Comité contre la torture
Communication no 466/2011
Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-deuxième session(28 avril-23 mai 2014)
Communication présentée par: |
Nicmeddin Alp (représenté par un conseil, Niels‑Erik Hansen) |
Au nom de: |
Nicmeddin Alp |
État partie: |
Danemark |
Date de la requête: |
21 juin 2011 (date de la lettre initiale) |
Date de la présente décision: |
14 mai 2014 |
Objet: |
Expulsion du requérant vers la Turquie |
Question(s) de procédure: |
Néant |
Question(s) de fond: |
Risque de torture au retour dans le pays d’origine |
Article(s) de la Convention: |
3 |
Annexe
Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante-deuxième session)
concernant la
Communication no 466/2011
Présentée par: |
Nicmeddin Alp (représenté par un conseil, Niels‑Erik Hansen) |
Au nom de: |
Nicmeddin Alp |
État partie: |
Danemark |
Date de la requête: |
21 juin 2011 (date de la lettre initiale) |
Le Comité contre la torture,institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 14 mai 2014,
Ayant achevé l’examen de la requête no 466/2011, présentée par Nicmeddin Alp en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention
1.1Le requérant est Nicmeddin Alp, de nationalité turque, né en 1962. Sa demande d’asile a été rejetée par le Danemark et, au moment de la soumission de la requête, il attendait son expulsion vers la Turquie. Le requérant affirme que son expulsion vers la Turquie constituerait une violation, par le Danemark, de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Niels‑Erik Hansen.
1.2Le 24 juin et le 28 juin 2011, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires de protection aux fins de suspendre l’expulsion, comme le lui demandait le requérant. Le 28 juin 2011, le requérant a été renvoyé en Turquie par les autorités danoises.
Exposé des faits
2.1Le requérant est un Kurde de souche et un musulman, originaire de Nusaybin, en Turquie. Depuis 1982, il est convoqué chaque année sous les drapeaux pour accomplir son service militaire mais n’a jamais répondu à la convocation. De 1987 à 2001, il a été membre du Parti de libération du Kurdistan (PRK-Rizgari, le PRK). En 1982, plusieurs membres du parti ont été arrêtés et ont donné à la police des informations concernant les activités politiques du requérant. En conséquence, le 1er avril 1983, il a été arrêté et torturé par la police pendant sa détention. En 1988, la Cour suprême l’a condamné à vingt ans de prison. En 1991, toutefois, il a été libéré à la condition de cesser ses activités politiques et de s’engager à ne pas changer de résidence pendant six ans et sept mois. Il n’a pas respecté cette condition et, au lieu de commencer son service militaire, il est parti dans la région d’Adana, où vivaient de nombreux Kurdes, et a commencé à travailler pour une organisation politique menant des activités pour le PRK. De 1991 à 1994, il a été le représentant du PRK à Adana. En 1991, il a assisté à une conférence du PRK en Grèce. Dans l’intervalle, sa famille a reçu des convocations enjoignant au requérant d’accomplir son service militaire et de revenir dans la région dans laquelle il était assigné à résidence depuis sa libération en 1991. Il apparaît qu’à ce moment-là, il a été possible au requérant de traverser la Turquie, muni de ses propres papiers d’identité, sans risquer d’être arrêté pour s’être soustrait aux obligations militaires ou pour ne pas résider dans la région d’assignation à résidence. Selon lui, une personne ne risquait d’être fouillée, arrêtée et punie que si elle était recherchée pour motifs politiques.
2.2En 1994, les autorités ont commencé à arrêter des membres du PRK dans les grandes villes. À Istanbul, elles ont découvert des archives contenant les noms de membres du PRK, et notamment des informations sur les activités politiques du requérant. Comme il était recherché par les autorités, le parti a décidé de l’envoyer en Roumanie, muni de faux documents d’identité, en novembre 1994. Le voyage de Turquie en Roumanie a duré environ neuf heures. Ses parents et ses frères et sœurs sont restés en Turquie.
2.3En Roumanie, le requérant a été accueilli par des membres du parti et par son frère aîné, résidant suédois ayant une entreprise en Roumanie. En 1997, le requérant a été arrêté et a immédiatement demandé l’asile. Le 13 août 1997, il a obtenu le statut de réfugié, au motif qu’il avait été membre du PRK depuis 1976, qu’il avait été détenu entre 1983 et 1991 en Turquie et qu’il avait subi des mauvais traitements en détention. Amnesty International a été informé de son cas par son frère et par le PRK. Le requérant s’est marié en Roumanie et a eu un enfant; il avait également une entreprise florissante en Roumanie.
2.4En octobre ou novembre 1999, le requérant a représenté le PRK à une grande conférence du parti en Roumanie. Des agents du renseignement turcs, qui assistaient également à la conférence, ont menacé de le tuer ou de l’enlever et de le ramener en Turquie. Par la suite, le requérant a été une fois appréhendé et une fois attaqué à Bucarest, mais il a réussi à s’enfuir. Il a alors pris contact avec la police mais celle‑ci n’a pas pu l’aider faute de preuves. Selon lui, le Service du renseignement turc avait tout à fait l’occasion d’obtenir des informations à son sujet auprès des autorités roumaines, avec lesquelles il entretenait de bonnes relations de coopération. Se sentant menacé, le requérant a obtenu un visa pour les Pays-Bas, où vivait sa sœur. En 2001, il est parti en avion pour les Pays-Bas où il est resté dix‑sept jours. Il n’a pas demandé l’asile aux Pays-Bas car il craignait d’être renvoyé en Roumanie.
2.5À une date non précisée en 2001, il s’est rendu au Danemark. Le 19 juin 2001, dix jours après son arrivée, il a demandé l’asile au Danemark, affirmant qu’il risquait d’être emprisonné et torturé s’il était renvoyé en Turquie, en raison de ses activités politiques et du non‑accomplissement du service militaire.
2.6Le 26 juillet 2002, le Service de l’immigration danois a rejeté la demande d’asile, pour manque de crédibilité, sans ordonner d’examen médical concernant les marques de torture du requérant. Rien dans le dossier n’indique que le requérant ait demandé un examen médical. Le 8 novembre 2002, la Commission de recours pour les réfugiés («la Commission de recours») a confirmé la décision en appel. En même temps, la Commission de recours n’a pas contesté l’allégation du requérant selon laquelle il avait été un membre actif du PRK jusqu’à son arrestation par la police en mai 1983, et il avait été torturé pendant les trente-huit premiers jours de sa détention, et en particulier frappé sur les pieds et sur le corps, suspendu par les bras, obligé de rester debout pendant vingt‑quatre heures et soumis à des décharges électriques, des douches froides et à des pressions psychologiques. Même si, au bout des trente‑huit premiers jours de détention, les tortures avaient été moins rigoureuses, le requérant continuait d’être battu régulièrement. La Commission de recours a également noté que le requérant avait été condamné à vingt ans de prison en 1988 mais qu’il avait été libéré en 1991 à la condition de cesser ses activités politiques. Selon le requérant, la Commission de recours a estimé que son récit manquait de crédibilité parce qu’il avait oublié d’informer les autorités danoises de son statut de réfugié en Roumanie et avait déclaré qu’il s’était rendu par avion de Turquie à Copenhague en 2001.
2.7À une date ultérieure en 2002, après le rejet de sa demande d’asile, le requérant a quitté le Danemark pour la Suède où il a demandé l’asile et un regroupement familial. À une date non spécifiée, les autorités suédoises en matière d’asile ont rejeté sa demande d’asile pour manque de crédibilité, elles l’ont renvoyé au Danemark le 19 septembre 2003, en vertu du paragraphe1)e) de l’article 10 de la Convention relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes (Convention de Dublin).
2.8Le 13 octobre 2003, la Commission de recours a demandé au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de donner des informations concernant le statut de réfugié du requérant en Roumanie. Le 10 janvier 2005, le HCR a indiqué que le requérant avait demandé le statut de réfugié en Roumanie le 13 octobre 1996. Le 13 août 1997, il avait obtenu l’asile pendant trois ans dans ce pays, au motif de son appartenance au PRK depuis 1976, de son emprisonnement entre 1983 et 1991 et des mauvais traitements subis en détention. Son permis de séjour en Roumanie avait été prolongé jusqu’au 11 août 2002. Toutefois, comme il n’avait pas demandé de nouvelle prorogation de son permis, il ne pouvait pas redevenir résident en Roumanie. Le 15 septembre 2005, la Commission de recours a reçu une copie du dossier de demandeur d’asile du requérant émanant du HCR.
2.9Dans l’intervalle, le requérant a quitté le Danemark pour l’Allemagne, sans en informer les autorités danoises. Ses tentatives pour se marier en Allemagne sont restées infructueuses car il n’avait pas de passeport. Le 30 mai 2005, les autorités allemandes l’ont renvoyé au Danemark.
2.10Le 5 avril 2006, la Commission de recours a informé le requérant de sa décision de réexaminer son cas. Lors de l’audition devant la Commission de recours, le requérant a confirmé qu’il avait obtenu le statut de réfugié en Roumanie et qu’il y était resté pendant sept ans. Il a ajouté que ses relations avec le PRK avaient pris fin en 2000 et que, par conséquent, il n’avait pas pris contact avec le PRK au Danemark. Concernant le risque d’être soumis à des mauvais traitements s’il était renvoyé en Turquie, il a déclaré que les autorités turques le reconnaîtraient, même s’il avait cessé ses activités pour le PRK, qu’au pire il serait convoqué pour le service militaire, qu’il risquerait d’être emprisonné pendant douze ans afin de purger le restant de la peine prononcée en 1988, et/ou pendant sept ans, si les autorités turques l’accusaient d’avoir dirigé le PRK en Turquie, et qu’il ferait l’objet d’une disparition forcée.
2.11Le 28 juin 2006, la Commission de recours a rejeté la demande d’asile du requérant pour manque de crédibilité et a conclu que celui‑ci n’avait pas démontré qu’il risquait d’être persécuté s’il était renvoyé de force en Turquie. La Commission de recours n’a pas demandé d’examen médical du requérant. Rien dans le dossier n’indique non plus que le requérant ait demandé un tel examen.
2.12Le 8 août 2008, le Bureau du HCR en Roumanie a informé le requérant que, comme il n’avait pas demandé de prorogation de son statut de réfugié en Roumanie, il n’était plus considéré comme réfugié dans ce pays. Le HCR a fait observer que l’expiration de son statut de réfugié pouvait être contestée devant les tribunaux roumains, mais qu’il s’agissait d’une procédure généralement longue dont l’issue était difficile à prévoir.
2.13Le 28 juin 2011, le requérant a été renvoyé en Turquie par les autorités danoises.
2.14Le requérant fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles étant donné que les décisions de la Commission de recours ne sont pas susceptibles d’appel.
Teneur de la plainte
3.1Le requérant affirme que son renvoi forcé vers la Turquie constitue une violation par le Danemark de ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Il affirme avoir fourni un commencement de preuve au Comité étant donné qu’il a obtenu le statut de réfugié en raison de l’existence d’un risque d’être persécuté dans son pays d’origine. Il ajoute que, selon des rapports d’organisations internationales, la situation des droits de l’homme en Turquie est problématique au regard de la Convention. Même si la situation générale a changé dans le pays depuis qu’il l’a quitté en 1994, la situation des Kurdes ayant des activités politiques reste difficile. Si les autorités danoises ont mis en doute sa crédibilité, elles n’ont toutefois pas contesté le fait qu’il a été torturé et emprisonné en Turquie. Le requérant explique l’absence de documents médicaux à l’appui de son allégation de torture par le fait que les autorités danoises n’ont pas procédé à un examen médical. Il souligne qu’il a eu des activités politiques depuis les années 1980 et qu’il devra purger le restant de sa peine de prison, soit douze ans, s’il est renvoyé en Turquie.
3.2Le requérant affirme aussi être victime d’une violation de ses droits au titre du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention du fait que les autorités danoises n’ont pas enquêté sur son cas, et plus particulièrement qu’elles n’ont pas procédé à un examen médical, et en raison du défaut de motivation des décisions de la Commission de recours concernant le risque de torture auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Turquie.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 3 janvier 2012, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que le grief formulé au titre de l’article 3 doit être déclaré irrecevable car le requérant n’a pas réussi à fournir un commencement de preuve aux fins de la recevabilité conformément à l’article 22 de la Convention et à l’article 107 du règlement intérieur du Comité. À titre subsidiaire, l’État partie estime qu’aucune violation de l’article 3 de la Convention n’a été commise pour ce qui est du fond.
4.2L’État partie rappelle les faits. En ce qui concerne la procédure interne de demande d’asile, il déclare que le requérant est entré au Danemark sans documents de voyage valables, le 11 mars 2001, et a demandé l’asile le 19 mars 2001. Le 26 juin 2002, le Service de l’immigration danois a rejeté sa demande, décision qui a été confirmée par la Commission de recours le 8 novembre 2002. Le 5 avril 2006, la Commission de recours a décidé de rouvrir la procédure à la lumière des informations reçues du HCR. Le 28 juin 2006, la Commission de recours a confirmé la décision du 26 juin 2002. Le 4 juillet 2007, le frère et la belle-sœur du requérant ont demandé la réouverture de la procédure. Le 27 septembre 2007, la Commission de recours a informé le requérant que la demande de réouverture de la procédure ne pouvait être examinée car la Commission ne connaissait pas son lieu de résidence. Le 16 juin 2011, le conseil du requérant a demandé la réouverture de la procédure, demande qui a été rejetée par la Commission de recours le 27 juin 2011.
4.3L’État partie explique en détail le droit danois applicable en matière d’asile et ses obligations internationales, dont la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il décrit en outre l’organisation et le processus de prise de décisions de la Commission de recours pour les réfugiés. Il note, en particulier, que la Commission est un organe quasi judiciaire indépendant, composé de deux juges et d’autres membres, dont des avocats ou des fonctionnaires du Ministère de la justice, qui n’appartiennent pas au secrétariat de la Commission; les membres de la Commission sont indépendants et ne peuvent accepter ni solliciter de directives de l’autorité de nomination. Les décisions de la Commission ne sont pas susceptibles d’appel. Il peut être faire appel devant les tribunaux nationaux en vertu de la Constitution danoise, mais cette possibilité est limitée aux questions de droit et ne permet pas de réexaminer l’appréciation des preuves. L’État partie ajoute que, comme le veut la pratique normale, le requérant s’est vu attribuer un conseil, et qu’ils ont eu tous deux la possibilité d’étudier le dossier et la documentation de base avant la réunion de la Commission. Étaient également présents à cette audition un interprète ainsi qu’un représentant du Service danois de l’immigration. La Commission a procédé à un examen complet et approfondi de tous les éléments de preuve.
4.4En outre, lorsque les autorités danoises de l’immigration prennent des décisions sur des demandes d’asile, elles évaluent la situation des droits de l’homme dans le pays de destination, ainsi que le risque de persécution individuelle encouru dans ce pays. Par conséquent, le requérant utilise le Comité exclusivement comme un organe d’appel, afin d’obtenir une nouvelle évaluation de sa demande, qui a déjà été examinée de manière approfondie par les autorités danoises d’immigration. En ce qui concerne le paragraphe 9 de l’Observation générale no 1 (1997) du Comité contre la torture sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention contre la torture, l’État partie estime que le Comité est plutôt un organe de surveillance et devrait accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par les autorités danoises, en particulier la Commission de recours.
4.5Quant à la question de savoir s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture en Turquie, l’État partie renvoie aux décisions de la Commission de recours du 8 novembre 2002 et du 28 juin 2006 dans leur totalité. Il rappelle les raisons qui ont amené la Commission à conclure que le requérant n’avait pas apporté la preuve de l’existence d’un tel risque, en particulier qu’il avait fait des déclarations contradictoires concernant son activité politique et ses lieux de résidence, qu’il n’avait pas établi le risque d’être soumis à une peine disproportionnée du fait qu’il n’avait pas accompli son service militaire et qu’il avait pu vivre sous son propre nom, obtenir un permis de conduire et entrer en Turquie et en sortir librement après sa libération conditionnelle en 1991.
4.6L’État partie conteste la crédibilité des déclarations du requérant et souligne les incohérences ci-après. Premièrement, le requérant a déclaré aux autorités roumaines qu’il s’était rendu en Grèce après sa libération en 1991 et était retourné en Turquie en 1992, alors qu’il a déclaré aux autorités danoises qu’il s’était rendu dans la région d’Adana après sa libération. Lorsqu’il a été mis face à ces incohérences, le requérant a répondu qu’il les jugeait sans importance. Deuxièmement, en ce qui concerne ses activités politiques après sa libération, il a déclaré devant la Commission de recours en 2002 qu’il avait été représentant du PRK mais n’avait pas recruté de nouveaux membres, alors qu’en 2006, il a déclaré avoir recruté de nouveaux membres du parti et leur avoir expliqué la réalité sociale et historique du Kurdistan. Troisièmement, alors qu’en 2006 il a déclaré aux autorités avoir demandé l’asile en Roumanie en 1997, il ressort de son dossier roumain de demandeur d’asile qu’il a demandé l’asile à l’ambassade de Grèce en Roumanie en 1996. Vu ces incohérences, pour lesquelles le requérant n’a pas fourni d’explication raisonnable, l’État partie n’est pas en mesure d’accepter ses déclarations.
4.7Au sujet de la décision de la Commission de recours du 8 novembre 2002, l’État partie réfute l’affirmation du requérant selon laquelle l’évaluation de sa crédibilité a été fondée sur le fait qu’il n’avait pas notifié son statut de réfugié en Roumanie aux autorités danoises. Il explique que la Commission ignorait alors qu’il ne l’avait pas fait. L’État partie ajoute que le fait que le requérant ait obtenu le statut de réfugié dans le passé, dans un autre pays, n’est pas suffisant en soi pour conclure que son renvoi en Turquie serait contraire à l’article 3 de la Convention.
4.8Quant à l’affirmation du requérant selon laquelle les autorités danoises ont omis de procéder à un examen médical, l’État partie déclare que le cas du requérant ne justifiait pas un tel examen compte tenu de la conclusion de la Commission de recours selon laquelle le requérant n’avait pas établi qu’il risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Turquie. L’État partie explique que la Commission peut demander un examen médical dans les cas où le requérant invoque la torture comme motif pouvant justifier l’octroi de l’asile. La décision touchant la nécessité de procéder à un tel examen est généralement prise lors d’une audition devant la Commission. La nécessité d’un tel examen est déterminée au cas par cas et dépend particulièrement de la crédibilité des allégations concernant la torture. Si la Commission considère qu’une telle allégation est crédible mais n’établit pas l’existence d’un risque réel et actuel d’être torturé en cas de renvoi, aucun examen médical ne sera normalement effectué. De même, un tel examen ne sera pas nécessaire si la Commission considère qu’un demandeur d’asile n’a pas été crédible pendant toute la procédure, et si elle rejette l’allégation de torture dans son ensemble. Toutefois, si la Commission considère qu’un demandeur d’asile répond aux critères requis pour obtenir un permis de résidence en vertu de l’article 7 sur la loi relative aux étrangers mais que l’exactitude de sa déclaration reste contestable, un examen médical peut être effectué. L’État partie fait également valoir que les tortures que le requérant aurait subies pendant son emprisonnement entre 1983 et 1991 ne constituent pas en elles-mêmes une raison suffisante pour que l’asile lui soit accordé.
4.9L’État partie conteste la pertinence des renvois que fait le requérant à la jurisprudence du Comité. Il fait valoir que les auteurs des communications nos 373/2009 et 349/2008 étaient des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK) qui avaient participé à sa lutte armée et risquaient par conséquent d’être persécutés en vertu de la loi antiterroriste turque. Les communications nos 409/2009 et 460/2011, concernant des affaires dans lesquelles la Commission de recours a rouvert la procédure d’asile et accordé des permis de résidence aux requérants, ont été présentées par des ressortissants de la République arabe syrienne et de l’Érythrée, respectivement. Il convient cependant de noter que les faits doivent être distingués en fonction notamment d’informations propres à la République arabe syrienne et à l’Érythrée, par comparaison à la Turquie, dans le cas présent.
4.10Quant à la mention que fait le requérant de la description des tortures qu’il aurait subies figurant dans la décision de la Commission de recours de 2002, l’État partie précise que le texte de la décision se borne à reproduire les déclarations qu’il a faites aux autorités danoises en matière d’asile, ce qui ne signifie pas que la Commission de recours les a considérées comme véridiques.
4.11Dans l’éventualité où le Comité jugerait la requête recevable, l’État partie déclare que le requérant n’a pas établi que son renvoi en Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Selon le paragraphe 5 de l’Observation générale no 1, il incombe au requérant de présenter des arguments défendables. En outre, le risque pour le requérant d’être soumis à la torture doit être apprécié sur la base d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons et, s’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, ce risque doit être réel, personnel et actuel, selon les paragraphes 6 et 7 de l’Observation générale no 1. L’État partie invoque la jurisprudence du Comité et déclare, au sujet des arguments qu’il a présentés aux paragraphes 4.3 à 4.10 ci‑dessus, que le requérant n’a pas établi l’existence d’un tel risque pour lui, en Turquie. Par conséquent, son renvoi en Turquie ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.
Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie
5.1Le 26 février 2012, le requérant a expliqué qu’il était globalement d’accord avec la description des faits donnée par l’État partie, mais que l’État partie avait omis de signaler que la demande de réouverture de la procédure présentée par le conseil en 2011 contenait également une demande d’examen médical, qui avait été rejetée par la Commission de recours le 27 juin 2011. Le requérant conteste l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’un examen médical n’était pas nécessaire dans son cas à cause du manque de crédibilité. Au contraire, un tel examen aurait dû avoir lieu précisément parce que sa crédibilité était en cause. Le requérant fait valoir que son expulsion vers la Turquie, avec le rejet de sa demande d’examen médical, constituait une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 3 de la Convention. Il fait aussi valoir que, dans ces circonstances, les observations de l’État partie sur le fond sont insuffisantes.
5.2Le requérant souligne en outre plusieurs problèmes concernant l’organisation et le processus de prise de décisions de la Commission de recours. Premièrement, les décisions de la Commission, notamment son appréciation des preuves, ne peuvent être contestées devant une juridiction supérieure. Deuxièmement, elle manque d’impartialité car l’un de ses trois membres est un fonctionnaire du Ministère de la justice danois, qui instruit les demandes de permis de résidence pour motifs humanitaires déposées par les demandeurs d’asile déboutés.
5.3Le requérant souligne qu’en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés, l’asile peut être accordé aux personnes ayant subi des tortures avant de fuir un pays, même si le risque de persécution en cas de retour dans ce pays n’a pas été établi. Néanmoins, et malgré le fait que le paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers renvoie à la définition du réfugié figurant dans la Convention relative au statut des réfugiés, un permis de résidence ne peut être accordé que s’il existe un risque, pour une personne qui a été victime de torture dans le passé, d’être de nouveau soumise à la torture si elle est renvoyée dans son pays d’origine. Par conséquent, il est important d’autoriser un examen médical concernant des tortures subies dans le passé, même s’il n’y a pas de preuve que des persécutions ou des tortures se produiront dans l’avenir. En outre, un examen médical peut venir à l’appui de la description des tortures subies donnée devant la Commission de recours, étant donné que cette dernière peut «oublier» que la torture subie dans le passé pourrait aboutir à la reconnaissance du statut de réfugié en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés, même si le risque de persécution ou de torture n’existe plus. De plus, en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, le risque d’être soumis à la torture ou à la persécution doit être réel. Le requérant affirme qu’il est difficile d’apprécier le sens du terme «réel» mais qu’il pourrait signifier «hautement probable», condition qui n’est pas requise par la Convention.
5.4Le requérant fait valoir que l’État partie ne renvoie pas spécifiquement à la Convention dans certaines parties de ses observations, ce qui laisse penser que la législation danoise et la pratique de la Commission de recours ne sont peut-être pas conformes à l’article 3 de la Convention et à l’Observation générale no 1. Contrairement à la Convention européenne des droits de l’homme, les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale n’ont pas été incorporés dans la législation interne, malgré les recommandations à cet effet émanant des organes conventionnels respectifs.
5.5Le requérant souligne en outre qu’il n’y a pas eu d’audition au sujet de la demande d’examen médical présentée par son conseil. Selon le requérant, les autorités danoises n’ont pas estimé que son allégation concernant la détention et les tortures dont il a fait l’objet dans le passé aux mains des autorités turques ainsi que la mention de la jurisprudence récente du Comité concernant la Turquie constituaient un motif suffisant pour procéder à un examen médical afin de détecter des signes de torture. Les autorités danoises n’ont pas appliqué de traitement spécial à son égard et l’ont en outre placé dans un camp de rétention fermé en attendant l’expulsion. Selon le requérant, dans les cas où la torture est invoquée dans une demande d’asile, les autorités devraient chercher à convaincre le demandeur d’asile de se soumettre à un examen médical afin d’étayer ses allégations de torture. Les autorités n’ont pas cherché à obtenir un tel accord de la part du requérant, alors qu’il était disposé à subir un examen médical.
5.6Le requérant réaffirme que l’asile devrait être accordé aux victimes de tortures antérieures, indépendamment du risque qu’elles courent d’être soumises à la torture en cas de renvoi dans leur pays d’origine. À cet égard, un examen médical est la seule manière de prouver qu’il y a eu des tortures dans le passé. Le requérant reconnaît qu’il n’est pas apparu crédible pendant l’ensemble de la procédure et que la Commission de recours a rejeté entièrement son allégation de torture. Il affirme toutefois que, même si la Commission «n’a pas directement rejeté» sa déclaration concernant son emprisonnement et les tortures subies, elle n’a pas expliqué les doutes qu’elle avait à ce sujet mais, au contraire, «a déduit immédiatement qu’il n’y avait pas de risque de torture en cas de renvoi».
5.7Le requérant ajoute que les critères utilisés par la Commission de recours pour décider ou non de procéder à un examen médical sont difficiles à comprendre. Il suppose qu’il n’a pas rempli les conditions requises. En même temps, il affirme que l’absence de risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé du Danemark ne saurait être évaluée seulement sur la base de ses déclarations concernant le voyage en Grèce et le retour en Turquie, car les déclarations en question ne permettent pas d’établir qu’il n’a pas été torturé alors qu’il était entre les mains des autorités turques. Selon l’Observation générale no 1, la crédibilité du requérant n’est qu’un élément parmi beaucoup d’autres permettant d’évaluer le risque de torture en cas de renvoi. Dans les circonstances qui sont les siennes, un examen médical était nécessaire, en particulier compte tenu de l’obligation incombant à l’État partie, en vertu du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, de tenir compte de toutes les considérations pertinentes pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture dans son pays d’origine.
5.8Le requérant est en désaccord avec l’argument de l’État partie selon lequel sa communication est irrecevable car manifestement infondée. Il déclare que la Turquie est un pays où il y a des violations des droits de l’homme graves, flagrantes et massives, ce qui est confirmé par les récentes observations finales du Comité sur la Turquie. L’État partie n’a pas directement nié que le requérant avait été emprisonné et soumis à des actes de violence aux mains des autorités turques. Un examen médical aurait dû être effectué afin de dissiper les incohérences à ce sujet. Par conséquent, le Comité devrait déclarer la communication recevable et l’examiner quant au fond.
5.9Le requérant fait valoir que les incohérences de ses déclarations aux autorités danoises en matière d’asile étaient mineures et, par conséquent, n’entraient pas en ligne de compte pour l’examen de sa demande d’asile. Il n’a tout d’abord pas donné d’information sur sa résidence en Roumanie car il ne voulait pas être renvoyé dans ce pays où il ne se trouvait pas en sécurité parce que les autorités turques l’y avaient localisé. Il ne partage pas l’avis de l’État partie selon lequel son renvoi en Turquie, alors qu’il a obtenu le statut de réfugié en Roumanie, ne constituerait pas un motif suffisant pour conclure à une violation de l’article 3 de la Convention. Il rejette également l’argument de l’État partie selon lequel les tortures qu’il aurait subies en prison entre 1983 et 1991 ne sont pas un motif suffisant pour obtenir l’asile. Au sujet du refus des autorités danoises de procéder à un examen médical pour détecter des marques de torture, le requérant affirme que l’État partie n’a pas analysé sa communication au regard du paragraphe 8, alinéas b à e, de l’Observation générale no 1. Le fait d’avoir été reconnu comme réfugié en Roumanie, en raison d’une crainte fondée d’être persécuté en Turquie, devrait se traduire par l’octroi du statut de réfugié au Danemark.
5.10Le requérant réaffirme que les communications nos 373/2009 et 349/2008 présentent un intérêt en l’espèce. Même s’il n’était pas membre du PKK, le requérant était engagé politiquement; l’État partie n’a toutefois pas mentionné le paragraphe 8, alinéa e, de l’Observation générale no 1 dans son évaluation du risque de torture en cas de renvoi en Turquie. Ces communications sont également à prendre en considération au regard du paragraphe 8, alinéa a, de l’Observation générale no 1 parce qu’elles contiennent l’analyse par le Comité de la situation des droits de l’homme en Turquie, qui est caractérisée par la persistance de violations graves et flagrantes des droits de l’homme. Le requérant renvoie également aux observations finales du Comité concernant la Turquie pour souligner que la torture est un problème majeur dans les prisons turques et que, malgré cela, lesdites observations finales n’ont pas été incluses dans la documentation de base sur le pays rassemblée par la Commission de recours. Il n’y a par conséquent aucune raison de croire que seuls les membres du PKK, persécutés en vertu de la loi antiterroriste turque, sont soumis à la torture en Turquie.
5.11Quant aux communications nos 409/2009 et 460/2011, elles illustrent, selon le requérant, le fait que les autorités danoises ont négligé leur devoir de soumettre à un examen médical les personnes ayant fait l’objet de torture dans des pays où il existe un ensemble de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme, avant de rejeter leur demande d’asile.
5.12Le requérant fait valoir que la Commission de recours avait le devoir de rendre une décision explicite sur le point de savoir si elle ajoutait foi à la déclaration du requérant selon laquelle il avait été torturé avant de fuir la Turquie. Il n’y a pas eu de décision sur ce point dans son cas, alors que ses allégations de torture sont de la plus haute importance pour l’évaluation des éléments mentionnés aux alinéas b et c du paragraphe 8 de l’Observation générale no 1. Par conséquent, son cas est analogue à celui de la communication no 339/2008, dans laquelle le Comité a établi que l’État partie n’avait jamais nié le fait que le requérant, un ressortissant iranien politiquement engagé, avait été torturé dans le passé, et a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention en raison de son renvoi forcé vers la République islamique d’Iran.
5.13Le requérant estime que les observations de l’État partie sur le fond doivent être réfutées, car elles ne contiennent aucune mention des motifs énumérés aux alinéas a à g du paragraphe 8 de l’Observation générale no 1.
5.14Le conseil du requérant déclare que, selon des membres de la famille, celui‑ci a été placé en détention après son arrivée en Turquie. À la date du 16 mars 2014, le conseil n’avait pas d’information sur le point de savoir si le requérant serait libéré et quand. Il craint que le requérant ne soit soumis à la torture en détention.
5.15En conclusion, le requérant déclare que son renvoi en Turquie constitue une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 3 de la Convention. Premièrement, en rejetant sa demande d’asile, le 26 juin 2002 et le 27 juin 2011, sans procéder à un examen médical, les autorités danoises n’ont pas pris en compte tous les éléments à prendre en considération pour déterminer le risque pour le requérant d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Turquie, en violation du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention. Deuxièmement, le fait de refuser un examen médical aux demandeurs d’asile et de ne pas autoriser la présentation de preuves sous la forme de cet examen médical constitue un sujet de préoccupation dans un certain nombre de communications visant l’État partie. Le requérant exprime l’espoir que son cas permettra de déterminer exactement l’obligation incombant aux États parties de prendre en considération ce type de preuves, en vertu des alinéas a à e du paragraphe 8 de l’Observation générale no 1. Enfin, le requérant demande une indemnité pour les souffrances qui lui ont été infligées en raison de son expulsion forcée. Le conseil demande pour finir au Comité de se faire préciser par les autorités turques la situation actuelle du requérant.
Observations complémentaires de l’État partie
6.Le 13 avril 2012, l’État partie a réitéré ses observations précédentes et fourni de nouvelles informations concernant les commentaires du requérant. Il approuve en particulier l’argument selon lequel, en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés, ce statut peut être accordé aux personnes éprouvant une crainte subjective, sans que cette crainte soit fondée sur des circonstances objectives et vérifiables. L’État partie fait toutefois valoir que l’application de la Convention relative au statut des réfugiés ne relève pas du mandat du Comité et il rejette l’argument du requérant comme n’ayant pas à être pris en considération pour l’évaluation du risque au regard de la Convention contre la torture. L’État partie déclare que la question de la crainte subjective est fondée sur le même récit, les mêmes preuves et les mêmes faits que ceux présentés aux autorités danoises, qui les ont soigneusement examinés.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie n’a pas contesté en l’espèce que tous les recours internes avaient été épuisés.
7.3Le Comité note que l’État partie estime que la communication est irrecevable car manifestement dépourvue de fondement. Le Comité considère toutefois que les arguments présentés par l’auteur soulèvent des questions importantes, qui devraient être examinées au fond. En conséquence, il ne voit pas d’obstacle à la recevabilité et déclare la communication recevable. L’État partie et l’auteur ayant l’un et l’autre présenté des observations sur le fond de la communication, le Comité procède sans plus attendre à son examen au fond.
Examen au fond
8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.
8.2Concernant le grief tiré par le requérant de l’article 3 de la Convention, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour dans son pays d’origine. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
8.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable», le Comité fait observer que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.
8.4Le Comité note que le requérant affirme qu’il a été torturé pendant son emprisonnement en Turquie, entre 1983 et 1991, et que l’État partie aurait dû ordonner un examen médical pour vérifier la véracité de ses allégations. Le Comité note toutefois que les autorités de l’État partie ont procédé à un examen approfondi de tous les éléments présentés par le requérant, ont conclu qu’ils n’étaient guère crédibles et n’ont pas jugé nécessaire d’ordonner un examen médical. En outre, le Comité note que la demande d’examen médical a été formulée par le requérant à un stade très tardif, c’est-à-dire dans le cadre de la deuxième demande de réouverture de la procédure d’asile, présentée à la Commission de recours au nom du requérant en 2011. Qui plus est, le Comité doute de l’utilité d’un examen médical effectué plus de vingt ans après les actes de torture allégués.
8.5Le Comité fait en outre observer que, même s’il devait ajouter foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il a été soumis à la torture dans le passé, spécialement à la lumière du statut de réfugié qui lui a été accordé par les autorités roumaines, la question qui se pose est celle de savoir si le requérant risque actuellement d’être torturé en Turquie. Le Comité note tout d’abord l’information qui figure dans le dossier et n’a pas été contestée selon laquelle le statut de réfugié du requérant a pris fin après son départ volontaire de Roumanie et selon laquelle il n’est plus reconnu comme réfugié dans aucun pays. Il note en outre l’allégation du requérant selon laquelle il serait emprisonné s’il était renvoyé en Turquie, que ce soit pour purger le restant de la peine prononcée en 1988 ou pour répondre de l’accusation d’avoir dirigé le parti politique PRK en Turquie avant son départ de ce pays dans les années 1990. À ce sujet, le Comité relève que le requérant a déclaré avoir cessé ses activités pour le PRK en 2000 au plus tard. Il note également l’information fournie par le conseil selon laquelle le requérant a été placé en détention en Turquie après avoir été expulsé du Danemark le 28 juin 2011.
8.6Le Comité a pris note de l’allégation du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Turquie, en particulier parce qu’il était affilié au PRK et qu’il n’a pas accompli son service militaire. Il a également noté le fait que le requérant a mentionné la situation générale des droits de l’homme en Turquie et les observations finales du Comité mettant en relief la pratique de la torture dans les prisons turques. Le Comité rappelle cependant que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante, en soi, pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé. Le Comité note également que le requérant n’a présenté aucun autre élément indiquant qu’après son renvoi en Turquie il aurait été emprisonné en raison de ses activités politiques passées ou du non-accomplissement du service militaire, qu’il se serait vu infliger une peine disproportionnée à ce titre, ou qu’il aurait fait l’objet d’un traitement contraire aux dispositions de la Convention. Dans ces circonstances, le Comité considère que les éléments figurant au dossier ne permettent pas de considérer que les autorités danoises, qui ont examiné le cas, n’ont pas procédé à une enquête en bonne et due forme. En outre, le Comité note qu’aucun autre élément du dossier ne permet d’établir que, plus de vingt ans après les actes de torture allégués, le requérant courrait encore un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé ou soumis à un traitement inhumain et dégradant dans son pays d’origine.
8.7Le Comité rappelle le paragraphe 5 de son Observation générale no 1, dans lequel il indique que c’est à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables. Dans les circonstances de l’espèce, de l’avis du Comité, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait.
9.Compte tenu des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres informations pertinentes dans le dossier, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion par l’État partie du requérant vers la Turquie ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]