NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1580/200720 novembre 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-quatorzième session

13 au 31 octobre 2008

DÉCISION

Communication n o  1580/2007

Présentée par:

F.M. (représenté par un conseil, Johanne Doyon)

Au nom de:

L’auteur, son épouse M.C. et leurs enfants S. (20 ans), P.C. (17 ans), P. (14 ans), L. (11 ans) et P. (10 ans).

État partie:

Canada

Date de la communication:

26 juillet 2007 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’Etat partie le 9 août 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

30 octobre 2008

GE.08-45352Objet: Renvoi de requérants d’asiles déboutés vers le Mexique

Questions de fond: Droit à la vie, droit à la protection contre les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, droit à la sécurité de sa personne, droit d’être entendu devant un tribunal compétent, indépendant et impartial, droit des enfants à des mesures de protection.

Questions de procédure: Non épuisement des recours internes ; allégations dénuées de fondement et incompatibles avec le Pacte.

Articles du Pacte: 6 ; 7 ; 9, paragraphe 1 ; 13 ; 14 ; et 24, paragraphe 1.

Article du Protocole facultatif: 5, paragraphe 2 b).

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL

RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication no 1580/2007 *

Présentée par:

F.M. (représenté par un conseil, Johanne Doyon)

Au nom de:

L’auteur, son épouse M.C. et leurs enfants S. (20 ans), P.C. (17 ans), P. (14 ans), L. (11 ans) et P. (10 ans).

État partie:

Canada

Date de la communication:

26 juillet 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2008,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

L’auteur de la communication datée le 26 juillet 2007 est M. F.M. qui présente la communication en son nom et au nom de son épouse et leurs cinq enfants (âgés de 20, 17, 14, 11 et 10 ans respectivement), tous des citoyens mexicains qui, après avoir déposé la communication, ont été déportés au Mexique. Ils affirment être victimes de violation par le Canada de leurs droits au titre des articles 6 ; 7 ; 9, paragraphe 1 ; 13 ; 14 ; et 24, paragraphe 1, du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

Le 9 aout 2007, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé de ne pas donner suite à la demande de mesures provisoires de protection formuée par les auteurs dans leur communication initiale.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1M. F.M. affirme que sa demi-sœur était mariée à un certain M.C., membre présumé d’un gang de narcotrafiquants au Mexique. N’ayant plus de nouvelles de sa demi-sœur et de son mari depuis quelque temps F.M. a signalé leur disparition au Ministère public d’Atizapan le 18 septembre 2005. Le lendemain, leurs corps ont été retrouvés dans une voiture. Ils auraient reçu des coups de feu à la tête sur ordre du chef d’un groupe de narcotrafiquants rival, connu sous le nom de « El Compadre ». Depuis ce jour-là, les trois enfants des décédés sont sous la garde de F.M. et son épouse. Le double meurtre aurait été exécuté par un dénommé S.M.

2.2La police judiciaire d’Atizapan, sous la direction du commandant Contreras, a mené l’enquête sur le double meurtre. Le 19 septembre 2005, F.M. a été interrogé. Le 19 et 22 septembre 2005 des fouilles ont été effectuées au domicile des victimes, en sa présence. Les policiers y auraient dérobé des effets personnels (y compris de la drogue) et l’auraient menacé pour qu’il garde le silence.

2.3Vers la fin du mois de septembre 2005, F.M. et sa famille ont commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes menaçants, et ont été surveillés par un véhicule garé à l’extérieur de leur maison. Le 13 octobre 2005, la famille a reçu deux appels téléphoniques douteux chez la mère de F.M. Le 18 octobre 2005, le même véhicule qui était garé à l’extérieur de leur maison a été aperçu devant la maison des personnes assassinées alors que la famille s’y trouvait pour chercher les effets personnels des enfants. Le 21 octobre 2005, l’auteur s’est présenté au Ministère public d’Atizapan pour dénoncer ces faits. L’agent du Ministère lui a répondu qu’il devait s’adresser à la police judiciaire, ce qu’il avait renoncé à faire par peur du commandant C.

2.4Le 23 octobre 2005 les victimes alléguées et huit autres membres de la famille ont quitté le Mexique. Ils sont arrivés au Canada le même jour et ont tous immédiatement fait une demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés (ci-après la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après la CISR) a rejeté la demande d’asile le 17 mai 2006. La SPR a considéré que les victimes alléguées n’avaient pas démontré l’existence d’une crainte bien fondée de persécution au Mexique et a conclu qu’ils n’étaient des réfugiés, ni des personnes à protéger. La SPR a également conclu que même si les allégations des victimes alléguées avaient été crédibles, leurs demandes d’asile auraient échoué, car ils auraient la possibilité d’un refuge interne au Mexique. Les victimes alléguées ont été renvoyées au Mexique le 19 octobre 2007.

Teneur de la plainte

3.1M. F.M. affirme être victime de violation par l’Etat partie des articles 6 ; 7 ; 9, paragraphe 1 ; 13 ; 14 ; et 24, paragraphe 1 du Pacte. Il affirme que sa vie et celle de son épouse et leurs enfants ainsi que leur sécurité sont menacées à cause de leur appartenance à la famille d’un présumé narcotrafiquant qui a été assassiné. Ils ont, en effet, reçu des menaces en provenance de narcotrafiquants et/ou des autorités policières/judiciaires. Il affirme qu’ils ne peuvent pas obtenir de protection de la part de l’Etat mexicain et que la possibilité de refuge intérieur n’existe pas au Mexique. Il fait valoir que le meurtrier présumé de sa demi-sœur et son époux est connu pour avoir agressé et menacé de mort les membres des familles de ses victimes, et que les narcotrafiquants sont protégés par les policiers corrompus.

3.2M. F.M. fait valoir également que la CISR n’a pas évalué la crédibilité de leurs allégations des menaces subies. Même si ces allégations étaient crédibles, la CISR a considéré qu’il existait une possibilité de refuge interne au Mexique et a noté que d’autres membres de la famille des défunts vivaient toujours au Mexique. M. F.M. considère qu’ils couraient un plus grand risque par rapport aux autres membres de la famille, notamment du fait que les enfants des personnes assassinées étaient désormais gardés par eux.

3.3L’auteur affirme que la corruption policière est très répandue au Mexique et qu’ils ne peuvent espérer aucune protection de la part de la police, notamment contre de narcotrafiquants agissant en toute impunité.

3.4L’auteur fait finalement valoir qu’ils ont épuisé les recours internes, car les demandes de considérations humanitaires (CH) et d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) ne sont pas des recours effectifs. La CH n’est pas une décision rendue sur une base légale et constitue plutôt une faveur accordée par un ministre. Quant à l’ERAR, il n’est pas un recours effectif car seuls des nouveaux éléments de preuve sont pris en considération et de tels recours sont systématiquement rejetés, ce qui a été relevé dans la jurisprudence du Comité contre la torture dans l’affaire n° 133/1999, Falcon Rios c. Canada.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1En février et septembre 2008, l’Etat partie a contesté la recevabilité et le bien-fondé de la communication. Selon lui, la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes, car les victimes alléguées auraient pu présenter à la Cour fédérale une demande d’autorisation et une demande de contrôle judiciaire de la décision négative de la SPR. L’auteur prétende ne pas avoir fait cette demande du fait qu’ils n’avaient pas de droit d’appel contre la décision de la SPR. Selon l’Etat partie, bien que le contrôle judiciaire d’une décision de la SPR ne se fasse pas de droit, la Cour fédérale examine en détail chaque demande d’autorisation de contrôle judiciaire. Plusieurs arrêts de la Cour fédérale que l’auteur présente en preuve démontrent que les demandes d’autorisation de contrôle judiciaire constituent un recours utile. A plusieurs reprises, le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture ont déclaré irrecevables des communications du fait que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes disponibles, y compris la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale (communications 1302/2004 et 273/2005, respectivement). Les victimes alléguées auraient pu demander également à la Cour fédérale l’autorisation d’introduire un contrôle judiciaire des décisions rendues sur leur demande ERAR et sur leur demande CH. Ils auraient pu en même temps demander à la Cour fédérale d’ordonner le sursis de la mesure d’expulsion jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande d’autorisation et, le cas échéant, jusqu’à l’issue du contrôle judiciaire.

4.2L’Etat partie affirme également que la communication est manifestement dénuée de fondement et certaines des allégations de l’auteur sont incompatibles avec le Pacte. Il rappelle les observations générales du Comité sur les articles 6 et 7, selon lesquelles l’individu doit démontrer qu’il encourt un risque personnel et réel que ses droits soient effectivement violés. Or, l’auteur, n’a pas établi de violations prima facie des articles 6 et 7 du Pacte. En l’absence d’un risque personnel et réel de menace à la vie ou de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, une violation de l’article 9, paragraphe 1 ne peut être établie en l’espèce.

4.3Tant la SPR que l’agent d’ERAR en charge du dossier ont considéré que les allégations des victimes alléguées n’étaient pas suffisamment crédibles et qu’ils n’avaient pas produit de preuve susceptible d’appuyer leurs affirmations. Lorsque la SPR a remarqué que d’autres membres de la famille habitaient au Mexique sans problème, les victimes alléguées ont signalé que cela était dû au fait que ces individus n’habitaient pas à Atizapan. Les victimes alléguées n’ont pu expliquer les raisons pour lesquelles leur sécurité serait toujours menacée s’ils déménageaient dans une autre ville mexicaine.

4.4L’Etat partie conteste que les narcotrafiquants mexicains soient protégés par des policiers corrompus. Les articles de journaux présentés par l’auteur comme preuve démontrent que le meurtrier présumé des deux personnes mentionnées a bel et bien été arrêté.

4.5Pour ce qui est de l’article 24 du Pacte, l’Etat partie soutient que cette allégation n’ajoute rien aux allégations avancées au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Subsidiairement, il rappelle que les victimes alléguées n’ont pas démontré que leur expulsion priverait les quatre enfants de la protection qu’exige leur statut de mineur.

4.6L’Etat partie soutient que les allégations de l’auteur au titre des articles 13 et 14 sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte. L’article 13 ne s’applique pas en l’espèce, puisque les victimes alléguées ne se trouvaient pas légalement au Canada lorsque l’ordonnance d’expulsion a été rendue. Subsidiairement, l’Etat partie soutient qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 13, puisque leur expulsion n’a été ordonnée qu’une fois que leur demande d’asile ait été rejetée à l’issue d’un examen approfondi et avec la possibilité d’un recours judiciaire.

4.7L’Etat partie conteste que l’article 14 soit applicable à la détermination du statut de réfugié ou à la protection que peut accorder un Etat à un demandeur d’asile. A titre subsidiaire, l’Etat partie affirme que les victimes alléguées ont failli de démontrer que les procédures devant la SPR et l’agent ERAR aient été menées d’une manière non conforme à l’article 14 du Pacte.

4.8Pour les raisons énoncées ci-dessus l’Etat partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable. Le cas échéant, l’Etat partie soutient que la communication est dénuée de fondement pour les mêmes raisons.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 8 mai 2008, l’auteur a formulé ses commentaires sur les observations de l'État partie. Il précise qu’ils n’avaient pas présenté à la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR car leur représentant à l’époque leur avait déconseillé de le faire. Ce dernier avait insisté qu’une demande d’autorisation à la Cour fédérale n’était pas nécessaire et serait trop couteuse et sans doute perdue d’avance.

5.2L’auteur réitère que ni l’ERAR ni la demande CH constituent des recours utiles au Canada. Les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions ERAR et CH ne peuvent donc non plus être considérées comme des recours utiles pour l’auteur en l’occurrence.

5.3L’auteur signale que la conclusion de la SPR quant à l’absence de crédibilité de leurs arguments était basée sur des invraisemblances ou incohérences non pertinentes et la SPR ne s’est jamais prononcée sur le fondement central de leur demande de protection. Il signale également qu’en raison de l’incidence de la criminalité et des violations des droits de l’homme au Mexique il n’existe aucune possibilité de refuge intérieur pour lui et sa famille.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l'Etat partie fait valoir que la communication est irrecevable parce que les voies de recours internes n’ont pas été épuisés. Il signale en particulier que les victimes alléguées auraient pu présenter à la Cour fédérale une demande d’autorisation et une demande de contrôle judiciaire de la décision négative de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ils auraient pu demander également à la Cour fédérale l’autorisation d’introduire un contrôle judiciaire des décisions rendues sur leurs demandes d’évaluation des risques avant renvoi et celle pour des considérations d’ordre humanitaire. Enfin, ils auraient pu en même temps demander à la Cour fédérale d’ordonner le sursis de la mesure d’expulsion jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande d’autorisation et, le cas échéant, jusqu’à l’issue du contrôle judiciaire. Le Comité note que l’auteur a indiqué en réponse que de telles demandes ne constituaient pas de recours utiles. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, le simple fait de douter de l'efficacité des recours internes ne dispense pas l'auteur d'une communication de l'obligation de les épuiser. Dans ces circonstances, il s'ensuit que l’auteur de la présente communication a failli d’épuiser les voies de recours internes. La communication est donc irrecevable au titre du paragraphe 2 (b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Compte tenu de cette conclusion, le Comité n'a pas besoin d'examiner les autres arguments avancés concernant la recevabilité de la communication.

7.En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à l'État partie.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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