NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1469/20066 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑quatorzième session13‑31 octobre 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1469/2006

Présentée par:

Yasoda Sharma (représentée par Advocacy Forum − Népal)

Au nom de:

L’auteur et son mari, Surya Prasad Sharma

État partie:

Népal

Date de la communication:

26 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 mai 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

28 octobre 2008

Objet: Disparition; détention au secret

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes

Question s de fond: Droit à la vie; interdiction de la torture et des peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de sa personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine

Article s du Pacte: 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 10

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le 28 octobre 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1469/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication n o  1469/2006*

Présentée par:

Yasoda Sharma (représentée par Advocacy Forum − Népal)

Au nom de:

L’auteur et son mari, Surya Prasad Sharma

État partie:

Népal

Date de la communication:

26 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1469/2006 présentée par Yasoda Sharma en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication présentée le 26 avril 2006 en son nom propre et au nom de son mari disparu, Surya Prasad Sharma, né le 27 septembre 1963, est Mme Yasoda Sharma, de nationalité népalaise, née le 3 mai 1967. Elle affirme qu’en ne procédant pas à une enquête approfondie sur la disparition de son mari le Népal a commis une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 10. Elle est représentée par un conseil, Advocacy Forum − Népal. Le Népal est partie au Pacte et au Protocole facultatif s’y rapportant depuis le 14 mai 1991.

1.2Le 12 février 2008, l’État partie a demandé que la recevabilité de la communication et les questions de fond soient examinées séparément. Le 29 février 2008, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications a décidé, au nom du Comité, que la recevabilité et le fond devaient être examinés en même temps.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1Le 12 janvier 2002, le mari de l’auteur est rentré chez lui après avoir passé cinq ans dans la clandestinité en raison de ses activités de soutien au Parti communiste népalais (maoïste). Avec l’aide de dirigeants politiques traditionnels, il a établi une demande en vue de se livrer aux autorités et il lui a été suggéré de présenter cette demande aux services du chef de district de Baglung le 14 janvier 2002. Ce jour‑là, à 5 heures du matin, un groupe de 10 à 15 membres de l’armée en uniforme s’est présenté au domicile de l’auteur à Srinigar Tole, dans le district de Baglung. Ils ont réveillé le couple. L’officier responsable (dont on ignore le nom) et un autre militaire sont entrés dans la maison et ont sorti de force M. Sharma de son lit. Il a été placé en détention et informé qu’il allait être conduit à la caserne pour être interrogé. Les militaires ont ensuite fouillé la maison à la recherche de munitions et de documents maoïstes. Ils n’ont rien trouvé. Ils ont quitté les lieux avec M. Sharma et l’auteur les a suivis à la caserne de Kalidal Gulm; elle a vu son mari entrer dans le bâtiment. On ne lui a pas permis d’entrer mais on lui a dit que son époux serait relâché dès qu’il aurait été interrogé.

2.2Le 15 janvier 2002, l’auteur s’est rendue à la caserne avec de la nourriture et des vêtements chauds. Elle n’a pas été autorisée à voir son mari. Les militaires lui ont dit qu’il était en sécurité. Le 20 janvier 2002, on l’a de nouveau empêchée de rendre visite à son mari à la caserne. Le même jour, un militaire est venu chez elle et lui a dit que son mari l’avait envoyé chercher du tabac. Le militaire n’a pas dit qui il était, mais il connaissait la marque que fumait M. Sharma. Il lui a dit que son mari avait été roué de coups et qu’elle ne devait dire à personne qu’il était venu la voir de la part de son mari. Le 22 janvier 2002, l’auteur a entendu dire que son mari avait subi des tortures graves à la caserne.

2.3Le 23 janvier 2002, l’auteur et sa belle‑mère ont de nouveau demandé à voir M. Sharma. Le soldat de faction est entré dans la caserne, il est revenu et leur a dit que M. Sharma s’était échappé le 21 janvier 2002 alors qu’on l’emmenait au village d’Amalachour pour qu’il indique le lieu où se cachaient des maoïstes. Il a répété ce que lui avait dit le commandant Chandra Bahadur Pun, c’est-à-dire que M. Sharma s’était noyé dans la rivière Kaligandaki quand il s’était échappé.

2.4Le 2 février 2002, l’auteur s’est présentée à la caserne pour rencontrer le commandant Chandra Bahadur Pun. Elle lui a demandé quelles charges avaient été retenues contre son mari et s’est enquise de son état de santé. Le commandant a répété que M. Sharma avait accompagné une patrouille militaire à la recherche d’autres «terroristes» maoïstes et qu’il en avait profité pour prendre la fuite. L’auteur a demandé ce qu’il était advenu de son corps dans l’éventualité où il aurait été tué par les forces armées. Le commandant a déclaré qu’il n’avait pas été assassiné, a refusé de donner d’autres renseignements et l’a priée de s’en aller.

2.5Le 3 février 2002, l’auteur a pris contact avec le chef de district et lui a demandé en vertu de quelle loi son époux avait été placé en détention. Celui‑ci lui a déclaré qu’en raison de l’état d’urgence il ne pouvait pas donner de renseignements détaillés sur la situation de son mari. Le 4 février 2002, l’auteur s’est rendue au bureau de la police de district de Baglung pour avoir des renseignements, mais on lui a dit qu’on n’avait pas le temps de l’écouter. Elle a continué à s’adresser à toutes les autorités compétentes possibles pour obtenir des renseignements.

2.6Le 12 février 2002, Amnesty International a lancé une action urgente en faveur de M. Sharma. Le 9 septembre 2002, l’auteur a adressé un appel à la Commission nationale des droits de l’homme. Le 20 janvier 2006, la Commission a informé l’auteur qu’elle avait été en communication avec les autorités compétentes mais qu’elle n’avait pas pu en savoir plus sur le sort de M. Sharma. L’auteur a également pris contact avec plusieurs autres organisations de défense des droits de l’homme à des dates diverses mais aucune n’a pu l’aider.

2.7Le 4 février 2003, l’auteur a introduit une requête en habeas corpus devant la Cour suprême contre le Ministère de l’intérieur, le Ministère de la défense, l’état-major de la police, l’état-major de l’armée, le bureau de l’administration du district de Baglung, le bureau de la police de district de Baglung et la caserne Khadgadal de Baglung. Le 5 février 2003, la Cour suprême a ordonné aux défendeurs d’expliquer pourquoi la victime présumée avait été placée en détention. Tous les défendeurs ont répondu entre février et avril 2003. Tous, à l’exception notable du bureau de l’administration du district, ont nié que M. Sharma avait été arrêté et placé en détention. Ils ont déclaré qu’ils n’avaient pas ordonné son arrestation, qu’ils ne l’avaient pas arrêté et qu’ils ne le détenaient pas illégalement. De plus, ils exigeaient l’annulation de la requête en habeas corpus. Le bureau de l’administration du district, quant à lui, a répondu que d’après ses registres M. Sharma avait été arrêté par les forces de sécurité, s’était échappé lors d’une patrouille et avait sauté dans la rivière d’où il n’était pas ressorti. La Cour suprême a demandé de plus amples détails. Dans sa réponse datée du 2 avril 2003, le bureau de l’administration du district a déclaré que, le 21 janvier 2002, des soldats de la caserne de Kalidal patrouillaient avec M. Sharma vers 16 heures sur Dovan Way lorsqu’ils étaient tombés dans une embuscade tendue par des maoïstes. C’est alors que M. Sharma avait pris la fuite, avait sauté dans la rivière et n’était pas réapparu. On avait supposé qu’il s’était noyé. Le bureau de l’administration du district a déclaré que les faits avaient été rapportés verbalement à l’auteur.

2.8La Cour suprême a demandé que des détails complémentaires soient apportés par le bureau de l’Attorney général, qui a confirmé la version des faits donnée par le bureau de l’administration du district. Le bureau de l’Attorney général a ajouté que «la caserne de Kalidal Gulm avait été transférée à un autre endroit et celle de Khadgadal Gulm se trouvait maintenant à Baglung. Ainsi, les autorités de cette dernière n’avaient pas arrêté Surya ni reçu d’informations concernant cette affaire de la part de la caserne précédente.». Le 12 novembre 2003, la Cour suprême a de nouveau donné au bureau de l’administration du district l’ordre d’apporter des éclaircissements sur la loi en vertu de laquelle M. Sharma avait été arrêté. Le bureau a répondu que M. Sharma avait été arrêté par les forces de sécurité, en particulier celles de la caserne de Kalidal Gulm, non pas en vertu d’une ordonnance ou d’une loi invoquée par le bureau de l’administration du district mais aux fins de l’enquête menée par la caserne. Le bureau de l’administration du district a déclaré qu’une personne pouvait être arrêtée aux fins d’interrogatoire et maintenue en détention et que M. Sharma était décédé durant cette période.

2.9Le 12 septembre 2004, la Commission chargée d’enquêter sur les disparitions, présidée par M. Narayan Gopal Malego (constituée en 2004 pour révéler publiquement où se trouvent des personnes disparues) a rendu publique une liste de personnes disparues, sur laquelle figurait le nom de M. Sharma, et a cité la réponse du bureau de l’administration du district. Dans une lettre datée du 2 février 2005, le Ministère de l’intérieur a confirmé la réponse du bureau de l’administration du district et réaffirmé que M. Sharma n’était pas détenu par l’armée ni placé sous son contrôle.

2.10Le 16 février 2005, la Cour suprême a annulé la requête en habeas corpus. L’auteur a dû attendre sept mois pour connaître les motifs de cette annulation. Le 23 septembre 2005, elle a reçu le texte de la décision dans laquelle il était relevé que, comme M. Sharma s’était noyé dans la rivière, il n’était pas sous la garde ou le contrôle de l’État et que, par conséquent, la requête n’avait plus lieu d’être. La Cour suprême n’a pris aucune mesure pour obliger les défendeurs à présenter la dépouille de M. Sharma, quelle qu’eût été la cause de son décès, ainsi que l’exige une requête en habeas corpus.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’elle n’a pas disposé d’un recours utile, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il n’y a pas eu d’enquête approfondie sur la disparition de son mari. Celui‑ci a été arrêté alors que l’état d’urgence était en vigueur mais l’auteur rappelle que l’article 4 du Pacte n’autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8, 11, 15, 16 et 18 et qu’en tout état de cause la disparition forcée de son mari n’était pas liée à la situation d’urgence. Elle fait observer que l’absence de registres à jour et précis accroît le risque que les détenus subissent des tortures et autres mauvais traitements. La Cour suprême n’a pas ordonné une enquête ni fait traduire les responsables en justice. L’auteur fait observer en outre que la loi de 1996 relative à l’indemnisation des victimes de la torture n’est pas d’une grande utilité car le détail des tortures infligées à la victime doit être fourni et habituellement ce type d’information n’est pas disponible. Elle rappelle que le Comité a déclaré que l’absence de recours utiles constituait en soi une violation du Pacte.

3.2L’auteur fait valoir qu’en ne procédant pas à une enquête sur la disparition de son mari, l’État manque à ses obligations en vertu de l’article 6. Elle rappelle qu’en vertu de cet article les États sont tenus de prendre des mesures pour prévenir les disparitions et pour faire en sorte que des enquêtes soient effectivement menées. En emmenant le mari de l’auteur dans une zone contrôlée par les maoïstes, l’armée a mis la sécurité de sa personne directement en danger. L’armée n’a pas non plus pris de mesures suffisantes pour assurer sa protection alors qu’il était en train de se noyer. À ce jour, ce qui est arrivé au mari de l’auteur quand il était sous la garde de l’armée n’a fait l’objet d’aucun rapport indépendant. L’auteur fait observer que deux réponses contradictoires ont été données à la Cour suprême. La plupart des autorités ont affirmé qu’elles n’avaient jamais arrêté ni placé en détention le mari de l’auteur tandis que le bureau de l’administration du district a dit qu’il s’était noyé dans une rivière alors qu’il tentait de s’échapper.

3.3L’auteur fait valoir que la disparition forcée de son mari et les mauvais traitements qu’il a subis constituent des violations de l’article 7 du Pacte. M. Sharma n’a jamais été détenu dans des lieux de détention officiellement reconnus. La famille n’a jamais su exactement où il se trouvait. Son nom, le ou les lieu(x) de sa détention ainsi que le nom des personnes responsables de sa détention n’ont jamais été portés sur des registres aisément accessibles aux membres de la famille. Si, comme le dit le bureau de l’administration du district, il a été détenu pour une brève période sans inculpation, à des fins d’interrogatoire, on aurait dû pouvoir savoir à tout moment où il se trouvait. L’auteur fait valoir que l’arrestation et la détention au secret de son mari constituent une violation de l’article 7. En outre, l’angoisse dans laquelle elle vit depuis la disparition de son mari représente également une violation de l’article 7.

3.4L’auteur affirme que les droits garantis à l’article 9 du Pacte ont été violés étant donné que son mari a été arrêté sans mandat et qu’il n’a pas été informé des motifs de son arrestation. Il n’a jamais fait l’objet d’une inculpation. De plus, il a été détenu au secret du 14 au 21 janvier 2002, date à laquelle il serait décédé. Il n’a pas eu la possibilité de consulter un avocat et n’a pas pu contester la légalité de sa détention.

3.5L’auteur affirme que les droits énoncés à l’article 10 du Pacte ont été violés parce que son mari a été victime d’une disparition forcée.

3.6En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait observer qu’elle a tenté d’obtenir réparation en introduisant une requête en habeas corpus afin de savoir pourquoi son mari avait été placé en détention et où il se trouvait, mais en vain. Conformément aux dispositions de la loi de 1991 sur l’administration judiciaire, la Cour suprême peut réexaminer une affaire sur laquelle elle a statué, pour deux motifs: si un fait nouveau survient après que la décision a été rendue et si ce fait est un élément capital pour la décision ou si la décision est contraire à la jurisprudence antérieure de la Cour. Toutefois, en l’espèce, l’auteur ne peut pas demander la révision de l’affaire pour l’un de ces deux motifs, car aucun fait nouveau n’est apparu et il existe de nombreuses affaires dans lesquelles il a été décidé d’annuler une requête en habeas corpus parce que les défendeurs avaient nié l’arrestation et le placement en détention de personnes. L’auteur s’est alors adressée à la Commission nationale des droits de l’homme ainsi qu’à la Commission Malego mais sans succès. Elle estime avoir épuisé tous les recours internes.

3.7L’auteur demande au Comité de recommander à l’État partie de faire en sorte que la disparition de son mari fasse l’objet d’une enquête approfondie menée par un organe impartial dans le but de faire la lumière sur son sort et de communiquer les résultats à la famille. Sur la base de ces informations, le mari de l’auteur devrait être relâché. S’il est établi qu’il a été tué, les responsables de sa mort devraient être identifiés, poursuivis et condamnés pour entrave à la justice et pour avoir causé sa mort. L’État partie devrait veiller à ce que la famille reçoive une réparation complète et adéquate.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 12 février 2008, l’État partie rappelle que le mari de l’auteur a été arrêté par les forces de sécurité afin d’être interrogé au sujet de sa participation à des activités terroristes. Le 21 janvier 2002, alors qu’il accompagnait des membres des forces de sécurité pour leur montrer les endroits où se cachaient les rebelles dans la région d’Amalachour, dans le district de Baglung, la patrouille est tombée dans une embuscade et a été attaquée par les rebelles. Profitant de la situation pour s’échapper, le mari de l’auteur avait sauté dans la rivière Kalingandaki et s’était noyé. Comme il n’avait pas refait surface, la patrouille avait supposé qu’il s’était noyé.

4.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication pour deux raisons. Tout d’abord, il objecte que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il affirme qu’il existe des procédures civiles et pénales qui étaient ouvertes à l’auteur. Celle-ci n’a pas engagé de procédure au pénal en déposant le rapport appelé premier rapport d’information (FIR), qui est le point de départ de toute action devant la justice. Cela aurait déclenché une enquête sur l’affaire, sous la supervision du bureau du procureur de district. L’auteur aurait pu ensuite se pourvoir devant le tribunal de district puis devant la cour d’appel. Les décisions de la cour d’appel peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême.

4.3L’État partie fait observer qu’au lieu de suivre la procédure ordinaire, l’auteur a saisi la Cour suprême d’une requête en habeas corpus. Cette démarche ne s’inscrit pas dans le déroulement normal d’une action en justice, mais elle peut venir en complément. La compétence en la matière ne peut être invoquée que lorsque les faits et le fondement sont établis de manière indubitable et qu’il n’existe pas d’autres moyens de recours. L’auteur fait croire à tort qu’elle a épuisé les recours internes parce qu’elle s’est adressée directement à la Cour suprême en déposant une requête en habeas corpus. En tout état de cause, elle n’a pas demandé à la Cour suprême de réexaminer sa décision alors que celle‑ci a le pouvoir de réviser ses propres décisions. Elle est partie de l’idée préconçue et subjective qu’il était peu probable que les juges reviennent sur les décisions qu’ils avaient prises dans cette affaire. L’État partie souligne que le dépôt d’une requête en habeas corpus devant la Cour suprême ne prive nullement quiconque de son droit de former recours selon les procédures ordinaires fixées par la loi. Il existe des voies de recours efficaces.

4.4L’État partie reconnaît qu’au moment de l’arrestation du mari de l’auteur l’état d’urgence était en vigueur dans tout le pays mais il fait valoir que cette situation n’empêchait personne d’exercer les recours ordinaires prévus par la loi. Il fait observer en outre que l’Accord de paix global signé le 21 novembre 2006 prévoit la création d’une commission pour la vérité et la réconciliation qui sera chargée d’examiner toutes les affaires de disparitions.

4.5Enfin, l’État partie relève qu’il n’apparaît pas que le conseil soit autorisé à représenter l’auteur devant le Comité.

4.6Le 11 mars 2008 et le 5 juin 2008, l’État partie a été invité à faire parvenir des renseignements concernant le fond de la communication. Le Comité note que ces renseignements n’ont pas été reçus. Il regrette que l’État partie n’ait fait aucune observation sur le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif l’État partie est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.1Dans une lettre du 10 juin 2008 l’auteur objecte que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, les recours internes ont été épuisés dans cette affaire. En premier lieu, elle rappelle qu’il n’existe pas de crime spécifique de disparition forcée et donc qu’il n’y a pas de recours interne à épuiser. Il n’y a pas de dispositions interdisant expressément les disparitions forcées dans la Constitution provisoire. Le Gouvernement ne s’est pas encore prononcé sur la décision rendue par la Cour suprême en 2007 portant sur la criminalisation des disparitions forcées. Selon le droit interne, un FIR (premier rapport d’information) doit être déposé à la police pour qu’une infraction supposée fasse l’objet d’une enquête. Néanmoins, l’État partie avait amplement assez d’informations sur l’infraction qui faisait grief, provenant de sources officielles et officieuses diverses et avait donc l’obligation de mener une enquête. L’État partie reconnaît d’ailleurs lui‑même qu’«il ne semble pas qu’il s’agisse d’une affaire pouvant être réglée par une requête en habeas corpus mais d’une affaire qui pourrait nécessiter une enquête approfondie». L’État partie a omis de préciser qu’un FIR (premier rapport d’information) ne peut être présenté que pour l’une des infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie. La disparition forcée ne figure pas parmi les infractions visées. L’auteur ne peut donc pas déposer un FIR pour la disparition de son mari. Elle ne peut pas non plus le faire pour les tortures qu’il a subies car la torture ne figure pas non plus sur la liste. Bien que la loi de 1996 relative à l’indemnisation des victimes de la torture autorise un parent à déposer une plainte au nom de la victime dans une «affaire de disparition», il est impossible d’apporter la preuve requise par la loi car un exemplaire d’un rapport médical sur la santé physique ou mentale de l’intéressé doit être fourni au tribunal de district. L’État partie objecte qu’il existe des procédures civiles ouvertes à l’auteur mais il n’indique pas spécifiquement quelles voies de recours existent. Il est donc impossible à l’auteur, selon le droit interne, de demander réparation pour la disparition de son mari car le système juridique ne prévoit pas les mécanismes nécessaires pour lui permettre de déposer plainte auprès des autorités compétentes.

5.2Dans certains cas de personnes disparues, dont on sait qu’elles sont mortes en détention, des parents ont tenté de présenter des FIR en vertu de la loi sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, pour homicide présumé. Toutefois bien souvent le décès de la personne disparue ne peut pas être prouvé en l’absence d’un corps: le dépôt d’un FIR pour homicide ou mort non naturelle a donc peu de chances d’aboutir à une enquête et à des poursuites satisfaisantes. Quoi qu’il en soit, le dépôt d’un FIR a, dans certains cas (pas seulement dans des affaires de disparition), donné lieu à des menaces dirigées contre les plaignants et leur famille dans le but de les contraindre à retirer leur rapport. En outre, des FIR ont été refusés par la police pour des raisons diverses. Il est arrivé que la police déclare que l’affaire avait un caractère politique et n’était donc pas de son ressort ou que la plainte était dirigée contre un membre de l’armée ayant un rang supérieur à celui du policier et toujours en fonctions dans le district. Lorsque le FIR est refusé par la police, il est possible de porter l’affaire devant le chef de district puis de faire appel devant la cour d’appel. Toutefois, ces recours sont inefficaces puisqu’il y a eu plusieurs cas où, en dépit de l’ordre d’enregistrer le rapport donné par le chef de district au bureau de police du district, celui‑ci a persisté dans son refus de le faire.

5.3L’État partie affirme que son système judiciaire fonctionne convenablement mais l’auteur rappelle que, même si elle avait pu présenter un FIR pour la «disparition» de son mari en janvier 2002, l’enquête de la police aurait été interrompue en novembre 2003 quand le Gouvernement a créé une structure de commandement unifié, dans le cadre de laquelle la police et les unités paramilitaires des forces armées de la police ont été placées sous le commandement de l’Armée royale népalaise. Cela signifie que la présentation d’un FIR à la police au sujet d’actes accomplis par l’armée n’aurait pas donné lieu à une enquête indépendante et impartiale. Très peu de personnes ont osé s’adresser à la police pendant cette période et ceux qui l’ont fait ont eu pour toute réponse que la police n’avait pas le pouvoir d’enquêter sur des décisions prises par l’armée. L’auteur rappelle également que l’état d’urgence est resté en vigueur entre novembre 2001et novembre 2002. Il est donc clair que la disparition de son mari a eu lieu à un moment où l’accès à la justice était limité par les restrictions imposées à tout le système juridique en raison de l’état d’urgence et par les craintes pour la sécurité personnelle résultant de la situation de conflit. Juste après l’arrestation de son mari, la ligne téléphonique de l’auteur a été coupée pendant un an à titre de mesure punitive, la privant de moyen de contact si elle avait eu besoin d’aide ou s’était sentie menacée.

5.4En ce qui concerne la possibilité de déposer un FIR pour mort non naturelle ou meurtre, l’auteur souligne que le fait que son mari soit mort alors qu’il tentait d’échapper à la garde des forces de sécurité n’a pas été établi. Elle n’est donc pas obligée de déposer un FIR pour mort non naturelle. En tout état de cause, l’État partie est parfaitement au courant de la disparition et du décès présumé de son mari par des articles de journaux sur la question parus à l’époque et par la requête en habeas corpus. En vertu des articles 7 et 9 de la loi sur les affaires dans lesquelles l’État est partie et des paragraphes 5 et 6 de l’article 4 de la réglementation relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie, le chef de district a l’obligation d’engager une enquête sur tout acte suspect porté à sa connaissance. L’État partie est donc tenu d’enquêter pleinement sur les circonstances du décès présumé du mari de l’auteur, même en l’absence d’un FIR.

5.5L’auteur rappelle que l’enquête ordonnée par la Cour suprême, qu’elle avait saisie d’une requête en habeas corpus, pour localiser son époux n’a pas été impartiale et efficace. Elle explique qu’elle ne pouvait se pourvoir devant la Cour suprême comme l’a suggéré l’État partie, parce qu’il n’y avait pas eu de décision de justice dans cette affaire pour les raisons exposées plus haut. Étant donné que la «disparition» n’existe pas en tant qu’infraction dans le droit népalais, elle n’a pas déposé plainte pour la «disparition» de son mari. Elle n’a pas fait appel de la décision de la Cour suprême portant annulation de la requête en habeas corpus car il n’y avait aucune raison concrète de croire que l’appel serait examiné de manière plus indépendante. Pour qu’une décision de la Cour suprême soit réexaminée, il faut démontrer qu’il y a de nouveaux faits ou éléments de preuve, ce qui n’était pas le cas. De plus, la décision aurait été réexaminée par le juge qui a rejeté la requête en habeas corpus, ce qui aurait réduit considérablement les chances d’un réexamen effectif. Ces problèmes de procédure expliquent pourquoi il est très rare au Népal que le réexamen des décisions annulant des requêtes en habeas corpus soit demandé.

5.6L’auteur rappelle qu’elle s’est adressée à la Commission nationale des droits de l’homme. Sa plainte a été enregistrée le 13 septembre 2002. Le 15 mai 2008, elle a été informée que l’enquête en était «au stade final». Quoi qu’il en soit, les pouvoirs de la Commission nationale des droits de l’homme sont limités. À l’issue d’une enquête, elle peut recommander qu’une indemnisation soit accordée et que des enquêtes complémentaires soient menées en vue de traduire les responsables en justice. Toutefois, elle n’est pas compétente pour rendre des décisions obligatoires. Le plus souvent ses recommandations restent sans suite. En ce qui concerne la Commission Malego, l’auteur indique que l’enquête qu’elle a menée était loin d’être satisfaisante. La Commission s’est contentée de citer la réponse faite par le chef de district disant que M. Sharma s’était noyé en tentant d’échapper aux forces armées. En ce qui concerne la création prévue d’une commission pour la vérité et la réconciliation, mentionnée par l’État partie, l’auteur estime que cette information est sans rapport avec la question de la recevabilité de la présente affaire puisque cette commission n’existe pas encore et ne représente pas un recours existant.

5.7Enfin, sur la question de l’autorisation de présenter la plainte, l’auteur fait observer qu’elle a signé l’original de la communication soumise au Comité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas soumis de FIR à la police. Néanmoins, il prend note également de l’argument de l’auteur qui fait valoir que le dépôt de ce type de rapport à la police aboutit rarement à une enquête sur la disparition de l’intéressé. Il relève également que l’auteur a fait de nombreuses démarches, y compris auprès du chef de district et du bureau de la police de district de Baglung (voir par. 2.5). Le 4 février 2003, elle a saisi aussi la Cour suprême d’une requête en habeas corpus qui a été annulée deux ans plus tard, alors que les circonstances de la disparition de son mari demeuraient obscures. Le Comité relève également que, six ans après l’enregistrement de la plainte de l’auteur par la Commission nationale des droits de l’homme, l’enquête est toujours en cours. Dans ces circonstances, le Comité estime que l’auteur a satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne la question de l’autorisation, le Comité note que l’auteur a signé l’original de la plainte que le conseil lui a adressée. Il conclut donc que le conseil était dûment autorisé par l’auteur à présenter sa communication au Comité.

6.5Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication, il procède donc à son examen quant au fond, pour ce qui est des griefs tirés des articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2En ce qui concerne la détention au secret qu’aurait subie le mari de l’auteur, le Comité sait quelle souffrance le fait d’être détenu indéfiniment sans contact avec le monde extérieur entraîne. Il rappelle son Observation générale no 20 sur l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note que l’auteur déclare que son mari a été détenu au secret du 12 janvier 2002 jusqu’au moment de sa mort présumée le 21 janvier 2002. Le Comité relève que l’auteur a vu son mari être emmené à la caserne. Dans ces circonstances, et en l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut que le fait de maintenir le mari de l’auteur en captivité et de l’empêcher de communiquer avec sa famille et le monde extérieur constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

7.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 9 du Pacte, les informations dont le Comité dispose indiquent que le mari de l’auteur a été arrêté par des membres de l’armée en uniforme qui n’avaient pas de mandat d’arrêt et a été détenu au secret sans jamais avoir été informé des raisons de son arrestation ou des charges qui pesaient contre lui. Le Comité rappelle que le mari de l’auteur n’a jamais été présenté à un juge et n’a pas pu contester la légalité de sa détention. En l’absence d’explications pertinentes de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

7.4En ce qui concerne l’allégation de disparition du mari de l’auteur, le Comité rappelle la définition de la disparition forcée, donnée au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: «Par “disparition forcée”, on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.». Tout acte aboutissant à une telle disparition constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés par le Pacte, y compris le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de sa liberté à être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (art. 10). Il viole également ou menace gravement le droit à la vie (art. 6). Dans la présente affaire, étant donné que son mari a disparu depuis le 12 janvier 2002, l’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 et les articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte.

7.5Le Comité note que l’État partie n’a donné aucune réponse face aux allégations de l’auteur concernant la disparition forcée de son mari. Il réaffirme que la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie doit examiner en toute bonne foi toutes les allégations de violation du Pacte formulées contre lui et ses représentants, et communiquer au Comité tous les renseignements dont il dispose. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles soumis par l’auteur et où des éclaircissements complémentaires dépendent de renseignements qui sont exclusivement entre les mains de l’État partie, le Comité peut considérer que les allégations de l’auteur sont étayées, en l’absence d’éléments ou d’explications satisfaisants prouvant le contraire présentés par l’État partie.

7.6Dans la présente affaire, l’auteur a informé le Comité que son mari avait disparu le 14 janvier 2002 à la caserne de Kalidal Gulm où elle l’avait vu pour la dernière fois. Il se peut qu’il ait été vu à la caserne le 20 janvier 2002 par un militaire. Le 23 janvier 2002, on a dit à l’auteur que son mari s’était noyé dans une rivière en prenant la fuite et qu’il était présumé mort mais elle ignore toujours quelles sont les circonstances exactes de son décès et ce qui lui est arrivé au cours de la période qui a précédé. En l’absence de commentaires de l’État partie sur la disparition du mari de l’auteur, le Comité conclut que cette disparition constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

7.7En ce qui concerne le grief de violation de l’article 10 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui fait valoir que les droits consacrés dans ces dispositions ont été violés parce que son mari a été victime d’une disparition forcée. Il rappelle que toutes les personnes privées de leur liberté ont le droit d’être traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l’être humain. Dans la présente affaire, le mari de l’auteur a disparu et peut-être est‑il mort alors qu’il se trouvait sous la garde de l’État partie. En l’absence de toute observation de l’État partie au sujet de la disparition du mari de l’auteur, le Comité considère que cette disparition constitue une violation de l’article 10 du Pacte.

7.8En ce qui concerne une éventuelle violation de l’article 6 du Pacte, le Comité note que tant l’auteur que l’État partie semblent être d’accord sur le fait que le mari de l’auteur est décédé. Néanmoins, tout en invoquant l’article 6, l’auteur demande que son mari soit libéré, ce qui montre qu’elle n’a pas perdu l’espoir de le voir réapparaître. Le Comité considère que dans de telles conditions il ne lui appartient pas de spéculer sur les circonstances du décès du mari de l’auteur, en particulier étant donné qu’il n’y a pas eu d’enquête officielle à ce sujet. Dans la mesure où les obligations de l’État partie conformément au paragraphe 9 ci‑après seraient les mêmes avec ou sans constatation de violation de l’article 6, le Comité estime inapproprié de formuler une conclusion à ce sujet.

7.9En ce qui concerne l’auteur elle‑même, le Comité relève l’angoisse et la détresse dans lesquelles la disparition de son mari depuis le 12 janvier 2002 l’a plongée. Il estime donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur elle‑même.

7.10L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en vertu duquel les États parties sont tenus de garantir que toute personne dispose de recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits consacrés par le Pacte. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes judiciaires et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il fait référence à son Observation générale no 31 dans laquelle il affirme que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des allégations de violation pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Dans l’affaire à l’examen, les renseignements dont il est saisi indiquent que l’auteur n’a pas eu accès à des recours utiles et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7 et 9 et de l’article 10 en ce qui concerne le mari de l’auteur ainsi qu’une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 en ce qui concerne l’auteur elle‑même.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 7, de l’article 9 et de l’article 10 et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, de l’article 9 et de l’article 10 à l’égard du mari de l’auteur, et de l’article 7, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de l’auteur elle‑même.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort de son mari, à remettre celui‑ci immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à informer comme il convient des résultats de ses enquêtes et à assurer à l’auteur et à sa famille une indemnisation adéquate pour les violations subies par le mari de l’auteur, et par l’auteur elle‑même et sa famille. Le Pacte ne prévoit pas le droit pour un particulier de demander qu’un État poursuive pénalement une autre personne; le Comité considère néanmoins que l’État partie a le devoir non seulement de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’actes de torture, mais aussi de poursuivre pénalement, juger et punir quiconque est présumé responsable de ces violations. L’État partie est tenu également de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne soient commises à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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