Présentée par :

MmeV. K. (représentée par Me Milena Kadieva, avocate)

Victime présumée :

L’auteur

État partie :

Bulgarie

Date de la communication :

15 octobre 2008 (communication initiale)

Le 25 juillet 2011, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a adopté le texte figurant en annexe en tant que constatations du Comité au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en ce qui concerne la communication no20/2008.

Annexe

Constatations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (quarante-neuvième session)

* Les membres suivants du Comité ont pris part à l ’ examen de la présente communication : M me Ayse Feride Acar, M me Nicole Ameline, M me Magalys Arocha Dominguez, M me Violet Tsisiga Awori, M me Barbara Evelyn Bailey, M me Olinda Bareiro-Bobadilla, M me Meriem Belmihoub-Zerdani, M. Niklas Bruun, M me Naela Mohamed Gabr, M me Ruth Halperin-Kaddari, M me Yoko Hayashi, M me Ismat Jahan, M me Soledad Murillo de la Vega, M me Violeta Neubauer, M me Pramila Patten, M me Silvia Pimentel, M me Maria Helena Lopes de Jesus Pires, M me Victoria Popescu, M me Zohra Rasekh, M me Patricia Schulz, M me Dubravka Šimonović et M me Zou Xiaoqiao.

Communication no20/2008 *

Présentée par :

MmeV. K. (représentée par Me Milena Kadieva, avocate)

Victime présumée :

L’auteur

État partie :

Bulgarie

Date de la communication :

15 octobre 2008 (communication initiale)

Références :

Transmises à l’État partie le 16 décembre 2008 (n’ont pas été publiées sous forme de document)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, créé en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 25 juillet 2011,

Adopte le texte ci-après :

Constatations au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication en date du 15 octobre 2008 est V. K., citoyenne bulgare. L’auteur affirme être victime de violations par l’État partie des articles 1, 2, 5 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle est représentée par l’avocate Milena Kadieva. La Convention et son protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie respectivement le 10 mars 1982 et le 20 décembre 2006.

Rappel des faits tels qu’ils sont présentés par l’auteur

2.1L’auteur et F. K. se sont mariés en 1995. Ils ont une fille, D. K., née en 1997, et un fils, A. K., né en 2001.

2.2L’auteur affirme avoir été victime pendant des années de violences familiales perpétrées par son mari. Elle a d’abord subi des sévices d’ordre psychologique, affectif et matériel, auxquels se sont ajoutées, en 2006 et 2007, des violences physiques. Avant et surtout après le déménagement de la famille en Pologne en 2006 occasionné par l’emploi de son mari, elle n’a pas été autorisée à travailler malgré sa formation et ses qualifications. Le mari décidait seul de la façon de dépenser les revenus familiaux et ne donnait à l’auteur que l’argent nécessaire pour satisfaire aux besoins élémentaires de la famille. Elle ne disposait pas d’argent pour elle-même et n’avait pas le droit de dépenser l’argent qui lui était confié à d’autres fins que celles qui étaient définies de façon stricte; elle ne savait pas non plus comment été dépensé le reste des revenus de son mari. Elle était par conséquent entièrement dépendante de son mari sur le plan matériel.

2.3Tout au long de leur mariage, le mari de l’auteur l’a traitée comme une employée de maison plutôt que comme une conjointe et compagne. Il ne discutait avec elle d’aucune question relative à la famille et s’attendait à ce qu’elle se plie à ses exigences sans exprimer d’opinion. L’auteur affirme ne pas avoir été autorisée à communiquer librement avec ses amis et ses proches. Pendant des années, elle s’est sentie humiliée et déprimée. Ses tentatives de discussion se sont soldées par de fréquents conflits, ainsi que des violences physiques perpétrées par son mari en 2006 et 2007.

2.4En 2006, avant d’aller passer l’été en Bulgarie, l’auteur a fait savoir à son mari qu’elle allait divorcer car elle ne pouvait plus vivre sans travailler et sans relations sociales. Son mari a répondu qu’elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait, mais qu’elle ne pourrait pas emmener les enfants avec elle. Elle a donc été contrainte de rester avec son mari et est rentrée en Pologne avec lui.

2.5Le 31 décembre 2006, au cours de vacances à Sofia, l’auteur et son mari se sont disputés car elle avait décidé de ne pas suivre ses instructions concernant une certaine somme d’argent qu’il lui avait donnée. Lorsqu’elle a refusé de rendre l’argent, il est devenu violent et agressif et s’est mis à crier, à l’insulter, à la menacer et à la frapper. Les parents de l’auteur lui ont téléphoné à ce moment précis et ont compris qu’elle était en train d’être battue. Immédiatement après avoir raccroché, ils ont appelé la police et se sont rendus à Sofia pour aider l’auteur et ses enfants. Des policiers sont venus et ont interrogé l’auteur et son mari sur les faits. Son mari a ensuite quitté l’appartement pour la nuit. Le 1er janvier 2007, l’auteur s’est rendue à l’hôpital général de l’Université Aleksandrovska de Sofia. Un certificat médical a été délivré, qui confirmait la présence de contusions et hématomes sur le front et les deux mains de l’auteur et indiquait : « Ces blessures ont été provoquées par des objets contondants et sont conformes à la version et à la chronologie des faits rapportés par la personne examinée. Elles lui ont occasionné des souffrances physiques et morales. »

2.6À une date non précisée, le mari de l’auteur l’aurait poussée contre un mur afin de la faire taire. Il aurait dit à leur fille de lui donner une corde pour attacher l’auteur, affirmant qu’elle était folle. À la suite de disputes fréquentes et après avoir compris que l’auteur insisterait pour être considérée comme une personne à part entière et pour reprendre un emploi, son mari a cessé de subvenir aux besoins financiers de l’auteur et de leurs enfants, pour qu’elle se « conduise bien » et « obéisse ». L’auteur ne pouvant subvenir aux besoins de ses deux enfants sans revenus, elle a commencé à travailler en mars 2007.

2.7Les 12 avril et 22 mai 2007, l’auteur a adressé au tribunal de district de Varsovie une demande de mesures de protection, ainsi qu’une demande d’ordonnance qui obligerait son mari à verser un soutien financier pour subvenir aux besoins élémentaires de la famille. Le 22 mai 2007, elle a adressé un rappel urgent au tribunal. Le tribunal n’avait pas encore statué au moment de la communication initiale.

2.8Le 30 avril 2007, lorsque l’auteur a demandé à son mari de subvenir aux besoins élémentaires de la famille, il a enfermé les enfants dans une pièce et lui a dit qu’elle ne pourrait plus s’occuper d’eux si elle ne lui obéissait pas. Il s’est mis à crier et lui a dit que les enfants n’avaient plus besoin d’elle car ils étaient grands, et qu’une gouvernante pourrait facilement la remplacer. Les enfants avaient peur. En colère, il s’est mis à la frapper et a essayé de l’étouffer avec un oreiller. Elle s’est débattue pour pouvoir respirer.

2.9Le 7 juin 2007, le mari de l’auteur a entamé une procédure de divorce à Sofia sans l’en informer et en demandant la garde des deux enfants.

2.10Le 26 juin 2007, l’auteur a été battue par son mari, qui lui a donné des coups de pied dans les jambes. En tombant, elle s’est fait mal à la cuisse et aux fesses. Le 2 juillet 2007, elle a été examinée par un médecin qui a confirmé qu’elle avait : a) une ecchymose de taille importante sur la cuisse droite; b) deux ecchymoses de taille importante aux fesses; et c) une ecchymose sur le pied droit. » Il est attesté sur le certificat médical que « [l]es blessures susmentionnées ont pu être infligées à l’heure et dans les circonstances indiquées par la patiente.

2.11L’auteur a décidé de quitter son mari, d’emmener les enfants avec elle et de se réfugier dans un foyer pour femmes battues, avec l’appui et l’assistance juridique du Centre pour les droits des femmes à Varsovie. Le 27 juillet 2007, elle s’est rendue dans l’appartement familial accompagnée d’un représentant du Centre, pour prendre ses affaires et celles de ses enfants. Son mari est rentré du travail plus tôt que d’habitude et a entamé une dispute. Il a enfermé les enfants dans l’appartement. L’auteur et le représentant du Centre ont appelé la police. Lorsque la police est arrivée, l’auteur a réussi à récupérer sa fille. Mais son fils est resté enfermé dans l’appartement. L’auteur et sa fille ont été logées par le Centre à Varsovie jusqu’au 23 septembre 2007. Pendant deux mois, le mari de l’auteur l’a privée de tout contact avec son fils, qui était en état de choc à la suite des événements du 27 juillet 2007 et a dû être hospitalisé. Le mari ne l’a pas informée de cette hospitalisation. Le 31 juillet 2007, son fils a été retiré de l’école maternelle publique pour être placé dans une école maternelle privée. Son mari a donné comme instruction au directeur de ne pas autoriser l’auteur à voir son fils et de l’appeler au cas où elle viendrait à l’école maternelle. Il s’est rendu au Centre à deux reprises pour demander où se trouvait sa fille. Lors de sa deuxième visite, le 14 août 2007, il s’est montré violent et agressif et le personnel du Centre a dû appeler la police pour le faire expulser des lieux.

2.12Le 20 août 2007, le Centre a, au nom de l’auteur, porté plainte au pénal auprès du parquet de Varsovie.

2.13Le 21 septembre 2007, l’auteur a réussi à savoir où se trouvait son fils et est allée le voir à l’école, accompagnée d’une personne représentant le Centre. Lorsque le directeur a refusé qu’elle voie l’enfant, elle a appelé la police afin de pouvoir au moins organiser une visite ultérieure auprès de son fils. Son mari, appelé par le directeur, est arrivé à l’école et s’est mis à crier après elle, à la menacer et à se montrer violent avec elle et la personne représentant le Centre, qu’il a toutes deux frappées. La police a dû l’enfermer dans un de ses véhicules.

2.14L’auteur a ensuite pris son fils et a quitté la Pologne pour la Bulgarie, avec ses deux enfants, afin d’échapper à son mari et d’obtenir la protection et le soutien affectif de sa famille, ainsi qu’une assistance juridique. Le Centre à Varsovie et la Fondation bulgare pour la recherche sur l’égalité des sexes de Sofia ont soutenu l’auteur et ses enfants en lui apportant une assistance juridique et en l’orientant vers des organisations non gouvernementales bulgares d’aide aux femmes battues. Pendant environ une semaine après son retour en Bulgarie, l’auteur et ses enfants ont été hébergés par des amis, car la Fondation DIVA, qui gère le seul foyer pour femmes battues du Sud de la Bulgarie, n’était pas en mesure de les accueillir immédiatement, ses locaux étant déjà surpeuplés.

2.15Le 27 septembre 2007, l’auteur a adressé au tribunal de district de Plovdiv (Bulgarie) une demande d’ordonnance de protection immédiate contre son mari, au titre de l’article 18 1) de la loi sur la protection contre la violence familiale (affaire civile enregistrée sous le numéro 3273/2007). Elle a fait valoir qu’elle avait souffert pendant de nombreuses années de privation de moyens financiers et de violences psychologiques et physiques. Elle a indiqué que, le 30 avril 2007, son mari l’avait battue et maltraitée et avait enfermé les enfants dans une pièce et qu’elle et sa fille avaient quitté l’appartement familial le 27 juillet 2007 tandis que son mari avait gardé son fils et l’avait privé de tout contact avec ce dernier pendant plus de deux mois. Elle a également évoqué l’incident qui s’est produit à Varsovie le 21 septembre 2007 : « Le vendredi 21 septembre 2007, après de nombreux problèmes et une terrible dispute, au cours de laquelle mon mari m’a frappée et a frappé un employé du Centre d’aide aux victimes de la violence familiale, en présence de la police, j’ai réussi à emmener mon fils et à partir pour Plovdiv chez des connaissances. » L’auteur a demandé à être protégée de l’intimidation et de la violence, citant la Convention et d’autres traités relatifs aux droits de l’homme portant sur la violence familiale, y compris la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle a également demandé au tribunal d’ordonner, en application des points 1, 3 et 4 du paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur la protection contre la violence familiale, que, pendant un an, son mari ne commette pas de violence envers elle et les enfants (point 1) et se tienne à une distance d’au moins 500 mètres du domicile où ils vivraient ou de tout lieu où ils se trouveraient, y compris le domicile de ses parents, l’établissement scolaire et l’école maternelle des enfants, son futur lieu de travail et tout lieu où elle aurait des relations sociales (point 3). Elle a également demandé à obtenir la garde temporaire des enfants, en application du point 4 de l’article 5 de la loi.

2.16Le 27 septembre 2007, le tribunal de district de Plovdiv a rendu une ordonnance de protection immédiate en se fondant sur l’article 18 de la loi sur la protection contre la violence familiale. Le tribunal a, dans une décision prenant immédiatement effet, interdit au mari de l’auteur de commettre des actes de violence contre elle et de s’approcher du lieu de résidence de l’auteur et de ses enfants, ainsi que des lieux où ils entretiendraient des relations sociales et passeraient leurs loisirs, jusqu’à la fin de la procédure judiciaire. Le tribunal a également décidé que les enfants résideraient temporairement avec leur mère.

2.17Le 26 octobre 2007, lors de la première audience du tribunal de district de Plovdiv, le mari de l’auteur a contesté toutes les accusations portées par l’auteur dans sa demande d’ordonnance de protection immédiate. Le père et un ami de l’auteur ont été entendus comme témoins, lors de la deuxième audience, qui a eu lieu le 15 novembre 2007, et la belle-mère de l’auteur lors de la troisième audience tenue le 21 novembre 2007.

2.18Dans sa décision en date du 18 décembre 2007, le tribunal de district de Plovdiv a rejeté la demande d’ordonnance de protection permanente formulée par l’auteur au titre des points 1, 3 et 4 du paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur la protection contre la violence familiale. Il a invoqué le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi, qui stipule qu’une demande d’ordonnance de protection doit être adressée dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle a été commis un acte de violence familiale et a statué qu’aucun acte de violence familiale n’avait été perpétré contre l’auteur par son mari le 21 septembre 2007, ni à aucun autre moment pendant le mois précédant sa demande d’ordonnance de protection (c’est-à-dire du 27 août au 27 septembre 2007). Il a également statué qu’aucun danger immédiat ne pesait sur la vie et la santé de l’auteur et de ses enfants.

2.19Le 7 janvier 2008, l’auteur a interjeté appel auprès du tribunal régional de Plovdiv, faisant valoir que le tribunal de district de Plovdiv n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, tels que la déclaration qu’elle avait faite au titre du paragraphe 3 de l’article 9 de la loi sur la protection contre la violence familiale et d’une déclaration écrite du Centre de Varsovie pour les droits des femmes concernant l’incident du 21 septembre 2007 et n’avait fondé sa décision que sur une déclaration écrite du directeur de l’école maternelle de Varsovie en date du 25 octobre 2007, présentée par son mari. Elle a également indiqué que les menaces et violences de son mari à son égard n’étaient pas un incident ponctuel mais relevaient d’agressions répétées. Parce que ces incidents avaient lieu en présence des enfants, ils constituaient des actes de violence familiale à leur encontre.

2.20Le 7 avril 2008, le tribunal régional de Plovdiv a rejeté l’appel de l’auteur, confirmant la décision par laquelle le tribunal de district avait refusé de délivrer une ordonnance de protection permanente.

2.21Au terme des procédures judiciaires, l’auteur et ses enfants ont été laissés sans soutien ni protection de l’État partie, alors que la procédure de divorce entamée par le mari de l’auteur était en instance devant le tribunal de district de Plovdiv. Le mari a continué à voir les enfants. Pendant l’été 2008, il a porté plainte auprès du parquet de Sofia au motif qu’il n’était pas autorisé à pénétrer dans l’appartement de l’auteur, le seul lieu où l’auteur et ses enfants pouvaient mener une existence normale en sécurité. Il a également intenté une procédure judiciaire civile pour obtenir la division des biens de la famille avant la fin de la procédure de divorce. Il a affirmé qu’aucun tribunal bulgare ne confierait à l’auteur la garde des enfants du fait de ses faibles revenus, l’avertissant qu’elle n’aurait pas les moyens financiers d’entreprendre de longues procédures judiciaires.

2.22Le 8 mai 2009, plus d’un an après avoir rejeté l’appel de l’auteur, le tribunal régional de Plovdiv a dissout le mariage de l’auteur et de son mari.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation par l’État partie des articles 1, 2 a) à c) et e) à g), 5 a) et 16 1) c), g) et h) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, compte tenu de la recommandation générale no19 (1992) du Comité concernant la violence à l’égard des femmes, l’État partie ne l’ayant pas effectivement protégée de la violence familiale.

3.2L’auteur affirme que l’État partie a failli aux obligations « positives » que lui imposait la Convention et a concouru au maintien d’une situation dans laquelle l’auteur était victime de violence familiale, ce qui contrevenait à ses obligations.

3.3L’auteur affirme être victime d’une violation par l’État partie des articles 1 et 2 a) à c) et e) à g). Elle fait valoir qu’en Bulgarie, les femmes sont beaucoup plus durement touchées que les hommes par le refus des tribunaux de considérer la violence familiale comme une grave menace pour leur vie et leur santé. Citant plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales, elle affirme que la violence à l’égard des femmes fait obstacle à la réalisation des droits fondamentaux des femmes en Bulgarie et, encore récemment, n’était pas perçue comme un grave problème d’ordre public appelant des dispositions juridiques spécifiques. Elle estime que, malgré l’adoption en 2005 de la loi sur la protection contre la violence familiale, les tribunaux continuent de faillir à leur obligation de condamner les auteurs de violence familiale. Elle considère que le manque ou l’insuffisance de formation juridique figurent parmi les raisons pour lesquelles le système judiciaire de l’État partie ne l’a pas effectivement protégée contre la violence familiale. Un tribunal peut, comme le prévoit la loi sur la protection contre la violence familiale, rendre une ordonnance de protection qui contraint le conjoint violent à quitter le domicile conjugal et lui interdit de s’approcher de la victime, lui retire temporairement la garde des enfants et lui ordonne de suivre des programmes obligatoires d’éducation. Cependant, bien qu’elle prévoie une procédure judiciaire civile spéciale d’urgence en cas de violence familiale, la loi sur la protection contre la violence familiale n’érige pas en infraction pénale la violence familiale ni les violations des ordonnances de protection. La violence familiale ne peut donner lieu à des poursuites judiciaires qu’en application de dispositions générales portant sur les voies de fait et coups et blessures ou atteintes à l’intégrité physique (art. 161 du Code pénal de l’État partie). En outre, certaines catégories d’agression n’entraînent pas de poursuites judiciaires d’office si elles sont le fait d’un membre de la famille de la victime, bien que l’État partie ouvre une procédure judiciaire lorsque des actes similaires sont commis par une personne ne faisant pas partie de la famille. En pratique, la violence familiale ne donne lieu à des procédures judiciaires que lorsque la victime a été tuée ou a des séquelles permanentes, bien que de tels actes restent parfois impunis même dans ce type de situation. C’est précisément pour ces raisons que l’auteur n’a pas porté plainte au pénal auprès des autorités de l’État partie après que son mari a tenté de l’étrangler. L’auteur affirme que dans la présente affaire, les tribunaux de Plovdiv n’ont pas tenu compte des violences affectives, psychologiques et physiques et privation de moyens financiers qu’elle avait subies de nombreuses années et ont conclu à tort que la responsabilité des conflits incombait à égalité aux deux parties. Les tribunaux ont également sous-estimé les effets négatifs des actes de violence du mari sur le développement des enfants, ainsi que le traumatisme que ceux-ci ont subi sur le plan psychologique.

3.4L’auteur affirme également que l’État partie a enfreint les droits que lui confère l’article 2 a) et b) de la Convention. Elle fait valoir que l’absence de loi portant spécifiquement sur l’égalité des femmes et des hommes, la non reconnaissance du fait que la violence à l’égard des femmes est une forme de discrimination, ainsi que le manque de mesures préférentielles en faveur des femmes victimes de la violence familiale se traduisent par une inégalité de fait et le non-exercice par ces femmes de leurs droits fondamentaux. Elle a rappelé que dans ses observations finales sur la Bulgarie publiées en 1998, (A/53/38, par. 208 à 261), le Comité avait mis en évidence le problème de la violence, notamment conjugale, à l’égard des femmes et avait instamment demandé au Gouvernement « que des mesures soient prises pour aider ces femmes victimes, sur les plans médical, psychologique et autres, pour faire évoluer les mentalités actuelles, qui tendent à considérer que la violence familiale relève du domaine privé […] ». L’auteur rappelle également la recommandation générale no19 (1992) concernant la violence à l’égard des femmes, dans laquelle le Comité a affirmé que la violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels constitue une discrimination, au sens de l’article 1 de la Convention. Le Comité a également fait observer que les États parties pouvaient être également responsables d’actes privés s’ils n’agissaient pas avec la diligence voulue pour prévenir la violation des droits des femmes ou pour enquêter sur des actes de violence et les punir et les réparer. Dans sa recommandation générale no21 (1994) concernant l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux, le Comité a observé que les coutumes et traditions et les carences dans l’application des lois qui ont pour effet de nuire à l’égalité et la protection contre la violence contreviennent à la Convention. L’auteur a en outre indiqué que pour qu’une femme victime de violence familiale puisse en pratique bénéficier du principe de l’égalité des sexes, il faut que la volonté politique exprimée par le système d’un État partie soit appuyée par les acteurs étatiques, qui doivent exécuter les obligations de diligence de l’État partie. L’auteur conclut que sa situation illustre le fait que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations découlant des alinéas a) et b) de l’article 2 de la Convention.

3.5L’auteur affirme que l’État partie a violé les alinéas c) et e) de l’article 2 de la Convention en ce qu’il ne l’a pas protégée de violences psychologiques et affectives de la part de son conjoint, d’agressions, de coups et blessures, de coercition et de menaces répétées pour sa vie et sa santé, et n’a pas cherché à atténuer sa dépendance financière vis-à-vis de son mari. L’État partie a, par l’intermédiaire de son système judiciaire, refusé de reconnaître son statut de victime de la violence conjugale malgré les éléments de preuve réunis et l’appui apporté par différentes organisations non gouvernementales. Elle s’est donc retrouvée encore plus vulnérable et menacée qu’avant d’avoir entamé des poursuites judiciaires, l’État partie ne lui ayant pas assuré de protection à l’issue des procédures judiciaires relatives à l’ordonnance de protection. Libre de mener ses « affaires privées » sans aucune intervention de l’État, le mari a redoublé d’agressivité à son égard. Il a en outre menacé constamment sa stabilité financière, faisant pression sur elle pour qu’elle accepte de lui laisser la garde des enfants et de renoncer à la plus grande partie des biens familiaux, comme il l’avait proposé.

3.6Aux yeux de l’auteur, les lacunes suivantes de l’État partie témoignent en outre du manque de protection contre la violence familiale qu’elle a subi : a) le fait de ne pas considérer la violence familiale comme relevant du droit pénal, y compris le fait de ne pas incarcérer les auteurs de violence familiale et de ne pas considérer comme une infraction au droit pénal le non respect des ordonnances de protection; b) le fait que la loi sur la protection contre la violence familiale ne soit pas effectivement appliquée et le manque de clarté de la loi quant à la charge de la preuve dans les procès pour violence familiale; c) le manque de coordination entre les forces de l’ordre et le système judiciaire; d) le manque de moyens financiers des foyers et centres d’accueil d’urgence; e) le manque de programmes de prévention et de protection des victimes, ainsi que de programmes de rééducation des auteurs de violence; f) le manque de formation des forces de l’ordre et magistrats sur les questions relatives à la violence familiale; et g) le fait qu’aucune donnée statistique ne soit collectée sur le phénomène de la violence familiale.

3.7L’auteur note avec préoccupation que les tribunaux de Plovdiv n’ont tenu compte que des faits du 21 septembre 2007, sans considérer les maltraitances physiques et psychologiques qu’elle avait subies pendant longtemps. En statuant que la responsabilité des conflits incombait de manière égale aux deux parties, le tribunal a ignoré le fait que son mari était beaucoup plus fort qu’elle sur le plan physique et en position de force au sein de leur mariage. En observant qu’elle n’avait jamais affirmé avoir été victime de violence le 21 septembre 2007, le tribunal n’a tenu aucun compte de son allégation selon laquelle son mari l’avait attaquée, ainsi que la personne représentant le Centre qui l’accompagnait à l’école maternelle ce jour-là. Même en présence de la police, son comportement était tel qu’il avait fallu le placer de force dans une voiture de police. Le tribunal n’a pas non plus tenu compte d’autres éléments présentés par l’auteur, notamment le fait que son mari l’avait privée de tout contact avec son fils pendant plus de deux mois. En outre, l’arrêt du tribunal était très court et dénué d’explication ou de toute analyse de la situation à laquelle elle devait faire face.

3.8L’auteur affirme que le manque de clarté de la loi sur la protection contre la violence familiale quant à la charge de la preuve dans les affaires de violence est incompatible avec le devoir qui incombe à l´État partie d’assurer la protection contre la violence familiale et est discriminatoire, les carences de la loi se répercutant de façon disproportionnée sur les femmes, qui sont généralement les victimes de la violence familiale. Bien que la loi inverse la charge de la preuve dans les affaires de violence familiale, elle n’est pas suffisamment claire sur ce point. Elle renvoie à la place aux règles d’administration de la preuve du Code de procédure civile. Faute de formation juridique adéquate, de nombreux juges continuent d’appliquer le principe de la « preuve quasi certaine » lors des demandes d’ordonnance de protection. L’auteur affirme que les tribunaux ont par conséquent exigé qu’elle prouve de manière quasi certaine qu’elle avait été agressée physiquement et blessée le 21 septembre et d’apporter à cette fin des preuves écrites. Elle fait valoir qu’en interprétant et en appliquant la loi sur la protection contre la violence familiale sans tenir aucun compte des preuves des violences familiales qu’elle avait subies avant le 27 août 2007, c’est-à-dire avant le début de la période d’un mois fixée par la loi, les tribunaux ont manqué à l’obligation de renverser la charge de la preuve en sa faveur, la privant ainsi d’une protection judiciaire effective. L’auteur explique que la loi a pour objet d’assurer la protection effective des victimes de la violence familiale en prenant en compte l’ensemble des violences subies par le passé; tandis que la limite de 30 jours fixée à l’article 10 de la loi n’est qu’un simple délai procédural s’appliquant au dépôt de plainte.

3.9L’auteur affirme que les États parties doivent assurer l’accès des victimes de violences familiales à une protection immédiate, y compris un nombre suffisant de foyers pouvant accueillir dans des conditions de sécurité les femmes concernées et leurs enfants. L’auteur indique que dans sa réponse à une étude réalisée en 2007 par le Conseil de l’Europe, l’État partie a signalé qu’il y avait trois foyers d’accueil des victimes de la violence familiale, avec une capacité d’accueil total de 15 personnes et offrant des services gratuits 24 heures sur 24. L’auteur soutient que la plupart des foyers et centres d’accueil d’urgence sont financés par des organisations non gouvernementales, sans soutien de l’État, et ne sont pas uniformément répartis dans l’ensemble du pays. S’ils sont gratuits, c’est uniquement grâce aux organisations non gouvernementales qui les financent et non pas à l’État. Ils ne sont pas tous ouverts 24 heures sur 24. L’auteur affirme que c’est à cause du manque de foyers et centres d’accueil gérés et financés par l’État qu’elle et ses enfants ont dû passer environ une semaine chez des amis à leur retour de Pologne, faute d’avoir pu être accueillis par la Fondation DIVA, dont le centre d’accueil d’urgence à Plovdiv, déjà trop plein, n’avait pas été en mesure de l’héberger immédiatement.

3.10L’auteur affirme en outre que l’État partie a contrevenu aux alinéas f) et g) de l’article 2 de la Convention dans la mesure où l’article 161 du Code pénal stipule toujours que certains types d’agressions n’entraînent pas des poursuites judiciaires d’office s’ils sont commis par un membre de la famille. Elle fait valoir que la violence familiale ne donne pas toujours lieu à poursuite, même quand une femme en garde des séquelles permanentes. Elle affirme que tout comportement intentionnel constituant un acte de violence contre une femme doit être considéré comme une infraction au droit pénal, indépendamment de la nature du lien existant entre la victime et l’auteur des faits. L’article 161 du Code pénal n’a cependant toujours pas été abrogé bien qu’il soit discriminatoire contre les femmes victimes de la violence fondée sur le sexe au sein de la famille. En ce qui concerne le manque de loi spécifique sur l’égalité des sexes, l’auteur explique que le projet de loi sur l’égalité des chances a été rejeté par le Parlement en 2002 et qu’une loi sur la protection contre la discrimination a été adoptée en 2003, qui interdit également la discrimination fondée sur le sexe. En outre, le manque de recherches financées par l’État sur la prévalence, les causes et les conséquences de la violence familiale contribue indirectement à perpétuer le phénomène négatif que constitue cette violence en raison du manque d’informations sur le nombre de cas, leur prévalence et leur étendue. De ce fait, ni les organismes publics ni la société ne considèrent ce phénomène comme une grave violation des droits fondamentaux qui touche un grand nombre de personnes, principalement des femmes et des enfants, comme l’auteur et ses enfants.

3.11Qui plus est, l’auteur affirme que l’État partie a contrevenu à l’article 1, interprété à la lumière de l’article 5 a) et de l’article 16 1) c), g) et h) de la Convention. Elle allègue que le fait que l’État partie n’ait pas adopté de stratégie globale en vue de modifier les stéréotypes concernant le rôle des femmes dans la famille et la société, y compris des mesures d’ordre politique et juridique et de sensibilisation faisant intervenir des représentants de l’État, de la société civile et des médias, a contribué au caractère subalterne du rôle qu’elle a joué pendant son mariage, au sein duquel elle a été traitée comme une employée de maison n’ayant pas le droit de donner son avis sur les questions concernant la famille, ainsi qu’à la violence conjugale qu’elle a subie.

3.12L’auteur demande que l’État partie : a) prenne des mesures immédiates et effectives en vue de protéger son intégrité physique et mentale et celle de ses enfants; b) assure la sécurité de leur résidence et veille à ce qu’elle reçoive une pension alimentaire pour les enfants et bénéficie d’une assistance juridique; et c) octroie une indemnité pour le tort qu’elle a subi sur le plan physique et mental, proportionnellement à la gravité des violations des droits que lui confère la Convention.

3.13L’auteur affirme également que l’État partie devrait adopter des mesures générales en faveur des femmes victimes de la violence conjugale, notamment en modifiant la loi sur la protection contre la violence familiale de façon à ériger en infraction pénale les actes de violence familiale et les violations des ordonnances de protection et de prévoir la délivrance d’ordonnances de protection pour les actes de violence commis avant la période d’un mois fixée à l’article 10 de la loi; en incarcérant les auteurs de violence selon la gravité de l’infraction commise; en modifiant le droit pénal de façon à permettre l’ouverture d’une procédure judiciaire d’office dans les cas d’agression de degré mineur et intermédiaire commise par un membre de la famille; en définissant clairement la charge de la preuve dans les affaires judiciaires de violence familiale en indiquant explicitement que la loi sur la protection contre la violence familiale tend à inverser la charge de la preuve en faveur de la victime; en formant en permanence les fonctionnaires responsables de l’application de la loi; en apportant un soutien adéquat aux organisations non gouvernementales qui s’emploient à combattre la violence familiale; et en sensibilisant le public aux effets négatifs de la violence familiale sur les femmes et les enfants, ainsi qu’à ses conséquences financières pour la société.

3.14L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes et que la question n’a pas déjà fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 12 juin 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Tout en reconnaissant explicitement que l’auteur avait épuisé tous les recours internes, il rejette les allégations de ce dernier au motif qu’elles ne sont pas suffisamment étayées. Sur le fond, l’État partie argue que l’auteur lance de vastes allégations de portée générale sans rapport direct avec l’affaire qui la concerne. Il présente néanmoins un aperçu du cadre législatif et institutionnel existant pour protéger et soutenir les victimes de la violence familiale et formule des observations approfondies sur le fond de l’affaire.

4.2L’État partie fait savoir qu’aux termes de sa Constitution « Tous les instruments internationaux, qui auront été ratifiés selon la procédure établie par la Constitution, auront été promulgués et seront entrés en vigueur pour ce qui est de la République de Bulgarie, seront considérés comme faisant partie de la législation nationale du pays. Ils annuleront et remplaceront toute disposition législative nationale contraire ». Il indique également que la loi sur la protection contre la discrimination interdit la discrimination directe et indirecte fondée sur le sexe. L’État partie ne conteste pas les faits tels qu’ils ont été présentés par l’auteur. Il souligne cependant que la plupart des incidents présumés auxquels elle fait référence ont eu lieu à Varsovie et ne relèvent donc pas de sa juridiction.

4.3Dans ses observations sur le fond de l’affaire, l’État partie soutient qu’il a pris des mesures appropriées, en application de la Convention, pour assurer une protection adéquate contre la violence familiale, notamment en adoptant des dispositions législatives précises à cette fin. Ainsi, la procédure rapide prévue par la loi de 2005 sur la protection contre la violence familiale, qui permet aux tribunaux de délivrer des ordonnances de protection immédiate et de renverser la charge de la preuve en faveur des victimes, est conforme aux normes internationales les plus strictes en matière de droits des femmes. Cette procédure donne dans certains cas la possibilité de délivrer des ordonnances en se fondant seulement sur une déclaration de la victime et d’adopter des ordonnances immédiates dans un délai de 24 heures. Lors de la procédure qui suit, les documents émanant d’organisations d’aide aux victimes de la violence familiale peuvent être acceptés comme éléments de preuve.

4.4L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas contesté que la procédure susmentionnée a bien été suivie dans l’affaire qui la concerne. C’est ainsi que, le 27 septembre 2007, le tribunal de district de Plovdiv a engagé une procédure judiciaire au titre de l’article 18 de la loi de 2005 sur la protection contre la violence familiale et délivré une ordonnance de protection immédiate dans laquelle il a imposé des mesures concernant la résidence temporaire des enfants auprès de l’auteur, en application des points 1, 3 et 4 du paragraphe 1 de l’article 5, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 5 de la loi. L’État partie conclut qu’il ne peut être tenu responsable du maintien de la situation présumée de violence familiale. Il affirme que l’auteur n’a pas étayé l’allégation selon laquelle elle-même et ses enfants se seraient trouvés sans aucune protection de l’État à la suite de la décision du 18 décembre 2007 par laquelle le tribunal de district a refusé de délivrer une ordonnance de protection permanente, ainsi que la procédure en appel intentée par la suite auprès du tribunal régional de Plovdiv.

4.5S’agissant de l’allégation de l’auteur selon laquelle les tribunaux de Plovdiv n’ont tenu aucun compte des nombreuses violences conjugales qu’elle avait subies et de leurs effets négatifs sur ses enfants, faisant en sorte que la charge de la preuve lui incombe entièrement, l’État partie avance que le tribunal régional de Plovdiv a, au cours de la procédure d’appel, observé que la loi sur la protection contre la violence familiale n’avait pas pour objet de régenter la vie privée des conjoints mais plutôt de permettre aux tribunaux d’intervenir d’urgence face à un risque de violence familiale imminente; d’où le délai d’un mois prévu au paragraphe 1 de l’article 10. Il a clairement indiqué que les faits relatifs à la vie conjugale de l’auteur et de son mari, l’origine de leurs conflits et l’existence éventuelle de violences répétées auraient compté lorsqu’il a été décidé de la sévérité des mesures permanentes à prendre à l’encontre du mari. Mais de telles mesures n’auraient pu être prises qu’une fois qu’il aurait été prouvé qu’un acte de violence familiale avait été commis pendant la période visée d’un mois, et notamment le 21 septembre 2007. En l’absence de telles preuves, la question ne s’est pas posée. Le tribunal a décidé que si la déclaration présentée par l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 9 de la loi sur la protection contre la violence familiale suffisait à justifier la délivrance d’une ordonnance de protection immédiate, il fallait, pour rendre une ordonnance permanente, disposer de davantage de preuves. Il a établi que l’auteur n’avait pas prouvé que son mari avait porté atteinte à son intégrité physique le 21 septembre 2007. Le tribunal régional a considéré que le certificat délivré par le directeur du Centre pour les droits des femmes n’avait qu’une valeur probante limitée et ne donnait pas de renseignements sur les violences commises par le mari. Il était seulement indiqué que le 21 septembre 2007, le mari de l’auteur s’était montré agressif et que la police lui avait intimé de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique de sa femme ni à celle de la personne représentant le Centre. S’agissant de la charge de la preuve, le tribunal régional a considéré que les certificats médicaux et autres pièces à conviction faisaient apparaître « un processus bilatéral de comportements intolérables entre les deux époux, au sein duquel les distinctions entre auteur et victime de violence s’estompent ».

4.6L’État partie affirme que l’absence d’intervention de la police à la suite de la délivrance de l’ordonnance de protection immédiate le 27 septembre 2007 indique qu’il n’y a eu aucune violation de l’ordonnance et que l’auteur et ses enfants ont été protégés comme il le fallait.

4.7L’État partie affirme également que la déposition du père de l’auteur ne corrobore pas l’allégation de cette dernière selon laquelle son mari aurait restreint ses contacts avec sa famille, tandis que la déposition des enfants a montré qu’ils n’avaient pas peur de leur père, ce qui indique que celui-ci ne les a pas maltraités.

4.8En ce qui concerne les faits du 21 septembre 2007, l’État partie soutient que le tribunal de district de Plovdiv, puis le tribunal régional de Plovdiv ont établi au-delà de tout doute raisonnable qu’aucun acte de violence familiale n’avait été commis ce jour-là. Par conséquent, ni l’auteur ni ses enfants n’avaient été victimes de violence pendant la période d’un mois fixée au paragraphe 1 de la l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence familiale. Le tribunal n’ayant pas constaté de menace imminente pesant sur la vie et la santé de cette dernière ou de ses enfants, les conditions à satisfaire sur le plan juridique pour obtenir la délivrance d’une ordonnance de protection permanente n’étaient pas réunies. Tout en constatant que de graves disputes familiales avaient eu lieu entre l’auteur et son mari en présence des enfants et avaient abouti à des violences physiques répétées, le tribunal a établi que ces violences avaient été commises par les deux époux. Ils avaient tous les deux présenté des certificats médicaux et appelé la police à plusieurs occasions. Rien ne montrait que le mari de l’auteur avait maltraité les enfants, qui étaient tous les deux attachés à lui et n’avaient pas peur de lui. Le tribunal a également considéré que l’auteur n’avait pas étayé son allégation selon laquelle son mari aurait restreint ses relations sociales, l’aurait empêché de prendre un emploi et ne se serait pas occupé de ses enfants.

4.9L’État partie conclut que l’auteur n’a pas étayé ses allégations selon lesquelles les droits que lui confère la Convention n’auraient pas été respectés.

Mesures de protection conservatoires

5.1Le 12 février 2009, le Comité a, en application du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et de l’article 63 de son règlement intérieur, demandé à l’État partie de prendre en faveur de l’auteur et de ses enfants les mesures conservatoires concrètes nécessaires pour éviter qu’un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée pendant que leur communication était examinée par le Comité. Le Comité a également demandé à l’État partie d’assurer la protection et l’intégrité physique de l’auteur et de ses enfants en permanence, y compris lorsque le mari de l’auteur exerçait son droit de visite au lieu de résidence de l’auteur. Il a en outre invité l’État partie à lui fournir le 13 avril 2009 au plus tard des informations sur les mesures qu’il aurait prises pour donner suite à sa demande.

5.2L’État partie n’a pas répondu à la demande de mesures de protection conservatoires dans sa communication datée du 12 juin 2009 portant sur la recevabilité et le fond de l’affaire. Le 16 juin 2009, le Comité a donc de nouveau demandé qu’il soit fait suite d’urgence à sa demande et que des informations lui soient fournies sur les mesures qu’il aurait prises pour accéder à sa demande.

5.3Le 1er juillet 2009, l’État partie a répondu à la demande du Comité, rappelant que le tribunal de district de Plovdiv avait rendu le 27 septembre 2007 une ordonnance de protection immédiate, qui interdisait au mari de l’auteur de commettre des actes de violence contre elle et de s’approcher du lieu de résidence de l’auteur et de ses enfants et stipulait que les enfants résideraient temporairement auprès de leur mère jusqu’à la fin de la procédure judiciaire. Il a également rappelé qu’après un examen approfondi des faits, le tribunal de district et le tribunal régional avaient établi au-delà de tout doute raisonnable qu’aucun acte de violence familiale n’avait été commis contre l’auteur. L’État partie affirme de nouveau que l’absence de toute intervention ultérieure de la police indique qu’il n’y a eu aucune violation de l’ordonnance de protection du 27 septembre 2007 et que la protection nécessaire a été octroyée à l’auteur et ses enfants. Il a souligné que bien que les mesures de protection prises en application de la loi sur la protection contre la violence familiale n’avaient pas été maintenues, l’auteur avait à tout moment le droit, en cas de risque de violence familiale, de demander la protection de la police conformément à l’article 6 de la loi sur le Ministère de l’intérieur. Il a déclaré que la protection de la vie, de la santé et des biens des citoyens était l’une des fonctions premières de la police. Il a conclu que l’auteur et ses enfants avaient continué de bénéficier de la protection nécessaire pour éviter qu’un dommage irréparable ne leur soit causé et assurer leur intégrité physique et qu’aucune mesure supplémentaire n’était nécessaire.

5.4Le 21 juillet 2009, le Comité a informé l’État partie que « le Comité [croyait] comprendre que l’État partie [prenait] toutes les mesures de protection nécessaires pour éviter qu’un dommage irréparable ne soit causé à l’auteur et ses enfants et continuer à assurer leur intégrité physique ».

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et les mesures de protection conservatoires

6.1Le 8 août 2009, l’auteur a formulé des commentaires sur les déclarations de l’État partie qui, à son avis, ne font que répéter les conclusions des tribunaux de Plovdiv sans réfuter ses allégations. Elle fait valoir que les rapports des organisations non gouvernementales et les données statistiques mentionnés dans sa communication corroborent les faits et allégations qui y figurent. Elle conteste la capacité des institutions de l’État partie à combattre la violence familiale et affirme de nouveau que la loi sur la protection contre la violence familiale restera sans effet tant qu’elle ne sera pas effectivement appliquée par les autorités et tribunaux internes et que ces derniers ne comprendront pas véritablement le caractère spécifique de la violence familiale. L’État partie s’est contenté de fournir des informations sur le cadre juridique relatif à l’égalité des sexes et à la discrimination, plutôt que sur la violence familiale et les mesures qui viseraient à renforcer l’application de la loi, telles que la formation de magistrats et de membres des forces de l’ordre et les programmes de réinsertion des victimes de la violence familiale.

6.2L’auteur fait valoir que l’allégation de l’État partie selon laquelle elle n’aurait jamais affirmé avoir été violemment traitée par son mari le 21 septembre 2007 est incorrecte et ne tient pas compte de la demande qu’elle a faite d’une ordonnance de protection immédiate, qui a été accordée, et dans laquelle il était indiqué qu’elle-même et la personne représentant le Centre qui l’accompagnait avaient été attaquées par son mari en présence de la police, ce que confirmait la déclaration écrite du Centre.

6.3S’agissant de la charge de la preuve, l’auteur souligne que l’État partie lui-même a admis que la loi sur la protection contre la violence familiale se contentait d’envisager, sans clairement l’exiger, que la charge de la preuve soit inversée en faveur de la victime de violence familiale. Elle affirme de nouveau que l’imprécision de la loi et l’interprétation qu’en font les tribunaux se répercutent de manière disproportionnée sur les femmes. Dans le cas présent, les tribunaux ont fait peser sur elle la charge de la preuve en lui demandant de prouver de façon à ce qu’il ne subsiste aucun doute raisonnable que son mari avait porté atteinte à son intégrité physique le 21 septembre 2007 et de fournir à cette fin des preuves écrites.

6.4Pour l’auteur, la distinction établie par l’État partie entre la nature bilatérale de la provocation d’une dispute et le caractère unilatéral de la violence, ainsi que la définition de la violence comme acte physique, ignorent la complexité de la violence familiale, notamment de la violence affective et psychologique. L’interprétation restreinte que donnent les tribunaux de la violence familiale, à savoir une menace immédiate pour la vie et la santé de la victime, ne tient pas compte de l’intégrité affective et psychologique des victimes.

6.5En ce qui concerne les mesures conservatoires, l’auteur note avec inquiétude qu’à la suite de la demande formulée par le Comité au titre du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, l’État partie n’a dans un premier temps pas répondu et n’est pas entré en contact avec elle pour prendre les dispositions nécessaires à l’application de telles mesures. Dans sa réponse en date du 1er juillet 2009, l’État partie a principalement fait référence à l’ordonnance de protection immédiate du tribunal de district, bien que cette ordonnance ait cessé d’avoir effet dès l’adoption par le tribunal régional de sa décision finale, le 7 avril 2008.

6.6L’auteur affirme que dès l’expiration de l’ordonnance de protection immédiate, son mari a recommencé à la harceler, elle et les enfants, par des appels téléphoniques répétés et des tentatives de manipulation des enfants visant à les rallier à son opinion, ainsi qu’en portant plainte au pénal contre l’auteur. Du fait de la longueur habituelle des procédures judiciaires, elle a accepté une solution à l’amiable qui permettait à son mari de voir les enfants une fois par mois. Son mari a cru qu’elle déclarait ainsi forfait et a repris de plus belle ses tentatives afin qu’elle lui cède la garde des enfants. Les demandes qu’il a faites auprès du tribunal en vue de passer les vacances d’été avec les enfants et d’emmener leur fils vivre avec lui en Pologne, ce qui aurait eu pour effet de séparer les enfants, ont été rejetées. Il s’est également plaint auprès du procureur de ne pas avoir le droit de pénétrer dans l’appartement où résidaient l’auteur et leurs enfants. L’auteur affirme qu’avant le jugement de divorce prononcé le 8 mai 2009 par le tribunal de district de Plovdiv, elle était en permanence sous tension et vivait constamment dans la peur.

6.7L’auteur fait valoir que du fait de la décision des tribunaux de ne pas délivrer d’ordonnance de protection permanente, l’État partie ne lui a pas accordé de protection, ni à ses enfants. Les autres recours dont elle dispose en vertu de la loi sur le Ministère de l’intérieur n’auraient été d’aucune utilité, car ils n’auraient pu seulement donner lieu qu’à un avertissement écrit intimant à son mari de ne pas la harceler. La violence familiale n’est pas considérée en tant que telle comme une infraction pénale à part entière et certains types d’agression ne donnent pas lieu d’office à des poursuites judiciaires s’ils sont commis par un membre de la famille de la victime. Le manque de diligence de l’État partie qui n’a pas assuré à l’auteur et à ses enfants la protection nécessaire pour éviter qu’un dommage irréparable soit causé fait que ceux-ci ont considérablement souffert sur le plan affectif et psychologique lors de la procédure de divorce.

6.8L’auteur affirme que l’argument de l’État partie selon lequel elle devrait présenter de nouveaux faits pour obtenir des mesures supplémentaires de protection immédiate est sans fondement, l’État partie étant tenu de prendre les mesures conservatoires demandées par le Comité en application du Protocole facultatif. Elle affirme également que l’État partie parle beaucoup des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention sans s’en acquitter véritablement et n’a pas présenté de rapport au Comité depuis 1994.

Autres observations de l’État partie

7.1Le 7 décembre 2009, l’État partie a présenté des observations sur les commentaires de l’auteur, indiquant que la loi sur la protection contre la violence familiale lui fournissait un recours effectif. En l’absence d’autres demandes de protection de sa part contre des violences familiales, il y a lieu de présumer que l’incident du 21 septembre 2007 constituait un conflit ponctuel entre l’auteur et son mari. L’État partie affirme de nouveau que le fait qu’elle n’ait pas signalé de nouveaux incidents entre elle et son mari depuis la délivrance de l’ordonnance de protection immédiate le 27 septembre 2007 indique que les mesures de protection prises par l’État partie ont été effectives et adéquates. Quoi qu’il en soit, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes en ce qui concerne d’éventuels incidents qu’elle n’aurait pas signalé aux autorités de l’État partie.

7.2L’État partie fait valoir que la présente affaire diffère de l’affaire A.T. c. Hongrie (communication no2/2003), au terme de laquelle le Comité a établi que la Hongrie avait failli à l’obligation que lui imposait la Convention d’assurer la protection effective contre les menaces pesant sur sa vie, son intégrité physique et sa santé physique et mentale. Alors qu’en Hongrie, à l’époque, aucune loi n’était en vigueur contre la violence familiale et que les victimes n’avaient aucune possibilité d’obtenir une ordonnance d’éloignement ou de protection, dans la présente affaire, l’auteur a obtenu une protection rapide et adéquate en application de la loi sur la protection contre la violence familiale. L’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie ne lui aurait pas fourni de protection immédiate contre son mari et que le cadre juridique et institutionnel existant ne suffirait toujours pas à apporter une protection et un appui concertés, globaux et effectifs aux victimes de la violence familiale était donc manifestement sans fondement.

7.3Le 14 septembre 2010, à la demande du secrétariat, l’État partie a présenté une traduction de la loi sur la protection contre la violence familiale et du jugement de divorce en date du 8 mai 2009 rendu par le tribunal de district de Plovdiv, qui a dissout le mariage de l’auteur et de son mari. Le tribunal a statué que les époux étaient tous deux responsables de la détérioration irréversible des liens conjugaux : « Il a été établi que les deux époux se livraient fréquemment à des disputes, des altercations et des échanges d’insultes, ainsi que des maltraitances physiques. Le rapport présenté comme par la Direction de l’assistance sociale sur l’affaire et les certificats médicaux concernant les blessures infligées à l’épouse font état du recours à la violence physique. L’épouse a, quant à elle, tenu des propos insolents à son mari, comme cela est ressorti du témoignage qui indique également que c’était souvent elle qui provoquait les disputes. » En se fondant sur le rapport du Bureau de l’assistance sociale de Plovdiv en date du 17 octobre 2007, le tribunal a considéré qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de ne pas être séparés et compte tenu du fait que l’auteur leur prodiguait les soins nécessaires et de leur jeune âge, a confié leur garde à celle-ci, tout en accordant à leur père un droit de visite. Il a également ordonné au père de verser une pension alimentaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 72 de son Règlement intérieur, le Comité ne se prononce sur le fond de la communication qu’après s’être assuré qu’elle répond à toutes les conditions de recevabilité énoncées aux articles 2, 3 et 4 du Protocole facultatif.

8.2S’agissant du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité note que l’auteur a affirmé et que l’État partie a explicitement concédé que tous les recours internes avaient été épuisés par l’auteur.

8.3S’agissant du paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité a été informé que la question ne faisait pas l’objet ou n’avait pas déjà fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

8.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation portant sur la violation de l’article 1, des alinéas a) à c) et e) à g), de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et des alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, le Comité considère que l’auteur a fourni suffisamment d’éléments pour corroborer ses dires, aux fins de la recevabilité.

8.5Le Comité n’a aucun motif de déclarer la communication irrecevable et la juge donc recevable.

Examen de la communication au fond

9.1Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de tous les renseignements qui lui ont été fournis par l’auteur et par l’État partie, tel que prévu à l’article 7 du paragraphe 1 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité considère que l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie ne lui a pas fourni de protection effective contre la violence familiale, en violation des alinéas c) et e) à g) de l’article 2, rapprochés de l’article 1, ainsi que de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’article 16 de la Convention, constitue l’élément central de la présente communication.

9.3Le Comité rappelle que, conformément à sa recommandation générale no19, la discrimination au sens de l’article 1 inclut la violence à l’égard des femmes fondée sur le sexe. Cette discrimination n’est pas limitée aux actes commis par les gouvernements ou en leur nom. Aux termes de l’article 2 e) de la Convention, les États parties peuvent être également responsables d’actes privés s’ils n’agissent pas avec la diligence voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer.

9.4Le Comité note que l’État partie a pris des mesures pour fournir une protection contre la violence familiale en adoptant la loi sur la protection contre la violence familiale, qui comprend une procédure rapide permettant de rendre une ordonnance de protection immédiate. Cependant, pour que l’auteur puisse bénéficier dans les faits de la réalisation du principe de l’égalité des hommes et des femmes et de ses droits individuels et libertés fondamentales, il faut que la volonté politique exprimée dans de telles dispositions législatives bénéficie du soutien de tous les acteurs étatiques, y compris les tribunaux, qui sont tenus de s’acquitter des obligations qui incombent à l’État partie. La question dont est saisi le Comité est donc de déterminer si le refus des tribunaux de Plovdiv de rendre une ordonnance de protection permanente contre le mari de l’auteur ainsi que l’absence de foyer pouvant accueillir les victimes constituent un manquement à l’obligation de l’État partie de protéger effectivement l’auteur de la violence familiale.

9.5Il faudrait tout d’abord s’assurer que l’auteur a bien demandé une ordonnance de protection permanente. Dans la plainte déposée le 27 septembre 2007 auprès du tribunal régional de Plovdiv, elle a demandé « l’adoption d’une ordonnance de protection immédiate aux termes du paragraphe 1 de l’article 18 de la loi sur la protection contre la violence familiale » et a demandé au tribunal de prendre des mesures en application du paragraphe 1 de l’article 5 (points 3 et 4) de la loi, qui énonce les mesures de protection pouvant être prises par les tribunaux dans le cadre des ordonnances de protection immédiate ou permanente pendant une période de 3 à 18 mois. Le Comité observe que le fait que l’auteur ait demandé que de telles mesures soient prises pour une période d’un an donne à supposer qu’elle a en même temps demandé une ordonnance de protection permanente en application du paragraphe 2 de l’article 5 de la loi.

9.6Le Comité rappelle qu’il ne lui appartient pas de revenir sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve qui a été faite par les autorités et tribunaux internes, à moins que cette appréciation n’ait été en soi arbitraire ou discriminatoire. La question décisive est donc de déterminer si le refus des tribunaux de Plovdiv de rendre une ordonnance de protection permanente contre le mari de l’auteur était arbitraire ou discriminatoire.

9.7Le Comité rappelle que le tribunal de district de Plovdiv a fondé sa décision de rejeter la demande d’ordonnance de protection permanente sur le postulat selon lequel, au cours de la période d’un mois allant du 27 août au 27 septembre 2007, aucun acte de violence familiale n’avait été perpétré contre l’auteur et ses enfants par le mari et qu’il n’existait aucune menace imminente sur leur vie ou leur santé. En appel, le tribunal régional de Plovdiv a estimé que l’auteur n’avait pas démontré que le fait que son mari l’ait frappé le 21 septembre 2007 constituait un acte de violence, plaçant ainsi la charge de la preuve sur l’auteur : « […] le fait de frapper, tel qu’il est décrit, n’est pas associé à une atteinte à [l’intégrité] physique du plaignant ou du moins cela n’est-il pas indiqué [il n’y a pas non plus de preuves]. En frappant quelqu’un, on peut faire preuve de violence mais seulement après avoir outrepassé certaines limites de maltraitance et, comme c’est le cas, les déclarations de V. K. n’indiquent pas clairement exactement comment elle a été frappée, à savoir le jour de la procédure, ni comment il a été porté atteinte à son inviolabilité. »

9.8Le Comité rappelle que la violence fondée sur le sexe relève de la discrimination au sens de l’article 2, rapproché de l’article 1, de la Convention et que la recommandation générale no19 n’exige pas qu’il y ait menace directe et immédiate sur la vie ou la santé de la victime. Une telle violence ne se limite pas aux actes qui infligent des tourments d’ordre physique mais englobe également les actes qui infligent des tourments ou des souffrances d’ordre mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté. De même, le paragraphe 1 de l’article 2 de la loi sur la protection contre la violence familiale définit la violence familiale comme « tout acte de violence d’ordre physique, sexuel, psychique, affectif ou matériel ainsi que toute tentative d’un tel acte, toute restriction forcée de la vie personnelle, de la liberté personnelle et des droits personnels contre toute personne apparentée ou personne étant ou ayant été dans une relation familiale ou de cohabitation ». Le Comité note que s’il faut, aux termes du paragraphe 1 de l’article 18 que la plainte de la victime « donne des renseignements sur une menace directe, immédiate ou imminente sur la vie ou la santé de la personne lésée » pour qu’un ordre de protection immédiate soit rendu, il n’est pas nécessaire qu’une telle menace existe pour qu’un ordre de protection permanente soit délivré. Le paragraphe 1 de l’article 4 stipule uniquement : « En cas de violence familiale, la personne lésée aura le droit de demander auprès des tribunaux à bénéficier d’une protection. »

9.9Le Comité conclut que le tribunal de district de Plovdiv, dans sa décision rendue sur la demande d’ordonnance de protection permanente selon les points 1, 3 et 4 du paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur la protection contre la violence familiale en date du 18 décembre 2007, ainsi que le tribunal régional de Plovdiv dans sa décision rendue sur recours le 7 avril 2008, se sont fondés sur une définition excessivement restrictive de la violence familiale que la loi ne justifiait pas et qui contrevenait aux obligations qu’imposait à l’État partie l’article 2, alinéas c) et d), de la Convention, qui faisait partie de l’ordre juridique de l’État partie et était directement applicable dans ce dernier. Les deux tribunaux ont exclusivement mis l’accent sur la question de savoir s’il existait une menace directe et immédiate sur la vie et la santé de l’auteur et son intégrité physique sans tenir compte de ses souffrances sur le plan affectif et psychologique. En outre, les deux tribunaux se sont privés de façon injustifiée de la possibilité de prendre connaissance des incidents de violence familiale précédents décrits par l’auteur en interprétant l’obligation d’ordre purement procédural énoncée à l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence familiale, qui stipule qu’une demande d’ordonnance de protection doit être soumise dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle s’est produit l’acte de violence familiale, de façon à ne pas prendre en compte les incidents ayant eu lieu avant la période d’un mois. Les tribunaux ont en outre imposé des exigences très élevées en matière de preuve en demandant que l’existence de l’acte de violence familiale soit établie de façon qu’il ne subsiste aucun doute raisonnable, plaçant ainsi entièrement la charge de la preuve sur l’auteur, et ont conclu au vu des éléments de preuve réunis qu’aucun acte spécifique de violence familiale n’avait été commis. Le Comité note que ces exigences en matière de preuve sont très élevées et ne sont pas conformes à la Convention, ni aux normes appliquées actuellement pour lutter contre la discrimination, lesquelles inversent souvent la charge de la preuve de la victime à l’auteur présumé des faits dans les procédures judiciaires civiles pour violence familiale.

9.10Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, il a demandé à l’État partie de prendre des mesures de protection conservatoires adéquates et concrètes en faveur de l’auteur et de ses enfants. L’État partie a répondu en assurant le Comité que l’auteur et ses enfants bénéficiaient de la protection requise pour éviter qu’un dommage irréparable ne leur soit causé et pour assurer leur intégrité physique et mentale. Le Comité rappelle également qu’il a d’abord cru comprendre que l’État partie prenait « toutes les mesures de protection nécessaires pour éviter qu’un dommage irréparable ne soit causé à l’auteur et ses enfants et continuer à assurer leur intégrité physique et mentale ». Le Comité souligne cependant que cette perception se fondait sur le résumé de l’évaluation du risque de dommage irréparable pouvant être causé à l’auteur et ne sous-entendait aucune prise de position quant à la recevabilité ou au fond de la communication aux termes du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.11S’agissant de la violence familiale, le Comité a tenu compte des articles 5 et 16 conjointement dans sa recommandation générale no19 (1992). Dans sa recommandation générale no21, il a souligné que « les dispositions de la recommandation générale 19 […] concernant la violence à l’égard des femmes revêtent une grande importance en ce qui concerne l’aptitude des femmes à jouir des droits et libertés dans les mêmes conditions que les hommes ». Il a déclaré à maintes reprises que les attitudes traditionnelles assignant un rôle subalterne aux femmes par rapport aux hommes contribuent à la violence. En espèce, s’agissant de la question de savoir si les décisions des tribunaux de Plovdiv se fondent sur des stéréotypes sexistes, en violation des articles 5 et 16, paragraphe 1, de la Convention, le Comité réaffirme que la Convention impose des obligations à tous les organes nationaux et que les États parties peuvent être tenus responsables des décisions judiciaires qui vont à l’encontre des dispositions de la Convention. Il note en outre que le paragraphe f) de l’article 2 et le paragraphe a) de l’article 5 font obligation à l’État partie de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier ou abroger toute loi et disposition réglementaire, mais également toute coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes tandis que le paragraphe 1 de l’article 16 impose à l’État partie de prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. Le Comité souligne à cet égard que les stéréotypes portent atteinte au droit des femmes à un procès équitable et impartial et que l’appareil judiciaire doit se garder d’instaurer, sur la base uniquement d’idées préconçues concernant la victime de viol ou de violences sexistes en général, des normes rigides. Dans la présente affaire, il convient de déterminer si l’État partie s’est acquitté de l’obligation qui lui incombe aux termes des articles 2 d) et f) et 5 a), de dissiper les stéréotypes sexistes en considérant dans quelle mesure la situation de l’auteur a été examinée à la lumière de la problématique hommes-femmes.

9.12Le Comité considère que l’interprétation des tribunaux de district et régional de Plovdiv selon laquelle le délai d’un mois dans lequel une victime doit formuler une demande d’ordonnance de protection (par. 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence familiale) se justifie par la nécessité de permettre aux tribunaux d’intervenir d’urgence plutôt que par la volonté de régenter la cohabitation des conjoints ne tient pas suffisamment compte de la problématique hommes-femmes dans la mesure où elle relève de l’idée préconçue selon laquelle la violence familiale serait en grande partie une affaire personnelle appartenant à la sphère privée qui, en principe, ne devrait pas être soumise au contrôle de l’État. De même, comme cela a été précédemment indiqué, le fait que les tribunaux de Plovdiv se soucient exclusivement de la violence physique et des menaces immédiates pesant sur la vie ou la santé de la victime témoigne d’une conception stéréotypée et trop restreinte de ce qui constitue la violence familiale. Cette interprétation stéréotypée de la violence familiale apparaît dans le raisonnement tenu par le tribunal régional de Plovdiv selon lequel « En frappant quelqu’un, on peut faire preuve de violence mais seulement après avoir outrepassé certaines limites de maltraitance et, comme c’est le cas, les déclarations de Violeta Komova n’indiquent pas clairement exactement comment elle a été frappée, à savoir le jour de la procédure comment il a été porté atteinte à son inviolabilité ». Le jugement de divorce du tribunal de district de Plovdiv en date du 8 mai 2009, dans lequel il est fait référence aux « propos insolents » de la victime à l’égard de son mari et il est ordonné à cette dernière de reprendre son nom de jeune fille après la dissolution des liens conjugaux, témoigne également de conceptions stéréotypées du rôle des femmes au sein du mariage. Le Comité conclut que le refus des tribunaux de Plovdiv de délivrer une ordonnance de protection permanente contre le mari de l’auteur se fonde sur des notions stéréotypées, préconçues et donc discriminatoires de ce qui constitue la violence familiale.

9.13Le Comité considère également que l’absence de foyer pouvant accueillir l’auteur et ses enfants après leur retour en Bulgarie en septembre 2007, fait que l’auteur a fait valoir et que l’État partie n’a pas contesté, constitue une violation de l’obligation qu’imposent à cet État les alinéas c) et e) de l’article 2 de la Convention d’assurer la protection immédiate des femmes en cas de violence, notamment conjugale. À cet égard, il rappelle sa recommandation générale no19 concernant la violence à l’égard des femmes.

9.14En dernier lieu, le Comité tient à reconnaître que l’auteur de la communication a subi des dommages et préjudices sur le plan moral et pécuniaire. Quand bien même elle n’aurait pas été directement victime de violence physique à la suite du rejet final de sa demande d’ordonnance de protection permanente le 7 avril 2008, assorti des coûts à sa charge, elle a néanmoins éprouvé une peur et une anxiété considérables au terme des procédures judiciaires relatives à la demande d’ordonnance, alors qu’elle-même et ses enfants se trouvaient sans protection de l’État et de nouveau en situation de victime du fait des stéréotypes sexistes sur lesquels reposaient les décisions des tribunaux.

9.15S’autorisant du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif relatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et tenant compte de toutes les considérations susmentionnées, le Comité est d’avis que l’État partie a failli à ses obligations et a ainsi violé les droits que confèrent à l’auteur les alinéas c), d), e) et g) de l’article 2 et l’alinéa a) de l’article 5, rapprochés de l’article 1 de la Convention et de la recommandation générale no19 du Comité.

9.16Le Comité adresse les recommandations suivantes à l’État partie :

a)En ce qui concerne l’auteur de la communication :

Accorder à l’auteur une indemnisation adéquate et proportionnelle à la gravité des violations de ses droits;

b)De manière générale :

i)Modifier le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection de violence familiale de façon à supprimer le délai d’un mois qui y est fixé et à faire en sorte que les victimes puissent obtenir une ordonnance de protection sans être soumises à des contraintes administratives et judiciaires excessives;

ii)Veiller à ce que les dispositions de la loi sur la protection contre la violence familiale soient modifiées dans le sens d’un assouplissement de la charge de la preuve en faveur de la victime;

iii)Veiller à ce qu’un nombre suffisant de foyers d’accueil financés par l’État soient mis à la disposition des victimes de la violence familiale et de leurs enfants et apporter un appui aux organisations non gouvernementales qui hébergent des victimes et leur fournissent d’autres formes de soutien;

iv)Dispenser aux magistrats, avocats et membres des forces de l’ordre une formation obligatoire sur l’application de la loi sur la protection contre la violence familiale, y compris sur la définition de cette violence et les stéréotypes sexistes, ainsi qu’une formation adéquate portant sur la Convention, le Protocole facultatif et les recommandations générales du Comité, en particulier la recommandation générale no19.

9.17Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole à la Convention, l’État partie examinera dûment les constatations du Comité, ainsi que ses recommandations, et le Comité soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, informant notamment de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est en outre prié de rendre publiques les constatations et recommandations du Comité et de les faire traduire en langue bulgare et diffuser à grande échelle afin qu’elles touchent tous les segments concernés de la société.