Présentée par:

Mahmoud Walid Nakrash et Liu Qifen(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Suède

Date de la communication:

3 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 janvier 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

30 octobre 2008

Objet: Expulsion des auteurs chacun vers son pays d’origine

Questions de fond: Risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; non‑respect de la vie familiale

Question s de procédure: Griefs insuffisamment étayés

Article s du Pacte: 7 et 17

Article du Protocole facultatif: 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication n o 1540/2007**

Présentée par:

Mahmoud Walid Nakrash et Liu Qifen(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Suède

Date de la communication:

3 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2008,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs de la communication sont M. Mahmoud Walid Nakrash, musulman sunnite de nationalité syrienne, né en Arabie saoudite en 1979, et Mme Liu Qifen, de nationalité chinoise, née en 1977. Ils présentent également la communication au nom de leur fils, Nor‑Edin, né en 2004 en Suède. Ils n’invoquent aucun article particulier du Pacte et ne sont pas représentés par un conseil.

1.2En enregistrant la communication, le 9 janvier 2007, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs vers la Syrie et la Chine tant que la communication serait examinée. En conséquence, l’État partie a décidé de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1M. Nakrash dit que son père, qui était membre du parti des Frères musulmans interdit en Syrie, a été arrêté en 1979 par la police syrienne, de même que son cousin. Placé en détention, son père s’est échappé et a fui avec sa famille en Arabie saoudite. Plus tard, il a appris qu’il avait été condamné à mort in absentia en Syrie et que son cousin avait été pendu en 1980 sur décision du Gouvernement syrien.

2.2En 1986, l’auteur s’est rendu en Syrie avec sa mère et son frère. Lorsqu’ils ont décidé de rentrer en Arabie saoudite, les autorités syriennes ont interdit à l’auteur et à son frère de quitter le pays. Leur mère est donc repartie seule en Arabie saoudite et eux sont restés chez leur grand‑père (maternel). En 1990, leur mère est revenue en Syrie et leur père a décidé de partir pour la Suède, où il a demandé l’asile et obtenu un permis de séjour.

2.3L’auteur affirme qu’en Syrie, des agents de service de sécurité sont venus une fois chez lui et l’ont emmené ainsi que son frère pour l’interroger. Pendant des années, ils auraient été constamment harcelés par les services de renseignement. L’auteur affirme également qu’il a dû abandonner ses études en raison des mesures prises contre lui parce qu’il n’était pas membre du parti Baath.

2.4Entre 1998 et 2000, l’auteur a assisté à des réunions organisées par les Frères musulmans, qui avaient une teneur à la fois politique et religieuse. Après l’une de ces réunions, l’auteur et d’autres participants ont été arrêtés par la police. Il est resté en détention sans chef d’inculpation pendant deux semaines, durant lesquelles il a été frappé et insulté à maintes reprises. Il a été libéré après que son oncle eut versé des pots-de-vin mais il lui a été interdit de voyager à l’intérieur du pays. Quelques mois plus tard, alors qu’il était au travail, la police a fouillé son domicile et confisqué des cassettes et des livres, entre autres. Il a en outre été prié de contacter les services de la sécurité politique le plus tôt possible. L’auteur n’est pas rentré chez lui et a vécu caché pendant cinq mois environ. Il a appris que certains de ses amis et le dirigeant du groupe avaient été arrêtés et qu’il était recherché par la police. Il a réussi à obtenir un faux passeport et un visa turc et s’est enfui en Turquie. En février 2000, il est arrivé à Ankara où il a pris contact avec l’ambassade de Suède et demandé un visa, en faisant valoir les liens de son père avec la Suède. Sa demande a toutefois été rejetée.

2.5L’auteur est arrivé en Suède en juin 2003 et a présenté une demande d’asile le 4 juillet 2003. Il a été interrogé le 9 janvier 2004 et a reçu une première réponse négative des services d’immigration le 9 novembre 2004. Il a fait appel de cette décision devant la Commission de recours des étrangers le 29 mars 2005. Le 21 avril 2005, la Commission a débouté l’auteur. Cette décision a été confirmée le 11 mai 2006.

2.6L’auteur joint à sa communication un extrait de casier judiciaire dans lequel il est indiqué qu’il a été condamné par défaut le 21 mars 2000 par la Cour de sûreté de l’État à neuf ans d’emprisonnement avec travail en raison de son appartenance à un groupe d’opposition illégale. Il a également été condamné par défaut à trois ans d’emprisonnement par un tribunal militaire le 11 mai 2000 pour n’avoir pas accompli le service militaire obligatoire.

2.7M. Nakrash affirme par ailleurs qu’il souffre d’une maladie grave semblable au cancer, appelée «histiocytose de Langerhans» et qu’il a suivi une chimiothérapie. En raison de celle‑ci, il a notamment des difficultés à digérer et doit prendre des analgésiques.

2.8En Suède, M. Nakrash a rencontré Mme Liu Qifen, une citoyenne chinoise qui était arrivée dans le pays en juillet 2003 et dont la demande d’asile avait également été rejetée. Ils ont eu un fils, né le 20 novembre 2004. La mère a demandé l’asile au nom de l’enfant le jour même de sa naissance.

2.9En Chine, Mme Liu Qifen vivait avec son frère, enseignant du Falun Gong. En 1998, elle a elle‑même commencé à pratiquer le Falun Gong et au début de 2002, elle et son frère ont été arrêtés. Elle a été libérée quelques jours plus tard après avoir versé une amende. Elle a ensuite été convoquée plusieurs fois par la police, qui l’a interrogée sur sa pratique du Falun Gong et lui a demandé de donner les noms d’autres disciples. Elle a été frappée à plusieurs reprises et a finalement accepté de signer un document par lequel elle s’engageait à cesser de pratiquer. Son frère a été condamné à dix ans d’emprisonnement. Lorsqu’elle lui a rendu visite en prison, elle a pu voir qu’il avait été frappé. Elle a décidé de quitter le pays en mars 2003.

2.10La demande d’asile de Mme Liu Qifen a été rejetée par le Conseil des migrations le 21 décembre 2004 et par la Commission de recours des étrangers le 21 avril 2004.

Teneur de la plainte

3.1M. Nakrash affirme qu’il serait arrêté et risquerait d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements s’il était expulsé vers la Syrie. Il relèverait de la compétence des tribunaux militaires, qui n’appliquent pas les normes minimales de justice. Il pourrait être maintenu en détention sans procès pendant une longue période et ne plus revoir sa compagne et son fils.

3.2Mme Liu Qifen affirme également qu’elle courrait le risque d’être arrêtée et séparée de son enfant si elle était expulsée vers la Chine en raison des activités de son frère au sein du Falun Gong. Elle craint en outre d’être victime de discrimination du fait qu’elle est une mère célibataire. Enfin, elle affirme que la séparation permanente de son fils avec son père constituerait un traitement cruel. Elle n’a pas d’autres parents en Chine que son frère.

3.3Les auteurs affirment que leur famille sera séparée s’ils sont expulsés et qu’ils ne pourront pas se rendre visite, car les autorités de leurs pays respectifs ne les autoriseront pas à voyager même s’ils ne sont pas en détention.

3.4Les auteurs n’invoquent aucun article spécifique du Pacte. Toutefois, leurs griefs peuvent soulever des questions au titre des articles 7 et 17.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 22 août 2007, l’État partie a affirmé que, lorsqu’il avait été interrogé par le Conseil des migrations, M. Nakrash avait indiqué que ses problèmes avec les autorités syriennes avaient débuté en 1998, au moment de son enrôlement pour le service militaire. Les autorités avaient alors découvert qu’il n’était pas membre du parti Baath et que son père avait des liens avec les Frères musulmans. Il avait été interrogé par des agents des différents départements des services de sécurité et de la police de la sûreté.

4.2Le 9 novembre 2004, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile et de permis de séjour de M. Nakrash. Il a fait valoir que l’auteur n’avait pas pu étayer ses allégations concernant les actes de harcèlement, les interrogatoires et les mauvais traitements que lui auraient fait subir les autorités syriennes et qu’il n’avait pas non plus prouvé qu’il avait vécu trois ans en Turquie. Le Conseil a estimé qu’il était très peu probable que les autorités syriennes s’intéressent particulièrement à l’auteur s’il retournait dans son pays étant donné que son père avait quitté la Syrie longtemps auparavant, en 1979. De plus, sa mère et son frère n’avaient eu aucun problème avec les autorités syriennes. L’auteur était sorti du pays avec un passeport en règle et les documents de voyage requis. Il n’aurait pas pu le faire s’il avait intéressé les autorités syriennes. D’après les renseignements dont dispose le Conseil, le refus de se soumettre au service militaire en Syrie est puni de deux à six mois d’emprisonnement. Ceci ne constitue pas un motif suffisant pour pouvoir obtenir l’asile en Suède. En outre, il est très courant que le Président syrien accorde une amnistie et les peines de ce type sont rarement purgées.

4.3L’auteur a affirmé devant la Commission de recours des étrangers qu’il avait été condamné à neuf ans d’emprisonnement en raison de son appartenance à des organisations illégales de l’opposition et qu’un de ses amis avait obtenu un document montrant qu’il avait été effectivement condamné pour les deux infractions. Il a également déclaré qu’il vivait en concubinage avec Mme Liu Qifen, avec laquelle il avait eu un fils. En dépit de sa maladie, il travaillait à temps partiel dans un restaurant à Lulea. Il a présenté un acte de naissance pour son fils. Toutefois, ce document ne contenait aucun élément indiquant l’identité du père. La Commission a rejeté sa demande essentiellement pour les mêmes motifs que le Conseil des migrations.

4.4La demande présentée par Mme Liu Qifen a été rejetée par le Conseil des migrations le 21 décembre 2004. D’après le Conseil, le régime chinois avait mené une vaste campagne de répression à l’encontre des disciples du mouvement Falun Gong depuis 1999. Toutefois, les autorités ne s’en étaient pas prises aux pratiquants ordinaires. Il ressortait de la jurisprudence de la Commission de recours des étrangers que le simple fait d’appartenir à ce mouvement ne constituait pas une raison suffisante pour obtenir un permis de séjour. Les activités de Mme Liu Qifen étaient restées limitées et la durée relativement courte de la peine de prison qu’elle avait purgée montraient que les autorités ne s’intéressaient pas particulièrement à elle. Après avoir signé en 2001 un document par lequel elle s’engageait à ne plus pratiquer le Falun Gong, elle avait pu mener une vie relativement normale en Chine jusqu’à ce qu’elle quitte le pays le 11 mars 2003. Elle a présenté une télécopie de sa convocation par la police qui, selon la Commission, n’avait pas une valeur probante suffisante. La Commission a conclu que l’auteur n’a pas démontré qu’elle courait le risque d’être persécutée par les autorités chinoises.

4.5Lorsqu’elle a fait appel auprès de la Commission de recours des étrangers, Liu Qifen a fait valoir que même les pratiquants de son niveau avaient fait l’objet de persécutions et que son départ de la Chine avait certainement eu pour effet de renforcer les soupçons à son égard. D’après ses amis en Chine, elle serait toujours recherchée par la police. De plus, elle avait été rayée du registre national des citoyens et serait donc considérée comme apatride en Chine. Elle a en outre déclaré que M. Nakrash ne serait pas autorisé à entrer en Chine parce qu’il n’était pas connu des autorités et qu’il pouvait lui aussi être soupçonné d’être un pratiquant du Falun Gong. Leur famille serait donc séparée s’ils étaient expulsés vers des pays différents.

4.6Le 21 avril 2005, la Commission de recours des étrangers a maintenu la décision du Conseil des migrations, pour les mêmes motifs. La Commission savait qu’une personne pouvait être rayée du registre national des citoyens chinois et devait alors être réenregistrée si elle revenait en Chine. Toutefois, l’auteur n’avait pas prouvé qu’elle avait effectivement était rayée de ce registre et qu’elle avait perdu sa nationalité chinoise. Il n’avait pas été établi non plus que la famille ne pourrait pas être réunie que ce soit en Syrie, en Chine ou dans un pays tiers.

4.7Le Conseil des migrations a réexaminé leurs cas au regard du libellé provisoire de l’article 5 b) du chapitre 2 de la loi sur les étrangers de 1989. Dans une décision rendue le 11 mai 2006, il a conclu que les auteurs ne pouvaient pas prétendre à un permis de séjour car en l’espèce les circonstances ne revêtaient pas un caractère humanitaire urgent. De plus, les auteurs n’avaient pas tissé avec la Suède des liens tels qu’ils justifiaient la délivrance d’un permis de séjour pour les motifs visés. L’article susmentionné disposait qu’une attention particulière devait être accordée notamment à la situation sociale de l’enfant, à la durée de résidence dans le pays et aux liens de l’intéressé avec la Suède.

4.8L’État partie reconnaît que les auteurs ont épuisé tous les recours internes disponibles. Il soutient néanmoins que la communication devrait être considérée comme irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif. Premièrement, le droit d’asile en tant que tel n’est pas protégé par le Pacte. Le Pacte ne garantit pas non plus les droits socioéconomiques tels que le droit à un logement gratuit, au travail, à une assistance médicale gratuite ou à une assistance financière de l’État visant à maintenir un certain niveau de vie. Si les griefs invoqués se rapportent à l’exercice de ces droits au titre du Pacte, alors les questions abordées ne relèvent pas du champ d’application de ce dernier et la communication doit être déclarée irrecevable ratione materiae.

4.9Deuxièmement, il n’est pas certain que le traitement auquel les auteurs risqueraient d’être soumis à leur retour en Syrie et en Chine serait tel qu’il relèverait de l’article 7 du Pacte. Celui‑ci ne donne pas de définition des termes employés à l’article 7. La définition énoncée à l’article 1 de la Convention contre la torture pourrait être utilisée en l’espèce. Toutefois, il est très peu probable que le traitement en question puisse être qualifié de torture. Le terme torture désigne le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, à des fins précises. Rien ne permet d’affirmer que les auteurs seraient soumis intentionnellement à un traitement d’une telle gravité en Syrie ou en Chine. Pour ce qui est de la notion de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 7, le Comité a estimé qu’il fallait, pour déterminer si celle‑ci s’appliquait, tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire, comme la durée et la nature des traitements, leurs effets physiques ou mentaux et le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime. Les conditions de vie des auteurs et les traitements qu’ils auraient à subir à leur retour dans leurs pays d’origine respectifs ne revêtiraient sans doute pas un degré de gravité tel qu’il relève de l’article 7, même en tenant compte de leur situation personnelle particulière. En conséquence, la plainte des auteurs ne relève pas du champ d’application du Pacte et la communication devrait être déclarée irrecevable ratione materiae. Le principe du non‑refoulement consacré à l’article 7 du Pacte ne peut pas être considéré comme imposant l’obligation d’empêcher l’expulsion des auteurs en l’espèce, même si l’État partie reconnaît que la situation générale en matière de droits de l’homme est problématique à bien des égards tant en Syrie qu’en Chine. Pour cette raison également, la communication devrait donc être déclarée irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.10Enfin, l’État partie affirme que la communication ne présente pas le niveau de preuve minimum requis aux fins de la recevabilité. Cela vaut également pour le grief au titre de l’article 17 du Pacte.

4.11Pour ce qui est du fond, l’État partie fait valoir que les services d’immigration suédois ont une grande expérience en matière d’évaluation des demandes d’asile émanant de ressortissants syriens et qu’il convient donc d’accorder tout le crédit voulu à leurs conclusions.

4.12M. Nakrash a affirmé qu’il avait été condamné à une peine de prison en raison de son appartenance à des groupes d’opposition interdits pour la première fois lorsqu’il a fait appel devant la Commission de recours des étrangers. À l’appui de cette allégation, il a soumis un extrait de casier judiciaire, qu’il a également transmis au Comité. Il n’a fourni qu’une photocopie de ce document, alors qu’il avait affirmé que son ami et son frère avaient obtenu l’original auprès du Département pénal des services de sécurité. L’ambassade de Suède à Damas a fait évaluer l’authenticité dudit document par un avocat, qui a conclu qu’il n’était pas authentique sur la base des éléments suivants. Ni le numéro de la décision de la Cour de sûreté de l’État ni celui de la décision du tribunal militaire n’étaient indiqués, alors qu’ils auraient dû l’être. Aucune indication n’était non plus donnée concernant le tribunal militaire qui avait condamné l’auteur. Il était indiqué que l’exécution de la peine de neuf ans pour appartenance à des groupes d’opposition interdits avait été suspendue. Toutefois, ni les tribunaux pénaux ni la Cour de sûreté de l’État ne sont habilités à prononcer de sursis à exécution en vertu de la législation syrienne. L’avocat a recherché le nom de l’auteur dans les archives de la Cour de sûreté de l’État et le fichier central de tous les tribunaux militaires à Damas mais n’a trouvé aucun dossier le concernant. Dans les archives du Ministère de l’intérieur syrien, il a trouvé un mandat à l’encontre de l’auteur, établi à Alep en 2003 parce qu’il ne s’était pas présenté au service militaire. Toutefois, ce mandat avait été annulé après une amnistie en 2003. L’avocat n’a trouvé auprès des services des migrations syriens aucun renseignement selon lequel l’auteur serait recherché pour une infraction. Or, a‑t‑il expliqué, si une personne était recherchée par les autorités syriennes, celle‑ci était normalement fichée par les services des migrations pour pouvoir être arrêtée lorsqu’elle essayait de quitter le pays ou d’y entrer.

4.13D’après l’État partie, la conclusion évidente à tirer des résultats de l’enquête est que M. Nakrash n’a pas été condamné pour les infractions mentionnées. Il ne court donc pas le risque d’être arrêté et soumis à des mauvais traitements pour ce motif s’il est renvoyé en Syrie. De plus, le fait qu’il ait soumis de faux renseignements et documents aux autorités suédoises et au Comité jette des doutes sérieux sur sa crédibilité et la véracité de ses déclarations.

4.14L’État partie fait également valoir que M. Nakrash a formulé des affirmations contradictoires. Par exemple, lorsqu’il a été interrogé pour la deuxième fois par le Conseil des migrations, M. Nakrash a affirmé qu’il n’avait participé qu’à une réunion politique, alors qu’il a déclaré au Comité avoir participé à plusieurs. Devant les autorités suédoises, il a affirmé que plusieurs autres personnes ayant participé à la réunion avaient été arrêtées par la police et que lui‑même avait été arrêté pendant l’été ou l’automne 1999. Devant le Comité, toutefois, il déclare avoir été arrêté directement après la réunion. Devant le Conseil des migrations, il a affirmé qu’il lui avait fallu dix mois pour obtenir un report de trois mois pour le service militaire, alors qu’il avait affirmé en 1998 lors d’une visite à l’ambassade de Suède qu’il bénéficiait d’un report jusqu’en 2000. Lorsque le Conseil des migrations a examiné son dossier au regard de la législation provisoire, il n’avait fait aucune mention de la peine de neuf ans d’emprisonnement qui aurait été prononcée contre lui.

4.15L’État partie conclut que M. Nakrash n’a pas été en mesure d’étayer l’affirmation selon laquelle il risquerait d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Syrie. Il est très peu probable que les autorités s’intéressent à lui en raison des activités politiques de son père, ce dernier ayant quitté la Syrie en 1979 et ses activités politiques ayant été très limitées et de peu de portée. En ce qui concerne son état de santé, M. Nakrash n’a pas déclaré que sa maladie pouvait être mortelle ni que les soins médicaux dont il avait besoin n’étaient pas disponibles en Syrie. Compte tenu de ces éléments, la Commission de recours des étrangers a conclu qu’il ne pouvait pas prétendre à l’asile et à un permis de séjour pour des raisons humanitaires.

4.16Pour ce qui est de Mme Liu Qifen et de son fils, l’État partie considère qu’il est peu probable que les autorités chinoises s’intéressent à elle. Elle n’a pas été en mesure de prouver qu’elle serait persécutée à son retour en Chine. Il n’est donc pas possible d’invoquer une violation de l’article 7 du Pacte. Les circonstances décrites et les documents fournis par les auteurs ne suffisent pas à établir un risque réel et personnel d’être soumis à des mauvais traitements. Les auteurs n’ont donc pas étayé l’affirmation selon laquelle leur expulsion vers la Syrie et la Chine entraînerait des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 7.

4.17En ce qui concerne l’argument des auteurs qui font valoir que leur expulsion entraînerait la séparation de leur famille et porterait atteinte à leur droit au respect de la vie de famille, la Commission de recours des étrangers a statué dans sa décision du 21 avril 2005 qu’une séparation temporaire de la famille ne constituerait pas une violation du droit au respect de la vie de famille au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La famille pourrait être réunie en Syrie, en Chine ou dans un pays tiers et les auteurs n’avaient pas montré que ceci serait impossible. Soucieux de tirer ce point au clair, l’État partie a demandé l’assistance de l’ambassade de Suède à Damas pour déterminer si la législation syrienne permettrait aux auteurs d’être réunis en Syrie. L’ambassade a engagé un avocat pour étudier la question. Selon celui‑ci, il serait possible à la famille des auteurs d’être réunie en Syrie. En cas d’exécution de la mesure d’expulsion à l’encontre de M. Nakrash, Mme Liu Qifen et son fils pourraient présenter une demande de visa auprès de l’ambassade de Syrie puis, une fois en Syrie, demander un permis de séjour en raison de leurs liens avec M. Nakrash. L’État partie n’a pas été en mesure de déterminer s’il serait possible pour la famille d’être réunie en Chine. Il conclut que l’expulsion des auteurs vers des pays différents ne peut pas être considérée comme une immixtion arbitraire ou illégale dans leur famille au sens de l’article 17.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note datée du 6 février 2008, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. M. Nakrash a affirmé que, comme il l’avait indiqué au Conseil des migrations, il avait été arrêté à plusieurs reprises entre 1997 et 1999 et que, même pendant son enfance, il avait dû se présenter régulièrement à la police. L’arrestation mentionnée dans sa lettre initiale a eu lieu en mars 1999, à l’issue d’une réunion à laquelle il avait assisté. Il a également été arrêté une fois en août ou septembre 1999 et maintenu en garde à vue pendant quatre jours. La dernière réunion à laquelle il a pris part a eu lieu en octobre 1999. Après cela, il a vécu dans la clandestinité et s’est enfui pour la Turquie en février 2000.

5.2En ce qui concerne son service militaire, M. Nakrash affirme qu’il a demandé un report parce que sa mère était malade et qu’il devait s’occuper d’elle. Toutefois, en raison de la participation de son père aux activités de groupes d’opposition, le Président du centre de recrutement de son secteur a retardé la décision. En conséquence, il lui a fallu dix mois pour obtenir le report.

5.3Lorsque son cas a été examiné au regard de la législation provisoire, son avocat s’est intéressé principalement à la situation familiale. Il n’a pas mentionné la peine de neuf ans parce que cette question avait déjà été soulevée auprès des autorités suédoises.

5.4L’auteur affirme que son père est toujours sous le coup d’une condamnation à mort, même s’il a quitté la Syrie il y a longtemps, et que la loi 49/1980 prévoyant la peine de mort à l’encontre de toute personne liée aux Frères musulmans est toujours en vigueur.

5.5Après la visite effectuée par son frère au Département de la sécurité de la police criminelle pour y demander un extrait de son casier judiciaire, deux policiers se sont rendus au domicile de son frère et ont laissé un document demandant à l’auteur de se présenter à la police militaire au plus tard le 1er février 2005, faute de quoi la durée de son service militaire serait doublée. L’auteur rejette la conclusion de l’avocat engagé par l’ambassade de Suède et affirme que le document concernant son casier judiciaire est authentique. Selon lui, l’avocat n’était probablement pas habilité à recueillir le type de renseignement voulu. En outre, il s’efforçait probablement de coopérer à la fois avec les autorités syriennes et avec l’ambassade de Suède, ce qui rendait facile pour l’État partie d’expulser l’auteur vers la Syrie. En vertu de l’état d’urgence actuellement en vigueur, les autorités syriennes peuvent arrêter n’importe qui à tout moment. Elles n’ont pas besoin d’informer les services des migrations pour arrêter une personne à son entrée dans le pays ou à sa sortie du territoire. Elles exercent une surveillance particulière sur les citoyens syriens qui reviennent dans le pays après plusieurs années, sur ceux qui ont été expulsés, ceux qui rentrent de «pays hostiles» et ceux qui sont soupçonnés d’avoir des liens avec l’opposition. Lorsque ces personnes arrivent à l’aéroport ou à d’autres postes frontières, elles sont emmenées au tristement célèbre centre de renseignements, où elles peuvent être soumises à des interrogatoires poussés et à la torture. L’auteur cite le cas d’un autre citoyen syrien qui avait été expulsé du Royaume‑Uni en 2005, les autorités britanniques ayant découvert qu’il n’avait fait l’objet ni d’une condamnation ni d’un mandat d’arrêt. À son arrivée en Syrie, celui‑ci avait été arrêté, jugé pour son appartenance supposée aux Frères musulmans et condamné à la peine de mort, réduite plus tard à douze ans d’emprisonnement. Il affirme que ce cas est semblable au sien et qu’il subirait le même sort. Il renvoie en outre aux rapports d’Amnesty International et du Comité des droits de l’homme syrien dénonçant les violations des droits de l’homme commises dans le pays.

5.6L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que sa famille pourrait être réunie en Syrie. Dans la mesure où lui et sa compagne seraient expulsés vers des pays différents, ils devraient entreprendre auprès des autorités syriennes une procédure qui prendrait du temps et risquait de ne pas aboutir. De plus, Mme Liu Qifen refuse de vivre en Syrie et la famille de M. Nakrash n’accepte pas sa relation avec une femme non musulmane. La différence de culture, de traditions et de religion constitue l’une des principales raisons pour lesquelles Mme Liu Qifen ne peut pas vivre en Syrie. En outre, celle‑ci refuse le mariage en raison de leur situation précaire, ce qui les met dans une position particulièrement délicate au regard du droit civil syrien et constitue un obstacle à l’obtention du permis de séjour en Syrie.

5.7Mme Liu Qifen affirme également que son fils ne serait pas reconnu comme chinois par les autorités chinoises parce qu’il est né en dehors de la Chine et que son père est un étranger. En vertu de la législation chinoise, l’enfant est considéré comme ayant la nationalité de son père et ne peut pas acquérir la nationalité de sa mère chinoise.

5.8M. Nakrash fait en outre valoir qu’ils se sont intégrés à la société suédoise. Leur fils va à l’école et son père et quatre de ses frères vivent également en Suède. Ses attaches familiales sont donc plus importantes en Suède qu’en Syrie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale en date du 10 avril 2008, l’État partie a fait observer que dans certaines de leurs déclarations supplémentaires, les auteurs ne font que surenchérir par rapport à leurs déclarations précédentes. Ainsi, M. Nakrash affirme que ses problèmes avec les autorités syriennes ont commencés dès août/septembre 1997 et qu’il a été arrêté à plusieurs reprises pendant les deux années qui ont suivi. Toutefois, lorsqu’il a été interrogé la deuxième fois par le Conseil, le 9 janvier 2004, il a affirmé que ses problèmes avec les autorités avaient commencé lorsqu’il avait demandé le report de son service militaire et qu’entre 1998 et 2000, il avait été convoqué plusieurs fois par les services de sécurité et questionné au sujet de son père. Il a également affirmé qu’il n’avait participé qu’à une réunion à la fin 1999.

6.2M. Nakrash mentionne pour la première fois une note de la police datée du 15 janvier 2005 lui demandant de se présenter devant les autorités le 1er février 2005. Il est exact qu’une copie non certifiée de ce document a été soumise au Conseil des migrations suédois, en même temps que la demande de permis de séjour en vertu de la législation provisoire. Toutefois, aucun exemplaire original du document en question n’a été soumis et celui‑ci n’a jamais été invoqué comme élément de preuve pendant la procédure d’asile devant le Conseil.

6.3L’État partie rappelle que l’ambassade de Suède à Damas a engagé un avocat pour étudier l’authenticité de certains documents. Si M. Nakrash était recherché par les autorités pour avoir refusé de se présenter devant elles à une date donnée, l’avocat aurait sans aucun doute signalé à l’ambassade qu’un tel document avait été établi par les autorités. Toutefois, l’existence de ce document n’est ni constatée ni mentionnée dans le rapport de l’avocat.

6.4D’après les renseignements dont dispose le Conseil des migrations suédois, la peine prévue contre ceux qui refusent de faire leur service militaire varie de deux à six mois d’emprisonnement. Cependant, les amnisties sont apparemment très courantes et il est rare que les peines de prison de ce type soient purgées. En conclusion, l’État partie estime que le document en question ne constitue pas en lui-même un motif suffisant pour obtenir l’asile en Suède.

6.5En ce qui concerne l’état de santé de M. Nakrash, l’État partie rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce n’est que dans des circonstances très exceptionnelles et lorsqu’il existe des considérations humanitaires impérieuses que l’exécution d’un arrêté d’expulsion peut constituer une violation de la Convention européenne des droits de l’homme eu égard à l’état de santé de la personne concernée. De plus, M. Nakrash n’a pas indiqué que les soins médicaux dont il avait besoin n’étaient pas disponibles en Syrie. L’État partie conclut donc que l’état de santé de l’auteur ne constitue pas un motif suffisant pour lui accorder l’asile en Suède.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que les auteurs ne sont pas représentés par un conseil et qu’ils ne précisent pas quels sont les articles du Pacte dont les dispositions seraient violées par l’État partie s’ils étaient expulsés vers leurs pays d’origine respectifs. Le Comité considère néanmoins que certains de leurs griefs peuvent être examinés au regard de l’article 7. Ainsi, M. Nakrash affirme qu’il courrait le risque d’être arrêté et soumis à la torture et à des mauvais traitements à son retour en Syrie. Le Comité rappelle que les États parties ont pour obligation de n’exposer aucun individu à un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par leur renvoi dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement. Le Comité doit donc décider s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’une conséquence nécessaire et prévisible de ce renvoi vers la Syrie serait que l’auteur courrait un risque réel d’être soumis à un traitement interdit par l’article 7 du Pacte. Le Comité note que le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers ont tous deux rejeté, après un examen approfondi, la demande d’asile de l’auteur, dont ils ont jugé les déclarations peu crédibles et contradictoires. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que la procédure devant les autorités de l’État partie ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que M. Nakrash n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre de l’article 7 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. En ce qui concerne Mme Liu Qifen, elle affirme qu’elle risque d’être arrêtée si elle retourne en Chine. Toutefois, elle n’apporte pas suffisamment d’éléments pour montrer qu’elle serait soumise à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Cette partie de la communication est également irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être étayée.

7.4Les deux auteurs affirment que leur expulsion de l’État partie entraînerait la séparation de leur famille. Le Comité a examiné ce grief, qui pourrait soulever des questions au titre de l’article 17 du Pacte. Il note cependant que le Conseil des migrations et la Commission de recours ont également examiné cette question et conclu que les auteurs n’avaient pas démontré que leur famille ne pourrait pas être réunie en Syrie, en Chine ou dans un pays tiers. Le Comité considère que les éléments portés à sa connaissance ne montrent pas que l’évaluation des faits et des éléments de preuve faite par les autorités de l’État partie à ce sujet ait été arbitraire ou ait représenté un déni de justice, et conclut que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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