NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1018/200118 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quatorzième session13‑31 octobre 2008

DÉCISION

Communication n o  1018/2001

Présentée par:

L. G. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

N. G. (fils de l’auteur)

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

16 octobre 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92/97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 16 octobre 2001 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

30 octobre 2008

Objet: Prononcé de la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable et recours à la torture pendant l’enquête préliminaire

Question s de fond: Torture; aveux obtenus par la contrainte; procès inéquitable

Questions de procédure: Appréciation des faits et des éléments de preuve; justification de la plainte

Article s du Pacte: 6, 9, 10, 14, 15, 16

Article s du Protocole facultatif: 1, 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication n o  1018/2001**

Présentée par:

L. G. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

N. G. (fils de l’auteur)

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

16 octobre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2008,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est L. G., de nationalité ouzbèke, née en 1961. Elle présente la communication au nom de son fils, N. G., de nationalité ouzbèke, né en 1979; au moment où la communication a été présentée, le jeune homme était incarcéré dans le quartier des condamnés à mort, après avoir été condamné à la peine capitale le 29 mars 2001 par le tribunal municipal de Tachkent. L’auteur affirme que son fils est victime de violations par l’Ouzbékistan des droits qui lui sont reconnus aux articles 6, 9, 10, 14, 15 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2En enregistrant la communication, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution du condamné tant que l’examen de la communication serait en cours.

Rappel des faits présentés par l ’ aute ur

2.1Le 29 mars 2001, le tribunal municipal de Tachkent a déclaré N. G. coupable de vol simple, de vol qualifié, de tentative de vol qualifié et de meurtre commis avec une violence particulière et l’a condamné à la peine capitale. La décision a été confirmée en appel le 29 avril 2001 par la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent.

2.2L’auteur affirme que la peine prononcée est particulièrement sévère, injustifiée, et ne correspond pas à la personnalité de son fils. Des témoignages favorables de ses voisins et de son employeur ont été présentés au tribunal. L’auteur affirme également que le tribunal n’avait pas de motifs pour conclure que le vol était le mobile du meurtre dont son fils a été déclaré coupable. Des biens ont été pris dans l’appartement de la victime mais uniquement pour faire croire à un cambriolage.

2.3L’auteur affirme que le tribunal n’a pas cherché à établir le rôle exact joué par les personnes présentes sur les lieux du crime, ni la nature des actes que chacune avait commis, et qu’il a fait une appréciation incorrecte en considérant que le meurtre avait été particulièrement violent.

2.4Le tribunal n’aurait pas tenu compte du fait qu’avant le meurtre le fils de l’auteur avait été provoqué par la victime, MmeNormatova, qui l’avait humilié en présence de sa petite amie, et qu’en conséquence il s’était trouvé sous l’empire d’une profonde émotion, ce qui aurait dû être considéré comme une circonstance atténuante.

2.5L’auteur affirme également que lorsqu’il a déterminé la peinele tribunal n’a pas tenu compte d’un arrêt du 20 décembre 1996 dans lequel la Cour suprême a déclaré que, même lorsqu’elle est prévue par la loi, la peine de mort n’est pas obligatoire.

2.6Le tribunal n’aurait pas tenu compte non plus d’un autre arrêt de la Cour suprême, dans lequel celle-ci a déclaré que dans les affaires concernant des infractions emportant la peine de mort les tribunaux devaient prendre en considération toutes les circonstances du crime mais aussi la personnalité de l’accusé et de la victime. L’auteur affirme que le tribunal n’a pas tenu compte d’informations qui donnaient une appréciation négative de la personnalité de la victime, MmeNormatova. En outre, le juge de première instance n’a pas accédé à la requête de la défense qui demandait que l’inculpé soit soumis à un examen psychiatrique supplémentaire.

2.7L. G. souligne qu’en vertu de l’article 23 du Code de procédure pénale ouzbek l’accusé n’a pas à prouver son innocence et doit avoir le bénéfice du moindre doute qui subsisterait. Or le tribunal n’a pas respecté ces principes dans le cas de son fils.

2.8Dans une nouvelle lettre datée du 27 octobre 2001, l’auteur réitère ses allégations précédentes et ajoute que pendant l’enquête préliminaire son fils a été battu et torturé par les policiers, qui l’ont ainsi contraint à s’avouer coupable. Selon elle, son fils a avoué le meurtre pendant l’enquête, mais il ne se rappelait pas les circonstances exactes parce qu’il était en proie à une profonde émotion quand le crime avait été commis. Elle ajoute que le tribunal a également ignoré un arrêt de 1996 dans lequel la Cour suprême a déclaré que les éléments de preuve obtenus par des méthodes d’enquête non autorisées n’étaient pas recevables.

Teneur de la plainte

3.L’auteur invoque une violation des droits consacrés aux articles 6, 9, 10, 14, 15 et 16 du Pacte.

Observations de l ’ État partie et absence de commentaires de l’auteur à leur sujet

4.1L’État partie a transmis ses observations le 2 août 2005. Il fait observer que le 29 mars 2001 le tribunal municipal de Tachkent a déclaré N. G. coupable des infractions définies aux articles suivants du Code pénal ouzbek: 127 (incitation d’un mineur à un comportement antisocial), 227 (acquisition, destruction, détérioration ou dissimulation de documents, scellés, etc.), 164 (vol qualifié de biens d’une valeur particulièrement importante, commis en bande organisée; tentative de vol qualifié), et 97 (homicide volontaire commis dans des circonstances aggravantes et avec une violence particulière pour dissimuler un autre crime). Pour tous ces crimes, N. G. a été condamné à la peine capitale. La décision a été confirmée en appel le 29 avril 2001 par la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent.

4.2L’État partie explique que N. G. était membre d’une bande organisée, dirigée par une personne dénommée Sermiagina. Le 12 juillet 2000, la bande a cambriolé l’appartement d’une personne dénommée MmeRasulova, à Tachkent, et dérobé des biens pour une valeur de 2 551 900 sums et des documents personnels. Le 22 juillet 2000, N. G. a tenté un cambriolage chez une personne appelée MmeFedorina, mais il a échoué pour des raisons indépendantes de sa volonté.

4.3Le 22 juillet 2000 également, la bande s’est rendue chez une connaissance, MmeNormatova. Après avoir bu de l’alcool, N. G. a frappé MmeNormatova à la tête avec un haltère, puis l’a étranglée avec une ceinture, pendant que MmeSermiagina la frappait à coups de cutter. La victime a succombé à ses blessures. N. G. et MmeSermiagina se sont enfuis en emportant des biens pour une valeur de 2 388 000 sums.

4.4L’État partie indique que N. G. n’a pas été soumis à la torture ou à d’autres traitements illégaux, pas plus au cours de l’enquête préliminaire que pendant le procès. L’enquête et le procès ont été conduits conformément à la législation en vigueur. Dès son arrestation, N. G. a été représenté par un avocat, qui a assisté à tous les interrogatoires et à tous les autres actes de l’enquête.

4.5L’État partie conclut que la culpabilité de N. G. a été confirmée par les propres aveux de l’accusé, par les déclarations de MmeSermiagina et de son frère, par les dépositions d’autres témoins et par d’autres éléments de preuve (expertises, antécédents, examens médico‑légaux, etc.).

4.6Dans une note du 18 janvier 2007, l’État partie a donné des informations complémentaires. Il indique que le 12 février 2002 la Cour suprême d’Ouzbékistan a réexaminé l’affaire et a commué la condamnation à mort de N. G. en peine de vingt ans d’emprisonnement. Par la suite, le fils de l’auteur a bénéficié de six décrets d’amnistie distincts. Le 30 avril 2004, le tribunal municipal de Karshi a ordonné son transfert dans une colonie pénitentiaire. À la date du 24 décembre 2006, N. G. n’avait plus qu’un mois de sa peine à purger.

4.7L’auteur n’a pas fait de commentaires sur les observations de l’État partie, bien que celles‑ci lui aient été dûment transmises et que plusieurs rappels lui aient été adressés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux paragraphes 2 a) et 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et il note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

5.3Le Comité note que l’auteur invoque une violation des droits consacrés aux articles 9, 10, 15 et 16 du Pacte, sans toutefois présenter le moindre élément d’information à l’appui de ces griefs. En l’absence de toute autre information utile à ce sujet, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’avoir été suffisamment étayée.

5.4Le Comité relève que les allégations de l’auteur concernant la manière dont les tribunaux ont traité l’affaire, apprécié les preuves, qualifié les actes de son fils et établi sa culpabilité pourraient soulever des questions au regard de l’article 14 du Pacte. L’État partie a rejeté ces allégations. Le Comité note, en tout état de cause, que ces allégations portent principalement sur l’appréciation des faits et des preuves par les juridictions de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité considère qu’en l’absence d’autres informations utiles, de la part de l’auteur et en l’absence dans le dossier de tout procès‑verbal ou compte rendu d’audience qui lui permettraient de vérifier si la procédure a effectivement été entachée des irrégularités alléguées par l’auteur, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’avoir été suffisamment étayée.

5.5Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que son fils a été battu et torturé et ainsi contraint à avouer les crimes dont il a ensuite été déclaré coupable. Il relève cependant que l’auteur a formulé ces allégations non pas dans sa communication initiale mais plus tard seulement, et qu’elle n’a donné aucune précision sur ce point, comme l’identité des responsables ou les méthodes de torture employées. Elle n’a pas non plus indiqué si elle avait fait une quelconque démarche pour essayer de faire examiner son fils par un médecin, ou si une plainte avait été déposée à ce sujet. On ne sait pas non plus si ces allégations ont été portées à l’attention du tribunal d’instance. Le Comité constate en outre qu’il n’est pas fait mention de mauvais traitements ou d’autres méthodes d’enquête illégales dans le recours formé au nom de N. G. devant la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent. En l’absence de toute autre information utile sur ce point, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. Par conséquent, cette partie de la communication également est irrecevable en vertu de l’article2 du Protocole facultatif.

5.6Compte tenu de ce qui précède et étant donné que la condamnation à mort du fils de l’auteur a été commuée le 12 février 2002, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief soulevé au titre de l’article 6 du Pacte.

6.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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