Nations Unies

CCPR/C/NER/CO/2

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 mai 2019

Original : français

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Niger *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le deuxième rapport périodique du Niger (CCPR/C/NER/2) à ses 3574e et 3575e séances (voir CCPR/C/SR.3574 et 3575) les 6 et 7 mars 2019. À sa 3597e séance, le 22 mars 2019, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie de lui avoir soumis, quoiqu’avec un retard considérable, son deuxième rapport périodique. Le Comité apprécie l’occasion qui lui a été donnée d’engager un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie sur les mesures prises par celui-ci pour donner effet aux dispositions du Pacte. Il remercie également l’État partie pour les réponses écrites (CCPR/C/NER/Q/2/Add.1) à sa liste de points (CCPR/C/NER/Q/2), ainsi que pour les informations additionnelles écrites transmises au Comité après le dialogue.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives et institutionnelles ci-après :

a)L’adoption de la loi no2000-008 du 7 juin 2000, complétée par la loi no2014-64 du 5 novembre 2014, instituant un système de quota en vue de favoriser la représentation des femmes dans les fonctions électives, au Gouvernement et dans l’administration de l’État partie ;

b)L’adoption de la loi no2003-25 du 13 juin 2003, modifiant la loi no 61-27 du 15 juillet 1961, portant institution du Code pénal, qui incrimine les mutilations génitales féminines ;

c)L’adoption de l’ordonnance no2010-86 du 16 décembre 2010 relative à la lutte contre la traite des personnes ;

d)L’adoption de la loi no2014-60 du 5 novembre 2014, portant code de la nationalité nigérienne et reconnaissant à la femme le droit de transmettre sa nationalité nigérienne à son mari étranger ;

e)L’adoption de la loi no 2018-74 du 10 décembre 2018 relative à la protection et à l’assistance aux personnes déplacées internes ;

f)L’établissement d’un comité interministériel chargé de la rédaction des rapports périodiques destinés aux organes conventionnels.

4.Le Comité salue également l’établissement par l’État partie de la Commission nationale des droits humains, selon la loi no 2012-44 du 24 août 2012.

5.En outre, le Comité se félicite de la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants, ou de son adhésion à ces instruments, au cours de la période écoulée depuis l’examen de son rapport initial (CCPR/C/45/Add.4) :

a)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2008 ;

b)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, en 2009 ;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en 2012 ;

d)La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, en 2012 ;

e)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en 2014 ;

f)Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en 2014 ;

g)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en 2015.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité du Pacte dans l’ordre juridique interne et suite donnée aux constatations du Comité

6.Le Comité prend bonne note de l’article 171 de la Constitution nigérienne, qui consacre la primauté des traités internationaux sur la législation interne, et accueille favorablement l’adoption récente de la loi no2018-37 du 1er juin 2018, dont l’article 72 permet au juge d’écarter une coutume qui dérogerait aux obligations internationales de l’État partie. Le Comité regrette toutefois l’absence d’informations relatives à des cas concrets de rejet d’une coutume dérogeant au Pacte et, plus généralement, d’exemples d’application du Pacte par des juridictions internes (art. 2).

7. L’État partie devrait  : a) garantir, en pratique, la primauté du Pacte sur le droit national, ainsi qu’un recours utile aux justiciables en cas de violation du Pacte ; b) sensibiliser les juges, les avocats et les procureurs aux dispositions du Pacte, de sorte que celles-ci soient prises en compte devant et par les tribunaux nationaux ; et c) ratifier le Protocole facultatif au Pacte , qui instaure une procédure de communications individuelles.

Commission nationale des droits humains

8.Tout en saluant l’établissement de la Commission nationale des droits humains, accréditée du statut A en vertu des Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), et accueillant favorablement la mise en place d’antennes régionales de la Commission nationale des droits humainsà Diffa, à Agadez et à Tillabéri, notamment pour répondre aux défis posés par les déplacements internes et transfrontières, le Comité souligne toutefois sa préoccupation quant à la faible parité de genre dans la Commission. En outre, notant que le budget global annuel de la Commission est d’environ 300 millions de francs CFA (soit 457 000 euros) pour 2019, le Comité exprime sa préoccupation quant à l’insuffisance des ressources financières qui lui sont octroyées (art. 2).

9. L’État partie devrait : a) prendre des mesures pour augmenter la représentation des femmes au sein de la Commission nationale des droits humains ; et b) doter la Commission de ressources suffisantes afin de lui permettre d’accomplir pleinement son mandat, en conformité avec les Principes de Paris.

Lutte contre la corruption

10.Tout en saluant les mesures d’ordre législatif et institutionnel prises par l’État partie pour lutter contre la corruption, notamment l’établissement de la Haute Autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, ainsi que la mise en place d’une ligne téléphonique gratuite permettant les dénonciations, le Comité s’inquiète de rapports faisant état de la persistance de la corruption au sein des administrations, notamment dans les secteurs policier et judiciaire. Le Comité est en outre préoccupé par des informations rapportant un manque de transparence quant à la gestion des ressources naturelles, notamment des exonérations importantes accordées à des entreprises internationales d’extraction minière, au détriment du budget de l’État (art. 1, 2, 14, 25 et 26).

11. L’État partie devrait : a) redoubler d’efforts dans sa lutte contre la corruption et l’impunité qui y est associée ; b) garantir que l’ensemble des affaires de corruption fera l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales , et , au besoin , de sanctions judiciaires adéquates ; et c) prendre les dispositions nécessaires pour assurer une gestion transparente des contrats avec les entreprises internationales d’extraction minière , ainsi que des recettes qui en découl e nt.

Lutte contre l’impunité et violations passées des droits de l’homme

12.Prenant note des épisodes politiques et sécuritaires difficiles qu’a traversés le Niger au cours des années 1990, ainsi que des explications de l’État partie relatives au parti pris d’opter pour des règlements politiques et des lois d’amnistie, le Comité réitère toutefois sa préoccupation quant à l’absence d’enquêtes visant à faire la lumière sur un certain nombre d’épisodes de violations des droits de l’homme, notamment : a) les événements de Tchintabaraden, lors desquels un grand nombre d’opposants touaregs auraient perdu la vie en 1990 ; et b) de nombreuses violations des droits de l’homme commises entre 1996 et 1999, comme en atteste la découverte du charnier de Boultoungoure en 1999, dans une affaire demeurée nonélucidée (art. 2).

13. L’État partie devrait prendre les mesures législatives et judiciaires nécessaires afin que les auteurs des violations passées des droits de l’homme soient traduits en justice, et qu’aucun responsable de grave s violation s des droits de l’homme n ’échappe à l’action publique.

Lutte contre le terrorisme et état d’urgence

14.Tout en reconnaissant les difficultés liées à la lutte armée menée par l’État partie contre des groupes non étatiques qui perpètrent régulièrement des attaques sur son territoire, le Comité est préoccupé par la définition du terrorisme introduite par l’ordonnance no2011-12 du 27 janvier 2011 modifiant le Code pénal, qui, en faisant référence à un acte commis dans l’intention de perturber le fonctionnement normal des services publics, pourrait, de par son caractère flou et ambigu, pénaliser des activités pacifiques menées au titre du droit à la liberté d’expression, d’association ou de réunion. Le Comité craint également que les modifications législatives relatives au terrorisme entraînent des dérogations au droit commun en matière de garanties judiciaires. En outre, le Comité est préoccupé au regard d’allégations reçues à propos de plusieurs cas d’arrestations et de condamnations de défenseurs des droits de l’homme, au titre de la législation antiterroriste (art. 2, 9, 14, 18, 19, 21 et 22).

15. L’État partie devrait adopter les mesures nécessaires pour revoir sa législation relative au terrorisme, afin de la rendre compatible avec le Pacte. Il devrait en outre veiller à prévenir toute atteinte injustifiée ou disproportionnée à la liberté d’expression des médias et défenseurs des droits de l’homme au titre de la législation antiterroriste.

16.Le Comité est préoccupé par l’état d’urgence en vigueur depuis 2015dans la région de Diffa, étendu subséquemment aux régions de Tillabéri et deTahoua. Le Comité relève en particulier qu’en raison de la militarisation de nombreuses zones de pêche et d’agriculture dans la zone du bassin du lac Tchad, l’état d’urgence semble porter disproportionnellement atteinte à la liberté de mouvement et limiter considérablement les activités de subsistance de la population civile (art. 4, 6 et 12).

17. L’État partie devrait veiller à ce que les mesures adoptées pour lutter contre le terrorisme soient pleinement compatibles avec l’article 4 du Pacte et, plus particulièrement, que les mesures dérogeant aux dispositions du Pacte soient strictement nécessaires au regard de la situation, et répondent aux exigences du principe de proportionnalité.

Non-discrimination

18.Tout en notant le cadre législatif, y compris les dispositions d’ordre constitutionnel qui prohibent la discrimination, le Comité regrette toutefois l’absence de législation définissant et incriminant de manière exhaustive la discrimination directe et indirecte, et englobant l’orientation sexuelle, l’identité de genre et le handicap. Le Comité regrette en outre la qualification « contre nature »des activités sexuelles consensuelles entre adultes de même sexe parl’article 282 du Code pénal (art. 2, 17 et 26).

19. L’État partie devrait prendre les mesures adéquates afin : a) d’adopter une législation complète qui protège pleinement et efficacement contre la discrimination dans tous les domaines , et qui contient une liste exhaustive des motifs de discrimination, y compris l’orientation sexuelle et l’identité de genre ; et b) de réviser l’article 282 du Code pénal , afin de supprimer l’incrimination des relations sexuelles consensuelles entre adultes de même sexe .

Égalité homme-femme et discrimination à l’égard des femmes

20.Le Comité accueille favorablement l’article 8 de la Constitution, qui consacre l’égalité devant la loi sans distinction fondée sur le sexe, ainsi que la loi no2000-008 du 7 juin 2000, complétée par la loi no2014-64 du 5 novembre 2014, fixant la représentation des femmes à 15% dans les fonctions électives et à 25% dans l’administration publique, des objectifs qui restent à mettre en œuvre. Le Comité note également avec satisfaction les efforts de l’État partie pour réformer sa législation nationale, mais relève que la loi no2018-37 du 1er juin 2018 continue de consacrer le droit coutumier, dont les parties peuvent se prévaloir, à la place du droit civil, dans la plupart des affaires civiles ou relatives au statut personnel. Il s’inquiète, en outre, de la prolongation du délai d’adoption du projet de Code de la famille élaboré en 2010 et visant à abolir les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes (art. 2, 3, 25 et 26).

21. L’État partie devrait poursuivre ses efforts et en particulier : a) adopter promptement le Code de la famille, qui établira clairement la primauté du droit civil sur le droit coutumier ; b) harmoniser les lois nationales avec les dispositions du Pacte, y compris en abrogeant les dispositions discriminatoires de son droit statutaire et coutumier relatives, notamment, au mariage, à la polygamie, à la répudiation, au divorce, à la succession et à la propriété foncière ; et c) s’efforcer d’augmenter, en pratique et dans un délai raisonnable, le nombre de femmes dans les affaires publiques.

Violences et pratiques préjudiciables à l’égard des femmes

22.Tout en accueillant favorablement les mesures adoptées par l’État partie en vue de lutter contre les violences faites aux femmes, notamment la stratégie nationale de prévention et de réponse aux violences basées sur le genre et son plan d’action (2017), et saluant la mise en œuvre de la décision rendue en 2008 par la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui avait condamné le Niger dans l’affaire Dame Hadijatou Mani Koraou c. la République du Nigerliée à la pratique de lawahaya, le Comité demeure préoccupé par les informations faisant état du faible taux de plaintes déposées par les victimes, d’enquêtes et de condamnations. Il déplore également l’absence de législation définissant et incriminant spécifiquement les violences sexuelles, y compris le viol conjugal. Il s’inquiète également de la persistance de la pratique des mutilations génitales féminines dans certaines régions et par certains groupes ethniques, malgré son incrimination par l’article 232.2 du Code pénal,ainsi que des mariages précoces et de la wahaya, pratique qui perdure dans certaines parties du pays, bien qu’elle soit réprimée par l’article 270.2 du Code pénal et par l’ordonnance no2010-86 du 16 décembre 2010 relative à la lutte contre la traite des personnes (art. 2, 3, 7, 8, 24 et 26).

23. L’État partie devrait : a) c ollecter et fournir des statistiques ventilées sur l’ampleur de s violence s à l’égard des femmes, intensifier les campagnes de sensibilisation sur cette question, augmenter et améliorer les services des structures d’accueil et les dispositifs de prise en charge des victimes , et rendre opérationnel le fonds spécial d ’ indemnisation des victimes de la traite ; b) s’assurer que les cas de violence s à l’égard des femmes font l’objet de plaintes et d’enquêtes approfondies , et que les auteurs sont poursuivis et condamnés ; c) réviser sa législation afin de pénaliser le viol conjugal et d’y inclure des sanctions proportionnées à la gravité de l’acte ; et d) veiller à ce que toute personne coupable de mutilations génitales féminines soit poursuivie et condamnée.

Interruption volontaire de grossesse , et mortalité maternelle et infantile

24.Le Comité est préoccupé par l’article 295 du Code pénal qui pénalise le recours à l’avortement, hormis dans les circonstances restrictives prévues par la loi no 2006-16 du 21 juin 2006 sur la santé de la reproduction. Le Comité s’inquiète de ce que ces restrictions poussent les femmes à recourir à des avortements clandestins non sécurisés, dans des conditions qui mettent leur vie et leur santé en danger. Le Comité s’inquiète en outre du fait que, malgré une amélioration sensible, la mortalité maternelle et infantile demeure très élevée, particulièrement dans les zones rurales, d’autant plus que le secteur de la santé reste sous-financé (art. 3, 6, 7, 17 et 26).

25. L’État partie devrait modifier sa législation pour donner accès à l’avortement dans des conditions acceptables de sécurité , et ainsi protéger la vie et la santé de la femme ou de la fille enceinte , notamment dans les cas suivants : lorsque le fait de mener la grossesse à terme causerait pour la femme une souffrance considérable, lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste , et lors que la grossesse n’est pas viable . Il devrait également s’assurer que les femmes et les filles ayant recours à l’avortement ainsi que les médecins qui les aident ne font pas l’objet de sanctions pénales. L’État partie devrait en outre garantir à tous les hommes, femmes et adolescents du pays l’accès à des services de santé sexuelle et procréative de qualité, ainsi qu’ à la contraception et à l’éducation . Enfin, il devrait poursuivre ses efforts engagés en matière de promotion de la santé procréative , notamment la mise en œuvre du p lan de développement sanitaire 2017-2021 , y compris dans les zones rurales et reculées, en y consacrant des ressources adéquates.

Peine de mort

26.Tout en notant l’absence d’exécutions depuis 1976, et saluant le processus engagé pour l’abolition, en droit, de la peine de mort, ainsi que l’information fournie oralement au Comité par l’État partie, selon laquelle un décret présidentiel de décembre 2018 a accordé des remises de peine, y compris la commutation des peines de mort en peines d’emprisonnement à vie, le Comité regrette que la peine de mort demeure législativement prévue pour certains crimes et continue d’être prononcée par les tribunaux, et que la non-exécution des peines de mort soit tributaire de grâces accordées au cas par cas (art. 6).

27. L’État partie devrait : a) formellement abolir, en droit, la peine de mort et abroger les dispositions du Code pénal qui prévoient l’application de ce châtiment ; et b) adopter promptement le projet de loi du 23 octobre 2014 autorisant l’adhésion du Niger au D euxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques , visant à abolir la peine de mort, et adhérer à cet instrument.

Protection des civils

28.Le Comité s’inquiète de la protection de la population civile dans le cadre du conflit armé opposant les forces de défense et de sécurité du Niger à des groupes armés non étatiques dans les régions de Diffa,dans le sud-est du pays, et de Tillabéri, près de la frontière avec le Mali, conflit qui entraîne des déplacements de population (art. 2, 3, 6 et 7).

29. L’État partie devrait : a) veiller, dans le cadre d’opérations militaires, au respect du principe de distinction et de proportionnalité dans les attaques ; b) poursuivre ses efforts de sensibilisation et de formation des forces de sécurité nigérienne s en matière de respect des droits de l’homme dans le cadre d’opérations militaires ; c) mener des enquêtes transparentes et efficaces pour établir les faits de même que les circonstances dans lesquelles des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire auraient été perpétrées par des membres de ses forces armées, ou par des groupes armés non étatiques s’en prenant aux populations civiles ; d) traduire en justice les auteurs de telles violations et, s’ils sont reconnus coupables, les condamner à des sanctions appropriées ; et e) prendre toutes les mesures nécessaires pour accorder une réparation intégrale aux familles des victimes.

Torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants

30.Le Comité relève l’absence d’informations qui indiqueraient une pratique systématique de la torture ou des mauvais traitements par les forces de sécurité de l’État partie. Il demeure en revanche inquiet de l’absence, dans le Code pénal, d’une définition de la torture ainsi que d’une incrimination spécifique du crime de torture, et note qu’un projet de loi incriminant la torture, élaboré en 2014 par le Ministère de la justice, n’a pas encore été adopté. Le Comité exprime également sa préoccupation au vu d’allégations de violences policières lors de manifestations, telles les manifestations étudiantes d’avril 2017. Le Comité relève en outre que l’État partie n’a toujours pas établi de mécanisme de prévention de la torture, malgré sa ratification en 2014 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 2 et 7).

31. L’État partie devrait : a) accélérer le processus d’adoption de la loi incriminant la torture, en veillant à sa conformité au Pacte et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants  ; b) s’assurer que les cas présumés de torture et de mauvais traitements commis par les agents de l’ É tat partie font l’objet d’une enquête approfondie, veiller à ce que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et faire en sorte que les victimes obtiennent réparation en se voyant notamment proposer des mesures de réadaptation ; et c) mettre promptement en place un mécanisme national de prévention de la torture.

Conditions de détention

32.Le Comité remercie l’État partie pour les informations statistiques fournies par établissement pénitentiaire. Il salue également l’adoption de la loi no2017-05 du 31 mars 2017, portant institution du travail d’intérêt général en substitution de peines privatives de liberté, ainsi que celle de la loi no2017-08 du 31 mars 2017 relative au régime pénitentiaire, qui prévoit l’augmentation des rations alimentaires de deux à trois repas par jour pour les détenus. Le Comité exprime toutefois sa préoccupation quant aux conditions de détention inadéquates qui semblent prévaloir dans la quasi-totalité des établissements pénitentiaires de l’État partie. Il est, en outre, préoccupé par : a) le taux d’occupation inquiétant de la prison de Niamey ; b) les informations faisant état de conditions sanitaires, médicales et alimentaires insatisfaisantes dans la plupart des établissements pénitentiaires ; c) les ressources insuffisantes allouées au régime pénitentiaire ; et d) l’absence de séparation entre prévenus et condamnés (art. 6, 7 et 10).

33. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires en vue : a)  de poursuivre ses efforts d’amélioration des conditions de vie et du traitement des détenus, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ; b) de remédier au problème de la surpopulation carcérale dans la prison civile de Niamey, en procédant notamment à des transferts de détenus vers des établissements ne connaissant pas la surpopulation carcérale, et en poursuivant ses efforts visant à privilégier des mesures de substitution à la privation de liberté ; c) d ’entreprendre des travaux de rénovation de l’ensemble des lieux de détention ; et d) de continuer à garantir le droit de visite sans restriction de la Commission nationale des droits humains dans tous les lieux de privation de liberté.

Traite des personnes et esclavage

34.Tout en notant les efforts de l’État partie pour lutter contre la traite des personnes et l’esclavage, notamment au titre des articles 270.1 à 270.5 du Code pénal et de l’ordonnance no2010-86 du 16 décembre 2010, le Comité relève avec préoccupation la persistance du phénomène de l’esclavage, en pratique. Il déplore également le faible taux d’application des dispositions législatives précitées, cinq poursuites seulement ayant été rapportées, dont deux auraient abouti à des condamnations. Le Comité est d’autant plus préoccupé que les peines infligées dans les deux cas d’espèce n’étaient pas proportionnelles à la gravité du crime d’esclavage. Le Comité déplore en outre le manque de données disponibles relatives à l’ampleur de l’esclavage fondé sur l’ascendance, y compris l’esclavage des enfants, le travail forcé et la mendicité forcée, ainsi que de la traite des personnes. De plus, le Comité regrette le peu de ressources allouées à la lutte contre ces pratiques et à la réhabilitation des victimes (art. 8 et 24).

35. L’État partie devrait poursuivre ses efforts et en particulier : a) s’assurer de la collecte de données statistiques ventilées par âge, sexe et origine des victimes ; b) s’assurer que sa législation criminalisant l’esclavage et la traite des personnes est diffusée et connue des justiciables ainsi que de la police, des procureurs et des juges ; c) renforcer ses mécanismes institutionnels en ressources financières et humaines, en particulier l’Agence n ationale de l utte contre la t raite des p ersonnes ; d) mener une enquête systématique sur tous les cas d’esclavage et de traite des personnes, y compris quand des enfants sont concernés , et veiller à ce que les responsables soient poursuivis en vertu des dispositions pénales pertinentes et , s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnelles à la gravité du crime ; et e) prendre toutes les mesures propres à garantir qu’une assistance médicale, psychologique, sociale et juridique visant à leur pleine réhabilitation est apportée aux victimes.

Liberté et sécurité de la personne

36.Le Comité demeure préoccupé par les informations faisant état de nombreuses arrestations sans mandat de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et de membres de l’opposition, qui auraient été détenus sans jugement en vertu de la législation antiterroriste. Il s’inquiète en particulier d’allégations de dépassements des délais légaux de garde à vue, du non-respect des garanties judiciaires et de l’usage excessif de la détention préventive (art. 9, 14, 19, 21 et 22).

37. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires afin de s’assurer : a) qu’aucune arrestation ou détention n’a lieu de façon arbitraire , et que les détenus disposent de toutes les garanties juridiques, conformément aux articles 9 et 14 du Pacte  ; b) que tous les cas d’arrestation arbitraire font l’objet d’enquêtes et de sanctions disciplinaires ou de poursuites judiciaires , et donnent lieu à des indemnisation s, le cas échéant  ; et c) que le Code de procédure pénale est respecté en ce qui a trait aux délais de garde à vue et de détention préventive.

Traitement des réfugiés et des personnes déplacées

38.Tout en saluant l’hospitalité de l’État partie et les efforts qu’il consent vis-à-vis des réfugiés,des demandeurs d’asile et des migrants qui traversent son territoire en route vers la Méditerranée, le Comité exprime ses préoccupations quant à la loi no 2015-36 du 26 mai 2015relative au trafic illicite de migrants, qui aurait entraîné une interdiction de facto des déplacements au nord d’Agadez et ainsi poussé les migrants à vivre dans la clandestinité, dans des conditions les exposant à de nombreux abus et violations des droits de l’homme. Reconnaissant les efforts de l’État partie, de concert avec des organisations internationales, pour assurer le retour volontaire de migrants d’Afrique de l’Ouest, le Comité s’inquiète toutefoisdu fait que de nombreuses victimes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, souffrant en outre de traumatismes physiques et psychologiques, pourraient être renvoyées vers des pays où elles risqueraient de subir de mauvais traitements, en violation du principe de non-refoulement (art. 7, 9, 12 et 13).

39. L’État partie devrait : a) s’assurer que ses procédures de détermination du statut de réfugié sont conformes aux normes internationales , et dispenser une formation adaptée aux agents de surveillance des frontières et aux autres fonctionnaires compétents ; b) respecter strictement l’interdiction absolue du refoulement découlant des articles 6 et 7 du Pacte ; et c) mener des enquêtes impartiales et offrir des recours utiles aux migrants dont les droits auraient été violés.

Indépendance du pouvoir judiciaire et administration de la justice

40.Le Comité accueille favorablement les efforts de l’État partie en matière de réforme et de modernisation de la justice, notamment la tenue d’états généraux de la justice en novembre 2012, ainsi que l’adoption de la loi no 2018-36 du 24 mai 2018 portant statut de la magistrature. Il note toutefois avec préoccupation l’insuffisance des garanties d’indépendance du pouvoir judiciaire et le rôle prééminent du pouvoir exécutif dans son organisation. Le Comité est également préoccupé par des allégations faisant état d’ingérence de l’exécutif dans les décisions judiciaires (art. 14).

41. L’ État partie devrait consacrer le principe de l’indépendance de la magistrature, garanti dans l’article 116 de sa Constitution , en veillant à la nomination indépendante des magistrats du siège et du parquet sur la base de critères objectifs et transparents permettant d’apprécier les qualités des candidats, conformément aux exigences d’aptitude, de compétence et de respectabilité. Il devrait également garantir la stabilité et l’indépendance des magistrats du siège et l’autonomie des magistrats du parquet, en préservant le fonctionnement du pouvoir judiciaire de toute ingérence.

Libertés d’expression et de réunion, protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme

42.Tout en notant les explications de l’État partie, et saluant l’adoption de l’ordonnance no2010-35 du 4 juin 2010 portant régime de la liberté de la presse, le Comité exprime ses préoccupations quant aux informations faisant état de la suspension, en mars 2018, de la radio-télévision privée Labari, pour avoir refusé de livrer à la police la copie de son journal télévisé, qui traitait d’une manifestation tenue à Niamey. Le Comité s’inquiète en outre d’allégations d’arrestations arbitraires de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme, de membres de l’opposition politique ainsi que d’enseignants et d’étudiants en 2017 et en 2018, et d’informations faisant état d’un usage excessif de la force par des agents des services de police pour disperser les manifestations. Il exprime également sa préoccupation relative à des interdictions, par les autorités municipales, de manifestations pourtant préalablement autorisées judiciairement (art. 2, 6, 7, 14, 19 et 21).

43. À la lumière de l’observation générale n o  34 (2011) du Comité sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, l’État partie devrait : a) s’assurer que toute restriction imposée aux activités de la presse et des médias est strictement conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte ; b) veiller à ce que ses agents évitent toute atteinte injustifiée ou disproportionnée à la liberté d’expression des médias , protéger les journalistes contre toute forme de mauvais traitement , et enquêter sur de tels actes afin d’en poursuivre et d’en condamner les responsables ; c) prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la protection des défenseurs des droits de l’homme contre les menaces et intimidations, et enquêter sur de tels actes afin d’en poursuivre et d’en condamner les responsables ; d) a ccélérer le processus d’adoption du projet de loi relative à la protection des défenseurs de d roits de l’ h omme ; e) lever toute restriction non nécessaire à la liberté de réunion et de manifestation ; f ) mener promptement des enquêtes impartiales et efficaces , et traduire les responsables en justice, dans tous les cas où il y a eu usage excessif de la force pour disperser des manifestations ; et g ) clarifier et, le cas échéant, réviser son cadre réglementaire et législatif concernant les autorisations de manifestation, ainsi que le rôle et les attributions du Conseil supérieur de la communication, en veillant à ce que les dispositions de l’article 19 du Pacte soient respectées .

Protection des enfants

44.Tout en notant les informations fournies par l’État partie sur le cadre réglementaire entourant le travail des enfants, le Comité demeure préoccupé par :a) le grand nombre d’enfants employés comme domestiques et exposés à des abus ; b) le nombre d’enfants en situation de rue, euxaussi exposés à toutes formes de violence ; c) la situation spécifique des enfants talibés, livrés à des marabouts dans des écoles coraniques et contraints de mendier; et d) la persistance de la pratique de l’esclavage des enfants fondé sur l’ascendance. Enfin, le Comité relève avec préoccupation que les châtiments corporels au sein du foyer et dans les écoles, y compris les écoles coraniques, ne sont toujours pas interdits (art. 6, 7, 8, 16 et 24).

45. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour  : a) protéger les mineurs contre toutes formes d’abus, notamment par la prise en charge et la réhabilitation des enfants en situation de rue ou engagés dans la mendicité ; b) condamner publiquement la pratique de la mendicité forcée et sensibiliser les chefs religieux et traditionnels, ainsi que les parents, en vue d’éradiquer cette pratique ; c) poursuivre ses efforts en vue de strictement encadrer et r é glementer le travail des enfants ; d) mettre en œuvre la criminalisation de l’esclavage, en poursuivant systématiquement tous les auteurs du crime d’esclavage d’enfants basé sur l’ascendance  ; et e) prendre des mesures pratiques, notamment d ’ ordre législatif, afin de mettre fin aux châtiments corporels dans tous les contextes.

D.Diffusion et suivi

46. L’État partie devrait diffus er largement le texte du Pacte, du deuxième rapport périodique et des présentes observations finales auprès d es autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile, d es organisations non gouvernementales œuvrant dans le pays et du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait faire en sorte que le rapport et les présentes observations finales soient traduits dans ses langues officielles.

47. Conformément au paragraphe 1 de l’article 7 5 du règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir , le 29 mars 2021 au plus tard , des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations faites par le Comité aux paragraphes 11 (lutte contre la corruption) , 33 (conditions de détention) et 43 (libertés d’expression et de réunion, protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme) ci-dessus.

48. Le Comité prie l’État partie de lui soumettre son prochain r apport périodique le 29 mars 202 3 au plus tard , et d’y faire figurer des renseignements précis et à jour sur la mise en œuvre des recommandations faites dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble. Le Comité prie également l’État partie de consulter largement la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays aux fins de l’élaboration de son rapport. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, ce rapport ne devra pas compter plus de 21 200 mots. Le Comité encourage tous les É tats à suivre la procédure simplifiée d’établissement des rapports. Le Comité prie dès lors l’ É tat partie de lui indiquer s’il souhaite accepter la procédure simplifiée aux fins de son prochain rapport. Cette information devrait parvenir au Comité dans l’année suivant la réception des présentes o bservations finales. Les réponses de l’État partie à la liste de points préparée par le Comité au titre de la procédure simplifiée d’établissement des rapports constitueront son prochain rapport périodique devant être soumis conformément à l’article 40 du Pacte.