdes Sereno, il s’inquiète de ce que la révocation de l’intéressée deux jours après que l’ancien Président a publiquement proféré des menaces contre elle a eu un effet dissuasif sur les autres juges et magistrats et a ainsi porté gravement atteinte à l’indépendance de la justice. En outre, il est préoccupé par le grand nombre de menaces, d’actes d’intimidation et d’agressions allant jusqu’au meurtre dont sont victimes les juges et les avocats, en particulier ceux qui ont exprimé des opinions dissidentes, et par le retard pris pour traduire les auteurs en justice (art. 14).

38. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour  :

a) Garantir l’indépendance et l’impartialité totales des magistrats du siège et du parquet et veiller à ce que ceux-ci puissent faire leur travail sans aucun type de pression ou d’interférence indues de la part des pouvoirs exécutif et législatif. À cette fin, il devrait faire en sorte que les procédures de sélection, de nomination, de sanction et de révocation des magistrats soient conformes au Pacte et aux normes internationales pertinentes, notamment les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature et les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet  ;

b) Mieux protéger les juges, les procureurs et les avocats contre les menaces publiques et les actes d’intimidation, de harcèlement et de violence, y compris les meurtres, et faire en sorte que toutes les violations donnent rapidement lieu à une enquête approfondie, indépendante et impartiale, que les auteurs soient traduits en justice et que les victimes reçoivent une réparation complète.

Personnes déplacées

39.S’il note que l’État partie a alloué des fonds importants en faveur des activités de reconstruction sur les terres des personnes déplacées et à la fourniture de services d’aide et de secours à ces personnes, le Comité reste néanmoins préoccupé par les informations selon lesquelles les membres des communautés touchées ne sont pas consultés lorsqu’il s’agit de prendre des décisions concernant les plans de reconstruction, y compris concernant le projet d’établir un camp militaire à Marawi. Il est préoccupé par les informations selon lesquelles les habitants de Marawi qui ont été déplacés continuent de vivre dans des abris temporaires cependant que la priorité est donnée aux projets d’infrastructure à grande échelle, ainsi que par le peu de progrès qui seraient accomplis s’agissant d’offrir un recours effectif à ceux qui ont subi le siège de la ville en 2017. Il prend note avec regret des informations selon lesquelles le conflit en cours donnerait lieu à des opérations militaires aveugles contre des civils, sachant que ces opérations entraîneront de nouveaux déplacements et de nouvelles violations des droits de l’homme (art. 2, 7, 12 et 26).

40. L’État partie devrait  :

a) Redoubler d’efforts pour fournir aux personnes déplacées, en consultation avec elles, des solutions durables, notamment un logement convenable, dans le respect des normes internationales applicables, dont celles énoncées dans le Pacte et dans les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays  ;

b) Rendre rapidement opérationnelle la commission d’indemnisation de Marawi , créée par la loi de 2022 sur l’indemnisation des victimes du siège de Marawi , en vue d’offrir aux victimes une réparation effective, notamment une indemnisation adéquate  ;

c) Mettre fin aux opérations militaires aveugles afin de prévenir les déplacements internes et les autres violations des droits de l’homme.

Droit au respect de la vie privée

41.Si l’État partie a indiqué que toutes les informations obtenues dans le cadre de sa campagne antidrogue étaient traitées avec la plus grande confidentialité, le Comité est préoccupé par l’absence d’informations claires sur les recours, tels que le mécanisme de plainte établi conformément à la loi de 2012 sur la protection des données, qui sont ouverts aux personnes dont les noms figurent sur les listes de personnes à surveiller parce qu’elles sont soupçonnées d’infractions liées à la drogue. Il prend note des informations communiquées par la délégation de l’État partie sur les problèmes sanitaires, mais reste préoccupé par les tests obligatoires de dépistage des drogues auxquels sont soumis les enseignants et les élèves dans les écoles en application de l’ordonnance no 40 de 2017 du Ministère de l’éducation (art. 17).

42. L’État partie devrait veiller à ce que tous les modes de conservation des données et d’accès à celles-ci et toute immixtion arbitraire et illégale dans la vie privée, y compris dans le cadre de la campagne antidrogue menée par le Gouvernement, soient pleinement conformes au Pacte, en particulier à son article 17. Ces activités devraient être menées dans le respect des principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité et être soumises à autorisation judiciaire. L’État partie devrait veiller à ce que des enquêtes rapides, indépendantes et efficaces soient menées sur tous les cas d’abus et permettre aux victimes d’accéder à des recours utiles.

Liberté d’expression

43.Le Comité est préoccupé par la violation persistante de la liberté d’expression dans l’État partie. Il est particulièrement alarmé par les informations selon lesquelles la liberté de la presse ferait l’objet de restrictions, notamment par : a) la fermeture de médias, comme le refus de renouveler la franchise d’ABS-CBN en juillet 2020 et la révocation des certificats d’incorporation de Rappler en juin 2022 ; b) le recours fréquent à des poursuites pénales et civiles contre des journalistes et des médias, notamment contre la lauréate du prix Nobel de la paix Maria Ressa, son média, Rappler, et les journalistes de Rappler ; c) les actes de harcèlement et d’intimidation généralisés à l’égard de journalistes ; et d) les cyberattaques, notamment des attaques soutenues par l’État, visant des médias indépendants et ayant pour effet de perturber fortement leur fonctionnement. Il est préoccupé par les nombreuses informations selon lesquelles des meurtres de journalistes, dont le journaliste radio Percival Mabasa, seraient commis en toute impunité. Il est également préoccupé par des restrictions à la liberté d’expression pouvant découler du projet de loi de 2019 contre la diffusion de fausses informations, qui prévoit que la détermination de ce qui constitue une fausse information doit se fonder sur une « croyance raisonnable », sans que ce critère soit défini, et autorise le Bureau de la cybercriminalité du Ministère de la justice à modifier ou à supprimer des informations d’un site Web pour des « motifs valables et suffisants », sans aucune mesure de contrôle. En outre, il exprime à nouveau sa préoccupation quant au fait que la diffamation constitue toujours une infraction dans le Code pénal révisé, comme l’est la calomnie dans la loi de 2012 sur la prévention de la cybercriminalité, qui est fréquemment utilisée contre des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des militants et des détracteurs du Gouvernement, dans le but de réprimer les opinions dissidentes (art. 19).

44. L’État partie devrait prendre sans délai des mesures afin de faire en sorte que chacun puisse exercer librement le droit à la liberté d’expression, conformément à l’ article 19 du Pacte et à l’observation générale n o 34 (2011) du Comité sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, et que toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression soit conforme aux conditions strictes énoncées à l’ article 19 ( par.  3) du Pacte. À cette fin, il devrait  :

a) S’abstenir de poursuivre en justice et de placer en détention des journalistes, des professionnels des médias et d’autres acteurs de la société civile dans le but de les dissuader ou de les décourager d’exprimer librement leurs opinions  ;

b) Prévenir les actes de harcèlement, d’intimidation et d’agression à l’égard des journalistes, des professionnels des médias, des défenseurs des droits de l’homme et d’autres acteurs de la société civile afin de garantir qu’ils soient libres de mener leurs activités sans crainte de violence ou de représailles  ;

c) Mener des enquêtes rapides, efficaces et impartiales sur les allégations de menaces ou de violence à l’égard de journalistes, de professionnels des médias et d’autres acteurs de la société civile, ainsi que sur les cyberattaques visant des médias, traduire les auteurs en justice et offrir aux victimes des recours utiles, notamment une indemnisation suffisante  ;

d) Réviser le projet de loi de 2019 contre la diffusion de fausses informations et les autres projets de loi à ce sujet et les mettre en conformité avec l’ article 19 du Pacte  ;

e) Dépénaliser la diffamation, sachant que l’emprisonnement ne constitue jamais une peine appropriée pour cet acte.

Défenseurs des droits de l’homme

45.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles le Gouvernement intensifierait la répression à l’égard des défenseurs des droits de l’homme, des militants et d’autres acteurs de la société civile, notamment dans le cadre de ses opérations antiterroristes et de sa campagnes antidrogue, afin de les décourager de mener leurs activités légitimes. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme, des militants et d’autres acteurs de la société civile seraient qualifiés de communistes (« red-tagging »), ce qui les expose davantage aux menaces de mort, aux actes d’intimidation, aux agressions, aux arrestations et détentions arbitraires, aux disparitions forcées et aux exécutions extrajudiciaires (art. 2, 6, 9, 19, 21 et 22).

46. L’État partie devrait  :

a) Prendre immédiatement des mesures pour assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme, des militants et des autres acteurs de la société civile afin de leur permettre d’exercer leurs droits et de promouvoir les droits de l’homme dans un environnement sûr  ;

b) Envisager d’adopter sans délai le projet de loi relatif aux défenseurs des droits de l’homme  ;

c) Mettre fin à la pratique du «  red-tagging  » des défenseurs des droits de l’homme, des militants et des autres acteurs de la société civile  ;

d) Enquêter rapidement, de manière indépendante et efficace, sur toutes les violations des droits de l’homme commises à l’égard de défenseurs des droits de l’homme, de militants et d’autres acteurs de la société civile, traduire les auteurs en justice et accorder des réparations aux victimes, notamment une indemnisation adéquate.

Liberté de réunion pacifique et liberté d’association

47.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la Circulaire administrative no 15 publiée en 2018 par la Commission des opérations de bourse, telle que modifiée par la Circulaire administrative no 25 de 2019, restreint la liberté d’association en imposant aux organisations à but non lucratif l’établissement de rapports onéreux et en autorisant la surveillance des défenseurs des droits de l’homme. Il est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles un organe de presse gouvernemental a accusé à tort certaines organisations de défense des droits de l’homme de ne pas se conformer aux exigences de la Commission des opérations de bourse, dans une apparente tentative de discréditer ces organisations. Il est préoccupé par les allégations selon lesquelles des syndicalistes feraient l’objet de menaces, de harcèlement, de profilage et seraient victimes de meurtres, et les forces de sécurité interviendraient dans les réunions syndicales. Il est également préoccupé par la force excessive employée pour disperser des grévistes, notamment les travailleurs de Sumitomo Corporation et de NutriAsia, dont un certain nombre ont de ce fait été tués, blessés ou arbitrairement arrêtés ou placés en détention. Il regrette qu’aucune enquête ni poursuite efficace n’a été menée concernant ces affaires (art. 21 et 22).

48. L’État partie devrait  :

a) Réexaminer et modifier la Circulaire administrative n o 15 publiée en 2018 par la Commission des opérations de bourse en vue de garantir le respect de la liberté d’association, conformément à l’ article 22 du Pacte  ;

b) S’abstenir de toute répression, de tout harcèlement, de toute intimidation et de toute agression à l’égard des syndicalistes, veiller à ce que des enquêtes soient menées lorsque de tels actes sont commis et à ce que les responsables soient poursuivis et punis, et renforcer la protection effective des syndicalistes  ;

c) Prévenir et éliminer le recours excessif à la force par les agents des forces de l’ordre, notamment en leur dispensant une formation adéquate, conformément à l’observation générale n o 37 (2020) du Comité sur le droit de réunion pacifique, aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et aux Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois  ;

d) Faire en sorte que toutes les allégations concernant un recours excessif à la force dans le cadre de manifestations pacifiques, notamment de grévistes, fassent sans délai l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales, que les responsables présumés soient poursuivis, et sanctionnés s’ils sont reconnus coupables, et que les victimes obtiennent réparation.

Participation à la conduite des affaires publiques

49.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’ancienne sénatrice Leila de Lima se trouverait en détention provisoire depuis 2017, ce qui est extrêmement long, et selon lesquelles des accusations de rébellion et de sédition, par exemple, motivées par des considérations politiques, auraient été portées contre des membres de l’opposition, comme l’ancien sénateur Antonio Trillanes et l’ancienne Vice-Présidente Leni Robredo (art. 9, 10 et 25).

50. L’État partie devrait s’abstenir d’utiliser les lois pénales pour harceler et intimider les membres de l’opposition et les empêcher de participer à la vie publique et aux processus électoraux. Il devrait prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la détention provisoire prolongée de l’ancienne sénatrice Leila de Lima, notamment en lui accordant une libération sous caution, et veiller à ce que son procès et celui des autres membres de l’opposition soient organisés sans délai et dans le respect des droits de la défense.

Droits des peuples autochtones

51.Le Comité prend note des efforts faits par l’État partie pour reconnaître et promouvoir les droits des peuples autochtones, notamment dans le cadre de la loi de 1997 relative aux droits des peuples autochtones, mais il reste préoccupé par les lacunes dans la mise en œuvre du cadre juridique et des garanties existants. En particulier, il est préoccupé par les informations selon lesquelles une très faible proportion de terres seraient reconnues comme domaines autochtones, le Ministère de la réforme agraire redistribuerait des terres autochtones à des colons non autochtones sans le consentement des intéressés, des forces économiques et politiques influenceraient indûment les politiques nationales de développement, et la tromperie, la menace, la force et la violence mortelle seraient employées dans le cadre des processus d’obtention du consentement libre, préalable et éclairé pour les projets de développement. Il est également préoccupé par les agressions et les meurtres dont sont victimes les membres de peuples autochtones qui vivent dans les zones touchées par le conflit, en raison de leur appartenance supposée à l’armée ou à la Nouvelle armée populaire. Il prend note avec inquiétude des informations selon lesquelles des écoles autochtones seraient utilisées à des fins militaires, les enseignants seraient victimes de harcèlement et d’agressions, et 54 écoles autochtones de Mindanao auraient été fermées pour avoir prétendument enseigné l’extrémisme violent. Il est préoccupé par les nombreuses informations selon lesquelles des défenseurs des droits fonciers et environnementaux auraient été tués, comme les neuf militants Tumandok des droits des peuples autochtones tués lors d’une opération conjointe de la police et de l’armée en décembre 2020, le chef tribal Datu Victor Danyan, tué en décembre 2017 et la défenseuse de la réforme foncière Nora Apique, tuée par des assaillants non identifiés en mars 2020 (art. 2, 6, 14 et 27).

52. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour  :

a) Appliquer pleinement la loi de 1997 relative aux droits des peuples autochtones, en particulier ses dispositions relatives au principe du consentement libre, préalable et éclairé  ;

b) Faciliter le processus juridique d’octroi de titres de propriété sur les terres ancestrales, notamment en élaborant et appliquant une procédure simplifiée à cet effet  ;

c) Tenir de véritables consultations avec les peuples autochtones afin de recueillir leur consentement préalable, libre et éclairé avant d’adopter et d’appliquer des mesures pouvant avoir des effets sur leurs droits, notamment au moment d’autoriser des projets de développement, et veiller à ce que les peuples autochtones soient consultés avant l’adoption de tout instrument normatif concernant ces consultations  ;

d) Garantir, en droit et dans la pratique, que les peuples autochtones qui sont concernés par des projets de développement reçoivent une part juste et équitable des avantages  ;

e) Veiller à ce que les actes de harcèlement et d’intimidation, les violences et les meurtres visant des membres de peuples autochtones et des défenseurs des droits de ces peuples fassent l’objet d’enquêtes rapides, approfondies, indépendantes et impartiales, à ce que les auteurs de ces actes soient traduits en justice et à ce que les victimes obtiennent pleinement réparation.

D.Diffusion et suivi

53. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, des deux Protocoles facultatifs s’y rapportant, de son cinquième rapport périodique et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public pour faire mieux connaître les droits consacrés par le Pacte. Il devrait faire en sorte que le rapport périodique et les présentes observations finales soient traduits dans son autre langue officielle.

54. Conformément à l’ article 71 ( par.  1) du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 4 novembre 2025 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées par le Comité aux paragraphes 28 (exécutions extrajudiciaires), 32 (conditions de détention) et 44 (liberté d’expression) ci-dessus.

55. Conformément au calendrier prévu par le Comité pour la présentation des rapports, l’État partie recevra en 2028 la liste de points établie avant la soumission du rapport et aura un an pour présenter ses réponses, qui constitueront son sixième rapport périodique. Le Comité demande à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l’État partie se tiendra en 2030, à Genève.