Nations Unies

CRPD/C/22/D/18/2013

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

17 octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 18/2013*,**

Communication présentée par :

Manuway (Kerry) Doolan (représenté par des conseils, Phillip French et Mark Patrick, du cabinet Australian Centre for Disability Law)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

19 septembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références  :

Décision prise en application de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 novembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations  :

30 août 2019

Objet  :

Placement en institution d’une personne ayant une déficience intellectuelle et psychosociale ; droit d’exercer sa capacité juridique sur la base de l’égalité avec les autres

Question(s) de procédure  :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond  :

Accès aux tribunaux ; handicap intellectuel et psychosocial ; exercice de la capacité juridique ; privation de liberté ; discrimination fondée sur le handicap ; restriction des droits

Article(s) de la Convention  :

5, 12, 13, 14, 15, 19, 25, 26 et 28

Article(s) du Protocole facultatif  :

2

1.L’auteur de la communication est Manuway (Kerry) Doolan, aborigène de nationalité australienne, né le 12 mars 1989. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 5, 12, 13, 14, 15, 19, 25, 26 et 28 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 septembre 2009. L’auteur est représenté par des conseils.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a des déficiences intellectuelles et psychosociales. Le 14 août 2008, il a été arrêté et accusé de voies de fait avec circonstance aggravante pour avoir menacé une personne avec un éclat de verre, objet considéré comme une arme offensive en application de l’article 188 du Code pénal du Territoire du Nord de l’Australie, et de dommage matériel avec circonstance aggravante, le préjudice étant estimé à environ 5 200 dollars australiens. À l’époque, l’auteur vivait dans un logement temporaire adapté fourni par le Gouvernement du Territoire du Nord de l’Australie dans le cadre de son programme pour les personnes âgées et handicapées. Dans l’après-midi du 14 août 2008, l’auteur semble avoir vécu un épisode psychotique avec délires hallucinatoires déclenché par les rires d’un groupe de filles qui passaient devant sa maison. L’épisode a été très angoissant pour l’auteur, qui était convaincu que les filles se moquaient de lui. Il a menacé un travailleur social spécialisé dans le handicap, qui lui prodiguait un traitement ce jour-là. Il n’a pas blessé la personne en question mais a endommagé des fenêtres, des meubles et un véhicule à moteur qui appartenait également aux services d’appui.

2.2Après son arrestation, l’auteur a été placé en détention provisoire dans le quartier de haute sécurité du Centre pénitentiaire d’Alice Springs. Il a été présenté devant la Cour suprême du Territoire du Nord sur la base d’un acte d’accusation daté du 8 octobre 2008. En raison de sa déficience intellectuelle, la Cour a appliqué les dispositions de la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord, sur la déficience mentale et l’inaptitude à être jugé.

2.3Le 21 mai 2009, avec l’accord des conseils du Directeur du ministère public et de l’auteur, un juge de la Cour suprême du Territoire du Nord a établi que l’auteur était inapte à défendre ses droits devant un tribunal du fait de sa déficience mentale. La Cour a également établi qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’auteur devienne apte à défendre ses droits dans les douze mois qui suivaient. Ces décisions ont obligé la Cour à tenir, le 31 mars 2008, une audience spéciale devant un jury. Le jury a déclaré l’auteur non coupable des infractions dont il était accusé, en raison de sa déficience mentale. La Cour suprême a donc dû déterminer si l’auteur devait être libéré sans condition ou faire l’objet de mesures de surveillance. La Cour a conclu que cette dernière solution s’imposait et a donc émis une ordonnance de surveillance et demandé le renvoi de l’auteur dans le quartier de haute sécurité du Centre pénitentiaire d’Alice Springs, le temps qu’elle se prononce sur le type de surveillance qui devait être mise en place.

2.4Le 29 octobre 2009, la Cour suprême du Territoire du Nord a mis l’auteur sous mandat de surveillance administrative privative de liberté et a ordonné sa détention en prison. La Cour était tenue de fixer une durée appropriée pour l’infraction visée et de faire figurer cette durée dans l’ordonnance. Si l’auteur avait été reconnu coupable de ces infractions, la Cour aurait imposé des peines de neuf mois d’emprisonnement pour le délit de voies de fait et de six mois d’emprisonnement pour le délit de dégradation illégale de biens, soit une durée totale de détention de douze mois. L’auteur est retourné dans le quartier de haute sécurité du Centre pénitentiaire d’Alice Springs, où il est resté jusqu’en avril 2013. Il a donc passé au total quatre ans et neuf mois en prison, soit près de cinq fois la durée de la peine qu’il aurait dû purger s’il avait été reconnu coupable des infractions retenues contre lui.

2.5Pendant la quasi-totalité de sa détention, l’auteur a été maintenu dans le quartier de sécurité maximale, où il a passé de longues périodes en régime d’isolement dans sa cellule. Il avait un accès très limité aux services de santé mentale nécessaires à la stabilisation de son état et à sa guérison, ou aux programmes d’adaptation et de réadaptation dont il avait besoin pour développer les aptitudes et comportements nécessaires à la communication, à la vie en société et à la vie quotidienne. L’état de santé mentale de l’auteur et son fonctionnement social se sont donc dégradés, et l’auteur est devenu plus dépendant et davantage exclu de la société.

2.6Lorsque la Cour suprême du Territoire du Nord a ordonné le placement de l’auteur en détention en prison, elle a fixé une date pour qu’il soit procédé à un examen approfondi de l’ordonnance en vue de déterminer si l’auteur devait être remis en liberté. Le 15 juin 2010, la Cour a ordonné que l’auteur demeure en détention bien qu’il y ait déjà passé vingt-deux mois, autrement dit près du double de la durée de la peine qui aurait été prononcée à son égard s’il avait été déclaré coupable. La Cour a aussi prétendument procédé à des examens périodiques de la situation de l’auteur. Un examen a commencé en mars 2012 mais reste incomplet car il a eu pour seul résultat la commande de rapports supplémentaires.

2.7En avril 2013, l’auteur a été transféré à Kwiyernpe House, centre de détention construit en 2013 par le Gouvernement du Territoire du Nord et géré par le Programme en faveur des personnes âgées et du handicap, du Ministère de la santé du Territoire du Nord.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 5, 12, 13, 14, 15, 19, 25, 26 et 28 de la Convention. Sa communication porte sur les actes commis après le 19 septembre 2009, ce qui a précédé n’étant évoqué que pour éclairer sur le contexte.

3.2Le droit de l’auteur à l’égalité et à la non-discrimination, qu’il tient de l’article 5 de la Convention, son droit à la liberté et à la sécurité, qu’il tient de l’article 14, et son droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qu’il tient de l’article 15, ont été violés parce que, jusqu’en avril 2013, il a été placé en détention pour une durée non déterminée, sans avoir été reconnu coupable d’une quelconque infraction. Une personne ne présentant pas de handicap ne pourrait être ainsi placée en détention pour une durée indéfinie sans avoir été reconnue coupable d’un délit. En ce sens, la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord est discriminatoire en ce qu’elle ne s’applique qu’aux personnes handicapées.

3.3Le droit de l’auteur à la non-discrimination, qu’il tient de l’article 5 de la Convention, a aussi été violé parce que, après avril 2013, l’auteur a été détenu dans un établissement sécurisé aménagé conformément aux dispositions de la partie 3 de la loi sur les services aux personnes handicapées, du Territoire du Nord de l’Australie, qui est consacrée au traitement et à la prise en charge de force des personnes présentant un handicap. En ce sens, la partie 3 de la loi est également discriminatoire en ce qu’elle ne s’applique qu’aux personnes handicapées. L’examen principal et les réexamens périodiques de l’ordonnance de placement de l’auteur sous surveillance n’ont pas abouti à la protection du droit de celui-ci à l’égalité devant la loi, inscrit à l’article 12 de la Convention. Ils n’ont fait que perpétuer l’inégalité dont l’auteur était l’objet. Par conséquent, la loi autorise une telle discrimination et ne protège pas l’auteur contre cette discrimination.

3.4Les droits que l’auteur tient des articles 5, 14 et 15 de la Convention, ainsi que son droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité qu’il tient de l’article 12, son droit à l’accès à la justice qu’il tient de l’article 13 et son droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société qu’il tient de l’article 19, ont été violés parce qu’il a été détenu en prison pendant une période d’une durée supérieure à cinq fois celle pendant laquelle une personne ne présentant pas de handicap l’aurait été dans les mêmes circonstances.

3.5Les articles 12, 13, 14 et 15 de la Convention ont été violés du fait que la Cour a estimé que l’auteur n’était pas en état d’être jugé parce qu’il n’avait pas la capacité juridique de répondre aux accusations portées contre lui. L’auteur n’a pas été condamné pour les infractions présumées mais a été soumis à un régime de détention et de contrôle. Il n’a pas bénéficié de l’appui et des aménagements adaptés à son handicap, dont il avait besoin pour exercer sa capacité juridique et répondre des faits qui lui étaient reprochés. Cette situation perdure depuis septembre 2009.

3.6Le droit à la liberté et à la sécurité que l’auteur tient de l’article 14 de la Convention a été violé parce que sa privation de liberté reposait arbitrairement sur son handicap, qu’elle était disproportionnée par rapport au facteur pris en compte pour la justifier et qu’elle reposait également sur ses origines aborigènes. Les aborigènes ayant un handicap font clairement davantage l’objet d’ordonnances de placement sous surveillance en raison de leur plus grande exposition à la pauvreté et au sans-abrisme, et de la rareté ou l’absence de liens familiaux et communautaires stables et protecteurs. Le paragraphe 2 de l’article 43ZA du Code pénal du Territoire du Nord, dispose que la Cour ne doit pas rendre d’ordonnance de supervision avec placement de la personne en prison sans être convaincue qu’il n’existe pas d’autre solution pratique adaptée à la situation de la personne, y compris s’agissant de son lieu de vie et des aménagements et services d’appui adaptés à son handicap. L’auteur étant un aborigène sans abri vivant dans le dénuement et sans famille, la Cour a décidé qu’il n’y avait pas d’autre solution pratique que son placement en détention en prison. En outre, pendant toute la durée de sa détention au Centre pénitentiaire d’Alice Springs, l’auteur n’était pas séparé des personnes condamnées. Aucun hébergement approprié au sein de la société ne lui a été offert, comme solution de remplacement à la prison ou à Kwiyernpe House, ce qui constitue une violation de son droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société, inscrit à l’article 19 de la Convention. Son droit à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale, inscrit à l’article 28 de la Convention, a lui aussi été violé.

3.7Les articles 15, 19 et 26 de la Convention ont été violés parce que les conditions dans lesquelles l’auteur était privé de liberté au Centre pénitentiaire d’Alice Springs étaient rudes et déraisonnables. La plupart du temps qu’a duré sa détention, l’auteur se trouvait dans des conditions de sécurité maximale, totalement isolé des autres. Le défaut d’accès aux services et programmes de santé mentale, d’adaptation et de réadaptation, dont il avait besoin en raison de son handicap, lui a causé un stress psychologique. Ses aptitudes fonctionnelles se sont dégradées et il a sombré dans un état de plus grande dépendance et d’exclusion de la société. De même, à Kwiyernpe House, établissement de soins en milieu surveillé apparenté à une prison, qui jouxte le Centre pénitentiaire, les conditions de privation de liberté étaient rudes et déraisonnables. L’auteur y était soumis à la surveillance et à la supervision constantes du personnel, et était confiné dans l’établissement, ne pouvant en sortir que si on lui en accordait l’autorisation. Il a été soumis à un traitement contre son gré, ce qui n’a pas favorisé son inclusion dans la société et sa participation à la vie de celle-ci. L’établissement n’a pas réussi à recruter le nombre de personnes compétentes requises pour mettre au point des programmes d’adaptation et de réadaptation et les mettre en œuvre. Peu de programmes de ce type ont été mis au point pour l’auteur, et les rares qui ont été mis en œuvre n’étaient pas appropriés et lui étaient imposés plutôt que proposés sur une base volontaire. L’article 26 de la Convention a été violé du fait qu’il n’a pas été apporté à l’auteur les compétences sociales appropriées et les aptitudes nécessaires à la vie quotidienne et à la communication, et qu’il n’a pas bénéficié de programmes d’appui sur le plan comportemental. Il a été privé des services de santé mentale appropriés, qui étaient nécessaires à la stabilisation, au traitement et à la guérison de son état psychotique ainsi qu’à l’appui requis à cet égard, ce qui est contraire à l’article 25 de la Convention.

3.8Les articles 19 et 26 de la Convention ont aussi été violés du fait que l’auteur a été placé en détention contre son gré. Il a été, et est encore, dans l’impossibilité de choisir, dans des conditions d’égalité avec les autres, son lieu de résidence et avec qui vivre. Il demeure privé des services à domicile, sur site, et autres services d’appui de proximité dont il a besoin pour vivre, et il ne peut être inclus dans la société, ce qui accentue son isolement et sa mise à l’écart de la collectivité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 20 octobre 2015, l’État partie a soumis des observations sur la recevabilité et sur le fond. Il considère que les griefs de l’auteur ne sont pas recevables puisque tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés. Quand bien même le Comité trouverait l’une quelconque des allégations de l’auteur recevable, elle serait sans fondement. En tout état de cause, l’auteur n’est pas soumis à des ordonnances au titre de la loi sur les services aux personnes handicapées, du Territoire du Nord, mais se trouve bien en détention en application des dispositions du Code pénal du Territoire du Nord. Les dispositions de la loi ne sont donc pas pertinentes au regard de sa communication.

4.2L’État partie convient que l’auteur a été placé en détention au Centre pénitentiaire d’Alice Springs et qu’il réside actuellement dans un établissement de soins en milieu surveillé. Toutefois, sauf indication contraire, il n’admet pas la version des faits donnée par l’auteur.

4.3Des examens périodiques auxquels la Cour suprême du Territoire du Nord a procédé, il est invariablement ressorti que du fait de l’absence d’autre site approprié, il n’existait pas de solution pratique de remplacement à la détention au Centre pénitentiaire. Le Ministère de la santé du Territoire du Nord a mené, pour examen par la Cour, des évaluations des risques concernant l’auteur. Dans son évaluation datée du 19 décembre 2011, un expert médico-légal en psychologie a conclu que, si un appui conséquent n’était pas apporté à l’auteur, le risque était élevé qu’il commette des actes violents par la suite. Avec un soutien approprié, le risque serait modéré.

4.4L’État partie conteste l’allégation selon laquelle l’auteur a été maintenu dans le quartier de sécurité maximale et a passé de longues périodes en régime d’isolement dans sa cellule, au Centre pénitentiaire d’Alice Springs. L’auteur a reçu des soins dispensés sous la supervision du Ministère de la santé du Territoire du Nord et il a bénéficié d’une prise en charge, de services liés au handicap et de services thérapeutiques offerts par l’Unité de police scientifique chargée des questions de handicap, dans le cadre du Programme en faveur des personnes âgées et du handicap, le but étant d’améliorer la situation de sorte que l’auteur puisse être placé dans le cadre le moins restrictif possible. Chaque semaine, trois séances particulières lui ont été offertes et les exercices de réadaptation ont notamment porté sur le développement de la capacité à faire face et l’apprentissage de la tolérance, la relaxation musculaire progressive, l’aptitude à la communication et la formation au séquençage des activités, le but étant d’aider l’auteur à améliorer sa mémoire ou à freiner la perte de ses capacités de mémorisation. L’auteur a été la plupart du temps hébergé dans une unité de prise en charge des personnes ayant des besoins importants, spécialisée dans le traitement et l’hébergement des patients relevant d’un traitement médico-légal et autres détenus présentant des maladies mentales ou psychosociales et d’autres handicaps. L’unité en question se trouve certes au sein du quartier de sécurité maximale du Centre pénitentiaire, mais les conditions y sont bien différentes de celles qui règnent dans le quartier de sécurité maximale. L’auteur a bénéficié de l’appui fourni par des travailleurs sociaux spécialisés dans le handicap et il a pu voir ses proches. En dehors des heures de travail, le personnel de l’unité a également apporté aux personnes sous surveillance un soutien en matière de santé et d’aide sociale. L’auteur avait accès à la cour, et on lui a donné de plus en plus accès aux zones à surveillance réduite puis, une fois remplies les conditions requises pour sortir, aux zones situées hors de l’enceinte du Centre pénitentiaire. L’auteur a également pris part à un programme de permission de sortie en journée, qui a toutefois été suspendu ponctuellement à la suite de problèmes de comportement ou en raison de son manque d’intérêt pour les activités proposées.

4.5L’auteur s’est isolé (ou a été isolé) à certains moments, lorsqu’il exprimait le souhait d’être seul ou, conformément aux pratiques optimales en matière d’appui au handicap, en réponse à certains problèmes de comportement, pour préserver la sécurité de l’auteur ou celle du personnel et des travailleurs sociaux. L’auteur était, la plupart du temps, séparé des prisonniers ordinaires non détenus dans l’unité de prise en charge des personnes ayant des besoins importants. Lorsqu’il était à leur contact, c’était souvent dans le seul but de permettre aux résidents de l’unité, dont l’auteur faisait partie, de prendre part à des activités récréatives en dehors de l’unité.

4.6L’établissement de soins en milieu surveillé dans lequel l’auteur a ensuite été détenu offre un cadre résidentiel sûr, 24 heures sur 24, grâce à un dispositif de supervision et à la prestation de services et d’un appui conséquents spécialisés dans le handicap. Après le transfert de l’auteur dans cet établissement, en avril 2013, la Cour suprême du Territoire du Nord a continué de procéder régulièrement à l’examen et à la supervision des dispositions en place pour la prise en charge de l’auteur conformément au Code pénal du Territoire du Nord. Le Ministère de la santé du Territoire du Nord continue de rendre compte à la Cour de la situation de l’auteur et de ses progrès. En général, l’auteur bénéficie en permanence de l’appui de deux travailleurs sociaux spécialisés dans le handicap. Chaque jour, il sort, accompagné, pour rendre visite à ses proches ou participer à des activités récréatives, notamment pour voir un film au cinéma, se rendre dans un espace de loisirs en plein air ou un parc national, dans un magasin ou un centre commercial à Alice Springs, ou encore à la piscine locale. Dans le cadre de sa rééducation et de sa réadaptation générales, il suit également une thérapie musicale une fois par semaine et a accès à des instruments de musique. Les rapports du Ministère de la santé indiquent qu’il a fait de bons progrès tant au centre pénitentiaire qu’au centre d’établissement sécurisé.

4.7En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes s’agissant de ses allégations au titre des articles 5, 12, 13 et 14 de la Convention. La loi antidiscrimination (1992) du Territoire du Nord fait interdiction dans le Territoire du Nord de toute discrimination fondée sur le handicap, et donne au ou à la Commissaire du Territoire du Nord chargé(e) de la lutte contre la discrimination le pouvoir d’instruire des plaintes pour discrimination et de les résoudre à l’amiable, y compris le pouvoir d’émettre des ordonnances juridiquement contraignantes. Si des pratiques ou politiques du Gouvernement du Territoire du Nord étaient discriminatoires eu égard à l’auteur, c’était à l’auteur de se plaindre auprès du Commissaire chargé de la lutte contre la discrimination. Celui-ci aurait eu compétence pour délivrer des ordonnances contraignantes exigeant d’une partie qu’elle se livre à certains actes, ou qu’elle se garde d’en commettre certains, offrant ainsi à l’auteur un recours effectif.

4.8Ni l’auteur ni son tuteur n’ont contesté la décision de la Cour suprême selon laquelle l’auteur n’était pas apte à défendre ses droits devant un tribunal, alors que cette décision était attaquable par les voies ordinaires de recours. Si l’auteur avait besoin d’aménagements spéciaux au titre des lois pertinentes pour pouvoir exercer sa capacité juridique, c’était à lui de déposer une plainte pour discrimination en application de l’article 24 de la loi antidiscrimination. De plus, les décisions par lesquelles l’auteur était sous le coup d’une mesure de surveillance et faisait l’objet d’une ordonnance de placement sous surveillance privative de liberté auraient pu être, l’une comme l’autre, contestées, au même titre que toute autre sanction pénale. À aucun moment de la procédure le représentant de l’auteur n’a contesté que l’auteur avait besoin d’une prise en charge et d’une supervision conséquentes, nécessitant son hébergement en centre de soins sécurisé et, le temps qu’une telle solution d’hébergement se présente, au Centre pénitentiaire.

4.9À l’exception de quelques allégations concernant des violations des articles 14 (non liées à la discrimination raciale), 15 et 19 de la Convention, toutes les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées. En particulier, l’auteur n’a pas précisé si de quelconques aménagements auraient pu être apportés − ni quels soutiens qui n’étaient pas proposés auraient pu l’être − pour lui permettre d’exercer sa capacité juridique. Il n’a pas fourni de preuve qu’il avait été privé des services de santé mentale appropriés et que son état de santé s’était dégradé faute de soins ou parce que les soins apportés n’étaient pas appropriés. Il n’a pas non plus étayé ses griefs au titre de l’article 26 eu égard à la prestation des services d’adaptation et de réadaptation qui lui ont été fournis et à leur adéquation, ni ses griefs au titre de l’article 28, à savoir qu’on ne lui avait pas fourni les services liés à son handicap, dont il avait besoin pour vivre dans la société.

4.10Enfin, la Convention concerne la discrimination fondée sur le handicap, et non pas sur la race ou d’autres caractéristiques. Le grief de l’auteur au titre de l’article 5 est donc irrecevable ratione materiae.

4.11En ce qui concerne le fond, l’État partie insiste sur le fait que le Code pénal du Territoire du Nord ne prévoit pas de traitement différent des personnes en raison de leur handicap mais prévoit bien un traitement distinctif réservé aux personnes considérées comme inaptes à défendre leurs droits. Le Code est certes susceptible de toucher de façon disproportionnée les personnes qui, pour des raisons liées à un handicap, peuvent satisfaire aux critères établis, mais une telle différence de traitement est légitime et bien présente dans le droit international relatif aux formes tant directes qu’indirectes de discrimination. L’interprétation de l’article 5 de la Convention devrait se faire dans ce sens. Le Code remplit les conditions fixées pour qu’un traitement distinctif soit légitime, qu’il s’agisse des décisions relatives à l’aptitude à défendre ses droits ou de la délivrance d’ordonnances de détention, donc il ne constitue pas une violation du paragraphe 2 de l’article 12. La base sur laquelle sont imposées et reconduites les ordonnances de placement sous surveillance est claire, objective et raisonnable, et il n’est pas fait mention du handicap dans sa définition.

4.12L’auteur n’a fourni aucune information sur les mesures dont il avait besoin pour exercer sa capacité juridique. Le système judiciaire du Territoire du Nord offre aux personnes handicapées les mêmes possibilités qu’aux personnes non handicapées pour ce qui est d’accéder à des services d’égale qualité, ainsi qu’aux bâtiments et locaux, de recevoir l’information sous une forme accessible, de déposer plainte et de participer aux consultations publiques pertinentes. Les droits consacrés à l’article 13 de la Convention ont été accordés à l’auteur. Tout au long de la procédure, il a été représenté légalement par des conseils expérimentés en droit pénal, et un tuteur lui a été attribué. L’État partie n’a pas connaissance d’une quelconque demande d’appui à la participation de l’auteur à la procédure qui aurait été rejetée.

4.13La détention sur la seule base du handicap serait contraire à l’article 14 de la Convention, mais l’État partie affirme que ce n’était pas le cas en ce qui concerne la situation de l’auteur. L’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 14 doit être interprété conformément à la prescription de la détention arbitraire bien établie en droit international, par exemple au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Pour déterminer si la détention est arbitraire, le Comité des droits de l’homme pose la question de savoir si, à tous égards, la détention est appropriée, justifiable, raisonnable, nécessaire et proportionnée.

4.14La détention de l’auteur a toujours été légale. Elle a été autorisée par l’ordonnance de placement sous surveillance, ni arbitraire ni discriminatoire, délivrée par la Cour. L’État partie convient que, pour les personnes présentant une déficience cognitive, la probabilité qu’une ordonnance de placement sous surveillance leur soit imposée est plus grande que pour les personnes ne présentant pas de déficience cognitive. Toutefois, même si les personnes autochtones risquaient davantage que les personnes non autochtones de se voir imposer une ordonnance de placement sous surveillance privative de liberté − plutôt que non privative de liberté −, cela constituait un traitement distinctif légitime réservé à certaines personnes handicapées, sachant qu’une ordonnance de surveillance privative de liberté n’était imposée que si aucune autre solution pratique garantissant la sécurité de l’intéressé ou celle du reste de la société ne pouvait être envisagée.

4.15Il n’existe pas de règle générale énonçant que la détention pour une durée donnée sera nécessairement considérée comme arbitraire. Le facteur déterminant n’est pas la durée de la détention mais plutôt la question de savoir si les motifs du maintien en détention sont valables. L’interdiction de la détention arbitraire ne signifie pas que les personnes handicapées, y compris celles qui présentent une déficience cognitive, ne peuvent absolument pas être détenues ni ne peuvent faire l’objet d’ordonnances de placement d’une durée indéterminée. La détention d’une personne handicapée n’est pas incompatible avec les obligations des États au titre de la Convention, ou d’autres traités relatifs aux droits de l’homme, lorsque cette détention repose sur des justifications valables et objectives et qu’elle s’accompagne des garanties juridiques appropriées. Le temps qu’aurait duré la détention de l’auteur s’il avait été condamné n’est jamais qu’un des facteurs entrant en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’évaluer si sa détention était devenue arbitraire.

4.16En soi, la détention de l’auteur dans un centre pénitentiaire ne constitue pas une peine ou un traitement dégradants au regard de l’article 15. En principe, il n’est pas souhaitable que des personnes qui ne sont pas accusées d’infractions pénales ou condamnées pour de telles infractions soient détenues en centre pénitentiaire. Toutefois, il peut exister des circonstances exceptionnelles dans lesquelles la détention de telles personnes en centre pénitentiaire peut se justifier − par exemple, si cette mesure est nécessaire à titre temporaire dans l’attente qu’une place se libère dans un établissement spécialisé. De plus, l’auteur n’a pas été détenu à l’isolement. Il a certes pu être placé temporairement à l’isolement lorsqu’il a manifesté des comportements particulièrement préoccupants ou lorsqu’il a choisi de se mettre en retrait, mais cela s’est fait pour des périodes de courte durée et cet isolement revêtait un caractère raisonnable et proportionné compte tenu des circonstances.

4.17L’auteur n’a aucunement fait mention d’un quelconque élément de preuve donnant à penser que la détérioration de son état était due à l’inadéquation des soins qui lui avaient été prodigués lorsqu’il était en détention. Il ressort des examens menés périodiquement, dont le plus récent date du 14 août 2014, que l’auteur fait de bons progrès et continue de recevoir son programme de traitement.

4.18Lorsqu’il se trouvait en détention au Centre pénitentiaire d’Alice Springs, l’auteur n’était pas en permanence séparé des personnes condamnées mais ses contacts avec lesdites personnes ne constituent pas en soi une violation de l’article 15. L’auteur ne s’est pas plaint d’un quelconque épisode en particulier dans lequel d’autres détenus seraient impliqués, pas plus qu’il n’a indiqué quoi que ce soit qui, dans la promiscuité avec les détenus ordinaires, aurait entraîné un traitement constituant une violation de l’article 15.

4.19En ce qui concerne les conditions de vie dans l’établissement de soins surveillé, la supervision constante et la présence d’un accompagnant lors des sorties à l’extérieur du site ne constituent pas des conditions de détention rudes. Les éléments de preuve émanant de psychologues indépendants et d’autres professionnels compétents portent à penser qu’une supervision et une attention constantes sont nécessaires pour soutenir l’auteur et préserver sa propre sécurité et celle des autres. De plus, la détention de l’auteur dans l’établissement de soins surveillé n’est pas arbitraire en ce qu’elle est raisonnable, nécessaire et proportionnée compte tenu des circonstances, et elle représente un environnement moins contraignant pour accueillir l’auteur, personne ayant des besoins complexes qui, autrement, ne pourrait être soutenue par sa famille ou sa communauté. L’État partie conteste l’allégation selon laquelle les services de santé mentale appropriés ne sont pas prodigués à l’auteur. Certaines composantes du traitement et des soins, tels que les médicaments donnés en urgence en cas de manifestations de comportements préoccupants, peuvent, de temps à autre, être administrés à l’auteur contre son gré mais l’État partie, conformément à l’interprétation déclarative qu’il a faite de la Convention au moment où il a ratifié l’instrument, le 17 juillet 2008, considère que ces traitements et soins sont raisonnables, nécessaires et proportionnés s’il ne sont administrés qu’en dernier recours. Le fait que l’auteur est parfois soumis à un traitement contre son gré ne saurait constituer des conditions de détention dures et déraisonnables.

4.20Enfin, la durée de la détention ne constitue pas, en soi, une violation de l’article 15. S’il se présente la possibilité de prendre l’auteur en charge dans un cadre moins contraignant, la législation impose à la Cour de mettre en place les dispositions voulues à cette fin. La durée pendant laquelle l’auteur a été détenu n’est donc pas disproportionnée.

4.21L’auteur n’est pas parvenu à démontrer de quelle façon l’article 19 de la Convention est pertinent au regard de ses griefs, sachant qu’il s’agit d’une personne ayant fait l’objet d’une ordonnance de placement sous surveillance privative de liberté, qui a ensuite été accueillie dans un nouvel établissement adapté où elle a bénéficié de soins liés à son handicap et de services d’appui d’un niveau élevé. Lorsqu’il a été placé en détention, l’auteur vivait dans un logement adapté, avec l’aide à plein temps de travailleurs sociaux spécialisés dans le handicap. Ses besoins se sont toutefois révélés trop complexes pour être gérés de manière satisfaisante dans ce cadre moins restrictif. En outre, l’État partie conteste l’argument selon lequel il ne fait pas tout ce qu’il peut, au maximum des ressources dont il dispose, pour avancer dans la réalisation des droits énoncés à l’article 19, et il renvoie aux dépenses importantes engagées par l’Australie pour financer les services de santé et les services relatifs au handicap.

4.22L’État partie n’admet pas le grief que l’auteur tire de l’article 26, selon lequel il n’a bénéficié d’aucun service d’adaptation ou de réadaptation, ou les services dont il a bénéficié n’étaient pas appropriés. Les services qui ont été fournis à l’auteur au Centre pénitentiaire d’Alice Springs comprenaient des bilans médicaux et psychologiques réguliers, un soutien apporté par des travailleurs sociaux spécialisés dans le handicap, des prestations d’ergothérapie, un accès à la vie en société et des déplacements pour des activités récréatives. Dans l’établissement de soins en milieu surveillé, les résidents sont encouragés à acquérir ou préserver les compétences nécessaires dans les activités de la vie quotidienne, s’agissant par exemple de prendre soin d’eux, de préparer leurs repas et de cuisiner et de s’acquitter de toutes les tâches ménagères, afin qu’ils aient les moyens de vivre de la façon la plus autonome possible, en prévision du moment où ils seront aptes à quitter l’établissement et à vivre dans un cadre moins contraignant. Un éventail d’activités récréatives sont offertes aux résidents, notamment l’accès à des installations sportives et à des instruments de musique, afin d’éviter qu’ils ne sombrent dans la passivité et la dépendance ou ne soient voués à la vie en institution. L’État partie n’admet pas non plus l’affirmation selon laquelle l’établissement de soins en milieu surveillé n’a pas réussi à recruter le personnel requis.

4.23Enfin, l’article 28 ne fait pas obligation aux États de fournir à tous un logement, sur demande. L’auteur a certes exprimé le souhait d’être logé au sein de la société, mais cela n’implique pas pour autant que son hébergement en établissement de soins en milieu surveillé entraîne une violation des droits qu’il tient de l’article 28. L’auteur vivait dans un logement adapté au moment de son arrestation, une situation qui s’est révélée inadaptée à ses besoins et qui a mis en danger les personnes qui s’occupaient de lui lorsqu’il a manifesté des comportements préoccupants. Un logement dans la société entraînerait une baisse du niveau de qualité des soins, de la supervision et des services ayant trait au handicap qui lui seraient fournis, ainsi qu’une augmentation conséquente et inacceptable du risque qu’il se fasse lui‑même du mal ou qu’il en fasse aux personnes qui s’occupent de lui ou, plus largement, à la société. Son hébergement précédent, au Centre pénitentiaire n’était certes pas idéal, mais l’auteur a, néanmoins, bénéficié en permanence d’un niveau approprié de services ayant trait à son handicap et autres services d’appui. Peu de temps après que les services publics du Territoire du Nord ont eu connaissance de la situation de l’auteur et du fait qu’il résidait au Centre pénitentiaire, ils ont décidé de construire − et d’allouer un financement important à cette fin – l’établissement de soins en milieu surveillé, édifié en partie pour offrir tout spécialement à l’auteur un hébergement approprié.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 12 octobre 2017, l’auteur a pour la première fois abordé la question des recours. La loi antidiscrimination fait interdiction de la discrimination fondée sur le handicap dans certains domaines de la vie, en l’assortissant de dérogations et de moyens de défense précis. Il ne s’agit pas d’une loi fondamentale pouvant annuler ou abroger d’autres dispositions législatives du Territoire du Nord, telles que la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord. L’article 53 de la loi antidiscrimination autorise expressément une personne à se livrer à un acte discriminatoire si celui-ci est autorisé par une loi ou un règlement du Territoire du Nord ou par une décision de justice, ou s’il est nécessaire à l’application d’un tel texte ou d’une telle décision. En l’espèce, tout ce qui a été fait et dont l’auteur se plaint a été autorisé par la Cour suprême du Territoire du Nord, conformément aux dispositions de la partie II.A du Code pénal.

5.2L’auteur s’est déjà plaint auprès de la Commission australienne des droits de l’homme que sa détention pour une durée indéterminée était contraire à la Convention. La Commission a estimé que les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 14, des articles 19 et 25, du paragraphe 1 de l’article 26 et du paragraphe 1 de l’article 28 de la Convention avaient été violés, et a formulé un ensemble de recommandations à l’intention du Gouvernement afin que celui-ci offre des recours à l’auteur et qu’il soit remédié aux problèmes systémiques soulevés. Le Ministre de la Justice (Attorney-General for Australia) a présenté le rapport devant le Parlement mais l’a ensuite rejeté au motif que la Commission n’avait pas compétence pour ouvrir une telle enquête. Le rapport a également été transmis au Ministre principal et Procureur général du Territoire du Nord, mais les autorités du Territoire du Nord n’y ont pas donné suite.

5.3En ce qui concerne la possibilité de contester la décision de la Cour selon laquelle l’auteur n’était pas apte à défendre ses droits devant un tribunal et à engager une procédure, au titre de la loi antidiscrimination, pour dénoncer le fait que la Cour n’avait pas procédé aux aménagements raisonnables dont il avait besoin pour exercer sa capacité juridique, l’auteur n’avance pas que la Cour suprême a mal appliqué la loi. La loi a été correctement appliquée et aucun recours n’aurait la moindre chance d’aboutir dans les circonstances de l’espèce. Ce que l’auteur fait valoir est plutôt que la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord est une loi injuste en ce qu’elle est discriminatoire à son égard sur la base de son handicap, ce qui constitue une violation de son droit à l’égalité devant la loi. La loi en question est discriminatoire en ce qu’elle l’a exempté de responsabilité pénale sur la base de l’incapacité juridique qui lui était attribuée. Elle ne prévoit pas d’adaptation ni d’aménagement qui permettrait d’établir sa culpabilité pour les infractions en question en tenant compte de sa déficience cognitive. Aucune composante du régime en vigueur ne vise l’application de l’obligation énoncée au paragraphe 3 de l’article 12 de la Convention, à savoir donner aux personnes handicapées les moyens d’exercer leur capacité juridique dans la procédure de jugement. L’État partie n’a mis à la disposition de l’auteur aucun hébergement lui permettant de participer effectivement à la procédure judiciaire, ce qui constitue une violation de l’article 13. De plus, ni le Gouvernement australien ni le Gouvernement du Territoire du Nord ne disposent d’une loi constitutionnelle ou ordinaire instituant une charte des droits que l’auteur puisse invoquer pour invalider la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord.

5.4Pour ce qui est des voies de recours disponibles en cas de privation de liberté, l’auteur admet ici encore que la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord a été correctement appliquée en l’espèce et que, par conséquent, toute contestation de l’application de la loi dans son cas serait vaine. De nombreuses années durant, ses avocats non professionnels et ses tuteurs n’ont cessé de présenter des requêtes et des communications à tous les niveaux de l’administration publique du Territoire du Nord, et de réclamer qu’un appui de proximité approprié soit offert hors du milieu carcéral ou de tout autre cadre de prise en charge privatif de liberté.

5.5Dans l’affaire Noble c. Australie, le Comité a examiné l’argument de l’État partie selon lequel le texte de la loi de 1996 d’Australie occidentale relative au droit pénal (accusés présentant une déficience mentale), qui porte aussi création d’un régime de traitement distinct pour les personnes accusées présentant une déficience cognitive qui sont considérées comme inaptes à défendre leurs droits devant un tribunal, constituait un traitement distinct légitime, mais a rejeté cet argument, estimant qu’un tel régime constituait une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 de la Convention. La position de l’auteur au regard de la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord est analogue à celle de M. Noble.

5.6L’auteur conteste l’argument selon lequel la partie II.A du Code constitue un traitement distinct légitime qui n’équivaut pas à une discrimination. La conséquence concrète du fait que l’auteur a été déclaré non coupable en raison de sa déficience intellectuelle et psychosociale a été qu’il a été soumis à une ordonnance de placement sous surveillance privative de liberté et a été confiné dans des lieux de détention pendant une période excédant très largement la durée de la peine d’emprisonnement qui aurait pu être imposée s’il avait été condamné pour les infractions qui lui étaient reprochées.

5.7Les dispositions de la partie II.A du Code ne constituent pas non plus un traitement distinct légitime puisque leur application vise à protéger la société d’un « danger permanent » (continuing danger) présenté par l’auteur. Ces dispositions ne peuvent s’appliquer qu’aux seules personnes présentant une déficience cognitive, et non à toutes les personnes qui, au sein de la population en général, peuvent se livrer à des agissements représentant un danger permanent pour la société. De ce simple fait, la partie II.A est clairement discriminatoire.

5.8Comme l’État partie l’admet, les juges de la Cour suprême du Territoire du Nord ont à de nombreuses reprises exprimé leur préoccupation quant à l’incarcération de l’auteur dans un centre de justice pénale. La Cour a clairement estimé que cela n’était pas nécessaire pour protéger la société, dès lors qu’une solution de placement de proximité moins contraignante existait. Plusieurs années durant, les pouvoirs publics du Territoire du Nord n’ont pas fait le nécessaire pour qu’une telle solution de remplacement soit disponible. De plus, l’État partie ne précise pas quelle forme de danger l’auteur représentait pour lui-même. Lorsqu’il était en prison, l’auteur a été soumis à de réelles violences de la part d’autres prisonniers et il a été exposé en permanence au risque d’une telle violence.

5.9La détention de l’auteur est arbitraire en ce qu’elle est fondée sur son handicap. Elle revêt donc un caractère discriminatoire et constitue une violation de l’article 14. L’examen régulier, par la Cour, de la situation de l’auteur n’a pas rendu et ne rend toujours pas sa détention moins discriminatoire ou arbitraire. La décision de la Cour de maintenir l’auteur en détention dans un centre pénitentiaire était fondée sur l’absence de solutions de remplacement à la prison, et non pas sur une estimation du niveau de dangerosité qu’il représentait. L’État partie n’a pas établi que, à l’époque des faits, il prenait de quelconques dispositions, au maximum des ressources dont il disposait, pour remédier au préjudice multiple et aggravé que subissait l’auteur sur le plan social du fait de son handicap et de sa condition de personne aborigène.

5.10La détention de l’auteur au Centre pénitentiaire d’Alice Springs l’a exposé à un traitement et à une peine dégradants, en violation de l’article 15 de la Convention. L’auteur a été placé en détention dans ce centre sans jamais avoir été condamné pour une quelconque infraction qui apporterait une justification objective à sa détention, la justification à son placement étant sa déficience intellectuelle et psychosociale, et il a été placé avec des personnes qui avaient été condamnées pour des infractions pénales.

5.11L’auteur rejette les arguments de l’État partie, selon lesquels il n’a pas été détenu à l’isolement et il a bénéficié des services d’adaptation, de réadaptation et de santé mentale et autres services d’appui dont il avait besoin. Ses capacités mentales et fonctionnelles se sont dégradées par suite de ce manquement. Il a été détenu en permanence dans un environnement de haute sécurité, placé fréquemment et pour de longues périodes à l’isolement et exposé à la violence et à l’oppression exercées par la population carcérale en général. Il a été privé d’une réelle prise en charge en ce qui concerne l’adaptation, la réadaptation et les activités de loisir mais aussi le confort personnel. Les examens auxquels la Cour suprême du Territoire du Nord a procédé ont clairement montré que l’intégrité et la capacité fonctionnelles de l’auteur s’étaient dégradées suite à son emprisonnement.

5.12La prise en charge de la santé mentale de l’auteur et de ses besoins liés à son handicap ne s’est pas faite de façon appropriée, ce qui constitue une violation des article 25 et 26. Des programmes d’appui au comportement positif ont peut-être été mis au point, mais ils n’ont pu être mis en œuvre efficacement en raison des conditions régnant dans le cadre de vie de l’auteur et du manque de personnel voulu au sein de la prison. L’auteur n’a absolument pas bénéficié 24 heures sur 24 d’un soutien axé sur son handicap lorsqu’il se trouvait au Centre pénitentiaire d’Alice Springs. L’accès de l’auteur aux services de santé mentale s’est quelque peu amélioré lorsqu’il est passé dans l’établissement de soins en milieu surveillé.

5.13Enfin, une incarcération d’une durée indéfinie dans une prison et dans un centre de détention assimilé à une prison ne contribue en rien à la réalisation du droit de l’auteur à un logement adéquat, inscrit à l’article 28 de la Convention. Les aménagements et soutiens de proximité dont l’auteur a besoin peuvent tout à fait être fournis au sein de la communauté. Dans d’autres régions du pays, les personnes ayant un handicap intellectuel qui ont été en contact avec le système de justice pénale, y compris celles qui ont été accusées d’infractions bien plus graves que celles dont l’auteur a été accusé, sont réellement soutenues, dans des conditions bien moins restrictives et bien plus favorables.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 12 février 2018, l’État partie a répété les arguments qu’il avait avancés, a renvoyé à sa réponse aux constatations du Comité dans l’affaire Noble c. Australie et a fourni des informations factuelles à jour sur la situation de l’auteur.

6.2En janvier 2016, l’auteur a progressivement quitté l’établissement de soins en milieu surveillé pour une résidence collective. Depuis le 9 février 2017, il vit dans une maison à Alice Springs, avec une autre personne nécessitant des soins similaires. Il est assisté à plein temps par un personnel de soutien aux personnes handicapées qui a déjà travaillé avec des personnes autochtones ayant un handicap intellectuel. Ils tiennent des réunions mensuelles dirigées par le gestionnaire du foyer, au cours desquelles ils discutent de l’état de santé de l’auteur et de sa conduite, de son évolution, des résultats escomptés et des faits nouveaux survenus pertinents.

6.3Le 22 mai 2017, l’ordonnance de placement de l’auteur a été officiellement modifiée, de sorte que celui-ci n’est plus soumis à une surveillance privative de liberté mais à une surveillance non privative de liberté. La demande de modification de l’ordonnance avait été recommandée et engagée par le Ministère de la santé du Territoire du Nord, compte tenu entre autres choses des progrès accomplis par l’auteur. L’ordonnance de surveillance à laquelle l’auteur est actuellement soumis lui permet de retourner dans l’établissement de soins en milieu surveillé si son comportement se détériore. Si l’auteur devait rester dans l’établissement de soins en milieu surveillé pour une durée supérieure à deux jours ouvrés, la demande devrait en être faite auprès de la Cour suprême.

6.4L’auteur continue à avoir des contacts réguliers avec sa famille et de bons rapports avec le personnel de soutien aux personnes handicapées qui travaille avec lui. Il est encore visé par une ordonnance de mise sous tutelle dans le cadre de laquelle le Bureau du curateur public (Office of the Public Guardian) et le tuteur de proximité doivent être consultés pour toutes questions en rapport avec la santé et le logement de l’auteur.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas déjà examiné la même question et que la question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité constate que l’État partie fait valoir trois séries d’arguments ayant trait à la recevabilité des griefs que l’auteur tire des alinéas b) d) et e) de l’article 2 du Protocole facultatif, qu’il examinera séparément.

7.4Premièrement, le Comité prend note des arguments de l’État partie relatifs au non‑épuisement des recours internes en ce qui concerne les griefs que l’auteur tire des articles 5, 12, 13 et 14 de la Convention. Selon l’État partie, s’agissant des allégations formulées au titre de l’article 5, c’est à l’auteur qu’il appartenait de se plaindre auprès du Commissaire chargé de la lutte contre la discrimination (Territoire du Nord), lequel est habilité à enquêter et à délivrer des ordonnances juridiquement contraignantes. Selon l’auteur, la loi antidiscrimination n’est pas une loi fondamentale qui peut invalider d’autres lois du Territoire du Nord, telles que le Code pénal du Territoire du Nord, et l’article 53 de ladite loi prévoit une exception en ce qu’elle autorise la commission d’un acte discriminatoire si celui-ci a été autorisé par un tribunal. Le Comité constate aussi que les plaintes dont l’auteur a saisi la Commission australienne des droits de l’homme n’ont pas entraîné la moindre réponse de la part des autorités du Territoire du Nord. Le Comité estime donc que les procédures engagées devant le Commissaire du Territoire du Nord chargé de la lutte contre la discrimination et devant la Commission australienne des droits de l’homme ne donnent lieu à aucun recours exécutoire pour violations des droits de l’homme et ne sauraient donc être considérées comme des recours utiles. En conséquence, il considère le grief relatif à l’article 5 recevable au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité constate aussi que l’auteur n’a pas formé de recours contre la décision de la Cour suprême selon laquelle il n’était pas apte à défendre ses droits devant un tribunal (art. 12), qu’il n’a pas porté plainte pour discrimination au titre de l’article 24 de la loi antidiscrimination en vue d’obtenir des aménagements particuliers (art. 13) et qu’il n’a jamais contesté les ordonnances de placement sous surveillance privative de liberté (art. 14). Toutefois, le Comité rappelle qu’il n’est pas nécessaire que les recours internes aient été épuisés si ces recours n’avaient objectivement aucune chance d’aboutir. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel pour que son recours ait une quelconque chance d’aboutir, il aurait dû démontrer que les décisions de la Cour étaient une erreur, alors que, dans les faits, ces décisions ont été adoptées en application du Code pénal du Territoire du Nord. Le Comité constate que cette appréciation repose sur la loi proprement dite, faisant valoir qu’elle viole les droits que l’auteur tient de la Convention, et qu’il ne s’agit pas d’une question d’interprétation ou d’application de la législation par les tribunaux nationaux. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère qu’aucun autre recours utile n’était à la disposition de l’auteur et que ses griefs relatifs aux articles 12, 13 et 14 sont également recevables au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Deuxièmement, le Comité prend note de l’exception d’irrecevabilité ratione materiae des griefs de l’auteur soulevée par l’État partie pour ce qui est du statut d’aborigène de l’auteur, au motif que l’article 5 de la Convention ne porte que sur la discrimination fondée sur le handicap. L’auteur n’a pas commenté ce point. À cet égard, le Comité rappelle que tous les motifs possibles de discrimination et leurs interactions doivent être pris en compte, y compris l’origine autochtone. Il constate néanmoins que l’auteur ne fournit pas d’arguments expliquant en quoi son origine aborigène a eu un quelconque effet sur les violations de ses droits au titre de la Convention, et par conséquent considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité.

7.7Troisièmement, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel toutes les allégations de l’auteur − à l’exception d’allégations au titre des articles 14 (non liées à la discrimination raciale), 15 et 19 de la Convention − devraient être considérées comme irrecevables parce qu’elles ne sont pas suffisamment étayées et manquent de fondement au regard de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif. Le Comité considère toutefois que, aux fins de la recevabilité, l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 5, 12, 13, 14, 15, 19, 25, 26 et 28 de la Convention.

7.8Par conséquent, et en l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 73 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

8.2Le Comité prend note de l’argument que tire l’auteur de l’article 5 de la Convention, selon lequel la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord est discriminatoire en ce qu’elle ne s’applique qu’aux personnes ayant une déficience cognitive et en ce qu’elle prévoit le placement de ces personnes en détention pour une durée indéterminée même si elles n’ont pas été jugées coupables des faits qui leur sont reprochés, ce alors que les personnes ne présentant pas de déficience cognitive sont à l’abri d’un tel traitement par l’application des garanties d’une procédure régulière et les règles d’un procès équitable. Selon l’État partie, le Code pénal n’est pas discriminatoire mais il prévoit une différence légitime de traitement pour certaines personnes handicapées, assortie des garanties nécessaires pour que le traitement soit proportionné à l’objectif poursuivi.

8.3Le Comité rappelle que, en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 de la Convention, les États parties doivent veiller à ce que toutes les personnes soient égales devant la loi et en vertu de celle-ci et à ce qu’elles aient droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi, et qu’ils doivent prendre toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination. Il rappelle également que la discrimination peut résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure qui n’est pas destinée à discriminer, mais qui affecte de manière disproportionnée les personnes handicapées. En l’espèce, le Comité constate que la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord vise à traiter la situation des personnes ayant des déficiences intellectuelles et psychosociales qui, sur cette base, sont jugées inaptes à défendre leurs droits devant un tribunal. Le Comité doit donc déterminer si la différence de traitement prévue à la partie II.A du Code est raisonnable ou si elle a pour effet un traitement discriminatoire à l’égard des personnes handicapées.

8.4Le Comité constate que, en application de la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord, lorsqu’une personne est considérée inapte à défendre ses droits devant un tribunal, elle peut faire l’objet d’une mesure de placement d’une durée illimitée puisque, comme il est prévu à l’article 43ZC du Code, une ordonnance de placement est délivrée pour une durée indéterminée, cette mesure étant assortie de conditions ayant trait à sa modification, sa révocation ou son réexamen d’ensemble. La personne soumise à une telle ordonnance est présumée inapte à défendre ses droits devant un tribunal jusqu’à preuve du contraire. Dans l’intervalle, l’intéressé n’a aucune possibilité d’exercer sa capacité juridique devant les tribunaux. En l’espèce, en octobre 2008 l’auteur a été accusé de voies de fait avec circonstances aggravantes. En mai 2009, il a été déclaré inapte à défendre ses droits. Une ordonnance de placement en détention a été émise contre l’auteur, qui a été détenu au Centre pénitentiaire d’Alice Springs jusqu’en avril 2013, date à laquelle il a été placé dans un établissement de soins en milieu surveillé. Enfin, le 9 février 2017, il a été transféré dans une résidence sociale. Le Comité relève que, tout au long de la détention de l’auteur, la procédure judiciaire a été entièrement axée sur la capacité mentale de l’intéressé à défendre ses droits devant un tribunal, sans que la possibilité lui soit jamais donnée de plaider non coupable ou de répondre aux accusations portées contre lui. Le Comité relève aussi que, d’après les éléments figurant au dossier, l’État partie n’a pas étudié les mesures qui pouvaient être adoptées pour apporter à l’auteur l’appui et les aménagements dont il avait besoin pour exercer sa capacité juridique, pas plus qu’il n’a pris de quelconques mesures à cet égard. Du fait de l’application des dispositions de la partie II.A du Code pénal du Territoire de Nord, l’auteur n’a été entendu à aucune étape de la procédure, ce qui l’a privé de son droit à un procès équitable et de l’égale protection et l’égal bénéfice de la loi. Comme il est précisé au paragraphe 16 de l’observation générale no 6 (2018) sur l’égalité et la non-discrimination, l’expression « égal bénéfice de la loi » signifie que les États parties doivent éliminer les obstacles qui entravent l’accès à l’ensemble des protections garanties par la loi et aux bénéfices de l’égal accès au droit et à la justice pour faire valoir ses droits. Par conséquent, le Comité considère que l’application de la partie II.A du Code pénal a entraîné un traitement discriminatoire de l’affaire visant l’auteur, en violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 de la Convention.

8.5Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle sa détention dans un établissement de soins en milieu surveillé a constitué une violation de l’article 5. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur, qui faisait l’objet d’une ordonnance de placement sous surveillance privative de liberté, a été accueilli dans le nouvel établissement adapté et qu’il y a bénéficié de soins liés à son handicap et de services d’appui d’un niveau élevé. L’auteur y a séjourné jusqu’au 9 février 2017, date à laquelle il a été transféré dans une résidence sociale où il bénéficie d’un appui adapté. À cet égard, le Comité relève que, selon les éléments figurant au dossier, l’auteur n’a été consulté à aucune étape des procédures ayant trait à son placement en détention et à son hébergement. Compte tenu de ce qui précède, le Comité rappelle que la Convention consacre le droit des personnes handicapées de ne pas être obligées de vivre dans un milieu de vie particulier en raison de leur handicap, et que le placement des personnes handicapées en institution comme préalable à l’accès à des services publics de santé mentale constitue un traitement différencié fondé sur le handicap et est, à ce titre, discriminatoire. Par conséquent, le Comité considère que le fait d’avoir contraint l’auteur à vivre dans une institution spécialisée en raison de son handicap entre avril 2013 et février 2017 a constitué une violation de l’article 5 de la Convention.

8.6En ce qui concerne les griefs formulés par l’auteur au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article 12 et du paragraphe 1 de l’article 13 de la Convention, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel la décision par laquelle il a été déclaré dans l’incapacité de se défendre l’a privé de la possibilité d’exercer sa capacité juridique de se défendre et de contester les éléments de preuve présentés contre lui et constitue une violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 12 de la Convention. Le Comité rappelle que le fait qu’une personne est reconnue comme étant en situation de handicap ou l’existence d’une incapacité ne doit jamais servir à justifier que cette personne soit privée de sa capacité juridique ni d’aucun des droits prévus à l’article 12 et que, conformément au paragraphe 2 de l’article 12, les États parties ont l’obligation de reconnaître que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres. Selon le paragraphe 3 de l’article 12, les États parties doivent donner accès à l’accompagnement dont les personnes handicapées peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique. Le Comité rappelle également que, conformément au paragraphe 1 de l’article 13, les États parties doivent assurer l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, sur la base de l’égalité avec les autres, y compris par l’apport d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge.

8.7En l’espèce, la décision par laquelle l’auteur avait été déclaré inapte à défendre ses droits devant un tribunal du fait de son incapacité intellectuelle ou psychosociale a eu pour effet de le priver de son droit d’exercer sa capacité juridique pour plaider non coupable ou contester les éléments de preuve retenus contre lui. De plus, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le système de justice du Territoire du Nord offre aux personnes handicapées les mêmes possibilités qu’aux personnes non handicapées pour ce qui est d’accéder aux services, bâtiments et sites, et du fait que l’État partie n’a pas connaissance qu’une quelconque demande d’appui à la participation de l’auteur à la procédure aurait été rejetée, mais il prend aussi note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la loi ne prévoit pas d’adaptation ni d’aménagement qui permettrait d’établir sa culpabilité pour les infractions en tenant compte de son incapacité cognitive. Le Comité estime que les autorités de l’État partie n’ont offert aucune forme d’appui ou d’aménagement appropriée à l’auteur pour qu’il puisse défendre ses droits devant un tribunal et exercer sa capacité juridique. L’auteur n’a donc jamais eu la possibilité de faire déterminer les chefs d’infraction pénale retenus contre lui. Le Comité considère que, si les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer les aménagements procéduraux à mettre en œuvre pour permettre aux personnes handicapées d’exercer leur capacité juridique, ils sont néanmoins tenus de respecter les droits pertinents de l’intéressé. Tel n’a pas été le cas dans l’affaire qui concerne l’auteur, celui-ci n’ayant jamais eu la possibilité d’exercer son droit d’avoir accès à la justice et son droit à un procès équitable et n’ayant bénéficié ni de l’accompagnement ni des aménagements nécessaires à cette fin. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la situation en cause constitue une violation des droits que l’auteur tient des paragraphes 2 et 3 de l’article 12 et du paragraphe 1 de l’article 13 de la Convention.

8.8En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives à sa détention, le Comité réaffirme que la liberté et la sécurité de la personne sont parmi les droits les plus précieux auxquels chacun puisse prétendre. En particulier, toutes les personnes handicapées, et les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial spécialement, ont droit à la liberté, en vertu de l’article 14 de la Convention. En l’espèce, le Comité constate que comme suite à la décision par laquelle la Cour suprême a déclaré, le 4 décembre 2007, que l’auteur était dans l’incapacité de se défendre, celui-ci a été placé en détention en prison en application de la décision prise le 22 décembre 2008 par cette même Cour. Le Comité constate également que les juges de la Cour suprême ont exprimé leur préoccupation quant à l’incarcération de l’auteur dans un centre de justice pénale, mais que cette décision a été prise parce que les solutions de remplacement et les services d’appui faisaient défaut. La détention de l’auteur a donc été décidée sur la base de l’évaluation par les autorités de l’État partie des conséquences potentielles du handicap intellectuel de l’intéressé, en l’absence de toute déclaration de culpabilité pénale, faisant ainsi du handicap de l’auteur le motif fondamental de sa détention. Le Comité considère donc que la détention de l’auteur a constitué une violation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention, selon lequel en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté.

8.9En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives à l’article 15 de la Convention, le Comité souligne que les États parties sont dans une position particulière de garant des droits des personnes privées de liberté, étant donné que les autorités pénitentiaires exercent sur les personnes privées de liberté un contrôle ou un pouvoir considérable, y compris s’agissant de prévenir toute forme de traitement contraire aux dispositions de l’article 15 et de préserver les droits consacrés par la Convention. Compte tenu de ce qui précède, les autorités de l’État partie doivent prêter tout spécialement attention aux besoins particuliers et à l’éventuelle vulnérabilité de la personne concernée, y compris en raison de son handicap. Le Comité rappelle que le fait de ne pas adopter les mesures pertinentes et de ne pas apporter les aménagements raisonnables dont ont besoin les personnes handicapées qui ont été privées de liberté peut constituer une violation du paragraphe 2 de l’article 15 de la Convention.

8.10En l’espèce, l’auteur fait valoir qu’il a été détenu dans des conditions de sécurité maximale, qu’il a été placé en détention avec des personnes condamnées, qu’il a été soumis à un traitement contre son gré et qu’il a aussi été soumis à des actes de violence de la part de codétenus. L’État partie admet que l’auteur n’était pas en permanence séparé des personnes condamnées, qu’il a été placé temporairement à l’isolement et qu’il a parfois été soumis à un traitement contre son gré. De plus, le Comité prend note du fait que l’auteur a été placé en détention, au Centre pénitentiaire d’Alice Springs dans un premier temps, puis dans un établissement de soins en milieu surveillé, plus de neuf années durant, sans aucune indication préalable de la durée escomptée de sa détention. Sa détention était réputée d’une durée indéfinie sachant que, conformément aux dispositions de l’article 43ZC de la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord, une ordonnance de placement sous surveillance est délivrée pour une durée indéterminée. Prenant en compte les conséquences psychologiques irréversibles que la détention pour une durée indéterminée peut avoir sur une personne détenue, le Comité considère que la détention pour une durée illimitée dont l’auteur a fait l’objet constitue un traitement inhumain et dégradant. Le Comité estime par conséquent que − même si l’auteur n’a pas démontré qu’il a fait l’objet de violences de la part d’autres détenus − l’absence de détermination de la durée de son placement en détention, sa détention dans un centre pénitentiaire sans qu’il ait été déclaré coupable d’une infraction pénale, sa mise à l’isolement par intermittence, le traitement qui lui a été administré contre son gré et sa détention avec des personnes condamnées constituent une violation de l’article 15 de la Convention.

8.11Le Comité prend note des arguments de l’auteur, formulés au titre de l’article 19, selon lesquels on ne lui a pas fourni de logement approprié au sein de la société, comme solution de remplacement à la détention au Centre pénitentiaire ou à son placement dans l’établissement de soins en milieu surveillé. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel il est invariablement ressorti des examens périodiques que la Cour suprême a mené qu’en l’absence d’autre site approprié, il n’existait pas de solution pratique de substitution à la détention au Centre pénitentiaire. Il prend note en outre de la décision, appliquée le 9 février 2017, d’accorder à l’auteur la possibilité de vivre dans une résidence sociale à Alice Springs. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la question soulevée par l’auteur au sujet de la violation présumée de l’article 19 de la Convention est devenue sans objet. Dès lors, vu les circonstances de l’espèce, il n’est nul besoin d’étudier cette question plus avant.

8.12Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il n’a pas eu accès aux services de santé (art. 25 de la Convention) et aux services d’adaptation et de réadaptation (art. 26), et selon lesquelles son droit à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale (art. 28) a été violé. Il prend note également des arguments de l’État partie selon lesquels, pendant la détention de l’auteur, il a engagé des dépenses importantes pour financer les services de santé et les services d’appui relatifs au handicap, et selon lesquels l’auteur a bénéficié de services de santé, d’adaptation et de réadaptation appropriés et des aménagements voulus, l’établissement de soins en milieu surveillé a été créé en partie pour offrir des aménagements appropriés à l’auteur, et l’auteur a finalement été transféré dans une résidence sociale. Le Comité constate que les déclarations de l’auteur et celles de l’État partie ne concordent pas et que l’information fournie ne permet pas de conclure qu’il y a eu violation des articles 25, 26 et 28 de la Convention.

8.13Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5, 12, 13, 14 et 15 de la Convention.

C.Conclusion et recommandations

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5, 12, 13, 14 et 15 de la Convention. En conséquence, il adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteur, l’État partie a pour obligation :

i)De lui assurer une réparation effective, y compris le remboursement de tous les frais de justice qu’il aura engagés et une indemnisation ;

ii)De rendre publiques les présentes constatations et de les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les secteurs de la population ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. À cet égard, et compte tenu des effets de vaste portée des violations constatées dans le cas présent, le Comité rappelle en particulier les recommandations ayant trait à la liberté et à la sécurité de la personne, qu’il a formulées dans ses observations finales concernant le rapport initial de l’Australie (CRPD/C/AUS/CO/1, par. 32), et prie l’État partie de :

i)Modifier la partie II.A du Code pénal du Territoire du Nord et tous les textes de loi équivalents ou connexes en vigueur à l’échelle de l’État fédéral et des États fédérés, en étroite consultation avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent, de telle sorte que soit garantie leur conformité aux principes inscrits dans la Convention et aux directives du Comité relatives au droit des personnes handicapées à la liberté et à la sécurité ;

ii)Faire en sorte, sans délai, que les mesures d’accompagnement et d’aménagement appropriées soient prises pour que les personnes présentant un handicap intellectuel et psychosocial puissent exercer leur capacité juridique devant les tribunaux, si besoin est ;

iii)Protéger le droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société, en prenant, au maximum des ressources dont il dispose, des mesures pour créer des résidences sociales qui viendront remplacer les institutions et offriront des services d’appui à l’autonomie de vie ;

iv)Veiller à ce qu’une formation appropriée et régulière concernant le domaine d’application de la Convention et du Protocole facultatif s’y rapportant, y compris l’exercice de la capacité juridique et l’accès à la justice, soit dispensée au personnel qui intervient auprès des personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial, et aux membres de la Commission de réforme législative, du Parlement, du corps judiciaire et du personnel qui facilite le fonctionnement de la justice, et à ce que soit évité le recours aux établissements de haute sécurité pour le confinement des personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.