Nations Unies

CAT/C/52/D/477/2011

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25 juin 2014

Original: français

Comité c ontre la t orture

Communication n o 477/2011

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-deuxième session (28 avril-23 mai 2014)

Présentée par:Ali Aarrass(représenté par MesDounia Alamat etChristophe Marchand)

Au nom de:Le requérant

État partie:Maroc

Date de la requête:3 octobre 2011 (lettre initiale)

Date de la présente décision:19 mai 2014

Objet:Torture en garde à vue

Question s de procédure:Épuisement des recours internes

Questions de fond:Torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; obligation de l’État partie de procéder immédiatement à une enquête impartiale; interdiction d’invoquer comme preuve des déclarations obtenues par la torture

Articles de la Convention:Articles 2, paragraphe 1; 11, 12, 13 et 15

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (cinquante-deuxième session)

concernant la

Communication n o 477/2011

Présentée par:Ali Aarrass (représenté par Mes Dounia Alamat etChristophe Marchand)

Au nom de:Le requérant

État partie:Maroc

Date de la requête:3 octobre 2011(lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le19 mai 2014,

Ayant achevé l’examen de la requête no477/2011, présentée par Ali Aarrass en vertu de l’article22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Ayant tenu comptede toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est Ali Aarrass, de nationalité belgo-marocaine. Il affirmeêtre victime d’une violation des articles2, 11, 12, 13 et 15 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 15 juin 2012, le Comité a informé l’État partie qu’il avait décidé de joindre l’examen de la recevabilité à celuidu fond.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 1er avril 2008, le requérant a été interpellé en Espagne et placé ensuite en détention,dans le cadre d’un mandat d’arrêt international délivré par le Maroc pour des faits d’appartenance à une organisation terroriste. Le Maroc a sollicité son extradition et, suite à la procédure quia eu lieu à cet égard,l’Espagne a remis le requérant aux autorités marocaines le 14décembre2010.

2.2Dès son arrivée à Casablanca, le requérant a été placé en gardeàvuedans un endroit qu’il n’a pas pu identifier car il y a été emmené les yeux bandés.Il affirme avoir ensuite été soumis pendant quatre à cinq jours à des sessions répétées de torture comportant des coups de bâtons et des gifles donnés par plusieurs personnes, des opérations d’électrocution, l’étranglement en plongeant la tête dans un seau d’eau jusqu’à évanouissement, etàla privation de sommeil, de nourriture et d’eau, la menace de viol et le viol lui-même à l’aide de bouteilles en verre. On lui aurait administré à plusieurs reprises des injections à la suite desquelles il était en proie à des crises de démence et d’inconscience. À deux reprises il a été conduit dans une forêt aux environs de Nador, menacé de mort et assujetti à une simulation d’assassinat par balles. Il a passé quelques jours dans un lieu de détention à Temara où il aurait subi les mêmes séries de tortures. Il y est resté jusqu’au 23décembre 2010, date de son transfert à Casablanca et de sa remise à la brigade nationale de la police judiciaire, dans un état de santé grave, incapable de parler ou de bouger.À la suite de ce traitement, le requérant a signé des aveux pré-rédigés en arabe, langue qu’il ne maîtrise pas. Le 24décembre 2010, le requérant a été présenté au juge d’instruction du détachement de la cour d’appel de Salé, qui n’a pas acté ses multiples blessures ni sollicité la réalisation d’une expertise médicale.

2.3Après l’extradition, sa famille n’a eu connaissance de son sort que par un article paru dans la presse le 27décembre 2010. Ils ont alors contacté un avocat qui a pu se mettre en contact avec le requérant ce même jour à la prison de SaléII. L’avocat a constaté que le requérant était terrifié et incapable de parler et de bouger. Il est resté pendant plusieurs jours dans cet état, incapable de parler du traitement qu’il avait subi. Dans les semaines qui ont suivi, il a refusé de porter plainte de peur de subir à nouveau des tortures.

2.4Le requérant a comparu de nouveau devant le juge d’instruction le 18janvier 2011. Cette fois-ci il était accompagné par son avocat, qui a formulé des allégations de mauvais traitements. Or, le juge a refusé de les acter. Le requérant n’a pas non plus été soumis à un examen médical, malgré le fait queles articles73, alinéa5, et 134, alinéa5, duCode de procédure pénale stipulent que le procureur et/ou le juge d’instruction doivent soumettre l’inculpé à un examen médical lorsqu’ils constatent des indices justifiant cet examen.

2.5Le 11février 2011, les conseils du requérant ont adressé une lettre au Ministre de la justice pour solliciter la réalisation d’une expertise médicale par des experts internationaux indépendants. Le 18mars 2011, le Ministre de la justice a rejeté cette demande en indiquant que l’incarcération avait eu lieu en toute légalité et dans le respect des droits et de la dignité du requérant; qu’il ne s’était jamais plaint d’avoir subi des actes de torture, que ce soit devant le parquet général ou devant le juge d’instruction; que ni le requérant ni son conseil marocain n’avaient demandé une quelconque expertise médicale ni présenté une plainte à cet égard; et que le requérant demeurait en droit de demander d’être soumis à une expertise médicale par les services de santé marocains, selon les dispositions de la législation marocaine.

2.6Le 13 mai 2011, le requérant a adressé une plainte au Procureur général près la cour d’appel de Rabat dénonçant les faits de torture dont il avait été victime, mais cette plainte a été classée sans suite le 29septembre 2011. Il a aussi dénoncé les faits de torture devant le Conseil national des droits de l’homme le 2mai et le 29juillet 2011. Le 26mai 2011, le barreau de Bruxelles a adressé une lettre au Ministre de la justice du Maroc lui demandant qu’il autorise une enquête médico-légale réalisée par des experts marocains et étrangers.

2.7Le procès contre le requérant s’est déroulé devant la cour d’appel de Rabat siégeant en matière de terrorisme à Salé. Le requérant a comparu devant la cour le 22avril 2011 et le 15septembre 2011. Lors de cette deuxième audience, ses avocats ont plaidé à propos des errements de la procédure, notamment les mauvais traitements subis. Cependant, la cour a rejeté toutes les demandes, y compris celle visant la nullité des déclarations du requérant formulées pendant la gardeàvue en raison de leur obtention par la contrainte. Elle a aussi refusé de reporter l’étude du dossier jusqu’à ce qu’une enquête effective soit menée sur les allégations de torture.

2.8L’audience devant la cour a eu lieu le 24 novembre 2011. Le requérant a été condamné à 15 ans d’emprisonnement pour participation à un groupe terroriste etacquisition d’armes pour ce groupe. Selon le requérant,le dossier contre lui ne contient aucun élément objectif démontrant une quelconque implication dans un groupe terroriste et est essentiellement constitué des «aveux» obtenus sous la torture et rétractés ultérieurement.Cependant, la cour a considéré comme valables ces premiers procès-verbaux, rédigés en arabe sans l’assistance d’un interprète, parce qu’ils seraient signés par le requérant, alors même que la cour a eu recours aux services d’un interprète lors des audiences. La cour a affirmé qu’aucune demande n’avait été formulée quant à la torture, alors qu’en février 2011 une demande d’expertise médicale avait été adressée au Ministre de la justice et qu’une plainte pour faits de torture, ultérieurement classée sans suite, avait été déposée en mai2011.

2.9Dans la prison de Salé II, le requérant ne jouit pas d’entretiens confidentiels avec ses avocats, car il y a toujours un homme en civil qui se trouve à proximité et peut entendre la conversation. Les avocats se sont plaints à ce sujet, en particulier dans des lettres du 18novembre 2011 adressées au Ministre de la justice et au Délégué général à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, mais ils n’ont reçu aucune réponse. Concernant son régime de détention, le requérant affirme avoir été placé en isolement total pendant plusieurs mois, au cours desquels il ne pouvait pas correspondre avec ses conseils, sa famille ou ses proches. Le requérant n’a jamais été informé du règlement qui lui était appliqué ni des raisons qui justifiaient ce régime. Il n’a pas non plus été informé des raisons qui ont motivé l’assouplissement progressif de ce régime.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant estime que les faits exposés constituent une violation des articles2, paragraphe1; 11, 12, 13 et 15 de la Convention.

3.2Concernant l’article2, paragraphe1, le requérant estime que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis à son encontre. Cette violation est d’autant plus grave qu’il a attiré l’attention du Ministre de la justice sur ces faits, sollicité la réalisation d’une expertise médicale et, enfin, déposé officiellement plainte. Or, les autorités n’ont pas réagi.

3.3Concernant l’article11, le requérant estime que si l’État partie avait respecté ses obligations découlant de cette disposition il n’aurait pas souffert les traitements qu’on lui a infligés afin d’obtenirses «aveux». Cela fait des années que l’État partie est confronté à de nombreuses allégations de torture mais ne modifie en rien son comportement. Le Ministre de la justice avait pourtant été alerté des préoccupations des conseils du requérant quant à son état de santé dès le 16décembre2010.

3.4Concernant les articles 12 et 13 de la Convention, compte tenu des faits particuliers de la cause et du contexte dans lequel elle s’inscrit, il est indéniable qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le requérant a été torturé. Il a été interrogé à plusieurs reprises par les autorités espagnoles dans le cadre des deux instructions ouvertes à son encontre en Espagne du chef d’infractions terroristes. Pendant les trois années d’enquête, qui ont abouti à un non-lieu, il a toujours contesté appartenir à une quelconque association terroriste. Il est dès lors impensable qu’il soit tout à coup passé aux aveux lorsqu’il a été remis aux autorités marocaines.

3.5Au Maroc, aucune enquête prompte et approfondie répondant aux exigences de la Convention n’a été menée. Tout d’abord, le juge d’instruction aurait dû réagir dès la première comparution du requérant en décembre 2010. Ensuite, la cour d’appel de Rabat siégeant à Salé, en première instance, n’a ni demandé la jonction des pièces de la procédure concernant les allégations de torture ni ordonné des mesures d’instruction de cette plainte. L’enquête concernant cette plainte n’a pas cherché à identifier les auteurs des faits de torture et a été menée par le même service de police qui a infligé au requérant le traitement dont il s’est plaint. De plus, ni le parquet ni le juge d’instruction n’ont réagi lorsqu’il est sorti de gardeàvue totalement choqué et portant de nombreuses traces des sévices exercés à son encontre, et c’est également le parquet de Rabat qui a été chargé de l’enquête.

3.6En outre, le requérant et sa défense ont été l’objet de pressions et d’intimidation. Le requérant ne se sent nullement en sécurité dans son lieu de détention.

3.7Le requérant estime que l’État a violé l’article15 de la Convention, car il n’a pas veillé à ce que toute déclaration obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans la procédure engagée à son encontre.

Observations de l’État partie

4.1Dans une note verbale du 11décembre 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il a informé le Comité que le requérant a été mis en détention dès son arrivée au Maroc le 14décembre 2010. Il était soupçonné d’appartenir à l’organisation terroriste harrakat al-moujahidine fi al-maghrib. L’enquête menée par les services de police judiciaire sous la supervision du parquet a permis d’établir qu’il avait été recruté par Abdelkader Belliraj (affaire relative au démantèlement de la structure terroriste du même nom) et qu’il était impliqué dans l’introduction d’armes à feu au Maroc, entre 2002 et 2006, à partir de l’Europe (Melilla). Dès son arrivée au Maroc, il a été placé en garde à vue, laquelle a été prolongée une première fois, le 18décembre 2010, et une seconde fois, le 22décembre 2010, conformément à l’article66 du Code de procédure pénale relatif à la garde à vue en matière d’infraction terroriste.

4.2Le 24 décembre 2010, le requérant a été présenté devant le juge d’instruction compétent à la cour d’appel de Rabat. Le procès-verbal de cette audience n’indique pas que le requérant se soit plaint d’avoir été torturé ni qu’il ait demandé à être examiné par un médecin. Il a seulement affirmé être devenu membre du mouvement djihadiste au Maroc en 1992. Lors de la deuxième audience devant le juge, le 18janvier 2011, ni le requérant ni son avocat ne se sont plaints de torture. Ils n’ont pas non plus fait appel contre la décision du juge. Le 3mars 2011, le requérant a été déféré devant la cour d’appel de Rabat. En mai2011, il a présenté une plainte pour des faits de torture devant le Ministre de la justice qui a été renvoyée au parquet pour enquête.

4.3Le 15 septembre 2011,l’avocat du requérant a demandé la nullité du rapport de police du fait que les déclarations du requérant qu’il contenait avaient été obtenues sous la torture. Cette demande a été rejetée par la cour. Le 27octobre 2011, le requérant a été condamné sur la base des articles293, 294 et 295 du Code pénal (association de malfaiteurs et assistance aux criminels) et de l’article218-1, paragraphe9 (participation à une association formée ou à une entente établie en vue de la préparation ou de la commission d’actes de terrorisme). Il a été condamné à 15 années d’emprisonnement. Il a fait appel de ce jugement.

4.4L’État partie estimait que la communication était irrecevable en vertu de l’article22, paragraphe5a), de la Convention, car le requérant a soumis au Comité des droits de l’homme une communication contre l’Espagne concernant les mêmes faits. Deuxièmement, il n’avait pas épuisé les voies de recours internes, car son appel était toujours en cours d’examen devant la cour d’appel. Une fois que celle-ci aurait pris une décision, le requérant pouvait encore tenter un appel conformément à l’article323 du Code de procédure pénale.En outre, la plainte adressée par le requérant au Ministre de la justice en mai 2011 faisait toujours l’objet d’une enquête. Achever celle-ci demanderait du temps, en particulier du fait que le requérant n’avait pas révélé l’identité de ceux qui auraient participé aux faits de torture. Récemment la cour avait ordonné que le requérant soit examiné par un médecin pour vérifier ses allégations de torture.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 28 mars 2012, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Le requérant affirme que l’affaire déposée devant le Comité des droits de l’homme n’est pas la même que celle dont il a saisi le Comité contre la torture. Il a soumis une communication contre l’Espagne au Comité des droits de l’homme afin d’éviter son extradition vers le Maroc en raison du risque d’être soumis à la torture. En revanche, la présente requête a pour objet des faits qui se sont déroulés sur le territoire marocain.

5.3Concernant l’épuisement des voies de recours internes, le requérant fait valoir qu’il n’existe aucune procédure au Maroc permettant à un individu qui se plaint d’avoir été torturé de contraindre l’État à mener une enquête impartiale et diligente. L’introduction d’une telle plainte n’a aucun effet, ni en droit ni en fait, sur l’avancement d’une procédure pénale fondée sur des éléments de preuve dont il est allégué, avec vraisemblance, qu’ils ont été obtenus sous la torture. Il n’existe aucune procédure permettant au requérant de faire suspendre l’action pénale engagée à son encontre tant que sa plainte n’a pas été consciencieusement instruite. Le requérant ne dispose d’aucun recours interne à cet égard. En l’espèce il faut noter que, dans son arrêt de condamnation, la cour écarte la demande d’irrecevabilité des «aveux» au prétexte que le dossier ne fait aucune mention d’allégations de tortures. Par ailleurs, certaines des violations de la Convention dénoncées sont définitives et ne pourraient être «rattrapées» par l’acquittement du requérant ou la reconnaissance des traitements cruels dont il a fait l’objet.

5.4Le requérant exprime sa préoccupation concernant le déroulement de l’action publique suite à la plainte du chef de torture qu’il a déposée. Lorsqu’il s’y est référé pendant son procès, le parquet a indiqué qu’aucune plainte n’avait été introduite. Après que le requérant a apporté la preuve de son dépôt, les magistrats ont estimé qu’elle n’avait aucune influence sur le procès. Entretemps, le parquet a classé la plainte sans suite et, à la fin, le requérant a été condamné à 15 ans de prison. En outre, le requérant a déposé une plainte avec constitution de partie civile mais restait sans nouvelles sur son sort. Enfin, dans le cadre de la procédure devant le Comité, le requérant a appris que l’enquête concernant sa plainte initiale avait été réactivée. Or, vu l’absence d’enquête pendant plus de six mois, le requérant craignait que la «réactivation» de l’enquête ne soit qu’une façade. Il en veut pour preuve les conditions dans lesquelles ont été réalisés les deux seuls devoirs d’enquête, postérieurement dénoncées auprès du Procureur général de la cour d’appel de Rabat avec copie au Ministre de la justice, à savoir, l’audition du requérant par des policiers chargés de l’enquête et son examen médico-légal.

5.5En décembre 2011, le requérant a été auditionné par des policiers en civil qui n’ont pas présenté de badge permettant de les identifier, ni signalé le service auquel ils appartenaient, ni précisé dans quel cadre procédural ils procédaient à cette audition. L’audition a été faite en français mais a été directement saisie sur ordinateur en arabe, sans la présence d’un interprète pourtant indispensable pour tout acte de procédure concernant le requérant. Les policiers lui ont présenté des documents pour signature, mais vu qu’ils étaient en arabe, il a refusé de les signer. Il n’a pas reçu copie du procès-verbal.

5.6Quant à l’examen médico-légal, le 8 janvier 2012 le requérant a été conduit, sans être informé au préalable, dans un hôpital situé à une courte distance de la prison. Il y a rencontré une femme qui s’est présentée comme médecin légiste et était accompagnée de deux autres médecins masculins. Aucun ne s’est identifié avec son nom. Le requérant a expliqué de manière détaillée les sévices qu’il aurait subi et il a été examiné. L’entretien et l’auscultation se sont déroulés en présence de cinq personnes en civil, non identifiées. Dans le même établissement, on a pratiqué un examen radiographique de son épaule gauche. Il fut ensuite transporté dans un autre établissement pour un examen otorhinolaryngologique (ORL), auquel il ne fut pas procédé pour cause de panne de l’appareil. Après cette date, aucun autre examen n’a été effectué. Aucun psychiatre n’a rencontré le requérant et les séquelles psychologiques n’ont donc pas été évaluées.

5.7Le 19 mars 2012, le requérant s’est adressé au Procureur général demandant, entre autres, un examen de son épaule gauche et les soins nécessaires car il ne pouvait pas lever normalement et sans douleur le bras; un examen ORL; un examen neurologique, car il avait perdu énormément de sensibilité dans les membres depuis les faits; et un examen psychiatrique, car il souffrait notamment d’insomnies, de stress et d’anxiété. Dans la même lettre, il a demandé l’autorisation de désigner un ou plusieurs médecins-conseils, ainsi que la possibilité de déléguer l’expertise médicale à un organisme neutre international, le Conseil international de réhabilitation pour les victimes de torture (IRCT), afin que l’expertise médicale réalisée soit contradictoire et qu’il puisse être assisté d’un conseil tout au long de cette procédure d’enquête. Il a aussi demandé l’accès à un album photographique contenant les photos de toutes les personnes l’ayant pris en charge à son arrivée au Maroc, afin qu’il puisse identifier ses agresseurs. Cette lettre est restée sans réponse.

5.8Le requérant soutient que l’enquête réalisée était tardive, ce qui a entraîné une déperdition de la preuve. En outre, il n’a pas été informé de l’état d’avancement de l’enquête et ses conseils n’ont pas été autorisés à l’assister dans ce cadre ou invités à faire part de leurs éventuelles remarques. Des devoirs de base n’ont pas été effectués, tels que confrontation, soumission d’un album photographique des auteurs potentiels, transmission du dossier pénitentiaire contenant des photos du requérant, etc. Ni lui ni ses conseils n’ont été informés du fait qu’il allait être auditionné et examiné par un médecin et son accord pour la réalisation de cette expertise n’a pas été demandé. Le rapport de l’enquête sur les faits de torture est totalement incomplet dès lors qu’il n’a pas été donné l’opportunité à la défense de solliciter la réalisation de devoirs d’enquête.Le requérant a conclu qu’il ne disposait pas d’un recours effectif en vue de démontrer la torture dont il avait fait l’objet et d’empêcher sa condamnation sur la base d’aveux extorqués sous la torture.

5.9Par rapport aux observations de l’État partie, le requérant relève qu’il est paradoxal d’affirmer, d’une part, mener une enquête sur les allégations de torture et, d’autre part, déclarer que ces allégations sont contraires à la vérité puisqu’elles n’ont pas été actées dans les procès-verbaux d’audition devant le juge d’instruction. Des rapports d’organisations internationales font état de cas répétés de torture au Maroc dans le cadre de procédures judiciaires inéquitables et de l’impunité qui règne en la matière. Le fait que, dans un premier temps, les plaintes du requérant n’aient pas été actées ne peut aucunement amener à la conclusion qu’il n’aurait pas fait l’objet de traitements inhumains et dégradants.

5.10Le requérantsouligne que les affaires terroristes sont traitées par des magistrats spécialisés. Cela laisse supposer que les magistrats chargés de son dossier sont les mêmes qui, par le passé, ont contribué à l’impunité des violations des droits fondamentaux d’autres prévenus par les services de police et la Direction de la surveillance du territoire (DST) marocaine et à l’utilisation comme preuve en justice de déclarations obtenues sous la torture.En particulier, l’intervention dans son cas du juge d’instructionC., spécialisé dans les affaires de terrorisme, et des magistrats de première instance qui auraient statué dans l’affaire Belliraj, laisse présumer que la torture a pu être une nouvelle fois utilisée dans le cas du requérant. Le requérant fait référence aux observations finales du Comité concernant le Maroc, où le Comité a montré sa préoccupation vis-à-vis du climat d’impunité qui semble s’être instauré dans le pays par rapport aux actes contraires à la Convention. Il se réfère aussi à l’arrêt Boutagni c. France, où la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a constaté que l’ensemble des rapports internationaux sur la situation des droits de l’homme au Maroc s’accordaient pour dénoncer les mauvais traitements réservés aux personnes soupçonnées de participation à des entreprises terroristes.

5.11Le requérant insiste sur son impuissance à faire acter tel ou tel élément lors de ses auditions, que ce soit lors de sa gardeàvue ou lors de sa comparution devant le juge d’instruction. Lors de celle-ci, le juge d’instruction lui avait été «présenté» comme le chef des agents ayant mené ses interrogatoires préalables, raison pour laquelle il a choisi de ne formuler aucune plainte auprès de lui. Toutefois, compte tenu de son état physique, le juge d’instruction aurait dû exiger des examens médicaux. Lors de sa seconde comparution, assisté de son conseil, le requérant est revenu sur ses «aveux» et s’est plaint de faits de torture, mais cela n’a pas été acté. Le requérant ne pouvait contraindre le juge à respecter la loi. D’autre part, ce dernier savait ce qui s’était passé et aurait déjà agi s’il l’avait voulu. Enfin, le requérant s’est plaint au Ministre de la justice et a déposé une plainte pénale. Celle-ci a fait l’objet d’un classement sans suite sans la réalisation d’aucun devoir d’enquête avant d’être réactivée. Le requérant ne peut que craindre qu’il s’agisse d’une enquête de circonstance, compte tenu de sa lenteur, de son inefficacité, de son manque de transparence et de son défaut de caractère contradictoire, notamment quant à la prétendue expertise menée sur le requérant.

5.12Dans ses observations, l’État partie ne remet pas en cause le fait que les accusations portées contre le requérant sont essentiellement basées sur les déclarations qu’il aurait effectuées en gardeàvue et confirmées lors de son premier interrogatoire devant le juge d’instruction. Or, le requérant a nié ces aveux dès la suite de la procédure.

5.13L’État partie ne fait aucune mention et ne donne aucune explication sur le classement de la plainte en septembre 2011, ni sur les motifs et le moment où l’enquête a été rouverte. Il n’expose pas le type d’expertise sollicitée, ni le médecin chargé de l’effectuer, ni les examens qui auraient été réalisés, ni leur résultat. L’État partie n’aborde pas la question du défaut d’interprète lors de la gardeàvue du requérant et de la signature de documents rédigés en arabe.Apparemment, des photos du requérant auraient été prises à son arrivée à la prison de SaléII. Or, celles-ci n’ont pas été produites dans le cadre du procès afin de vérifier ses allégations concernant son état physique. Le 21mars 2012, les conseils du requérant ont écrit au Ministre de la justice, au Procureur général près la cour d’appel de Rabat et au Directeur de la prison pour demander accès à ces photographies et, en général, au dossier pénitentiaire du requérant mais ils n’ont pas obtenu de réponse.

Informations supplémentaires des parties

Informations du requérant

6.1À plusieurs dates, le requérant a écrit au Comité l’informant de faits survenus après qu’il a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il signale que le 18 avril 2012 le Procureur général a procédé à un nouveau classement sans suite de la plainte pour torture que le requérant avait déposée en mai 2011, en raison «d’absence de confirmation des prétentions contenues dans la plainte». Quant à sa demande de constitution de partie civile, elle n’a reçu aucune suite. Le requérant a réitéré ses demandes au Ministre de la justice et au Procureur général de Rabat pour recevoir, entre autres, les rapports concernant l’audition du 7 janvier 2012 et l’expertise médico-légale du 8 janvier 2012, ainsi que les photographies prises à son arrivée à la prison de Salé II. Il estimait que ces pièces étaient importantes dans le cadre du procès en appel qu’il avait interjeté contre sa condamnation.

6.2Les rapports de l’expertise médicale et de l’audition ont été communiqués au requérant le 29 mai 2012. Or, ces rapports émanent des mêmes services qui ont participé aux actes de torture et contiennent des irrégularités. Par exemple, la déclaration du requérant devant les enquêteurs apparaît signée, alors qu’il n’a rien signé étant donné qu’il ne comprenait pas les procès-verbaux rédigés en arabe. Il affirme ne pas avoir manifesté qu’il était entièrement guéri, alors que le contraire est dit dans le rapport. Il est noté aussi qu’aucune trace de mauvais traitements n’apparaissait plus sur le corps du requérant; or, la sœur du requérant a vu des traces sur ses poignets et derrière l’oreille droite, et son épouse a constaté des traces de brûlures de cigarettes. Le requérant a aussi reçu une photo mais il s’agit de celle figurant sur la fiche d’écrou et pas de celle prise par l’administration pénitentiaire à son arrivée à Salé II. Quant à l’expertise médicale, elle est unilatérale et contient des erreurs. Par exemple, elle indique qu’un examen ORL aurait été réalisé alors que cela n’a pas été le cas.

6.3À la demande des conseils du requérant, le docteur B., médecin et expert indépendant sur la question de la torture, a donné son avis sur le rapport médical et conclu qu’un examen médical et psychologique complet selon les directives du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) aurait dû être effectué, ce qui inclut des examens et tests par des médecins indépendants spécialisés dans l’évaluation de personnes suspectées d’avoir subi des tortures. Le rapport ne fournit pas de détails concernant les examens pratiqués et presque pas de détails sur les conclusions de ces examens. Les médecins n’ont pas cherché à avoir accès aux rapports des médecins qui ont examiné le requérant lors de sa garde à vue ou en prison. Il n’est pas signalé dans le rapport si l’examen a eu lieu en présence d’agents de police ou de prison, ou si le requérant était menotté ou autrement restreint dans ses mouvements. La partie substantive du rapport consiste en une page et demie et les allégations de torture se limitent à deux courtes phrases. Le rapport ne contient pas de diagramme ni de photos. Il ne fait que réitérer l’existence de cicatrices dans les membres inférieurs dues à un ancien accident de la route. Il n’y a aucune indication que les allégations du requérant aient fait l’objet d’une évaluation. Du fait que l’examen a eu lieu plus d’une année après la détention et que l’existence de marques visibles est donc peu probable, un examen complet de tout le corps s’imposait. Par ailleurs, il n’est fait aucune mention dans le rapport d’un éventuel examen psychiatrique ou psychologique, ce qui montre que l’examen pratiqué ne remplit pas les critères internationaux pour évaluer les allégations de torture.

6.4L’expertise médicale ainsi que le rapport du docteur B. ont été soumis à l’appréciation du docteur H. B., médecin marocain spécialiste en matière de torture. Selon lui, le rapport médico-légal est «très succinct ne permettant pas au tribunal et aux parties de s’assurer que M. Ali Aarrass a réellement subi une évaluation sérieuse et complète. Cette brièveté est enregistrée à tous les niveaux […]. La conclusion était également sèche, non conforme aux recommandations du Protocole d’Istanbul. En effet, l’expert ne doit pas se contenter de dire s’il existe ou non des séquelles physiques liées à des actes de torture, mais il doit formuler une opinion sur le degré de cohérence de toutes les informations recueillies à partir des observations physiques et psychologiques, des résultats des tests diagnostiques, de la connaissance des méthodes de torture régionales, des rapports de consultations […] avec les sévices allégués […]. Toute négligence de l’évaluation psychologique en cas d’allégations de torture constitue un manquement grave et un écart inadmissible de la part de l’expert par rapport aux normes décrites dans le Protocole d’Istanbul». Le docteur B. conclut que ledit rapport «était très succinct dans sa rédaction, maigre dans son contenu, non sérieux dans sa démarche et non conforme aux normes minimales internationales reconnues pour l’évaluation médicale des allégations de la torture et de la maltraitance telles que spécifiées et détaillées dans le Protocole d’Istanbul.

6.5Il est de ce fait nécessaire qu’une réévaluation médicale physique et psychologique complète soit entreprise sur M. Ali Aarrass par des médecins ayant une expérience en matière d’enquête et de documentation des allégations de la torture, à condition qu’il leur soit octroyé le temps et le plein pouvoir de procéder à toute investigation médicale, tests diagnostiques ou toutes autres consultations nécessaires pour aboutir à des conclusions solides et motivées».

6.6Selon le requérant, une expertise médicale approfondie est fondamentale pour objectiver les allégations de torture, dans le respect du principe du contradictoire. Ceci impliquerait de: prévenir le requérant et ses conseils des visites organisées chez les médecins; permettre au requérant d’être assisté par son avocat et un médecin-conseil lors de ces entrevues; donner accès au requérant aux résultats des tests cliniques réalisés sur sa personne; réaliser les devoirs et examens complémentaires sollicités par la défense du requérant en vue de disposer d’une analyse complète de l’état de santé et des plaintes formulées par le requérant.

6.7Lors d’une audience devant la cour le 18 juin 2012, le requérant a réitéré sa demande qu’une enquête efficace et indépendante soit réalisée sur ses allégations de torture et, notamment, qu’une expertise médicale sérieuse soit effectuée. Compte tenu de la nécessité d’une enquête approfondie, le requérant s’est constitué partie civile devant le Président du tribunal de première instance de Rabat le 18 septembre 2012. Or, cette demande a été déclarée irrecevable le 28 janvier 2013. Le juge a basé sa décision sur le fait que le requérant n’avait pas identifié les auteurs de la torture et qu’il n’avait pas mentionné les articles du Code pénal incriminant les faits de torture.

6.8Le requérant informe le Comité qu’il est constamment l’objet d’actes d’intimidation en prison. Ainsi, les avocats ne sont pas toujours prévenus des audiences, de sorte qu’il a parfois comparu seul; les soins de santé adéquats ne lui sont pas procurés; et l’échange de correspondance avec ses conseils et sa famille est empêché. Quant aux conditions de détention, après avoir été maintenu en isolement total pendant des mois (absence totale de communication avec les codétenus et les gardiens; pas de lecture, radio ou télévision; préau seul, etc.), il a été placé en cellule avec quatre personnes condamnées pour des faits de stupéfiants, particulièrement grossières et irrespectueuses. Il a fait l’objet d’agressions par un codétenu à deux reprises sans qu’aucun gardien n’intervienne afin de le protéger. En juillet 2012, sans motif, il a de nouveau été placé en régime d’isolement, avec une sortie quotidienne réduite à une heure dans un préau individuel. Il a été remis en régime carcéral ordinaire peu de temps avant la visite au Maroc du Rapporteur spécial sur la question de la torture. Celui‑ci l’a rencontré le 20 septembre 2012. Suite à cette visite, le requérant affirme avoir été l’objet de menaces de la part du Directeur adjoint de la prison. Ses avocats ont écrit à de très nombreuses reprises aux autorités marocaines concernant les pressions, menaces, mauvais traitements infligés et refus de traitement médical, mais n’ont obtenu aucune réponse.

6.9Le 1er octobre 2012, la cour d’appel de Rabat, chambre pénale d’appel, a condamné le requérant en appel à 12 ans d’emprisonnement pour infraction à la loi antiterroriste. La Cour a considéré que: «le tribunal de première instance a répondu de manière suffisante à toutes les demandes et les défenses, d’où cette cour a jugé de les adopter tant qu’elles satisfaisaient les aspects légaux, tout particulièrement en ce qui concerne la prétention de l’accusé d’avoir subi la torture, puisqu’il a été procédé à une expertise médicale dressée par trois médecins qui ont tous confirmé que l’accusé n’a subi aucune torture d’aucune sorte, d’où la cour a estimé d’appuyer le verdict interjeté en appel dans ce qu’il a prescrit dans ce volet». La cour a aussi estimé que le verdict pénal de première instance était justifié et donc elle l’a approuvé et a adopté ses motivations. En octobre 2012, le requérant a introduit un pourvoi devant la Cour de cassation.

Informations de l’État partie

7.1Le 20 mars 2014, l’État partie a informé le Comité que des allégations de torture et de mauvais traitements avaient été soulevées par le requérant auprès du Ministère de la justice en février 2011, lequel l’a invité à déposer une plainte pénale. Cette plainte a fait l’objet d’une enquête préliminaire, à la demande du Procureur général, auprès des services de police judiciaire, mais les résultats n’ont pas permis au Procureur d’ouvrir une instruction. Face à l’insistance du requérant, deux mesures ont été ordonnées par le parquet en décembre 2011, à savoir une nouvelle audition par la police judiciaire et un examen médico-légal. Les éléments recueillis ont été notifiés au requérant en avril2012.

7.2La présente requête fait l’objet de la plus grande attention de la part des autorités marocaines, dans le cadre de l’interaction constructive avec les mécanismes onusiens des droits de l’homme. À ce titre, le Rapporteur spécial sur la question de la torture, accompagné d’un médecin, a pu s’entretenir avec le requérant le 20septembre 2012 à la prison de Salé. D’autres procédures spéciales ont également été saisies du cas du requérant.

7.3Suite aux allégations soulevées par le Rapporteur spécial et communiquées formellement aux autorités le 4décembre 2012, des membres du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) accompagnés de trois médecins se sont rendus à la prison de Salé les 25 et 26décembre 2012. Ils se sont attachés à investiguer tant les allégations de torture lors de la garde à vue du requérant que les allégations de mauvais traitements, pressions ou intimidations de la part de l’administration pénitentiaire dans le cadre de sa détention. Celle-ci avait déjà entrepris des mesures de vérification avant la visite du CNDH.

7.4Concernant les allégations du requérant relatives au traitement qu’il aurait subi après son entretien avec le Rapporteur spécial sur la question de la torture, l’État partie signale que des enquêtes ont été menées en octobre et décembre 2012 par l’inspection générale de l’administration pénitentiaire, au cours desquelles tous les responsables concernés ont été entendus. Il en ressort que les allégations en question sont essentiellement le résultat de la contrariété ressentie par le requérant en raison de différentes mesures courantes prises par l’administration pénitentiaire. Ces mesures, prises en vertu de la loi, sont considérées à tort par lui comme étant prises à son encontre seulement, au regard de plusieurs incidents qui se sont produits à cette période, et sont vécues par le requérant comme des mesures d’intimidation, voire de représailles.

7.5Au regard de ses conditions de détention en général, le requérant a été placé dans une cellule individuelle à sa demande qui n’est pas une cellule d’isolement carcéral. Lors de la visite du Rapporteur spécial, le requérant ne faisait l’objet d’aucune mesure d’isolement ou disciplinaire. Le requérant avait demandé à être seul dans sa cellule dès son placement en détention provisoire. Malgré le surpeuplement carcéral, il a été possible de disposer d’une cellule individuelle pour lui. Depuis sa condamnation, il est resté dans la même cellule.

7.6Concernant les allégations relatives à l’absence de soins médicaux, l’État partie note entre autres que,depuis son arrivée à la prison de Salé,le requérant a fait l’objet de 11consultations médicales. Suite à la visite effectuée par le CNDH les 25 et 26décembre 2012, et grâce à une prise en charge médicale plus orientée, incluant également un suivi psychologique, les tensions autour des conditions de détention du requérant ont pu être désamorcées de façon significative.

7.7Depuis le début de son incarcération, le requérant a observé plusieurs grèves de la faim pour dénoncer ses conditions de détention. La dernière en date remonte au 10juillet 2013. Suite à l’intervention du CNDH et à plusieurs entretiens entre le requérant et les responsables de l’administration pénitentiaire, y compris dans le cadre de confrontations directes entre les différentes parties, il a décidé de mettre un terme à sa grève. Le 3août 2013, il a reçu la visite du Délégué général à l’administration pénitentiaire, qui lui a assuré que toutes les mesures seraient prises pour le faire bénéficier notamment des examens médicaux souhaités, et que des instructions seraient données pour s’assurer que ses droits fondamentaux en tant que détenu sont respectés. Le 6août, il a été examiné par un médecin spécialiste en urologie et a bénéficié d’un premier examen global au regard de son état de santé général, en présence de membres du CNDH. Cet examen a révélé l’absence de toute anomalie pouvant constituer un danger pour sa santé.

7.8Compte tenu des résultats satisfaisants obtenus suite à la médiation menée par le CNDH, le dialogue entre le détenu et l’administration pénitentiaire a pu être rétabli. Celle-ci s’est engagée auprès du CNDH et de la Délégation interministérielle aux droits de l’homme à les informer de façon régulière du suivi de la situation du requérant.

Nouvelles informations du requérant

8.Le 31 mars 2014, le requérant a réitéré ses allégations précédentes et souligné qu’il continuait à recevoir des pressions de la part des autorités.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que les questions relatives à la détention et au procès à l’encontre du requérant ont été signalées à plusieurs procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, notamment au Rapporteur spécial sur la question de la torture et au Groupe de travail sur la détention arbitraire. Toutefois, le Comité considère que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché, en vertu de cette disposition, d’examiner la présente requête.

9.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. En l’espèce, le Comité prend note de la plainte pour torture présentée par le requérant le 13 mai 2011 devant le Procureur général près la cour d’appel de Rabat. Cette plainte a d’abord été classée sans suite, puis réactivée avant d’être classée sans suite de nouveau, le 18 avril 2012, en raison de l’absence de confirmation des prétentions contenues dans la plainte. Le Comité prend également note du fait que le requérant s’est plaint d’avoir été torturé dans le cadre du procès suivi contre lui devant la cour d’appel de Rabat. En conséquence, le Comité conclut que les recours internes ont été épuisés concernant le grief du requérant d’avoir été torturé lors de sa garde à vue.

9.3Les autres critères de recevabilité ayant été remplis, le Comité déclare la communication recevable et passe à l’examen quant au fond des griefs présentés au titre des articles2, paragraphe1; 11, 12, 13 et 15 de la Convention.

Examen au fond

10.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe4 de l’article 22 de la Convention.

10.2Le Comité note les griefs du requérant selon lesquels:il a été placé en garde à vue le 14décembre 2010 et soumis à des sessions de torture jusqu’au 23décembre 2010 en vue de lui extorquer des aveux;suite à ce traitement il a été contraint de signer des soi-disant aveux pré-rédigés en arabe, langue qu’il ne maîtrise pas;pendant ce temps sa famille n’a pas été informée du lieu où il se trouvait et elle ne l’a appris que par la presse le 27décembre 2010;il n’a eu accès à un avocat qu’à cette date;lors de son audience, le 24décembre 2010, le juge d’instruction n’a pas acté ses blessures ni sollicité la réalisation d’une expertise médicale;et le 18janvier 2011, lors de sa deuxième comparution devant le juge d’instruction, cette fois-ci accompagné par son avocat, il s’est plaint du traitement subi pendant la garde à vue, mais ses allégations n’ont pas été actées et le juge n’a pas ordonné un examen médical.Concernant ces allégations, le Comité note également les observations de l’État partie selon lesquelles, lors de l’audience du 18janvier 2011, ni le requérant ni son avocat ne se sont plaints de torture.

10.3Le Comité rappelle sa jurisprudence concernant certaines garanties fondamentales qui doivent s’appliquer à toutes les personnes privées de liberté en vue de prévenir la torture. Parmi ces garanties, il y a le droit des détenus de bénéficier promptement d’une assistance juridique et médicale indépendante ainsi que de prendre contact avec leur famille. Le Comité rappelle également ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Maroc, où il a noté avec préoccupation que la loi no 03‑03 de 2003 contre le terrorisme ne permettaitl’accès des détenus à un avocat qu’au bout de six jours, amplifiant ainsi le risque de torture des suspects détenus. Le Comité a ajouté que c’est précisément pendant les périodes au cours desquelles ils ne peuvent pas communiquer avec leur famille et leurs avocats que les suspects sont le plus susceptibles d’être torturés.Étant donné ce contexte d’absence des garanties concernant l’accès à l’assistance juridique, notamment pendant la gardeàvue, la privation de tout contact avec la famille, le manque d’information à celle-ci sur le lieu de détention, la privation d’accès à un médecin et le fait que le requérant aurait été contraint de signer des déclarations dans une langue qu’il ne maîtrise pas, et en l’absence d’informations de l’État partie remettant en question ces allégations, le Comité considère que l’État partie a failli à ses obligations au titre de l’article2, paragraphe1, et de l’article11 de la Convention.

10.4S’agissant des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité a pris note des allégations du requérant que le juge d’instruction n’a pas initié d’enquête ni ordonné un examen médical, et a refusé d’acter les allégations de torture formulées par le requérant; que le 11 février 2011 il s’est adressé au Ministre de la justice pour demander la réalisation d’une expertise médicale par des experts indépendants, demande qui a été refusée; que le 13 mai 2011 le requérant a déposé une plainte pour torture auprès du Procureur général près la cour d’appel, laquelle a été classée sans suite puis réactivée; que ce n’est qu’en décembre 2011 que le requérant a été auditionné par des policiers par rapport à sa plainte et qu’en janvier 2012 il a été examiné par un médecin légiste; que ses demandes pour se faire examiner par des médecins appartenant à une institution neutre n’ont pas été acceptées; et que sa demande d’accès aux photos prises à son arrivée à la prison a également été refusée. Le Comité note aussi l’avis des deux médecins sur le rapport médical établi après l’examen du requérant par un médecin légiste en janvier 2012, avis selon lequel ledit rapport ne répond pas aux directives du Protocole d’Istanbul.

10.5Le Comité relève que, malgré la lettre que le requérant a adressée au Ministre de la justice en février 2011, aucun examen médical n’a été effectué et que, dans le cadre de sa plainte pénale, un examen a été réalisé seulement en janvier 2012, c’est-à-dire plus d’une année après les faits allégués. En outre, dans le cadre de cette plainte, aucune audition du requérant n’a eu lieu jusqu’en décembre 2011 et le requérant n’a à aucun moment avant cette date été informé de l’état de la procédure ni même du fait que la procédure avait été réactivée. Le Comité note également que l’État partie n’a fourni aucune information sur le résultat de l’enquête et les éléments de preuve dont les autorités disposaient, se limitant à affirmer que les éléments recueillis avaient été notifiés au requérant. Le Comité relève également qu’au moment de décider sa condamnation, la cour d’appel n’a pas tenu compte des allégations du requérant concernant les faits de torture, et a même nié que de telles allégations avaient été formulées au cours de la procédure.

10.6Au vu de ce qui précède, le Comité estime qu’il y a eu de la part des autorités un défaut d’enquête incompatible avec l’obligation qui incombe à l’État, au titre de l’article 12 de la Convention, de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. N’ayant pas rempli cette obligation, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui revenait au titre de l’article 13 de la Convention de garantir au requérant le droit de porter plainte, qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale.

10.7Le requérant affirme être victime d’une violation de l’article 15 de la Convention du fait qu’ilaurait été condamné sur la base d’un dossier constitué essentiellement des soi-disant aveux obtenus sous la torture lors de sa garde à vue et rétractés ultérieurement.

10.8Le Comité rappelle qu’en vertu de cet article, l’État partie doit veiller à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure. Il ressort de la lecture des jugements de la cour d’appel que les aveux du requérant ont pesé de manière décisive sur la décision condamnatoire. Le Comité note les allégations du requérant concernant la torture qu’il aurait subie pendant sa garde à vue; que le requérant a été examiné le 20 septembre 2012 par un médecin indépendant qui accompagnait le Rapporteur spécial sur la question de la torture lors de sa visite au Maroc et qui a conclu que la plupart des traces observées sur le corps du requérant et les symptômes ressentis étaient compatibles avec ses allégations; que, comme indiqué précédemment, l’État partie a manqué à son obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale sur les allégations de torture; et que la cour d’appel n’a pas pris sérieusement en considération les allégations de torture au moment de condamner le requérant sur la base de ses aveux, niant même que ces allégations avaient été formulées au cours de la procédure. Sur la base de ces éléments, le Comité considère que l’État partie a manqué à ses obligations au titre de l’article 15 de la Convention. Le Comité rappelle à cet égard que, dans ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Maroc, le Comité a exprimé sa préoccupation quant au fait que dans le système d’investigation en vigueur dans l’État partie il est extrêmement courant que l’aveu constitue une preuve permettant de poursuivre et condamner une personne, et que de nombreuses condamnations pénales sont fondées sur les aveux, y compris dans les affaires de terrorisme, créant ainsi des conditions susceptibles de favoriser l’emploi de la torture et des mauvais traitements à l’encontre de la personne du suspect.

11.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe7 de l’article22 de la Conventioncontre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles2, paragraphe1 ; 11, 12, 13 et 15de la Convention.

12.Conformément au paragraphe5 de l’article118 de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.6), le Comité invite instamment l’État partie à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus. Ces mesures doivent inclure l’ouverture d’une enquête impartiale et approfondie sur les allégations du requérant. Une telle enquête doit inclure la réalisation d’examens médicaux en conformité avec les directives du Protocole d’Istanbul.

[Adopté en français (version originale), en anglais eten espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]