Nations Unies

CCPR/C/99/D/1559/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

20 août 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-neuvième session

12-30 juillet 2010

Constatations

Communication no 1559/2007

Présentée par:

Evangeline Hernandez(représentée par Marie Hilao-Enriquez, de l’Alliance for the Advancement of People’s Rights − Karapatan)

Au nom de:

Benjaline Hernandez

État partie:

Philippines

Date de la communication:

9 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 7 mai 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

26 juillet 2010

Objet:

Exécution arbitraire d’un défenseur des droits de l’homme

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; procédure internationale d’enquête; abus du droit de plainte; griefs non étayés

Questions de fond:

Droit à la vie; obligation de mener une enquête

Articles du Pacte:

2 (par. 1 et 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 17 et 26

Article s du Protocole facultatif:

2 et 3

Le 26 juillet 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 1559/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (quatre-vingt-dix-neuvième session)

concernant la

Communication no 1559/2007 **

Présentée par:

Evangeline Hernandez(représentée par Marie Hilao-Enriquez, de l’Alliance for the Advancement of People’s Rights − Karapatan)

Au nom de:

Benjaline Hernandez

État partie:

Philippines

Date de la communication:

9 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 26 juillet 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1559/2007 présentée au nom de Mme Benjaline Hernandez, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Evangeline Hernandez, qui présente la communication au nom de sa fille, Benjaline Hernandez, morte le 22 avril 2003. Elle affirme que sa fille a été victime de violations par les Philippines des droits garantis à l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l’article 6 (par. 1), à l’article 7, à l’article 9 (par. 1), à l’article 10 (par. 1), à l’article 17 et à l’article 26. Elle est représentée par Mme Marie Hilao-Enriquez, de l’organisation Alliance for the Advancement of People’s Rights − Karapatan.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Benjaline Hernandez était la Secrétaire générale adjointe de Karapatan (section de la région méridionale de Mindanao) une organisation de défense des droits de l’homme, et elle était aussi Vice-Présidente du College Editor’s Guild of the Philippines (CEGP), un groupement de publications scolaires. Elle menait une recherche sur l’incidence du processus de paix sur la communauté locale d’Arakan, une province de la région de Mindanao, quand l’incident a eu lieu. Le 5 avril 2002, Mme Hernandez et trois villageois s’apprêtaient à déjeuner quand six paramilitaires de l’Unité géographique des forces armées civiles (CAFGU), conduite par le sergent T. du 7e bataillon (aéroporté) ont fait irruption dans la baraque où ils se trouvaient. L’auteur a cité quatre membres de la milice. Les quatre membres de Karapatan ont été abattus, malgré leurs appels à la clémence. L’autopsie a révélé entre autres choses que Mme Hernandez avait reçu deux balles tirées de très près et qu’elle était allongée quand elle a été abattue. Un témoin a assisté à la fusillade.

2.2Les représentants de l’auteur ont déposé plainte contre les forces de sécurité pour violation de l’accord global sur le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Cet accord, qui a pris effet le 7 août 1998, avait été signé par le Gouvernement de la République des Philippines et le Front démocratique national dans le cadre des négociations de paix. Le Comité conjoint de surveillance créé en vertu de l’accord global n’a pas encore examiné l’affaire. Les pourparlers de paix sont suspendus depuis 2004.

2.3L’auteur reconnaît que les recours internes n’ont pas été épuisés. Elle fait valoir que le Ministère de la justice, «après longtemps», a ouvert une «information criminelle» pour meurtre contre le sergent T. et trois autres militaires, qui sont membres de la CAFGU, auprès du tribunal régional de la ville de Kidapawan (Cotabato méridional). D’après l’auteur, un militaire subalterne, qui était le principal suspect, ne faisait pas l’objet de l’information criminelle. Alors qu’en règle générale la libération sous caution n’est pas accordée dans les affaires de meurtre, elle l’a été dans cette affaire. Des militaires avaient été cités à comparaître en tant que témoins à charge mais ils ne se sont pas présentés. L’auteur fait valoir que, même si effectivement la procédure n’est pas terminée, les recours avaient été d’une durée déraisonnable et ne seraient pas utiles. Elle fait valoir que les assassinats politiques n’ont pas cessé dans l’État partie et qu’entre 2001 et 2005 23 défenseurs des droits de l’homme membres de Karapatan ont été tués par les forces de sécurité de l’État ou par d’autres agissant sous leur contrôle, à leur instigation ou avec leur consentement exprès ou tacite. Elle ajoute que, quand elle a adressé la communication, 33 autres militants avaient déjà été sommairement exécutés de la même manière. L’auteur se réfère à des rapports du Comité des droits de l’homme, d’Amnesty International et de la Commission asiatique des droits de l’homme pour montrer que l’impunité continue à régner aux Philippines.

Teneur de la plainte

3.L’auteur invoque une violation par l’État partie des paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, de l’article 17 et de l’article 26.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans des notes datées du 8 août et du 3 septembre 2007, l’État partie a fait connaître ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il fait valoir que l’auteur ne s’est pas prévalue de tous les recours internes disponibles et que la communication est donc irrecevable. Les plaintes déposées pour meurtre devant la Commission philippine des droits de l’homme et les actions pénales engagées devant le tribunal régional de la ville de Kidapawan (Cotabato méridional) sont toujours pendantes et l’État partie nie que la procédure soit déraisonnablement longue. Le sergent T. et «ses hommes» sont en jugement pour le meurtre devant le tribunal régional et le procès en est toujours au stade de l’administration des preuves à charge. L’État partie renvoie à la jurisprudence nationale qui veut que le droit d’être jugé sans retard n’est réputé violé que quand le retard est dû à des «actes dilatoires injustifiés, capricieux et à visées répressives». Il objecte qu’il reste des recours qui n’ont pas encore été épuisés et que si l’auteur estime que le juge de la Cour suprême a commis une irrégularité en n’agissant pas, elle peut déposer une demande de mandamus ou engager une action administrative contre le juge de la Cour suprême pour retard dans la procédure. De plus, une action administrative pourrait être engagée contre les militaires impliqués dans l’affaire auprès du bureau du Médiateur, qui pourrait aboutir à la radiation des cadres ou à la suspension immédiate pendant la durée de la procédure.

4.2Compte tenu de ce qui précède, l’État partie fait valoir que si l’auteur a choisi de ne pas exercer les recours internes disponibles, c’est parce qu’elle manque de patience. Par conséquent, même si l’État partie reconnaît que «le système judiciaire philippin n’est peut-être pas parfait», il affirme qu’il est prématuré pour l’auteur de conclure que les recours sont inutiles.

4.3En ce qui concerne le grief de violation de l’accord global sur le respect des droits de l’homme et le droit international humanitaire, l’État partie répond que tant que des directives n’ont pas été définitivement mises au point entre les forces de sécurité et le Front démocratique national, de telles plaintes ne peuvent pas être examinées en vertu de la procédure de plainte. Toutefois, elles sont transmises à l’organe compétent du Gouvernement. Il ajoute que les directives n’ont pas encore été mises au point à cause de la rupture des négociations et fait remarquer que le Front démocratique national s’est retiré des négociations en 2004.

4.4L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif étant donné que la même question est examinée par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, qui s’est rendu dans le pays du 12 au 21 février 2007. Il conteste la recevabilité de la communication au motif qu’elle constitue un abus du droit de plainte étant donné que le fait que l’auteur n’ait pas attendu l’achèvement des procédures internes en cours équivaut à un refus de reconnaître et de respecter l’autorité de l’État partie pour enquêter sur les actes criminels commis dans sa juridiction, poursuivre les responsables et statuer. De l’avis de l’État partie, l’auteur cherche à mêler la communauté internationale au traitement d’une affaire qui porte sur l’application de la législation pénale interne, ce qui constitue une ingérence injustifiée dans les affaires intérieures de l’État. Il ajoute que l’auteur n’a pas apporté suffisamment d’éléments pour étayer ses allégations de violation du Pacte et que, comme l’affaire est pendante devant les tribunaux, elle ne doit pas être examinée.

4.5Sur le fond, l’État partie fait valoir qu’il exerce avec diligence des actions tendant à réparer les cas d’exécutions extrajudiciaires qui sont dénoncés et cite l’ordonnance administrative no 157 du 21 août 2006 émise par la Présidente Gloria Macapagal-Arroyo, qui porte création d’une commission indépendante (la «Commission Melo») chargée d’enquêter sur les meurtres de journalistes et de militants. Le 22 février 2007, la Commission Melo a rendu un rapport préliminaire de 86 pages que différents organes du Gouvernement sont en train d’étudier. De plus, la Cour suprême a établi des directives à l’intention des tribunaux spéciaux qui seront saisis des affaires d’exécutions extrajudiciaires. L’État partie renvoie au rapport préliminaire sur la visite aux Philippines du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, qui reconnaît que l’État partie a fait des efforts pour lutter contre les exécutions extrajudiciaires (A/HRC/4/20/Add.3*, par. 4).

4.6L’État partie fait valoir que l’auteur de la communication ne montre pas en quoi il aurait violé les dispositions du Pacte. Le meurtre de Mme Hernandez n’est pas imputable à l’État ni à ses forces armées mais a été commis par des individus agissant dans leur propre intérêt. Néanmoins, l’État partie fait son possible pour garantir que les droits et les libertés fondamentaux de ses nationaux soient respectés. Il rappelle que lorsqu’un État n’ouvre pas d’enquête, n’engage pas d’action en justice et ne prend aucune mesure de réparation pour des actes privés attentatoires aux droits fondamentaux, qui sont commis par des agents non étatiques, il aide en fait les auteurs de telles violations et peut en être tenu pour responsable au regard du droit international. L’établissement de la Commission indépendante Melo chargée d’enquêter sur les exécutions extrajudiciaires témoigne de la volonté de l’État partie de répondre à ce problème.

4.7L’État partie regrette que les organisations de défense des droits de l’homme n’aient pas indiqué à la Commission combien d’exécutions extrajudiciaires avaient été commises et pourquoi elles considéraient que l’armée était responsable. Il regrette que ces organisations aient refusé de coopérer avec les mécanismes d’enquête qu’il a mis en place et préféraient saisir le Comité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 17 décembre 2007 et une autre du 2 février 2008, l’auteur a fait part de ses commentaires sur la réponse de l’État partie. En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, elle réaffirme que cette condition ne s’applique pas quand les recours se prolongent au-delà de délais raisonnables ou sont inefficaces. Il s’est écoulé plus de six ans depuis que la victime a été tuée et deux ans depuis que la communication a été adressée au Comité, et le procès pénal ouvert devant le tribunal régional n’est toujours pas achevé. D’après l’auteur, la défense n’a commencé à présenter ses preuves qu’un mois avant la présentation de la communication au Comité; la procédure a été retardée alors que l’affaire n’est pas compliquée et, à en juger par ce qui s’est passé jusqu’ici, le procès risque d’être encore retardé. Pour ce qui est des autres recours qui pourraient être engagés contre un juge qui a agi irrégulièrement, l’auteur dit qu’il ne s’agit là que d’une procédure bureaucratique de plus, qui n’aboutirait à rien.

5.2L’auteur fait valoir que les circonstances de l’affaire ont été aggravées par d’autres facteurs, notamment le transfert des responsables présumés du meurtre à des affectations et autres postes différents. Ainsi, les personnes accusées n’ont pas pu être retrouvées ou comparaître à temps malgré plusieurs tentatives visant à les faire citer. L’auteur accuse le Bureau national d’enquête d’être complice de la non-comparution de témoins directs qui avaient pourtant été dûment cités. En conséquence, alors qu’il y avait plusieurs membres de l’armée qui étaient inculpés, un seul (le sergent T.) et quelques membres des forces paramilitaires sont jugés; le personnel militaire a été libéré sous caution alors que normalement cette mesure n’est pas accordée pour le crime dont ils sont accusés. Au début du procès, plusieurs officiers supérieurs qui seraient impliqués dans le meurtre ont été exonérés pour des raisons techniques, c’est-à-dire parce qu’ils n’étaient pas les supérieurs immédiats ou directs des militaires et des paramilitaires de rang inférieur qui avaient commis le crime, ou qu’ils ne les commandaient pas. De plus, le principal témoin oculaire a été l’objet de «malveillance et harcèlement» et il est possible que son témoignage ne soit pas suffisamment pris en considération par le tribunal, principalement parce qu’il est très anxieux et qu’il n’est pas familier avec la procédure judiciaire.

5.3En ce qui concerne les directives élaborées par la Cour suprême à l’intention des tribunaux spéciaux pour le traitement des affaires d’exécutions extrajudiciaires, l’auteur dit qu’il est trop tôt pour savoir si cette initiative positive permettra effectivement, dans la pratique, de traiter les affaires d’exécutions extrajudiciaires. À son avis, cette mesure ne suffira pas à corriger les nombreuses défaillances et difficultés de toutes sortes qui entraînent de tels retards. L’auteur souligne qu’il existe un ensemble continu de violations systématiques des droits de l’homme, y compris d’exécutions extrajudiciaires, dans l’État partie, qui rendent les recours internes inutiles et dérisoires. Elle ajoute que, même si l’État partie prétend le contraire, pas un seul responsable des violations n’a été condamné.

5.4En réponse à l’objection de l’État partie qui affirme que la communication est irrecevable parce que la même question est déjà examinée par une autre instance internationale d’enquête et de règlement, l’auteur considère que l’argument n’est pas valable en l’espèce. Premièrement, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a terminé son enquête et par conséquent il n’est plus en train d’examiner la question. Deuxièmement, la mission d’un rapporteur spécial dans un État partie ne peut pas être considérée comme une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.5L’auteur ajoute que la communication ne constitue pas un abus du droit de plainte. En effet, il n’existe en l’espèce aucune des circonstances qui rendent une communication abusive, comme le fait de donner délibérément de fausses informations ou d’attendre trop longtemps avant de soumettre une plainte. L’auteur dit qu’elle ne refuse pas de reconnaître la compétence de l’État partie mais que les recours internes sont inutiles. En ce qui concerne l’absence d’arguments pour fonder la plainte, l’auteur renvoie aux nombreux documents qu’elle avait joints à sa lettre initiale. En réponse à l’argument de l’État partie qui objecte que l’affaire est toujours pendante devant les tribunaux nationaux, elle répond qu’un tel argument empêcherait toute action, mesure ou procédure dans le domaine international et leur enlèverait tout effet juridique.

5.6Sur le fond, l’auteur conteste que l’État partie ait fait quoi que ce soit pour obtenir que le tribunal régional examine rapidement l’affaire. Au sujet de la Commission Melo, elle relève que celle-ci a rendu public un rapport préliminaire en février 2007, à la demande pressante de l’opinion publique, mais que le rapport final n’a toujours pas été publié. La Commission Melo manquait de crédibilité et ses pouvoirs pour enquêter étaient limités. De plus, alors que son rapport préliminaire est paru depuis plusieurs mois, l’État partie est toujours en train d’étudier les recommandations qui y sont formulées. L’auteur invoque le rapport final sur la visite aux Philippines du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, qui constate que «[l]es nombreuses mesures que le Gouvernement a promulguées pour résoudre le problème des exécutions extrajudiciaires sont encourageantes. Toutefois, elles n’ont pas encore donné de résultats, et les exécutions extrajudiciaires continuent» (A/HRC/8/3/Add.2, résumé, p. 3).

5.7L’auteur affirme qu’il ressort clairement des faits qu’elle a présentés ainsi que des documents qu’elle a joints, que les hommes identifiés comme les agresseurs étaient des membres des forces de sécurité de l’État, en l’occurrence de l’unité géographique (CAFGU) et du 7e bataillon (aéroporté) de la 12e compagnie des forces spéciales. D’après l’auteur, l’implication de l’État partie a été attestée par plusieurs ONG, et la Commission des droits de l’homme elle-même a recommandé d’engager des poursuites contre les forces de sécurité pour ce meurtre. L’auteur se réfère à l’affaire Sarma dans laquelle le Comité a conclu que Sri Lanka était responsable de la disparition d’une personne enlevée par un caporal, bien que l’État partie eût fait valoir que ce militaire avait agit ultra vires et à l’insu de ses supérieurs.

5.8En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui dit que les «groupes militants» ont refusé de coopérer avec les autorités, l’auteur répond que le pouvoir exécutif, notamment la police, l’armée et les services de renseignement n’inspirent aucune crédibilité ni confiance aux victimes, à leurs familles et aux défenseurs des droits de l’homme. Elle dit qu’elle n’a pas refusé de participer ou de coopérer et de travailler avec les organes du Gouvernement mais qu’au contraire, elle le fait dans la mesure où ces organes sont distincts, au moins du point de vue de l’organisation et de la procédure, du pouvoir exécutif, y compris la Commission des droits de l’homme, les commissions du Parlement et les tribunaux.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Premièrement, l’État partie fait valoir que l’auteur, en refusant de reconnaître son autorité pour enquêter sur des actes criminels relevant de sa compétence territoriale, poursuivre les responsables et résoudre ces affaires, et en mêlant la communauté internationale à une affaire qui relève de sa législation interne, a abusé de son droit de plainte. Le Comité rappelle sa jurisprudence relative à l’article 3 du Protocole facultatif. En l’absence de raison valable expliquant en quoi la présente communication constituerait un abus du droit de plainte, le Comité rejette l’opinion de l’État partie et conclut que la communication n’est pas irrecevable pour ce motif.

6.3Deuxièmement, le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. L’auteur reconnaît que les recours internes ne sont pas encore épuisés mais fait valoir qu’ils sont inutiles et que leur exercice est déraisonnablement long. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être à la fois utiles et disponibles, et ne pas dépasser des délais raisonnables. Le corps de la victime a été retrouvé en avril 2002 et, plus de huit ans plus tard, au moment où le Comité examine la communication, il semble que les poursuites pénales engagées contre les suspects sont toujours en cours. De plus, l’État partie n’a apporté aucun élément pour expliquer pourquoi l’affaire n’a pas pu être examinée plus rapidement et il n’a pas non plus invoqué l’existence d’éléments qui auraient pu compliquer l’enquête et la procédure judiciaire pendant près de huit ans. Le Comité estime que, dans les circonstances de l’affaire, l’application des recours internes a été déraisonnablement prolongée. Il conclut par conséquent qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 d’examiner la communication.

6.4Le Comité note également que l’État partie conteste la recevabilité de la communication parce que l’affaire est ou a été examinée par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires qui s’est rendu dans le pays en février 2007. Le Comité rappelle toutefois qu’une mission d’établissement des faits effectuée dans un pays donné par un rapporteur spécial ne constitue pas une «instance internationale d’enquête ou de règlement» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il rappelle en outre que l’examen par un rapporteur spécial de la situation des droits de l’homme dans un pays donné, même s’il peut impliquer que des informations concernant des particuliers soient citées ou utilisées, ne saurait être considéré comme portant sur la même question que celle qui serait examinée dans une communication émanant d’un particulier, au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité conclut par conséquent que la visite effectuée en 2007 par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ne rend pas la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, du paragraphe 1 de l’article 10, de l’article 17 et de l’article 26, le Comité relève que l’auteur ne donne aucune explication montrant en quoi les droits consacrés dans ces dispositions ont été violés. Il considère par conséquent que l’auteur n’a pas étayé ses griefs, aux fins de la recevabilité, et les déclare donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité considère que les faits de la cause soulèvent des questions au regard de l’article 6 du Pacte, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. En l’absence de tout autre obstacle à la recevabilité de ces griefs, il estime qu’ils sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2En ce qui concerne le fond, le Comité note que l’action pénale engagée contre plusieurs auteurs présumés n’est toujours pas achevée, plus de huit ans après la mort de la victime. Il renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une enquête pénale suivie de poursuites est une mesure nécessaire pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 6.

7.3Le Comité note qu’il n’est pas contesté que la victime est morte sous les balles tirées par des paramilitaires de l’Unité géographique des forces armées (CAFGU), conduite par le sergent T. du 7e bataillon (aéroporté), n’est pas contesté et a été confirmé par un témoin oculaire. L’auteur a mentionné plusieurs cas d’assassinats politiques de défenseurs des droits de l’homme, qui auraient été commis par les forces de sécurité de l’État ou par des groupes agissant sous leur contrôle, à leur instigation ou avec leur consentement exprès ou tacite (voir. par. 2.3). L’État partie a nié que le meurtre de la fille de l’auteur soit imputable à son organisation militaire, sans apporter d’éléments convaincants pour montrer que le sergent T., à la tête du 7e bataillon, et qui fait actuellement l’objet d’une action pénale, a agi pour son propre compte. L’État partie n’a pas davantage apporté d’informations suffisantes montrant qu’il aurait pris des mesures concrètes pour empêcher toute privation arbitraire de la vie et s’abstenir d’en commettre, comme l’impose l’obligation de protéger le droit à la vie énoncée au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. À la lumière des éléments dont il est saisi, le Comité conclut que l’État partie est responsable de la mort de Benjaline Hernandez, et constate qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, à l’égard de Benjaline Hernandez.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme qu’actuellement l’auteur exerce les recours internes. Or, alors qu’il s’est écoulé plus de huit ans depuis le meurtre, hormis l’action engagée il y a très longtemps et toujours pendante contre le sergent T. et quelques autres, les autorités de l’État partie n’ont jamais poursuivi ni traduit en justice qui que ce soit d’autre dans le cadre de ces faits. Si l’État partie donne des renseignements sur les initiatives d’ordre général qu’il a prises, notamment la création de la Commission Melo et l’élaboration de nouvelles directives à l’intention des «tribunaux spéciaux» chargés de connaître des affaires d’exécutions extrajudiciaires, il n’indique pas comment ces initiatives contribueront à la clôture diligente et effective du procès dans l’affaire à l’examen. Il n’explique pas davantage les raisons pour lesquelles l’examen de cette affaire par les tribunaux n’a guère avancé. En fait, même des renseignements essentiels comme le nombre de personnes soupçonnées et inculpées ne figurent pas dans la réponse de l’État partie.

7.5En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation de garantir que les recours soient utiles. Le Comité rappelle que les États parties ne peuvent pas éluder leurs responsabilités découlant du Pacte en avançant l’argument que les juridictions internes sont saisies de l’affaire, alors que les recours que l’État partie invoque ont été d’une longueur déraisonnable. Pour toutes ces raisons, le Comité conclut aussi que l’État partie a commis une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 6 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte, ainsi qu’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 6.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de prendre des mesures effectives pour garantir que le procès pénal soit rapidement achevé, que tous les responsables soient poursuivis et qu’une réparation totale soit assurée à l’auteur, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate. L’État partie doit également prendre des mesures pour garantir que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation est établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]