Présentée par :

Maria de Lourdes da Silva Pimentel, représentée par le Center for Reproductive Rights et Advocacia Cidadã pelos Direitos Humanos

Au nom de :

Alyne da Silva Pimentel Teixeira (décédée)

État partie :

Brésil

Date de la communication :

30 novembre 2007 (présentation initiale)

Le 25 juillet 2011, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a adopté le texte joint en annexe présentant les constations du Comité au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif, conformément à la communication no 17/2008.

Annexe

Constatations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, adoptées en application du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (quarante-neuvième session)

* Les membres suivants du Comité ont participé à l ’ examen de la présente communication : M me Ayse Feride Acar, M me Nicole Ameline, M me Magalys Arocha Dominguez, M me Violet Tsisiga Awori, M me Barbara Evelyn Bailey, M me Olinda Bareiro-Bobadilla, M me Meriem Belmihoub-Zerdani, M. Niklas Bruun, M me Naela Mohamed Gabr, M me Ruth Halperin-Kaddari, M me Yoko Hayashi, M me Ismat Jahan, M me Soledad Murillo de la Vega, M me Violeta Neubauer, M me Pramila Patten, M me Maria Helena Lopes de Jesus Pires, M me Victoria Popescu, M me Zohra Rasekh, M me Patricia Schulz, M me Dubravka Šimonović et M me Zou Xiaoqiao. Conformément à l ’ article 60 du Règlement intérieur du Comité, M me Silvia Pimentel n ’ a pas participé à l ’ examen de la communication.

Communication no17/2008 *

Présentée par :

Maria de Lourdes da Silva Pimentel (agissant en son propre nom et au nom de sa famille), représentée par le Center for Reproductive Rights et Advocacia Cidadã pelos Direitos Humanos

Au nom de :

Alyne da Silva Pimentel Teixeira (décédée)

État partie :

Brésil

Date de la communication :

30 novembre 2007 (présentation initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, créé par l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Se réunissant le 25 juillet 2011,

Adopte les constatations suivantes :

Constatations adoptées en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif

1.L’auteure de la communication, datée du 30 novembre 2007, est Maria de Lourdes da Silva Pimentel, mère d’Alyne da Silva Pimentel Teixeira (décédée) qui agit en son nom et au nom de sa famille. Ils sont représentés par le Center for Reproductive Rights et Advocacia Cidadã pelos Direitos Humanos. Ils affirment que l’État partie a violé les droits à la vie et à la santé d’Alyne da Silva Pimentel Teixeira au regard des articles 2 et 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 2 mars 1984 et le 28 septembre 2002, respectivement.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Alyne da Silva Pimentel Teixeira, une Brésilienne d’ascendance africaine, est née le 29 septembre 1974. Elle était mariée à Adriano Teixeira da Conceição et avait une fille, A.S.P., née le 2 novembre 1997.

2.2Le 11 novembre 2002, Mmeda Silva Pimentel Teixeira s’est rendue au dispensaire Casa de Saúde Nossa Senhora da Glória de Belford Roxo (ci-après le « dispensaire ») parce qu’elle souffrait de graves nausées et de douleurs abdominales. Elle était alors dans son sixième mois de grossesse. L’obstétricien-gynécologue de service lui a prescrit un médicament contre les nausées, de la vitamine B12, un médicament en application locale pour une infection vaginale et, par précaution, lui a donné un rendez-vous pour des analyses de sang et d’urine de routine le 13 novembre 2002, puis l’a renvoyée chez elle. Elle a commencé immédiatement à prendre les médicaments prescrits.

2.3Entre le 11 et 13 novembre 2002, l’état de Mmeda Silva Pimentel Teixeira s’est considérablement aggravé et le 13 novembre 2002 elle s’est rendue au dispensaire avec sa mère pour consulter l’obstétricien-gynécologiste avant ses analyses de sang et d’urine. Ce médecin l’a examinée et l’a admise au centre sanitaire à 8 h 25.

2.4Un autre médecin a examiné Mmeda Silva Pimentel Teixeira dans le service de maternité et n’a pu entendre les battements cardiaques du fœtus, ce qu’une écographie pratiquée à 11 heures confirma.

2.5Les médecins du dispensaire informèrent Mmeda Silva Pimentel Teixeira qu’elle devait prendre des médicaments pour accoucher du fœtus mort-né et le travail a commencé à environ 14 heures. À 19 h 55, Mmeda Silva Pimentel Teixeira avait accouché d’un fœtus mort-né de 27 semaines. Immédiatement après, son comportement est devenu confus.

2.6Le 14 novembre 2002, quelque 14 heures après l’accouchement, Mmeda Silva Pimentel Teixeira a subi un curetage pour enlever des restes de placenta, après quoi son état a continué à s’aggraver (hémorragie sévère, vomissements de sang, hypotension, état de désorientation prolongé et extrême faiblesse physique, et impossibilité d’ingérer des aliments). Sa mère et son mari ne lui ont pas rendu visite au dispensaire ce jour-là parce qu’on leur avait assuré au téléphone que son état était bon.

2.7L’auteure indique que le 15 novembre 2002, l’état de confusion de Mmeda Silva Pimentel Teixeira s’est aggravé, sa tension demeurait basse, et elle était toujours en proie à des difficultés respiratoires et des hémorragies. Le personnel du dispensaire a pratiqué une ponction abdominale qui n’a pas révélé la présence de sang. On lui a administré de l’oxygène, de la cimétidine, du mannitol, du décadron et des antibiotiques. Les médecins ont expliqué à sa mère que ses symptômes étaient typiques de ceux d’une femme qui n’avait jamais reçu de soins prénataux et qu’elle avait besoin d’une transfusion sanguine; sa mère a alors appelé le mari de la patiente, qui s’est rendu au dispensaire. À 13 h 30, le personnel a demandé à la mère de Mmeda Silva Pimentel Teixeira le dossier médical prénatal de celle-ci, n’en trouvant aucun au dispensaire.

2.8Les médecins du dispensaire ont contacté des hôpitaux publics et privés, mieux équipés, pour y transférer Mmeda Silva Pimentel Teixeira. Seul l’hôpital général de Nova Iguaçu, un hôpital municipal, avait un lit disponible mais il a refusé d’utiliser sa seule ambulance pour transporter la malade à cette heure-là. Sa mère et son mari n’ont pu obtenir les services d’une ambulance privée et Mmeda Silva Pimentel Teixeira a attendu huit heures dans un état critique, présentant pendant au moins deux heures des symptômes cliniques manifestes de coma, avant d’être transportée à l’hôpital.

2.9Lorsqu’elle est arrivée à l’hôpital avec deux médecins et son mari à 21 h 45 le 15 novembre 2002, elle était en état d’hypothermie, respirait extrêmement difficilement et présentait un tableau clinique dénotant une coagulation intravasculaire disséminée. Sa pression artérielle est tombée à zéro et il a fallu la réanimer. L’hôpital lui a aménagé un lit de fortune dans le couloir des urgences parce qu’il n’y avait pas de lit disponible.

2.10Les médecins qui l’avaient accompagnée à l’hôpital n’avaient pas pris son dossier médical et se sont contentés de décrire brièvement ses symptômes au médecin traitant.

2.11Le 16 novembre 2002, la mère de Mmeda Silva Pimentel Teixeira a rendu visite à sa fille. Celle-ci était pâle et avait du sang sur la bouche et sur ses vêtements. Le personnel de l’hôpital a envoyé sa mère au dispensaire pour récupérer son dossier médical. Au dispensaire, on lui a demandé pourquoi elle voulait ce dossier et on l’a fait attendre.

2.12Mmeda Silva Pimentel Teixeira est décédée à 19 heures le 16 novembre 2002. Une autopsie a révélé que la cause officielle du décès était une hémorragie digestive. Selon les médecins, celle-ci avait été causée par l’accouchement du fœtus mort-né.

2.13Le 17 novembre 2002, à la demande de l’hôpital, la mère de Mmeda Silva Pimentel Teixeira s’est de nouveau rendue au dispensaire pour demander le dossier médical de sa fille. Les médecins du dispensaire lui ont dit que le fœtus mort-né était resté plusieurs jours dans l’utérus et que c’était la cause du décès.

2.14Selon le dossier, l’époux de Mmeda Silva Pimentel Teixeira a assigné le système de santé en dommages et intérêts pour préjudice moral et matériel le 11 février 2003.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes appelle à une action immédiate en cas de discrimination à l’égard des femmes au sens de l’article 1 de la Convention lorsque le droit à la vie d’une femme est violé parce que sa sécurité n’a pas été assurée lors de la grossesse ou de l’accouchement.

3.2L’auteure fait valoir que l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention exige des États parties non seulement qu’ils adoptent des mesures législatives pour lutter contre la discrimination, mais aussi qu’ils assurent l’application concrète de ces mesures et la réalisation sans délais des droits des femmes. Le Comité a établi que les États parties doivent veiller à ce que leur législateur et leur exécutif s’acquittent, en élaborant et en appliquant les politiques voulues, de l’obligation de respecter, protéger et mettre en œuvre le droit des femmes à des soins de santé et mettent en place un système garantissant des recours judiciaires effectifs. À défaut, il y aurait violation de l’article 12 de la Convention. De plus, le Comité a souligné qu’une attention particulière devait être accordée aux besoins et droits en matière de santé des femmes appartenant à des groupes vulnérables ou défavorisés, et que l’obligation d’éliminer la discrimination dans l’accès aux soins de santé comprenait celle de tenir compte de la manière dont les facteurs sociaux, qui ne sont pas les mêmes pour toutes les femmes, déterminent l’état de santé.

3.3L’auteure affirme que les obligations prévues dans le domaine de la santé par les articles 2 et 12 de la Convention sont des obligations d’effet immédiat, parce que les droits à la vie et à la non-discrimination sont immédiatement exécutoires et que leur violation exige que l’État agisse d’urgence. Invoquant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’auteure fait valoir que les obligations d’» assurer » sont plus immédiates et ne sont pas susceptibles d’une exécution progressive, à la différence des obligations de « reconnaître ».

3.4L’auteure affirme que le Brésil n’assure pas l’accès à un traitement médical de qualité durant l’accouchement, manquant ainsi aux obligations que les articles 2 et 12 de la Convention mettent à sa charge. Parce que c’est en raison de retards évitables dans l’obtention de soins d’urgence adéquats durant une grossesse à complications que la majorité des femmes enceintes perdent la vie – comme cela a été le cas pour Mmeda Silva Pimentel Teixeira –, une assistance compétente lors de la grossesse, y compris en cas d’urgence gynécologique, est vitale pour éviter les décès lors de l’accouchement.

3.5Si Mmeda Silva Pimentel Teixeira a été traitée par un gynécologiste obstétricien et a donc eu en théorie accès à un praticien qualifié, la médiocrité des soins qu’elle a reçus a joué un rôle critique dans son décès. Selon l’auteure, un praticien compétent aurait été alerté par les graves nausées et douleurs abdominales dont se plaignait Mmeda Silva Pimentel Teixeira durant le sixième mois de sa grossesse, qui signalaient un problème potentiellement grave, et aurait prescrit le traitement approprié. Si des analyses de sang et d’urine avaient été effectuées le jour même, on aurait découvert que le fœtus était mort et qu’il fallait provoquer immédiatement l’accouchement, ce qui aurait évité que l’état de Mmeda Silva Pimentel Teixeira s’aggrave.

3.6L’auteure fait valoir que Mmeda Silva Pimentel Teixeira aurait dû être opérée immédiatement après l’accouchement pour enlever le placenta, qui n’avait pas été totalement expulsé durant l’accouchement comme il l’est normalement, ce qui a peut-être causé l’hémorragie et les complications et, finalement, le décès de la patiente. L’auteure déclare également que celle-ci aurait dû être transférée dans un établissement mieux équipé pour une opération chirurgicale, rendue nécessaire par une situation anormale. Or, la patiente a été opérée le matin suivant l’accouchement, et au dispensaire. Selon l’auteure, on aurait attendu qu’une journée entière se soit écoulée après qu’elle eut commencé à perdre du sang en abondance pour essayer de la faire transférer dans un hôpital. Ce transfert, qui aurait pris plus de huit heures, ne lui a pas permis de recevoir un traitement adéquat, parce qu’elle a été laissée pratiquement sans soins dans un lit de fortune aménagé dans un couloir de l’hôpital pendant 21 heures, jusqu’à ce qu’elle décède. Cette incapacité de la faire soigner efficacement et en temps voulu par des praticiens qualifiés est un nouvel exemple de la médiocrité des soins que Mmeda Silva Pimentel Teixeira a reçus.

3.7L’auteure affirme que le fait pour une femme de ne pas avoir accès à des soins médicaux de qualité lors de son accouchement est typique des problèmes systémiques qui affectent la gestion des ressources humaines au sein du système de santé brésilien en général. Elle affirme que pour que des soins adéquats puissent être fournis pendant la grossesse, il est indispensable que le système de santé soit opérationnel, ce qui implique : des agents sanitaires compétents en nombre suffisant, déployés lorsqu’on a besoin d’eux, un barème des salaires satisfaisant et des possibilités d’avancement, un encadrement adéquat, des mécanismes d’amélioration de la qualité opérationnels et un système de transport et d’orientation qui fonctionne, afin que les patients aient accès en temps voulu à des soins de haut niveau, en particulier en cas d’urgence. Des études effectuées par des organismes des Nations Unies révèlent que le système national de santé du Brésil souffre de nombreuses carences dans chacun de ces domaines. Les problèmes posés par la pénurie de personnel qualifié, et d’insuffisance du niveau de qualifications requis, seraient encore plus graves au niveau municipal, par exemple dans les dispensaires comme la Casa de Saúde Nossa Senhore da Glória de Belford Roxo, qu’aux niveaux des États et fédéral.

3.8L’auteure affirme que le Brésil n’a pas assuré l’accès en temps voulu de la victime à des soins obstétriques d’urgence en violation des articles 2 et 12 de la Convention. Au moins trois indicateurs concernant l’accès à des soins obstétriques d’urgence et la qualité de ces soins sont particulièrement pertinents, étant donné les carences spécifiques en l’espèce et les carences plus systémiques de l’État partie en matière de prévention de la mortalité maternelle. Les indicateurs visés par l’auteure figurent dans les lignes directrices pour la surveillance de la disponibilité et de l’utilisation des services obstétricaux (octobre 1997) adoptées par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), comme suit :

a)Répartition géographique équitable des services de soins obstétricaux essentiels (au moins quatre structures sanitaires de soins obstétricaux essentiels de base et au moins une structure sanitaire de soins obstétricaux essentiels complets pour 500 000 habitants);

b)Besoins de soins obstétricaux essentiels des femmes satisfaits (au minimum, la plupart des femmes ayant besoin de tels soins doivent en recevoir);

c)Le taux de létalité chez les femmes présentant des complications obstétricales dans les structures sanitaires de soins obstétricaux essentiels ne doit pas dépasser 1 %.

L’auteure fait valoir qu’un résultat négatif dans l’une quelconque de ces trois catégories indique que l’État concerné ne s’acquitte pas de son obligation de fournir des soins de santé maternelle.

3.9L’auteure affirme que la non-exécution par le Brésil de son obligation d’assurer des soins de santé maternelle est prouvée par les faits de la présente affaire et par des études effectuées sur la mortalité maternelle au Brésil. Ces études montrent que les services de soins obstétriques d’urgence sont inéquitablement répartis du point de vue géographique (indicateur no 1), que la proportion de femmes ne recevant pas les soins dont elles ont besoin à cet égard est inacceptable (indicateur no2) et que le taux des décès dus à des complications obstétricales est lui aussi supérieur aux taux acceptables (indicateur no3), ce qui démontre que l’État partie n’assure pas l’accès à des soins obstétricaux d’urgence ni la qualité de ces soins comme ses obligations relevant du droit à la santé le lui imposent en vertu de l’article 12 de la Convention.

3.10En partie à cause de l’inégale répartition des établissements sanitaires de haut niveau, Mmeda Silva Pimentel Teixeira a eu de graves difficultés à se faire admettre dans un hôpital à un moment où elle avait immédiatement besoin de soins d’urgence : le seul hôpital qui l’a admise se trouvait dans une municipalité voisine éloignée de plus de deux heures. Comme pour se rendre à l’hôpital le plus proche prêt à la recevoir, il lui a fallu passer dans les transports le temps qu’il reste à vivre, en moyenne, à une femme dans son état, elle n’a pas eu raisonnablement accès aux services d’urgence nécessaires. Des injustices similaires existent dans la répartition des établissements sanitaires entre les États du Brésil.

3.11L’auteure fait valoir qu’en l’espèce, l’absence de système d’orientation entre le dispensaire et les établissements de plus haut niveau, ou les carences de ce système, et l’absence de coordination entre l’assistance prénatale et les soins durant l’accouchement ont retardé de manière critique l’accès de la victime aux services nécessaires et lui ont peut-être coûté la vie. Un seul hôpital parmi ceux contactés pouvait accueillir la victime. Il n’y a pas eu moyen de transporter Mmeda Silva Pimentel Teixeira jusqu’à cet hôpital parce que celui-ci ne voulait pas utiliser sa seule ambulance. Le dispensaire n’avait pas de moyens de transport propres et la mère de la victime n’a pu trouver d’ambulance privée. Il n’y avait pas de lit disponible à l’hôpital et les médecins du dispensaire n’ont pas fait parvenir le dossier médical de la victime à celui-ci.

3.12Étant donné l’expérience qui a été celle de Mmeda Silva Pimentel Teixeira et les nombreuses études sur la mortalité maternelle au Brésil, qui indiquent que la médiocrité des soins dispensés en cas d’urgence obstétricale est une des principales raisons du taux élevé de mortalité maternelle au Brésil et dénoncent un taux de létalité dont on peut dire qu’il dépasse les niveaux acceptables dans de nombreux établissements, l’auteure affirme que l’incompétence et la négligence du personnel sanitaire et le fait que la victime n’a pas eu accès en temps voulu aux services nécessaires ont été des causes majeures de son décès.

3.13L’auteure estime que l’État partie a violé les droits que Mmeda Silva Pimentel Teixeira tient de l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention en n’assurant pas la protection effective des droits des femmes. Elle invoque la jurisprudence du Comité relative à la communication 5/2005 (Sahide Goekce (décédée) c. Autriche), une affaire dans laquelle le Comité a jugé que les recours juridiques et autres mis en place par un État partie [contre la violence domestique] doivent être appuyés par les acteurs étatiques, qui doivent exécuter les obligations de diligence de l’État partie. L’auteure invoque également l’accent mis par la Commission interaméricaine des droits de l’homme sur les obligations des États d’organiser leur administration de telle manière que les violences et la discrimination à l’encontre des femmes soient prévenues, fassent l’objet d’enquêtes et soient réprimées et, de plus, que les femmes disposent de recours. Les faits de la cause montrent que l’État partie n’a manifestement pas mis en place un système propre à assurer la possibilité de saisir efficacement la justice et de bénéficier de la protection de celle-ci lorsque des droits sont violés dans le domaine de la santé en matière de procréation. L’auteure fait valoir que le manque de réactivité de l’appareil judiciaire montre à l’évidence que, de manière systématique, l’État partie ne reconnaît pas la nécessité d’adopter des mesures de réparation pour indemniser les femmes qui ont été victimes de discrimination.

3.14Quant à l’épuisement des recours internes, l’auteure affirme que l’accès à la justice est illusoire. Le mari de la défunte, en son nom propre et au nom de leur fille de 5 ans, a introduit une action civile en dommages-intérêts pour préjudice matériel et moral le 11 février 2003, trois mois après le décès de la victime, et a demandé par deux fois la tutela antecipada. La première requête, introduite le 11 février 2003 par la famille de la défunte, a été ignorée et le juge a rejeté la seconde, introduite le 16 septembre 2003. En outre, alors que quelque quatre ans et demi se sont écoulés, la procédure civile n’a guère avancé et il est probable qu’il faudra encore plusieurs années au tribunal pour rendre sa décision. Plus précisément, il n’y a pas encore eu d’audience et il a fallu au tribunal 3 ans et 10 mois pour nommer un médecin expert, alors que son règlement l’obligeait à le faire dans les 10 jours.

3.15L’apathie de l’appareil judiciaire et ses atermoiements ont eu un effet dévastateur sur la famille, en particulier la fille de la défunte, qui a été abandonnée par son père et vit maintenant dans des conditions précaires (aucun suivi psychologique, et peu de moyens pour faire face aux besoins élémentaires comme l’alimentation, l’habillement, etc.) avec sa grand-mère maternelle. Le retard extraordinaire intervenu dans le prononcé d’une décision en ce qui concerne la tutela antecipada et l’inaction sur l’action civile ont en outre porté atteinte aux droits de la fille de la victime et causé un risque de dommage irréparable.

3.16L’auteure fait aussi valoir que la jurisprudence du Comité milite en faveur de l’applicabilité de l’exception à la règle de l’épuisement des recours internes. Elle affirme que la conclusion du Comité en ce qui concerne la longueur de la procédure judiciaire dans l’affaire A. T. c. Hongrie (communication 2/2003), à savoir que les affaires de violence domestique ne bénéficient d’aucune priorité dans l’appareil judiciaire, peut être rapprochée de la situation au Brésil, où les procédures relatives à des violences contre des femmes et à la santé des femmes, en particulier de groupes vulnérables comme celles des milieux défavorisés et les femmes d’ascendance africaine, n’ont aucune priorité dans l’administration de la justice.

3.17L’auteure fait valoir que l’action civile ne peut être considérée comme un moyen effectif d’obtenir réparation pour la violation des droits de l’homme dénoncée dans la communication et a compromis l’objet du recours, à savoir répondre comme il se doit et de manière concrète et immédiate aux besoins de la famille. Le retard intervenu équivaut à un déni de justice.

3.18L’auteure affirme que la question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans les seules observations qu’il a déposées, le 13 août 2008, l’État partie indique qu’il considère les questions ci-après comme liées à la présente affaire : a) l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes dans l’accès aux services de santé, en particulier ceux liés à la grossesse et à l’accouchement; b) l’adoption légale de politiques et autres mesures concrètes garantissant la fourniture de services de santé en matière de procréation; c) la responsabilité principale de l’État en matière de soins de santé féminine; et d) la nécessité de faire en sorte que les soins de santé disponibles garantissent un consentement pleinement informé, le respect de la dignité de tous et la confidentialité, et que les travailleurs sanitaires soient au fait des besoins particuliers des femmes. L’État partie explique que le droit à la santé est défini aux articles 6 et 196 de la Constitution fédérale brésilienne comme un droit subjectif de l’individu qui impose à l’État des obligations tant positives que négatives. Il explique que le service de santé publique, mis en place dans le cadre des politiques sanitaires, est l’appareil d’État responsable de la réalisation du droit en question, et il expose en détail ce que l’État doit faire et prévenir dans le domaine de la santé. Il indique en outre que la notion de droit à la santé comprend plusieurs éléments, dans la mesure où la santé est définie comme un état de bien-être total, social, mental et physique, dont le droit à des soins de santé ne représente qu’un aspect. Il insiste également sur la différence entre le droit à la santé et le droit à une assistance sanitaire, ce dernier droit étant limité aux mesures médicales prises pour détecter et traiter les maladies et relève du droit à la santé du point de vue de la capacité de soigner les maladies et de prolonger l’espérance de vie. Par définition, le droit à des soins de santé ou une assistance sanitaire nécessite l’organisation et le fonctionnement de services d’assistance.

4.2L’État partie a également examiné le droit à la santé dans le cadre de sa Constitution fédérale et les compétences en la matière des divers organes politiques et du secteur privé. L’article 96 de la Constitution fédérale définit la santé comme un droit pour tous et un devoir de l’État, garanti au moyen de politiques et d’un accès universel et égalitaire à des actions et services visant à promouvoir, protéger et rétablir la santé. Ces actions et services peuvent être assurés par l’État directement ou par l’intermédiaire de tierces parties, le Gouvernement demeurant exclusivement compétent pour les réglementer, les superviser et les contrôler. L’État les met en œuvre dans le cadre d’un réseau régionalisé et hiérarchisé, le système unique de santé (Sistema Único de Saúde). Les actions et services sanitaires comprennent donc l’aide sanitaire ou les soins de santé ainsi que d’autres fonctions, comme la surveillance sanitaire, qui, collectivement, recouvrent le droit à la santé.

4.3La Constitution fédérale stipule que le secteur privé peut seulement fournir une assistance sanitaire. Il n’est pas autorisé à exécuter celles des actions sanitaires prescrites à l’article 200 de la Constitution qui sont sans rapport avec les soins de santé. Les établissements privés peuvent participer au système unique de santé conformément aux directives de celui-ci dans le cadre d’un contrat ou d’une convention de droit public. Pour ce qui est de la répartition des responsabilités entre les diverses instances politiques, la section VII de l’article 30 de la Constitution brésilienne stipule qu’il est de la compétence des communes d’assurer les services de soins à la population avec la coopération technique et financière de l’État fédéral et de l’État.

4.4Cette répartition des responsabilités définie dans la Constitution indique que les devoirs correspondant au droit à la santé, dans sa dimension positive la plus large, y compris les soins de santé et autres actions et services en la matière, relèvent de la seule compétence de l’État, tout comme leur réglementation, leur exécution et leur contrôle. Le secteur privé est autorisé à fournir une aide sanitaire, qui comprend des services médicaux et pharmaceutiques, tandis que les communes sont seules responsables des services de santé à l’intention de l’ensemble de la population. Le champ d’action de l’État est donc beaucoup plus large que celui prévu pour le secteur privé. Les politiques sanitaires, en d’autres termes, relèvent de la compétence exclusive des instances politiques, tout comme les actions visant à superviser les services d’assistance sanitaire fournis par le secteur privé.

4.5L’État partie explique plus en détail son devoir de réglementer, surveiller et contrôler les actions et services sanitaires. Le Ministère de la santé administre le système national d’audit (Sistema Nacional de Auditoria) et coordonne l’évaluation technique et financière du système de santé sur l’ensemble du territoire national avec la coopération technique des États, des communes et du district fédéral. Le système national d’audit procède à une évaluation technique et scientifique et à des audits comptables et financiers ainsi qu’à l’inventaire du système de santé dans le cadre d’une procédure décentralisée. La décentralisation est assurée par des organes des États et des communes et des antennes locales du Ministère de la santé dans chaque État brésilien et le district fédéral.

4.6Les établissements privés ne peuvent être juridiquement incorporés au système de santé que si les services de santé disponibles ne suffisent pas à garantir la couverture de la population d’une zone géographique donnée. Le rôle des établissements privés au sein du système de santé est donc de fournir une assistance sanitaire et non d’exécuter des actions de surveillance, de contrôle ou de réglementation, ni d’appliquer les politiques de l’État dans le cadre du système. Ces établissements sont assujettis aux principes du système de santé et du système national d’audit en ce qui concerne l’évaluation de la qualité des services.

4.7S’agissant des allégations selon lesquelles l’État partie aurait violé les articles 2 et 12 parce qu’il n’a pas adopté de mesures visant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé et serait ainsi directement responsable du fait que Mmeda Silva Pimentel Teixeira n’a pas été bien soignée, l’État note qu’un certain nombre de politiques gouvernementales visant à répondre aux besoins spécifiques des femmes sont en cours d’élaboration, s’agissant en particulier des femmes vulnérables. Ces politiques touchent la question de l’égalité des hommes et des femmes. L’État partie estime que la plainte concerne l’absence d’accès aux soins médicaux, dans la mesure où la communication ne fait aucun lien entre le sexe de la patiente et les erreurs médicales qui ont pu être commises. L’État partie invoque les conclusions du rapport de visite technique établi par le Département de l’audit de Rio de Janeiro selon lesquelles « les carences dans l’assistance médicale fournie à Mmeda Silva Pimentel Teixeira ne relèvent toutefois pas de la discrimination contre les femmes, mais bien de la fourniture à la population de services inadéquats et de qualité médiocre, qui a abouti aux faits décrits ». L’État partie admet que l’état précaire de Mmeda Silva Pimentel Teixeira nécessitait un traitement médical individualisé, dont elle n’a pas bénéficié, mais il fait valoir que les soins médicaux spécifiques requis n’ont pas été refusés en raison de l’absence de politiques et de mesures relevant de l’obligation de l’État partie de lutter contre la discrimination à l’égard des femmes dans tous les domaines. La présente affaire concerne une éventuelle carence dans les soins dispensés par un établissement sanitaire privé, ce qui révèle des erreurs dans la passation des marchés de services de santé avec des établissements privés et, par extension, dans la surveillance et le contrôle de ces services, et non une absence d’engagement de l’État dans la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes.

4.8L’État partie fait valoir que ce raisonnement a été confirmé par le Comité d’État sur la mortalité maternelle qui a conclu dans le rapport d’enquête sur la mortalité maternelle publié par le Secrétariat d’État à la santé de Rio de Janeiro que le décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira n’était pas lié à la maternité et avait probablement été causé par une hémorragie digestive. De plus, ce rapport contient un résumé des renseignements disponibles sur le décès de l’intéressée, y compris les soins médicaux qui ont été initialement prodigués à la patiente, son admission à l’hôpital et son décès, décrit la cause de ce décès et les moments critiques du traitement et comprend des commentaires et des observations. Ce rapport d’enquête récapitulatif est le document que le Comité d’État sur la mortalité maternelle analyse et utilise, avec d’autres rapports, pour établir un rapport annuel comprenant des études de cas et indiquant les mesures de prévention appliquées pour réduire la mortalité maternelle.

4.9L’État partie fait de plus valoir que la présente affaire révèle de possibles carences dans l’assistance sanitaire fournie par la Casa de Saúde e Maternidade Nossa Senhora da Glória, qui, selon le Registre national des établissements sanitaires, est un établissement privé à but lucratif autorisé à exécuter des actes de complexité moyenne et élevée. La Casa de Saúde opère dans le cadre d’un contrat conclu entre le système de santé et le maire de la commune. Réagissant aux allégations de l’auteure selon lesquelles cet établissement privé a violé le droit de la patiente à des soins de santé et la municipalité de Belford Roxo n’a pas exécuté son obligation d’évaluer et de contrôler les services de santé fournis, le Ministère de la santé a demandé au Département national d’audit du système de santé d’effectuer une visite technique dans les municipalités de Belford Roxo et Nova Iguaçu (Rio de Janeiro) pour établir les faits de l’affaire et déterminer s’il y avait eu négligence ou faute dans les soins médicaux fournis à la future mère. Le rapport de visite technique a recommandé de saisir les conseils professionnels (Conselhos de Classe) pour qu’ils effectuent des vérifications quant aux professionnels de la santé (médecins et infirmiers) qui ont traité la patiente, ainsi que le Comité directeur national pour la réduction de la mortalité maternelle et néonatale du Ministère de la santé.

4.10En ce qui concerne l’action en dommages-intérêts introduite le 11 février 2003 par la famille de Mmeda Silva Pimentel Teixeira et d’autres, l’État partie indique que l’affaire est entrée dans la phase du jugement : les deux parties ont plaidé sur le rapport d’expert officiel (laudo pericial) et aucun retard indu n’étant prévu, le jugement sur le fond devait intervenir en juillet 2008. Étant donné la complexité de l’instance civile, dirigée contre plus d’un défendeur et qui nécessite l’avis d’experts, l’affaire n’a pas pris plus de temps que n’en prennent normalement les procès de même nature.

4.11L’État partie rejette l’allégation de l’auteure selon laquelle ce qui est arrivé à Mmeda Silva Pimentel Teixeira dénote une absence de volonté de l’État partie de réduire la mortalité maternelle et démontre l’existence d’une carence systémique s’agissant de protéger les droits fondamentaux des femmes. L’État partie donne un aperçu détaillé des diverses mesures prises dans le pays jusqu’à présent, ainsi que des mécanismes mis en place et plans adoptés au niveau national pour promouvoir les droits des femmes, en particulier en matière de santé, droits sexuels et droits en matière de procréation, qui démontrent que l’État partie applique une politique coordonnée de lutte contre la discrimination à l’égard des femmes. L’État partie reconnaît que les décès de femmes en âge de procréer constituent des violations des droits de l’homme, et c’est pour cette raison que le Gouvernement fédéral, en particulier le Gouvernement actuel, a fait de la santé des femmes une priorité. Il produit en outre des données démontrant une diminution des taux de mortalité maternelle, en particulier dans les régions du sud et du sud-est, et fait valoir que la présente affaire est une exception due à des négligences professionnelles, au surmenage, à l’insuffisance des infrastructures et au manque de préparation professionnelle. S’agissant de l’existence d’une discrimination, dans la mesure où l’affaire concerne une femme afro-brésilienne issue de la périphérie urbaine, l’État partie insiste sur le fait que le rapport de la visite technique effectuée par le Département d’audit du système de santé n’a relevé aucune preuve de discrimination. Néanmoins, l’État partie n’exclut pas que la discrimination ait pu, dans une certaine mesure mais non de manière décisive, contribuer à l’événement, mais il estime que c’est plutôt la convergence ou la réunion des facteurs décrits ci-dessus qui peut avoir contribué au fait que la patiente n’a pas reçu les soins d’urgence nécessaires, ce qui a occasionné son décès.

4.12L’État partie explique que l’une des priorités du Programme national de politiques en faveur de la femme consiste à promouvoir des soins obstétriques qualifiés et humanisés, en particulier au bénéfice des Afro-brésiliennes et des femmes autochtones, en accordant en particulier l’attention voulue aux avortements effectués dans de mauvaises conditions de sécurité, et ce, afin de réduire la morbidité et la mortalité maternelles. À cette fin, le Ministère de la santé prévoit 18 actions en 2011. En 2004, le Ministère de la santé a lancé la « Politique nationale de prise en charge intégrale à la santé de la femme : Principes et directives » (« Política Nacional de Atenção Integral à Saúde da Mulher : Princípios e Diretrizes »), donnant ainsi effet à l’engagement de mettre en œuvre des actions sanitaires contribuant à garantir le respect des droits fondamentaux de la femme et à réduire la morbidité et la mortalité évitables. Pour ce qui est de la formulation des politiques, l’État partie insiste sur la participation du Secrétariat spécial pour la promotion de l’égalité raciale (Secrataria Especial de Promoção da Igualdade Racial), du mouvement des femmes, du mouvement des travailleuses rurales et des femmes afro-brésiliennes, des associations scientifiques, des associations professionnelles, des chercheurs et universitaires compétents, de fonctionnaires du système de santé et d’institutions internationales de coopération.

4.13Enfin, l’État partie explique en détail toute l’attention qu’il accorde au cycle de procréation et les mesures prises pour que les femmes enceintes bénéficient de soins de santé complets et de qualité sous la forme de soins prénataux, de services spécialisés pour les grossesses à risque, de soins lors de l’accouchement et après celui-ci dans des centres de santé, des traitements obstétricaux d’urgence et des services de planification de la famille.

4.14L’État partie conclut qu’à l’évidence, il ne s’est montré ni indifférent, ni insensible à son obligation de mettre en œuvre des politiques sanitaires garantissant des soins spéciaux aux femmes. L’action menée dans ce domaine ne se limite pas aux droits en matière de sexualité et de procréation, mais englobe également la santé des femmes, ce qui implique qu’elles bénéficient de soins visant à assurer leur bien-être physique et mental intégralement.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans la communication du 19 janvier 2009, l’auteure rappelle que l’obligation de réduire la mortalité maternelle est une des obligations clefs auxquelles le droit à la santé donne naissance. L’auteure fait valoir que l’État partie a reconnu que les décès évitables constituent un grave problème au Brésil et que le fait de ne pas prendre de mesures pour y remédier constitue une violation grave des droits de l’homme. Toutefois, malgré sa reconnaissance rhétorique du problème de la mortalité maternelle, l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation de garantir le droit des femmes à la vie et à la santé. L’auteure cite des statistiques, provenant notamment de l’OMS, selon lesquelles il y a plus de 4 000 décès maternels chaque année au Brésil, ce qui représente un tiers de tous les décès maternels en Amérique latine. L’auteure invoque également une évaluation de l’Organisation des Nations Unies selon laquelle les taux de mortalité maternelle sont « considérablement plus élevés que ceux des pays dont le niveau de développement économique est inférieur et sont généralement considérés comme inacceptables ». La persistance de taux élevés de mortalité maternelle dans l’État partie montre que, systématiquement, celui-ci ne donne pas la priorité aux droits fondamentaux de la femme et ne les protège pas. Le décès maternel évitable de Mmeda Silva Pimentel Teixeira illustre clairement cette carence.

5.2L’auteure réaffirme que le décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira constitue une violation du droit à la vie, énoncé à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du droit à une protection effective des droits de al femme et du droit à la santé, conformément aux articles 2 c) et 12 de la Convention. Plus précisément, l’État partie doit assurer l’accès à un traitement médical de qualité durant l’accouchement et à des soins obstétriques d’urgence le cas échéant, ce qui implique en l’espèce qu’il y a eu violation du droit à ne pas faire l’objet d’une discrimination sur le fondement du sexe et de la race L’incapacité où s’est trouvée sa famille d’obtenir réparation de l’État partie viole le droit à une protection effective.

5.3L’auteure conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’instance n’a pas été plus longue que les instances de même nature, arguant implicitement qu’ainsi l’affaire ne relève pas de l’exception à l’obligation d’épuiser les recours internes tenant à l’existence d’un « délai déraisonnablement long ». Cet argument ne tient pas compte des importants délais imputables par l’État partie qui ont dans les faits empêché la demanderesse de parvenir à un règlement devant les tribunaux nationaux. La famille a introduit son action en dommages et intérêts pour préjudices matériel et moral le 11 février 2003, juste trois mois après le décès. Presque huit ans se sont écoulés depuis lors, mais l’activité judiciaire a en l’espèce été minimale et on ne sait trop quand le tribunal rendra sa décision. Dans ses observations, l’État partie ne répond pas adéquatement à l’argument concernant ce délai déraisonnablement long se contentant de déclarer que l’affaire est actuellement dans la phase du jugement, les deux parties ayant plaidé, et qu’il était peu probable qu’il y ait « des retards injustifiés dans le prononcé du jugement ». Il est toutefois incontesté que l’action a été introduite le 11 février 2003 et que l’expert n’a achevé sa mission qu’en août 2007, soit quatre ans plus tard. De plus, contrairement à ce qu’affirmait l’État partie, à savoir qu’un jugement sur le fond serait rendu en juillet 2008, le jugement en question n’a pas encore été rendu. L’auteure fait donc valoir que la durée de l’instance sur le fond devant les tribunaux internes ne peut plus être considérée comme raisonnable et elle invoque, entre autres, l’affaire A. T. c. Hongrie, dans laquelle le Comité a jugé que, dans une affaire de violence domestique, un retard de plus de trois ans constituait un « délai déraisonnablement long » au sens du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif. L’auteure invoque également la constatation du Comité dans la même affaire selon laquelle les affaires de violence familiale ne sont pas traitées en priorité par les tribunaux de l’État en cause, et elle affirme que cette constatation vaut également pour l’État partie, dans lequel les affaires relatives aux violences contre les femmes et à la santé des femmes, en particulier des femmes de groupes vulnérables, comme celles issues de milieux socioéconomiques défavorisés ou d’ascendance africaine, n’ont aucune priorité devant les tribunaux. De plus, l’État partie n’a pas expliqué pourquoi la nomination d’un médecin-expert a fait de l’affaire une affaire extrêmement complexe. La famille n’a rien fait pour prolonger l’instance déjà très longue, et sa prolongation déraisonnable tient essentiellement au comportement de l’État et des autorités judiciaires. Premièrement, il a fallu au tribunal presque quatre ans pour nommer un médecin-expert, alors même que son règlement stipulait que cette nomination devait intervenir dans les 10 jours. Deuxièmement, plus d’un an s’est écoulé depuis que l’expert a achevé sa mission et que les deux parties ont plaidé, et le Brésil n’a donc pas respecté le délai qu’il avait lui-même fixé pour le prononcer du jugement sur le fond. Troisièmement, le Brésil ne dit rien des longs retards intervenus dans le traitement par le tribunal des requêtes introduites par la famille pour obtenir une mesure conservatoire, la tutela antecipada.

5.4L’auteure déclare que ce délai déraisonnablement long a aggravé les effets déjà dévastateurs du décès pour la famille. Depuis le dépôt de la communication auprès du Comité en 2007, la situation économique déjà précaire de celle-ci a empiré. L’auteure, la personne qui subvient aux besoins de la famille et sa seule source de revenus, a dû arrêter de travailler comme femme de ménage parce que sa santé s’est détériorée. Elle ne perçoit aucune allocation de chômage. La famille de cinq personnes est obligée de subsister au moyen du peu d’argent que lui donne l’arrière-grand-père d’A.S.P. Malgré le traumatisme psychologique qu’a constitué la perte de sa mère à l’âge de 5 ans, l’argent a manqué pour que A.S.P. reçoive le traitement médical et psychologique dont elle avait besoin. Elle souffre maintenant de troubles d’élocution et rencontre des difficultés à l’école. L’auteure fait valoir que la situation tragique dans laquelle A.S.P. vit actuellement constitue une violation continue par le Brésil de ses obligations au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, comme de celles que lui imposent son ordre juridique interne et la Convention relative aux droits de l’enfant.

5.5Après s’être penchée sur la recevabilité, l’auteure fait valoir que l’État partie ne mentionne pas le problème des retards systémiques au sein de son appareil judiciaire qui violent le droit à une protection effective garanti par l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’État partie, d’une manière générale, ne prévoit pas de recours judiciaire adéquat au bénéfice des femmes appartenant à des groupes vulnérables, comme Mmeda Silva Pimentel Teixeira et sa famille. Les retards dans l’administration de la justice sont encore plus graves pour certains des segments les plus vulnérables de la société; les femmes des milieux socioéconomiques défavorisés et les femmes d’ascendance africaine rencontrent de grosses difficultés « pour exercer des recours judiciaires afin d’obtenir réparation lorsque des actes de violence et de discrimination sont commis à leur encontre ». Pour ce qui est de la fille de la victime, ces délais ont rendu sa vie quotidienne encore plus précaire. Les enfants qui ont perdu leur mère risquent davantage de mourir, fréquentent moins l’école et bénéficient peut-être de moins de soins de santé durant leur vie. C’est pour cette raison qu’en vertu de la législation brésilienne, les enfants comme A.S.P. ont juridiquement droit à des mesures de protection spéciales. Or l’inaction continue des tribunaux internes brésiliens compromet les droits d’A.S.P. et risque de lui causer un dommage irréparable.

5.6S’agissant des obligations que la Convention met à la charge de l’État partie, l’auteure fait valoir que la réalisation du droit à la santé implique certaines obligations d’effet immédiat, notamment celles d’éliminer la discrimination et de prendre des mesures pour que ce droit soit pleinement exercé. L’interdiction de toute discrimination dans l’accès aux établissements de santé est donc une obligation d’effet immédiat. Le droit à la santé entraîne des obligations juridiques précises pour les États parties, à savoir celles de respecter, de protéger et de mettre en œuvre ce droit. Il ne suffit pas, pour exécuter ces obligations, d’adopter une stratégie nationale en matière de santé. Cette stratégie doit aussi être mise en œuvre et « examiné[e] périodiquement dans le cadre d’un processus participatif et transparent ». L’auteure renvoie aux observations finales du Comité selon lesquelles la mise en œuvre par le Brésil de ses politiques nationales de santé ne suffit pas à donner pleinement effet à la Convention dans le domaine de la santé maternelle. Le Comité a noté en particulier que le Brésil rencontrait des difficultés « pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention à tous les niveaux de la République fédérale et de façon systématique, difficultés qui [étaient] liées aux différents degrés de volonté politique et d’engagement des autorités étatiques et municipales ». Le Comité a évoqué au sujet du Brésil la nécessité de procéder à l’évaluation de l’impact des politiques au moyen d’indicateurs et de critères, mais le Brésil n’a pas encore pris de mesures pour procéder à de telles évaluations.

5.7Pour comprendre le droit à la santé, il est essentiel de distinguer entre obligations de comportement et obligations de résultat. Lorsque les États prennent des mesures pour donner effet à ce droit, ils doivent non seulement créer des politiques visant à le réaliser (une obligation de comportement), mais aussi veiller à ce que ces politiques aboutissent effectivement aux résultats désirés (une obligation de résultat).

5.8L’auteure fait valoir que les programmes de l’État partie n’ont pas abouti aux mesures et résultats concrets qu’exige la Convention. Bien que le Pacte national pour la réduction de la mortalité maternelle et néonatale fixe des objectifs louables en matière de réduction de la mortalité maternelle, les taux élevés de cette mortalité n’ont pas changé de manière significative. Ceci est dû à au moins trois facteurs. Premièrement, il existe divers problèmes de coordination. Deuxièmement, il faut que les politiques sanitaires du Brésil s’appuient sur les fonds nécessaires, qui doivent être équitablement alloués : bien que 10 % des dépenses de l’État soient consacrés à la santé, les dépenses consacrées à la santé maternelle sont minimales par rapport à celles d’autres programmes. Le Brésil n’a dépensé que 96 dollars par habitant pour la santé en 2003, un chiffre dramatiquement bas. Troisièmement, les politiques ne sont pas liées à l’obtention de résultats mesurés au moyen d’indicateurs et de critères sanitaires. Par exemple, le financement du système de santé n’est pas « lié aux résultats, lesquels ne sont pas quant à eux suffisamment évalués ».

5.9L’auteure conteste le raisonnement de l’État partie selon lequel la communication ne fait état d’aucun lien entre le sexe de Mmeda Silva Pimentel Teixeira et les erreurs médicales qui ont pu être commises, lesquelles ne relèvent donc pas de la discrimination au sens de la Convention. L’auteure affirme que ce raisonnement ne tient pas compte de la définition de la discrimination figurant dans la Convention et d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. La discrimination englobe les mesures prises par l’État qui ont pour effet de créer un obstacle à la jouissance des droits de l’homme, y compris le droit au meilleur état de santé possible. Aux termes de l’article 1 de la Convention, on entend par discrimination à l’égard des femmes « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes […] des droits de l’homme ». L’alinéa d) de l’article 2 de la Convention oblige les États à « s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se conforment à cette obligation ». Pour assurer la réalisation du droit à la santé, les États doivent assurer l’accès à des services de santé maternelle sans aucune discrimination. Il ne s’agit pas d’une prescription formelle, et les États doivent tenir compte des « caractéristiques et facteurs distinctifs propres aux femmes par comparaison avec les hommes », notamment les facteurs biologiques associés à la santé en matière de procréation Le déni de soins de santé dont seules les femmes ont besoin ou la négligence dans la fourniture de tels soins constituent une forme de discrimination à l’encontre des femmes.

5.10La négligence patente dans les soins prodigués à la victime constitue, au regard de la Convention, une forme de discrimination de facto. L’État partie a reconnu que l’état de grossesse de Mmeda Silva Pimentel Teixeira « aurait dû lui assurer un accès plus rapide à un traitement médical de meilleure qualité », mais il a conclu que les erreurs commises dans les soins de santé maternelle dispensés à Mmeda Silva Pimentel Teixeira étaient presque sans lien aucun avec la discrimination. Le fait de ne pas dispenser de soins de santé maternelle adéquats à la population féminine de Belford Roxo constitue une violation du droit à ne pas être victime de discrimination. Le fait que la population de cette ville est en grande partie d’ascendance africaine aggrave encore cette violation.

5.11La définition que donne l’État partie de la discrimination est trop étroite parce qu’elle ne tient pas compte de la distinction entre discrimination de jure et discrimination de facto. Le Comité s’est penché sur ce problème dans ses observations finales concernant le Brésil.

5.12S’agissant de la responsabilité de l’État partie au niveau international, l’auteure invoque le paragraphe e) de l’article 2 de la Convention, aux termes duquel les États doivent « prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise ». Cette obligation est explicitée dans la recommandation no24 (1999) relative à l’article 12 de la Convention (les femmes et la santé, par. 12), dont le paragraphe 15 exige des États parties qu’ils « prennent des mesures pour empêcher la violation de ces droits par des personnes ou des organismes privés et répriment de telles violations ». L’État partie a reconnu que « les États parties ne peuvent se décharger de toute responsabilité dans ces domaines en déléguant ou en transférant ces pouvoirs aux organismes du secteur privé ». La jurisprudence sur le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme juge l’État responsable en cas de faute commise par un médecin dans un établissement de soins privé. De manière significative, dans l’affaire Ximenes Lopes c.Br ésil, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a relevé que le requérant avait reçu un traitement psychiatrique dans « un établissement privé agréé par le Système unique de santé du Gouvernement fédéral », même si le Brésil n’avait pas contesté la responsabilité pour cette raison. Dans la décision finale de la Cour interaméricaine, cette distinction entre établissement public et établissement privé n’était plus pertinente; la responsabilité de l’État brésilien à raison des violations des droits de l’homme commises dans un établissement de soins de santé privé agréé par l’État a été assumée. De plus, dans l’affaire A. T. c. Hongrie, le Comité a déclaré que la Hongrie était tenue de superviser les établissements publics et privés pour s’assurer que des violations des droits de l’homme au regard de la Convention n’y étaient pas commises.

5.13L’auteure conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle le décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira était sans rapport avec sa maternité mais résultait d’une « hémorragie digestive ». L’auteure souligne que l’État partie a fait fond sur un rapport non disponible du Comité national pour la réduction de la mortalité maternelle pour parvenir à cette conclusion et que considérer ce décès comme non lié à la maternité revient à méconnaître des données médicales attestant clairement le contraire. Ces données démontrent que le décès est directement dû à des causes liées à la grossesse et aurait pu être empêché.

5.14L’OMS définit la mort maternelle comme suit : « le décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais ni accidentelle ni fortuite » L’auteure relève que le Brésil déclare officiellement utiliser les classifications officielles de l’OMS pour la mort maternelle, mais qu’elles ont été mal appliquées en l’espèce.

5.15Lorsque Mmeda Silva Pimentel Teixeira s’est présentée pour la première fois au dispensaire le 11 novembre 2002, les médecins auraient dû faire un diagnostic et la traiter pour une mort fœtale intra-utérine, compte tenu des symptômes qu’elle présentait. Or la mort fœtale intra-utérine n’a été diagnostiquée que le 13 novembre 2002 et le médecin traitant aurait alors dû immédiatement provoquer l’accouchement. La victime ayant accouché d’un fœtus mort-né beaucoup plus tard dans la journée, son état s’est considérablement aggravé. Alors que ces symptômes appelaient un traitement immédiat, ce n’est que le lendemain qu’un curetage a été effectué pour enlever les résidus de placenta. Bien qu’il fût évident qu’elle devait être traitée immédiatement et que son état empirait en permanence, la victime n’a été transférée à l’hôpital général que 49 heures après son accouchement. Son dossier médical n’a pas été transféré avec elle et le personnel de l’hôpital général n’a donc pas été informé qu’elle sortait tout juste d’une grossesse. Le fait que son dossier n’a pas été transféré et que les médecins de l’hôpital n’ont pas été informés qu’elle était enceinte atteste une grave négligence. Le déroulement des événements démontre à l’évidence que son décès a résulté d’une série d’interventions médicales négligentes à la suite de la mort fœtale intra-utérine. Ce décès a donc été causé par des complications obstétricales liées à la grossesse et doit être considéré comme un décès obstétrical direct.

5.16L’auteure fait valoir que le classement du décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira dans la catégorie des décès non maternels illustre la sous-estimation délibérée et les erreurs de classement généralisées s’agissant des décès maternels dans l’État partie. Celui-ci est confronté à des problèmes récurrents en ce qui concerne les certificats officiels de décès destinés à documenter les décès maternels. Les informations figurant sur ces certificats de décès ont tendance à être de mauvaise qualité ou tout simplement inexactes, et deux problèmes se posent à cet égard, qui ont probablement tous deux contribué au classement erroné par le Brésil du décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira comme non maternel. Premièrement, il est courant que les médecins n’indiquent pas sur le certificat de décès que la défunte était enceinte ou venait d’accoucher, ce qui fait que de nombreux décès sont classés erronément comme non maternels. En l’espèce, il n’est aucunement fait mention de sa grossesse sur le certificat officiel de décès. Deuxièmement, souvent les médecins brésiliens ne font pas le lien entre la cause immédiate ou finale du décès et la grossesse de la patiente, nombre de décès étant également classés comme non maternels de ce fait. Le Ministère de la santé a reconnu qu’il était difficile de contrôler la mortalité maternelle lorsque les médecins ne reliaient pas le décès à la grossesse de la défunte. Il est fréquent que les médecins indiquent que le décès est dû à une « complication fatale » ou utilisent d’autres termes médicaux, comme « hémorragie », qui ne sont pas spécifiquement liés à la grossesse. La grossesse de Mmeda Silva Pimentel Teixeira n’est pas expressément mentionnée sur son certificat de décès et l’expression « hémorragie digestive » ne lie pas ce décès à sa grossesse. En fait, au regard des normes médicales tant internationales que brésiliennes, cette indication de la cause du décès est incomplète et insuffisante. L’autopsie n’a pas, au regard des normes médicales élémentaires, été assez approfondie ni assez complète dans la recherche de la cause du décès. Cette description trop brève de la cause du décès reflète bien les problèmes récurrents que connaît le Brésil en la matière, et permet de douter de la fiabilité du certificat de décès. De plus, on ne trouve guère d’informations dans les documents officiels ultérieurs qui clarifieraient la nature du décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira.

5.17Enfin, l’auteure fait valoir que, si la plupart des États du Brésil sont dotés de comités chargés de la lutte contre la mortalité maternelle, conçus pour enquêter sur les décès maternels suspects aux niveau local et de l’État, il n’existe pas de comité de ce type dans la ville de Belford Roxo, où vivait Mmeda Silva Pimentel Teixeira. C’est un comité extérieur qui a enquêté sur son décès, celui du système unique de santé (Sistema unico de Sante) Comité de la mortalité du système de santé, et il s’est contenté d’examiner son dossier médical sans mener d’autres investigations, alors même que le Ministère de la santé en exige. De plus, l’invocation par l’État partie de la décision de ce Comité est préoccupante parce que l’État partie a refusé de présenter cette décision au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.

Questions et procédures examinées par le Comité

Examen de la recevabilité

6.1En application de l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité décide si la communication est ou n’est pas recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention. En application du paragraphe 4 de l’article 72 de son règlement intérieur, il examine la recevabilité de la communication avant d’examiner celle-ci au fond.

6.2Tout en notant que l’État partie fait valoir que la plainte portée au civil par la famille de la défunte n’a pas encore été tranchée et que le jugement devait être délivré en juillet 2008, le Comité estime que l’État partie n’a pas fourni d’explications adéquates et convaincantes en réponse à certaines des questions soulevées par l’auteure, à savoir le retard dans la nomination d’un médecin expert et le retard intervenu dans la procédure et le prononcé des jugements dans des instances qui sont encore pendantes. Le Comité note également que l’État partie n’a pas expliqué de manière exhaustive les raisons pour lesquelles les deux requêtes présentées les 11 février et 16 septembre 2003 pour obtenir la tutela antecipada ont été rejetées. Le Comité est d’avis que les retards susmentionnés ne sont pas imputables à la complexité de l’affaire ni au nombre des défendeurs et conclut que le délai de huit ans qui s’est écoulé depuis que l’instance a été introduite, même si l’État partie déclare que le jugement sera rendu en juillet 2008, est un délai déraisonnable au sens du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité considère que les allégations de l’auteure concernant les violations des articles 2 et 12 de la Convention ont été suffisamment établies aux fins de la recevabilité. Tous les autres critères de recevabilité étant satisfaits, le Comité déclare la communication recevable et va maintenant l’examiner quant au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations que l’auteure et l’État partie ont mises à sa disposition, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

7.2L’auteure fait valoir que le décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira constitue une violation du droit de cette dernière à la vie et à la santé que lui reconnaissent les articles 2 et 12, lus à la lumière de l’article 1, de la Convention, du fait que l’État partie ne lui a pas assuré un traitement médical approprié lors de sa grossesse et ne lui a pas fait dispenser de soins obstétricaux d’urgence en temps voulu, portant ainsi atteinte à son droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe, la race ou la situation socioéconomique. Pour examiner ces allégations, le Comité doit d’abord se demander si le décès était « maternel ». Il examinera ensuite si les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 12 de la Convention, qui disposent que les États parties doivent fournir aux femmes des services appropriés pendant la grossesse, pendant l’accouchement et après l’accouchement, ont été satisfaites en l’espèce. Ce n’est qu’après cela que le Comité examinera les autres allégations de violations de la Convention.

7.3Bien que l’État partie ait déclaré que le décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira était non maternel et que sa cause probable était une hémorragie digestive, le Comité note que l’enchaînement des faits décrit par l’auteure, que l’État partie n’a pas contesté, de même que l’opinion d’experts produite par l’auteure indiquent que le décès était effectivement lié à des complications obstétricales en rapport avec la grossesse. Le dispensaire n’a pas tenu compte des graves nausées et des douleurs abdominales dont la victime se plaignait durant le sixième mois de sa grossesse, et il n’a pas procédé aux analyses d’urine et de sang nécessaires pour s’assurer que le fœtus était encore vivant. Ces analyses ont été effectuées deux jours plus tard, ce qui a entraîné une détérioration de l’état de la patiente. Le Comité rappelle sa recommandation générale no24, dans laquelle il déclare que les États parties doivent respecter le droit des femmes à une maternité sans risques et à des services obstétriques d’urgence, et qu’ils devraient consacrer à ces services le maximum de ressources disponibles. La recommandation précise également que les mesures prises pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes sont jugées inappropriées si un système de soins de santé ne dispose des services voulus pour prévenir, détecter et traiter les maladies spécifiquement féminines. À la lumière de ces observations, le Comité rejette également l’argument de l’État partie selon lequel la communication n’a pas établi de lien de cause à effet entre le sexe de Mmeda Silva Pimentel Teixeira et les fautes qui ont pu être commises par les médecins, mais il estime que les griefs concernent un défaut d’accès à des soins de santé liés à la grossesse. Le Comité considère donc que le décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira était une mort maternelle.

7.4Le Comité note également l’allégation de l’auteure de la mauvaise qualité des services de santé dispensés à sa fille, non seulement parce qu’il n’a pas été procédé à des examens de sang et d’urine, mais aussi parce qu’il n’a été procédé au curetage que 14 heures après l’accouchement pour enlever les résidus de placenta, qui n’avait pas été totalement expulsé durant l’accouchement et a pu être la cause de l’hémorragie et, finalement, du décès. Il a été procédé à cette opération au dispensaire, qui n’était pas adéquatement équipé, et il a fallu huit heures pour transférer la patiente à l’hôpital municipal, celui-ci ayant refusé de la transporter dans sa seule ambulance et la famille n’ayant pu s’assurer les services d’une ambulance privée. Il note également que malgré le retard, l’admission de la patiente à l’hôpital municipal sans son histoire clinique ni aucune information sur son passé médical n’a servi à rien, car elle a été laissée pratiquement seule dans un lit de fortune aménagé dans le hall de l’hôpital pendant 21 heures, jusqu’à son décès. L’État partie ne nie pas ces carences ni aucun de ces faits. Il a au contraire admis que l’état vulnérable dans lequel se trouvait Mmeda Silva Pimentel Teixeira nécessitait un traitement médical individualisé, que la victime n’a pas reçu en raison de la carence éventuelle d’un établissement hospitalier privé due à des négligences professionnelles, l’insuffisance des infrastructures et le manque de préparation professionnelle. Le Comité conclut donc Mmeda Silva Pimentel Teixeira n’a pas reçu des services appropriés pendant l’accouchement et après l’accouchement.

7.5L’État partie soutient que ce n’est pas à lui que les carences en question sont imputables mais à l’établissement privé de soins. Il déclare que les allégations révèlent que ce sont des insuffisances dans les pratiques médicales d’un établissement privé qui sont à l’origine du décès de Mmeda Silva Pimentel Teixeira. Il reconnaît des dysfonctionnements dans la passation des marchés de services médicaux avec les établissements privés et, par extension, des carences dans l’inspection et le contrôle de ces services. Le Comité note donc que l’État est directement responsable des actes des établissements privés lorsqu’il délègue ses services médicaux et que, de plus, il demeure tenu de réglementer et de superviser les établissements privés de soins de santé selon le paragraphe e) de l’article 2 de la Convention, l’État partie doit faire preuve de la diligence voulue et faire le nécessaire pour que les activités menées par des acteurs privés en matière de politiques et de pratique sanitaires soient appropriées. En l’espèce, la responsabilité de l’État partie est solidement établie dans la Constitution brésilienne (art. 196 à 200), qui affirme que le droit à la santé est un droit de l’homme général. Le Comité conclut par conséquent que l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations au titre du paragraphe 2 de l’article 12 de la Convention.

7.6Le Comité note que l’auteure affirme que l’absence d’accès à des soins médicaux de qualité durant l’accouchement est un problème systémique au Brésil, qui tient en particulier à la manière dont les ressources humaines sont gérées au sein du système de santé brésilien. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la victime ne s’est pas vue dénier des soins de santé spécifiques en raison de l’absence de politiques et de mesures nationales, puisqu’un certain nombre de politiques répondent aux besoins spécifiques des femmes. Le Comité renvoie à sa recommandation générale no28 (2010), consacrée aux obligations fondamentales des parties en application de l’article 2 de la Convention, et il note que les politiques de l’État partie doivent être proactives et axées sur les résultats ainsi qu’adéquatement financées. De plus, il doit exister au sein de l’exécutif des organes forts et motivés pour mettre ces politiques en œuvre. L’absence dans l’État partie de services de santé maternelle appropriés, laquelle empêche l’État partie de répondre aux besoins et intérêts spécifiques et distincts des femmes dans le domaine de la santé, constitue non seulement une violation du paragraphe 2 de l’article 12 de la Convention, mais aussi une discrimination à l’égard des femmes au regard du paragraphe 1 de l’article 12 et de l’article 2 de la Convention. En outre, l’absence de services de santé maternelle a un impact différentiel sur le droit à la vie des femmes.

7.7Le Comité relève l’affirmation de l’auteure selon laquelle Mmeda Silva Pimentel Teixeira a été victime d’une discrimination multiple, en raison de son ascendance africaine et de sa situation socioéconomique. À cet égard, le Comité rappelle ses conclusions au sujet du Brésil, adoptées le 15 août 2007, dans lesquelles il a relevé une discrimination de facto à l’égard des femmes, en particulier celles issues des secteurs les plus vulnérables de la société, comme les femmes d’ascendance africaine. Il a également constaté que cette discrimination était exacerbée par les disparités régionales, économiques et sociales. Le Comité rappelle également sa recommandation générale no28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention, qui reconnaît que la discrimination fondée sur le sexe ou le genre est indissociablement liée à d’autres facteurs tels que la race, l’origine ethnique, la religion ou la croyance, la santé, l’état civil, l’âge, la classe, la caste et l’orientation et l’identité sexuelles. Le Comité remarque que l’État partie n’a pas écarté la possibilité que la discrimination ait pu contribuer, dans une certaine mesure, sans toutefois être décisive, dans le décès de la fille de l’auteure. L’État partie a également admis que la convergence ou l’association des différents éléments décrits par l’auteure peuvent avoir contribué au fait que sa fille n’ait pas reçu les soins urgents nécessaires, ce qui a causé sa mort. Dans ces conditions, le Comité conclut que Mmeda Silva Pimentel Teixeira a fait l’objet d’une discrimination fondée non seulement sur son sexe, mais aussi sur son ascendance africaine et sa situation socioéconomique.

7.8S’agissant de l’argument de l’auteure, invoquant les articles 12 et 2 c) de la Convention, selon lequel l’État partie n’a pas mis en place un système assurant une protection judiciaire effective des recours judiciaires adéquats, le Comité note qu’aucune procédure n’a été engagée pour établir la responsabilité de ceux qui étaient chargés de fournir des soins de santé à Mmeda Silva Pimentel Teixeira. De plus, l’action civile, introduite en février 2003 par la famille de la défunte, est encore pendante, même si l’État partie affirme que le jugement devrait être rendu en juillet 2008. En outre, les deux requêtes visant à obtenir la tutela antecipada, un mécanisme judiciaire qui aurait pu être utilisé pour éviter les délais inutiles dans le prononcé du jugement, ont été rejetées. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’État partie n’a pas exécuté son obligation d’instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes par le truchement de ses tribunaux.

7.9Le Comité reconnaît le préjudice moral causé à l’auteure par le décès de sa fille, ainsi que le préjudice moral et matériel subi par la fille de la défunte, qui a été abandonnée par son père et vit avec l’auteure dans des conditions précaires.

Recommandations

8.Agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et à la lumière des considérations qui précèdent, le Comité considère que l’État partie a violé les obligations que lui imposent l’article 12 (accès à la santé), le paragraphe c) de l’article 2 (accès à la justice) et le paragraphe 2 de l’article 2 (obligation de l’État partie de faire preuve de la diligence voulue dans la réglementation des activités des prestataires privés de services de santé), eu égard à l’article 1 de la Convention, lus à la lumière des recommandations générales nos 24 et 28, et fait à l’État partie les recommandations suivantes :

1.En ce qui concerne l’auteure et la famille de Mmeda Silva Pimentel Teixeira :

Accorder une réparation appropriée, notamment une indemnisation financière adéquate, à l’auteure et à la fille de Mmeda Silva Pimentel Teixeira, correspondant à la gravité des violations des droits de cette dernière;

2.Recommandations générales :

a)Respecter le droit des femmes à une maternité sans risques et à des services obstétriques d’urgence d’un prix abordable, conformément à la recommandation générale no24 (1999) sur les femmes et la santé;

b)Assurer la formation professionnelle du personnel de santé, en particulier concernant les droits des femmes en matière de santé procréative, y compris le traitement médical de qualité au cours de la grossesse et de l’accouchement, ainsi que les soins obstétriques d’urgence;

c)Assurer l’accès à des recours effectifs en cas de violation des droits des femmes en matière de santé procréative et la formation du personnel judiciaire et des agents chargés de l’application des lois;

d)Veiller à ce que les établissements privés de santé respectent les normes nationales et internationales établies en matière de santé procréative;

e)Veiller à ce que les professionnels de la santé qui portent atteinte aux droits des femmes en matière de santé procréative soient dûment punis;

f)Réduire le taux de décès maternels évitables par la mise en œuvre, au niveau des États et des municipalités, du Pacte national visant à réduire la mortalité maternelle, notamment en créant des comités de lutte contre la mortalité maternelle là où il n’en existe pas encore, conformément aux recommandations figurant dans les observations finales concernant le Brésil, adoptées le 15 août 2007 (CEDAW/C/BRA/CO/6).

9.En application du paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie tiendra dûment compte des constatations du Comité, ainsi que de ses recommandations, et lui soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, contenant notamment des informations sur les mesures qu’il a prises en réponse aux constatations et recommandations du Comité. L’État partie est aussi prié de publier celles-ci et de les faire traduire en portugais et dans les autres langues régionales reconnues, le cas échéant, et de les faire largement distribuer afin que tous les secteurs intéressés de la société en aient connaissance.