Nations Unies

CAT/C/52/D/483/2011-CAT/C/52/D/485/2011

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 août 2014

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communications nos 483/2011 et 485/2011

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-deuxième session(28 avril-23 mai 2014)

Communication p résentée par:

X et Z, représentés par Marjaana Laine,du Refugee Advice Centre

Au nom de:

X et Z

État partie:

Finlande

Date de la requête:

14 novembre 2011 (lettres initiales)

Date de la présente décision:

12 mai 2014

Objet:

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Non-refoulement

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante-deuxième session)

concernant les

Communications nos 483/2011 et 485/2011

Présentée par:

X et Z, représentés par Marjaana Laine,du Refugee Advice Centre

Au nom de:

X et Z

État partie:

Finlande

Date de la requête:

14 novembre 2011 (lettres initiales)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 mai 2014,

Ayant achevé l’examen des requêtes no 483/2011 et no 485/2011présentée par X et Z en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les auteurs des requêtes datées des 14 et 16 novembre 2011, M. X et M. Z, tous deux ressortissants iraniens d’origine kurde nés respectivement en 1983 et 1984, sont frères. Leurs demandes d’asile en Finlande ont été rejetées et ils sont menacés d’expulsion vers la République islamique d’Iran. Ils affirment qu’en les renvoyant vers ce pays, la Finlande violerait l’article 3 de la Convention contre la torture. Les requérants sont représentés par un conseil, Marjaana Laine.

1.2Le 15 novembre 2011, l’État partie a été prié, conformément au paragraphe 1 de l’article 114 (ancien par. 1 de l’article 108) du règlement intérieur du Comité (CAT/C/3/Rev.5), de ne pas expulser les requérants tant que leur requête serait à l’examen. Le 12 janvier 2012, l’État partie a fait savoir au Comité qu’il avait pris les mesures nécessaires pour donner suite à sa demande de mesures provisoires de protection.

1.3Le 12 mai 2014, conformément au paragraphe 4 de l’article 111 de son règlement intérieur révisé (CAT/C/3/Rev.6), le Comité a décidé d’examiner conjointement ces deux communications.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants sont frères et sont tous deux des ressortissants iraniens originaires de Mahabad. Ils appartiennent à la minorité kurde. Ils disent avoir exercé des activités politiques en République islamique d’Iran, en Iraq et en Finlande. Ils sont issus d’une famille de militants politiques très en vue; leur père et leurs oncles ont appartenu au parti Komala et ont été persécutés pour leurs opinions et leurs activités politiques. Un de leurs oncles a été peshmerga (combattant armé kurde) et un autre a été membre du comité central du parti Komala. Leur père et un de leurs oncles sont aujourd’hui ressortissants finlandais et ont obtenu des permis de séjour en Finlande au titre de la protection internationale.

2.2Les requérants affirment qu’en 1999, alors qu’ils étaient adolescents, ils ont dû fuir la République islamique d’Iran avec leur famille. Celle-ci a demandé l’asile en Turquie. En 2003, leur père s’est rendu en Finlande où il s’est vu accorder une protection. Les deux requérants et les autres membres de leur famille ont été renvoyés en République islamique d’Iran en 2004. À leur retour dans ce pays, ils ont été interrogés par les autorités iraniennes qui cherchaient à savoir où se trouvait leur père et ce qu’il en était de leur demande d’asile en Turquie. Ils ont été détenus pendant un mois et ont dû payer une amende pour avoir quitté la République islamique d’Iran illégalement sans autorisation préalable des autorités.

2.3Les requérants affirment que c’’est après avoir été remis en liberté qu’ils ont entrepris leurs activités politiques en République islamique d’Iran, en adhérant eux aussi au parti illégal Komala. Leurs tâches au sein du parti consistaient à distribuer des tracts et autres documents.

2.4Le 23 juin 2007, les requérants ont été arrêtés à Mahabad par les forces du Ministère du renseignement (Ettela’at). On leur a bandé les yeux et ils ont été amenés dans un centre de détention où ils sont restés environ deux mois et ont été interrogés sans cesse sur les activités politiques de leur père et de leurs proches. Les requérants ont été forcés d’avouer qu’ils appartenaient au parti Komala, de fournir des informations sur les activités du parti et de donner les noms d’autres membres. Entre les interrogatoires, tous deux étaient gardés au secret pendant des périodes prolongées.

Allégation de mauvais traitements subis par M. X

2.5M. X a été torturé sans relâche pendant sa détention et a fait l’objet de violences physiques et verbales. Il a été dévêtu et aspergé d’eau froide. Il a également été brûlé avec un instrument chauffé, au point de perdre connaissance. Le requérant a aussi été suspendu à la fois par les mains et par les jambes. Les gardiens lui ont infligé des mauvais traitements et l’ont torturé, surtout sur la partie gauche du corps, affirmant que comme il était communiste, il devait perdre le côté gauche.

Allégation de mauvais traitements subis par M. Z

2.6M. Z a reçu de très nombreux coups sur la tête pendant sa détention. Il a également été menacé de viol et de mort. À un moment donné, il a été attaché sur une planche, les jambes surélevées, de l’eau lui étant versée dans le nez. Comme il était blessé aux doigts de la main gauche, il a été transféré à l’hôpital où il a subi une opération avant de retourner au centre de détention.

2.7Les deux requérants affirment aussi avoir comparu à trois reprises devant un tribunal pendant leur détention. Des accusations ont été portées à leur encontre et ils ont été poursuivis pour leur appartenance à Komala et leur engagement dans ce parti, pour communisme et opposition à l’Islam et pour être «mohareb» (ennemis de Dieu). Après leur troisième comparution, ils ont été incarcérés à la prison de Mahabad où ils ont été détenus environ une semaine. Ils ont ensuite été libérés sous caution, après versement par leur oncle de l’équivalent de 45 000 euros, jusqu’à l’audience suivante. Après leur remise en liberté, ils se sont enfuis en Iraq, où ils ont séjourné un an et seize jours dans un camp de peshmergas du parti Komala.

2.8Les requérants sont arrivés en Finlande le 4 octobre 2008 et ont présenté une demande d’asile le lendemain. Ils ont remis les originaux de leurs cartes d’identité au Service de l’immigration pour prouver leur identité et présenté une déclaration de la représentation de Komala à l’étranger pour étayer l’allégation relative à leur participation à des activités politiques. Un certificat médical, daté du 8 décembre 2008, a également été remis par les requérants au Service de l’immigration.

2.9Le 5 mai 2010, le Service de l’immigration finlandais a rejeté les deux demandes d’asile au motif que le récit des faits présenté par les requérants n’était pas crédible et que les intéressés n’avaient soumis aucun élément de preuve à l’appui de leurs allégations. Selon le Service de l’immigration, les déclarations des requérants concernant leurs activités au sein du parti Komala n’étaient étayées par aucun élément de preuve. Le 2 juillet 2010, les deux requérants ont exercé un recours devant le Tribunal administratif d’Helsinki.

2.10En juillet 2010, M. X a appris sur Internet l’exécution ce même mois, en République islamique d’Iran, de son ami et point de contact au sein du parti Komala en République islamique d’Iran, O. N.. Inquiets, les requérants ont décidé de fuir la Finlande où leurs demandes d’asile avaient été rejetées. Ils ont demandé l’asile au Danemark. Toutefois, après avoir été informés de la procédure prévue par le Règlement Dublin II de l’Union européenne, ils sont retournés volontairement en Finlande en novembre 2010.

2.11M. X affirme en outre que les 4 février et 19 octobre 2011, il a été examiné par deux psychiatres qui ont constaté qu’il continuait de souffrir de troubles post-traumatiques et qu’il présentait des symptômes de dépression sévère. Le 31 octobre 2011, un physiothérapeute a constaté qu’il souffrait de douleurs à l’aine droite et au pied gauche. D’après le certificat du physiothérapeute, les douleurs pouvaient être imputables aux méthodes de torture décrites par le requérant. M. Z. a soumis une attestation établie par un médecin généraliste dans laquelle il est indiqué que «dans l’ensemble, si les lésions constatées actuellement sont très légères … il n’y a toutefois pas de raison de douter qu’elles puissent avoir été infligées pendant une période de détention allant d’avril à mai 2007, et avoir été causées par les tortures subies pendant la même période.».

2.12Les deux requérants ont poursuivi leurs activités politiques en Finlande. Ils ont régulièrement participé à des manifestations contre le régime en place en République islamique d’Iran, se retrouvant plusieurs fois en face de l’ambassade d’Iran à Helsinki, notamment le 20 juin 2011. Ils ont porté des banderoles, ont activement participé à l’organisation de manifestations et ont diffusé des informations sur les activités du parti Komala. Ces précisions ont été apportées à l’occasion de leur recours devant le Tribunal administratif d’Helsinki.

2.13Le 17 mai 2011, le Tribunal administratif d’Helsinki a tenu une audience publique et examiné le recours des requérants, qui a été rejeté par trois voix contre une le 23 juin 2011. Le 8 juillet 2011, les requérants ont saisi la Cour administrative suprême d’une demande d’autorisation de faire appel, accompagnée d’une demande de mesures provisoires de protection. Le 15 juillet 2011, la Cour administrative suprême a adopté une décision séparée et suspendu l’expulsion des requérants. Elle a néanmoins rejeté la demande d’autorisation de faire appel par une décision définitive du 26 octobre 2011. Les requérants soutiennent avoir ainsi épuisé tous les recours internes disponibles. Entre-temps, les ordonnances d’expulsion émises à leur encontre sont devenues exécutoires et peuvent être appliquées à tout moment.

Teneur de la plainte

3.Les requérants allèguent que leur expulsion vers la République islamique d’Iran, où ils ont déjà été torturés et où il y a, selon eux, des motifs sérieux de croire qu’ils seraient de nouveau soumis à la torture, constituerait une violation par la Finlande de leurs droits au titre de l’article 3 de la Convention. Ils estiment que leurs allégations sont crédibles et font valoir que leurs griefs sont étayés par des preuves documentaires, notamment pour ce qui est de leur engagement politique dans le parti Komala, et par de récentes informations sur la situation actuelle des droits de l’homme en République islamique d’Iran.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 15 mai 2012, l’État partie a soumis ses observations quant au fond de l’affaire. Il rappelle les faits et fournit par ailleurs des extraits de la législation interne pertinente. La loi sur les étrangers en vigueur dans l’État partie offre une protection aux requérants d’asile en cas de «risque réel de subir un préjudice grave». La loi précise la notion de «préjudice grave», qui s’entend de la peine de mort ou d’une exécution, de la torture ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou d’une menace grave et personnelle résultant d’une violence aveugle dans un contexte de conflit armé international ou interne.

4.2L’État partie indique qu’une protection contre l’expulsion du pays est accordée si les autorités sont «convaincues de la véracité de la demande». Pour s’assurer de cette véracité, les autorités tiennent compte des déclarations du requérant et «d’informations en temps réel sur la situation … émanant de diverses sources».

4.3L’État partie affirme, après avoir examiné l’ensemble des faits de l’affaire, que le Service de l’immigration a rejeté les demandes d’asile des requérants car il a estimé que leurs activités politiques n’étaient décrites que de manière superficielle, sans être corroborées par des éléments de preuve. De la même manière, s’agissant des allégations de torture, de la procédure judiciaire, de leur condamnation et de leur libération sous caution, les requérants ne soumettent pas d’autres éléments que leur propre version des faits.

4.4L’État partie convient que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran soulève de graves problèmes. Il affirme que les membres du parti Komala, illégal en République islamique d’Iran, peuvent faire l’objet de mesures strictes. Il fait valoir, toutefois, que les requérants n’ont apporté aucun élément prouvant leur appartenance à Komala. Ils produisent un certificat d’adhésion délivré par la représentation du parti en Suède, mais ce seul certificat ne permet pas de tirer des conclusions sur la position et les activités des requérants, ni sur le degré de risque éventuellement encouru en cas de découverte par les autorités de la République islamique d’Iran de leur adhésion. À supposer même que l’on considère comme exacts les renseignements fournis par les requérants, ceux-ci ne sauraient passer pour des personnalités en vue du parti et n’appelleraient pas l’attention des autorités iraniennes en cas de renvoi dans leur pays.

4.5L’État partie affirme en outre que les certificats médicaux présentés aux autorités par les requérants n’attestent que des lésions mineures et n’établissent pas avec certitude que ces lésions sont dues à des actes de torture ou à des mauvais traitements. L’État partie soutient que les requérants sont venus en Finlande dans le seul but de rejoindre leur famille, et non parce qu’ils craignaient d’être torturés en République islamique d’Iran.

4.6L’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Se référant à l’Observation générale no 1 (1996) du Comité sur l’application de l’article 3, l’État partie ajoute que les requérants doivent établir l’existence d’un risque personnel, réel et actuel d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il doit y avoir d’autres motifs pour qualifier le risque de torture de «réel». Les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un tel risque: preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine; allégations de torture ou de mauvais traitements subis par l’auteur dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui; activités politiques de l’auteur à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine; preuves de la crédibilité de l’auteur; incohérences factuelles dans les affirmations de l’auteur.

4.7L’État partie se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui subordonne aussi l’octroi de la protection au titre de la Convention européenne des droits de l’homme à l’existence d’un risque personnel. Selon l’État partie, rien n’indique en l’espèce que les requérants sont actuellement recherchés par les autorités iraniennes.

4.8Pour ce qui est des certificats établis par les deux psychiatres et le physiothérapeute qui ont suivi M. X, l’État partie rappelle qu’ils n’ont pas été soumis à la Cour administrative suprême. M. X n’a soumis à celle-ci qu’un seul certificat médical, daté du 8 décembre 2008. Il est impossible, sur la base de ce document, de déterminer avec certitude la cause des lésions de M. X et, quoi qu’il en soit, les nouveaux certificats médicaux n’apportent aucun élément probant nouveau ou significatif, appelant une réévaluation de l’affaire.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 août 2012, dans leurs commentaires sur les observations de l’État partie, les requérants ont affirmé qu’il n’y avait pas de contradiction entre les déclarations émanant des médecins et leurs propres déclarations. Ils affirment en outre avoir déployé tous les efforts nécessaires pour fournir et préciser tous les éléments de preuve nécessaires pour étayer leur récit.

5.2Les requérants reconnaissent qu’ils ne sont pas des personnalités en vue du parti Komala. Ils renvoient cependant à un document intitulé «Operational guidance note − Iran» publié par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni, dans lequel il est notamment affirmé que «les requérants qui sont à même de démontrer qu’ils sont membres de … Komala ou qu’ils militent pour ce parti … et qui sont connus des autorités en tant que tels, courent un risque réel de persécution».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b) du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que tous les recours internes avaient été épuisés. Par conséquent, ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en République islamique d’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Il doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risqueraient personnellement d’être torturés à leur retour en République islamique d’Iran. Pour ce faire, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Cependant, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays n’est pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé.

7.3Le Comité note que l’État partie a lui-même reconnu que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran était une source de préoccupation et que les principaux opposants au régime couraient le risque d’être soumis à la torture dans ce pays. Le Comité rappelle ses propres conclusions quant à la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui est extrêmement préoccupante, en particulier pour les individus d’origine kurde, depuis les élections tenues dans le pays en juin 2009. À cet égard, le Comité tient compte du rapport de 2014 du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran (A/HRC/25/61), qui fait état de persécution, d’emprisonnement et d’exécution de membres de la minorité kurde, «sans que les règles relatives au procès équitable aient été respectées» (par. 45, 47, 51, 82 et 83). Le Comité prend également note du rapport de 2014 du Secrétaire général sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran (A/HRC/25/26), où il est dit que plusieurs prisonniers kurdes auraient été exécutés après avoir condamnés à mort pour divers chefs d’accusation, dont celui de moharebeh (guerre contre Dieu) et pour des liens supposés avec des partis politiques, dont Komala (par. 9).

7.4Le Comité rappelle aussi son Observation générale no 1, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable» (par. 6), le Comité fait observer que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court personnellement un risque réel et prévisible. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire (par. 9).

7.5Le Comité prend note des conclusions des deux examens psychiatriques et du certificat établi par le physiothérapeute concernant M. X, lequel souffrirait de troubles post‑traumatiques d’après le diagnostic établi par un médecin. Le second requérant, M. Z, a présenté un certificat établi par un médecin généraliste selon lequel «si les lésions constatées actuellement sont très légères … il n’y a toutefois pas de raison de douter qu’elles puissent avoir été infligées pendant une période de détention allant d’avril à mai 2007», de la manière décrite par M. Z. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les lésions constatées dans les certificats médicaux ne sont que mineures et les certificats médicaux ne permettent pas d’établir, au-delà de tout doute raisonnable, que ces lésions sont la conséquence d’actes de torture ou de mauvais traitements. Le Comité observe toutefois qu’il est indiqué dans le certificat médical présenté par M. X que les symptômes médicaux du requérant «sont compatibles avec les symptômes» que présentent les victimes d’actes de torture. Le Comité considère en outre que, compte tenu de ces doutes, l’État partie aurait pu ordonner un examen complémentaire du requérant pour parvenir à une conclusion pleinement éclairée sur la question.

7.6Le Comité note que les deux requérants ont fourni des documents attestant leur appartenance au parti Komala, documents établis par le bureau du parti en Suède. Le Comité note également que l’État partie ne conteste pas le fait que les requérants appartiennent à une famille de militants politiques en vue, leur père et leurs oncles ayant été des membres actifs du parti Komala et ayant été persécutés par les autorités iraniennes pour leurs opinions politiques. Le Comité observe qu’en raison de leurs activités politiques, des liens de leur famille avec des opposants politiques actifs et du fait qu’ils ont été détenus dans le passé, il est fort probable, malgré le temps qui s’est écoulé depuis qu’ils ont quitté leur pays d’origine, que les requérants attirent l’attention des autorités à leur retour en République islamique d’Iran, ce qui accroît considérablement le risque qu’ils soient arrêtés, torturés et condamnés à mort s’ils y étaient renvoyés.

7.7Par conséquent, au vu de la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui affecte particulièrement les membres de l’opposition, et compte tenu des activités politiques menées par les requérants en République islamique d’Iran et à l’étranger, de leur détention antérieure et de la description détaillée des actes de torture et des mauvais traitements qui leur ont été infligés dans ce pays, étayée par des preuves circonstanciées comme des certificats médicaux, le Comité considère que les éléments dont il est saisi sont suffisants pour conclure à l’existence de motifs sérieux de croire que les requérants risquent d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République islamique d’Iran.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut qu’il existe de sérieux motifs de croire que les requérants courent personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture par des agents de l’État s’ils sont renvoyés en République islamique d’Iran. Par conséquent, le Comité conclut que l’expulsion des requérants vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité considère que l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force les requérants en République islamique d’Iran ou dans tout autre pays où ils courent un risque réel d’être expulsés ou renvoyés en République islamique d’Iran. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à cette décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]