NATIONS UNIES

CRC

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr.GÉNÉRALE

CRC/C/SR.96710 août 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’ENFANT

Trente-sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 967e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 2 juin 2004, à 10 heures

Président: M. DOEK

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES (suite)

Deuxième rapport périodique de la France

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de la France (CRC/C/65/Add.26; liste des points à traiter (CRC/C/Q/FRA/2); réponses écrites du Gouvernement français à la liste des points à traiter (CRC/C/RESP/60) (document distribué en salle, en français uniquement))

1.Sur l’invitation du Président, M me   Roig, M. De Legge, M. Kessedjian, M. Strasser, M. Chieze, M. Ballet, M me  Daix, M. Delalande, M me  Oui, M me  Briand, M. Lory, M me  Leyland, M me   Berolatti, M me  Marot, M me  Cubaynes, M. Guyetant, M. Bisson-Vaivre, M me  Farge, M me  Parienti, M. Aumonier, M me  Wingert, M me  Doublet, M me  Hugot, M me  Vassallo, M. Cassone, M. Giacomini, M me  Calothy, M. Beigbeder et M. Le Fur (France) prennent place à la table du Comité.

2.Mme ROIG (France) dit que la présence d’une délégation nombreuse à l’occasion de l’examen du second rapport périodique est un signe fort pour le Comité de l’engagement de la France à poursuivre ses efforts pour améliorer le bien-être de tous les enfants du pays et que les principales évolutions enregistrées au cours de la décennie écoulée sont toutes inspirées par le souci d’implanter plus profondément les droits de l’enfant dans la législation et dans la pratique.

3.La France s’est dotée de nouvelles institutions et procédures permettant une meilleure prise en compte des intérêts des enfants et des familles. La Conférence de la famille, instaurée par la loi du 25 juillet 1994, a ainsi été consacrée en 2003 à l’accueil du jeune enfant et à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et celle du 29 juin 2004 s’intéressera aux adolescents.

4.La loi du 6 mars 2000 a institué une autorité indépendante, le Défenseur des enfants, qui a pour mission de défendre et de promouvoir les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international ratifié par la France. Le 20 novembre, jour anniversaire de l’adoption de la Convention devenu Journée nationale des droits de l’enfant, la Défenseure des enfants remet au Président de la République un rapport qui soulève un certain nombre de problèmes particulièrement importants et formule des propositions.

5.Les autorités françaises, dans leur volonté de soutenir la famille et la parentalité, ont mis en place, le 1er janvier 2004, la prestation d’accueil du jeune enfant, qui a pour objet d’offrir aux parents qui le souhaitent la possibilité de suspendre une activité professionnelle et à ceux qui préfèrent continuer de travailler, de pouvoir choisir entre un mode de garde collectif ou individuel. Les pères se sont en outre vu accorder le droit à un congé paternité de 11 jours, des efforts financiers sont consentis pour créer des places dans des établissements d’accueil et un projet de loi visant à revaloriser le statut des assistantes maternelles est à l’étude par le Parlement.

6.Sur le plan social, un plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et l’exclusion a été adopté en mars 2003 pour améliorer le niveau de vie des familles les plus démunies. Pour aider les parents face à leurs responsabilités parentales, des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement sont mis en place depuis plusieurs années pour mettre en cohérence, au plan national comme dans chaque département, l’action des institutions et organismes œuvrant dans le domaine, à savoir les services de l’État, les collectivités territoriales, les caisses d’allocations familiales et les associations. Des «points information famille» faisant une large place aux nouvelles technologies de l’information ont en outre été créés sur 15 sites expérimentaux pour orienter plus facilement et plus efficacement les familles afin de leur permettre d’accéder à l’information sur les services et les prestations dont elles ont besoin.

7.Le droit de la famille a connu ces dernières années des modifications dont l’ambition commune a toujours été de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. La loi du 3 décembre 2001 garantit ainsi l’égalité entre les enfants indépendamment de leur filiation, supprimant toute discrimination entre eux en matière successorale, la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale pose le principe de l’exercice conjoint de celle-ci par le père et la mère de l’enfant quelle que soit leur situation matrimoniale et la loi sur le divorce, qui vient d’être adoptée, a pour objectif de prévenir et de dédramatiser, autant que faire se peut, la rupture.

8.L’adoption a également connu plusieurs évolutions législatives avec notamment les lois du 5 juillet 1996 et du 6 février 2001. De plus en plus de familles se tournant vers l’adoption internationale, des mesures ont été prises en vue de favoriser l’adoption des pupilles de l’État et de mieux réguler l’activité des organismes privés agréés.

9.En ce qui concerne l’accouchement secret, la loi du 22 janvier relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et des pupilles de l’État réglemente les conditions dans lesquelles les femmes qui accouchent en demandant le secret de leur identité peuvent désormais donner des renseignements identifiants et laisser leur identité sous pli fermé. Un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles a également été institué pour rechercher les parents afin de recueillir leur consentement éventuel à la levée du secret.

10.S’agissant des dispositions de l’article 12 de la Convention, les possibilités d’expression autonome de l’enfant lors d’enjeux importants, inscrites dans le Code civil, ont considérablement été améliorées. Le recueil du consentement du mineur âgé de plus de 13 ans est désormais expressément requis pour des décisions particulièrement importantes le concernant, telles qu’une adoption simple ou un changement de nom ou de prénom. La loi du 2 janvier 2004 a inséré dans le Code civil l’obligation pour le juge qui se prononce en matière d’assistance éducative de le faire «en stricte considération de l’intérêt de l’enfant». Un décret de mars 2002 l’oblige à entendre le mineur en pareil cas. Dans le même esprit, un article du Code de l’action sociale et des familles oblige le service de l’aide sociale à l’enfance à examiner avec le mineur toute décision le concernant et à recueillir son avis.

11.Dans le même ordre d’idées, la loi du 2 janvier 2002, qui rénove les modes de fonctionnement du secteur médico-social, prévoit que les bénéficiaires doivent être associés au fonctionnement de l’établissement ou du service qui leur dispense des prestations. Il est institué à cette fin un Conseil de la vie sociale ou d’autres formes de participation, qui seront précisés par un décret prévoyant le cas spécifique des établissements ou services accueillant des mineurs.

12.Par ailleurs, un Conseil permanent de la jeunesse, au niveau national, et des conseils départementaux de la jeunesse conçus sur le même modèle se sont constitués avec la participation active de jeunes de 16 ans et plus, et un Conseil de la vie lycéenne a été mis en place au Ministère de l’éducation nationale. Depuis 1994, le Parlement des enfants, réuni chaque année à l’occasion de la Journée des droits de l’enfant, adopte une proposition de loi qui est ensuite reprise par les parlementaires français.

13.Un accent particulier est mis depuis 10 ans sur le renforcement de la politique de protection de l’enfance, afin de promouvoir une action conjointe pour les circuits de signalement des enfants maltraités, la prise en charge de ces enfants et le soutien aux parents en difficulté. Une Commission départementale de l’accueil des jeunes enfants a aussi été instaurée.

14.En 1997, la politique de lutte contre la maltraitance a reçu le label de grande cause nationale, ce qui a permis d’accroître sa visibilité dans le débat public et à travers les médias. Le numéro vert d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée est donc aujourd’hui devenu un numéro d’urgence accessible en tout point du territoire national, y compris à partir des départements d’outre-mer. La loi du 17 juin 1998 sur les abus et sévices sexuels commis à l’encontre des mineurs a introduit la possibilité de procéder à un enregistrement vidéo ou sonore de l’audition du mineur victime au cours de l’enquête ou de l’instruction, afin de lui épargner la nécessité de répéter son témoignage, la prise en charge intégrale par la sécurité sociale des soins requis par son état, le droit pour les associations de lutte contre les violences de se constituer partie civile avec l’accord du représentant légal du mineur, la répression des infractions sexuelles commises à l’étranger par un Français ou une personne résidant en France et la création d’un fichier national des empreintes génétiques des personnes condamnées pour sévices sexuels. La loi de janvier 2004 a en outre relevé de l’obligation du secret professionnel certains spécialistes confrontés dans l’exercice de leur activité à des faits laissant présumer des violences ou des privations et crée un observatoire national de l’enfance en danger.

15.Le Gouvernement soutient par ailleurs les familles victimes de la disparition d’un enfant: le 25 mai 2004, la deuxième Journée nationale des enfants disparus a été célébrée, dans le but notamment de sensibiliser le grand public. À cette occasion, une convention a été signée pour définir les conditions de la mise en œuvre, le 1er octobre 2004, d’un numéro «Azur» assurant l’accueil téléphonique à destination des familles confrontées à un tel drame.

16.Les autorités françaises se préoccupent aussi d’encourager et de développer la bientraitance, c’est-à-dire les actions, les expérimentations, les méthodes et les bonnes pratiques qui ont pour finalité de veiller au bien-être et à l’épanouissement de l’enfant, surtout lorsqu’il doit être séparé de ses parents et placé en établissement.

17.Sur le plan international, la France s’est également efforcée de promouvoir les droits de l’enfant. Elle a renforcé à cet effet l’aide publique au développement; elle a ratifié les deux Protocoles additionnels à la Convention relative aux droits de l’enfant; elle s’est beaucoup investie dans la préparation et le déroulement du Sommet de New York ainsi que dans les conférences de Stockholm et de Yokohama contre l’exploitation sexuelle des enfants et a largement participé aux conférences intergouvernementales tenues à Berlin en mai 2001 et à Sarajevo en mai 2004.

18.Sur le plan européen, la France s’est profondément engagée pour que les États membres de l’Union européenne se concertent et se coordonnent sur la question de l’enfance. Elle a ainsi saisi l’occasion que lui procurait le fait d’assumer la présidence de l’Union en 2000 pour provoquer une réunion des ministres chargés de l’enfant des États membres, ce qui a été suivi par tous les États assurant la présidence par la suite. L’an dernier, le 20 novembre, s’est tenue à Paris une nouvelle réunion étendue cette fois-ci aux ministres des 10 nouveaux États en instance d’adhésion.

19.En conclusion, la France est résolument engagée à promouvoir et à protéger les droits de ses enfants et la délégation se réjouit de pouvoir aujourd’hui dialoguer avec les membres du Comité et entendre leurs observations, qui permettront à n’en pas douter aux autorités françaises d’améliorer encore leur application de la Convention.

20.M. KOTRANE, rapporteur pour la France, dit que la présence d’une délégation de haut niveau, représentant différents départements en charge de l’enfance, témoigne de l’intérêt que l’État partie porte aux travaux du Comité et de son souci d’engager avec lui un dialogue constructif et fructueux.

21.Force est de constater que l’immense majorité des mineurs de France connaissent une enfance et une adolescence plutôt heureuses: ils vivent dans un pays épargné par la guerre depuis des décennies, leur santé est protégée, leur éducation assurée, leur voix entendue. De façon générale, leurs conditions de vie sont bonnes et leurs droits respectés, dans le cadre et à la faveur d’une longue tradition culturelle française bien connue donnant aux droits de l’homme en général et aux droits de l’enfant en particulier une place de choix dans l’organisation politique et sociale du pays.

22.Comme le Comité l’avait déjà relevé lors de l’examen du rapport initial, la France a ratifié la Convention sans délai et a pris un certain nombre de mesures en vue d’aligner sa législation sur les dispositions de la Convention. Il convient de se féliciter de l’adoption par l’État partie de plusieurs lois et dispositions réglementaires renforçant les droits de l’enfant et des mesures prises pour donner suite aux recommandations précédentes du Comité, qui avait insisté, entre autres, sur l’utilité d’un mode d’approche global à la mise en œuvre des droits de l’enfant.

23.L’État partie a ainsi mis en place un certain nombre de mécanismes de suivi, notamment le défenseur des droits de l’enfant, le rapport sur la mise en œuvre de la Convention présenté chaque année par le Gouvernement au Parlement, la commission d’enquête sur l’état des droits de l’enfant en France créée par l’Assemblée nationale, les délégations parlementaires aux droits de l’enfant et la Commission nationale consultative des droits de l’homme et sa Sous‑Commission «droits de l’enfant». La délégation pourrait, à ce propos, fournir de plus amples renseignements sur les mesures que le Gouvernement compte prendre en vue d’assurer le suivi des recommandations contenues dans les rapports, forts complets, de la Défenseure des enfants et sur les avis éventuels ne figurant pas dans le rapport que cette Commission nationale aurait rendu depuis 2001.

24.Il importe de souligner en outre le rôle joué par l’État partie sur la scène internationale et son soutien actif à l’adoption des Protocoles facultatifs à la Convention concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et concernant la vente d’enfants, ainsi que son rôle en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et le tourisme sexuel, l’effort consenti par l’État partie en matière d’aide et de coopération internationale en direction des pays les plus démunis, notamment les efforts accomplis en faveur des programmes de lutte contre le VIH/sida. Le Comité regrette toutefois que l’État partie n’ait pas atteint l’objectif fixé par l’ONU consistant à consacrer 0,7 % de son PNB à l’aide publique au développement.

25.En revanche, le Comité estime que la réserve émise par l’État partie à l’égard de l’article 30 de la Convention et les deux déclarations interprétatives relatives à l’article 6 (droit à la vie, à la survie et au développement) et à l’article 40, 2 a) v) (droit d’appel des décisions pénales) sont, de par leur caractère préventif, inutiles car de nature à favoriser l’idée que la France ne reconnaît pas les droits des minorités en général, ni le droit des enfants de faire appel.

26.Si la tendance générale est bien à l’adaptation de la législation interne aux dispositions de la Convention, on peut se demander comment l’État partie entend s’y prendre pour mieux diffuser les principes et les dispositions de cette dernière auprès de tous les professionnels travaillant avec et pour les enfants. On peut aussi relever avec étonnement que la Convention est absente des grands débats touchant aux droits de l’enfant, en particulier de celui qui a récemment eu lieu sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires et se demander si le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est bien la considération qui a primé dans l’élaboration du nouveau dispositif légal. On note aussi, avec la loi dite d’orientation et de programmation pour la justice et la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, une certaine tendance au recul du système de protection de l’enfant en conflit avec la loi. La délégation voudra bien expliquer le développement de l’activité pénale au détriment de l’action éducative, et répondre aux préoccupations formulées par diverses organisations non gouvernementales et par le syndicat de la magistrature, qui craignent que les droits de l’enfant ne soient sacrifiés sur l’autel du discours sécuritaire.

27.Il convient de rappeler que le Comité avait recommandé à la France, à l’issue de l’examen de son rapport initial, de mettre en place des garanties suffisantes contre les effets sociaux potentiels de la décentralisation, susceptibles d’aggraver les inégalités régionales. Or, l’absence de coordination et de contrôle des actions de l’aide sociale à l’enfance menées au niveau des départements reste un vif sujet d’inquiétude, et les mécanismes de double compétence entre l’État et les collectivités locales, bien que dénoncés par la Défenseure des enfants et par plusieurs organisations non gouvernementales, sont toujours une réalité. Dans ce contexte, il serait utile que la délégation indique quelle autorité, du département ou de l’État, a la charge financière et la responsabilité d’accueillir les mineurs étrangers isolés, et précise où en est l’Observatoire national de l’enfance en danger.

28.M. CITARELLA observe que l’État partie peut encore progresser dans son application des dispositions de la Convention relatives à la définition de l’enfant. Le premier point qui retient l’attention est que le terme qui revient le plus souvent dans la législation française est celui de «mineur», et non celui d’«enfant» − ce qui ne pose pas de problème à condition que cela ne soit pas source de contradictions et de discriminations. La question se pose de savoir ce que recouvre exactement la notion de capacité d’agir du mineur et à partir de quel âge le mineur peut engager sa responsabilité civile, consulter seul un médecin, saisir un juge pour enfant ou reconnaître un enfant naturel. Les enfants peuvent en outre faire très jeunes l’objet d’une action pénale, même si les sanctions encourues sont purement éducatives, et l’âge légal du mariage est fixé à seulement 15 ans pour les filles. L’âge du recrutement volontaire dans les forces armées, fixé à 17 ans, devrait être revu à la hausse à la lumière du Protocole à la Convention concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés.

29.Certaines références à la différence entre «enfant légitime» et «enfant naturel» subsistent dans certains textes, et il est à souhaiter que la loi visant à éliminer complètement cette différenciation soit adoptée dans les meilleurs délais. Le rapport fait état de craintes que soulèverait l’article 12 dans l’opinion publique et il semble en effet que les mineurs ne soient pas systématiquement entendus dans les procédures les intéressant.

30.Mme SMITH se félicite de lire dans le rapport que l’État partie fait évoluer sa législation «dans une recherche permanente d’équilibre entre la prise en compte des aspirations des mineurs, leur protection et le devoir d’éducation des parents» mais les progrès lui semblent plus lents dans certains domaines, au premier rang desquels la participation. Il est ainsi pour le moins étonnant que les mineurs ne puissent pas être membres d’une association. Elle demande à la délégation d’indiquer s’il est prévu d’abaisser certains âges légaux pour permettre la prise de certaines décisions avant l’âge de 18 ans et de préciser par ailleurs si les mineurs demandeurs d’asile bénéficient des services d’éducation et de santé, notamment, sur un pied d’égalité avec les autres enfants se trouvant sous la juridiction de l’État partie.

31.Mme OUEDRAOGO comprend mal pourquoi le rapport contient aussi peu de références à l’application de la Convention dans les départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM) et de statistiques concernant cette partie du territoire, alors même que les violations des droits de l’enfant y sont apparemment nombreuses et les moyens limités. Elle regrette également l’absence de données désagrégées sur le placement en institution et en famille d’accueil et le manque d’harmonisation des statistiques relatives à la maltraitance. Ce problème devrait heureusement être résolu grâce à la création de l’Observatoire national de l’enfance en danger. Il reste à ce propos à savoir si cet organisme disposera de bureaux dans les régions et dans les DOM-TOM et s’il sera suffisamment doté en personnel qualifié.

32.En Guyane, l’enregistrement des naissances laisse à désirer, du fait d’obstacles culturels et pratiques. Il y aurait donc lieu de s’attacher à lever ces obstacles, tout en travaillant parallèlement à régulariser la situation des quelques milliers de personnes actuellement privées d’état civil. Il y a lieu d’expliquer en détail la protection dont bénéficient les mineurs étrangers en attente de naturalisation. La diffusion de la Convention et la formation des professionnels devront être accentuées, de même que la concertation avec la société civile.

33.La Défenseure des enfants a préconisé une réforme de la législation relative aux œuvres cinématographiques. Mme Ouedraogo demande si des mesures ont été prises comme suite à ses préoccupations et note, dans le même esprit, que les jeux vidéos, cassettes et autres CD-ROM sont aussi en libre circulation sans qu’aucun contrôle n’ait, semble-t-il, été mis en place à ce jour.

34.Mme KHATTAB dit que le Comité aurait besoin de davantage de détails sur le droit de la famille français, notamment en matière successorale. Elle sait à quel point les immigrés naturalisés, toujours plus nombreux, sont venus modifier le tissu social français. Ces individus sont français et font maintenant partie intégrante de la société française mais ils ne se sentent pas pour autant «égaux» puisqu’ils ne sont pas considérés comme tels par une partie de leurs concitoyens. Ils se définissent eux-mêmes comme les membres d’une minorité, car ils sont victimes de discriminations de fait et de stigmatisations, que l’actualité internationale ne fait qu’aggraver, d’autant qu’elle est relayée par des médias qui ont tendance à diaboliser les musulmans et à les présenter comme des menaces pour l’ordre public.

35.La loi sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires a du reste été adoptée en l’absence de toute concertation avec les parties concernées. Même si les organisations non gouvernementales nationales semblent convaincues du bien-fondé de cette loi, il est important de veiller à ce qu’elle ne vienne pas attiser les extrémismes. Prôner la tolérance et le respect de la différence à tous les niveaux de la société, y compris dans les écoles et via les médias, n’en devient que plus nécessaire. Il ne s’agit pas seulement de lever les craintes des communautés musulmanes, c’est véritablement la cohésion nationale qui est en jeu avec l’intégration de la deuxième et de la troisième génération.

36.M. FILALI remarque que, même si la Constitution consacre la primauté des traités sur la loi dans la pratique, le Conseil d’État n’applique qu’une partie des dispositions de la Convention, de sorte qu’il serait préférable de définir préalablement quelles dispositions du droit international sont directement applicables et lesquelles ne le sont pas. Ne comprenant pas en quoi le fait de reconnaître une minorité qui, de toute façon, existe, pourrait menacer la cohésion nationale, il engage en outre l’État partie à lever sa réserve à l’article 30.

37.Il note enfin que la récente affaire d’Outreau a révélé qu’en dépit de lois précises et sophistiquées et d’un personnel qualifié, le système de justice français connaît des dysfonctionnements et maintient quelque peu l’enfant dans un statut de victime. La question n’est pas de revenir en détail sur cette affaire mais bien d’expliquer comment les autorités comptent éviter ce type de drame à l’avenir.

38.Mme VUCKOVIC-SAHOVIC juge inquiétant que les châtiments corporels ne soient pas encore complètement bannis et que 51 % des parents avouent donner régulièrement des fessées à leurs enfants. La délégation pourrait donc indiquer si la France envisage de réaliser une étude sur l’ampleur de cette pratique et de l’interdire totalement.

39.Mme SARDENBERG constate que la politique de l’enfance de l’État partie semble correspondre davantage à une approche axée sur la protection qu’à une approche axée sur les droits et que la décentralisation de cette politique a entraîné des disparités sur le plan géographique. Elle souhaiterait savoir s’il existe une stratégie globale concernant les droits de la jeunesse.

40.Au cours des dernières décennies, la France a enregistré une baisse du nombre des mariages et de la fécondité et une augmentation du nombre des divorces et de la proportion des enfants nés hors mariage. Il serait intéressant de savoir si des études ont été menées pour évaluer l’incidence de cette évolution sur les droits de l’enfant.

41.Mme ORTIZ demande quel est le statut de la Convention en Polynésie.

42.M. LIWSKI souhaiterait savoir, à la lumière de l’article 37 de la Convention, quelles mesures prend l’État partie pour lutter contre les mauvais traitements qu’infligent parfois des membres de la police et de la gendarmerie aux personnes qu’elles arrêtent et qu’elles interrogent, notamment les adolescents, mauvais traitements dont le Comité contre la torture s’est d’ailleurs inquiété. La délégation française pourrait également indiquer quelle politique mène l’État partie pour lutter contre l’exclusion des adolescents appartenant à des milieux défavorisés, en quoi la loi sur l’interdiction du port de signes qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est conforme à la liberté de manifester sa religion énoncée à l’article 14 la Convention et sur la base de quels critères il sera procédé à l’évaluation annuelle de la loi susmentionnée.

La séance est suspendue à 11 h 35; elle est reprise à 11 h 50.

43.Mme ROIG (France) dit que l’Observatoire national de l’enfance en danger a été créé par la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance. Il relève du groupement d’intérêt public «Enfance maltraitée», qui est géré par un conseil d’administration composé de représentants de différents ministères, des conseils généraux et d’associations de protection de l’enfance et dont dépend également le Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée. Il recueille et analyse les études, les recherches et les évaluations visant à améliorer les pratiques de dépistage, de prévention, d’intervention et de prise en charge en cas de maltraitance et participe à la mise en cohérence des statistiques, des concepts et des définitions concernant les phénomènes de maltraitance. Il recense les actions innovantes et participe aux activités du réseau européen des observatoires de l’enfance. Ses premières études porteront sur les pratiques visant à éviter les récidives de maltraitance, sur l’évaluation des statistiques de la mortalité due aux actes de maltraitance familiale et sur l’analyse juridique d’expressions telles que «enfants en danger» et «mauvais traitements à enfants». Le budget de l’Observatoire national de l’enfance en danger s’élève à 400 000 euros et sera multiplié par deux dès 2005.

44.En ce qui concerne l’application de la Convention outre-mer, il convient d’indiquer que les collectivités territoriales bénéficient soit de la totalité ou d’une partie du droit commun de la République, comme dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion, soit de normes législatives qui leur sont propres mais qui s’inspirent du droit commun, comme en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie française, à Wallis et Futuna et à Mayotte.

45.La République ne reconnaît pas les minorités mais l’article 75 de la Constitution et les lois statutaires de certaines collectivités reconnaissent que certains de leurs habitants ont un statut civil différent du statut civil de droit commun, comme en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et à Wallis et Futuna.

46.Pour faciliter l’application de la Convention à Mayotte, cette collectivité bénéficie actuellement d’un train d’extension du droit commun métropolitain, qui ne fait aucune discrimination entre les enfants fondée sur le sexe, l’origine sociale ou la nationalité. Les enfants capables de discernement sont entendus par le juge dans toute procédure de renonciation au statut civil de droit local. Une telle audition ne peut être écartée que par une décision spécialement motivée. En outre, les discriminations fondées sur le sexe ou sur la nature de la filiation (légitime, naturelle ou adoptive) ont été interdites, notamment en ce qui concerne les successions. L’âge minimum du mariage a été fixé à 15 ans pour les garçons et pour les filles et il ne peut être dérogé à cette règle que pour des motifs graves et uniquement dans l’intérêt des futurs époux. La loi du 11 juillet 2001 modifiée relative à Mayotte dispose que l’exercice des droits individuels ou collectifs afférents au statut civil de droit local ne peut en aucun cas contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français.

47.S’appliquent également de plein droit à Mayotte, en Polynésie française, en Nouvelle‑Calédonie et à Wallis et Futuna les dispositions législatives et réglementaires relatives au défenseur des enfants institué par la loi 2000‑196 du 6 mars 2000, l’article 13 de la loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, la loi 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance. Enfin, depuis juin 2003, la population des territoires et départements d’outre-mer a accès au numéro d’urgence 119 (Allô enfance maltraitée).

48.En ce qui concerne la nouvelle politique familiale à Mayotte, il convient d’indiquer que le Code de la sécurité sociale n’est pas, sauf mention expresse, applicable à Mayotte mais que cette collectivité élabore progressivement un droit de la sécurité sociale qui lui est propre. Par ailleurs, l’ordonnance nº 2002‑149 du 7 février 2002 crée un régime de base obligatoire pour les prestations familiales dans la collectivité départementale de Mayotte. Ces prestations comprennent les allocations familiales, l’allocation de rentrée scolaire et l’allocation de logement. Une aide à la restauration scolaire a également été instituée.

49.En Guyane, où la croissance démographique et la pression migratoire sont très fortes, l’État a financé la construction de 200 classes primaires en 2000 et prévoit d’en construire 60 chaque année jusqu’en 2006.

50.Les pouvoirs publics soutiennent les activités d’information concernant la contraception menées dans les territoires et les départements d’outre-mer pour réduire le nombre de grossesses précoces et d’interruptions volontaires de grossesse chez les adolescentes.

51.Au sujet du port de signes manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires publics, Mme Roig dit que cette pratique est contraire aux valeurs fondamentales de la République, notamment le principe de laïcité, comme l’ont rappelé le Conseil d’État dans son avis du 27 novembre 1989 et, à sa suite, le Ministère de l’éducation nationale dans ses circulaires du 12 décembre 1989 et du 20 septembre 1994. Une instance de médiation relevant du Ministère de l’éducation nationale a été créée pour régler par la persuasion et le dialogue les problèmes que posait le port de tels signes. Cette instance traitait 100 à 150 cas par an. Toutefois, les chefs d’établissement, de plus en plus préoccupés par l’augmentation des incidents provoqués par ces pratiques, ont demandé que soit établi un cadre juridique qui leur permette de ne plus avoir à régler ces problèmes au coup par coup et de manière subjective. C’est dans cet esprit que la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité, désignée par le Président de la République et présidée par M. Stasi, a préconisé l’adoption d’une loi sur cette question. Le Président de la République a fait sienne cette recommandation. C’est ainsi qu’a été adoptée la loi nº 2004‑228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

52.La circulaire du Ministère de l’éducation du 18 mai 2004, publiée au Journal officiel du 22 mai 2004, précise les modalités d’application de cette loi. Elle rappelle que cette loi a été prise en application du principe constitutionnel de laïcité, principe qui repose sur le respect de la liberté de conscience et sur l’affirmation de valeurs communes qui fondent l’unité nationale par‑delà les appartenances particulières. Elle indique que l’école a pour mission de transmettre les valeurs de la République parmi lesquelles l’égale dignité de tous les êtres humains, l’égalité entre les hommes et les femmes et la liberté de chacun, y compris dans le choix de son mode de vie et qu’en protégeant l’école des revendications communautaires, la loi conforte son rôle en faveur d’un vouloir‑vivre‑ensemble. L’État étant le protecteur de l’exercice individuel et collectif de la liberté de conscience, la neutralité du service public est à cet égard un gage d’égalité et de respect de l’identité de chacun. La circulaire condamne par ailleurs toutes les formes de violence faites à un individu en raison de son appartenance réelle ou supposée à un groupe ethnique ou religieux. Elle dispose enfin que la mise en œuvre de la loi passe d’abord par le dialogue mais que ce dialogue n’est pas une négociation et ne saurait justifier une dérogation à la loi et que la procédure disciplinaire n’est utilisée que pour sanctionner un refus délibéré de l’élève de se conformer à la loi.

53.Pour conclure, il convient de souligner que cette loi a pour objet de permettre aux élèves, quels que soient leur sexe et leur origine, d’apprendre ensemble dans le respect des principes sur lesquels est fondée la nation et qu’elle vise non pas à exclure mais à rassembler et à favoriser le vivre‑ensemble.

54.M. De LEGGE (France) dit que pour lutter contre la pédophilie il a été créé un Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée auquel chacun, y compris les enfants, peut signaler des maltraitances. On s’est également attaché à renforcer la répression des actes délictueux et les peines encourues pour l’exploitation sexuelle d’enfants de moins de 15 ans ont ainsi été sensiblement aggravées. Les délais de prescription pour les agressions sexuelles commises à l’encontre de mineurs vont être portés à 20 ans au lieu de 10. En 1998, on a institué des mesures de suivi sociojudiciaire qui obligent les personnes condamnées pour des délits sexuels à se soumettre à des mesures de surveillance sous le contrôle du juge de l’application des peines, mesures qui peuvent également s’accompagner d’un suivi médical obligatoire. Après la création du Fichier national des empreintes génétiques en 2001 et pour faciliter les enquêtes pénales et prévenir les récidives, on a créé le Fichier national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. Toutes les personnes figurant dans ce fichier devront justifier de leur adresse tous les deux ans.

55.La France a l’intention de s’engager plus activement dans la lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants, notamment en poursuivant la sensibilisation des voyageurs français à l’étranger et de la société dans son ensemble, en renforçant la répression des actes commis par des ressortissants français à l’étranger et en resserrant la collaboration bilatérale avec les pays intéressés.

56.M. CITARELLA demande pourquoi, dans les statistiques relatives aux agressions sexuelles sur mineur, il est fait systématiquement référence aux mineurs de 15 ans.

57.M. AUMONIER (France) répond que cette distinction s’explique par le fait que la majorité sexuelle est fixée à 15 ans. Si l’agression sexuelle est commise par une personne ayant autorité ou par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, la peine est renforcée, quel que soit l’âge du mineur.

58.M. De LEGGE (France) rappelle que lors de la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant, la France a fait valoir que celle-ci − notamment son article 6 − ne saurait être interprétée comme faisant obstacle à l’application des dispositions de la législation relative à l’interruption volontaire de grossesse. L’embryon et le fœtus ne sont pas considérés comme des personnes et une interruption de grossesse provoquée par un tiers ne constitue pas un homicide. L’interruption volontaire de grossesse s’inscrit dans un cadre juridique très strict. La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à ce que sa grossesse soit interrompue, et ce dans un délai de 12 semaines. Il n’y a en revanche pas de délais pour l’interruption médicale de grossesse, qui est pratiquée si la poursuite de la grossesse met en péril la santé de la mère ou si l’enfant à naître est atteint d’une maladie grave reconnue comme incurable. Les demandes d’interruption médicale de grossesse sont examinées par une équipe pluridisciplinaire de médecins.

59.Depuis les lois de décentralisation de 1982, un certain nombre de compétences en matière d’aide sociale ont été transférées aux départements. La loi garantit l’homogénéité des règles d’accès à l’aide sociale mais laisse aux départements la possibilité de fixer des conditions d’application plus favorables ou des montants plus élevés. L’État a toutefois conservé des responsabilités essentielles en matière de protection de l’enfance, que ce soit dans les domaines de la justice ou de l’éducation.

60.La France n’a pas l’intention de retirer ses réserves concernant l’article 30 de la Convention, car elle ne reconnaît pas l’existence de minorités au sens de groupes jouissant d’un statut particulier.

61.Le PrÉsident, en sa qualité d’expert, demande si les enfants demandeurs d’asile ont les mêmes droits que les autres enfants en matière de santé et d’éducation.

62.M. De LEGGE (France) indique que tout enfant se trouvant sur le sol français bénéficie d’une protection au titre de l’aide sociale à l’enfance.

63.M. FILALI demande si un enfant portant un patronyme étranger est facilement admis dans n’importe quelle école. Enfin, il note que les mineurs qui sont placés en zone d’attente avant d’être renvoyés dans leur pays d’origine n’ont pas accès à la protection dont bénéficient les autres enfants.

64.M. De LEGGE (France) reconnaît que le dispositif législatif concernant l’aide sociale et la protection judiciaire a été conçu à une époque où la situation des jeunes était sensiblement différente et qu’il est difficile de répondre aux besoins des adolescents par une approche uniquement sociale, judiciaire ou psychiatrique. Les préparatifs de la Conférence de la famille 2004, qui sera consacrée aux adolescents, sur une proposition de la Défenseure des enfants, montrent qu’il importe de coordonner l’action des acteurs sociaux, des membres du système judiciaire et des médecins dans le cadre d’un projet commun. Dans certaines grandes villes, une telle approche pluridisciplinaire a déjà été mise en œuvre.

La séance est levée à 13 heures.

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