Nations Unies

CCPR/C/99/D/1870/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

11 août 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-neuvième session

12-30 juillet 2010

Constatations

Communication no 1870/2009

Présentée par:

Charles Gurmurkh Sobhraj (représenté par Isabelle Coutant Peyre)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Népal

Date de la communication:

21 novembre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 mars 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

27 juillet 2010

Objet :

Peine de réclusion à perpétuité prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Questions de fond :

Procès inéquitable: arrestation et détention arbitraires; peine de réclusion à perpétuité prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Questions de procédure :

Néant

Articles du Pacte :

10, 14 (par. 1, 2, 3, 5 et 7) et 15 (par. 1)

Article du Protocole facultatif :

2

Le 27 juillet 2010 le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1870/2009 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-neuvième session)

concernant la

Communication no 1870/2009 **

Présentée par:

Charles Gurmurkh Sobhraj (représenté par Isabelle Coutant Peyre)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Népal

Date de la communication:

21 novembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 27 juillet 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1870/2009 présentée au nom de Charles Gurmurkh Sobhraj en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Charles Gurmurkh Sobhraj, de nationalité française, né le 6 avril 1944 à Saigon (Viet Nam). Il affirme être victime de violations par le Népal des articles 10, 14 (par. 1, 2, 3, 5 et 7) et 15 (par. 1) du Pacte. Il est représenté par un conseil, Mme Isabelle Coutant Peyre. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 mars 1996.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 13 septembre 2003, l’auteur a été arrêté par la police népalaise à Katmandou, alors qu’il était en possession d’un visa délivré par le consulat du Népal à Paris. Il a été détenu pendant vingt-cinq jours sans bénéficier de l’assistance d’un avocat, prétendument pour vérification de son identité. Il a d’abord été accusé d’être en possession de faux documents puis d’être l’auteur d’un meurtre qui aurait été commis en décembre 1975. Pendant le procès, l’auteur n’a pu confronter aucun des témoins qui ont déposé contre lui; il n’a pas non plus été autorisé à faire citer des témoins à décharge, car il ne parlait pas et ne comprenait pas le népalais. Le 12 août 2004, le tribunal de district de Katmandou a condamné l’auteur à une peine de réclusion à perpétuité.

2.2L’auteur a saisi la cour d’appel de Patan. Durant la procédure orale, ses avocats ont dû présenter le même plaidoyer à trois reprises (le 30 mars, le 14 juillet et le 4 août 2005). Les audiences devant la cour d’appel ont été reportées deux fois (le 10 mars et le 9 juin 2005) à la dernière minute et sur demande du procureur, alors qu’un avocat français était venu à chaque fois spécialement de Paris. Le 14 juillet 2005, après une journée de plaidoirie par les avocats de l’auteur, les deux juges de la cour d’appel ont décidé de ne pas rendre de jugement. Les avocats de l’auteur ont présenté un rapport établi par un expert le 18 mars 2005 et certifié par les tribunaux français concernant le seul élément de preuve avancé par l’accusation. Ce rapport établissait que les documents produits par la police contre l’auteur étaient pratiquement impossibles à lire et qu’ils avaient de toute évidence été falsifiés. Il soulignait qu’aucune conclusion ne pouvait être tirée de ces photocopies. L’analyse faite auparavant par le laboratoire de la police népalaise avait également établi que seul un examen des documents originaux permettrait de parvenir à des conclusions. Les originaux n’ont jamais été produits. Le 4 août 2005, un groupe de juges différent a confirmé le jugement de première instance.

2.3L’auteur s’est pourvu devant la Cour suprême. Lorsqu’il a adressé sa lettre initiale au Comité, le 21 novembre 2008, la Cour suprême n’avait pas encore rendu son verdict, malgré les 38 audiences déjà fixées. Le 18 juin 2006, la Cour a demandé à l’accusation de produire les originaux des documents utilisés comme moyen de preuve. Elle a réitéré cette demande le 6 décembre 2006. La comparution de deux témoins qui étaient présents dans l’hôtel au moment des faits incriminés (décembre 1975) a également été demandée. Les témoins ont été entendus le 1er janvier 2007. Le 29 janvier et le 4 février 2007, les responsables de l’hôtel et la police ont confirmé que les originaux des documents produits par la police n’existaient pas. Le 4 février 2007, la phase d’instruction a pris fin et seuls les plaidoyers du parquet et de la défense restaient à être entendus. Ces plaidoyers ont dû être répétés plusieurs fois, à des audiences différentes. Le 4 novembre 2007, la Cour suprême devait rendre une décision finale. L’audience n’a toutefois pas eu lieu, l’un des juges étant malade. À l’audience suivante, le 25 novembre 2007, un autre juge était absent en raison du mariage de sa fille. Le 19 décembre 2007, les deux juges qui étaient finalement présents ont ordonné la réouverture de la procédure, au motif qu’ils n’avaient pas dûment tenu compte d’un aspect du dossier. Une douzaine d’audiences supplémentaires ont eu lieu avant que l’auteur ne soumette sa requête au Comité.

2.4L’auteur a été placé en détention avant jugement dès la date de son arrestation. Depuis le 1er novembre 2004, il a été maintenu à l’isolement presque en permanence, sans avoir la possibilité de contester cette mesure. Pendant l’été 2008, il est resté enchaîné, à l’isolement, au motif qu’il avait eu un différend avec un autre détenu. En raison des conditions inadéquates et insalubres de détention à la prison centrale de Katmandou et de l’absence de soins médicaux, son état de santé s’est considérablement détérioré.

2.5Le 27 février 2009, l’auteur a adressé au Comité une nouvelle lettre, dans laquelle il déclarait que le 13 janvier 2009, la Cour suprême, qui n’avait pas encore rendu son verdict, avait prononcé un ajournement et demandé à la cour d’appel de Patan de déterminer si l’auteur était entré sur le territoire népalais illégalement, sous une fausse identité, en décembre 1975. Pour justifier cet ajournement, la Cour suprême a considéré que la loi existante sur l’immigration pouvait être appliquée rétrospectivement à l’auteur. Dans une lettre datée du 13 août 2009, l’auteur a fait observer que, dans sa décision précédente en date du 4 août 2005, la cour d’appel de Patan avait déjà établi qu’aucune loi spécifique sur l’immigration n’existait en 1975, qu’aucune autre législation n’exigeait un visa pour entrer au Népal et que la nouvelle loi ne pouvait pas s’appliquer rétroactivement aux faits incriminés. En dépit de cette décision, la Cour suprême a ordonné à la cour d’appel de Patan d’établir que la loi no 2049 sur l’immigration pouvait être appliquée, même rétroactivement. Le 4 juin 2009, la cour d’appel de Patan a annulé son précédent jugement et condamné l’auteur à un an d’emprisonnement et 2 000 roupies népalaises d’amende pour entrée illégale sur le territoire népalais en 1975. L’auteur avait déjà purgé sa peine puisqu’il était en détention depuis 2003. L’affaire a ensuite été renvoyée devant la Cour suprême pour que le procès principal se poursuive.

2.6Dans une lettre datée du 23 avril 2009, l’auteur a informé le Comité que l’arrêt de la Cour suprême était attendu pour le 9 novembre 2008. Toutefois, l’audience avait été annulée à la dernière minute en raison de l’absence imprévue de l’un des juges et reportée au 13 janvier 2009. La Cour suprême a cependant renvoyé l’affaire devant la cour d’appel pour que celle-ci examine la question de l’entrée illégale sur le territoire népalais (voir par. 2.5 ci-dessus). Du 26 mars 2006 au 23 avril 2010, 41 audiences ont eu lieu. Ce chiffre ne comprend pas les audiences qui ont été reportées ou annulées.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 10, l’article 14 (par. 1, 2, 3, 5 et 7) et l’article 15 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteur affirme que, depuis son arrestation, il n’a pas bénéficié des garanties prévues par l’article 14 du Pacte. Les seuls éléments produits par l’accusation ont été de simples photocopies, qui ne sont pas recevables comme preuves en vertu de la législation népalaise. L’auteur soutient que les jugements rendus par le tribunal de district de Katmandou et la cour d’appel de Patan violent donc les dispositions du paragraphe 2 de l’article 14. De plus, la Cour suprême n’a pas classé l’affaire bien que l’accusation n’ait pas produit les documents originaux qu’elle lui avait demandés, ce qui constitue également une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.3L’auteur affirme qu’il y a eu violation par l’État partie du paragraphe 3 f) de l’article 14 étant donné qu’il n’a pas pu bénéficier de l’assistance gratuite d’un interprète pendant les audiences et lorsque le jugement a été prononcé. Il souligne qu’il ne comprend pas le népalais et ne sait pas le lire ni l’écrire. Vu qu’il n’a rien pu comprendre pendant les audiences du tribunal de première instance, il lui a été impossible de préparer sa défense et de faire appeler des témoins, ce qui constitue une violation de l’article 14, paragraphe 3 a), b), d) et e), du Pacte.

3.4L’auteur considère que la cour d’appel de Patan n’a pas respecté les garanties minimales visées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte dans son réexamen du jugement de première instance.

3.5Sept années se sont écoulées entre la date de l’arrestation de l’auteur et celle du dernier courrier envoyé au Comité. L’auteur considère que la durée de son procès a été excessivement longue, en violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

3.6L’auteur affirme également que sa détention prolongée depuis le 1er novembre 2004, presque constamment à l’isolement, sans justification et sans possibilité de contester cette mesure, est constitutive de torture, en violation de l’article 10 du Pacte.

3.7L’auteur affirme en outre que le renvoi devant la cour d’appel de Patan par la Cour suprême au motif que la loi existante sur l’immigration pourrait s’appliquer rétroactivement à l’entrée de l’auteur sur le territoire népalais sous une fausse identité en 1975 constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il insiste sur le fait qu’aucune loi spécifique sur l’immigration n’était en vigueur et que la détention d’un visa d’entrée n’était pas obligatoire en 1975. Cette obligation découle d’une loi qui a été adoptée plusieurs années après les faits incriminés. Le fait que la Cour suprême ait imposé à la cour d’appel de Patan d’annuler la décision qu’elle avait rendue le 4 août 2005 et d’établir que la nouvelle législation pouvait s’appliquer rétroactivement aux faits, qui ne constituaient pas une infraction pénale en 1975, signifie que l’acquittement de l’auteur au titre de ce chef par la cour d’appel a été renversé sur ordre de la Cour suprême. L’auteur considère donc que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 15 et le paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 23 avril 2010, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme tout d’abord que le Pacte n’est applicable qu’aux citoyens ordinaires et non aux prisonniers condamnés pour une infraction pénale. Il considère en outre qu’on ne peut pas raisonnablement soutenir que les documents soumis par la police étaient falsifiés puisque ceux-ci ont été soigneusement examinés par les experts compétents, dans le cadre d’une procédure de vérification régulière. Pour ce qui est des résultats de l’analyse des photocopies faite précédemment par le laboratoire de la police népalaise (voir par. 2.2 ci-dessus), l’État partie souligne que la production des originaux avait pour seul but de renforcer les conclusions des experts de la police.

4.2L’État partie conteste l’allégation de l’auteur selon laquelle les originaux des fiches d’enregistrement à l’hôtel n’existaient pas. Toutes les archives n’étaient pas disponibles en raison d’un changement dans la direction de l’hôtel. Toutefois, l’un des responsables de l’hôtel a certifié que la fiche d’enregistrement produite au tribunal avait bien été établie par la direction en place au moment des faits incriminés. L’État partie en conclut donc que le procès de l’auteur s’est déroulé conformément à la loi népalaise, que l’auteur est actuellement emprisonné en application d’une décision rendue par un tribunal et que son appel est en cours d’examen devant une juridiction supérieure.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 17 mai 2010, l’auteur a rejeté les arguments de l’État partie. Sur le premier point, il fait observer que le but même du Pacte est de protéger contre les procédures arbitraires. Il souligne que l’État partie n’a formulé aucune réserve concernant le Pacte et ne peut donc pas exclure les prisonniers condamnés pour une infraction pénale de la protection du Pacte. Il fait valoir en outre que les articles 9, 10, 14 et 15 concernent précisément les personnes privées de liberté, qu’elles aient été condamnées ou non.

5.2Au sujet des deuxième, troisième et quatrième arguments de l’État partie, l’auteur réaffirme qu’aucune preuve matérielle n’a été produite et que les seuls documents présentés au tribunal étaient des photocopies falsifiées.

5.3Pour ce qui est des allégations relatives à l’article 14, l’auteur note que l’État partie se contente d’affirmer que son procès s’est déroulé conformément à la législation népalaise, qu’il est détenu en application d’une décision rendue par un tribunal et que cette décision est actuellement réexaminée par une juridiction supérieure. L’État partie n’explique pas, entre autres, pourquoi le procès a eu lieu dans une langue que l’auteur ne comprenait pas; pourquoi l’auteur n’a pas pu faire appeler ses propres témoins ni confronter les témoins à charge; pourquoi il a été détenu pendant vingt-cinq jours après son arrestation sans être assisté par un conseil; et pourquoi le procès a été indûment retardé. L’auteur insiste sur le fait qu’il doit être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée et sur le fait que la durée excessive de la procédure, le manque d’impartialité des tribunaux et les nombreuses violations du droit à la défense ont porté atteinte au droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure.

5.4L’auteur note également que l’État partie n’a fourni aucune explication justifiant ses conditions de détention inhumaines, qui constituent selon lui une violation de l’article 10 du Pacte. De plus, il réitère sa préoccupation concernant la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte (voir par. 2.5 et 3.7 ci-dessus).

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur reconnaît que tous les recours internes n’ont pas été épuisés mais affirme qu’ils se sont révélés inutiles et déraisonnablement longs. Rappelant sa jurisprudence, il réaffirme que les recours internes au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif doivent être à la fois utiles et disponibles, et ne pas dépasser un délai raisonnable. L’auteur a été arrêté le 13 septembre 2003 et condamné par le tribunal de première instance en 2004. Une année plus tard, la cour d’appel a confirmé la condamnation à la réclusion à perpétuité. À ce jour, le recours formé en 2005 devant la Cour suprême n’a pas encore été tranché et demeure pendant en raison des différents reports et annulations d’audience. Le Comité estime que dans les circonstances de l’espèce les recours internes ont dépassé un délai raisonnable. Il note que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes. En conséquence, il conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

6.4L’État partie conteste la recevabilité de la plainte formulée par l’auteur au motif que le Pacte s’applique uniquement aux citoyens ordinaires et non aux personnes condamnées et purgeant leur peine. Le Comité rappelle que cet argument n’est pas fondé en droit. Il renvoie à son Observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il souligne que le droit d’accès aux tribunaux et aux cours de justice ainsi que le droit à l’égalité devant ces derniers, loin d’être limités aux citoyens des États parties, doivent être accordés aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, et quel que soit leur statut, par exemple aux demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants, enfants non accompagnés et autres personnes, qui se trouveraient sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa juridiction. Le Comité note également que la protection garantie par l’article 14 s’applique à toutes les personnes inculpées d’infractions pénales, qu’elles aient déjà été condamnées ou non. Ceci est également vrai des articles 9 et 15 du Pacte. Compte tenu des nombreux renseignements fournis par l’auteur sur les circonstances de son arrestation et celles dans lesquelles il a été traduit devant le tribunal de district, la cour d’appel et la Cour suprême, le Comité considère que l’auteur a suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, que le traitement qu’il a subi en détention et le procès qui lui a été fait soulèvent des questions au regard des articles 10, 14 et 15 du Pacte, que le Comité devrait examiner au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations portées à sa connaissance par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme qu’après son arrestation il a été détenu pendant vingt-cinq jours sans bénéficier de l’assistance d’un avocat. L’auteur n’a pas pu se faire assister gratuitement d’un interprète pendant les audiences et lorsque le jugement a été prononcé. Ne sachant ni lire, ni parler, ni écrire le népalais, il n’a pas pu suivre les débats du tribunal de première instance et n’a donc pas été en mesure de préparer sa défense, de faire citer des témoins à décharge ou de confronter les témoins à charge. Étant donné que l’État partie n’a fait aucun commentaire sur cette allégation, le Comité se doit de tenir dûment compte des affirmations de l’auteur. Il rappelle son Observation générale no 32, dans laquelle il a affirmé que le droit de l’accusé de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience, conformément à l’alinéa f du paragraphe 3 de l’article 14, consacrait un autre aspect des principes de l’équité et de l’égalité des armes dans les procédures pénales. Le Comité a également souligné l’importance de ce principe dans sa jurisprudence, en considérant que la notion de procès équitable supposait que l’accusé soit autorisé, lors d’un procès pénal, à s’exprimer dans la langue qu’il parle normalement, et que le refus de fournir l’assistance d’un interprète constituait une violation du paragraphe 3 e) et f) de l’article 14. En l’espèce, le Comité considère que le fait que l’auteur n’ait pas eu accès à un interprète au moment de son arrestation et pendant les audiences du tribunal de district et qu’il n’ait pas été assisté d’un avocat pendant la phase initiale de la procédure constitue une violation, non seulement des deux dispositions susmentionnées mais aussi du droit à la défense consacré au paragraphe 3 a), b) et d) de l’article 14 du Pacte.

7.3En ce qui concerne l’allégation de violation de la présomption d’innocence, l’auteur fait valoir que les seuls éléments de preuve fournis par l’accusation sont de simples photocopies, que la législation népalaise ne considère pas comme recevables. Il ajoute que la Cour suprême n’a pas classé l’affaire bien que l’accusation n’ait pas produit les originaux qu’elle lui avait demandés. L’État partie considère pour sa part que l’allégation selon laquelle les documents soumis par la police étaient falsifiés n’est pas défendable étant donné que ces documents ont été soigneusement examinés par les experts compétents, dans le cadre d’une procédure régulière de vérification. Pour ce qui est des résultats de l’analyse des photocopies faite précédemment par le laboratoire de la police népalaise (voir par. 2.2 ci-dessus), l’État partie souligne que la production des originaux avait pour seul but de renforcer les conclusions des experts de la police. Le Comité relève avec préoccupation que le tribunal de district et la cour d’appel de Patan ont tous deux considéré dans leurs décisions que si l’intéressé affirmait qu’il se trouvait ailleurs au moment de l’incident, il devait alors le prouver et, s’il ne le pouvait pas, il serait reconnu en tort. Le Comité rappelle son Observation générale no 32, dans laquelle il est indiqué que, du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe. Le Comité insiste sur le fait qu’un tribunal pénal ne peut déclarer une personne coupable que s’il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à sa culpabilité, et il incombe à l’accusation de dissiper un tel doute. En l’espèce, le tribunal de district et la cour d’appel de Patan ont tous deux renversé la charge de la preuve au détriment de l’auteur, ce qui constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

7.4En ce qui concerne la longueur de la procédure, le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui fait valoir que 41 audiences ont eu lieu entre le 26 mars 2006 et le 23 avril 2010, sans compter les audiences qui ont été auparavant reportées ou annulées. Le Comité note également que la plupart des audiences qui ont été annulées ou reportées l’ont apparemment été à la dernière minute et sans qu’aucune explication ne soit donnée. L’État partie n’a fourni aucun renseignement sur les raisons de ces contretemps. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dans laquelle il précise que le droit de l’accusé d’être jugé sans retard excessif concerne non seulement le délai entre le moment où l’accusé est formellement inculpé et celui où le procès doit commencer, mais aussi le moment où le jugement définitif en appel est rendu. Tous les stades de la procédure, que ce soit en première instance ou en appel, doivent se dérouler sans retard excessif. Dans la présente affaire, les décisions du tribunal de district et de la cour d’appel ont été adoptées en l’espace de deux ans mais la procédure devant la Cour suprême a débuté en 2005 et se poursuit toujours. Le Comité rappelle sa position selon laquelle les États parties ont l’obligation d’organiser leur système d’administration de la justice de telle sorte qu’ils garantissent le règlement efficace et prompt des affaires. La longueur de la procédure devant la Cour suprême et, plus encore, les nombreux reports et annulations d’audiences ne peuvent pas être justifiés dans les circonstances de l’espèce. Par conséquent, le Comité estime que les droits que l’auteur tient du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte ont été violés.

7.5Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que la durée excessive de la procédure, le manque d’impartialité des tribunaux et des nombreuses violations du droit à la défense ont porté atteinte au droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure. Il note que l’État partie s’est contenté de déclarer que le procès de l’auteur s’est déroulé conformément à la législation népalaise. Il rappelle à l’État partie qu’il lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte de prendre les mesures voulues et d’adopter les dispositions législatives nécessaires pour donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. Lorsque la législation nationale n’est pas conforme aux dispositions du Pacte, les modifications voulues devraient y être apportées. Le Comité est d’avis que l’impartialité des tribunaux dans la présente affaire soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14, ainsi que l’auteur le souligne. Il considère également que la durée excessive de la procédure devant la Cour suprême, le manque d’impartialité des tribunaux dans leur application du principe de la présomption d’innocence et les violations du droit à la défense décrites plus haut ont porté atteinte au droit de l’auteur de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure. Il considère donc que, dans les circonstances de l’espèce, les droits que l’auteur tient des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 ont été violés.

7.6Pour ce qui est du grief tiré du paragraphe 1 de l’article 15 et du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, le Comité note que la Cour suprême s’est prononcée pour un renvoi devant la cour d’appel de Patan, à laquelle elle a demandé de déterminer si le paragraphe 1 de l’article 5 de la nouvelle loi no 2049 sur l’immigration s’appliquait à l’entrée présumée de l’auteur sur le territoire népalais en 1975. Il note également que la même cour d’appel avait déjà statué sur cette affaire et conclu que la nouvelle loi ne s’appliquait pas dans sa décision du 4 août 2005, et que la Cour suprême a passé outre cette conclusion en demandant à la cour d’appel de réexaminer sa décision sur la question. Le Comité relève que l’État partie n’a fait aucune observation sur les griefs tirés par l’auteur du paragraphe 1 de l’article 15 et rappelle qu’il se doit donc de tenir dûment compte des affirmations de l’auteur. Le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle que le paragraphe 1 de l’article 15 impose que les «actions ou omissions» dont un individu est reconnu coupable constituent «une infraction pénale». On ne peut pas déterminer dans l’abstrait si une action ou une omission spécifique donne lieu à une condamnation pour une infraction pénale; cette question ne peut être tranchée qu’à l’issue d’un procès au cours duquel des preuves tendant à démontrer l’existence des éléments constitutifs de l’infraction sont apportées d’une façon suffisamment convaincante. S’il n’est pas possible de prouver comme il convient l’existence de l’élément constitutif nécessaire de l’infraction, selon les dispositions des textes nationaux (ou internationaux), il s’ensuit que la condamnation d’un individu pour l’acte ou l’omission en question représente une violation du principe selon lequel nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elle a été commise, énoncé au paragraphe 1 de l’article 15. Le Comité a déjà établi que les tribunaux nationaux avaient renversé la charge de la preuve au détriment de l’auteur. C’est à ce dernier qu’il revenait finalement de prouver qu’il n’était pas entré sur le territoire népalais en 1975. Ce qui précède fait clairement apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 15 et du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

7.7Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme avoir été maintenu à l’isolement presque en permanence depuis le 1er novembre 2004, sans possibilité de contester cette mesure. Pendant l’été 2008, l’auteur a été placé à l’isolement avec des entraves, au motif qu’il avait eu un différend avec un autre détenu; en raison des conditions inadéquates et insalubres de détention à la prison centrale de Katmandou et de l’absence de soins médicaux, son état de santé se serait considérablement détérioré. Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucun renseignement ou argument contestant l’allégation de l’auteur. Il appelle l’attention sur son Observation générale no 20 relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il souligne que l’emprisonnement cellulaire prolongé d’une personne détenue ou incarcérée peut être assimilé aux actes prohibés par l’article 7. Il renvoie en outre à sa jurisprudence dans laquelle il affirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et qu’elles doivent être traitées conformément, entre autres, à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (1957). Le Comité ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer si la manière dont l’auteur a été traité constitue une violation de l’article 7. Il estime néanmoins que les conditions de détention décrites par l’auteur, notamment son placement en isolement, l’usage d’entraves sans possibilité de recours et l’absence de soins médicaux appropriés sont incompatibles avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 1, 2, 3, 5 et 7 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme de l’achèvement rapide du procès et d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]